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     IMM-252-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 23 OCTOBRE 1997

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE TREMBLAY-LAMER

ENTRE :

     EBENEZER THEVARAJ THEVASAGAYAM,

     MELANI THEVASAGAYAM et

     MICHELLE RUTH PREMALA THEVASAGAYAM

     (par l"entremise de son tuteur à l"instance

     Ebenezer Thevaraj Thevasagayam),

     requérants,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,

     intimé.

     ORDONNANCE

         La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L"affaire est renvoyée à la Commission pour y être entendue à nouveau par un tribunal différemment constitué.


         Danièle Tremblay-Lamer

_________________________________

     Juge

Traduction certifiée conforme :      _________________________________

     Jacques Deschênes

     IMM-252-97

ENTRE :

     EBENEZER THEVARAJ THEVASAGAYAM,

     MELANI THEVASAGAYAM et

     MICHELLE RUTH PREMALA THEVASAGAYAM

     (par l"entremise de son tuteur à l"instance

     Ebenezer Thevaraj Thevasagayam),

     requérants,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE TREMBLAY-LAMER

         Les requérants, une famille de citoyens sri lankais, demandent le contrôle judiciaire d"une décision rendue par la Section du statut de réfugié de la Commission de l"immigration et du statut de réfugié, qui a statué que les requérants ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention parce qu"ils n"ont pas raison de craindre d"être persécutés et parce qu"ils avaient une possibilité de refuge intérieur sûr.

         La revendication des requérants se fonde sur leur crainte d"être persécutés du fait de l"appartenance du requérant principal à un groupe social (les Tamouls).

         Le requérant principal est un Tamoul de Chavakachcheri, dans le nord du Sri Lanka. Sa première rencontre avec les autorités sri lankaises a eu lieu en 1986, lors de son arrestation par des officiers de la marine au cours d"une opération de ratissage à Trincomalee. Après son arrestation, il a été livré aux soldats de l"armée sri lankaise, qui l"ont détenu et torturé. Cela a causé un traumatisme tel au requérant qu"il en a fait une colite ulcéreuse et subi un stress émotionnel, dont il souffre encore aujourd"hui. Une évaluation psychiatrique versée au dossier confirme l"état de santé du requérant.

         Craignant de ne pouvoir vivre une existence sans incident dans le nord du Sri Lanka, le requérant a quitté la région et s"est réinstallé à Kandy. C"est dans cette localité qu"il a rencontré son épouse cingalaise et il apparaît qu"ils ont vécu à Kandy sans grande difficulté pendant environ neuf ans, jusqu"en 1995. C"est l"année ou les cousins du requérant sont arrivés dans cette ville et qu"ils sont demeurés chez le requérant. Ils sont venus à Kandy pour échapper aux membres du LTTE et aux forces de sécurité gouvernementales dans le nord du Sri Lanka.

         Un mois après leur arrivée, les cousins ont été arrêtés et détenus par la police qui les soupçonnait d"être des membres du LTTE. Ils ont été emprisonnés pendant sept mois. Ils ont été libérés moyennant le paiement d"un pot-de-vin et ont reçu l"ordre de se présenter régulièrement à la police. Ils se sont conformés à cette directive pendant deux mois, mais ils ont quitté la ville peu de temps après. En raison de l"arrestation de ses cousins et de leur fuite subséquente, le requérant a eu à de nombreuses reprises chez lui la visite de la police qui l"a interrogé pour savoir où se trouvaient ses cousins.

         Le requérant a aussi été ciblé par la police après l"attentat à la bombe perpétré contre la banque centrale à Colombo, en janvier 1996. Étant donné qu"on soupçonnait que cet attentat était le fait de Tamouls du nord du pays, la police a arrêté de nombreux Tamouls. Le requérant a été arrêté le 12 février 1996. Il a été interrogé et battu pendant les quatre jours de sa détention. Il affirme qu"il a été ultérieurement libéré parce que les policiers pensaient qu"il allait mourir et qu"ils voulaient éviter un incident embarrassant. Le requérant a cependant été libéré sous condition : il devait se présenter au poste de police toutes les semaines.

         Une fois libéré, le requérant s"est rendu à l"hôpital pour se faire soigner des blessures subies aux mains des policiers. Par après, il s"est présenté trois fois au poste de police. À chaque fois, le requérant a été maltraité et agressé verbalement par les policiers. Craignant d"être éventuellement tué par la police, le requérant a décidé de fuir le Sri Lanka. Avec l"aide d"un agent, le requérant, son épouse et leur jeune fille ont obtenu des passeports valides et ont quitté le pays.

         La Commission a rejeté la revendication des requérants pour deux motifs. Premièrement, elle a conclu que les requérants n"avaient pas raison de craindre d"être persécutés. La Commission n"était pas convaincue que la police croyait que le requérant principal était membre du LTTE et que, pour cette raison, il constituait une menace à la sécurité. Au soutien de cette conclusion, la Commission a fait remarquer que le requérant a été libéré après quatre jours d"interrogation et qu"il a été capable d"obtenir un passeport légal et valide et de quitter le pays sans grande difficulté.

         À mon avis, il est clair que la Commission n"a pas évalué correctement la question de la persécution parce qu"elle a mal interprété ou omis de prendre en considération des éléments de preuve importants se rapportant à l"arrestation et à la détention du requérant principal en février 1996. La preuve d"une persécution antérieure joue effectivement un rôle dans l"appréciation d"une revendication du statut de réfugié. Même si la définition d"un réfugié au sens de la Convention est prospective, les actes de persécution passés peuvent être utiles pour évaluer si un requérant craint avec raison d"être persécuté à l"avenir. Comme le juge Teitlebaum l"a dit dans la décision Saka1 :

         La Cour d'appel fédérale a, à plusieurs reprises, souligné que c'est le bien-fondé de la crainte de persécution à l'avenir qui est examiné; ainsi, le réfugié n'a pas à montrer qu'il a été persécuté par le passé pour établir une persécution à l'avenir (Salibian c. Canada (1990), 11 Imm. L.R. (2d) 165 C.A.F.)).                 
         La preuve de persécutions antérieures constitue le moyen le plus efficace pour prouver de façon objective le bien-fondé d'une crainte de persécution à l'avenir (Alfredo Manuel Oyarzo) Marchant c. Canada (M.E.I.), [1982] 2 C.F. 779 (C.A.)). Comme l'a déclaré la Cour d'appel fédérale, la Commission doit tenir compte de la nature cumulative de la persécution (Retnem c. Canada (1991), 132 N.R. 53).                 
         En conséquence, bien que la preuve de persécution par le passé ne soit pas déterminante pour l'avenir, l'existence ou l'absence de preuve de persécution antérieure ou actuelle peut être pertinente pour évaluer la probabilité de persécution à l'avenir.                 

         En l"espèce, la Commission a omis d"évaluer le caractère arbitraire de l"arrestation et de la détention du requérant et les mauvais traitements qu"il a subis quand il était sous la garde de la police. En outre, elle a omis de prendre en considération la preuve psychiatrique qui indique que le requérant s"est trouvé dans un état de stress post-traumatique et a souffert de colite ulcéreuse par suite de ce qui lui est arrivé au Sri Lanka. Finalement, elle n"a pas tenu compte de la surveillance exercée continuellement par la police à l"égard du requérant après sa libération. Ces incidents étaient pertinents quant à savoir si le requérant avait été persécuté dans le passé et s"il avait raison de craindre de l"être à nouveau à l"avenir.

         Deuxièmement, la Commission a aussi conclu que le requérant avait une possibilité de refuge intérieur sûr à Colombo. En tirant cette conclusion, la Commission a considéré qu"il n"y avait eu aucune preuve déposée lors de l"audition qui établissait que le requérant principal avait souffert d"un [TRADUCTION] "harcèlement indu" lorsqu"il se rendait à Colombo pour affaires. La preuve indiquait seulement qu"il avait été interpellé à des postes de contrôle de l"armée aux fins d"établissement de son identité.

         À mon avis, la Commission a commis une erreur en se concentrant sur des faits antérieurs à l"attentat à la bombe à Colombo et à l"arrestation du requérant. Le fait que le requérant ait pu sans grande difficulté voyager pour affaires à Colombo avant l"attentat à la bombe n"est en rien une mesure des risques auxquels il a dû faire face après son arrestation. Le fait qu"il y ait eu antérieurement détention et torture en relation avec un attentat à la bombe à Colombo jette un doute quant à l"existence d"une possibilité raisonnable de refuge pour les requérants à Colombo. Comme le juge en chef adjoint Jerome l"a fait remarquer dans la décision Ramanan et al. v. Minister of Employment and Immigration2 :

         Si la Commission avait mieux apprécié la preuve, elle serait probablement arrivée à la conclusion qu'un refuge intérieur à Colombo n'était pas une solution envisageable.                 

         Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L"affaire est renvoyée à la Commission pour y être entendue de nouveau par un tribunal différemment constitué, qui devra tenir compte des présents motifs.

         Aucun avocat n"a recommandé la certification d"une question en l"espèce. Par conséquent, aucune question n"est certifiée.

OTTAWA (ONTARIO),

le 23 octobre 1997.

     Danièle Tremblay-Lamer

     ________________________________

     Juge

Traduction certifiée conforme :      ________________________________

     Jacques Deschênes

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE:                      IMM-252-97
INTITULÉ DE LA CAUSE:              Ebenezer Thevaraj Thevasagayam et autres
                             c.
                             Le ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration
LIEU DE L'AUDIENCE:                  Toronto (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE:                  9 octobre 1997
MOTIFS DE L'ORDONNANCE RENDUS PAR:      le juge Tremblay-Lamer
DATE:                          23 octobre 1997

ONT COMPARU:

Mme Marie Chen                      pour le requérant
Mme Susan Nucci                  pour l'intimé

PROCUREURS AU DOSSIER:

Jackman, Waldman and Associates      pour le requérant

Toronto (Ontario)

M. George Thomson                  pour l'intimé

Sous-procureur général

du Canada

__________________

1      Saka c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) (23 juillet 1996), A-1638-92 (C.F. 1re inst.).

2      (1995), 83 F.T.R. 121, p. 125 (1re inst.).

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