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Date : 20051012

Dossier : T-386-04

Référence : 2005 CF 1384

Ottawa (Ontario), le 12 octobre 2005

EN PRÉSENCE DE L'HONORABLE JUGE JOHANNE GAUTHIER

ENTRE :

MICHEL BEAUREGARD

demandeur

et

POSTES CANADA

et

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

défenderesses

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]    Monsieur Beauregard demande à la Cour d'annuler la décision du Tribunal canadien des droits de la personne rejetant sa plainte à l'encontre de son employeur, Postes Canada, parce qu'il n'a pas établi l'existence d'une déficience, un élément essentiel de sa plainte fondée sur une discrimination illicite (article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. 1985 c. H-6 (la Loi).


CONTEXTE

[2]    Comme il s'agit d'un contrôle judiciaire de la décision du Tribunal et non pas d'un appel, il n'est pas opportun de relater tous les faits qui sont décrits dans la décision du Tribunal.

[3]    Il est suffisant de résumer la situation généralement comme suit :

[4]    Monsieur Beauregard a commencé à travailler chez Postes Canada en 1993 où il a occupé différents postes dont ceux de chauffeur, de facteur et de commis. En août 1997, il est affecté au quart de travail du soir dans la section mécanisée de l'établissement de traitement de lettres (ETL).

[5]    Du 7 septembre 1997 au 14 septembre 1998, il est affecté temporairement à l'équipe de relève de jour de l'établissement de traitement en vrac (ETV). À cette date, Postes Canada lui demande de retourner à son ancien poste à l'établissement ETL à Saint-Laurent. Dans les faits, il n'y retourne pas puisqu'il s'absente en raison de maladie. Il retourne au travail quelques heures le 7 octobre 1998 puis s'absente à nouveau toujours parce qu'il est malade.


[6]     Le 6 octobre 1998, monsieur Beauregard consulte le docteur Payne en raison d'un problème de sinus mais également, selon lui, à cause d'un manque de sommeil, d'appétit et en raison de stress. Le docteur Payne lui remet une attestation médicale qu'il présente à son employeur le 7 octobre 1998. On lui demande alors de remplir la documentation pertinente pour ouvrir un dossier de réclamation auprès de la Commission de la santé et de la sécurité du travail du Québec (CSST).

[7]    Du 13 au 28 octobre 1998, Postes Canada tente de rejoindre le demandeur par lettres et par téléphone afin d'obtenir plus d'information concernant sa condition pour les fins de la CSST. On lui demande aussi de rencontrer le docteur Guérin pour une expertise médicale. Pour diverses raisons qui sont relatées dans la décision, les choses traînent et monsieur Beauregard manque un premier rendez-vous avec le docteur Guérin.

[8]    Quoiqu'il en soit, il se présente le 3 novembre 1998 chez Postes Canada pour remplir le document de la CSST. Le 6 novembre 1998, il rencontre le docteur Guérin.

[9]    Selon ce médecin, le demandeur refuse de collaborer et de répondre à ses questions et il doit mettre fin à l'entrevue. Devant le Tribunal, le docteur Guérin témoigne que la seule chose que le demandeur lui a clairement dit, c'est qu'il ne pouvait pas travailler sur les « plans mécanisés » .


[10]                        Le 12 novembre 1998, Postes Canada impose une suspension au demandeur en raison de son attitude lors de l'expertise médicale. Puis, lors d'une rencontre le 16 novembre, Postes Canada informe monsieur Beauregard qu'on n'est toujours pas en mesure de savoir ce qu'il veut exactement en termes de redéploiement et quelles sont ses limitations fonctionnelles. Le demandeur mentionne qu'il doit revoir son médecin le 19 novembre et que ceci devrait apporter un nouvel éclairage sur la situation[1].

[11]                        Le 18 novembre, monsieur Beauregard rencontre le docteur Luc Morin, un psychiatre auquel l'a référé le docteur Payne. Celui-ci conclut que le demandeur n'est pas apte à travailler sur un plan mécanisé. Le 20 novembre, monsieur Beauregard fait donc parvenir une demande de redéploiement spécifiant qu'il est atteint d'une incapacité physique en raison d'un problème de santé et que sa demande s'appuie sur un certificat médical émis par le docteur Payne.

[12]                        Le 25 novembre 1998, une nouvelle rencontre est fixée pour discuter de redéploiement. Postes Canada offre une mutation à Matane dans un poste de commis plein temps. Monsieur Beauregard refuse cette offre[2].


[13]                        En décembre 1998, Postes Canada demande que les docteurs Guérin et Payne se rencontrent afin d'échanger sur le cas de monsieur Beauregard. Les parties ne peuvent s'entendre à cet égard et le 9 décembre, Postes Canada somme le demandeur de revenir au travail. Le 16 décembre 1998, vu l'absence de monsieur Beauregard, Postes Canada le congédie à compter du 17 décembre 1998.

[14]                        Dans une décision très détaillée d'une soixantaine de pages, le Tribunal analyse toute la preuve faite devant lui[3], y inclus une importante preuve médicale qui comprend non seulement le témoignage des docteurs Payne et Guérin (qualifié d'expert par Postes Canada) mais aussi celui des docteurs Jacques Gagnon (qualifié d'expert par Postes Canada), Gérard Cournoyer et André Gamache (présentés par la Commission des droits de la personne et le demandeur).

[15]                        Le docteur Morin n'a pas témoigné et seule une note préparée par lui suite à une rencontre d'à peu près 45 minutes a été déposée.

[16]                        Le docteur Berthiaume, qui occupe un poste de gestion à Postes Canada et traite particulièrement des demandes faites à la CSST, a aussi témoigné.


[17]                        Après avoir résumé la preuve, le Tribunal conclut au paragraphe 222 de sa décision qu'à l'automne 1998, « il n'y avait aucune preuve que le plaignant avait des symptômes d'un trouble d'adaptation avec humeur anxio-dépressive ou autre symptomatologie psychiatrique et donc qu'il n'y avait pas de déficience au sens de la Loi » .

[18]                        Le Tribunal conclut que de plus il n'y a pas de preuve que l'agent stresseur allégué (un élément décrit comme essentiel par les médecins) existait (paragraphes 223 à 233).

[19]                        Le Tribunal termine en disant qu'il est convaincu que monsieur Beauregard était malheureux dans son travail qu'il trouvait déshonorant et que le « plan » était pour lui une source de frustration et d'insatisfaction sur le plan professionnel. Toutefois, il spécifie que cela ne justifie aucunement une conclusion qu'il existait une déficience au sens de la Loi. Il rejette donc la plainte.

QUESTIONS EN LITIGE

[20]                        Disons d'abord que dans son avis de demande, monsieur Beauregard avait indiqué que la Commission n'avait pas respecté son mandat de le défendre en ne qualifiant pas comme témoin expert, le docteur Gamache et le docteur Cournoyer et en ne l'avisant pas du retrait d'une offre de règlement.


[21]                        La Commission avait obtenu la permission d'intervenir sur ces questions.

[22]                        Toutefois, à l'audience après que la Cour l'eut informé que dans le cadre de ce contrôle judiciaire, elle n'était pas habilitée à considérer des questions de responsabilité d'un tiers comme la Commission, le demandeur a confirmé qu'il retirait toutes allégations à cet égard. Il a d'ailleurs indiqué qu'il n'avait pas repris ses éléments dans son mémoire de faits et de droit. La Commission n'a donc pas été entendue.

[23]                        Dans son mémoire d'une page, monsieur Beauregard dit simplement que le Tribunal a ignoré le témoignage du docteur Berthiaume et que cela constitue un vice fatal qui justifie l'annulation de la décision.

[24]                        À l'audience, se fondant sur d'autres éléments soulevés dans son avis de demande de contrôle judiciaire, monsieur Beauregard a argué que le Tribunal avait aussi erré dans son appréciation de la preuve médicale en ignorant :

i)          le fait que le docteur Berthiaume avait avoué avoir modifié des notes à son                                             dossier, ce qui est interdit par le Collège des médecins;

ii)         que le docteur Guérin avait fait son expertise en 15 minutes, ce qui est                                       contraire à la norme du Collège des médecins;


iii)         que le docteur Gamache a oublié d'inscrire dans son rapport médical qu'il                                             avait une chance de rechute de 50 plus 1 pour cent.

[25]                        Le Tribunal aurait aussi erré en accordant de la crédibilité au docteur Gagnon même si selon le demandeur, ce médecin a clairement voulu colorer son dossier en laissant croire un problème de trouble de personnalité alors qu'en fait, il s'agissait d'un simple trait de personnalité.

[26]                        Finalement, monsieur Beauregard a soumis un nouvel argument à l'effet que le Tribunal avait erré en ne considérant pas dans son évaluation de la crédibilité, l'article 85 du Code de déontologie des médecins (2002 G.O.2.7354), qui prévoit qu'un médecin doit s'abstenir de délivrer à quiconque un certificat de complaisance ou des informations écrites ou verbales qu'il sait erronées.

[27]                        Le demandeur a reconnu que même si le Code de déontologie avait été inclus dans le cahier de jurisprudence et législation de la Commission, personne n'avait soulevé cet argument devant le Tribunal. Cet élément n'avait pas fait non plus l'objet de discussion lors des témoignages ou des contre-interrogatoires. Il n'y avait donc aucune preuve supportant l'allégation que le Tribunal aurait dû considérer cet article ou l'impact d'un manquement au Code de déontologie dans son évaluation de la preuve.


[28]                        Tel qu'indiqué à l'audience, la Cour ne peut donc considérer ce nouvel argument.

ANALYSE

[29]                        Dans Quigley c. Ocean Construction Supplies Ltd., Marine Division, [2004] A.C.F. no 786 (1ère inst.) (QL), le juge Gibson procède aux paragraphes 34 à 46, à une analyse pragmatique et fonctionnelle pour déterminer la norme de contrôle applicable aux décisions du Tribunal. Il conclut que la norme de la décision manifestement déraisonnable s'applique à l'appréciation des faits ce qui inclut l'évaluation de la crédibilité et de la valeur probante d'un témoignage fait devant lui. Cette norme est celle que le juge Gibson avait aussi appliqué dans International Longshore et Warehouse Union (Section locale 400) c. Hoster, (2002) 2 C.F. 430 (1ère inst.) au paragraphe 22.

[30]                        Je suis d'accord avec l'analyse de mon collègue et j'adopterai cette norme qui s'applique essentiellement à toutes les questions soulevées par monsieur Beauregard.

[31]                        Pour ce qui est du témoignage du docteur Berthiaume, il est évident que le Tribunal ne lui a pas accordé de poids spécifique et qu'il n'en discute aucunement dans l'évaluation de la preuve médicale. Ce faisant, il n'a commis, selon la Cour, aucune erreur puisque ce médecin ne s'est pas penché, lors de son témoignage que la Cour a lu intégralement, sur la condition médicale de monsieur Beauregard.


[32]                        De plus, même s'il est vrai que les notes du docteur Berthiaume, soit les pièces C-37 et C-38 déposées devant le Tribunal par Me Harrington, comportent des différences, rien n'indique qu'il y a eu falsification. Bien au contraire, ces pièces ont été déposées et volontairement divulguées par Postes Canada. Ces notes n'étaient aucunement pertinentes à la décision du Tribunal quant à l'existence ou non d'une déficience. Donc, même s'il y avait eu erreur sur cette question, celle-ci n'aurait aucunement justifié une intervention de la Cour.

[33]                        Pour ce qui est des vices soulevés par monsieur Beauregard dans l'évaluation du témoignage du docteur Guérin, la Cour note qu'au paragraphe 105 de la décision, le Tribunal précise que l'entrevue avec ce médecin n'a pas duré plus de 15 à 20 minutes et il indique au paragraphe 117 que le docteur Guérin a conclu que ce bref examen ne lui a pas permis d'arriver à un diagnostic psychiatrique. La Cour est satisfaite que le Tribunal n'a pas ignoré la preuve et a considéré la durée de l'entrevue dans son évaluation.


[34]                        Quant au témoignage du docteur Gagnon, le Tribunal note au paragraphe 183 que lors de son examen, celui-ci n'a détecté aucun trouble majeur de personnalité mais qu'il a constaté certains éléments au niveau de la personnalité du plaignant tels que froideur, rigidité de pensée, méfiance. Il note ensuite au paragraphe 186 que le témoin a utilisé l'expression « probablement » lorsqu'il a dit que le demandeur avait un problème de personnalité parce qu'il n'avait pas tous les éléments en main pour se prononcer. Le décideur souligne : « par problème de personnalité, il dit se référer à un conflit qui n'est pas encore réglé. Il indique cependant qu'il ne parlait pas d'un diagnostic de trouble de la personnalité lorsqu'il parle d'un problème de personnalité » .

[35]                        Finalement, au paragraphe 18, le Tribunal spécifie que le docteur Gagnon conclut que bien qu'il se peut que monsieur Beauregard éprouve de petits troubles d'ajustement, ces troubles ne sont pas une maladie.

[36]                        La Cour est satisfaite que le Tribunal n'a commis aucune erreur révisable dans son appréciation du témoignage de ce témoin sur cette question.

[37]                        Finalement, après avoir révisé la transcription du témoignage du docteur Gamache, il est vrai que celui-ci a indiqué suite à une question du président du Tribunal, qu'il y avait une chance de rechute de 50 plus 1 pour cent. Toutefois, on ne lui a jamais demandé et il n'a jamais admis qu'un tel détail aurait dû être inscrit dans son rapport.

[38]                        Au paragraphe 136 de la décision, le Tribunal réfère spécifiquement à la possibilité de rechute mentionnée par le docteur Gamache. La Cour est satisfaite que le Tribunal n'a pas ignoré de preuve à cet égard.


[39]                        Dans sa réplique, monsieur Beauregard a reconnu qu'on pouvait qualifier toutes les autres erreurs qu'il avait mises de l'avant dans son avis de demande de contrôle judiciaire de "contestation de la valeur probante accordée à certains témoignages par le Tribunal".

[40]                        La Cour a examiné très attentivement toutes et chacune des pièces déposées par le demandeur et elle n'est pas convaincue que la décision soit déraisonnable. Elle n'est certainement pas manifestement déraisonnable.

[41]                        Comme je l'ai expliqué à l'audience, la Cour ne peut substituer sa propre évaluation des témoignages à celle du Tribunal. La norme de contrôle applicable impose un lourd fardeau que monsieur Beauregard n'a pu rencontrer.

[42]                        Dans les circonstances, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[43]                        Postes Canada a demandé à la Cour de lui accorder ses dépens. La défenderesse a soumis une ébauche de mémoire de frais totalisant 2 831,18 $. Après avoir considéré l'ensemble des circonstances et exerçant ma discrétion en vertu du paragraphe 400 des Règles des Cours fédérales, la Cour fixe les dépens à une somme globale totale de 950 $ (y inclus les débours).


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

1. La demande de contrôle judiciaire soit rejetée avec dépens.

2. Les dépens de la défenderesse sont fixés à une somme globale de 950 $.

« Johanne Gauthier »

Juge

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        T-386-04

INTITULÉ:                                        

MICHEL BEAUREGARD

-et-

POSTES CANADA

-et-

COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE

LIEU DE L'AUDIENCE :                 Montréal, Québec


DATE DE L'AUDIENCE :               15 juin 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LA JUGE GAUTHIER

DATE DES MOTIFS :                      12 octobre 2005

COMPARUTIONS:

Michel Beauregard                                                    POUR DEMANDEUR(ERESSE)(S)

6080, rue Goncourt

Anjou (Québec) H1K 3X4

Marc Santerre                                                                        POUR DÉFENDEUR(ERESSE)(S)

Philippe Dufresne

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Aucun                                                                          POUR DEMANDEUR(ERESSE)(S)

Jodoin Santerre                                                         POUR DÉFENDEUR(ERESSE)(S)

Bureau 352

1000, rue de la Gauchetière Ouest

Montréal (Québec) H3B 5B7

Commission canadienne des droits de la personne

Édifice Canada

344, rue Slater, 9e étage

Ottawa (Ontario) K1A 1E1



[1] Dans les faits, après le 6 octobre 1998, le demandeur a rencontré son médecin généraliste, le docteur Payne le 13 et le 20 octobre de même que le 3 et le 19 novembre. Celui-ci conclut que le demandeur est dans un état dépressif situationnel.

[2] Il appert de la décision que monsieur Beauregard faisait de très nombreuses demandes de mutation dans le passé. Toutefois, toutes les demandes mises en preuve devant le Tribunal autres que celle du 20 novembre, sont datées du 16 mai 1997, soit plus d'un an avant la rencontre du 25 novembre 1998. Le Tribunal n'est pas appelé à traiter directement de la demande de mutation du 20 novembre. D'ailleurs il indique que celle-ci a fait l'objet d'un grief.

[3] Il est important de noter que le Tribunal fait des observations générales sur la crédibilitéde monsieur Beauregard à titre de témoin. Il indique au paragraphe 114 de sa décision que sans mettre en doute son honnêteté à d'autres égards, monsieur Beauregard ne lui est pas apparu à l'audience comme un témoin crédible. Il donne plusieurs exemples pour appuyer sa conclusion.

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