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Date : 20250117


Dossier : T-1035-24

Référence : 2025 CF 99

Toronto (Ontario), le 17 janvier 2025

En présence de madame la juge Whyte Nowak

ENTRE :

BRANDIN BRICK

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Brandin Brick, est un détenu qui purge une peine globale au Pénitencier de la Saskatchewan pour de multiples déclarations de culpabilité distinctes. Le 14 septembre 2023, la Cour d’appel de la Saskatchewan [la Cour d’appel] a annulé sa déclaration de culpabilité pour meurtre au deuxième degré et a ordonné la tenue d’un nouveau procès. Le commissaire du Service correctionnel [le commissaire] a renvoyé le dossier à la Commission des libérations conditionnelles du Canada [la Commission] au titre de l’article 129 de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC 1992, ch 20 [la LSCMLC], pour qu’elle examine la question du maintien en incarcération du demandeur.

[2] La Commission a ordonné que le demandeur soit maintenu en incarcération jusqu’à la fin de la période prévue pour la libération d’office, en vertu de l’alinéa 130(3)c) de la LSCMLC [la décision de la Commission]. Dans sa décision du 5 avril 2024, la Section d’appel de la Commission des libérations conditionnelles du Canada [la Section d’appel] a confirmé la décision de la Commission.

[3] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel et soulève des questions concernant l’interprétation du paragraphe 129(3.1) de la LSCMLC, les obligations de communication qui incombent à la Commission et au Service correctionnel du Canada [le SCC], en lien avec les audiences de maintien en incarcération, ainsi que le caractère raisonnable de la décision de la Section d’appel.

[4] Pour les motifs qui suivent, je conclus que le demandeur ne s’est pas acquitté de son fardeau de démontrer que la décision de la Section d’appel est déraisonnable ou qu’il a été privé de son droit à l’équité procédurale dans le contexte de son audience de maintien en incarcération. Par conséquent, la présente demande sera rejetée.

II. Le régime législatif

[5] Conformément au paragraphe 127(1) de la LSCMLC, les détenus ont le droit d’être mis en liberté après avoir purgé les deux tiers de leur peine. Toutefois, dans des cas exceptionnels, la Commission peut retirer ce droit en vertu du paragraphe 129(3) de la LSCMLC, qui énonce ce qui suit :

Renvoi du dossier par le commissaire au président de la Commission

Referral of cases to Chairperson of Board

(3) S’il a des motifs raisonnables de croire qu’un délinquant commettra, s’il est mis en liberté avant l’expiration légale de sa peine, soit une infraction causant la mort ou un dommage grave à une autre personne, soit une infraction d’ordre sexuel à l’égard d’un enfant, soit une infraction grave en matière de drogue, le commissaire renvoie le dossier au président de la Commission — et lui transmet tous les renseignements qui sont en la possession du Service qui, à son avis, sont pertinents — le plus tôt possible après en être arrivé à cette conclusion et plus de six mois avant la date prévue pour la libération d’office; il peut cependant le faire six mois ou moins de six mois avant cette date dans les cas suivants :

(3) If the Commissioner believes on reasonable grounds that an offender is likely, before the expiration of the sentence according to law, to commit an offence causing death or serious harm to another person, a sexual offence involving a child or a serious drug offence, the Commissioner shall refer the case to the Chairperson of the Board together with all the information in the possession of the Service that, in the Commissioner’s opinion, is relevant to the case, as soon as practicable after forming that belief. The referral must be made more than six months before the offender’s statutory release date unless

a) sa conclusion se fonde sur la conduite du délinquant ou sur des renseignements obtenus pendant ces six mois;

(a) the Commissioner formed that belief on the basis of the offender’s behaviour or information obtained during those six months; or

b) en raison de tout changement résultant d’un nouveau calcul, la date prévue pour la libération d’office du délinquant est déjà passée ou tombe dans cette période de six mois.

(b) as a result of a change in the statutory release date due to a recalculation, the statutory release date has passed or the offender is entitled to be released on statutory release during those six months.

[Non souligné dans l’original.]

[Emphasis added]

[6] Dans le cas où l’alinéa 129(3)b) de la LSCMLC s’applique parce que le nouveau calcul fait en sorte que la date prévue pour la libération d’office est déjà passée, le commissaire est tenu, aux termes du paragraphe 129(3.1) de la LSCMLC, de déterminer si le dossier doit être déféré au président de la Commission. Le paragraphe 129(3.1) exige que le commissaire défère le cas dans les deux jours ouvrables suivant le nouveau calcul.

[7] Lorsque le cas d’un détenu est déféré à la Commission au titre du paragraphe 129(3.1) de la LSCMLC, l’alinéa 130(3)c) prévoit que la Commission, au terme de son examen, peut ordonner que le délinquant soit incarcéré au cours de la période prévue pour la libération d’office si elle est convaincue qu’il commettra, s’il est mis en liberté avant l’expiration de sa peine, soit une infraction causant la mort ou un dommage grave à une autre personne, soit une infraction d’ordre sexuel à l’égard d’un enfant, soit une infraction grave en matière de drogue.

III. Les faits

[8] Depuis le 28 août 2019, le demandeur est incarcéré au Pénitencier de la Saskatchewan, où il purge une peine globale pour de multiples déclarations de culpabilité distinctes. Il purgeait initialement une peine d’emprisonnement après avoir été déclaré coupable de meurtre au deuxième degré. Cependant, le jeudi 14 septembre 2023, la Cour d’appel a annulé cette déclaration de culpabilité et a ordonné la tenue d’un nouveau procès. La Cour d’appel a ordonné que le demandeur demeure incarcéré en vertu du paragraphe 516(1) du Code criminel, LRC 1985, ch C-46, jusqu’à ce que la Cour du Banc du Roi de la Saskatchewan en décide autrement [le mandat de renvoi].

A. Le nouveau calcul de la date de libération d’office du demandeur

[9] Un nouveau calcul de la date de libération d’office a permis d’établir que la nouvelle peine globale du demandeur était de 5 ans, 5 mois et 20 jours, portant ainsi la date de sa libération d’office au 22 avril 2023, laquelle était déjà passée. Le mardi 19 septembre 2023, le SCC a déféré le cas du demandeur à la Commission afin qu’elle détermine si celui-ci devrait rester incarcéré jusqu’à la fin de la période prévue pour la libération d’office.

[10] Une audience provisoire, au cours de laquelle le demandeur a été interrogé au sujet de son incarcération éventuelle, s’est tenue le 22 septembre 2023. La Commission a ordonné un examen en vue du maintien en incarcération, qui devait initialement avoir lieu le 17 octobre 2023.

[11] Conformément au paragraphe 129(3.1) de la LSCMLC, le demandeur ne pouvait être libéré d’office avant que la Commission ne tranche l’affaire.

B. Les plaintes de l’avocat concernant la communication de documents

[12] Le demandeur a retenu les services d’un avocat en lien avec la question de son incarcération. Avant l’audience, l’avocat a demandé à maintes reprises au SCC qu’il lui communique les documents dont disposait la Commission, mais celui-ci a refusé de les lui transmettre directement. Le SCC a plutôt informé le demandeur qu’il pouvait personnellement examiner et sélectionner les documents qu’il souhaitait obtenir, et les envoyer à son avocat moyennant des frais de télécopie de 1,00 $ par page.

[13] Le 6 novembre 2023, l’avocat du demandeur a écrit à la Commission afin qu’elle ordonne au SCC de lui communiquer les documents. Il a fait valoir que le demandeur et lui-même ne connaissaient pas les documents précis dont disposait la Commission et que le refus du SCC de les lui communiquer l’avait empêché de prodiguer des conseils juridiques adéquats au demandeur avant son audience de maintien en incarcération. Il a soutenu qu’il s’agissait là d’un manquement aux droits du demandeur à l’assistance d’un avocat et à l’équité procédurale, qui sont garantis par l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R‑U), 1982, c 11 [la Charte]. L’avocat du demandeur a demandé à la Commission d’ajourner la procédure et d’ordonner au SCC de lui transmettre une copie des documents que ce dernier avait soumis à la Commission.

[14] Dans une lettre datée du 8 novembre 2023, la Commission a répondu à l’avocat du demandeur et a indiqué qu’elle transmettait au demandeur toute information pertinente dont elle avait tenu compte pour arriver à sa décision, ou un résumé de cette information, conformément au paragraphe 141(1) de la LSCMLC. La Commission a expliqué que la responsabilité de communiquer les documents incombait au SCC, et elle a encouragé l’avocat à communiquer avec celui-ci. La Commission n’a donné aucune directive à l’intention du SCC.

[15] Le demandeur a déposé une plainte contre le SCC en octobre 2023, en lien avec les frais de télécopie, et le SCC a remboursé le demandeur en décembre 2023.

[16] La demande du demandeur en vue de reporter l’audience a été accueillie, et celle-ci a été reportée au 9 novembre 2023. Ultérieurement, le demandeur a présenté une autre demande pour reporter l’audience, qui a été fixée au 20 décembre 2023.

C. La décision de la Commission

[17] Le 28 décembre 2023, la Commission a statué que le demandeur était susceptible de commettre une infraction causant la mort ou un dommage grave à une autre personne s’il était mis en liberté, ce qui justifiait qu’il demeure incarcéré jusqu’à la fin de la période prévue pour la libération d’office.

[18] La Commission a fait remarquer que, selon l’avocat du demandeur, le SCC avait attendu trop longtemps avant de déférer le cas, puisque le commissaire n’avait pas respecté le délai de deux jours ouvrables prévu au paragraphe 129(3.1) de la LSCMLC. Elle jugeait que le nouveau calcul avait été effectué le vendredi 15 septembre 2023 et était convaincue que le renvoi satisfaisait aux exigences législatives, puisque le cas avait été déféré le mardi 19 septembre 2023.

[19] La Commission a aussi fait remarquer qu’elle avait reçu les observations du 6 novembre 2023, dans lesquelles l’avocat du demandeur soulevait des questions relatives au droit de ce dernier à l’assistance d’un avocat et à l’équité procédurale, ainsi qu’au défaut du SCC de communiquer les documents pour permettre au demandeur de monter son dossier. La Commission n’a pas examiné cette observation si ce n’est pour en faire mention.

D. La décision de la Section d’appel

[20] Le demandeur a interjeté appel de la décision de la Commission devant la Section d’appel. Cette dernière a rejeté l’appel et a confirmé la décision de la Commission, au motif qu’elle était raisonnable. La Section d’appel a conclu ce qui suit après avoir examiné les motifs d’appel soulevés par le demandeur : la Commission avait compétence pour entendre la cause du demandeur; les droits du demandeur en matière d’équité procédurale n’avaient pas été enfreints; la Commission avait appliqué le bon critère juridique lorsqu’elle avait ordonné l’incarcération du demandeur; la Commission n’avait pas déraisonnablement omis de prendre en compte le mandat de renvoi en suspens visant le demandeur.

IV. Les questions en litige et la norme de contrôle

[21] La présente demande soulève les questions suivantes :

  1. Le commissaire avait-il compétence pour déférer le cas en vertu de l’article 129(3.1) de la LSCMLC au moment où il l’a fait?

  2. Le processus de communication des documents était‑il équitable sur le plan procédural?

  3. La conclusion de la Section d’appel selon laquelle le mandat de renvoi en suspens visant le demandeur n’était pas pertinent était-elle raisonnable?

[22] Bien que le présent contrôle judiciaire vise la décision par laquelle la Section d’appel a confirmé la décision de la Commission, la Cour doit ultimement s’assurer de la légalité de cette dernière, en l’absence d’erreur distincte commise par la Section d’appel (Cartier c Canada (Procureur général), 2002 CAF 384 au para 10, et Smith c Canada (Procureur général), 2019 CF 1658 au para 37).

V. Analyse

A. Première question : le commissaire avait-il compétence à la date où le cas a été déféré?

(1) La norme de contrôle

[23] Le demandeur soutient que ses droits garantis par la Charte ont nécessairement été enfreints lorsqu’il a été incarcéré en contravention de la loi. Il se fonde sur les paragraphes 62 à 71 de l’arrêt Conseil scolaire de district de la région de York c Fédération des enseignantes et des enseignants de l’élémentaire de l’Ontario, 2024 CSC 22 [Conseil scolaire], pour faire valoir que la question du respect du paragraphe 129(3.1) de la LSCMLC est fondamentalement une question constitutionnelle, et ce, malgré le fait que cette question n’avait pas été soulevée en tant que telle auparavant. Sur le fondement de cet arrêt, le demandeur prétend que la norme de contrôle applicable est la décision correcte.

[24] Le défendeur soutient que la norme de contrôle applicable à la première question est celle de la décision raisonnable, au motif que les questions touchant véritablement à la compétence ne sont plus considérées comme faisant intervenir la norme de la décision correcte depuis que la Cour suprême du Canada a rendu l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] (Vavilov, aux para 65, 67).

[25] Je suis d’accord avec le défendeur et j’ajouterais deux motifs supplémentaires, qui militent en faveur de l’application de la norme de la décision raisonnable.

[26] Premièrement, la question porte en fin de compte sur la bonne interprétation du paragraphe 129(3.1) de la LSCMLC. Selon l’arrêt Vavilov, une telle question est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable (Vavilov, au para 115).

[27] Deuxièmement, le demandeur n’a pas soulevé de question constitutionnelle devant la Commission ou la Section d’appel, et une telle question ne peut pas être soulevée pour la première fois dans le cadre d’un contrôle judiciaire devant la Cour (Sullivan v Canada (Attorney General), 2024 FCA 7 au para 8, faisant référence à Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61). Le demandeur fait remarquer que les parties dans l’arrêt Conseil scolaire n’avaient pas soulevé la question de la Charte, mais je juge que les circonstances en l’espèce sont différentes : la question de savoir si la Charte s’appliquait aux conseils scolaires, qui demeurait entière dans l’arrêt Conseil scolaire, nécessitait une réponse définitive et déterminante, alors que la question de l’application de la Charte à la Commission et à sa procédure n’est pas en cause dans la présente affaire. Il est déjà établi que la Commission est assujettie à l’article 7 de la Charte et que sa procédure doit respecter les principes de justice fondamentale (Mooring c Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] 1 RCS 75 au para 38).

[28] Par conséquent, la première question est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, qui commande la déférence à l’égard de l’expertise d’un tribunal qui interprète sa propre loi constitutive (May c Canada (Procureur général), 2020 CF 292 au para 23). Selon l’arrêt Vavilov, la cour de révision ne procède pas à une analyse de novo ni ne se demande « ce qu’aurait été la décision correcte » (Vavilov, au para 116, faisant référence à Barreau du Nouveau-Brunswick c Ryan, 2003 CSC 20 au para 50). Elle doit plutôt examiner la décision administrative dans son ensemble, y compris les motifs fournis par le tribunal et le résultat obtenu.

(2) La décision de la Section d’appel

[29] La Commission et la Section d’appel ont toutes deux fondé leur interprétation du paragraphe 129(3.1) de la LSCMLC sur le sens ordinaire de la phrase suivante :

[L]e commissaire en arrive à une conclusion — et, le cas échéant, défère le cas — dans les deux jours ouvrables suivant le nouveau calcul [...]

[30] La Section d’appel a jugé que les expressions « suivant le nouveau calcul » et « en arrive à une conclusion » étaient [traduction] « cruciales » pour comprendre le paragraphe 129(3.1) de la LSCMLC et son application dans le contexte de la présente affaire, que la Section d’appel a décrit de la façon suivante :

  • [traduction]
    Dans son jugement du 14 septembre 2023, la Cour d’appel a annulé la déclaration de culpabilité du demandeur pour meurtre au deuxième degré et a ordonné la tenue d’un nouveau procès;

  • Le jugement de la Cour d’appel a été transmis au SCC à une date inconnue, mais vraisemblablement le jour même;

  • Le SCC a produit un document, horodaté en date du 15 septembre 2023 à 9 h 44, intitulé « Lettre pour les délinquants fédéraux (dates d’admissibilité) », qui indique que le nouveau calcul de la « date d’admissibilité du demandeur à la LO » (c.-à-d. la libération d’office) était le 22 avril 2023, et que la date d’expiration du mandat (la DEM) était le 16 février 2025.

[31] La Section d’appel a répondu de la façon suivante à l’argument du demandeur selon lequel le commissaire n’avait pas respecté le délai imparti pour déférer le cas :

[traduction]
Une simple lecture du paragraphe 129(3.1) permet au lecteur de comprendre que, si un nouveau calcul a été effectué le 15 septembre 2023, le commissaire du SCC disposait alors de deux jours ouvrables suivant la date du nouveau calcul afin de déférer le cas. Ainsi, le délai de deux jours ouvrables a commencé à courir après le 15 septembre 2023. Laisser entendre, comme vous le faites, que le nouveau calcul intervient comme par magie à l’instant même où la Cour d’appel rend sa décision constitue une mauvaise interprétation de la législation. De plus, le fait de penser que le compte à rebours est lancé à l’instant même où un document est horodaté relève d’un élargissement illogique du langage législatif. Il était logique de s’attendre à ce que le commissaire du SCC dispose de deux jours ouvrables à partir du 15 septembre 2023, date de signature du document relatif au « nouveau calcul », pour déférer le cas à la Commission. [Non souligné dans l’original.]

[32] Par conséquent, la Section d’appel était d’avis que le commissaire avait rempli son obligation, prévue par la loi, de déférer le cas dans les deux jours ouvrables suivant le nouveau calcul de la date prévue pour la libération d’office du demandeur.

(3) Les observations des parties

[33] Le demandeur soutient que l’expression « nouveau calcul », interprétée dans le contexte de l’article 129 de la LSCMLC, dénote un changement dans le calcul de la peine entraînant un changement dans la date de mise en liberté du délinquant. Il affirme que le SCC ne peut pas modifier la date prévue pour la libération d’office et que seuls les tribunaux peuvent le faire en modifiant la peine du délinquant. Par conséquent, le demandeur fait valoir que sa peine a fait l’objet d’un nouveau calcul le jeudi 14 septembre 2023, c’est-à-dire au moment où la Cour d’appel a rendu sa décision d’annuler sa condamnation pour meurtre et l’a transmise au SCC. Ainsi, il prétend que le délai de deux jours ouvrables prévu au paragraphe 129(3.1) de la LSCMLC était expiré en date du mardi 19 septembre 2023, lorsque le commissaire a déféré son cas, et que celui-ci n’avait donc pas compétence pour ce faire.

[34] Le demandeur soutient que son interprétation du paragraphe 129(3.1) est la seule interprétation raisonnable possible et que la décision de la Section d’appel est indéfendable, puisque celle-ci a confirmé l’interprétation proposée par la Commission.

[35] Le défendeur soutient que l’analyse de la Section d’appel quant à savoir pourquoi la Commission a conservé sa compétence était justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles elle était assujettie. Il allègue que le nouveau calcul a été effectué le vendredi 15 septembre 2023, lorsqu’un gestionnaire des peines du SCC a calculé les nouvelles dates d’admissibilité du demandeur. Le défendeur fait valoir que le commissaire s’est conformé aux exigences prévues par la loi, puisqu’il a déféré le cas le mardi 19 septembre 2023, c’est-à-dire à l’intérieur du délai de deux jours ouvrables prévu au paragraphe 129(3.1) de la LSCMLC.

(4) La disposition législative en cause

[36] La disposition législative applicable à cette question est le paragraphe 129(3.1) de la LSCMLC, qui énonce ce qui suit :

Détention

Detention pending referral

(3.1) Dans le cas visé à l’alinéa (3)b) et où la date de libération d’office est déjà passée, le commissaire en arrive à une conclusion — et, le cas échéant, défère le cas — dans les deux jours ouvrables suivant le nouveau calcul et le délinquant en cause ne peut être libéré d’office tant que le commissaire n’en est pas arrivé à une conclusion.

(3.1) Where paragraph (3)(b) applies and the statutory release date has passed, the Commissioner shall, within two working days after the recalculation under that paragraph, make a determination whether a referral is to be made to the Chairperson of the Board pursuant to subsection (3) and, where appropriate, shall make a referral, and the offender is not entitled to be released on statutory release pending the determination.

[Non souligné dans l’original.]

[Emphasis added]

(5) Analyse

[37] La Section d’appel a interprété le paragraphe 129(3.1) de la LSCMLC en se fondant sur l’intention du législateur d’après une simple lecture du libellé, ainsi qu’en tenant compte du contexte et du régime de la LSCMLC. Son analyse comporte quatre volets :

  • Premièrement, la LSCMLC ne renferme aucune définition de l’expression « nouveau calcul »;

  • Deuxièmement, la Section d’appel était d’avis que le jugement de la Cour d’appel n’était pas un nouveau calcul, compte tenu de son interprétation de l’expression « nouveau calcul » comme ayant un sens distinct des termes [traduction] « décision judiciaire » et [traduction] « peine »;

  • Troisièmement, le nouveau calcul constitue un acte administratif distinct effectué par le SCC;

  • Quatrièmement, le délai pour déférer le cas ne commence pas à courir au moment où la Cour d’appel rend son jugement ou le transmet au SCC; il commence seulement à courir après que le SCC a effectué le nouveau calcul.

[38] Certes, la Commission et la Section d’appel n’ont pas examiné le libellé du paragraphe 129(3.1) de la LSCMLC en lien avec l’objectif de la disposition au sein du régime législatif, ni interprété l’objet de la LSCMLC en appliquant les principes modernes d’interprétation des lois (Vavilov, aux para 117-118). Je conclus toutefois que cette imperfection ne porte pas atteinte au caractère raisonnable de la décision de la Section d’appel.

[39] Les décideurs administratifs ne sont pas tenus, dans tous les cas, de procéder à une interprétation formaliste de la loi. De plus, lorsque le libellé est « précis et non équivoque », son sens ordinaire peut jouer un rôle primordial dans le processus d’interprétation (Vavilov, aux para 119-120, faisant référence à Hypothèques Trustco Canada c Canada, 2005 CSC 54 au para 10). C’était le cas en l’espèce, comme le démontre l’emphase mise par la Section d’appel sur les termes qu’elle a soulignés. Je suis d’avis que la Section d’appel s’est concentrée sur les aspects principaux du texte et du contexte du paragraphe 129(3.1) de la LSCMLC (Vavilov, au para 122), et qu’il lui était loisible de simplement appliquer le libellé de la disposition, qu’elle jugeait clair et non équivoque (Roofmart Ontario Inc c Canada (Revenu national), 2020 CAF 85 au para 20, faisant référence à Shell Canada Ltée c Canada, [1999] 3 RCS 622 au para 40).

[40] En outre, bien qu’un tribunal administratif ne soit pas tenu d’examiner « toutes les interprétations possibles » d’une disposition donnée (Vavilov, au para 122), la Section d’appel s’est tout de même penchée sur l’interprétation proposée par le demandeur, laquelle reposait aussi largement sur le libellé du paragraphe 129(3.1). Elle a rejeté cette interprétation, aux motifs que celle-ci ne conférait pas de sens aux termes clés utilisés dans le libellé, nécessitait un [traduction] « élargissement illogique du langage législatif » et faisait abstraction du régime de la LSCMLC, qui prévoit que le SCC et la Commission ont des rôles distincts de ceux des tribunaux concernant les questions relatives à la libération d’office et à l’incarcération.

[41] Par conséquent, je conclus que les décisions de la Commission et de la Section d’appel étaient raisonnables au sujet de leur interprétation du paragraphe 129(3.1) de la LSCMLC ainsi que leur conclusion selon laquelle le commissaire n’avait pas perdu sa compétence à la date où il a déféré le cas du demandeur.

B. Deuxième question : la Commission a-t-elle respecté ses obligations en matière de communication?

(1) La norme de contrôle

[42] À l’audience, le demandeur a souscrit à la norme de contrôle de la décision correcte telle qu’elle est énoncée au paragraphe 25 du mémoire des faits et du droit du défendeur, dans lequel celui-ci mentionne les principes suivants :

i) La Cour doit se demander si les processus suivis étaient justes et équitables, en portant attention à la nature des droits en jeu et aux conséquences pour les personnes touchées (Mayers v Canada (Attorney General), 2024 FC 776 au para 10);

ii) Aucune norme de contrôle ne s’applique aux questions d’équité procédurale. L’appréciation de l’équité procédurale requiert plutôt que la Cour établisse les procédures et les garanties requises dans un cas particulier (Badial c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 108 au para 13);

iii) Le processus suivi par la Commission commande nécessairement un degré élevé d’équité procédurale, puisque ses décisions entraînent le maintien en incarcération de la personne visée (Ewonde c Canada (Procureur général), 2020 CF 829 au para 24 [Ewonde]).

[43] Je souscris à ces principes, mais j’ajouterais que la question définitive à laquelle les tribunaux doivent répondre lorsqu’ils examinent une question d’équité procédurale est celle de savoir si les personnes touchées par une décision connaissaient la preuve à réfuter et si elles ont eu la possibilité de répondre devant un décideur impartial (Ewonde, au para 23, et Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 41 [Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée]).

[44] Le demandeur soutient que les audiences de maintien en incarcération commandent un degré d’équité procédurale encore plus élevé que les audiences de libération conditionnelle. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que cette distinction n’est pas justifiée, puisque les articles 140 et 141 de la LSCMLC, qui énoncent la procédure à suivre pour ces deux types d’audiences, n’établissent pas une telle distinction.

(2) La décision de la Section d’appel

[45] La Section d’appel a tenu compte de l’argument du demandeur voulant que la Commission n’ait pas examiné sa préoccupation selon laquelle le processus de communication du SCC avait entravé l’exercice de son droit à l’assistance d’un avocat, puisqu’il avait dû déterminer, sans bénéficier de l’aide d’un avocat, quels documents solliciter et communiquer à son avocat moyennant des frais de 1,00 $ par page. La Section d’appel a répondu à l’observation du demandeur de la façon suivante :

[traduction]
La Commission est chargée de mettre en place une procédure en vue de garantir le traitement équitable des délinquants et de remplir son mandat conformément à la LSCMLC. Dans le contexte de cette procédure, le délinquant est informé des droits qui lui sont conférés par la LSCMLC avant l’audience (la Déclaration sur les garanties procédurales et la lettre de notification de l’audience), au début de l’audience, ainsi qu’au cours de cette dernière, le cas échéant.

La Commission est chargée de veiller à ce que les renseignements dont elle tient compte au moment d’examiner votre dossier vous soient communiqués conformément à l’article 141 de la LSCMLC. Il incombe au SCC de gérer les renseignements consignés au dossier et de communiquer les documents pris en compte par la Commission dans le cadre d’un examen ou d’une audience, et ce, en vertu du pouvoir qui lui est conféré par la LSCMLC en ce qui concerne « la prise en charge et la garde des détenus » (LSCMLC, art 5a)) et « la préparation des détenus à leur libération » (LSCMLC, art 5c)). La Commission ne joue aucun rôle en ce qui concerne la procédure et les processus établis par le SCC quant à la manière dont il gère la communication de documents aux délinquants en prévision d’un examen ou d’une audience, et la législation ne lui confère pas le pouvoir de donner des ordres ou des directives au SCC quant à savoir comment il devrait gérer cette question.

[46] La Section d’appel a conclu ce qui suit concernant la question de savoir si la politique du SCC en matière de communication de documents portait atteinte au droit du demandeur à l’assistance d’un avocat :

[traduction]
La Commission est un tribunal administratif qui rend des décisions relatives à la mise en liberté sous condition à l’intérieur du cadre juridique défini dans la LSCMLC. Conformément au paragraphe 140(7) de la LSCMLC, un délinquant a le droit d’être assisté d’une personne de son choix, notamment un avocat, au cours de l’audience. Comme l’a confirmé la Cour [d’appel] fédérale dans l’arrêt MacInnis c Canada (Procureur général) (CA), [1997] 1 CF 115, il ressort de la terminologie utilisée dans la LSCMLC que « le législateur n’avait pas l’intention de donner à la personne qui assiste le délinquant devant la Commission le rôle de l’avocat devant un juge ou un jury ».

(3) Les observations des parties

[47] Le demandeur ne nie pas que la Commission a rempli ses obligations aux termes du paragraphe 141(1) de la LSCMLC. Cependant, il soutient que le droit à l’assistance d’un avocat comprend le droit à ce que son avocat obtienne et examine les documents lui ayant été communiqués, afin qu’il puisse lui prodiguer des conseils juridiques en prévision de l’audience de maintien en incarcération. Il fait valoir que le processus de communication du SCC entrave l’accès des détenus à un avocat. Le demandeur soutient que la Section d’appel a renoncé à sa responsabilité de garantir l’équité procédurale des audiences de maintien en incarcération, lorsqu’elle a conclu que la Commission n’avait pas le pouvoir d’ordonner au SCC de communiquer les documents.

[48] Le défendeur fait valoir que le processus de communication du SCC n’enfreint pas les droits du demandeur à l’équité procédurale, qui se limitent aux droits conférés par les paragraphes 141(1), 140(7) et 140(8) de la LSCMLC, dans le contexte d’une audience de maintien en incarcération.

(4) Les dispositions législatives en cause

[49] L’obligation de communication qui incombe à la Commission en ce qui concerne les audiences de maintien en incarcération est énoncée au paragraphe 141(1) de la LSCMLC :

Délai de communication

Disclosure to offender

141 (1) Au moins quinze jours avant la date fixée pour l’examen de son cas, la Commission fait parvenir au délinquant, dans la langue officielle de son choix, les documents contenant l’information pertinente, ou un résumé de celle-ci.

141 (1) At least fifteen days before the day set for the review of the case of an offender, the Board shall provide or cause to be provided to the offender, in writing, in whichever of the two official languages of Canada is requested by the offender, the information that is to be considered in the review of the case or a summary of that information.

[50] Le droit à l’assistance d’un avocat dans le contexte d’une audience de maintien en incarcération est énoncé aux paragraphes 140(7) et (8) de la LSCMLC :

Assistant du délinquant

Assistance to offender

(7) Dans le cas d’une audience à laquelle assiste le délinquant, la Commission lui permet d’être assisté d’une personne de son choix, sauf si cette personne n’est pas admissible à titre d’observateur en raison de l’application du paragraphe (4).

(7) Where a review by the Board includes a hearing at which the offender is present, the Board shall permit the offender to be assisted by a person of the offender’s choice unless the Board would not permit the presence of that person as an observer pursuant to subsection (4).

Droits de l’assistant

Role of assistant

(8) La personne qui assiste le délinquant a le droit :

(8) A person referred to in subsection (7) is entitled

a) d’être présente à l’audience lorsque le délinquant l’est lui-même;

(a) to be present at the hearing at all times when the offender is present;

b) de conseiller le délinquant au cours de l’audience;

(b) to advise the offender throughout the hearing; and

c) de s’adresser aux commissaires au moment que ceux-ci choisissent en vue du bon déroulement de l’audience.

(c) to address, on behalf of the offender, the members of the Board conducting the hearing at times they adjudge to be conducive to the effective conduct of the hearing.

(5) Analyse

[51] Je suis d’avis que la Commission a respecté ses obligations en matière de communication de documents et que le processus de communication du SCC n’a pas privé le demandeur de son droit à l’équité procédurale, et ce, pour quatre motifs.

[52] Premièrement, les obligations de la Commission en matière de communication sont exclusivement régies par le paragraphe 141(1) de la LSCMLC, et le fait de remplir les obligations énoncées dans cette disposition, laquelle n’est pas contestée en l’espèce, satisfait aux principes de justice fondamentale (Strachan c Canada (Procureur général), 2006 CF 155 au para 20).

[53] Deuxièmement, je ne suis pas convaincue que le processus de communication du SCC a entravé le droit du demandeur à l’assistance d’un avocat, puisque ce droit n’est pas absolu dans le contexte des audiences devant la Commission. La jurisprudence antérieure établit que la primauté du droit ne suppose pas l’existence d’un droit général à l’assistance d’un avocat en prévision d’une audience devant la Commission ou au cours de celle-ci (Colombie-Britannique (Procureur général) c Christie, 2007 CSC 21 au para 23). Au paragraphe 86 de l’arrêt Nouveau-Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c G (J), [1999] 3 RCS 46 [Nouveau-Brunswick], la Cour suprême du Canada a conclu que le droit à une audience équitable ne nécessitera pas toujours qu’une personne soit représentée par un avocat lorsque la décision porte sur son droit à la liberté.

[54] Le demandeur fait remarquer que, dans l’arrêt Nouveau-Brunswick, la Cour suprême n’a pas précisé explicitement les contextes dans lesquels la question du droit à l’assistance d’un avocat pourrait se poser en tant que composante du droit à une audience équitable (Nouveau-Brunswick, au para 86). C’est peut-être vrai. Cependant, dans le contexte de la LSCMLC, le rôle de la personne qui assiste le délinquant devant la Commission n’est pas équivalent à celui de l’avocat devant un juge ou un jury (MacInnis c Canada (Procureur général) (CA), [1997] 1 CF 115 [MacInnis] à la p 123). Je conviens que ce sont habituellement les avocats qui examinent les documents communiqués et transmettent à leur client les documents qui sont pertinents dans l’affaire en cause, et non le contraire. Cependant, la Cour d’appel fédérale a mis en garde contre l’introduction de « divers éléments de la procédure de type accusatoire » devant la Commission, car cela pourrait causer du tort au caractère fondamental de ces processus, qui sont censés être des processus d’investigation et non des processus de type accusatoire (MacInnis, aux pp 126, 129). Le fait que le processus de communication du SCC ne concordait pas avec les procédures judiciaires habituelles ne constitue pas une atteinte aux droits procéduraux du demandeur devant la Commission, puisque celui-ci n’avait pas le droit à l’assistance d’un avocat dans le contexte d’une audience de maintien en incarcération.

[55] Troisièmement, dans la décision Lowe c Canada (Procureur général), 2021 CF 1049 [Lowe], la Cour fédérale s’est penchée sur la question de savoir si, par souci d’équité procédurale, l’obligation de communication qui incombe à la Commission au titre du paragraphe 141(1) de la LSCMLC s’étend à l’assistant d’un délinquant, et elle a refusé d’y répondre. Le demandeur fait remarquer que la décision Lowe n’excluait pas la possibilité qu’il « puisse y avoir des circonstances particulières où les principes d’équité procédurale de la common law exigeraient des mesures supplémentaires pour faciliter la transmission des documents à l’avocat du délinquant ou à un autre assistant » (Lowe, au para 35).

[56] Les « mesures supplémentaires » sollicitées par le demandeur concernent la surveillance du SCC par la Commission, en vue de faciliter la communication des documents à l’avocat avant l’audience de maintien en incarcération. En dépit de l’observation du demandeur selon laquelle il ne cherche pas à élargir la portée des dispositions de la LSCMLC, je conclus que c’est exactement ce qu’il fait par l’intermédiaire de sa requête en vue d’obtenir des « mesures supplémentaires ». Accueillir cette requête reviendrait en fait à élargir la portée du paragraphe 141(1), de manière à inclure une obligation de communication à l’égard des assistants ainsi que d’étendre le droit à la communication de documents au-delà de 15 jours avant l’audience. De plus, cela aurait pour effet d’élargir la portée de l’alinéa 140(8)b), de façon à accorder au demandeur le droit de bénéficier des conseils d’un assistant avant l’audience devant la Commission, et non seulement au cours de celle-ci, comme c’est actuellement le cas. La Cour d’appel fédérale a statué que le refus d’accorder des mesures supplémentaires en ce qui concerne le rôle de l’assistant, comme celles sollicitées par le demandeur (qui vont au-delà des mesures énoncées dans la LSCMLC), n’enfreint pas les principes de justice fondamentale garantis par l’article 7 de la Charte (MacInnis, aux p 126, 129).

[57] Enfin, l’ultime question dont la Cour est saisie est celle de savoir si le demandeur s’est vu refuser la possibilité de connaître la preuve à réfuter dans le cadre de l’audience de maintien en incarcération, et s’il a eu la possibilité d’y répondre (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée, au para 41). Pour les motifs qui suivent, je conclus que le demandeur connaissait la preuve à réfuter, qu’il a eu l’occasion d’y répondre et que le processus suivi par la Commission était équitable sur le plan procédural : i) la Commission a accueilli les requêtes du demandeur en vue d’ajourner l’audience, le temps qu’il change d’assistant, que les documents lui soient communiqués et qu’il prépare son dossier; ii) le demandeur et son avocat ont reçu l’information requise avant l’audience de maintien en incarcération; iii) les frais de copie de documents ont été remboursés au demandeur; iv) la Commission a confirmé, au début de l’audience, que les documents avaient bien été communiqués au demandeur et que celui-ci était prêt à aller de l’avant. Le demandeur n’a pas indiqué, concrètement, en quoi le processus de communication avait entravé son accès à un avocat et eu une incidence défavorable sur son audience; cela porte un coup fatal à son argument, puisque la Cour doit conclure que le manquement allégué a eu une incidence déterminante sur l’issue du litige afin d’intervenir dans un cas d’équité procédurale (Abraham c Canada (Procureur général), 2016 CF 390 au para 18).

[58] Par conséquent, je conclus que le demandeur n’a pas été privé de son droit à l’équité procédurale.

C. Troisième question : était-il déraisonnable de ne pas tenir compte du mandat de renvoi?

(1) La norme de contrôle

[59] Les parties conviennent que la troisième question est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, telle qu’elle est énoncée dans l’arrêt Vavilov. Dans ce contexte, le contrôle selon la norme de la décision raisonnable répond à la question de savoir si la décision était « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et [était] justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). Cette norme de contrôle commande la retenue. Par conséquent, une cour de révision interviendra uniquement si elle est convaincue que la décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100).

(2) La décision de la Commission

[60] Dans sa décision, la Commission n’a pas examiné cette question si ce n’est pour mentionner ce qui suit :

[traduction]
La deuxième question porte sur l’incapacité de la Commission à rendre une décision concernant votre libération, puisque vous êtes incarcéré au titre d’un mandat fédéral de renvoi et que la Commission n’apprécierait pas le risque associé à votre mise en liberté dans la collectivité si celle-ci n’était pas envisagée.

(3) La décision de la Section d’appel

[61] La décision de la Section d’appel énonce notamment ce qui suit :

[traduction]
Il semble que vous ayez confondu les obligations en matière d’incarcération, qui découlent des infractions à l’origine de votre peine, et les obligations en matière de renvoi, qui découlent du jugement de la Cour d’appel dans votre dossier, qui a ordonné la tenue d’un nouveau procès pour meurtre au deuxième degré.

[...]

Le mandat de renvoi, qui est lié à votre procès à venir pour meurtre au deuxième degré, ne dispense pas le SCC de ses obligations existantes prévues par la loi à votre endroit, en tant que délinquant condamné à une peine de ressort fédéral. Les détails associés au mandat de renvoi entreraient seulement en jeu si le SCC perdait sa compétence à votre égard (c.-à-d. à la DEM), ou advenant que la Commission, après avoir reçu votre cas en vue d’un maintien en incarcération, ait jugé que celui-ci ne satisfaisait pas aux critères juridiques relatifs à l’incarcération. Dans ce dernier cas, on pourrait présumer que, si vous étiez libéré d’office, parce que la Commission n’aurait pas ordonné votre détention, vous seriez renvoyé aux niveaux fédéral ou provincial. Cependant, cette question est seulement hypothétique, puisqu’elle se poserait uniquement si la Commission décidait de ne pas ordonner votre incarcération. Vous demeurez sous compétence fédérale jusqu’à la DEM, et le mandat de renvoi ne soustrait pas la Commission à son obligation d’examiner votre dossier conformément à la LSCMLC.

(4) Les observations des parties

[62] Le demandeur fait remarquer qu’il fait l’objet d’un mandat de renvoi délivré par la Cour d’appel et que ce facteur est pertinent en ce qui concerne l’examen, par la Commission, de la probabilité qu’il commette une infraction s’il était libéré. Il soutient que le mandat de renvoi constituait une contrainte factuelle dont la Commission n’a pas tenu compte. Par conséquent, dans sa décision, la Section d’appel a déraisonnablement conclu que le mandat de renvoi n’était pas pertinent dans le contexte de la décision de la Commission.

[63] Le défendeur soutient que le raisonnement de la Section d’appel est intrinsèquement cohérent, est fondé sur une analyse rationnelle et justifiée et ne comprend aucune lacune sur le plan de la logique qui rend son analyse déraisonnable.

(5) Analyse

[64] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que, dans sa décision, la Section d’appel a présenté une explication rationnelle quant à savoir pourquoi le mandat de renvoi n’était pas pertinent dans le contexte des délibérations de la Commission. La Section d’appel a affirmé que le mandat de renvoi n’est pas pertinent en ce qui concerne les facteurs pris en compte par la Commission, puisqu’il ne dispense pas le SCC de son obligation, prévue par la loi, d’examiner le dossier du délinquant, dont la « prise en charge » et la « garde » lui incombent, conformément à la LSCMLC. La Section d’appel était d’avis que le mandat de renvoi serait seulement entré en vigueur dans le cas où la Commission n’aurait pas ordonné le maintien en incarcération du demandeur, puisque cela aurait mis fin à la compétence du SCC à l’égard de ce dernier et laissé seulement en suspens la question du mandat de renvoi.

[65] Je conclus que les motifs de la Section d’appel satisfont aux exigences d’intelligibilité, de justification et de transparence, et que son explication est raisonnable.

VI. Conclusion

[66] Pour les motifs qui précèdent, je juge que la décision de la Section d’appel est raisonnable et je conclus que le demandeur n’a pas été privé de son droit à l’équité procédurale. Par conséquent, la présente demande sera rejetée.


JUGEMENT dans le dossier T-1035-24

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Allyson Whyte Nowak »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B., juriste-traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1035-24

INTITULÉ DE LA CAUSE :

BRANDIN BRICK c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ZOOM

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 NOVEMBRE 2024

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE WHYTE NOWAK

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

Le 17 JANVIER 2025

COMPARUTIONS :

Pierre E. Hawkins

POUR LE DEMANDEUR

Judith Boer

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Pierre E. Hawkins

Société John-Howard de la Saskatchewan

Regina (Saskatchewan)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Saskatoon (Saskatchewan)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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