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Date : 20060330

Dossier : IMM-4312-05

Référence : 2006 CF 416

Ottawa (Ontario), le 30 mars 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

 

ENTRE :

NAM TCHOUGLI TOLIGARA NAZAIRE

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

 

 

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 72 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) et visant la décision du 23 juin 2005, par laquelle Mme Jacqueline Schoepfer, agente d'examen des risques avant renvoi (l'agente d’ERAR), a conclu que M. Nam Tchougli Toligara Nazaire (le demandeur) n'était pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi.

 

LES FAITS PERTINENTS

[2]               Le demandeur est un citoyen du Togo qui est marié et père de quatre enfants. Toute sa famille réside au Togo.

 

[3]               Le demandeur allègue qu’il exerçait la fonction d’animateur rural dans une organisation appelée Jeunesse agricole rurale et catholique (JARC) dans son diocèse de Dapaong, au nord du Togo. En octobre 1997, il aurait été élu comme administrateur délégué du Mouvement international de cette organisation (MIJARC), dont le siège social est à Bruxelles, en Belgique.

 

[4]               Le demandeur allègue être un sympathisant du Parti de l’Union des Forces du Changement (UFC) et il en serait devenu membre en 1999. Le 13 janvier 2001, le demandeur allègue avoir voulu, avec d’autres membres de l’UFC, organiser une manifestation. Toutefois, le préfet de Dapaong l’a interdit. Deux jours plus tard, des gendarmes seraient venus perquisitionner le domicile du demandeur en son absence. Le 18 janvier, ils seraient revenus et auraient prévenu son épouse qu’il devait se présenter à la gendarmerie. Craignant pour sa sécurité, le demandeur passe la frontière du Bénin. Il a appris par la suite, que son épouse aurait été détenue pendant deux jours à la gendarmerie. À sa libération, elle serait partie avec les enfants vers un endroit inconnu.

 

[5]               Du Bénin, le demandeur a pris l’avion pour la Belgique et il est arrivé le 5 février 2001 au Canada, où il a revendiqué le statut de réfugié. Il était muni de son passeport avec un visa canadien émis le 15 septembre 2000 et valide jusqu’au 14 mars 2001.

 

[6]               Le 18 février 2002, la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu qu’il n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention. Le 4 mars 2002, le demandeur soumettait une demande de risque de retour (DNRSRC) qui n’a pas été analysée. Le 16 décembre 2004, l’Agence des services frontaliers du Canada l’a averti que sa demande était transférée automatiquement au nouveau programme ERAR, entré en vigueur avec la nouvelle Loi, le 28 juin 2002.

 

[7]               Le 4 avril 2005, une décision négative sur sa demande ERAR a été rendue. Sa demande d’exemption de visa d’immigrant pour motifs humanitaires a également été refusée.

 

[8]               Le demandeur a fait une deuxième demande pour la protection du Canada, sur la base de ses opinions politiques, le 24 mai 2005.

 

[9]               Au début de l’audience, la Cour a constaté l’absence du demandeur qui se représentait seul.

 

[10]           Cependant, les vérifications au dossier ont permis de constater que le demandeur a déménagé de Montréal à Toronto et que les procédures lui ont été communiquées à sa nouvelle adresse.

 

[11]           Vu l’absence du demandeur, la Cour a entendu la procureure du défendeur et se réfère aux arguments écrits du demandeur.

 

QUESTIONS EN LITIGE

 

  1. Est-ce qu’il y a eu une atteinte aux principes de justice naturelle en raison d’un manque d’impartialité parce que l’agente saisie de la première demande d’ERAR était aussi saisie de la deuxième?

 

  1. Est-ce que l’agente a erré en concluant que le demandeur n’était pas crédible?

 

ANALYSE

1.    Est-ce qu’il y a eu une atteinte aux principes de justice naturelle en raison d’un manque d’impartialité parce que l’agente saisie de la première demande d’ERAR était aussi saisie de la deuxième?

 

[12]           Le défendeur a soulevé le fait que le demandeur a présenté des éléments de preuve sur la situation au Togo qui n’ont pas été présentés à l’agente. Ces éléments de preuve se retrouvent aux pages 34 à 56 du dossier du demandeur.

 

[13]           Les éléments de preuve non soumis à l'agent d'ERAR ne peuvent être pris en compte dans le cadre du présent contrôle judiciaire (Naredo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 742; Owusu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 1505). Réviser une décision en se fondant sur de nouveaux éléments de preuve transformerait le contrôle judiciaire en un appel. Par conséquent, la Cour ne prendra pas en compte les éléments de preuve qui se retrouvent aux pages 34 à 56 du dossier du demandeur.

 

[14]           Le demandeur prétend qu’en l’espèce, le fait que l’agente saisie de la première demande d’ERAR était aussi saisie de la deuxième est une atteinte aux principes de justice naturelle en raison d’un manque d’impartialité.

 

[15]           Dans l’arrêt Ahani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1114, la Cour d’appel s’est prononcée sur la possibilité d’impartialité lorsqu’une personne est appelée à décider à deux reprises :

L'impartialité du juge de première instance est contestée devant la Cour, mais je suis d'avis que les arguments soulevés ne sont pas fondés.  Le seul fait que le juge de première instance ait auparavant rendu une décision relativement à l'appelant n'a pas compromis sa capacité d'être impartial.  Dans l'arrêt Arthur c. Canada, [1993] 1 C.F. 94, le juge MacGuigan, de notre Cour, a dit à la page 102 :

Lorsque la personne appelée à décider deux fois est un juge, le principe ne semble pas poser beaucoup de difficultés.

Le juge s'est fondé sur la jurisprudence de la Cour portant sur cette question.  (Nord-Deutsche Versicherungs Gesellschaft v. The Queen, [para1968] 1 R.C. de l'É. 443, à la page 457, les motifs du président Jackett; voir aussi Mullan, Administrative Law, 1 C.E.D. (3d) s. 54, à la page 3-130).  À la page 105, le juge MacGuigan a dit :

L'énoncé le plus juste de la règle de droit paraîtrait donc être le suivant :  le seul fait qu'une seconde audience soit tenue devant le même arbitre, sans plus, ne suscite pas de crainte raisonnable de partialité; toutefois, d'autres facteurs qui témoignent d'un parti pris de l'arbitre à l'égard de la question à résoudre à la seconde audience pourront susciter une telle crainte. Évidemment, le rapport entre les deux questions sur lesquelles portent les deux audiences sera un facteur important à considérer, tout comme le caractère définitif de la seconde décision.  Si, par exemple, les deux décisions sont de nature interlocutoire, comme deux décisions relatives à la garde (comme dans l'affaire Rosario), il sera peut-être indifférent que la question en litige soit la même; cependant, lorsque la seconde question revêt un caractère définitif quant au droit d'un demandeur de demeurer au pays, il faudra peut-être qu'il y ait une différence plus importante entre les questions sur lesquelles le tribunal doit se prononcer dans les deux cas pour éviter une crainte raisonnable de partialité.

 

[16]           En principe, l’agente saisie de la première demande d’ERAR pouvait être saisie de la deuxième, mais il y a des règles à suivre pour que l’agente ne porte atteinte aux principes de justice naturelle et d’impartialité. Dans l’arrêt Bhallu c. Canada (Solliciteur général), 2004 CF 1324, [2004] A.C.F. no. 1623, le juge Yvon Pinard s’est prononcé sur les critères pour avoir gain de cause quant à une allégation de crainte raisonnable de partialité :

Pour avoir gain de cause quant à une allégation de crainte raisonnable de partialité dans le traitement de sa demande, le demandeur doit démontrer qu'une personne informée qui verrait l'affaire d'une façon réaliste et pratique et qui prendrait le temps de réfléchir conclurait qu'il est probable que le décideur n'a pas pris sa décision en toute équité (Committee for Justice and Liberty et al. c. L'Office national de l'énergie et al., [1978] 1 R.C.S. 369). En l'absence d'une preuve contraire, il faut présumer qu'un décideur agit équitablement. Pour combattre cette présomption, le demandeur doit présenter plus que de vagues allégations de partialité, ce qu'il n'a pas fait en l'espèce. Le demandeur admet que le fait que la même agente ait traité ses deux dossiers ne suffit pas pour engendrer une crainte raisonnable de partialité. Par ailleurs, je ne crois pas que le fait que les deux décisions aient été prises le même jour les invalide. Les motifs de l'agente ne laissent rien au hasard. Elle a pris en considération toute la preuve présentée et elle arrive à une conclusion raisonnable dans les deux cas.

 

[17]           Le défendeur prétend que l’agente est incapable de rendre une décision juste parce qu’elle s’est vue sanctionnée sa première décision par la Cour fédérale. Après la décision négative sur la première demande ERAR, le demandeur a essayé par une requête en suspension des procédures de faire valoir des faits nouveaux justifiant l’octroi de la protection. Ceci est contraire au droit applicable et le juge Simon Noël avait mentionné au demandeur qu’il « devra déposer une nouvelle demande de contrôle judiciaire advenant une décision négative de la deuxième demande d’ERAR » (voir la décision de la Cour fédérale dans le dossier IMM-2693-05, à la page 77 du dossier du Tribunal). Le demandeur prétend que cette décision du juge Noël sanctionnait la première décision de l’agente. Je ne suis pas d’accord, le juge Noël voulait tout simplement diriger le demandeur vers le bon recours et ne voulait pas sanctionner l’agente.

 

[18]           En l’espèce, le demandeur n’a pas réussi à démontrer qu'une personne informée qui verrait l'affaire d'une façon réaliste et pratique et qui prendrait le temps de réfléchir, conclurait qu'il est probable que le décideur n'a pas pris sa décision en toute équité. Je conclus que le demandeur n’a pas réussi à démontrer que le décideur démontrait un manque d’objectivité et d’impartialité.

 

2. Est-ce que l’agente a erré en concluant que le demandeur n’était pas crédible?

 

[19]           Dans l’arrêt Figurado c. Canada (Solliciteur général) 2005 CF 347, [2005] A.C.F. no 458, le juge Luc J. Martineau mentionne la façon dont le processus d’ERAR devrait être caractérisé :

Il faut souligner que le processus ERAR n'est pas un appel contre la décision de la Commission; il s'agit plutôt d'une évaluation fondée sur des faits nouveaux ou une nouvelle preuve qui révèlent que la personne en cause est exposée au risque d'être persécutée, d'être soumise à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de peines ou traitements cruels et inusités. Bref, la demande ERAR n'a pas pour objet un nouvel examen des faits qui avaient été soumis à la Commission ou de faire indirectement ce qui ne peut être fait directement, à savoir contester les conclusions de la Commission. La Cour note, à cet égard, que conformément à l'alinéa 113a) de la LIPR, une "nouvelle preuve" est constituée [page423] d'éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n'étaient alors pas normalement accessibles ou, s'ils l'étaient, qu'il n'était pas raisonnable, dans les circonstances, de s'attendre à ce que le demandeur d'asile les ait présentés au moment du rejet".

 

[20]           Le demandeur prétend qu’il éprouve une crainte fondée de retour au Togo étant donné la pratique utilisée par le gouvernement pour commettre les assassinats des partisans des partis d’opposition. Toutefois, parce que sa crainte est basée sur le fait qu’il est un activiste politique, le demandeur devait démontrer, par une nouvelle preuve, qu’il était bel et bien un activiste politique.

 

[21]           L'agente a relevé plusieurs incohérences qui ont semé un doute concernant la crédibilité du récit du demandeur. Le demandeur avait soumis des photos du saccage de sa maison sur lesquelles il appuyait ses observations, cependant, durant l’audience, il s’est contredit sur le lieu du saccage. De plus, le comportement de sa femme, qui a changé de quartier mais pas de village et qui demeure toujours au même endroit, démontrait plutôt qu’elle n’était pas constamment harcelée, comme le prétendait le demandeur. Le frère du demandeur serait décédé au cours des événements reliés au saccage. Cependant, la photo des funérailles, présentée par le demandeur n’établit rien d’autre que la tenue d’une telle cérémonie et ne donne aucune indication sur l’identité du défunt.  L’agente ne disposait d’aucun élément crédible lui permettant de conclure que le demandeur était un activiste politique.

 

[22]           Dans l’arrêt Bilquess c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) 2004 CF 157, [2004] A.C.F. no 205, au paragraphe 7, le juge Pinard discute la norme de contrôle judiciaire par rapport à des questions de crédibilité :

L'agent ERAR a conclu, comme le Tribunal avant elle, que les demandeurs n'étaient pas crédibles. L'évaluation de la crédibilité est une question de fait et il n'appartient pas à cette Cour de se substituer à la décision de l'agent ERAR à moins que le demandeur puisse démontrer que sa décision est fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments à sa disposition (voir l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7). L'agent ERAR possède une connaissance spécialisée et a le pouvoir d'apprécier la preuve dans la mesure où ses inférences ne sont pas déraisonnables (Aguebor c. Canada (M.E.I.) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.)) et ses motifs sont énoncés de façon claire et compréhensible (Hilo c. Canada (M.E.I.) (1991), 15 Imm.L.R. (2d) 199 (C.A.F.)).

 

[23]           Le fait que l’agente ait conclu que le demandeur n’était pas un activiste politique, élément qui se situe au cœur de sa demande d’asile, n’est pas une décision manifestement déraisonnable. Le demandeur n’a pas réussi à démontrer que la décision de l’agente est fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire.

 

[24]           Même s’il n’existe aucune preuve objective de risque de persécution reliée à sa situation personnelle, le demandeur prétend que les conditions au Togo sont tellement désagréables que c’est raisonnable pour lui d’avoir une crainte de risque de persécution s’il est renvoyé.

 

[25]           Le demandeur ne peut pas se baser sur la détérioration de la situation dans son pays à moins de pouvoir relier la preuve objective à sa situation personnelle. Dans l’arrêt Al-Shammari c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2002), 23 Imm. L.R. (3d) 66, par. 24, le juge Edmond P. Blanchard précise :

La jurisprudence de cette Cour est abondante, un revendicateur doit établir un lien crédible entre sa revendication et la situation objective régnant dans un état pour être reconnu un réfugié au sens de la Convention [Canada (Secrétaire d'État) c. Jules, (1994), 84 F.T.R. 161]. Donc, il ne suffit pas pour un demandeur de déposer de la preuve faisant état de problèmes vécus par certains de ses concitoyens. Il faut également qu'il établisse un lien entre sa revendication et la situation objective dans son pays.

 

[26]           Même si la situation dans un pays donné peut être particulièrement pénible, surtout au chapitre des droits de la personne ou de la sécurité en général, encore faut-il que la situation personnelle du demandeur soit telle qu'il puisse craindre de façon objective qu’il risque d’être persécuté, torturé, ou menacé.

 

[27]           Dans la situation présente, le demandeur n’a pas réussi à me convaincre que la décision attaquée doive être renversée.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ORDONNANCE

 

            LA COUR ORDONNE que

 

  1. La demande de contrôle judiciaire soit rejetée;
  2. Aucune question ne sera certifiée.

 

 

 

«Pierre Blais»

Juge

 

 

 

 

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4312-05

 

INTITULÉ :                                      NAM TCHOUGLI TOLIGARA NAZAIRE c.

 LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ DE     

 L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal

 

DATE DE L’AUDIENCE :               21 mars 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE:   LE JUGE BLAIS

 

DATE DES MOTIFS :                      30 mars 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Sans comparution

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Patricia Deslauriers

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Nam Tchougli Toligara Nazaire – Montréal – pour lui-même

 

POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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