Date : 20250107
Dossier : IMM-6984-23
Référence : 2025 CF 41
Ottawa (Ontario), le 7 janvier 2025
En présence de l'honorable monsieur le juge Lafrenière
ENTRE :
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MAHMOUD YACINE BENDALI BRAHAM |
partie demanderesse |
et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION |
partie défenderesse |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Aperçu
[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] confirmant la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] selon laquelle le demandeur n’a pas la qualité de réfugié ni de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].
[2] Le demandeur soutient que la décision de la SAR est déraisonnable, et il demande à la Cour d’accueillir la demande et d’annuler la décision.
[3] Après étude, audience et délibéré, je suis d'avis qu'il n'y a pas lieu d'intervenir. La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.
II. Contexte
[4] Le demandeur est citoyen d’Algérie. Il arrive au Canada en juillet 2018 avec certains membres de sa famille, soit ses parents, sa sœur et un de ses frères. Tous sont munis d’un visa de visiteur. Six mois plus tard, ils demandent l’asile.
[5] Bien qu’ils aient soumis individuellement des formulaires de Fondement de demande d’asile [FDA], un seul narratif est présenté. Seules des allégations de tensions entre la mère du demandeur et des promoteurs immobiliers, qui voulaient s’emparer du terrain familial et qui auraient proféré des menaces contre des membres de sa famille, sont déclarées.
[6] En vue d’une audience qui devait être tenue devant la SPR en juin 2021, mais qui n’a pas eu lieu, le demandeur présente un narratif amendé daté du 26 mai 2021. Le demandeur y déclare qu’en juillet 2018, il a obtenu une prolongation de sursis au service militaire du fait qu’il était aux études. La gendarmerie lui aurait mentionné que s’il faisait défaut de se présenter le lendemain de l’expiration de son sursis, il serait convoqué au tribunal militaire. Le demandeur indique qu’il ne veut pas faire son service militaire puisqu’un ami est décédé en service à la frontière entre l’Algérie et le Mali et il craint de subir le même sort.
[7] À la fin de 2021, la mère et les autres membres de la famille du demandeur retirent leurs demandes d’asile après avoir pu bénéficier de la politique d’intérêt public d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] visant à offrir une voie d’accès à la résidence permanente aux demandeurs d’asile ayant travaillé dans le secteur des soins de santé durant la pandémie de COVID-19. Le demandeur, ne pouvant bénéficier de cette politique, poursuit seul sa demande d’asile.
[8] Au début de l’audience devant la SPR tenue le 23 février 2022, le demandeur dépose une mise à jour de son narratif amendé pour ajouter, qu’en janvier 2020, une brigade de la gendarmerie se serait présentée à la maison familiale en Algérie et aurait dit à son frère aîné qu’un avis de recherche avait été émis à son encontre. Le demandeur dit craindre de retourner en Algérie pour deux motifs, soit des conséquences possibles quant à son refus de faire le service militaire obligatoire en Algérie et des représailles contre lui par les promoteurs immobiliers.
[9] Le 5 juillet 2022, la SPR conclut que le demandeur n'a pas été en mesure de démontrer son allégation selon laquelle il aurait été menacé depuis son arrivée au Canada dans le contexte du conflit financier opposant sa mère et les promoteurs immobiliers. La SPR note entre autres son omission à mentionner dans son FDA original et dans ses narratifs modifiés des menaces reçues au Canada en février 2020 ainsi que son incapacité à témoigner sur ces menaces. En ce qui concerne le service militaire, la SPR conclut que l’omission de déclarer cette crainte affectait la crédibilité du demandeur et que la preuve documentaire ne mentionnait pas l’application de sanction en raison du refus de faire le service militaire.
[10] Le demandeur dépose un appel à la SAR dans lequel il conteste les conclusions de la SPR.
[11] Le 15 mai 2023, la SAR confirme la décision de la SPR. À l’instar de la SPR, la SAR reproche au demandeur de ne pas avoir indiqué la crainte de persécution en raison de son refus de faire le service militaire. Elle estime que sa crédibilité est entachée par cette omission. La SAR convient avec la SPR que la preuve documentaire ne mentionne pas l’emprisonnement des insoumis en Algérie, les conséquences étant plutôt des difficultés administratives. Quant au risque aux mains des promoteurs immobiliers, la SAR estime que le fait que deux des frères du demandeur soient restés à la résidence familiale et que sa mère est retournée en Algérie à deux reprises est incohérent avec les allégations de menaces à la vie. De plus, la SAR conclut que la crédibilité du demandeur est entachée quant à ses allégations de menaces à la vie, et ce, considérant son délai à demander l’asile et à son défaut de s’éloigner de la résidence familiale alors qu’il aurait été menacé depuis juillet 2017, ainsi que l’objet de la plupart des menaces.
III. Analyse
[12] La seule question en litige dans le présent contrôle judiciaire est celle de savoir si la décision de la SAR confirmant la décision de la SPR et rejetant l’appel du demandeur est déraisonnable : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 23, 53 ; Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 [Mason] aux para 7, 39-44).
[13] La SAR a soulevé plusieurs préoccupations quant à la crédibilité du demandeur et il n’est pas nécessaire de les répéter dans la présente décision. Il suffit de donner quelques exemples pour illustrer le bien-fondé de sa décision.
[14] Le demandeur reproche à la SAR d’avoir tiré une inférence négative sur sa crédibilité parce que sa crainte reliée au service militaire n’avait pas été indiquée dans son FDA initial. Selon le demandeur, cette conclusion est déraisonnable puisqu’il ne s’agit pas d’une omission, l’information ayant été jointe au dossier avant le début de l’audience. Je ne suis pas d’accord.
[15] Le sursis au service militaire du demandeur expirait le 9 décembre 2018, soit avant que son FDA soit signé. Le demandeur était alors majeur. Or, cette crainte n’a été ajoutée qu’en mai 2021, alors qu’il était représenté par une avocate expérimentée. Il s’agissait effectivement d’un défaut de la part du demandeur de fournir des renseignements pertinents en temps opportun. En outre, ce n’est qu’en février 2022 que le demandeur a déclaré, dans une mise à jour, l’incident survenu en janvier 2020.
[16] Il est de droit constant que les omissions au FDA original peuvent être considérées, même si des modifications au narratif ou au FDA ont été déposées avant l’audience. La SAR a conclu que la crédibilité du demandeur est entachée par les omissions au FDA, soit son omission d’avoir déclaré en janvier 2019 sa crainte du service militaire, en mai 2021 la visite de la gendarmerie et qu’il fait l’objet d’un avis de recherche, ainsi que la raison pour laquelle il refuse de faire son service militaire découle du fait qu’il ne veut pas être complice de violation des droits humains.
[17] Je ne relève aucune erreur dans la conclusion de la SAR. Si le demandeur craignait un retour en Algérie en raison du service militaire obligatoire, il aurait dû le déclarer en temps opportun.
[18] Quant à la question de risques aux mains de promoteurs, la SAR a noté que la mère du demandeur est retournée en Algérie en novembre 2018 et y est restée plus d’un mois. De même, deux des frères du demandeur sont demeurés à la résidence familiale alors qu’ils seraient la cible de menaces de mort et un des frères continue à exploiter l’entreprise familiale au cœur du litige.
[19] Le demandeur allègue que la majorité des conclusions de la SAR portent sur le comportement des membres de sa famille et non sur son risque. Il n’attaque toutefois pas le bien‑fondé des conclusions de la SAR.
[20] La SAR a d’ailleurs clairement énoncé qu’il fallait faire preuve de prudence avant de tirer des conclusions défavorables sur la crédibilité sur la base de comportement de tiers, mais considérant que la principale cible des menaces était la mère du demandeur, il était pertinent d’analyser son comportement.
[21] Selon le demandeur, son risque serait établi par une déclaration signée par deux de ses amis témoins de « faits d’agressivité »
qui se sont déroulés par des personnes inconnues qui se présentent « chaque fois à des heures différentes comme si (le demandeur) est poursuivi, intimidation, menace, avec des fois des armes blanche »
en disant au demandeur que lui et sa famille « auront bien des surprises de leur part. »
[22] La SAR a pourtant conclu qu’un lien avec les inconnus qui y sont mentionnés et les promoteurs immobiliers ne pouvait être tiré de cette déclaration et que les actes dont les amis du demandeur auraient été témoins remontaient à 2017, ce qui ne pouvait démontrer un risque cinq ans plus tard. Le demandeur n’attaque pas le caractère raisonnable de cette conclusion.
[23] Je prends note également que le demandeur passe sous silence la conclusion de la SAR concernant sa déclaration à l’audience par la SPR, d’avoir reçu des menaces depuis son départ d’Algérie, donc depuis qu’il est au Canada. La SAR a conclu que les explications du demandeur quant aux raisons pour lesquelles il n’a pas déclaré ces menaces n’étaient pas satisfaisantes, étant donné qu’il avait pris le temps de présenter une mise à jour en mai 2021 et qu’il était représenté par une avocate expérimentée. Selon moi, il était loisible à la SAR d’estimer que la crédibilité du demandeur s’en trouve entachée en raison de ses allégations.
IV. Conclusion
[24] Je ne suis pas convaincu que la SAR a commis quelque erreur que ce soit lorsqu’elle a tiré ses conclusions. La décision est transparente, intelligible et bien étayée par les faits et le droit applicables. Par conséquent, la demande sera rejetée.
[25] Le présent dossier ne soulève aucune question grave de portée générale qui mérite d’être certifiée.
JUGEMENT dans le dossier IMM-6984-23
LA COUR STATUE que
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Il n’y a aucune question d’importance générale à certifier.
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Juge |
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-6984-23 |
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INTITULÉ :
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MAHMOUD YACINE BENDALI BRAHAM c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION |
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LIEU DE L’AUDIENCE : |
PAR VIDÉOCONFÉRENCE |
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DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 11 septembre 2024 |
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JUGEMENT ET MOTIFS : |
LE JUGE LAFRENIÈRE |
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DATE DES MOTIFS : |
LE 7 JANVIER 2025
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COMPARUTIONS :
Me Stéphanie Valois Me Julia Green |
Pour la partie demanderesse |
Me Patricia Nobl |
Pour la partie défenderesse |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Me Stéphanie Valois Avocate Montréal (Québec) |
Pour la partie demanderesse |
Procureure générale du Canada Montréal (Québec) |
Pour la partie défenderesse |