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Date : 20250110

Dossier : T-1065-23

Référence : 2025 CF 54

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 janvier 2025

En présence de madame la juge Pallotta

ENTRE :

ALLIANCE DU DÉTROIT DE GEORGIA

FONDATION DAVID SUZUKI, RAINCOAST CONSERVATION FOUNDATION ET WESTERN CANADA WILDERNESS COMMITTEE

demandeurs

et

MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE, PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET ADMINISTRATION PORTUAIRE VANCOUVER FRASER

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de deux décisions rendues sous le régime de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012), LC 2012, c 19, art 52 [la LCEE 2012], à la suite d’une évaluation environnementale effectuée à l’égard du projet proposé par l’Administration portuaire Vancouver Fraser (l’APVF) consistant à construire et à exploiter un nouveau terminal de transport maritime à Roberts Bank, district de Delta, en Colombie‑Britannique (le projet de terminal). Dans une décision, le décideur a conclu que les effets environnementaux négatifs du projet de terminal sont justifiables dans les circonstances. Dans l’autre décision, le décideur a établi des conditions pour que ce projet aille de l’avant. Les demandeurs ont obtenu l’autorisation, au titre de l’article 302 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, de contester les deux décisions au moyen d’une seule demande de contrôle judiciaire.

[2] Le projet de terminal serait construit près de deux terminaux de transport maritime existants à Roberts Bank et comporterait les éléments suivants : i) un nouveau terminal à conteneurs avec trois postes de mouillage; ii) un élargissement de la jetée pour accueillir des infrastructures routières et ferroviaires supplémentaires; et iii) un agrandissement du bassin de remorqueurs. L’APVF précise que le projet de terminal permettra de satisfaire à la demande de capacité accrue des conteneurs d’expédition, de renforcer la résilience de la chaîne d’approvisionnement nationale et de promouvoir la compétitivité et les capacités commerciales du Canada.

[3] Les questions soulevées dans le cadre de la présente demande concernent les effets du projet de terminal sur les épaulards résidents du Sud (les épaulards), une population d’épaulards piscivores génétiquement et géographiquement distincte qui vit au large des côtes de la Colombie-Britannique. Les conditions actuelles dans la mer de Salish posent des menaces imminentes à la survie des épaulards, notamment en raison d’un accès insuffisant au saumon quinnat, une espèce proie, et des perturbations causées par les navires.

[4] Les épaulards figurent sur la liste des espèces en voie de disparition de la Loi sur les espèces en péril, LC 2002, c 29 [la LEP], c’est-à-dire qu’ils risquent de disparaître du pays ou de la planète de façon imminente. Leur habitat essentiel se trouve dans les eaux transfrontalières du sud de la Colombie-Britannique, dont la partie sud du détroit de Georgia, et est protégé de la destruction par un arrêté pris en vertu de la LEP, soit l’Arrêté visant l’habitat essentiel de l’épaulard (Orcinus orca) population résidente du sud du Pacifique Nord-Est, DORS/2018-278. Roberts Bank, l’emplacement du projet de terminal, est situé dans l’habitat essentiel des épaulards.

[5] Comme les demandeurs le font remarquer, le contrôle judiciaire de la Cour porte sur l’interaction entre la LCEE 2012 et la LEP ainsi que sur les obligations que la LEP impose dans le cadre de l’évaluation environnementale d’un projet qui influera sur une espèce inscrite à la liste de la LEP (une espèce inscrite). Les demandeurs soutiennent que les décisions contestées sont déraisonnables parce que les décideurs n’ont pas respecté les obligations que leur impose la LEP ou ont tenté de justifier les effets du projet de terminal qui vont à l’encontre des objectifs et des dispositions de la LEP. Les défendeurs soutiennent que la LCEE 2012 régissait l’évaluation environnementale du projet de terminal et que, même si la LEP imposait d’autres obligations, celles-ci ne s’appliquaient qu’à un seul décideur. En outre, ces obligations étaient plus restreintes que ce que les demandeurs font valoir. Les défendeurs affirment que les deux décideurs ont respecté leurs obligations légales et ont rendu des décisions raisonnables.

[6] Pour les motifs qui suivent, je dois rejeter la présente demande. Je ne souscris pas à l’interprétation qu’ont faite les demandeurs des dispositions de la LEP qui, selon eux, avaient imposé des contraintes aux décideurs chargés de prendre des décisions au titre de la LCEE 2012. Je suis d’accord avec les défendeurs pour dire que les obligations de la LEP applicables à l’évaluation environnementale du projet de terminal ne visaient qu’un décideur et que ces obligations étaient plus restreintes que ce que les demandeurs font valoir. Les demandeurs n’ont pas démontré que l’intervention de la Cour était justifiée au motif que l’une ou l’autre des décisions en cause était déraisonnable, au sens que le droit donne à ce terme.

II. Contexte

A. Les parties

[7] Les demandeurs sont des organismes de bienfaisance agréés par le gouvernement fédéral qui œuvrent dans le domaine de la conservation de l’environnement, et ils ont participé à l’évaluation environnementale du projet de terminal.

[8] L’APVF, l’un des défendeurs, est une administration portuaire visée par la Loi maritime du Canada, LC 1998, c 10. Elle est chargée de la gestion des terrains et des eaux navigables qui font partie du port de Vancouver.

[9] Les décisions en cause ont été prises par le gouverneur en conseil et par le ministre de l’Environnement et du Changement climatique.

[10] Le gouverneur en conseil agit sur l’avis du premier ministre et du Cabinet. Par souci de simplicité, dans les présents motifs, j’utilise le terme « Cabinet » pour désigner le gouverneur en conseil.

[11] Lorsque les décisions ont été rendues, le ministre de l’Environnement et du Changement climatique (le ministre) était l’honorable Steven Guilbeault. Cependant, d’autres personnes ont assumé ce rôle dans le cadre de l’évaluation environnementale du projet de terminal pendant leur mandat en tant que ministre de l’Environnement et du Changement climatique ou de ministre de l’Environnement (ancienne appellation). Même si j’utilise les pronoms « il/lui », le terme « ministre » fait référence aux personnes qui ont assumé ce rôle.

[12] Le procureur général du Canada, l’un des défendeurs, a présenté des observations à l’appui des décisions du Cabinet et du ministre, et je les appelle « les observations du PCG ».

B. L’évaluation environnementale du projet de terminal

[13] L’évaluation environnementale du projet de terminal s’est déroulée conformément au processus énoncé dans la LCEE 2012. Bien que cette loi ait été abrogée en 2019 et remplacée par la Loi sur l’évaluation d’impact, LC 2019, c 28, art 1 [la LEI], l’évaluation a été menée à bien conformément à la LCEE 2012 comme si elle n’avait pas été abrogée : LEI, art 183.

[14] Voici un sommaire des principales étapes de l’évaluation environnementale du projet de terminal :

  • Examen préalable : l’APVF a remis une description du projet de terminal à l’Agence canadienne d’évaluation environnementale (l’Agence) en novembre 2013. L’Agence a conclu que le projet de terminal devait être assujetti à une évaluation environnementale en tant que « projet désigné », conformément aux règlements pris en vertu de la LCEE 2012.

  • Début de l’évaluation : l’Agence et le ministre ont entamé l’évaluation environnementale du projet de terminal en novembre 2013. L’Agence a affiché un avis public et a enclenché un processus pour déterminer la portée de l’évaluation et établir des lignes directrices applicables à l’étude d’impact environnemental de l’APVF. En outre, l’Agence a établi que le projet de terminal aurait vraisemblablement des effets sur des espèces inscrites ou sur leur habitat essentiel et elle a, conformément aux exigences de la LEP, avisé les « ministres compétents » responsables des espèces visées : LEP, art 79.

  • Examen par une commission : le ministre a renvoyé l’évaluation environnementale du projet de terminal à une commission indépendante (la commission) et a défini le mandat de celle-ci.

  • Évaluation de la commission : la commission a mené son évaluation entre mai 2016 et mars 2020. Elle a tenu des audiences publiques et, au terme de l’évaluation, a présenté ses conclusions et recommandations dans un rapport adressé au ministre. Dans son rapport daté du 27 mars 2020, la commission a notamment conclu que le projet de terminal aurait des effets environnementaux négatifs et importants sur le saumon quinnat juvénile de type océanique et l’épaulard, et que des volets du projet de terminal entraîneraient la destruction de l’habitat essentiel de l’épaulard, protégé par la LEP, en raison de l’incidence que ce projet aurait sur le saumon comme proie, du bruit sous-marin et des perturbations et du risque de collision avec des navires.

  • Demandes de renseignements postérieures à la commission : le ministre avait besoin d’autres renseignements pour le processus décisionnel (les décisions clés sont présentées ci-dessous) et il a transmis une demande de renseignements à l’APVF : LCEE 2012, art 47(2). Le ministre a notamment demandé d’autres renseignements sur les incidences du projet de terminal, les mesures d’atténuation connexes et des plans de compensation de l’APVF, y compris pour le saumon et l’épaulard. La réponse de l’APVF et les conditions provisoires de l’Agence concernant le projet de terminal, que l’Agence envisageait de recommander au ministre en vue de leur inclusion dans une déclaration, ont été affichées au cours du quatrième trimestre de 2021 pour obtenir les commentaires du public. Au cours du premier semestre de 2022, les demandeurs et des ministères ont formulé des commentaires et l’APVF en a présenté en réponse.

  • Décisions fondées sur la LCEE 2012 : le processus d’évaluation environnementale enclenché sous le régime de la LCEE 2012 obligeait le ministre et le Cabinet à prendre les décisions clés suivantes concernant le projet de terminal :

    • §D’abord, le ministre devait décider si le projet de terminal serait susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs et importants, en tenant compte de l’application des mesures d’atténuation qu’il estimait indiquées : LCEE 2012, art 5, 52(1). Après avoir tenu compte du rapport de la commission ainsi que des réponses et des commentaires reçus à la suite des demandes de renseignements, le ministre a conclu que le projet de terminal serait susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants visés aux paragraphes 5(1) et (2) de la LCEE 2012, notamment des effets sur le saumon quinnat dans la région et sur les épaulards.

    • §Compte tenu de la première décision, le ministre devait renvoyer l’affaire au Cabinet pour une deuxième décision. En effet, le Cabinet devait déterminer si les effets environnementaux du projet de terminal étaient justifiables dans les circonstances : LCEE 2012, art 52(4). Selon la décision que le Cabinet a prise suivant le paragraphe 52(4) et qui est énoncée dans le Décret 2023-0330 du 19 avril 2023 (le décret), les effets environnementaux négatifs importants du projet de terminal étaient justifiables dans les circonstances.

    • §Comme le Cabinet a conclu que les effets environnementaux du projet de terminal étaient justifiables dans les circonstances, la LCEE 2012 oblige, dans un troisième temps, le ministre à fixer les conditions à respecter relativement au projet de terminal et à remettre à l’APVF une déclaration dans laquelle il lui donne avis des première et deuxième décisions ainsi que des conditions : LCEE 2012, art 53, 54. Le 20 avril 2023, le ministre a remis une déclaration suivant l’article 54, dans laquelle il donnait avis des première et deuxième décisions et fixait les conditions au titre de l’article 53 relativement au projet de terminal (la déclaration).

[15] Les demandeurs contestent les deuxième et troisième décisions prises sous le régime la LCEE 2012, à savoir le décret du Cabinet et la déclaration du ministre.

C. Les décisions contestées

[16] Les décisions contestées sont résumées dans les paragraphes suivants.

[17] Le décret contient des renseignements généraux sur le projet de terminal et l’évaluation environnementale. Il énonce la décision du ministre selon laquelle le projet de terminal est susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants, directs et cumulatifs, comme ceux visés à l’article 5 de la LCEE 2012, et indique que le ministre a, conformément au paragraphe 52(2), renvoyé au Cabinet la question de savoir si ces effets sont justifiables dans les circonstances.

[18] Le décret précise notamment que le Cabinet a été informé des effets nocifs du projet de terminal sur les espèces inscrites et sur leur habitat essentiel et qu’il a pris en compte les recommandations et les conclusions énoncées dans le rapport de la commission, les renseignements supplémentaires fournis par l’APVF et les mesures prises par le Canada à l’égard des espèces inscrites, notamment l’épaulard. Le Cabinet était convaincu « que des mesures conformes à toute stratégie et à tout plan d’action applicables en matière de rétablissement ser[aie]nt prises pour éviter, ou atténuer, et surveiller ces effets négatifs et ser[aie]nt évaluées et surveillées, ainsi que gérées de manière adaptative ». Qui plus est, le décret précise que le Cabinet a pris en compte la nécessité économique du projet de terminal, notamment sa contribution à l’amélioration de la résilience de la chaîne d’approvisionnement et d’autres avantages locaux, régionaux et nationaux qu’il apporterait ainsi que les effets environnementaux du projet de terminal et les intérêts des nations autochtones, et d’autres intérêts d’ordre social, économique et stratégique et l’intérêt du public en général. Le Cabinet a conclu, en vertu du paragraphe 52(4) de la LCEE 2012, que les effets environnementaux négatifs importants que le projet de terminal aurait vraisemblablement étaient justifiables dans les circonstances.

[19] La déclaration du ministre contient une description du projet de terminal, de l’évaluation environnementale, des consultations menées auprès des groupes autochtones, des effets environnementaux du projet de terminal et de la décision du Cabinet. Elle contient 21 catégories de conditions que l’APVF doit observer pendant toutes les étapes du projet de terminal, y compris les conditions relatives aux consultations et aux rapports annuels; à la qualité de l’air et aux émissions de gaz à effet de serre; au milieu marin, à l’habitat du poisson et aux mammifères marins; à la végétation terrestre, aux milieux humides et à l’avifaune; à l’usage des terres et des ressources à des fins traditionnelles, au patrimoine culturel; et à la surveillance, notamment la surveillance autochtone et la surveillance environnementale indépendante. La déclaration explique qu’aucune de ses dispositions n’a pour effet d’influer sur les obligations de l’APVF de se conformer à l’ensemble des exigences législatives ou juridiques applicables, et les conditions ne libèrent pas l’APVF de ces obligations.

III. Aperçu des positions des parties

[20] Comme je le mentionne plus haut, les demandeurs affirment que la présente affaire porte sur l’interaction entre la LEP – une loi fédérale centrale qui a été adoptée dans le but de respecter les engagements pris à l’échelle nationale et internationale pour contrer le déclin des espèces et de la biodiversité au Canada – et la LCEE 2012. Même si la LCEE 2012 a été abrogée, l’issue de la présente affaire sera néanmoins utile pour les évaluations environnementales effectuées sous le régime de la LEI, car la LEP interagit de la même façon avec la LEI.

[21] Les demandeurs soutiennent que la LEP protège les espèces en péril de deux façons, notamment grâce à des obligations positives qui obligent les décideurs autorisant de nouvelles activités à s’assurer que des mesures sont prises pour minimiser les dommages causés aux espèces et à leur habitat essentiel et grâce à des obligations négatives qui interdisent la destruction d’habitats essentiels et les activités qui nuiraient à la survie de l’espèce ou à son potentiel de rétablissement. Lorsqu’un projet qui influera sur une espèce inscrite ou son habitat essentiel fait l’objet d’une évaluation environnementale fédérale, la LEP impose des exigences qui s’ajoutent à celles de la LCEE 2012.

[22] Les demandeurs prétendent que les décisions du Cabinet et du ministre, publiées dans le décret et la déclaration, constituaient une approbation du projet de terminal sous le régime de la LCEE 2012. Ils affirment que la LEP restreignait les pouvoirs décisionnels conférés au Cabinet et au ministre par la LCEE 2012 puisqu’elle prévoyait des obligations positives visant à garantir la prise de mesures pour amoindrir les effets nocifs du projet de terminal sur les épaulards et sur leur habitat essentiel, et des obligations négatives visant à interdire la destruction de l’habitat essentiel des épaulards ainsi que toute activité susceptible de compromettre leur survie ou leur potentiel de rétablissement.

[23] Plus précisément, les demandeurs affirment que le décret et la déclaration sont déraisonnables, parce que le Cabinet et le ministre n’ont pas respecté les conditions légales préalables énoncées aux paragraphes 79(2) et 77(1) de la LEP, qui les obligent à veiller à ce que toutes les mesures de protection possibles aient été prises afin de minimiser les conséquences négatives du projet sur les épaulards et sur leur habitat essentiel avant de l’approuver. De plus, les demandeurs sont d’avis que le décret était déraisonnable, car le Cabinet a invoqué la LCEE 2012 pour justifier des effets environnementaux qui mettraient en péril la survie et le potentiel de rétablissement des épaulards, en plus de détruire leur habitat essentiel, ce qui va à l’encontre de l’objet de la LEP, de l’article 6 et des paragraphes 58(1) et 73(3) de cette même loi.

[24] Le procureur général du Canada fait valoir que les demandeurs ont mal interprété la LCEE 2012 ainsi que la LEP, et que ces lois n’interagissent pas de la façon dont ils le pensent. Il affirme que la LCEE 2012 régissait l’évaluation environnementale du projet de terminal, y compris les décisions que le Cabinet et le ministre devaient prendre. Il soutient que les décisions du Cabinet et du ministre n’avaient pas pour effet d’approuver, d’autoriser ou de permettre des activités qui pourraient enfreindre la LEP. Les interdictions et les exigences de la LEP demeurent en vigueur, et l’APVF doit obtenir une autre autorisation avant de poursuivre toute activité susceptible de contrevenir à cette loi.

[25] Le procureur général du Canada fait valoir que les dispositions de la LEP sur lesquelles les demandeurs se fondent n’imposaient pas d’obligations au Cabinet. Seul le rôle du ministre dans le cadre de la LCEE 2012 fait naître les obligations prévues par la LEP, en particulier celles prévues à l’article 79. En outre, le procureur général du Canada soutient que les demandeurs interprètent mal les obligations énoncées à l’article 79 de la LEP et que, selon une interprétation appropriée, le ministre s’est en effet acquitté des obligations imposées par l’article 79. Il soutient que la présente demande de contrôle judiciaire est déficiente, car les demandeurs demandent à la Cour d’imposer au Cabinet et au ministre des obligations que ni le législateur ni les dispositions législatives de la LEP ne leur imposaient. Ils demandent à la Cour d’appliquer les dispositions de la LEP au mauvais décideur et voudraient que la Cour prédétermine l’issue d’autorisations qui n’ont pas encore été accordées et de décisions relatives à la délivrance de permis qui n’ont pas encore été prises.

[26] L’APVF ajoute que les effets du projet de terminal sur les épaulards ont été une considération centrale tout au long de l’évaluation environnementale, dont les résultats ont aidé le ministre à déterminer les effets négatifs et aidé le Cabinet à prendre sa décision selon laquelle les effets sont justifiables dans les circonstances. L’APVF soutient que les demandeurs n’ont pas établi que le décret et la déclaration sont déraisonnables. Les arguments des demandeurs ne sont pas alignés sur le cadre législatif et se résument à un désaccord sur la question de savoir si le projet de terminal doit se poursuivre plutôt qu’à un manquement de nature légale de la part du Cabinet ou du ministre. Selon l’APVF, la position des demandeurs est qu’aucun projet qui touche l’habitat essentiel des épaulards ne peut aller de l’avant, ce qui va à l’encontre d’une interprétation contextuelle et téléologique de la LCEE 2012 et de la LEP. La décision que le Cabinet devait prendre sous le régime de la LCEE 2012 était une décision politique et polycentrique qui commande la retenue. Qui plus est, la déclaration du ministre comprend des mesures exhaustives visant à protéger les épaulards et est assortie de conditions contraignantes conçues pour s’adapter aux circonstances futures.

[27] Les demandeurs répliquent que les conséquences des dispositions de la LEP sur les décisions relatives à l’évaluation environnementale prises sous le régime de la LCEE 2012 doivent être interprétées de façon solide, et non étroite, étant donné que la LEP est une loi réparatrice adoptée pour protéger les espèces en péril de l’extinction. Ils soutiennent que le décret et la déclaration sont des décisions importantes qui lèvent les interdictions prévues aux articles 6 et 7 de la LCEE 2012 et, malgré la nécessité d’obtenir des permis supplémentaires dans le cadre de la LEP, ces décisions constituent une approbation du projet de terminal. Par conséquent, les décideurs étaient tenus de veiller au respect des exigences de la LEP à cette étape initiale et essentielle de l’approbation sous le régime de la LCEE 2012. La question essentielle de savoir si le projet de terminal dans son ensemble mettra en péril la survie et le rétablissement des épaulards et détruira leur habitat essentiel ne doit pas être tranchée dans le cadre de futurs processus de délivrance de permis qui viseront à évaluer les effets distincts d’activités précises liées au projet après que le projet aura été approuvé dans son ensemble.

[28] Les demandeurs demandent à la Cour de tenir compte des contraintes juridiques et factuelles applicables pour déterminer si le ministre et le Cabinet ont rempli les obligations que la LEP leur impose, et si l’interaction entre cette loi et la LCEE 2012 permettait au Cabinet de juger raisonnablement que les effets négatifs importants du projet de terminal étaient justifiables.

IV. Question en litige et norme de contrôle applicable

[29] La question que doit trancher la Cour est celle de savoir si le décret ou la déclaration sont déraisonnables. Les demandeurs soulèvent deux arguments à l’appui de leur position selon laquelle les deux décisions sont déraisonnables.

[30] Tout d’abord, selon les demandeurs, le Cabinet et le ministre n’ont pas respecté leur obligation positive de veiller à ce que toutes les mesures possibles soient prises pour protéger les épaulards et leur habitat essentiel, comme l’exige le paragraphe 79(2) de la LEP, et le Cabinet a omis de s’assurer que toutes les mesures possibles sont prises pour protéger l’habitat essentiel des épaulards, comme l’exige le paragraphe 77(1) de la LEP, avant de publier le décret et la déclaration.

[31] Ensuite, les demandeurs sont d’avis que le Cabinet a invoqué la LCEE 2012 pour justifier des effets environnementaux qui mettraient en péril la survie et le rétablissement des épaulards, en plus de détruire leur habitat essentiel, ce qui va à l’encontre de l’objet de la LEP, de l’article 6 et des paragraphes 58(1) et 73(3) de cette même loi.

[32] La norme de la décision raisonnable s’applique aux deux arguments. La Cour suprême du Canada a énoncé les principes directeurs relatifs au contrôle selon la norme de la décision raisonnable dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Il s’agit d’une forme de contrôle empreinte de déférence, mais rigoureuse, qui vise à déterminer si la décision, y compris le raisonnement suivi et le résultat, est transparente, intelligible et justifiée : Vavilov, aux para 13, 99.

[33] Les demandeurs affirment que la décision d’approuver le projet de terminal dans le cadre de la LCEE 2012 souffre des deux catégories de lacunes fondamentales relevées dans l’arrêt Vavilov : i) les motifs des décisions ne traitent aucunement des obligations prévues par la LEP, et lorsqu’ils y font référence, ils ne font que reprendre le libellé de la loi en y ajoutant des conclusions péremptoires, ii) les décisions n’étaient pas justifiées au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes.

[34] Les défendeurs affirment que le décret et la déclaration sont des décisions distinctes prises dans le cadre de la LCEE 2012 et qu’elles doivent être examinées séparément dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Bien que la norme de la décision raisonnable s’applique aux deux décisions, les défendeurs soutiennent que les décisions du Cabinet fondées sur des considérations polycentriques et sur un équilibre entre les intérêts individuels et publics commandent une retenue considérable : Raincoast Conservation Foundation c Canada (Procureur général), 2019 CAF 224 [Raincoast] aux para 18‑19, 44; Nation Gitxaala c Canada, 2016 CAF 187 [Gitxaala] aux para 152‑155; Première Nation Crie Mikisew c Agence canadienne d’évaluation environnementale, 2023 CAF 191 [Mikisew] aux para 119‑120.

[35] Bien que les demandeurs fassent souvent référence aux deux décisions ensemble et que les défendeurs insistent sur le fait qu’elles sont distinctes, les parties conviennent que les décisions sont liées en ce sens que la décision du Cabinet, prise au titre du paragraphe 52(4) de la LCEE 2012, a déclenché l’obligation du ministre de produire la déclaration. Par conséquent, les parties conviennent que si le décret est annulé au motif qu’il est déraisonnable, la déclaration est nécessairement annulée du fait que l’étape du processus d’évaluation environnementale qui a mené à sa publication aura été invalidée. Toutefois, si seule la déclaration est annulée au motif qu’elle est déraisonnable, il n’y aura pas d’incidence sur le décret.

V. Résumé des conclusions

[36] Lorsque les demandeurs font valoir qu’aucun des décideurs ne s’est attaqué aux obligations de la LEP ou n’en a traité et que les décisions ne possèdent pas la justification nécessaire compte tenu des contraintes juridiques de la LEP et des faits connexes, ils fondent leurs arguments sur leur interprétation des dispositions législatives de la LEP mentionnées précédemment, à savoir : i) les paragraphes 79(2) et 77(1) en ce qui a trait au défaut allégué des décideurs de s’attaquer aux exigences énoncées à ces paragraphes et de s’acquitter des obligations qu’elles imposent concernant les mesures de protection pour les épaulards; et ii) l’article 6 ainsi que les paragraphes 58(1) et 73(3) en ce qui a trait au défaut du Cabinet d’exercer son pouvoir discrétionnaire dans les limites imposées par la LEP pour rendre sa décision.

[37] Même si je suis d’accord avec les demandeurs pour dire que la LEP imposait des exigences supplémentaires à l’égard de l’évaluation environnementale du projet de terminal, en plus des exigences imposées par la LCEE 2012, à mon avis, ces exigences supplémentaires découlent uniquement de l’article 79 de la LEP. L’article 79 de la LEP imposait des obligations au ministre; toutes les obligations imposées au Cabinet étaient, tout au plus, indirectes. En outre, les obligations imposées par l’article 79 de la LEP étaient plus restreintes que ce que les demandeurs soutiennent. De plus, ceux-ci n’ont pas établi que le ministre n’avait pas satisfait aux obligations que lui imposait la LEP.

[38] L’article 79 de la LEP impose des obligations à toute personne qui est tenue, sous le régime d’une loi fédérale autre que la LEP, de veiller à ce qu’il soit procédé à l’évaluation des effets environnementaux d’un projet. En l’espèce :

  • l’Agence et le ministre étaient tenus de veiller à ce qu’il soit procédé à l’évaluation environnementale du projet de terminal; l’article 79 de la LEP leur imposait donc des obligations;

  • plus précisément, les paragraphes 79(1) et (2) imposaient trois obligations liées à l’évaluation environnementale du projet de terminal : i) notifier tout ministre compétent à l’égard de l’espèce en péril; ii) déterminer les effets nocifs sur l’espèce et son habitat essentiel; et iii) si le projet est réalisé, veiller à ce que des mesures soient prises en vue d’éviter ou d’amoindrir ces effets et les surveiller; le paragraphe 79(2) précise que les mesures doivent être compatibles avec tout programme de rétablissement et tout plan d’action applicable à l’espèce visée;

  • le Cabinet n’était pas tenu de veiller à ce qu’il soit procédé à l’évaluation environnementale du projet de terminal; par conséquent, l’article 79 n’imposait pas d’obligations directes au Cabinet;

  • si l’article 79 de la LEP imposait une obligation au Cabinet, cette obligation était, tout au plus, indirecte, et découlait de la nécessité de veiller à ce que les renseignements dont il disposait n’étaient pas autrement déficients au point de l’empêcher de prendre la décision exigée au paragraphe 52(4) de la LCEE 2012;

  • à mon avis, l’interprétation des demandeurs – à savoir que le paragraphe 79(2) imposait des obligations au Cabinet et au ministre, et que les obligations imposées aux deux décideurs visaient à garantir que toutes les mesures de protection réalisables étaient prises pour réduire au minimum les effets du projet de terminal sur les épaulards et leur habitat essentiel avant qu’ils ne rendent leurs décisions respectives – ne trouve aucun appui dans le libellé des dispositions législatives ou la jurisprudence.

[39] L’article 77 de la LEP impose des obligations à toute personne ou à tout organisme, autre qu’un ministre compétent, habilité par une loi fédérale, à l’exception de la LEP, à délivrer un permis ou une autre autorisation, ou à y donner son agrément, visant la mise à exécution d’une activité susceptible d’entraîner la destruction d’un élément de l’habitat essentiel d’une espèce inscrite. En l’espèce :

  • l’article 77 ne s’appliquait pas au ministre, car il est un ministre compétent selon la LEP;

  • l’article 77 ne s’appliquait pas au Cabinet, car la LCEE 2012 n’autorise pas le Cabinet à délivrer un permis ou une autre autorisation, ou à y donner son agrément, visant la mise à exécution d’une activité susceptible d’entraîner la destruction d’un élément de l’habitat essentiel d’une espèce inscrite;

    • §la LCEE 2012 autorisait le Cabinet à décider si les effets négatifs importants que le projet de terminal était susceptible d’entraîner étaient justifiables dans les circonstances;

    • §la décision du Cabinet n’autorisait aucune activité pouvant contrevenir à la LEP – les dispositions de la LEP continuent de s’appliquer au projet de terminal;

  • à mon avis, l’interprétation des demandeurs – à savoir que le décret constituait le type d’autorisation prévu par l’article 77 du fait qu’il avait levé les interdictions imposées par les articles 6 et 7 de la LCEE 2012 – ne trouve aucun appui dans le libellé des dispositions législatives ou la jurisprudence.

[40] Le deuxième manquement allégué porte précisément sur le décret du Cabinet et repose sur l’article 6, ainsi que les paragraphes 58(1) et 73(3) de la LEP. L’article 6 énonce l’objet de la LEP, notamment prévenir la disparition et permettre le rétablissement des espèces en péril. L’objet de la LEP est facilité par ses diverses dispositions, notamment : i) l’article 58, qui interdit la destruction de certains types d’habitats essentiels; et ii) les dispositions d’autorisation, notamment l’article 73, qui permettent aux décideurs fédéraux de conclure un accord ou de délivrer un permis autorisant l’exercice de certains types d’activités touchant une espèce inscrite ou son habitat essentiel, sous réserve de conditions préalables précises. En l’espèce :

  • le Cabinet n’a pas tenté de justifier des effets allant à l’encontre de l’objet de la LEP puisque le décret n’écartait aucune des dispositions de la LEP – elles demeurent en vigueur;

  • le décret n’a pas levé l’interdiction prévue à l’article 58 de la LEP et ne constitue pas un accord ou un permis au sens de l’article 73 de la LEP;

  • si l’APFV demande un permis au titre de l’article 73 de la LEP, elle devra satisfaire aux exigences de cet article avant que le permis ne lui soit délivré; le décret n’a pas déterminé le résultat d’une future demande de permis selon l’article 73.

[41] Les demandeurs n’ont pas établi qu’une des deux décisions ou que les deux décisions sont fondamentalement viciées en raison du fait que les exigences prévues par la LEP n’ont pas été examinées dans les motifs, ou du fait que les décisions ne sont pas justifiées au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes. Les lacunes alléguées découlent du défaut d’examiner les obligations légales, que le législateur n’a pas imposées au Cabinet ou au ministre dans le cadre des attributions que leur confère la LCEE 2012. Les décideurs ont suffisamment traité des dispositions applicables de la LEP et le ministre s’est raisonnablement conformé aux obligations qui lui incombaient sous le régime de la LEP.

[42] Les demandeurs présentent des arguments en matière de politiques convaincants. Toutefois, la Cour est tenue d’appliquer les politiques que le législateur a mises en œuvre dans ses lois : Raincoast Conservation Foundation c Canada (Procureur général), 2019 CAF 259 au para 11. Comme l’a exprimé la Cour d’appel fédérale (CAF), les juges doivent interpréter et appliquer les lois adoptées par le législateur de façon neutre, logique et impartiale, sans tenir compte de leurs propres préférences en matière de politiques ou de celles que les parties demandent : Ibid, aux para 11‑12. À mon avis, même en leur donnant une interprétation solide, les dispositions législatives de la LEP et de la LCEE 2012 n’interagissent pas de la façon dont l’affirment les demandeurs.

VI. Analyse

A. Le décret ou la déclaration sont-ils déraisonnables en raison de manquements liés aux obligations qui incombent au Cabinet ou au ministre selon les paragraphes 79(2) et 77(1) de la LEP?

1) Les dispositions législatives

[43] Les paragraphes 77(1), 79(1) et 79(2) de la LEP sont présentés ci-dessous. Il s’agit du libellé de la LEP en vigueur du 8 août 2019 au 27 août 2019, avant qu’elle ne soit modifiée pour faire référence à la Loi sur l’évaluation d’impact plutôt qu’à la LCEE 2012. Les documents des demandeurs se rapportent à cette version de la LEP.

Accords et permis

Agreements and Permits

[...]

[…]

Permis prévus par une autre loi fédérale

Licences, permits, etc., under other Acts of Parliament

77 (1) Malgré toute autre loi fédérale, toute personne ou tout organisme, autre qu’un ministre compétent, habilité par une loi fédérale, à l’exception de la présente loi, à délivrer un permis ou une autre autorisation, ou à y donner son agrément, visant la mise à exécution d’une activité susceptible d’entraîner la destruction d’un élément de l’habitat essentiel d’une espèce sauvage inscrite ne peut le faire que s’il a consulté le ministre compétent, s’il a envisagé les conséquences négatives de l’activité pour l’habitat essentiel de l’espèce et s’il estime, à la fois :

77 (1) Despite any other Act of Parliament, any person or body, other than a competent minister, authorized under any Act of Parliament, other than this Act, to issue or approve a licence, a permit or any other authorization that authorizes an activity that may result in the destruction of any part of the critical habitat of a listed wildlife species may enter into, issue, approve or make the authorization only if the person or body has consulted with the competent minister, has considered the impact on the species’ critical habitat and is of the opinion that

a) que toutes les solutions de rechange susceptibles de minimiser les conséquences négatives de l’activité pour l’habitat essentiel de l’espèce ont été envisagées, et la meilleure solution retenue;.

(a) all reasonable alternatives to the activity that would reduce the impact on the species’ critical habitat have been considered and the best solution has been adopted; and

b) que toutes les mesures possibles seront prises afin de minimiser les conséquences négatives de l’activité pour l’habitat essentiel de l’espèce.

(b) all feasible measures will be taken to minimize the impact of the activity on the species’ critical habitat.

[…]

[...]

Révision des projets

Project Review

Notification du ministre

Notification of Minister

79 (1) Toute personne qui est tenue, sous le régime d’une loi fédérale, de veiller à ce qu’il soit procédé à l’évaluation des effets environnementaux d’un projet et toute autorité qui prend une décision au titre des alinéas 67a) ou b) de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale (2012) relativement à un projet notifient sans tarder le projet à tout ministre compétent s’il est susceptible de toucher une espèce sauvage inscrite ou son habitat essentiel.

79 (1) Every person who is required by or under an Act of Parliament to ensure that an assessment of the environmental effects of a project is conducted, and every authority who makes a determination under paragraph 67(a) or (b) of the Canadian Environmental Assessment Act, 2012 in relation to a project, must, without delay, notify the competent minister or ministers in writing of the project if it is likely to affect a listed wildlife species or its critical habitat.

Réalisations escomptées

Required Action

(2) La personne détermine les effets nocifs du projet sur l’espèce et son habitat essentiel et, si le projet est réalisé, veille à ce que des mesures compatibles avec tout programme de rétablissement et tout plan d’action applicable soient prises en vue de les éviter ou de les amoindrir et les surveiller

(2) The person must identify the adverse effects of the project on the listed wildlife species and its critical habitat and, if the project is carried out, must ensure that measures are taken to avoid or lessen those effects and to monitor them. The measures must be taken in a way that is consistent with any applicable recovery strategy and action plans.

[…]

[…]

2) Les arguments des parties

[44] Comme je le mentionne plus haut, les demandeurs font valoir que la LEP impose des exigences supplémentaires, outre celles prévues par la LCEE 2012, lorsqu’un projet est susceptible de toucher des espèces en péril ou leur habitat essentiel. Bien que la LCEE 2012 énonce que des conditions doivent être fixées relativement au projet et que le promoteur est tenu de les respecter, notamment des mesures d’atténuation pour éliminer, réduire ou limiter les effets environnementaux négatifs d’un projet désigné et un programme de suivi pour faire le suivi de l’efficacité des mesures, les demandeurs prétendent que les paragraphes 79(2) et 77(1) de la LEP exigent en outre que toutes les mesures possibles soient prises en vue d’éviter, d’amoindrir ou de minimiser les conséquences du projet pour les espèces en péril et leur habitat essentiel, avant que celui-ci ne soit approuvé au titre de la LCEE 2012. Ils affirment que le décret et la déclaration (ainsi que les conditions qui y sont énoncées), constituaient une approbation ou une autorisation du projet sous le régime de la LCEE 2012, et que les paragraphes 79(2) et 77(1) de la LEP exigeaient du Cabinet et du ministre qu’ils veillent à ce que toutes les mesures possibles soient prises en vue d’éviter, d’amoindrir ou de minimiser les effets du projet de terminal pour les épaulards.

[45] Les demandeurs soutiennent que le paragraphe 79(2) fixe un seuil élevé pour ce qui est des mesures de protection. La personne tenue de veiller à ce qu’un projet soit soumis à l’évaluation prévue dans la LCCE 2012 détermine les effets nocifs du projet sur les espèces inscrites à la LEP et, si le projet est réalisé, veille à ce que des mesures compatibles avec tout programme de rétablissement et tout plan d’action applicable soient prises en vue de les éviter ou de les amoindrir et de les surveiller. Les demandeurs affirment que la CAF, au paragraphe 456 de l’arrêt Tsleil-Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2018 CAF 153 [Tsleil-Waututh], a examiné le paragraphe 79(2) de la LEP et conclu qu’il obligeait toute personne ou tout organisme procédant à une évaluation environnementale à déterminer toutes les mesures réalisables et à ne pas approuver le projet tant que ces mesures ne sont pas mises en œuvre.

[46] Selon les demandeurs, le paragraphe 77(1) de la LEP impose des exigences similaires, mais il ne s’applique pas uniquement aux évaluations environnementales. Il prévoit que toute personne ou tout organisme habilité par une loi autre que la LEP à délivrer une autorisation ou à y donner son agrément visant la mise à exécution d’une activité susceptible de détruire l’habitat essentiel d’une espèce inscrite à la LEP ne peut le faire que s’il a envisagé les conséquences négatives de l’activité pour l’habitat essentiel de l’espèce et s’il estime que toutes les mesures possibles seront prises afin de réduire le plus possible ces conséquences négatives. Même si ce paragraphe ne s’applique pas à « un ministre compétent » et, par conséquent, ne visait pas le ministre en l’espèce, les demandeurs prétendent qu’il s’appliquait au Cabinet.

[47] Les demandeurs font valoir que les paragraphes 79(2) et 77(1) de la LEP, de même que la jurisprudence afférente, restreignaient le vaste pouvoir discrétionnaire du Cabinet de déclarer que les effets négatifs importants susceptibles de nuire à une espèce inscrite à la LEP sont « justifiables dans les circonstances » aux termes de la LCEE 2012. Les demandeurs sont d’avis que les vastes pouvoirs conférés par le paragraphe 52(4) de la LCEE 2012 ne permettaient pas au Cabinet de passer outre aux conditions préalables précises énoncées aux paragraphes 79(2) et 77(1) de la LEP, et ils font valoir que la CAF a annulé un décret dans une situation où le Cabinet avait omis de respecter les conditions préalables figurant au paragraphe 79(2) : Tsleil-Waututh, aux para 456, 468–470.

[48] Selon les demandeurs, le décret et la déclaration sont déraisonnables, car les paragraphes 79(2) et 77(1) de la LEP imposaient des conditions préalables précises et impératives, soit l’obligation de déterminer toutes les mesures possibles et de veiller à ce qu’elles soient prises avant que le Cabinet et le ministre prennent leurs décisions respectives dans le cadre de la LCEE 2012. Les décisions ne sont pas justifiées, transparentes et intelligibles, car même lorsqu’elles sont lues à la lumière du dossier, elles ne permettent pas de comprendre le raisonnement du Cabinet ou du ministre sur un point essentiel : la façon dont les décideurs se sont conformés aux paragraphes 79(2) et 77(1) de la LEP. De plus, le raisonnement suivi et les résultats ne sont pas justifiés parce qu’ils sont indéfendables compte tenu des contraintes juridiques énoncées dans la LEP et des contraintes factuelles découlant du dossier de preuve, qui montrent que le Cabinet et le ministre n’ont pas satisfait aux exigences imposées par les paragraphes 79(2) et 77(1) de la LEP. Le Cabinet et le ministre n’avaient pas compétence pour prendre leurs décisions dans le cadre de la LCEE 2012 sans d’abord se plier à ces exigences.

[49] Les demandeurs affirment que le Cabinet et le ministre ne se sont pas attaqués de façon significative aux obligations que leur impose la LEP, même si cette question a été soulevée comme argument central lors de l’évaluation environnementale. Le décret traite des épaulards dans un seul paragraphe, qui reproduit le libellé du paragraphe 79(2), puis expose une conclusion péremptoire. Il ne renferme aucune explication quant à la manière dont le Cabinet a interprété les paragraphes 79(2) et 77(1) de la LEP, ne reconnaît pas les obligations que ces dispositions imposent au Cabinet, notamment de veiller à ce que toutes les mesures possibles soient prises, ne prétend pas que le Cabinet a respecté ces obligations, et il fait mention de mesures sans expliquer comment elles remplissent les conditions énoncées dans la LEP. De même, la déclaration reformule des éléments du paragraphe 79(2) et enjoint à l’APVF de respecter les conditions relatives au projet de terminal conformément à tout programme de rétablissement et à tout plan d’action applicable, sans expliquer comment il est possible de le faire.

[50] Les demandeurs prétendent que le Cabinet et le ministre n’ont pas veillé à ce que toutes les mesures de protection possibles soient cernées et mises en œuvre avant d’exercer les pouvoirs respectifs qui leur sont conférés par la LCEE 2012, comme l’exige la LEP. Les conditions relatives au projet de terminal ne comprenaient pas certaines mesures qui avaient été recommandées ou proposées durant l’évaluation environnementale – par exemple, l’obligation pour l’APVF d’aménager une brèche qui faciliterait la migration des saumons à l’un des deux endroits, même s’il est possible de le faire aux deux endroits, ainsi que la nécessité d’effectuer un bilan sonore pour les activités de transport maritime, mais pas pour les activités du terminal – et les décideurs se sont appuyés sur des initiatives qui ne peuvent être considérées comme des mesures de protection parce que leur mise en œuvre n’avait pas été vérifiée ou qu’elles n’étaient pas en vigueur, qu’elles ne permettraient pas d’éviter ou d’amoindrir les effets nocifs sur les épaulards ni de réduire ces effets sur l’habitat essentiel, et qu’elles étaient incompatibles avec le programme de rétablissement des épaulards.

[51] Les défendeurs sont fondamentalement en désaccord avec les demandeurs pour ce qui est de leur interprétation des exigences énoncées dans la LEP.

[52] Le procureur général du Canada soutient que le seul point d’intersection entre la LEP et la LCEE 2012 concerne la déclaration et les obligations du ministre énoncées au paragraphe 79(2) de la LEP. À cet égard, il est d’avis que le ministre s’est conformé au paragraphe 79(2) en imposant des conditions au projet de terminal qui permettront d’éviter ou d’amoindrir les effets nocifs sur les épaulards, dans l’éventualité où ce projet irait de l’avant. Le procureur général du Canada affirme que l’interprétation du paragraphe 79(2) avancée par les demandeurs n’est pas fondée sur le libellé de cette disposition, mais plutôt sur celui de l’article 77, qui prévoit que toutes les solutions de rechange raisonnables doivent avoir été envisagées et que toutes les mesures possibles seront prises. Même si les demandeurs admettent que l’article 77 ne s’applique pas au ministre, ils demandent à tort à la Cour d’imposer au ministre les obligations énoncées à l’article 77 en s’appuyant sur leur interprétation du paragraphe 79(2).

[53] Le procureur général du Canada fait valoir que les articles 77 et 79 de la LEP ont des objets très différents. L’article 79 porte sur les évaluations environnementales et s’appliquait à la déclaration parce que le ministre était tenu par la loi d’effectuer l’évaluation environnementale du projet de terminal. L’article 77, qui concerne l’autorisation d’une activité susceptible d’entraîner la destruction d’un habitat essentiel, ne s’appliquait pas au décret ou à la déclaration, car les décisions n’autorisaient pas ce genre d’activité : elles n’approuvaient ni n’autorisaient aucune activité pouvant contrevenir à la LEP ou entraîner la destruction de l’habitat essentiel d’une espèce inscrite. Le procureur général du Canada affirme que les interdictions et les exigences en matière de permis que contient la LEP demeurent en vigueur, y compris l’interdiction énoncée à l’article 58 au sujet de la destruction d’habitats essentiels et les règles régissant la délivrance de permis prévues aux articles 73 et 77. Si l’APVF demande une licence, un permis ou un autre document qui autorise l’exercice d’une activité susceptible de détruire l’habitat essentiel des épaulards, les dispositions de la LEP relatives à la délivrance de permis entreront alors en jeu.

[54] Le procureur général du Canada souligne que l’article 79 de la LEP n’a imposé des obligations qu’au ministre et à l’Agence et non pas au Cabinet. Le ministre et l’Agence étaient responsables de l’évaluation environnementale du projet de terminal selon la LCEE 2012, et le ministre s’est vu conférer le pouvoir exclusif de veiller à ce que des mesures soient prises pour éviter ou atténuer les effets environnementaux négatifs de ce projet. Le procureur général du Canada précise que le ministre continuera d’exercer un rôle de surveillance pour s’assurer de la conformité à la LCEE 2012 au fur et à mesure de l’avancement du projet de terminal, et que le ministre a le pouvoir de modifier les conditions relatives à ce projet, au besoin.

[55] Le procureur général du Canada soutient que la jurisprudence ne valide aucune autre interprétation du paragraphe 79(2). Les demandeurs ont tort de s’appuyer sur l’arrêt Tsleil‑Waututh, parce qu’il ne permet aucunement d’affirmer que la LEP imposera toujours des obligations au Cabinet dans le cadre d’une évaluation environnementale. Selon le procureur général du Canada, les conclusions de la CAF dans cet arrêt portaient sur le rôle du Cabinet en tant que décideur final pour l’application de la Loi sur l’Office national de l’énergie, LRC 1985, c N-7 [la LONE], et sur des dispositions correspondantes de la LCEE 2012 qui sont propres aux projets désignés nécessitant une autorisation prévue à la LONE. Le contexte juridique et factuel est différent en l’espèce, car le Cabinet n’avait pas le même rôle ni les mêmes pouvoirs relativement à l’évaluation environnementale du projet de terminal que dans l’évaluation d’un projet d’agrandissement de l’oléoduc TransMountain (le projet TMX) qui était en cause dans l’arrêt Tsleil-Waututh. Le Cabinet n’est pas le décideur final en ce qui concerne le projet de terminal et son rôle dans l’évaluation environnementale de ce projet ne lui permettait pas d’imposer des conditions ou de formuler des recommandations.

[56] En réponse à l’interprétation de la loi prônée par le procureur général du Canada, les demandeurs prétendent que l’argument avancé par ce dernier, selon lequel l’article 79 de la LEP ne s’appliquait qu’à la déclaration du ministre et pas au décret du Cabinet, est incorrect parce qu’il repose sur les prémisses erronées suivantes : i) le ministre et l’Agence étaient les personnes visées au paragraphe 79(1) de la LEP parce qu’ils étaient tenus de veiller à ce qu’il soit procédé à l’évaluation environnementale du projet de terminal (les demandeurs disent que cette tâche incombait en fait à la commission); ii) les responsabilités que confère la LCEE 2012 au ministre concordent avec les réalisations prévues au paragraphe 79(2) de la LEP, c’est-à-dire que le ministre devait déterminer les effets nocifs et veiller à ce que des mesures de protection soient mises en œuvre (les demandeurs affirment que cette question n’est pas pertinente vu que l’article 79 sert à faire en sorte que de telles mesures soient mises en place et qu’il n’incombe pas nécessairement au décideur de déterminer, d’imposer ou d’appliquer les mesures en question); iii) on peut distinguer l’espèce de l’affaire Tsleil-Waututh, car dans cette dernière, l’Office national de l’énergie et le Cabinet étaient les décideurs finaux pour le projet TMX (or selon les demandeurs, dans l’affaire Tsleil-Waututh, comme en l’espèce, les décisions relatives à l’évaluation environnementale ne constituaient pas des approbations finales et d’autres permis étaient nécessaires).

[57] Le procureur général du Canada maintient que les décisions contestées permettent seulement de faire passer le projet de terminal aux étapes suivantes et ne court-circuitent pas les autorisations fédérales et provinciales qui seront requises ultérieurement, notamment celles qui sont prévues dans la LEP. Il estime que les demandeurs offrent une interprétation fondamentalement erronée de la façon dont les autorités fédérales et gouvernementales réglementeront le projet de terminal, y compris le rôle que le ministre continuera de jouer au fur et à mesure que le projet avance, et qu’ils cherchent à imposer des obligations légales découlant des prochaines phases réglementaires aux décisions du Cabinet et du ministre fondées sur la LCEE 2012.

[58] Selon le procureur général du Canada, les deux décideurs ont rempli leurs obligations légales respectives et leurs décisions sont raisonnables.

[59] Le procureur général du Canada soutient que le Cabinet a raisonnablement exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère la LCEE 2012 de décider, conformément à son pouvoir prévu au paragraphe 52(4), que les effets négatifs du projet de terminal sont justifiables dans les circonstances. Le décret ne va pas à l’encontre de l’objet de la LEP, le Cabinet n’avait pas l’obligation de prendre en considération ou d’analyser des dispositions de la LEP et n’était pas non plus tenu de s’attaquer à chaque élément ayant mené à sa décision et de formuler des conclusions explicites sur chacun. Même si la LEP ne lui impose aucune obligation distincte, le Cabinet était au fait, aux dires du procureur général du Canada, des effets nocifs du projet de terminal sur les épaulards et leur habitat essentiel, et il avait la conviction raisonnable que des mesures seraient prises pour éviter ou amoindrir ces effets et les surveiller d’une manière compatible avec tout programme de rétablissement et tout plan d’action applicable, conformément au paragraphe 79(2) de la LEP. Le procureur général du Canada affirme que le décret et le dossier démontrent que le Cabinet a tenu compte comme il se devait des renseignements et des recommandations concernant divers aspects économiques, sociaux, autochtones, environnementaux, culturels et d’autre nature lorsqu’il a pris la décision qu’il lui incombait de prendre selon le paragraphe 52(4) de la LCEE 2012.

[60] De même, le procureur général du Canada soutient que le ministre est parvenu à une décision qu’il pouvait raisonnablement prendre, et il n’était pas tenu de tirer une conclusion explicite et détaillée sur chaque élément ayant mené à la déclaration. Comme je le mentionne plus haut, le procureur général du Canada fait valoir que le ministre a respecté le paragraphe 79(2) de la LEP en veillant à ce que les conditions relatives au projet de terminal permettent d’éviter ou d’amoindrir les effets nocifs sur les épaulards.

[61] L’APVF est d’avis qu’il ressort clairement de l’examen des décisions et du dossier que les exigences décrites au paragraphe 79(2) de la LEP ont été remplies. L’organisation précise que les conditions obligatoires énoncées dans la déclaration comprennent des mesures visant à atténuer les effets du projet de terminal sur les épaulards et leur habitat essentiel ainsi que des programmes de surveillance et de suivi détaillés, le tout assorti de l’obligation pour l’APVF de prendre des mesures compatibles avec le programme de rétablissement et le plan d’action applicables aux épaulards, comme le prévoit la LEP. Le paragraphe 79(2) de la LEP n’exige pas que toutes les mesures possibles soient mises en œuvre et, d’après l’APVF, il est faux de dire que l’article 79 a été interprété ainsi dans l’arrêt Tsleil-Waututh. Au contraire, l’organisation affirme que l’article 79 de la LEP est de nature prospective puisqu’il oblige le ministre, si le projet de terminal est réalisé, à veiller à ce que des mesures soient prises en vue d’éviter ou d’amoindrir les effets nocifs sur les épaulards et de les surveiller.

[62] L’APVF soutient que l’article 77 de la LEP, où l’on retrouve effectivement les mots « toutes les mesures possibles », ne s’appliquait pas au décret ou à la déclaration : i) l’article 77 se limite au décideur autre qu’un ministre compétent aux termes de la LEP, et le ministre est un ministre compétent en ce qui concerne les épaulards; ii) dans l’arrêt Tsleil-Waututh, la CAF a rejeté un argument selon lequel l’article 77 de la LEP s’appliquait à la décision du Cabinet relative au projet TMX qui était en cause (aux para 463-464); iii) l’article 77 de la LEP entre en jeu lorsqu’une activité précise, et non un projet, est susceptible d’entraîner la destruction d’habitats essentiels.

[63] Dans tous les cas, même si l’article 77 de la LEP s’appliquait, l’APVF soutient qu’elle avait rempli ses obligations. Le processus d’évaluation environnementale a permis d’examiner de façon exhaustive les solutions de rechange raisonnables au projet de terminal, et la déclaration contient les mesures possibles qui seront prises pour atténuer les effets sur les épaulards. L’APVF fait remarquer que, à l’instar de l’article 79 de la LEP, l’article 77 n’exige pas que toutes les mesures possibles soient mises en œuvre; il prévoit plutôt qu’elles devront être prises. Selon l’organisation, une saine pratique en matière de conservation ne repose pas sur une intervention ponctuelle; les conditions doivent être flexibles et adaptées au projet de terminal au fur et à mesure qu’il progresse.

[64] L’APVF affirme que, même si les décisions ont permis d’approuver le projet de terminal dans le sens où elles ont levé les interdictions imposées par les articles 6 et 7 de la LCEE 2012, ce qui laisse à d’autres décideurs assujettis à la loi (comme le ministre des Pêches) le pouvoir de décider s’il y a lieu de délivrer des permis ou des autorisations pour le projet, elle doit tout de même obtenir ces permis et autorisations pour aller de l’avant avec le projet de terminal. Il lui faut notamment recevoir l’autorisation prévue à l’article 73 de la LEP, qui ne sera délivrée que si le ministre des Pêches est convaincu que la survie ou le rétablissement des épaulards ne sera pas compromis.

[65] L’APVF mentionne que la LCEE 2012 fait intervenir le Cabinet dès lors qu’un projet est susceptible de causer des effets négatifs qui ne peuvent être atténués. Le Cabinet doit ensuite soupeser les effets négatifs au regard de divers autres facteurs afin de décider s’ils sont justifiables. En l’espèce, aucune contrainte légale ou factuelle ne s’exerçait sur le Cabinet pour l’amener à décider que les effets du projet de terminal n’étaient pas justifiables, et l’APVF reproche aux demandeurs de faire valoir une interprétation de la LEP qui rend presque impossible l’approbation d’un projet à l’étape de l’évaluation environnementale lorsqu’une espèce inscrite à la LEP est touchée.

[66] L’APVF soutient que les décisions sont raisonnables. Le Cabinet a raisonnablement exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère la LCEE 2012, celui de décider que les effets du projet de terminal sont justifiables dans les circonstances, tandis que le ministre a raisonnablement exercé son pouvoir discrétionnaire en délivrant une déclaration qui comportait 370 conditions contraignantes. Selon l’APVF, soit les demandeurs interprètent mal le dossier, soit ils décrivent de façon inexacte les conditions relatives au projet de terminal, et ils n’ont pas non plus relevé de lacunes dans la déclaration qui pourraient justifier une conclusion selon laquelle les dispositions de la LEP seront enfreintes. Au contraire, le décret et la déclaration sont conformes au principe de précaution et permettent de respecter l’objet de la LEP tout en répondant aux exigences de la loi. Les mesures d’atténuation imposées ne sont pas inapplicables ou vagues; elles tiennent plutôt compte de la nature préliminaire et prédictive des évaluations environnementales, et elles offrent la souplesse voulue pour être adaptées aux conditions existantes à chaque étape du projet de terminal.

[67] Les demandeurs répliquent que les défendeurs formulent des arguments incohérents. D’une part, ils soulignent qu’un processus d’évaluation environnementale s’est déroulé sur dix ans, que le public y a grandement participé, ce qui a donné lieu à 370 conditions, dont une grande partie est liée aux effets du projet de terminal sur les épaulards, et ils exhortent la Cour à ne pas modifier le décret en raison de l’exhaustivité de ce processus. D’autre part, ils minimisent l’importance de la décision du Cabinet en raison de la phase réglementaire à venir. Selon les demandeurs, les défendeurs minimisent les conséquences des décisions relatives à l’évaluation environnementale et limitent les responsabilités que la LEP impose aux personnes qui prennent ces décisions; ils soutiennent aussi que l’article 79 de la LEP prévoit des obligations moins strictes que la LCEE 2012 et affirment, à tort, que le Cabinet n’a pas approuvé le projet de terminal dans sa décision, se fondant sur les autres permis exigés par la LEP pour faire valoir qu’il serait prématuré d’imposer au Cabinet et au ministre les contraintes juridiques figurant dans la LEP, ce qui aurait aussi pour effet d’usurper le rôle des futurs décideurs réglementaires. De l’avis des demandeurs, les défendeurs ne reconnaissent pas que les processus réglementaires à venir nécessiteront des examens distincts et plus limités et laisseront un vide juridique relativement aux effets du projet de terminal dont la synergie compromettra le rétablissement et la survie des épaulards.

3) Analyse des arguments

[68] Les paragraphes 79(2) et 77(1) de la LEP prévoient des protections importantes pour les espèces en péril. Un aspect central de la première question à trancher dans le présent contrôle judiciaire est qu’il faut déterminer si ces dispositions législatives, ou même une seule des deux, s’appliquent aux décisions du ministre ou du Cabinet puis décider, le cas échéant, quelles obligations particulières elles imposent à chaque décideur.

[69] Je suis d’accord avec les défendeurs pour dire que la LCEE 2012 régissait les rôles du Cabinet et du ministre dans l’évaluation environnementale du projet de terminal. La LEP n’entrait en jeu que dans l’éventualité où ses dispositions imposaient des obligations au Cabinet et au ministre lorsqu’ils exercent leurs attributions dans le cadre de la LCEE 2012.

[70] Chacun des articles 77 et 79 de la LEP impose des obligations différentes à différents acteurs législatifs. Même si je suis d’accord avec les demandeurs pour dire que la LEP renferme des exigences supplémentaires concernant l’évaluation environnementale du projet de terminal, en plus de celles qui sont énoncées dans la LCEE 2012, selon moi, les exigences en question découlaient uniquement de l’article 79 de la LEP.

a) Article 79 de la LEP

(i) L’article 79 de la LEP imposait des obligations à l’Agence et au ministre, mais pas au Cabinet

[71] À titre préliminaire, je constate que l’article 79 de la LEP identifie deux acteurs législatifs : toute personne qui est tenue de veiller à ce qu’il soit procédé à l’évaluation environnementale d’un projet et toute autorité qui prend une décision au titre des alinéas 67a) ou b) de la LCEE 2012. Seul le premier acteur est présent en l’espèce. Aucune partie n’a plaidé que le Cabinet ou le ministre était l’autorité dont il est question à l’article 67 de la LCEE 2012. Dans le cadre du présent contrôle judiciaire, les demandeurs affirment qu’on peut faire abstraction de la mention de l’article 67 de la LCEE 2012. J’abonde dans le même sens. Il n’est pas nécessaire d’analyser l’article 67 de la LCEE 2012 pour trancher les questions dont la Cour est saisie et, par conséquent, l’examen fondé sur l’article 79 de la LEP porte sur les personnes tenues de veiller à ce qu’il ait été procédé à l’évaluation environnementale du projet de terminal.

[72] À l’instar des demandeurs, je suis d’avis que l’Agence et le ministre étaient chargés de s’assurer que l’évaluation environnementale du projet de terminal avait été effectuée conformément à la LCEE 2012. L’Agence était l’autorité responsable visée à l’article 15 de la LCEE 2012 et a exercé un certain nombre d’attributions lors de l’évaluation environnementale du projet de terminal. Cependant, le ministre avait la responsabilité globale de veiller à ce qu’il soit procédé à l’évaluation environnementale du projet de terminal. L’Agence est placée sous la responsabilité du ministre et est chargée de l’assister dans l’exercice des attributions qui lui sont conférées par la LCEE 2012 : art 103, 104. Les responsabilités du ministre comprenaient donc la surveillance de l’Agence et les responsabilités supplémentaires que lui confère la LCEE 2012. Le législateur a confié dans cette loi un rôle clé au ministre tout au long de l’évaluation environnementale du projet. Ce rôle n’a pas pris fin.

[73] L’article 79 de la LEP est la seule disposition sous l’intertitre « Révision des projets » et la seule disposition de cette loi qui concerne explicitement les évaluations environnementales. Cet article impose expressément des obligations à toute personne tenue de veiller à ce qu’il soit procédé à l’évaluation des effets environnementaux d’un projet, et donc, en l’espèce, il imposait des obligations à l’Agence et au ministre.

[74] En outre, je suis d’accord avec les défendeurs pour dire que les attributions que confère la LCEE 2012 au ministre (et à l’Agence) concordaient avec les mesures exigées de la personne visée à l’article 79 de la LEP. L’article 79 prévoit que cette personne doit : i) notifier à tout ministre compétent tout projet qui est susceptible de toucher une espèce sauvage inscrite ou son habitat essentiel; ii) déterminer les effets nocifs du projet sur l’espèce et son habitat essentiel; et, iii) si le projet est réalisé, veiller à ce que des mesures soient prises en vue d’éviter ou d’amoindrir ces effets nocifs et de les surveiller. Le paragraphe 79(2) dispose que les mesures doivent être compatibles avec tout programme de rétablissement et tout plan d’action applicable.

[75] L’Agence a notifié aux ministres compétents l’évaluation environnementale du projet de terminal. Le ministre a renvoyé l’évaluation environnementale à la commission et a confié à celle-ci le mandat de mener une évaluation visant à déterminer les effets négatifs du projet de terminal, notamment sur les espèces inscrites et leur habitat essentiel. La commission a évalué les effets nocifs sur les épaulards et d’autres espèces inscrites. La LCEE 2012 confère au ministre le pouvoir exclusif d’imposer des conditions relativement aux effets environnementaux d’un projet : LCEE 2012, art 53. Le ministre a remis au promoteur une déclaration dans laquelle il énonçait des mesures visant à éviter ou à amoindrir les effets du projet sur les espèces à risque. Enfin, le ministre continue d’assumer le rôle que lui confère la LCEE 2012, notamment en matière de supervision pour veiller au respect de la LCEE 2012 tout au long du projet. Il dispose de pouvoirs de contrainte et du pouvoir de modifier les conditions relatives au projet de terminal, au besoin. Les attributions du ministre quant à l’évaluation environnementale du projet de terminal et son rôle de supervision continue sont conformes aux exigences énoncées à l’article 79 de la LEP.

[76] Bien qu’important, le rôle du Cabinet était précis et limité, contrairement au rôle attribué au ministre. L’exercice du rôle du Cabinet a été déclenché lorsque le ministre a décidé, au titre du paragraphe 52(1) de la LCEE 2012, que la réalisation du projet de terminal était susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants comme le prévoient les paragraphes 5(1) et 5(2). À cette étape, selon le paragraphe 52(2), le ministre était tenu de renvoyer le projet au Cabinet dans un seul but : le Cabinet devait décider si ces effets étaient justifiables dans les circonstances. Après avoir pris une décision au titre du paragraphe 52(4), le Cabinet avait rempli son rôle.

[77] Le Cabinet n’était pas tenu de veiller à ce qu’il soit procédé à l’évaluation des effets environnementaux du projet de terminal, et le rôle que lui confère la LCEE 2012 ne concordait pas avec les mesures exigées à l’article 79 de la LEP. Il n’était pas tenu non plus de notifier les espèces inscrites à tout ministre compétent ni de déterminer les effets négatifs du projet. Selon la LCEE 2012, c’est au ministre, et non au Cabinet, qu’incombe la responsabilité de définir les conditions et de veiller à leur mise en œuvre.

[78] Les demandeurs ne contestent pas le fait que l’article 79 de la LEP vise directement toute personne tenue de veiller à ce qu’il soit procédé à l’évaluation des effets environnementaux du projet, mais ils affirment que le procureur général du Canada a tort de dire que le ministre et l’Agence étaient ces personnes. Selon les demandeurs, la commission était responsable de l’évaluation environnementale du projet de terminal sous le régime de la LCEE 2012. À l’appui de leur argument, ils font valoir que l’article 21 de la LCEE 2012 prévoit que l’article 22, qui requiert que l’autorité responsable à l’égard d’un projet veille à ce qu’il soit procédé à l’évaluation environnementale du projet et à ce que soit établi un rapport, ne s’applique pas lorsque le ministre renvoie l’évaluation environnementale du projet pour examen par une commission. Les demandeurs affirment que, lorsqu’une commission est constituée, cette dernière doit, conformément à son mandat, procéder à l’évaluation environnementale : LCEE 2012, art 43. Ils soutiennent que l’article 3.1 du mandat de la commission relativement au projet de terminal confirme qu’il incombait à cette dernière de procéder à l’évaluation environnementale.

[79] En outre, les demandeurs font valoir que l’article 79 de la LEP vise à garantir que des mesures soient mises en œuvre avant l’approbation du projet et n’exige pas que la ou les personnes désignées aient la compétence ou le pouvoir d’imposer des conditions relativement au projet et de veiller à ce que ces conditions soient respectées. Ils affirment qu’il est erroné de conclure que l’article 79 s’applique à la déclaration du ministre, et non au décret du Cabinet, en partant du principe que les mesures exigées par cette disposition de la LEP concordaient avec les attributions que la LCEE 2012 confère au ministre.

[80] À mon avis, l’argument des demandeurs selon lequel la commission était responsable de l’évaluation environnementale du projet de terminal n’appuie guère leur position selon laquelle l’article 79 imposait des obligations au Cabinet. En tout état de cause, bien que la commission ait pu assumer certaines des responsabilités qui auraient autrement incombé à l’Agence en tant qu’autorité responsable, le ministre conservait la responsabilité générale de veiller à ce qu’il soit procédé à l’évaluation environnementale du projet de terminal. Sous le régime de la LCEE 2012, le ministre décide de renvoyer ou non l’évaluation environnementale pour examen par une commission, et il lui incombe de nommer les membres de la commission et de fixer le mandat de celle-ci : LCEE 2012, art 38(1) et 42(1). Le ministre détermine la portée des éléments que la commission doit prendre en compte : LCEE 2012, art 19(2)b). Il a également le pouvoir de mettre fin à l’examen par une commission : LCEE 2012, art 49. Dans le cas où le ministre met fin à l’examen par une commission, l’Agence est tenue, conformément aux directives que le ministre lui donne, de compléter l’évaluation environnementale du projet : LCEE 2012, art 50. En l’espèce, le mandat de la commission relativement au projet de terminal confirme que c’est le ministre qui a décidé de renvoyer l’évaluation environnementale pour examen par la commission. Le ministre a nommé les membres de la commission et a établi la portée du mandat de cette dernière ainsi que le processus qu’elle devait suivre. La commission devait s’acquitter de son mandat, mais c’est le ministre qui a défini ce mandat, et le ministre conservait les attributions que lui confère la LCEE 2012 après la fin des travaux de la commission. Il est évident que le ministre conservait la responsabilité ultime de l’évaluation environnementale du projet de terminal, et ce, en tout temps.

[81] Le procureur général du Canada soutient que, étant donné que l’article 79 de la LEP en soi ne donne pas le pouvoir d’imposer des conditions, il y a lieu de penser que cette disposition s’adresse à toute personne à qui une autre loi confère un tel pouvoir – en l’espèce, la LCEE 2012 confère ce pouvoir au ministre. Je suis d’accord avec les demandeurs pour dire que le pouvoir du ministre d’imposer des conditions en vertu de la LCEE 2012 n’est pas nécessairement pertinent aux fins de l’interprétation de l’article 79. Dans l’arrêt Tsleil-Waututh, la CAF a conclu que l’Office national de l’énergie, en sa qualité d’autorité responsable, était la personne ayant des obligations suivant l’article 79 et était tenu de veiller à ce qu’il soit procédé à l’évaluation environnementale dans le cadre de la LCEE 2012, et ce, même si l’Office n’avait pas le pouvoir d’imposer des conditions concernant les effets du projet TMX sur les épaulards : Tsleil-Waututh, aux para 452, 455.

[82] Néanmoins, à mon avis, le procureur général du Canada a raison de dire que l’article 79 de la LEP impose expressément et implicitement des responsabilités à la personne tenue de veiller à la réalisation d’une évaluation environnementale sous le régime de la LCEE 2012. Le fait que l’article 79 de la LEP exige la prise de mesures qui correspondent aux responsabilités du ministre appuie cette interprétation. Les mesures exigées par cette disposition ne concordent pas avec les responsabilités du Cabinet selon la LCEE 2012, et ces mesures ont été prises (et seront prises) en dehors de la période pendant laquelle le Cabinet participait à l’évaluation environnementale du projet de terminal. En effet, l’article 79 se serait appliqué même si le ministre était parvenu à la décision contraire suivant le paragraphe 52(1) de la LCEE 2012 et que la question n’avait jamais été renvoyée au Cabinet. Les exigences de l’article 79 sont logiques si elles s’adressent au ministre en tant que personne tenue de veiller à la réalisation de l’évaluation environnementale du projet de terminal. Ces exigences n’auraient aucun sens si le Cabinet devait les remplir.

[83] Je ne suis pas convaincue par l’argument des demandeurs selon lequel l’article 79 imposait des conditions préalables obligatoires liées aux mesures de protection qui s’appliquaient aux décisions que le Cabinet et le ministre devaient rendre suivant les paragraphes 52(4) et 54(1) de la LCEE 2012. Le libellé de l’article 79 n’énonce pas expressément des conditions préalables obligatoires, contrairement à d’autres dispositions de la LEP. Par exemple, les articles 73 et 77 de cette loi exigent que la personne ou l’organisme soit convaincu du respect de certaines conditions préalables liées aux mesures de protection avant de conclure des accords ou de délivrer des permis autorisant une activité touchant une espèce inscrite ou son habitat essentiel. L’article 79 n’est pas formulé en ces termes et ne mentionne aucune condition préalable à remplir avant la prise d’une décision ou d’une mesure administrative. Cette disposition décrit plutôt les mesures que la personne ou l’organisme doit prendre, soit notifier le projet au ministre, déterminer les effets nocifs du projet et veiller à ce que des mesures soient prises en vue d’éviter ou d’amoindrir ces effets et de les surveiller. À mon avis, si le législateur avait voulu que l’article 79 de la LEP impose des conditions préalables à l’exercice du pouvoir du Cabinet de décider si les effets nocifs du projet de terminal sont justifiables et le pouvoir du ministre de fixer les conditions applicables au projet de terminal, il l’aurait énoncé expressément ou aurait choisi un libellé semblable à celui de l’article 73.

[84] En résumé, je conclus que le ministre et l’Agence étaient tenus de veiller à ce qu’il soit procédé à l’évaluation environnementale du projet de terminal, que le libellé de l’article 79 de la LEP concernait directement les attributions conférées par la LCEE 2012 au ministre et à l’Agence, et que l’article 79 leur imposait des obligations directes. Je reviens plus bas sur ce point, dans l’analyse de la question de savoir si le ministre a raisonnablement rempli les obligations que lui confère l’article 79 de la LEP. Il n’incombait pas au Cabinet de veiller à ce qu’il soit procédé à l’évaluation environnementale du projet. Le libellé de l’article 79 de la LEP ne concernait pas l’attribution conférée par la LCEE 2012 au Cabinet, et cette disposition ne lui imposait aucune obligation directe.

(ii) L’arrêt Tsleil-Waututh n’est pas incompatible avec cette interprétation

[85] Peu importe la personne responsable qui était tenue de veiller à ce qu’il soit procédé à l’évaluation environnementale du projet, les demandeurs soutiennent que l’article 79 impose nécessairement des obligations correspondantes aux décideurs dont les décisions en matière d’évaluation environnementale sont susceptibles de contrôle par notre Cour, à savoir le ministre et le Cabinet. Se fondant sur l’arrêt Tsleil-Waututh, les demandeurs affirment que de tels décideurs approuvent raisonnablement un projet qui touchera une espèce inscrite à moins qu’ils ne soient convaincus que les mesures prévues à l’article 79, qui visent à éviter ou à amoindrir les effets sur cette espèce inscrite et à les surveiller, seront prises. Les demandeurs soulignent que, dans l’affaire Tsleil-Waututh, l’Office national de l’énergie était l’autorité responsable de veiller à ce qu’il soit procédé à l’évaluation environnementale du projet TMX en cause. Cependant, le rapport de l’Office national de l’énergie n’était pas susceptible de contrôle judiciaire; seule la décision du Cabinet prise dans le cadre de la LCEE 2012 l’était : Tsleil-Waututh, aux para 4, 202. Quant à la question de savoir si la décision du Cabinet devrait être annulée, les demandeurs font valoir que la CAF a imposé au Cabinet les obligations prévues au paragraphe 79(2) lorsqu’elle a conclu que le projet TMX ne serait pas approuvé, le cas échéant, tant que toutes les mesures d’atténuation réalisables sur les plans technique et économique ne seraient pas mises en œuvre.

[456] Comme le transport maritime ne relevait pas de son pouvoir de réglementation, l’Office avait évalué les effets du transport maritime, abstraction faite de toute mesure d’atténuation, et n’en avait recommandé aucune en particulier. Il a plutôt encouragé d’autres autorités de réglementation à « examiner de telles initiatives » (rapport, page 361). Si l’Office n’avait pas le pouvoir de réglementer le transport maritime, le décideur final n’était pas contraint de la sorte. À mon avis, afin de se conformer pour l’essentiel aux exigences de l’article 79 de la Loi sur les espèces en péril, le gouverneur en conseil nécessitait de se voir communiquer par l’Office toutes les mesures réalisables, sur les plans technique et économique, visant à éviter ou à amoindrir les effets du projet [d’agrandissement du réseau de Trans Mountain] sur l’épaulard résident du sud. Fort de ces renseignements, le gouverneur en conseil serait en mesure de voir que, s’il était approuvé, le projet ne serait pas approuvé tant que toutes les mesures d’atténuation réalisables sur les plans technique et économique ne seraient pas mises en œuvre. Sans ces renseignements, le gouverneur en conseil ne disposait pas de l’information nécessaire pour prendre la décision qu’il était tenu de prendre.

[86] Comme je le mentionne plus haut, les demandeurs affirment que la commission était la personne directement visée par l’article 79 de la LEP en ce qui concerne l’évaluation environnementale du projet de terminal. Néanmoins, ils soutiennent qu’il ressort clairement de l’arrêt Tsleil-Waututh que le ministre et le Cabinet avaient également l’obligation de veiller au respect du paragraphe 79(2).

[87] Les demandeurs soutiennent que les lacunes dans l’affaire Tsleil-Waututh sont le fait du défaut collectif de deux entités, soit l’Office national de l’énergie, qui avait refusé d’admettre ses responsabilités suivant l’article 79 et n’avait recommandé aucune mesure relative aux épaulards, et le Cabinet, qui avait tenu pour acquis que l’article 79 ne s’appliquait pas et avait approuvé le projet en cause sans veiller à ce que des mesures soient mises en œuvre. Ils font valoir qu’il y a eu en l’espèce un défaut collectif semblable de la part du ministre et du Cabinet : le ministre n’a pas déterminé toutes les mesures possibles pour protéger les épaulards et, malgré cette lacune, le Cabinet a pris la décision et le ministre a publié la déclaration. Les demandeurs affirment que, comme l’Office national de l’énergie et le Cabinet dans l’affaire Tsleil-Waututh, le ministre et le Cabinet devaient en l’espèce être convaincus que des mesures de protection relatives aux épaulards avaient été mises en œuvre et seraient prises avant de rendre leur décision d’approuver le projet de terminal.

[88] Je ne souscris pas à l’interprétation des demandeurs en ce qui concerne les conclusions de la CAF au paragraphe 456 de l’arrêt Tsleil-Waututh. Lues en contexte, ces conclusions n’appuient pas les arguments des demandeurs selon lesquels la CAF a imposé au Cabinet les obligations prévues au paragraphe 79(2). À mon avis, les circonstances de l’affaire Tsleil‑Waututh se distinguent de celles de l’espèce. En ce qui concerne l’évaluation environnementale du projet de terminal, le ministre et le Cabinet n’ont pas commis les erreurs que l’Office national de l’énergie et le Cabinet avaient commises relativement à l’évaluation environnementale du projet TMX.

[89] Il est important de comprendre que les obligations du ministre et du Cabinet prévues par la loi relativement à l’évaluation environnementale du projet de terminal n’étaient pas les mêmes que celles de l’Office national de l’énergie et du Cabinet dans le cadre l’évaluation environnementale du projet TMX. Ce projet avait fait l’objet d’une évaluation « hybride » sous le régime de la LCEE 2012 et de la LONE, et le volet environnemental de cette évaluation était régi par des dispositions particulières de la LCEE 2012 concernant les projets qui nécessitent une approbation fondée sur la LONE. L’Office national de l’énergie était responsable de la réalisation de l’évaluation environnementale sous le régime de la LCEE 2012 et devait fournir au Cabinet un rapport et des recommandations. Selon l’alinéa 31(1)a) de la LCEE 2012, le Cabinet devait décider, en se fondant sur les recommandations de l’Office, si le projet TMX était susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants, compte tenu de l’application des mesures d’atténuation précisées dans le rapport de l’Office, et, le cas échéant, si ces effets étaient justifiables dans les circonstances.

[90] L’Office national de l’énergie a recommandé que le Cabinet approuve le projet TMX en se fondant, en partie, sur la conclusion que le projet n’était pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants. Le Cabinet a accepté la recommandation de l’Office, jugeant que le projet en cause ne serait pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants.

[91] L’Office national de l’énergie a commis une erreur cruciale à l’égard des obligations qui lui incombaient selon la LCEE 2012 et l’article 79 de la LEP. Il a conclu que l’article 79 de la LEP ne s’appliquait pas à son examen des effets, sur les épaulards, du transport maritime connexe au projet, puisqu’il avait défini la portée du projet TMX de manière à ne pas inclure le transport maritime. Par conséquent, bien que le transport maritime puisse entraîner des effets négatifs importants sur les épaulards résidents du sud, l’Office a estimé que le projet TMX (tel qu’il l’avait défini) n’était pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants. La CAF a jugé que l’Office national de l’énergie avait restreint de façon injustifiable la définition du projet en cause et que, par conséquent, le défaut d’appliquer l’article 79 de la LEP était également injustifié : Tsleil-Waututh, au para 449. Elle a souligné que, si l’Office avait défini le projet TMX de manière à inclure le transport maritime en lien avec ce projet, il aurait été tenu, par l’article 19 de la LCEE 2012, de tenir compte des mesures d’atténuation réalisables, sur les plans technique et économique, concernant les effets environnementaux négatifs importants du transport maritime sur les épaulards, et de tirer des conclusions à l’égard de ces mesures : Tsleil-Waututh, au para 411. L’Office a plutôt restreint son examen des mesures d’atténuation à celles qui relevaient de son pouvoir de réglementation. Il a conclu qu’il n’existait pas de mesures d’atténuation que le promoteur Trans Mountain pouvait prendre et, bien qu’il ait reconnu l’existence de mesures d’atténuation possibles concernant la circulation maritime liée au projet, il a simplement encouragé d’autres autorités réglementaires à « examiner de telles initiatives ». Les mesures n’ont donc pas été examinées en bonne et due forme par l’Office ni fait l’objet de conditions dans le cadre du projet TMX, au motif que ces mesures ne relevaient pas de la compétence de l’Office : Tsleil-Waututh, au para 439.

[92] La CAF a ensuite examiné la question de savoir si l’Office, malgré sa propre conclusion selon laquelle l’article 79 de la LEP ne s’appliquait pas à son examen des effets environnementaux du projet en cause, avait « essentiellement respecté » les obligations que lui imposait cette disposition « dans la mesure du possible », compte tenu des limites de sa compétence. Elle a conclu que ce n’était pas le cas. L’Office avait évalué les effets du transport maritime, abstraction faite de toute mesure d’atténuation, et n’en avait recommandé aucune en particulier. La CAF a conclu que l’Office n’avait pas envisagé les conséquences de son incapacité à veiller à ce que des mesures soient prises pour améliorer les incidences du projet TMX sur les épaulards, et qu’il avait omis de tenir compte du fait qu’il avait recommandé que le Cabinet approuve le projet sans imposer de mesures pour éviter ou amoindrir les effets négatifs et importants du projet sur les épaulards : Tsleil-Waututh, au para 455.

[93] L’erreur cruciale de l’Office national de l’énergie a mené à une succession de vices entachant l’évaluation du projet en cause : le rapport de l’Office ne constituait pas un rapport qui pouvait fournir au Cabinet les renseignements et les évaluations dont il avait besoin pour prendre une décision sur les effets environnementaux du projet et leur justification. Il ne constituait pas un « rapport » au sens de la loi, et il était déraisonnable pour le Cabinet de s’en remettre à celui‑ci; les lacunes étaient tellement cruciales que le Cabinet ne pouvait pas procéder aux évaluations qu’exigeait la loi : Tsleil-Waututh, aux para 465‑473.

[94] La CAF a fait remarquer qu’il incombait au Cabinet d’examiner toute lacune dans le rapport qui lui avait été présenté, et que l’article 53 de la LONE conférait au Cabinet le pouvoir de renvoyer à l’Office national de l’énergie pour réexamen la recommandation ou toute condition figurant au rapport : Tsleil-Waututh, aux para 64, 201. Le Cabinet avait compris la méthode retenue par l’Office et les conclusions qui en découlaient, et il avait fait erreur en fondant sa décision sur le rapport de l’Office comme condition préalable adéquate : Tsleil‑Waututh, aux para 441, 465‑473. La CAF a renvoyé l’affaire au Cabinet pour qu’il prenne une nouvelle décision.

[95] Après que le Cabinet a approuvé le projet TMX pour la seconde fois, de multiples demandeurs ont demandé l’autorisation de contester la décision : Raincoast, au para 1. La CAF a refusé de leur accorder l’autorisation de contester les éléments relatifs à l’évaluation environnementale de la décision, et elle a indiqué ce qui suit (Raincoast, aux para 41‑44, reproduits textuellement ci‑après) :

[41] Rappelons la décision de la Cour dans [l’affaire Tsleil‑Waututh Nation], au paragraphe 201 : les travaux de l’Office comportaient des « lacunes importantes » de sorte que le rapport qu’il avait présenté au gouverneur en conseil ne constituait pas un « rapport » prévu à l’article 54. Ainsi, le gouverneur en conseil était privé d’un prérequis légal impératif pour prendre la décision que prévoyait l’article 54. Les « lacunes importantes » dans cette affaire étaient fondamentales et criantes : l’Office n’avait pas examiné l’effet du transport maritime lié au projet.

[42] Depuis l’arrêt Tsleil-Waututh Nation, l’Office a corrigé ces lacunes importantes en fournissant au gouverneur en conseil un rapport exhaustif et détaillé comportant 678 pages qui examine la question du transport maritime lié au projet et des questions connexes et propose des mesures pour atténuer les risques. Le gouverneur en conseil a pris connaissance du nouveau rapport, comme il ressort du décret qu’il a pris.

[43] Plusieurs demandeurs affirment que le nouveau rapport est si lacunaire que le gouverneur en conseil est toujours privé du prérequis légal que constitue le « rapport » prévu à l’article 54. Cet argument ne saurait être retenu, vu l’ampleur de l’étude du transport maritime lié au projet et des questions environnementales connexes dont le nouveau rapport fait état.

[44] Aux termes de l’article 54, le gouverneur en conseil était tenu de décider s’il y avait lieu d’approuver ou non le projet et de déterminer éventuellement des conditions. Vu la preuve produite par les demandeurs et le droit applicable, il est impossible pour l’argument de ces derniers de survivre à la déférence considérable dont la Cour doit faire preuve à l’égard du gouverneur en conseil, qui est appelé à examiner le nouveau rapport des plus détaillé et technique et à prendre ce genre de décision dans l’intérêt public (voir les paragraphes 16b) et 18 à 19 des présents motifs). Sa décision commandait une mise en balance des avantages et des inconvénients du projet effectuée à la lumière des considérations générales que sont les retombées économiques, les données scientifiques, l’environnement, l’intérêt public et de celles qui ressortissent aux politiques, dont aucune n’est du ressort de la Cour (Nation Gitxaala, par. 148, renvoyant à Canada c. Kabul Farms Inc., 2016 CAF 143, par. 25). Le droit oblige la Cour à accorder une déférence considérable — suivant la jurisprudence, la « marge d’appréciation la plus large possible » [Nation Gitxaala, par. 155] — au gouverneur en conseil et à sa décision, qui résulte de cette mise en balance. L’argument des demandeurs, selon lequel la décision est fondamentalement déraisonnable sur le plan des préoccupations environnementales et des questions relatives à la législation en matière de protection de l’environnement, n’est pas plus convaincant que celui que la Cour a rejeté dans les arrêts Nation Gitxaala et Tsleil-Waututh Nation.

[96] Dans l’évaluation environnementale du projet visé dans l’affaire Raincoast, le Cabinet a joué un rôle différent de celui qu’il avait tenu dans l’évaluation du projet TMX, notamment parce qu’il n’était pas responsable de décider si le projet est susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants, compte tenu des mesures d’atténuation. De plus, les erreurs commises par l’Office national de l’énergie et le Cabinet dans l’affaire Tsleil-Waututh étaient importantes et d’une nature différente de celles que le Cabinet et le ministre auraient commises dans l’évaluation environnementale du projet de terminal sous le régime de la LCEE 2012. L’Office a failli à son obligation de déterminer la portée du projet TMX et d’évaluer ce dernier de façon telle que son rapport au Cabinet ne pouvait constituer un « rapport » aux termes de la LONE et de la LCEE 2012. Les conclusions erronées de l’Office concernant le projet TMX étaient tellement cruciales que le Cabinet ne pouvait pas procéder à l’évaluation des effets environnementaux du projet et de l’intérêt public qu’il était tenu de faire.

[97] Dans la section précédente, j’explique pourquoi il ressort de la lecture de l’article 79 de la LEP, de concert avec la LCEE 2012, que le rôle du Cabinet dans l’évaluation environnementale du projet de terminal ne déclenchait pas l’obligation de respecter l’article 79 de la LEP. À mon avis, les motifs de la CAF dans l’arrêt Tsleil-Waututh ne commandent pas une interprétation différente. Selon mon interprétation des motifs de cet arrêt, la CAF n’a pas indiqué que l’article 79 de la LEP limitait le pouvoir discrétionnaire du Cabinet de prendre une décision relative au caractère justifiable, aux termes du paragraphe 52(4) de la LCEE 2012, ou qu’il imposait des conditions préalables obligatoires à l’égard du pouvoir du Cabinet de prendre une telle décision.

[98] Le paragraphe 456 de l’arrêt Tsleil-Waututh, sur lequel les demandeurs s’appuient, se trouve dans la section du jugement qui traite de la question de savoir si l’Office national de l’énergie a respecté essentiellement ses obligations au titre de l’article 79 de la LEP, et ce, malgré le fait que l’Office a lui-même conclu que cette disposition ne s’appliquait pas. La CAF n’a pas traité la question de savoir si le Cabinet avait respecté les obligations que lui imposait la LEP dans cette section. La question des obligations du Cabinet imposées par la LEP a été traitée dans une autre section des motifs (aux paragraphes 459 à 464), qui portait uniquement sur la question de savoir si le paragraphe 77(1) de la LEP imposait des obligations au Cabinet (la CAF a conclu que ce n’était pas le cas). Par conséquent, bien que l’expression « respecté essentiellement » qui se trouve au paragraphe 456 puisse donner à penser que la CAF faisait allusion au Cabinet, je suis d’avis que, lorsque les mots sont lus dans le contexte de la section et de l’arrêt dans son ensemble, la CAF faisait référence à ce que le Conseil devait faire pour respecter les obligations que lui imposaient l’article 79 de la LEP.

[99] L’erreur que le Cabinet a commise dans l’affaire Tsleil-Waututh a été de s’appuyer sur le rapport gravement vicié de l’Office national de l’énergie. Le rapport de l’Office ne comportait pas d’exposé de toutes les mesures d’atténuation réalisables sur les plans technique et économique, comme l’exige la LCEE 2012, et il ne traitait pas des mesures d’atténuation relatives aux épaulards, ce qui était contraire aux obligations qui incombaient à l’Office suivant l’article 79 de la LEP. Par conséquent, le Cabinet ne disposait pas des renseignements nécessaires pour décider si le projet TMX était susceptible d’avoir des effets environnementaux négatifs importants, compte tenu de l’application des mesures d’atténuation précisées dans le rapport de l’Office.

[100] Si j’ai mal compris le paragraphe 456 de l’arrêt Tsleil-Waututh et que la CAF affirmait que l’article 79 de la LEP imposait l’obligation au Cabinet de se conformer à cette disposition avant de prendre sa décision sous le régime de la LCEE 2012, à mon avis, cette obligation était indirecte et concernait la question de savoir si le Cabinet disposait des renseignements nécessaires pour prendre la décision qui lui incombait.

[101] En l’espèce, les demandeurs ne soulèvent pas d’erreur semblable concernant les renseignements dont disposait le Cabinet. Ils ne soutiennent pas que la commission n’a pas préparé un rapport exposant toutes les mesures réalisables sur les plans technique et économique pour éviter ou amoindrir les effets du projet de terminal sur les épaulards, que le ministre a commis une erreur en décidant que le projet de terminal aurait des effets négatifs importants, ou que le Cabinet n’était pas en mesure, d’un point de vue fonctionnel, de décider si les effets négatifs importants du projet sont justifiables ou non parce qu’il ne disposait pas d’un « rapport » approprié ou parce que les renseignements dont il disposait étaient autrement déficients au point de l’empêcher de prendre la décision relative au caractère justifiable requise par le paragraphe 52(4) de la LCEE 2012.

[102] Comme je le mentionne plus haut, le Cabinet a joué un rôle élargi dans l’évaluation du projet TMX qui allait au-delà d’une décision relative au caractère justifiable, et il s’agit là d’une distinction. Dans le cadre de l’évaluation du projet TMX, le Cabinet était également chargé de décider si ce projet était susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants compte tenu de l’application des mesures d’atténuation. Le Cabinet savait comment l’Office avait abordé la question des effets du transport maritime lié au projet sur les espèces inscrites sans traiter des mesures d’atténuation, et il disposait de pouvoirs conférés par la loi pour demander à l’Office de réexaminer certains éléments du rapport. En l’espèce, si le Cabinet avait une obligation similaire de s’assurer qu’il disposait des renseignements nécessaires pour prendre une décision relative au caractère justifiable en vertu de la LCEE 2012, je juge que les demandeurs n’ont pas établi que le Cabinet n’avait pas respecté cette obligation. Les demandeurs n’ont pas établi que les renseignements présentés au Cabinet comportaient des lacunes importantes à un point tel que le Cabinet n’était pas en mesure de prendre la décision relative au caractère justifiable qui était requise par le paragraphe 52(4) de la LCEE 2012.

[103] Contrairement à l’Office national de l’énergie dans l’affaire Tsleil-Waututh, le ministre a reconnu en l’espèce ses obligations prévues à l’article 79 de la LEP dans l’évaluation environnementale du projet de terminal. Les effets du projet de terminal sur les épaulards ont été évalués et les mesures d’atténuation visant à amoindrir ces effets ont été prises en compte. Le ministre, et non le Cabinet, était chargé de décider si le projet de terminal entraînerait des effets environnementaux négatifs importants : sur la base du rapport de la commission et des renseignements fournis pendant la phase postérieure à la commission, il a conclu que le projet de terminal entraînerait de tels effets, notamment sur les épaulards.

[104] Le Cabinet disposait de ces renseignements et les a pris en considération pour prendre la décision relative au caractère justifiable suivant le paragraphe 52(4). Le décret précise que le Cabinet a été informé des effets négatifs du projet de terminal sur les espèces inscrites et leur habitat essentiel et qu’il a pris en compte les recommandations et les conclusions énoncées dans le rapport de la commission, les renseignements supplémentaires fournis par l’APVF et les mesures prises par le Canada à l’égard des espèces inscrites, dont l’épaulard. Le Cabinet a expressément reconnu l’article 79 de la LEP, et le décret mentionne qu’il était convaincu « que des mesures conformes à toute stratégie et à tout plan d’action applicables en matière de rétablissement ser[aie]nt prises pour éviter, ou atténuer, et surveiller ces effets négatifs et ser[aie]nt évaluées et surveillées, ainsi que gérées de manière adaptative ».

[105] Selon l’interprétation des demandeurs, le paragraphe 456 de l’arrêt Tsleil-Waututh signifie que, pour satisfaire aux exigences de l’article 79 de la LEP, toutes les mesures d’atténuation réalisables sur les plans technique et économique devaient être comprises en tant que conditions concrètes de la déclaration. Ils affirment ainsi que l’article 79 de la LEP limitait les décisions discrétionnaires prises par le ministre et le Cabinet en vertu de l’article 52 de la LCEE 2012 et modifiait les obligations du ministre prévues aux articles 53 et 54, par l’imposition de conditions préalables aux mesures de protection. Les demandeurs allèguent que les décisions contestées ne satisfaisaient pas à cette exigence, notamment parce qu’elles ne comprennent pas l’ensemble des mesures qu’avait cernées ou suggérées la commission ou les représentants du ministère des Pêches et des Océans, et comme certaines des conditions ne sont pas suffisamment exécutoires, ne sont pas entièrement définies ou dépendent des résultats d’une enquête future, elles ne permettront pas d’éviter ou d’amoindrir les effets sur les épaulards, ou elles sont incompatibles avec le programme de rétablissement élaboré à l’égard des épaulards dans le cadre de la LEP.

[106] À mon avis, dans l’arrêt Tsleil-Waututh, la CAF n’a pas jugé que l’article 79 de la LEP imposait ce type de contrainte au pouvoir discrétionnaire que confère au Cabinet ou au ministre la LCEE 2022. Encore une fois, le défaut de l’Office national de l’énergie de se conformer à l’article 79 découlait d’une erreur majeure et flagrante : l’Office avait recommandé l’approbation du projet TMX sans qu’aucune mesure ne soit imposée pour éviter ou amoindrir ses effets sur les épaulards, et il avait au contraire encouragé d’autres autorités de réglementation à « examiner de telles initiatives ». En d’autres termes, l’Office n’avait prévu aucune mesure d’atténuation pour éviter ou amoindrir les effets du projet TMX sur les épaulards. Le « prérequis légal » dont le Cabinet était privé était un rapport de l’Office : Raincoast, au para 41.

[107] Le Cabinet et le ministre devaient agir raisonnablement dans le respect de leurs obligations prévues par la LCEE 2012, pour décider si les effets négatifs du projet étaient justifiables et établir les conditions du projet de terminal pour traiter de ses effets sur les espèces inscrites. Cependant, selon mon interprétation de l’arrêt Tsleil-Waututh, l’article 79 de la LEP n’impose pas de conditions légales préalables à l’exercice de ces pouvoirs prévus par la LCEE 2012 et ne définit pas de seuils – par exemple un certain degré d’efficacité ou de certitude, ou un caractère exécutoire – que doivent respecter les « mesures » au sens de la LEP.

[108] En résumé, je tire les conclusions suivantes :

  • Le paragraphe 456 de l’arrêt Tsleil-Waututh doit être lu dans son contexte, dans le cadre des motifs pour lesquels la CAF a rejeté les arguments selon lesquels l’Office national de l’énergie, en tant que personne chargée de veiller à ce que le projet TMX soit évalué sous le régime de la LCEE 2012, avait respecté essentiellement les obligations que lui conférait l’article 79 de la LEP, malgré le fait que l’Office avait lui-même conclu que cette disposition ne s’appliquait pas à son évaluation des effets environnementaux du projet TMX; le Cabinet n’était pas chargé de veiller à ce que le projet soit évalué, et, selon mon interprétation, le paragraphe 456 n’indique pas que le Cabinet était tenu de se conformer à l’article 79 de la LEP;

  • Dans l’affaire Tsleil-Waututh, l’Office national de l’énergie n’avait pas respecté les obligations que lui imposaient la LCEE 2012 et l’article 79 de la LEP, soit de préparer un rapport exposant toutes les mesures réalisables sur les plans technique et économique pour éviter ou amoindrir les effets du projet TMX sur les épaulards; en l’espèce, les demandeurs ne soutiennent pas que la commission n’a pas préparé un rapport exposant toutes les mesures réalisables sur les plans technique et économique pour éviter ou atténuer les effets du projet de terminal sur les épaulards;

  • dans l’affaire Tsleil-Waututh, l’Office national de l’énergie avait manqué à ses obligations à un point tel que son rapport au Cabinet ne pouvait être considéré comme un « rapport » au sens de la LCEE 2012 – les conclusions viciées de l’Office sur les effets environnementaux du projet TMX étaient si critiques que le Cabinet n’était pas en mesure, d’un point de vue fonctionnel, de faire le genre d’évaluation des effets environnementaux de ce projet et de l’intérêt public qu’exigeait la LCEE 2012; en l’espèce, les demandeurs ne soutiennent pas que le Cabinet n’était pas en mesure, d’un point de vue fonctionnel, de décider si les effets négatifs importants du projet sont justifiables ou non parce qu’il ne disposait pas d’un « rapport » approprié ou parce que les renseignements dont il disposait étaient autrement déficients au point de l’empêcher de prendre la décision relative au caractère justifiable prévue par le paragraphe 52(4) de la LCEE 2012;

  • Selon l’interprétation des demandeurs, le paragraphe 456 signifie que, pour satisfaire aux exigences de l’article 79 de la LEP, toutes les mesures d’atténuation réalisables sur les plans technique et économique devaient être comprises en tant que conditions concrètes de la déclaration; les demandeurs allèguent que les décisions contestées n’ont pas satisfait à cette exigence parce que les conditions du projet de terminal n’incluaient pas l’ensemble des mesures cernées ou suggérées, et que certaines des conditions n’étaient pas suffisamment exécutoires, n’étaient pas entièrement définies ou dépendaient d’une enquête future, ne permettraient pas d’éviter ou d’amoindrir les effets sur les épaulards, ou étaient incompatibles avec le programme de rétablissement des épaulards; à mon avis, la CAF n’a pas interprété l’article 79 comme imposant une contrainte au pouvoir discrétionnaire du ministre et du Cabinet de cette façon.

b) Article 77 de la LEP

(i) L’article 77 de la LEP n’imposait pas d’obligations au Cabinet

[109] L’article 77 de la LEP n’imposait pas d’obligations aux décideurs dans le cadre de l’évaluation environnementale du projet de terminal.

[110] Comme le reconnaissent les demandeurs, l’article 77 ne s’applique pas au ministre parce qu’il s’applique à toute personne ou à tout organisme autre qu’un ministre compétent et que le ministre est visé par l’exclusion.

[111] À mon avis, l’article 77 ne s’applique pas non plus au Cabinet.

[112] Ce n’est pas parce que, comme l’affirme l’APVF, l’article 77 de la LEP n’entre en jeu que lorsqu’une activité précise, et non un projet, est susceptible d’entraîner la destruction d’habitats essentiels. L’APVF n’a renvoyé à aucune autorité à l’appui de son argument, et je fais remarquer que la LCEE 2012 définit un projet désigné comme une ou plusieurs activités concrètes qui sont exercées sur un territoire domanial, y compris les activités concrètes qui leur sont accessoires : LCEE 2012, art 2.

[113] L’article 77 de la LEP n’imposait pas d’obligations au Cabinet parce que celui-ci n’était pas une personne ou un organisme habilité par une loi fédérale autre que la LEP à « délivrer un permis ou une autre autorisation, ou à y donner son agrément, visant la mise à exécution d’une activité susceptible d’entraîner la destruction d’un élément de l’habitat essentiel d’une espèce sauvage inscrite » au sens du paragraphe 77(1). La LCEE 2012 ne prévoyait pas un tel rôle pour le Cabinet.

[114] Sous le régime de la LCEE 2012, le Cabinet était chargé de prendre une décision. Plus précisément, lorsque le ministre a renvoyé la question au Cabinet, la LCEE 2012 a permis à ce dernier de décider que : a) les effets environnementaux négatifs importants que le projet est susceptible d’entraîner sont justifiables dans les circonstances; ou b) les effets environnementaux négatifs importants que le projet est susceptible d’entraîner ne sont pas justifiables dans les circonstances. Le Cabinet n’était pas habilité à autoriser, et sa décision n’avait pas pour effet d’autoriser, toute activité susceptible de contrevenir à la LEP. Les dispositions de la LEP continuent de s’appliquer au projet de terminal. Si l’APVF demande une licence, un permis ou un autre document qui autorise l’exercice d’une activité susceptible de détruire l’habitat essentiel des épaulards, les dispositions de la LEP relatives à la délivrance de permis entreront alors en jeu.

[115] Comme je le mentionne plus haut, les demandeurs soutiennent que le décret et la déclaration sont des décisions importantes qui ont levé les interdictions prévues aux articles 6 et 7 de la LCEE 2012 et, malgré la nécessité de permis supplémentaires selon la LEP, ces documents constituent une approbation du projet de terminal.

[116] Je ne suis pas d’accord pour dire que le décret du Cabinet a levé l’une ou l’autre des interdictions prévues par la LCEE 2012. La décision prise par le Cabinet en vertu de la LCEE 2012 a eu pour conséquence de faire intervenir les obligations du ministre de fixer les conditions au titre de l’article 53 et de produire la déclaration visée à l’article 54.

[117] La déclaration n’a pas levé l’interdiction prévue à l’article 6 – cette interdiction reste en vigueur et continue de lier l’APVF. Cependant, la déclaration a effectivement levé l’interdiction prévue à l’article 7, qui empêchait une autorité fédérale (l’APVF et d’autres autorités fédérales, comme le ministre des Pêches) d’exercer les attributions qui lui sont conférées sous le régime d’une loi fédérale autre que la LCEE 2012 qui pourrait permettre la réalisation en tout ou en partie du projet de terminal. Maintenant que l’interdiction prévue à l’article 7 de la LCEE 2012 a été levée, l’APVF peut demander une autorisation au titre de la LEP et le ministre des Pêches peut examiner la demande de l’APVF.

[118] Bien que la déclaration puisse être considérée comme une approbation selon la LCEE 2012, une telle approbation n’équivaut pas à une licence, à un permis ou à un autre document autorisant une activité susceptible d’avoir un effet sur l’habitat essentiel des épaulards au sens de l’article 77 de la LEP. Comme il est expliqué, cela s’explique notamment par le fait que la LCEE 2012 autorisait le ministre à produire la déclaration et que celui-ci est un ministre compétent. Une autre raison est qu’une autorisation fondée sur l’article 77 de la LEP ne peut pas autoriser une activité susceptible d’avoir un effet sur l’habitat essentiel des épaulards parce qu’elle ne lève pas l’interdiction prévue à l’article 58, qui s’applique lorsque l’habitat essentiel en question est celui d’une espèce aquatique ou se trouve sur le territoire domanial (y compris la mer territoriale) : LEP, art 58(1), 77(2). Par conséquent, si le projet va de l’avant, l’APVF doit obtenir une autorisation d’un ministre compétent au titre de l’article 73 de la LEP (ou une autorisation visée à l’article 74 et ayant un effet équivalent) et ne sera libérée de l’interdiction prévue à l’article 58 que si elle obtient cette autorisation : LEP, art 83(1)b). Bien qu’il soit maintenant loisible à l’APVF de demander une autorisation au titre de l’article 73 et que le ministre des Pêches puisse examiner la demande, les décisions prises sous le régime de la LCEE 2012 n’ont pas supplanté ou remplacé une partie de ce processus futur. Au contraire, la déclaration mentionne qu’une autorisation suivant l’article 73 de la LEP peut être délivrée à l’avenir et précise qu’elle n’a aucune incidence sur ce qui peut être exigé de l’APVF afin que celle-ci se conforme à toutes les exigences législatives ou juridiques applicables.

[119] Cette interprétation est également conforme à la position énoncée dans la publication du gouvernement du Canada intitulée « Considérations relatives à la Loi sur les espèces en péril dans le contexte de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale concernant les espèces sous la responsabilité du ministre responsable d’Environnement Canada et de Parcs Canada ». À la page 52, la publication mentionne ce qui suit :

Une décision permettant, en vertu de la LCEE, à l’autorité responsable d’apporter un soutien fédéral à un projet ne constitue pas en soi une autorisation à violer les interdictions de la LEP, qui sont autonomes et doivent toujours être respectées. L’évaluation environnementale peut proposer une approche, mais cette approche ne peut remplacer une autorisation du ministre compétent en vertu de la LEP.

De plus, l’importance potentielle d’un effet environnemental nocif aux termes de la LCEE ne constitue pas nécessairement une indication sur l’interdiction ou non de l’activité en vertu de la LEP, ni sur la conformité de cette activité aux conditions préalables de délivrance de permis en vertu de la LEP.

(ii) L’arrêt Tsleil-Waututh est compatible avec cette interprétation

[120] Même si l’affaire Tsleil-Waututh mettait en cause un type d’évaluation différent, j’estime que les conclusions tirées par la CAF dans cet arrêt sont compatibles avec l’interprétation énoncée plus haut. La CAF a conclu que la décision du Cabinet ordonnant à l’Office national de l’énergie de délivrer un certificat de conformité au promoteur n’équivalait pas à une autorisation aux termes du paragraphe 77(1) de la LEP, et que le Cabinet n’était pas tenu de se conformer aux exigences prévues au paragraphe 77(1). La CAF a fait remarquer que le Parlement n’aurait pas eu l’intention de soustraire l’Office national de l’énergie à l’application du paragraphe 77(1) de la LEP tout en y assujettissant le Cabinet, d’autant plus que les capacités de l’Office sont supérieures pour ce qui est de l’évaluation des conséquences sur l’habitat et des mesures d’atténuation : Tsleil-Waututh, aux para 463-464.

[121] La CAF a précisé ce point au paragraphe 39 de l’arrêt Raincoast :

[39] […] Selon certains demandeurs, le gouverneur en conseil n’était pas habilité à prendre une décision sans vérifier que les critères précisés dans la Loi sur les espèces en péril, L.C. 2002, c. 29, avaient été respectés. Cet argument n’est pas raisonnablement défendable parce que notre Cour l’a expressément rejeté dans l’arrêt Tsleil-Waututh Nation au paragraphe 464.

[122] À mon avis, un raisonnement semblable s’applique en l’espèce. Le Parlement n’aurait pas eu l’intention de soustraire le ministre à l’application du paragraphe 77(1) de le LEP tout en y assujettissant le Cabinet. En fait, le raisonnement a plus de force dans la présente affaire, car le Cabinet a joué un rôle plus limité dans l’évaluation environnementale du projet de terminal que dans l’évaluation du projet TMX.

c) Le décret et la déclaration sont-ils déraisonnables au regard des exigences prévues aux articles 77 et 79 de la LEP et des contraintes factuelles?

[123] Les demandeurs n’ont pas établi que le décret ou la déclaration sont déraisonnables au regard des contraintes juridiques prévues aux articles 77 et 79 de la LEP et des contraintes factuelles du dossier.

[124] Je répète que les arguments des demandeurs reposent sur l’interaction entre la LCEE 2012 et la LEP ainsi que les obligations imposées par les articles 77 et 79 de la LEP dans le cadre de l’évaluation environnementale du projet de terminal. La question de savoir si le Cabinet et le ministre ont respecté les obligations qui leur incombaient dépend de l’interprétation des dispositions législatives.

[125] J’ai conclu que les articles 77 et 79 de la LEP n’imposaient pas d’obligations au Cabinet. Le rôle du Cabinet dans l’évaluation environnementale du projet de terminal était limité et précis, soit de décider, au titre du paragraphe 52(4) de la LCEE 2012, si les effets environnementaux négatifs du projet sont justifiables dans les circonstances. L’article 77 ne s’appliquait pas au Cabinet, parce que la LCEE 2012 ne confère pas au Cabinet le pouvoir de délivrer une licence, un permis ou une autorisation permettant à l’APVF de mettre à exécution une activité susceptible d’entraîner la destruction d’un élément de l’habitat essentiel d’une espèce sauvage inscrite, et le décret n’autorisait aucune activité susceptible de contrevenir à la LEP. L’article 79 n’imposait pas d’obligations au Cabinet, car celui-ci n’était pas chargé de veiller à ce qu’il soit procédé à l’évaluation environnementale du projet de terminal. Si le Cabinet avait une obligation fondée sur l’article 79 de la LEP, cette obligation était tout au plus indirecte et découlait de la nécessité de s’assurer que les renseignements qui lui étaient soumis n’étaient pas déficients au point de l’empêcher de prendre la décision requise par le paragraphe 52(4) de la LCEE 2012.

[126] J’ai conclu que l’article 79 de la LEP imposait des obligations au ministre, mais pas l’article 77. L’article 77 ne s’appliquait pas au ministre, parce qu’il l’exclut expressément en tant que ministre compétent; en outre, la déclaration du ministre ne constitue pas « un permis ou une autre autorisation, ou [un agrément donné à cet égard], visant la mise à exécution d’une activité susceptible d’entraîner la destruction d’un élément de l’habitat essentiel d’une espèce sauvage inscrite » aux termes de l’article 77 de la LEP, et elle ne remplace pas une future demande d’autorisation fondée sur la LEP en ce qui concerne les épaulards et ne détermine pas l’issue d’une telle demande.

[127] Les exigences prévues à l’article 79 de la LEP étaient les suivantes : i) notifier tout ministre compétent des espèces en danger; ii) déterminer les effets nocifs sur l’espèce en danger et son habitat essentiel; et iii) si le projet est réalisé, veiller à ce que des mesures soient prises en vue d’éviter ou d’amoindrir ces effets ou de les surveiller. Le paragraphe 79(2) précise également que les mesures doivent être prises d’une manière compatible avec tout programme de rétablissement et tout plan d’action applicable concernant les espèces.

[128] Comme je le mentionne plus haut, l’Agence a notifié les ministres compétents de l’espèce inscrite touchée. Le ministre a renvoyé l’évaluation environnementale à la commission et lui a confié le mandat de mener l’évaluation qui déterminerait les effets négatifs du projet de terminal, y compris les effets négatifs sur les espèces inscrites et leur habitat essentiel. La commission a évalué les effets sur l’épaulard et d’autres espèces inscrites et a proposé des mesures d’atténuation à prendre si le projet de terminal est réalisé. Le ministre a demandé des renseignements supplémentaires, notamment sur les effets du projet de terminal, les mesures d’atténuation connexes et les plans de compensation de l’APVF à l’égard du saumon et de l’épaulard, et la réponse de l’APVF a été publiée aux fins de commentaires. L’Agence a également publié une ébauche des conditions pour le projet de terminal et a invité le public à formuler des commentaires.

[129] Les demandeurs n’ont pas contesté le respect des exigences prévues à l’article 79 de la LEP concernant la notification des ministres compétents et la détermination des effets nocifs du projet de terminal sur les espèces sauvages inscrites et leur habitat essentiel. Ils ne contestent pas le rapport de la commission ni la décision que le ministre a prise au titre du paragraphe 52(1) de la LCEE 2012 selon laquelle le projet serait susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants, après avoir tenu compte tenu de l’application des mesures d’atténuation qu’il estimait indiquées.

[130] Si le projet est réalisé, l’article 79 oblige le ministre à veiller à ce que des mesures soient prises en vue d’éviter ou d’amoindrir les effets du projet de terminal sur les épaulards et leur habitat essentiel et de surveiller ces effets, et prévoit en outre que les mesures doivent être prises d’une manière compatible avec tout programme de rétablissement et tout plan d’action applicable concernant les espèces en péril. Selon les demandeurs, il s’agit du point sur lequel le ministre (et le Cabinet) a fait défaut. Les demandeurs soutiennent que, malgré les affirmations contraires des décideurs, le ministre et le Cabinet n’ont pas respecté les obligations que leur imposait la LEP et que les mesures sur lesquelles ils se sont appuyés : i) n’incluaient pas toutes les mesures possibles; ii) n’étaient pas vérifiées ou en place; iii) n’éviteraient ni n’amoindriraient les effets du projet sur les épaulards ou ne réduiraient pas le plus possible les effets sur leur habitat essentiel; et iv) étaient incompatibles avec le programme de rétablissement des épaulards.

[131] Pour des motifs qui rejoignent en grande partie les arguments des défendeurs, je juge que le ministre s’est raisonnablement conformé à ses obligations prévues au paragraphe 79(2) de la LEP. Les demandeurs n’ont pas établi que le décret ou la déclaration était déraisonnable en raison d’un manquement aux obligations prévues à l’article 79 de la LEP.

[132] En ce qui concerne tout d’abord le décret, je suis d’accord avec les défendeurs pour dire que le Cabinet a raisonnablement exercé son pouvoir discrétionnaire prévu par la LCEE 2012 pour décider, conformément au pouvoir que lui confère le paragraphe 52(4), que les effets négatifs du projet de terminal étaient justifiables dans les circonstances. Le Cabinet s’est vu conférer un vaste pouvoir discrétionnaire pour prendre la décision relative au caractère justifiable en vertu de la LCEE 2012.

[133] Pour prendre sa décision au titre du paragraphe 52(4) de la LCEE 2012, le Cabinet s’est appuyé sur les renseignements qui lui avaient été communiqués. Les demandeurs n’ont pas établi que les renseignements présentés au Cabinet étaient viciés à un point tel que le Cabinet ne pouvait pas raisonnablement prendre la décision que la LCEE 2012 exigeait : Tsleil-Waututh, au para 470.

[134] Le décret démontre que le Cabinet était conscient des effets environnementaux négatifs importants du projet de terminal, notamment sur les épaulards et d’autres espèces inscrites, et des exigences prévues au paragraphe 79(2) de la LEP. Il démontre que le Cabinet a pris en compte les effets du projet sur les épaulards et les mesures d’atténuation proposées pour déterminer si les effets environnementaux négatifs importants du projet de terminal sont justifiables dans les circonstances. Le Cabinet a également examiné la nécessité économique du projet de terminal, notamment son apport à l’amélioration de la résilience de la chaîne d’approvisionnement, son rôle potentiel dans le commerce international et les avantages économiques locaux, régionaux et nationaux qu’il créerait.

[135] Comme le fait remarquer le procureur général du Canada, le préambule du décret renvoie aux effets du projet de terminal sur les épaulards et d’autres espèces inscrites, et mentionne que le Cabinet était convaincu que des mesures seraient prises en vue d’éviter ou d’amoindrir ces effets et de les surveiller comme l’exige le paragraphe 79(2) de la LEP :

[…]

Attendu que la gouverneure en conseil — ayant été informée des effets négatifs du projet sur les espèces sauvages inscrites sur la liste figurant à l’annexe 1 de la Loi sur les espèces en péril et leur habitat essentiel et ayant pris en compte les conclusions et les recommandations énoncées dans le rapport de la commission, les renseignements supplémentaires fournis par l’APVF et les mesures prises par le Canada à l’égard des espèces sauvages inscrites sur la liste figurant à l’annexe 1 de la Loi sur les espèces en péril, notamment l’épaulard résident du Sud, lesquelles mesures comprennent notamment celles relevant du Plan de protection des océans et de l’Initiative de protection des baleines et visant à gérer les effets cumulatifs sur l’épaulard résident du Sud et à réduire au minimum les effets de la navigation maritime sur le milieu marin et sur l’utilisation de ce milieu par les nations autochtones — est convaincue que des mesures conformes à toute stratégie et à tout plan d’action applicables en matière de rétablissement seront prises pour éviter, ou atténuer, et surveiller ces effets négatifs et seront évaluées et surveillées, ainsi que gérées de manière adaptative;

[…]

[136] Au vu du dossier et des renseignements mentionnés dans le décret, le Cabinet pouvait être raisonnablement sûr de la conformité avec le paragraphe 79(2) de la LEP. Je fais remarquer que la déclaration comprend une condition générale exigeant que l’APVF respecte les conditions du projet de terminal d’une manière qui soit compatible avec tout programme de rétablissement, plan de gestion ou plan d’action applicable préparé ou établi au titre de la LEP.

[137] Comme l’a mentionné l’APVF, la raison même pour laquelle le ministre était tenu de renvoyer la question au Cabinet était qu’il avait décidé que, compte tenu de l’application des mesures d’atténuation, le projet de terminal était susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants comme ceux visés à l’article 5 de la LCEE 2012 – si le ministre avait plutôt décidé que le projet n’était pas susceptible d’entraîner des effets environnementaux négatifs importants compte tenu de l’application des mesures d’atténuation, il aurait pu imposer des conditions sans faire appel au Cabinet. La LCEE 2012 exigeait que le ministre renvoie la question au Cabinet pour que celui-ci effectue le type d’exercice de pondération et de mise en balance de nature essentiellement politique qui permet d’examiner les effets environnementaux négatifs d’un projet par rapport à un ensemble de facteurs d’intérêt public. Le décret du Cabinet reflète la nature polycentrique de la décision que celui-ci devait prendre.

[138] Les décisions qui peuvent être considérées comme d’ordre exécutif sont soumises à très peu de contraintes, et le Cabinet doit bénéficier de la marge d’appréciation la plus large possible : Gitxaala, aux para 152-155; Mikisew, aux para 118-119. Il en est ainsi parce que le Cabinet dispose de l’expertise nécessaire pour examiner et apprécier les considérations d’ordre économique, culturel et environnemental, et d’intérêt public général : Mikisew, au para 119. La Cour doit faire preuve d’une très grande retenue à l’égard de telles décisions : Raincoast, au para 19.

[139] Dans le cas présent, le Cabinet était chargé de soupeser ces types de facteurs concurrents par rapport aux effets environnementaux négatifs du projet de terminal, puis de prendre l’une des deux décisions possibles énoncées au paragraphe 52(4) de la LCEE 2012. Il n’était pas tenu de se pencher et de formuler des conclusions explicites sur chaque élément ayant conduit à sa décision, par exemple en justifiant un à un les effets environnementaux négatifs du projet. Le décret ne mine pas l’objet de la LEP, et le Cabinet n’était soumis à aucune obligation expresse de prendre en considération ou d’examiner les dispositions de la LEP ou les arguments avancés par les parties concernant l’interprétation de la LEP, d’autant plus que le Cabinet n’avait pas l’obligation légale de fournir des motifs.

[140] Les décrets ne permettent pas aisément la présentation de longs motifs, et leur présentation normalisée consiste généralement en une série d’attendus, suivis par une ordonnance : Tsleil‑Waututh, au para 478. Il ressort du décret et du dossier que le Cabinet a procédé à la pondération et à la mise en balance requises des effets environnementaux négatifs du projet de terminal, compte tenu des considérations de principe et de l’intérêt public. Étant donné la déférence à laquelle a droit le Cabinet et la nature de la décision qu’il devait prendre, je juge que le décret satisfait aux exigences d’une décision raisonnable.

[141] Après que le Cabinet a conclu que les effets environnementaux négatifs que le projet de terminal était susceptible d’entraîner étaient justifiables dans les circonstances, la LCEE 2012 exigeait que le ministre fixe les conditions que l’APVF était tenue de respecter. Selon les articles 53 et 54 de la LCEE 2012, le ministre devait remettre une déclaration dans laquelle étaient énoncées les conditions à respecter relativement aux effets négatifs visés aux paragraphes 5(1) et 5(2), si le projet de terminal allait de l’avant. La LCEE 2012 conférait au ministre le pouvoir exclusif d’imposer des conditions à la réalisation du projet de terminal.

[142] Le paragraphe 53(4) de la LCEE 2012 impose des contraintes au pouvoir discrétionnaire du ministre. Les conditions devaient prévoir la mise en œuvre des mesures d’atténuation dont le ministre avait tenu compte pour décider si le projet de terminal était susceptible d’entraîner des effets négatifs importants : LCEE 2012, art 53(4)a). Les conditions devaient également prévoir la mise en œuvre d’un programme de suivi : LCEE 2012, art 53(4)b).

[143] Selon les demandeurs, les paragraphes 79(2) et 77(1) de la LEP imposent d’autres contraintes en fixant un seuil élevé pour ce qui est des mesures de protection. Ils allèguent que les conditions du projet de terminal n’atteignent pas ce seuil élevé, car elles ne comprennent pas l’ensemble des mesures qu’avait cernées ou suggérées la commission ou les représentants du ministère des Pêches et des Océans, et comme certaines des conditions ne sont pas suffisamment exécutoires, ne sont pas entièrement définies ou dépendent des résultats d’une enquête future, elles ne permettront pas d’éviter ou d’amoindrir les effets sur les épaulards, ou elles sont incompatibles avec le programme de rétablissement élaboré à l’égard des épaulards en vertu de la LEP. Comme je l’explique plus haut, je suis d’avis que l’article 77 de la LEP ne s’applique pas, et, selon mon interprétation, l’article 79, ou l’arrêt Tsleil‑Waututh de la CAF, ne restreint pas le pouvoir discrétionnaire du ministre en imposant des conditions préalables obligatoires à l’égard des mesures de protection que celui‑ci était tenu de mettre en œuvre en tant que conditions à la réalisation du projet de terminal.

[144] Le ministre doit agir raisonnablement, mais la LCEE 2012 lui confère un pouvoir discrétionnaire pour décider des mesures d’atténuation qu’il estime indiquées : LCEE 2012, art 52(1). La LCEE 2012 définit de façon large les mesures d’atténuation comme étant des mesures visant à éliminer, à réduire ou à limiter les effets environnementaux négatifs d’un projet désigné. En outre, comme le souligne à juste titre le procureur général du Canada, la LEP ne définit pas le mot « mesure », et le paragraphe 79(2) ne précise pas quelles mesures doivent être prises en vue d’éviter ou d’amoindrir les effets nocifs sur les espèces inscrites et leur habitat essentiel et de surveiller ces effets. Le paragraphe 79(2) ne fixe aucun seuil – par exemple un certain degré d’efficacité ou de certitude, ou un caractère exécutoire – que doivent respecter les « mesures » au sens de la LEP.

[145] Après avoir examiné les conditions à la réalisation du projet de terminal dans leur ensemble et en contexte, je suis d’accord avec les défendeurs pour dire que le ministre a agi raisonnablement lorsqu’il a fixé des conditions qui étaient fondées sur les résultats et les recommandations découlant d’une évaluation complète, et qu’il a pris en considération les effets du projet établis.

[146] Pour fixer les conditions, le ministre a tenu compte du rapport de la commission ainsi que des renseignements recueillis au cours de l’étape postérieure à la commission. Selon la déclaration, la commission a effectué son examen conformément aux exigences de la LCEE 2012. Le dossier montre l’ampleur considérable du processus de consultation et de l’évaluation environnementale menés par la commission sous le régime de la LCEE 2012. Il en ressort également que les effets du projet de terminal sur les épaulards, compte tenu de leur statut d’espèce en péril, étaient l’un des principaux facteurs examinés. Les réponses de l’APVF reçues à la suite des demandes de renseignements du ministre à l’étape postérieure à la commission ainsi que les commentaires du public et du gouvernement ont fourni d’autres renseignements sur les conséquences du projet de terminal, les mesures d’atténuation connexes et les plans de compensation de l’APVF, notamment pour les saumons et les épaulards.

[147] Dans sa déclaration, le ministre traitait des effets du projet de terminal visés aux paragraphes 5(1) et 5(2) de la LCEE 2012 et imposait des conditions à la réalisation du projet, conformément à son pouvoir discrétionnaire. Il y énonçait, sur une cinquantaine de pages, les conditions détaillées, divisées en 21 catégories, auxquelles l’APVF devrait se conformer si le projet allait de l’avant. Les conditions comprennent notamment des volets de surveillance, de suivi et de préparation de rapports annuels ainsi que des mesures visant à éviter ou à amoindrir les effets négatifs du projet, notamment ceux sur les épaulards. Certaines conditions visent les principales menaces qui pèsent sur les épaulards – à savoir les contaminants environnementaux, la présence de proies (en l’occurrence, de saumons), les perturbations causées par le bruit sous‑marin, et le risque de collision avec des navires – ainsi que la participation de l’APVF aux activités de conservation et aux initiatives gouvernementales pour le rétablissement des épaulards. Comme je le mentionne plus haut, la déclaration impose une condition générale selon laquelle l’APVF doit veiller à ce que les mesures qu’elle prend afin de satisfaire aux conditions relatives au projet de terminal soient compatibles avec tout programme de rétablissement ou plan d’action élaboré à l’égard d’une espèce en péril aux termes de la LEP.

[148] Les conditions lient l’APVF, et le ministre possède des pouvoirs de contrainte qui lui permettent notamment d’imposer des sanctions et d’obtenir une injonction.

[149] À mon avis, le ministre n’était pas tenu de veiller à ce que l’ensemble des mesures de protection établies ou envisagées soient « en place » au moment de la publication de la déclaration. Les conditions « vérifiées » peuvent porter sur des étapes et des processus futurs qui permettent une certaine flexibilité dans l’examen des effets du projet de terminal sur les épaulards, et sur la prise en compte de futures exigences réglementaires auxquelles l’APVF devra se conformer. Il ressort clairement de la déclaration que le ministre a examiné les effets du projet de terminal sur les épaulards et qu’il a élaboré un plan d’action, ce qui n’était pas le cas de l’Office national de l’énergie dans l’affaire Tsleil‑Waututh. De plus, avant d’exercer une activité qui touche les épaulards ou leur habitat essentiel, l’APVF doit en obtenir l’autorisation au titre de la LEP. Cette autorisation ne sera délivrée que si l’APVF convainc le ministre des Pêches que : a) toutes les solutions de rechange susceptibles de minimiser les conséquences négatives de l’activité pour les épaulards ont été envisagées et la meilleure solution retenue; b) toutes les mesures possibles seront prises afin de minimiser les conséquences négatives de l’activité pour les épaulards ou leur habitat essentiel; et c) l’activité ne mettra pas en péril la survie ou le rétablissement des épaulards.

[150] Je suis d’accord avec le procureur général du Canada pour dire que le ministre a raisonnablement respecté les exigences de la LCEE 2012 et de la LEP en imposant à la réalisation du projet de terminal des conditions qui ont un lien rationnel avec les effets négatifs susceptibles de toucher les épaulards. Il n’appartient pas à la cour de révision d’évaluer dans quelle mesure les conditions fonctionneront, et la Cour ne doit pas devenir une « académie des sciences » : Ontario Power Generation Inc c Greenpeace Canada, 2015 CAF 186 au para 126.

[151] Comme dans le cas de la décision du Cabinet relative au caractère justifiable, le ministre n’était pas tenu de formuler des conclusions explicites sur chaque élément ayant conduit à sa décision concernant les conditions à la réalisation du projet de terminal. Le ministre devait remettre une déclaration au promoteur, en l’occurrence l’APVF : LCEE 2012, art 54(1). Dans sa déclaration, il devait : a) informer l’APVF des décisions qu’il avait prises au titre de l’article 52 de la LCEE 2012; et b) énoncer toute condition fixée au titre de l’article 53. Le ministre n’était assujetti à aucune obligation légale de fournir des motifs et, selon moi, il n’était pas tenu d’examiner les arguments avancés par les parties concernant l’interprétation de la LEP. Il ressort de la déclaration et du dossier que le ministre a fixé les conditions relatives au projet de terminal conformément aux obligations légales qui lui incombaient.

[152] Les demandeurs n’ont pas démontré que la déclaration comportait une erreur justifiant l’intervention de la Cour. Étant donné la déférence à laquelle a droit le ministre ainsi que l’objet et la nature de sa déclaration, je juge que cette dernière était raisonnable.

B. Le Cabinet a‑t‑il commis une erreur lorsqu’il a conclu que les effets négatifs allant à l’encontre de l’objet de la LEP et des exigences énoncées à l’article 6 et aux paragraphes 58(1) et 73(3) étaient justifiables?

1) Dispositions législatives

[153] Le libellé de l’article 6 ainsi que des paragraphes 58(1) et 73(1) à 73(3) de la LEP en vigueur du 8 août 2019 au 27 août 2019 est reproduit ci‑dessous :

Objet

Purposes

6 La présente loi vise à prévenir la disparition — de la planète ou du Canada seulement — des espèces sauvages, à permettre le rétablissement de celles qui, par suite de l’activité humaine, sont devenues des espèces disparues du pays, en voie de disparition ou menacées et à favoriser la gestion des espèces préoccupantes pour éviter qu’elles ne deviennent des espèces en voie de disparition ou menacées

6 The purposes of this Act are to prevent wildlife species from being extirpated or becoming extinct, to provide for the recovery of wildlife species that are extirpated, endangered or threatened as a result of human activity and to manage species of special concern to prevent them from becoming endangered or threatened.

[…]

[…]

Destruction de l’habitat essentiel

Destruction of critical habitat

58 (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, il est interdit de détruire un élément de l’habitat essentiel d’une espèce sauvage inscrite comme espèce en voie de disparition ou menacée — ou comme espèce disparue du pays dont un programme de rétablissement a recommandé la réinsertion à l’état sauvage au Canada :

58 (1) Subject to this section, no person shall destroy any part of the critical habitat of any listed endangered species or of any listed threatened species — or of any listed extirpated species if a recovery strategy has recommended the reintroduction of the species into the wild in Canada — if

a) si l’habitat essentiel se trouve soit sur le territoire domanial, soit dans la zone économique exclusive ou sur le plateau continental du Canada;

(a) the critical habitat is on federal land, in the exclusive economic zone of Canada or on the continental shelf of Canada;

b) si l’espèce inscrite est une espèce aquatique

(b) the listed species is an aquatic species; or;

c) si l’espèce inscrite est une espèce d’oiseau migrateur protégée par la Loi de 1994 sur la convention concernant les oiseaux migrateurs.

(c) the listed species is a species of migratory birds protected by the Migratory Birds Convention Act, 1994.

[…]

[…]

Pouvoirs du ministre compétent

Powers of competent minister

73 (1) Le ministre compétent peut conclure avec une personne un accord l’autorisant à exercer une activité touchant une espèce sauvage inscrite, tout élément de son habitat essentiel ou la résidence de ses individus, ou lui délivrer un permis à cet effet.

73 (1) The competent minister may enter into an agreement with a person, or issue a permit to a person, authorizing the person to engage in an activity affecting a listed wildlife species, any part of its critical habitat or the residences of its individuals.

Activités visées

Purpose

(2) Cette activité ne peut faire l’objet de l’accord ou du permis que si le ministre compétent estime qu’il s’agit d’une des activités suivantes :

(2) The agreement may be entered into, or the permit issued, only if the competent minister is of the opinion that

a) des recherches scientifiques sur la conservation des espèces menées par des personnes compétentes;

(a) the activity is scientific research relating to the conservation of the species and conducted by qualified persons;

b) une activité qui profite à l’espèce ou qui est nécessaire à l’augmentation des chances de survie de l’espèce à l’état sauvage

(b) the activity benefits the species or is required to enhance its chance of survival in the wild; or;

c) une activité qui ne touche l’espèce que de façon incidente..

(c) affecting the species is incidental to the carrying out of the activity.

Conditions préalables

Pre-conditions

(3) Le ministre compétent ne conclut l’accord ou ne délivre le permis que s’il estime que :

(3) The agreement may be entered into, or the permit issued, only if the competent minister is of the opinion that

a) toutes les solutions de rechange susceptibles de minimiser les conséquences négatives de l’activité pour l’espèce ont été envisagées et la meilleure solution retenue;

(a) all reasonable alternatives to the activity that would reduce the impact on the species have been considered and the best solution has been adopted;

b) toutes les mesures possibles seront prises afin de minimiser les conséquences négatives de l’activité pour l’espèce, son habitat essentiel ou la résidence de ses individus

(b) all feasible measures will be taken to minimize the impact of the activity on the species or its critical habitat or the residences of its individuals; and;

c) l’activité ne mettra pas en péril la survie ou le rétablissement de l’espèce.

(c) the activity will not jeopardize the survival or recovery of the species.

2) Arguments des parties

[154] Les demandeurs invoquent un second motif pour contester les décisions, soit que le décret est déraisonnable parce que le Cabinet a invoqué la LCEE 2012 pour justifier des effets environnementaux qui mettraient en péril la survie et le rétablissement des épaulards, en plus de détruire leur habitat essentiel, ce qui va à l’encontre de l’objet de la LEP et des exigences énoncées à l’article 6 et aux paragraphes 58(1) et 73(3). Bien que la présente contestation porte précisément sur le décret, comme je le mentionne plus haut, si le décret est annulé, la déclaration connaîtra le même destin.

[155] Les demandeurs soutiennent qu’il est déraisonnable de recourir aux dispositions d’une loi pour contrecarrer l’objet d’une autre, et que la décision du Cabinet relative au caractère justifiable contrecarre de manière inacceptable l’objet de la LEP. Certes, la LEP autorise qu’une activité entraîne certains effets sur une espèce inscrite, mais le Cabinet ne peut raisonnablement invoquer la LCEE 2012 pour justifier des effets qui contreviendraient directement à l’objet de la LEP en entraînant la destruction de l’habitat des épaulards légalement désigné comme essentiel, ce qui signifie qu’il est nécessaire à leur survie ou à leur rétablissement.

[156] Les demandeurs soutiennent que le Cabinet devait interpréter la LCEE 2012 et la LEP de manière cohérente et s’assurer que sa décision ne minerait ni l’objet ni les dispositions de la LEP. La LEP vise notamment à prévenir la disparition des espèces en péril et à permettre leur rétablissement : LEP, art 6; Fondation David Suzuki c Canada (Pêches et Océans), 2010 CF 1233 au para 13, conf par 2012 CAF 40. Les demandeurs font plus précisément valoir que l’article 6 et les paragraphes 58(1) et 73(3) de la LEP restreignent le large pouvoir discrétionnaire qui permet au Cabinet de juger que des effets négatifs sont justifiables aux termes de la LCEE 2012. Cette restriction découle de deux principes d’interprétation des lois : i) les lois qui portent sur le même sujet doivent être interprétées comme traitant du sujet de façon cohérente et uniforme; et ii) il est absurde d’interpréter une loi d’une manière qui contrecarre l’objet d’une autre, et une telle pratique devrait être évitée dans la mesure du possible. Le droit international exerce également une contrainte. De plus, à titre de loi réparatrice, la LEP doit recevoir une interprétation généreuse : Dynamitage Castonguay Ltée c Ontario (Environnement), 2013 CSC 52 au para 9.

[157] Les demandeurs soutiennent que, selon l’arrêt Vavilov, le décret est vicié, puisque le Cabinet ne s’est pas attaqué à la question centrale de savoir si les effets du projet de terminal sur les épaulards pouvaient être justifiés compte tenu des contraintes qu’impose la LEP. Le décret ne mentionne ni l’article 6 ni les paragraphes 58(1) ou 73(3) de la LEP, le Cabinet n’a fourni aucun motif à l’appui de sa conclusion selon laquelle les effets négatifs importants sur les épaulards sont justifiables alors que le projet de terminal entraînera des effets qui vont à l’encontre de la LEP, et le dossier ne permet pas de mieux comprendre le raisonnement suivi par le Cabinet ni ne montre comment ce raisonnement pourrait être jugé intelligible ou justifié. Selon les demandeurs, le Cabinet était soumis à l’obligation impérieuse de s’attaquer aux questions et de motiver sa décision en raison des conséquences importantes pour les épaulards : Western Canada Wilderness Committee c Canada (Environnement et Changement climatique), 2024 CF 167 au para 136.

[158] Enfin, les demandeurs soutiennent que le Cabinet a agi de façon contraire à la LEP, et plus particulièrement aux paragraphes 58(1) et 73(3), car il ne pouvait raisonnablement juger « justifiables » les effets importants qui détruiraient l’habitat essentiel des épaulards aux termes de la LCEE 2012, et il ne peut confier la question à de futurs processus d’autorisation plus étroits sous le régime de la LEP qui viseront à évaluer les effets distincts d’activités précises liées au projet de terminal une fois le projet approuvé dans son ensemble.

[159] Les demandeurs portent à l’attention de la Cour trois faits importants qui, selon eux, ne sont pas contestés et font partie du contexte que la Cour doit prendre en considération pour décider si le Cabinet a agi de façon déraisonnable : i) les conditions préalables à la réalisation du projet de terminal font en sorte que la survie et le rétablissement des épaulards sont menacés par l’homme de façon imminente; ii) la commission a conclu que les conséquences du projet entraîneraient, de façon indépendante ou synergique, des effets importants directs et cumulatifs sur les épaulards; et iii) le ministre a conclu que, même après la mise en œuvre de mesure d’atténuation, le projet était susceptible d’entraîner des effets négatifs importants directs et cumulatifs sur les épaulards. Ils affirment que la seule conclusion à tirer de ces faits est que le projet de terminal mettra en péril la survie de l’espèce, ce qui va à l’encontre de l’objectif fondamental et des dispositions de la LEP.

[160] Selon les demandeurs, étant donné que le Cabinet est un organe subordonné, son pouvoir discrétionnaire ne peut aller jusqu’à contrecarrer l’objet de la LEP, puisqu’un organe subordonné doit exercer ses pouvoirs d’une manière qui n’entre pas en conflit avec les dispositions d’une loi connexe : Renvoi relatif à la Politique réglementaire de radiodiffusion CRTC 2010‑167 et l’ordonnance de radiodiffusion CRTC 2010‑168, 2012 CSC 68 aux para 2, 37‑45. Cette restriction découle du principe fondamental selon lequel les lois doivent être interprétées de manière à éviter les conséquences absurdes. Le législateur ne peut avoir eu l’intention de conférer au Cabinet un pouvoir discrétionnaire allant jusqu’à lui permettre de rendre une décision qui nuirait directement à la survie d’une espèce inscrite et contrecarrerait l’objet même de la LEP.

[161] Le procureur général du Canada soutient que le Cabinet n’avait aucune obligation de tenir compte des articles 6 et 73 ni du paragraphe 58(1) de la LEP. L’article 6 énonce l’objet de la LEP, et le paragraphe 58(1), qui dispose qu’il est interdit de détruire un élément de l’habitat essentiel d’une espèce inscrite, continue de s’appliquer. L’article 73 régit le pouvoir discrétionnaire qui permet au ministre compétent de conclure un accord ou de délivrer un permis qui autorise l’exercice d’une activité touchant une espèce inscrite ou son habitat essentiel. Le Cabinet n’est pas un ministre compétent et il n’a pas délivré, et ne pouvait délivrer, l’autorisation prévue à l’article 73 au cours de l’évaluation environnementale du projet de terminal. L’article 73 trouvera application si l’APVF demande ultérieurement le permis en question.

[162] Le procureur général du Canada soutient que le décret montre que le Cabinet était clairement conscient des dispositions de la LEP, mais que la décision qu’il devait prendre au titre du paragraphe 52(4) de la LCEE 2012 n’avait tout simplement pas mis en jeu une quelconque obligation découlant de la LEP ni eu une incidence sur une telle obligation. Le décret ne mine pas l’objet de la LEP ni ne modifie l’interdiction énoncée à l’article 58 ou l’obligation d’obtenir une autorisation au titre de la LEP. En effet, si le Cabinet cherchait à faire ces choses, il usurperait le rôle et les obligations du ministre compétent pour délivrer ou refuser les futurs permis et autorisations prévus par la LEP ou d’autres lois fédérales.

[163] L’APVF ajoute que les autorités fédérales, comme le ministre des Pêches, peuvent désormais examiner la question de la délivrance de permis et d’autorisations, car l’interdiction énoncée à l’article 7 de la LCEE 2012 a été levée. L’APVF demandera l’autorisation prévue à l’article 73 de la LEP, dans le cadre d’une autorisation suivant la Loi sur les pêches, LRC 1985, c F‑14 (sur le fondement de l’article 74 de la LEP), et elle ne sera libérée de l’interdiction énoncée au paragraphe 58(1) de la LEP que si elle obtient cette autorisation : LEP, art 83(1)b). La déclaration indique expressément que cette autorisation n’a pas encore été accordée.

3) Analyse des arguments

[164] Je suis d’accord avec les défendeurs. Les articles 6, 58 et 73 de la LEP ne restreignaient pas le pouvoir discrétionnaire du Cabinet lorsque celui‑ci a pris sa décision au titre du paragraphe 52(4) de la LCEE 2012. Le Cabinet n’avait pas à tenir compte de ces dispositions.

[165] Comme je le mentionne plus haut, le décret n’autorise aucune activité qui contreviendrait à la LEP ou minerait son objet. Il n’autorise pas la destruction de l’habitat essentiel des épaulards ni ne lève l’interdiction d’en détruire un élément, énoncée à l’article 58. Je suis d’accord avec les défendeurs pour dire que le Cabinet n’a pas tranché ni préjugé la question des accords ou des permis prévus par les dispositions de la LEP, notamment l’article 73.

[166] Seul le ministre compétent responsable des épaulards peut conclure un accord au titre de l’article 73 ou 74 de la LEP. Le Cabinet n’est pas le ministre compétent, et le décret n’a pas le même effet qu’un accord ou un permis aux termes de l’article 73 de la LEP. L’APVF demeure soumise à l’interdiction énoncée à l’article 58 de la LEP à moins qu’elle demande et obtienne l’autorisation visée à l’article 73 ou 74. Cette autorisation ne sera délivrée que si l’APVF convainc le ministre des Pêches que l’activité respecte les exigences législatives, notamment qu’elle ne mettra pas en péril la survie ou le rétablissement des épaulards.

[167] Les demandeurs soutiennent que les futurs processus d’autorisation sous le régime de la LEP seront moins efficaces, car, une fois le projet de terminal approuvé dans son ensemble, seuls les effets distincts d’activités précises liées au projet seront évalués. Je ne suis pas convaincue qu’il s’agisse là d’une description juste des dispositions de la LEP en matière d’accords et de permis, mais ce sont les dispositions que le législateur a choisi d’adopter, et la Cour est tenue d’appliquer la loi.

[168] Pour conclure sur ce deuxième motif de contestation du décret, les erreurs que les demandeurs reprochent au Cabinet découlent de leur compréhension erronée selon laquelle il était assujetti à des obligations légales que le législateur ne lui avait pas imposées. Le décret ne mine pas l’objet de la LEP, énoncé à l’article 6, ni ne modifie les interdictions ou exigences énoncées au paragraphe 58(1) ou 73(3), et le Cabinet n’était pas tenu de justifier sa décision en raison de ces dispositions.

VII. Conclusion

[169] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que les demandeurs n’ont pas établi que le décret ou la déclaration étaient déraisonnables. Par conséquent, je dois rejeter la demande.

[170] Les parties ont convenu que, si la Cour concluait qu’il était justifié d’adjuger les dépens, les sommes suivantes seraient raisonnables : i) 14 000 $ en faveur des demandeurs si la demande était accueillie; ou ii) 14 000 $ à l’APVF et 15 000 $ au procureur général du Canada si elle était rejetée. Les demandeurs ont toutefois fait valoir que, en cas de rejet de la demande, il serait plus approprié que chacune des parties assume ses propres dépens, compte tenu de la participation des demandeurs en tant que parties ayant agi dans l’intérêt public, sans aucun intérêt personnel ni pécuniaire.

[171] Je suis d’accord avec les demandeurs. Les parties assumeront leurs propres dépens.

[172] À l’issue de l’audience, la Cour a demandé aux parties de l’informer de toute urgence relative à la réception de la décision ou de toutes autres circonstances justifiant une dérogation à l’obligation de mettre simultanément à la disposition du public dans les deux langues officielles les décisions ayant valeur de précédent : Loi sur les langues officielles, SRC 1985, c 31 (4e suppl) [la LLO], art 20(1)a.1). Les parties ont présenté des observations écrites.

[173] Les demandeurs soutiennent que la situation est suffisamment urgente pour justifier une décision accélérée et une dérogation à la LLO. Ils font valoir que les interdictions énoncées dans la LCEE 2012 ont été levées le 20 avril 2023 (date à laquelle le ministre a publié la déclaration) et que l’APVF pourrait exercer des activités qui auront des conséquences négatives sur les épaulards, mais ils ne donnent aucune précision sur ces activités. Ils ajoutent que l’APVF pourrait demander une autorisation au titre de la Loi sur les pêches et de la LEP, et que, si elle l’obtient, elle pourrait être exemptée de l’interdiction énoncée à l’article 58 de la LEP.

[174] Selon les défendeurs, une décision accélérée n’est pas nécessaire et, à leur connaissance, aucune circonstance ne justifie que la présente décision déroge à la LLO. En outre, ils soutiennent qu’une autorisation dans le cadre la Loi sur les pêches et de la LEP ne permet pas de dire qu’il y a urgence. En date des observations écrites, l’APVF n’avait présenté aucune demande d’autorisation au titre de la Loi sur les pêches et de la LEP. Elle prévoyait de le faire [traduction] « dans plusieurs mois », et elle a expliqué que la demande ferait l’objet d’un long processus d’examen et de consultation qui durerait probablement plus d’un an.

[175] Après avoir examiné les observations des parties, je ne suis pas convaincue de la nécessité d’une décision accélérée. Je conclus que l’alinéa 20(1)a.1) de la LLO s’applique. Je ne suis pas convaincue qu’il existe un quelconque motif justifiant de déroger à l’obligation de mettre cette décision à la disposition du public simultanément dans les deux langues officielles.

 


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T‑1065‑23

LA COUR STATUE :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. Les parties assumeront leurs propres dépens.

« Christine M. Pallotta »

Juge

Traduction certifiée conforme

Philippe Lavigne-Labelle

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1065‑23

 

INTITULÉ :

GEORGIA STRAIT ALLIANCE, FONDATION DAVID SUZUKI, RAINCOAST CONSERVATION FOUNDATION ET WESTERN CANADA WILDERNESS COMMITTEE c MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE, PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, ET ADMINISTRATION PORTUAIRE VANCOUVER FRASER

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

DATES DE L’AUDIENCE :

Les 24 et 25 juin 2024

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE PALLOTTA

 

DATE DES MOTIFS
ET DU JUGEMENT :

LE 10 JANVIER 2025

 

COMPARUTIONS :

Dyna Tuytel

Kegan Pepper‑Smith

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Sarah Bird

Jon Khan

Victoria Broughton

Elizabeth Benoy

 

POUR LES DÉFENDEURS

MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE ET PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

D. Geoffrey Cowper

Bridget Kilbride, c.r.

Julia Kindrachuk

 

POUR La DÉFENDEresse

ADMINISTRATION PORTUAIRE VANCOUVER FRASER

 



AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ecojustice

Avocats

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

 

POUR LES DÉFENDEURS

MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE ET PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

Fasken Martineau DuMoulin S.E.N.C.R.L, s.r.l.

Avocats

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

POUR La DÉFENDEresse

ADMINISTRATION PORTUAIRE VANCOUVER FRASER

 

 

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