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Date : 20250108


Dossier : IMM-10981-22

Référence : 2025 CF 40

Ottawa (Ontario), le 8 janvier 2025

En présence de monsieur le juge McHaffie

ENTRE :

Luis Rodolfo MELGAR MORALES

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demande d’asile de Luis Rodolfo Melgar Morales est fondée sur des allégations d’extorsion et de menaces de la part de membres d’un gang criminel au Guatemala en 2016. La Section de la protection des réfugiés [SPR] et la Section d’appel des réfugiés [SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada ont toutes deux rejeté la demande de M. Melgar au motif qu’il n’a pas rendu un témoignage crédible. M. Melgar sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la SAR. Il prétend que l’incompétence de son avocat devant la SAR a entraîné un manquement à l’équité procédurale et que les conclusions de la SAR quant à sa crédibilité sont déraisonnables.

[2] Je ne peux pas souscrire aux arguments de M. Melgar. Les allégations d’incompétence à l’encontre de son ancien avocat ne sont pas démontrées et M. Melgar n’a pas informé son ancien avocat de ces allégations, une étape nécessaire pour présenter ces arguments. Les conclusions de la SAR quant à la crédibilité sont clairement expliquées et justifiées par rapport au témoignage de M. Melgar et son Formulaire de demande d’asile [FDA]. M. Melgar ne s’est pas acquitté de son fardeau de démontrer que ces conclusions sont déraisonnables.

[3] La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

II. Question en litige et norme de contrôle

[4] La demande de contrôle judiciaire de M. Melgar soulève les deux questions en litige suivantes :

  1. Y’a-t-il eu un manquement à l’équité procédurale en raison de l’incompétence de son ancien avocat?

  2. Les conclusions de la SAR concernant sa crédibilité sont-elles raisonnables?

[5] La première question ne se conforme pas facilement à une analyse sous une norme de contrôle, en particulier puisque la SAR ne s’est pas penchée sur la question. Il incombe à cette Cour de déterminer s’il y a eu un manquement à l’équité procédurale devant la SAR en raison de l’incompétence de l’ancien avocat de M. Melgar: Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35. Toutefois, si une norme de contrôle s’applique, il s’agit de la norme de la décision correcte.

[6] La deuxième question est contrôlée selon la norme de la décision raisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16–17, 23–25; Acosta Rodriguez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1298 au para 5. En appliquant cette norme, la Cour n’entreprend pas sa propre analyse de la preuve pour en tirer ses propres conclusions, et ne modifie les conclusions factuelles de la SAR que dans des circonstances exceptionnelles : Vavilov aux para 83, 125–126. Elle décide seulement si la décision de la SAR est raisonnable, c’est-à-dire si elle est justifiée au regard des faits et que le décideur ne s’est pas fondamentalement mépris sur la preuve ou n’en a pas tenu compte : Vavilov au para 126.

III. Analyse

A. Équité procédurale

[7] M. Melgar a mandaté un avocat pour le représenter devant la SAR. Il prétend que cet avocat a fait preuve d’incompétence au point d’enfreindre l’équité procédurale. Il soulève deux arguments à cet effet : le fait qu’en 2022 cet avocat a fait l’objet d’une radiation de quatre mois du Barreau du Québec dans une affaire non liée à sa représentation de M. Melgar et le fait qu’il n’a pas contesté devant la SAR toutes les conclusions de la SPR quant à sa crédibilité.

[8] L’incompétence d’un ancien représentant peut entraîner un manquement à l’équité procédurale, mais seulement dans des « circonstances extraordinaires » qui satisfont à trois critères : (1) le représentant a eu une possibilité raisonnable de répondre à l’allégation; (2) les actes ou omissions du représentant relèvent de l’incompétence, indépendamment de l’avantage de l’analyse et de la sagesse rétrospectives (le volet examen du travail de l’avocat); et (3) le demandeur a subi un préjudice en conséquence, dans le sens qu’une « erreur judiciaire » a eu lieu, qui peut prendre plusieurs formes (le volet appréciation du préjudice) : R c GDB, 2000 CSC 22 aux para 26-29; Galyas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 250 au para 84; Guadron c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1092 aux para 11, 17; Zhou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1046 aux para 15–17; Brown c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2024 CF 105 au para 17; Lignes directrices consolidées pour les instances d’immigration, de statut de réfugié et de citoyenneté (24 juin 2002) aux para 46–63.

[9] Je conclus que M. Melgar ne s’est pas acquitté de son fardeau de démontrer que ces trois critères sont satisfaits.

[10] Tel que concédé par M. Melgar, aucune notification des allégations d’incompétence n’a été envoyée à son ancien représentant. Ceci n’est pas une simple formalité. Au contraire, la notification donne à cette Cour l’opportunité d’avoir tous les faits et arguments pertinents au sujet des allégations au lieu de n’avoir que la version du demandeur. Elle donne également au représentant une opportunité de répondre aux allégations sérieuses d’incompétence et soulève donc une question d’équité envers l’ancien représentant : Lignes directrices au para 48. Elle est donc décrite comme « condition préalable à l’examen de la question »: Brown au para 17.

[11] M. Melgar prétend qu’il ne ressort pas clairement des Lignes directrices de la Cour que l’obligation de notification s’applique à un représentant qui a été radié du Barreau. Je ne suis pas d’accord. Comme l’indique les Lignes directrices, le protocole de notification a pour but d’aider la Cour à statuer sur les demandes faisant l’objet d’allégations d’incompétence et de veiller à ce que la procédure soit équitable pour les parties concernées : Lignes directrices au para 48. Ce but s’applique également aux représentants qui n’ont plus, de façon temporaire ou permanente, de statut au sein de leur barreau ou ordre professionnel. La définition de « représentant autorisé » dans le protocole fait référence au « membre en règle » d’un barreau ou d’un ordre professionnel. Cependant, cela indique simplement que le protocole s’applique à tous ceux qui sont autorisés à représenter un demandeur dans une affaire d’immigration, de réfugié ou de citoyenneté. Elle ne peut pas être interprétée comme excluant d’anciens représentants simplement parce qu’ils ont perdu leur statut entre-temps.

[12] L’avocate de M. Melgar a aussi informé la Cour lors de l’audience que malheureusement, son ancien représentant est décédé dans l’intervalle. Sans vouloir tirer de conclusions générales sur l’obligation de notification dans le contexte d’un décès, la Cour n’a pas assez d’information au sujet du moment du décès de l’ancien avocat de M. Melgar pour conclure que l’obligation de notification devrait être ignorée en l’espèce.

[13] Bien que le non-respect de l’obligation de notification suffit pour rejeter ses arguments au sujet de l’incompétence de son ancien avocat, je note quand même que je ne suis pas satisfait que M. Melgar a établi que les prétendus manques de compétence soulevés atteignent un niveau d’incompétence réfutant « la forte présomption que la conduite de l’avocat se situe à l’intérieur du large éventail de l’assistance professionnelle raisonnable » : GDB au para 27. L’argument lié au fait que son ancien avocat n’aurait pas informé M. Melgar de sa sanction dans une affaire non liée à la sienne ne me semble pas être une allégation qui satisfait aux critères applicables, en particulier puisque la SAR a informé M. Melgar de la radiation de son ancien avocat et que M. Melgar n’a pris aucune mesure en conséquence. De plus, il est difficile de conclure que la décision de son ancien avocat de ne pas contester devant la SAR toutes les conclusions de la SPR quant à la crédibilité relève de l’incompétence. Évidemment, on ne peut connaitre l’explication de l’avocat qui pourrait justifier ce choix puisqu’il n’a pas été informé des allégations. Dans tous les cas, bien que son ancien avocat n’ait pas contesté toutes les conclusions de la SPR, la SAR les a tout de même toutes considérées.

[14] Les allégations de bris d’équité procédurale de M. Melgar sont donc rejetées.

B. Raisonnabilité

[15] La SAR a tiré des conclusions défavorables quant à la crédibilité de M. Melgar, fondées sur trois aspects de sa demande. Premièrement, lorsque M. Melgar a eu l’opportunité, lors de son audition devant la SPR en avril 2022, d’expliquer pourquoi il croyait toujours être à risque du gang six ans après les évènements de 2016 qui ont mené à sa fuite du Guatemala, il a évoqué en termes généraux le gang et leur désir de vengeance. Il n’a pas soulevé les multiples visites d’inconnus à sa recherche après son départ du Guatemala, décrites dans deux lettres de ses parents, datées respectivement des mois de juillet et décembre 2020. Quand il a été questionné sur cette lacune, il a affirmé avoir oublié ces évènements et avoir cru que les questions se rapportaient uniquement aux menaces qu’il avait personnellement vécues. La SAR, comme la SPR, n’a pas accepté cette explication, notant que la continuité des menaces contre M. Melgar était au cœur de sa demande d’asile. Elle note aussi la nature vague des lettres des parents quant aux prétendues visites et conclu que ces visites n’ont pas réellement eu lieu.

[16] Deuxièmement, la SAR n’a pas accepté les explications de M. Melgar quant à son défaut de présenter une demande d’asile aux États-Unis et la raison pour laquelle il a obtenu un visa pour les États-Unis quelques mois avant les évènements centraux liés au gang.

[17] Troisièmement, la SAR a adopté l’analyse de la SPR au sujet d’une incohérence importante entre le témoignage de M. Melgar et son formulaire FDA quant aux évènements impliquant le gang en 2016. Même si M. Melgar n’a pas contesté cette conclusion de la SPR dans le cadre de son appel, la SAR l’a considérée et l’a confirmée.

[18] M. Melgar soulève plusieurs arguments au sujet de ces conclusions liées à sa crédibilité. Il prétend que la SAR aurait dû accepter ses explications pour justifier les incohérences dans son témoignage, que le jugement de la SAR est sévère et qu’elle a tiré une conclusion sur la crédibilité de M. Melgar sur la base de ce que la preuve ne mentionne pas au lieu de ce qu’elle mentionne, citant Feng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 18 aux para 36–37 et Arachchilage c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 994 au para 36.

[19] Ayant considéré ces arguments, je conclus que M. Melgar n’a pas établi que la décision de la SAR est déraisonnable. La SAR n’a pas simplement tiré des conclusions sur la base de ce que la preuve ne mentionne pas, mais sur le fait que M. Melgar n’a pas témoigné de manière claire et crédible sur les questions centrales de sa demande d’asile, nommément les évènements de 2016 et l’intérêt continu présumé que le gang avait de le poursuivre. Ce n’est pas à cette Cour d’entreprendre sa propre analyse de la preuve pour tirer des conclusions plus ou moins « sévère » que celles de la SAR, mais simplement de considérer si la décision de la SAR est raisonnable. Les conclusions de la SAR sont transparentes, intelligibles et justifiées à l’égard des éléments de preuve devant elle; la décision et donc raisonnable : Vavilov aux para 15, 86, 99–100.

IV. Conclusion

[20] Vu que les conclusions de la SAR sont raisonnables quant à la crédibilité de M. Melgar et que ses arguments n’ont pas établi un bris d’équité procédurale, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[21] Les parties n’ont soulevé aucune question à certifier. Je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑10981‑22

LA COUR STATUE que

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Nicholas McHaffie »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-10981-22

 

INTITULÉ :

LUIS RODOLFO MELGAR MORALES c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 21 AoÛt 2024

 

JUGEMENT ET MOTIFS:

LE JUGE MCHAFFIE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 8 janvier 2025

 

COMPARUTIONS :

Me Stéphanie Valois

 

Pour LE DEMANDEUR

 

Me Jeanne Robert

Pour LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Stéphanie Valois

Montréal (Québec)

 

Pour lE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour lE DÉFENDEUR

 

 

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