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Date : 20060327

Dossier : T-697-02

Référence : 2006 CF 386

Ottawa (Ontario), le 27 mars 2006

En présence de monsieur le juge de Montigny

ENTRE :

OSMOSE-PENTOX INC.

demanderesse

et

SOCIÉTÉ LAURENTIDE INC.

défenderesse

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                La demanderesse a déposé une requête en cette Cour visant à en appeler d'une ordonnance rendue par le protonotaire Richard Morneau le 14 décembre 2005, comme l'y autorise la Règle 51 des Règles de la Cour fédérale, 1998. Dans sa décision, le protonotaire avait rejeté la requête en confidentialité de la demanderesse, rendant ainsi accessibles (lorsque son ordonnance deviendrait finale) les dossiers de requête de la demanderesse du 29 août 2005 et du 11 octobre 2005. Il ordonnait également, du même souffle, la scission de l'instance de façon à ce que les questions de responsabilité soient tranchées dans un premier temps, la question des redressements devant être abordée dans une instance séparée ultérieurement. Enfin, il condamnait la partie demanderesse aux dépens, pour un montant de 3 500 $.

HISTORIQUE DES PROCÉDURES

[2]                Le présent litige a pris naissance lorsque la demanderesse a fait signifier à la défenderesse, le 7 mai 2002, une action dans laquelle elle réclamait une injonction permanente ainsi que des dommages ou les profits effectués par la défenderesse en raison de l'utilisation illégale qu'elle aurait faite de la marque de commerce enregistrée « Conservator » . Depuis lors, beaucoup d'eau a coulé sous les ponts et nombre de procédures ont été déposées de part et d'autre, si bien que les interrogatoires au préalable n'ont pas encore été complétés et que les documents en découlant n'ont pas tous été transmis.

[3]                Il n'est pas nécessaire, pour les fins de cet appel, de revenir sur toutes et chacune des ordonnances qui ont déjà été prononcées par différents juges de cette Cour et par le protonotaire chargé d'assister le juge désigné par le juge en chef pour gérer cette instance. Je me contenterai de rappeler les principaux jalons du litige, dans la mesure où ils sont pertinents pour la compréhension des questions qui me sont soumises.

[4]                Il convient d'abord de rappeler que mon collègue, le juge Beaudry, a accueilli la requête de la demanderesse en injonction interlocutoire et en injonction provisoire le 31 janvier 2003. Une demande de réexamen de cette ordonnance a été rejetée par le juge Beaudry le 4 mars 2003, et une demande en sursis a été rejetée par la Cour d'appel le 11 mars 2003. D'autre part, la défenderesse s'est désistée le 2 mai 2003 de l'appel qu'elle avait logé de l'ordonnance.

[5]                Le 21 février 2003, la juge Johanne Gauthier a rendu une ordonnance rejetant la requête de la défenderesse pour disjonction de l'instance, rejetant la requête de la demanderesse pour jugement par défaut et injonction permanente, et ordonnant que l'affidavit de documents de la défenderesse et l'affidavit de documents amendés de la demanderesse soient échangés le ou avant le 25 avril 2003. Eu égard à la requête en disjonction, Mme la juge Gauthier écrivait :

Vu que plusieurs questions pertinentes à l'adjudication sur les mérites de la demande sont aussi pertinentes à l'évaluation des dommages, il n'est pas évident qu'une scission de l'instance résulterait en une meilleure administration de la justice.

[6]                Le 25 avril 2003, le représentant de la demanderesse et celui de la défenderesse échangent leurs affidavits de documents amendés. Suite à une requête de la demanderesse pour obtenir un affidavit de documents plus exact ou complet, le protonotaire Morneau ordonne le 16 juillet 2003 qu'un affidavit amendé de documents soit produit par la défenderesse. Cette ordonnance a été contestée par la demanderesse, qui aurait souhaité obtenir un plus grand nombre de documents; mais le juge Blais de cette Cour, et la Cour d'appel par la suite ont tour à tour rejeté l'appel de la demanderesse, dans des décisions rendues respectivement les 5 septembre 2003 et le 20 septembre 2004.

[7]                Le 10 janvier 2005, l'avocate de la demanderesse procède au premier interrogatoire du représentant de la défenderesse. De nombreuses objections sont alors soulevées, lesquelles seront tranchées par le protonotaire Morneau dans une ordonnance rendue le 25 avril 2005.

[8]                Le 9 mai 2005, la défenderesse soumet une offre de règlement à la demanderesse, laquelle sera rejetée. Puis, le 19 mai 2005, la défenderesse produit une requête en vue de forcer la médiation, laquelle sera également rejetée par la Cour le 24 mai 2005.

[9]                L'interrogatoire du représentant de la défenderesse se poursuivra donc le 25 mai 2005. À cette occasion, la demanderesse se verra remettre de nombreux documents par le procureur de la défenderesse, dont la communication avait été ordonnée par le protonotaire dans son ordonnance du 25 avril 2005. Puis, le 30 juin 2005, l'interrogatoire au préalable du représentant de la demanderesse débute. Comme les deux interrogatoires donnent lieu à de nombreuses objections, le protonotaire émet une directive le 5 août 2005 à l'effet que les requêtes pour faire trancher ces objections seront entendues ensemble lors d'une séance spéciale le 25 octobre 2005. Nonobstant ces objections, la défenderesse accepte de fournir à la demanderesse une banque de données volumineuse, contenant approximativement 10 000 pages d'information commerciale confidentielles et privilégiées relativement à ses activités, à la seule condition que la partie demanderesse s'engage à en respecter le caractère confidentiel; cette offre est toujours sous étude de la part de la partie demanderesse.

[10]            Or, le 29 août 2005, la demanderesse dépose à la Cour un dossier de requête ex parte de type Anton Piller, dans laquelle la demanderesse recherchait non seulement les conclusions usuelles d'une telle requête, mais également un autre remède dont la défenderesse ne connaît toujours pas la nature. Cette requête sera rejetée par le juge Lemieux le 9 septembre suivant. Il importe de reproduire ici l'ordonnance du juge Lemieux dans son intégralité :

LA COUR ORDONNE QUE :

1.          La requête ex parte en date du 29 août 2005 de la requérante Osmose-Pentox Inc. pour obtenir une ordonnance, Anton Piller donnant accès à certains documents de la Société Laurentide Inc. dans ce litige est rejetée sans dépens.

2.          À mon avis, cette requête est prématurée car l'interrogatoire de M. Buisson sur la production de documents en possession de Société Laurentide Inc. (l'intimée), doit se continuer (voir l'ordonnance du protonotaire Morneau en date du 21 juillet 2005). Les préoccupations de la requérante au sujet des documents produits par l'intimée peuvent être approfondies dans ce contexte.

3.             Je crois aussi que cette requête ne cadre pas bien avec la décision de la Court d'appel fédérale du 20 septembre 2004 et les directives subséquentes du protonotaire Morneau.

[11]            Ayant pris connaissance du fait que son ordonnance n'avait pas été envoyée à toutes les parties conformément à la règle 395 des Règles de cette Cour, le juge Lemieux ordonna au greffe, le 6 octobre 2005, d'envoyer sans délai l'ordonnance à la défenderesse. Dès l'instant où elle prit connaissance de cette deuxième ordonnance du juge Lemieux, la demanderesse envoya précipitamment une lettre au greffe demandant une ordonnance intérimaire en confidentialité, laquelle fut accordée le même jour par le protonotaire Morneau avec instruction de déposer un dossier de requête formelle au plus tard le 12 octobre 2005. Ce dossier fut effectivement déposé, ex parte, le 12 octobre. Au surplus, la demanderesse a déposé une autre requête ex parte le 11 octobre 2005, visant à obtenir l'autre remède déjà mentionné dans la requête de type Anton Piller.

LA DÉCISION DU PROTONOTAIRE

[12]            Dans une décision fouillée et bien motivée rendue le 14 décembre 2005, le protonotaire Morneau a rejeté toutes les conclusions recherchées par la demanderesse dans sa requête en confidentialité, de même que la requête de la demanderesse du 11 octobre 2005, et il a au surplus ordonné la scission de l'instance.

[13]            S'agissant d'abord de la requête en confidentialité, le protonotaire s'est dit d'avis que cette requête était tardive, puisque c'est dans son dossier de requête du 29 août que la demanderesse aurait dû faire cette demande; n'eut été de l'omission par le greffe de communiquer en même temps aux deux parties l'ordonnance du juge Lemieux du 9 septembre 2005, la demanderesse en aurait alors pris connaissance. Il a également rejeté les prétentions de la demanderesse à l'effet que sa requête Anton Piller doit être maintenue sous pli confidentiel de façon à préserver son droit de présenter une nouvelle requête similaire dans le futur et à préserver son effet de surprise; le protonotaire a estimé qu'une telle préoccupation n'était pas justifiée du fait que la Cour n'avait pas retenu les allégations de mauvaise foi formulées à l'endroit de la défenderesse, et que toute nouvelle requête devrait s'appuyer sur de nouveaux faits. Enfin, il a conclu que la requête en confidentialité ne rencontrait pas le test à deux volets élaboré par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Sierra Club du Canada c. Canada (Ministre des Finances), [2002] 2 R.C.S. 522.

[14]            En ce qui concerne la requête de la demanderesse pour l'autre remède, le protonotaire l'a d'abord commenté en écrivant qu'elle « surcharge le dossier de la Cour, constitue une autre démarche ex parte, et oblige la Cour à de grandes prouesses pour ne pas révéler, avant adjudication finale, les éléments que la demanderesse a pour l'instant portés à l'attention de la Cour de façon ex parte » . Même si le juge Lemieux, dans son ordonnance du 9 septembre, ne s'est pas explicitement prononcé sur ce remède qui était déjà subsidiairement recherché dans le cadre de la requête Anton Piller déposé le 29 août 2005, le protonotaire Morneau a estimé qu'il en avait certainement pris connaissance et qu'il l'avait implicitement rejeté. Il a par ailleurs noté que la demanderesse n'a pas logé de requête en vertu de l'alinéa 397(1)b) des Règles afin que le juge Lemieux reconsidère son ordonnance.

[15]            Enfin, s'appuyant sur les règles 47 et 107 des Règles de la Cour, le protonotaire a ordonné, de sa propre initiative, la scission de l'instance pour que les questions de responsabilité (soit la question de la contrefaçon de la marque de commerce en litige de la demanderesse et celle de l'invalidité de cette marque) soient décidées d'abord, et que la question des redressements (profits ou dommages) soit tranchée dans une instance séparée advenant que la Cour conclue à la validité de la marque en litige et à sa contrefaçon. Par voie de conséquence, il a relevé les parties de leurs obligations respectives de communiquer tout document et toute information relatifs à la question des redressements avant la conclusion finale du procès sur les questions de responsabilité.

[16]            Le protonotaire en est arrivé à cette conclusion en appliquant le test élaboré dans l'arrêt Illva Saronno S.p.A. c. Privilegiata Fabbrica Maraschino « Excelsior » , [1999] 1 C.F. 146. Soulignant que le calcul des profits s'avérait toujours un exercice long et coûteux, et compte tenu de l'enlisement des parties au stade même des interrogatoires au préalable sur cette question, le protonotaire a estimé qu'il était plus juste de se pencher immédiatement sur les questions de responsabilité et sur la demande d'injonction. Cela lui paraissait d'autant plus indiqué que la demanderesse dispose depuis plus de trois ans déjà (soit depuis janvier 2003) d'une injonction interlocutoire contre la défenderesse. Le protonotaire s'est dit conscient du fait que la juge Gauthier avait déjà rejeté une requête en ce sens dans son ordonnance du 21 février 2003; mais à son avis, cette ordonnance prononcée relativement tôt dans le déroulement du dossier et avant qu'il ne fasse l'objet d'une gestion spéciale ne pouvait faire obstacle à un réexamen de la situation dans le contexte de sa prise en charge par le protonotaire. Jurisprudence à l'appui (Remo Imports Ltd. c. Jaguar Canada Ltd., 2003 FCT 74; Sawbridge Band c. Canada, [2002] 2 C.F. 346 (C.A.F.)), il a donc estimé que la vaste discrétion dont jouit le gestionnaire d'instance pour faire avancer un dossier lui permettait de modifier l'ordonnance émise par la juge Gauthier et d'ordonner la scission d'instance.

[17]            Le protonotaire a adjugé les dépens à la défenderesse pour un montant de 3 500 $, en invoquant les alinéas 400(3)a), c) g) et i) de même que le paragraphe 400(4) des Règles.

ANALYSE

[18]            Il est bien établi que les décisions de nature interlocutoire prononcées par un protonotaire, et plus particulièrement celles qu'il prend à titre de gestionnaire d'instance, ne doivent pas être renversées à la légère. Le juge siégeant en révision ne peut exercer son pouvoir discrétionnaire à la place du protonotaire que si la question à être tranchée est déterminante pour l'issue du litige (ce qui n'est pas le cas ici), ou encore si la décision du protonotaire était clairement erronée dans la mesure où elle était fondée sur un mauvais principe ou une mauvaise appréciation des faits (Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425, au paragr. 95 (C.A.F.); Merck & Co. c. Apotex Inc. 2003 FCA 488, (2003), 30 C.P.R.(4th) 40, à la p. 53 (C.A.F.); Z.I. Pompey Industrie c. Ecu-Line N.V., 2003 CSC 27, [2003] 1 R.C.S. 450, à la p. 461).

[19]            Il est également indéniable que le gestionnaire d'instance, qu'il s'agisse d'un juge ou d'un protonotaire, doit jouir d'une très grande discrétion pour pouvoir s'assurer que le dossier procède avec diligence et de façon ordonnée. C'est là l'esprit même des règles applicables aux instances à gestion spéciale, et plus particulièrement de la Règle 385. Dans ce contexte, le protonotaire Morneau a eu tout à fait raison de citer les propos tenus par le juge Gibson dans l'arrêt Remo Imports Ltd. c. Jaguar Canada Ltd., précité, et qu'il convient de reproduire ici à nouveau :

11       Dans l'arrêt Bande indienne de Sawridge c. Canada, [2002] 2 C.F. 346 (C.A.) le juge Rothstein a écrit au paragraphe 11 des motifs qu'ils (sic) a rendus pour la Cour :

Nous tenons à profiter de l'occasion pour énoncer la position prise par la Cour dans les cas où une ordonnance rendue par le juge responsable de la gestion d'une instance a été portée en appel. Il faut donner au juge responsable une certaine latitude aux fins de la gestion de l'instance. La Cour n'intervient que dans les cas où un pouvoir discrétionnaire judiciaire a manifestement été mal exercé.

Au paragraphe [4] de motifs supplémentaires rendus concurremment, le juge Rothstein, s'exprimant toujours au nom de la Cour, a dit ce qui suit en se reportant aux motifs dont est tiré l'extrait qui précède, (2001), 283 N.R. 112 (C.A.F.) :

La réunion et la disjonction d'actions représentent probablement les sujets les plus complexes de la gestion des instances. Ces questions doivent être tranchées dans le cadre de l'exercice du pouvoir discrétionnaire d'un juge chargé de la gestion des instances qui est bien au courant de l'objet de celles-ci. En appel, une cour n'interviendra que dans les cas où le pouvoir discrétionnaire du juge a manifestement été mal exercé. [Citation omise]

12     J'ai étendu l'application de ces principes au rôle des protonotaires chargés de la gestion d'instances et à la relation existant entre ceux-ci et les juges de la Section de première instance de la Cour saisis d'appels formés contre leurs décisions Microfibres Inc. c. Annabel Canada Inc. (2001), 16 C.P.R. (4th) 12 (C.F. 1re inst.). Aux pages 16 et 17 du recueil cité, j'ai écrit :

À l'instar du juge chargé de la gestion de l'instance, le protonotaire appelé à exercer la même fonction connaît bien la procédure en cause, alors que le juge de première instance siégeant en appel de la décision discrétionnaire rendue par le protonotaire dans ce contexte ne peut généralement pas avoir le même degré de familiarisation.

Bien que d'aucuns puissent estimer une telle extension superflue, compte tenu de la définition de "juge responsable de la gestion de l'instance" énoncée à la règle 2 des Règles de la Cour fédérale (1998) DORS/98-106, laquelle inclut les protonotaires chargés de gestion d'instances, je pense qu'elle ne l'est pas parce que le juge Rothstein rendait jugement pour la Cour d'appel et que les appels formés à l'encontre des décisions des protonotaires responsables de la gestion d'instances sont instruits par des juges de la Section de première instance non par des juges de la Cour d'appel.

13       Les avocats des défenderesses en l'espèce ont fait valoir que le refus du protonotaire Lafrenière d'autoriser l'ajouter de M. Bassal comme défendeur à la demande reconventionnelle constituait une décision déterminante pour l'issue du litige et que, de plus, il s'agissait d'une décision manifestement erronée car le protonotaire avait commis une erreur de droit ou s'était mépris sur les faits en rendant sa décision. Les avocats de la demanderesse, quant à eux, soutiennent que la décision portée en appel n'était pas déterminante pour l'issue de l'affaire et que la décision du protonotaire n'était pas manifestement erronée. Il affirme qu'il s'agissait d'une décision discrétionnaire rendue par un protonotaire exerçant ses fonctions de gestion d'instance et qu'il n'y a pas lieu d'intervenir. Je partage ce point de vue.

[20]            Compte tenu de ces principes, il ne m'apparaît pas justifié d'intervenir pour modifier la façon dont le protonotaire a disposé de la requête en confidentialité ainsi que de la requête du 11 octobre 2005 en vue d'obtenir l'autre remède. En ce qui concerne plus particulièrement la requête en confidentialité, il m'apparaît que le protonotaire pouvait conclure à bon droit que l'absence de mesure de confidentialité dans l'ordonnance du juge Lemieux du 9 septembre 2005 découlait de son rejet de la requête de la demanderesse du 29 août 2005.

[21]            Bien que le juge Lemieux ait qualifié cette requête de « prématurée » , il n'en a pas moins décidé de la rejeter. C'est là le véritable dispositif de son ordonnance. S'il avait voulu réserver les droits et les recours de la demanderesse et lui permettre de soumettre sa requête à une date ultérieure, il aurait pu formuler des conclusions en ce sens et l'ajourner sine die. Ce n'est clairement pas ce qu'il a choisi de faire. On voit mal comment une requête ayant été rejetée pourrait être maintenue en suspens et réintroduite plus tard. Au contraire, toute nouvelle requête devra s'appuyer sur de nouveaux faits pour ne pas être écartée au motif qu'il y a chose jugée.

[22]            Si la demanderesse souhaitait garder l'existence même de cette requête confidentielle, elle aurait dû formuler des conclusions en ce sens dans le cadre même de cette requête. Non seulement ne l'a-t-elle pas fait, mais elle ne l'a pas non plus demandé lorsque l'ordonnance a été émise le 9 septembre 2005. Ce n'est qu'après avoir pris connaissance de la deuxième ordonnance du juge Lemieux, le 6 octobre 2005, dans laquelle il enjoignait au greffe de communiquer son ordonnance originale à la défenderesse, que cette requête en confidentialité a été déposée. Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'il n'était pas déraisonnable pour le protonotaire de conclure au caractère tardif de cette requête en confidentialité.

[23]            Enfin, on ne m'a pas convaincu que le protonotaire avait erré dans son application du test en deux volets énoncé dans l'arrêt Sierra Club, précité. Il est vrai qu'une ordonnance de type Anton Piller est une procédure extraordinaire, et que le secret qui l'entoure est nécessaire à son efficacité. Mais à partir du moment où la requête visant à obtenir son émission est rejetée (et non pas suspendue), il n'y a plus lieu d'empêcher la partie visée d'en prendre connaissance. La Règle 395 prévoit d'ailleurs que l'ordonnance de la Cour et les motifs qui l'accompagnent, le cas échéant, doivent être communiqués aux parties. C'est dire que la partie défenderesse prendra inévitablement connaissance de la requête et possiblement d'une partie de son contenu, indirectement du moins, en prenant connaissance de l'ordonnance et des motifs. Quelle logique y aurait-il à ne pas dévoiler la requête qui sous-tend l'ordonnance?

[24]            Il ne faut jamais perdre de vue que la confidentialité est une exception à la règle de la publicité des procédures et des débats judiciaires, et doit en conséquence être interprétée restrictivement. La volonté de maintenir un effet de surprise quant aux éléments de preuve qui pourraient être requis dans le cadre d'une requête Anton Piller ultérieure ne m'apparaît pas un motif suffisant pour écarter le droit d'un justiciable à un procès équitable et cadre mal avec les principes énoncés par la Cour suprême dans l'arrêt Sierra Club, précité. Sans compter que le juge Lemieux, en rejetant la requête de la demanderesse, a jugé que les préoccupations de la requérante au sujet des documents produits par la défenderesse pouvaient être approfondies dans le contexte des interrogatoires préalables et ne justifiaient pas le recours à une procédure exceptionnelle de type Anton Piller.

[25]            Quant à la requête pour un autre remède présentée de manière ex parte le 11 octobre 2005, c'est à bon droit me semble-t-il que le protonotaire a décidé de la rejeter. Même si le juge Lemieux ne fait pas référence explicitement dans son ordonnance du 9 septembre 2005 au remède subsidiaire que recherchait la demanderesse dans son dossier de requête du 29 septembre 2005, il me faut présumer qu'il l'a rejeté tout comme la requête de type Anton Piller. Le protonotaire Morneau a conclu qu'il serait « présomptueux » de croire que la Cour n'a pas pris connaissance de l'ensemble du dossier et des remèdes recherchés par le demandeur avant de rejeter sa requête; je ne vois rien de manifestement erroné dans cette conclusion, qui tombe au contraire sous le sens.

[26]            Le demandeur a bien tenté de faire valoir que plusieurs des arguments soumis au soutien de l'autre remède se rapportent à des faits spécifiques et ponctuels qui ne peuvent trouver de solution dans la poursuite des interrogatoires, comme le suggère le juge Lemieux en ce qui concerne la requête Anton Piller. Cela signifierait, aux yeux de la demanderesse, que le juge Lemieux aurait rejeté l'autre requête sans donner de motifs, ce qui équivaudrait à un oubli de sa part, voire même à une incompétence qu'il est impossible d'imaginer compte tenu des précisions qu'il a données pour rejeter la requête Anton Piller.

[27]            Cet argument, quoique séduisant, ne me convainc pas. Il arrive fréquemment que des requêtes soient rejetées sans motif, et cela ne saurait être assimilé à un oubli, encore moins à de l'incompétence. On pourrait spéculer à l'infini sur les raisons qui ont incité le juge Lemieux à ne pas expliquer pourquoi il rejetait l'autre requête. En fait, il est tout à fait possible qu'il n'ait pas jugé nécessaire de s'en expliquer parce qu'il la considérait tout à fait secondaire par rapport à la requête Anton Piller, ou encore parce qu'il estimait que de telles conclusions étaient inappropriées et déplacées dans le cadre d'une procédure ex parte d'une nature aussi exceptionnelle que la requête Anton Piller. Mais peu importe en bout de ligne les raisons qui ont pu motiver sa décision, le juge Lemieux a rejeté la requête dans son entièreté, après avoir pris connaissance du dossier, et rien ne me permet de croire que sa conclusion ne visait que la portion de la requête recherchant des conclusions de type Anton Piller. Le fait que la demanderesse ait pu soumettre à la Cour un projet d'ordonnance ne référant qu'aux conclusions se retrouvant normalement dans une requête Anton Piller ne change rien à l'affaire. Quant au fait que la demanderesse ne se soit pas prévalue de la règle 397(1)b) des Règles de la Cour fédérale pour que la Cour traite de l'autre remède, j'estime que le protonotaire pouvait raisonnablement en inférer que la demanderesse n'y voyait pas un oubli. La demanderesse peut bien prétendre maintenant que l'ordonnance du juge Lemieux était parfaitement conforme à ses attentes et que l'absence de référence à l'autre remède ne constituait pas un oubli, il n'en demeure pas moins que la meilleure façon de préserver ses droits consistait à les faire reconnaître par le juge Lemieux.

[28]            Compte tenu de tout ce qui précède, je suis d'avis que le protonotaire n'a pas erré en concluant que l'ensemble de la requête présentée par la demanderesse le 29 août 2005 avait été rejetée par le juge Lemieux. Par voie de conséquence, elle ne pouvait de nouveau présenter une requête le 11 octobre 2005 visant à obtenir le même remède, à partir des mêmes faits. Il y avait chose jugée, et le protonotaire était tout à fait justifié de rejeter cette nouvelle requête.

[29]            Qu'en est-il maintenant de l'ordonnance de disjonction? Dans sa décision du 14 décembre dernier, le protonotaire a décidé d'ordonner proprio motu la scission de l'instance « pour que les questions de responsabilité, soit la question de la contrefaçon de la marque de commerce en litige de la demanderesse et celle de l'invalidité de cette même marque, soient décidées d'abord et que la question des redressements (profits ou dommages) soit tranchée dans une instance séparée advenant que la Cour conclue à la validité de la marque en litige et à sa contrefaçon » . La question qui se pose n'est pas tant celle de savoir si cette décision était opportune, compte tenu du contexte, mais bien plutôt s'il avait la compétence pour émettre une telle ordonnance.

[30]            Dans ses motifs, le protonotaire s'est appuyé sur les critères dégagés dans l'arrêt Illva Saronno S.p.A. c. Privilegiata Fabbrica Maraschino « Excelsior » , précité, pour conclure que le contexte le justifiait d'ordonner la scission de l'instance sous l'autorité des Règles 47(1) et 107. Plus particulièrement, il a invoqué le fait que l'octroi des profits réalisés par la défenderesse à titre de dommages constitue toujours un exercice long et coûteux, même dans les meilleures circonstances. Or, en l'occurrence, cet exercice lui paraissait s'éterniser et prendre des proportions incontrôlables suite au comportement des parties. Qui plus est, il lui apparaissait important que la Cour se penche immédiatement sur les questions de responsabilité, compte tenu de l'injonction interlocutoire dont profitait la partie demanderesse depuis janvier 2003. Étant donné ce contexte nouveau que ne pouvait prévoir la juge Gauthier lorsqu'elle avait rendu son ordonnance, le protonotaire estimait que la disjonction permettrait « fort probablement d'apporter au litige une solution qui soit juste et la plus expéditive et économique possible » , pour reprendre les termes de l'arrêt Saronno, précité, (au paragr. 14).

[31]            Il va sans dire que je n'éprouverais aucune difficulté à confirmer la décision du protonotaire, n'eut été du fait qu'elle modifie une décision antérieure rendue par un juge. Comme je l'ai déjà mentionné plus haut, les protonotaires doivent jouir d'une très grande latitude dans la gestion des instances qui leur sont confiées. Cela est d'autant plus vrai lorsque, comme en l'espèce, le dossier est complexe et que les procédures se multiplient et traînent en longueur. Dans de telles situations, le protonotaire à qui l'on a confié la gestion de l'instance est beaucoup plus familier avec le dossier et les parties que le juge saisi de l'appel de l'une de ses décisions. À la limite, c'est la raison d'être même de la gestion d'instance, assumée en grande partie par les protonotaires, qui serait remise en question s'il fallait que leurs décisions soient renversées chaque fois qu'un juge siégeant en appel choisirait d'exercer sa discrétion différemment.

[32]                Voilà pourquoi l'argumentation soumise par la partie demanderesse et visant à démontrer que le protonotaire n'avait soumis aucun fait nouveau lui permettant de reconsidérer l'ordonnance de la juge Gauthier ne me convainc pas. Comme le juge Pelletier l'écrivait dans l'arrêt Microfibres Inc. c. Annabel Canada Inc., 2001 CFPI 1032, [2001] A.C.F. no 1427 (QL) :

[14]            Le protonotaire est le gestionnaire d'instance désigné dans le présent dossier; il a entendu diverses requêtes en cette qualité. En rendant l'ordonnance accordant l'autorisation, le protonotaire agissait encore une fois à titre de gestionnaire de l'instance. Étant donné que le gestionnaire de l'instance est chargé de donner toute directive nécessaire pour permettre d'apporter une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible entre les parties, on peut conclure que, dans ces conditions, le gestionnaire de l'instance agit selon un système autre qu'un système accusatoire, et ce, parce qu'il est autorisé à agir de son propre chef. À mon avis, la règle 385 lui permettait d'accorder l'autorisation de présenter une requête qui serait par ailleurs visée par la doctrine de la chose jugée et, ce faisant, de ne pas appliquer la doctrine de la chose jugée telle qu'elle s'appliquerait à cette requête.

[15]            Toutefois, le principe sur lequel la doctrine de la chose jugée est fondée est encore sensé : un litige devrait en arriver à une décision définitive de façon que les parties ne débattent pas constamment la même question. Le pouvoir que possède le gestionnaire de l'instance de réexaminer une question qui a déjà été tranchée ne doit pas être exercé d'une façon arbitraire. Lorsqu'il s'agit de déterminer si le gestionnaire de l'instance a agi d'une façon arbitraire, le critère à satisfaire ne consiste pas à savoir si les circonstances ont changé à un point tel que la doctrine de la chose jugée ne s'applique pas. Il s'agit de savoir s'il existe des faits permettant au gestionnaire de l'instance de conclure qu'il serait possible de faciliter la procédure visant à une instruction équitable de l'affaire si une question particulière était réexaminée. À mon avis, l'opinion du gestionnaire de l'instance sur ce point devrait faire l'objet d'une retenue considérable. (mes soulignés)

[33]       Il n'en va pas différemment de l'argumentation soumise par le procureur de la demanderesse visant à démontrer que le protonotaire n'avait pas tenu compte du comportement de la défenderesse et de sa persistance à ne pas produire un affidavit de documents plus complet. On a beaucoup insisté sur le fait que le manque de coopération de la défenderesse était la cause première des délais et de la complexité des procédures, bien davantage que le choix de la demanderesse d'opter pour les profits qu'aurait réalisés la défenderesse. L'évaluation qu'a faite le protonotaire de la meilleure marche à suivre pour solutionner le litige de la façon la plus équitable et efficace possible, et les raisons qui l'ont amené à faire ce choix, m'apparaissent être au coeur de son pouvoir discrétionnaire à titre de gestionnaire d'instance, et cette Cour n'interviendra qu'avec beaucoup de réticence et uniquement dans les cas les plus clairs en appel de ce genre de décisions. Or, malgré les efforts déployés par la demanderesse dans le cadre de ses représentations écrites et orales, elle ne m'a pas convaincu que le protonotaire avait commis une erreur manifeste dans son appréciation des faits.

[34]      Ceci étant dit, je dois néanmoins me ranger à l'argument de la demanderesse eu égard à l'absence de compétence du protonotaire dans le contexte très particulier de cette affaire. La règle 50(1)g) stipule explicitement que le protonotaire ne peut rendre une ordonnance ayant pour effet d'annuler ou de modifier l'ordonnance d'un juge, sauf celle rendue aux termes des alinéas 385a), b) ou c). Le texte de cette disposition se lit comme suit :

50. (1) Protonotaires - Le protonotaire peut entendre toute requête présentée en vertu des présentes règles - à l'exception des requêtes suivantes - et rendre les ordonnances nécessaires s'y rapportant :

***

g) une requête pour annuler ou modifier l'ordonnance d'un juge ou pour y surseoir, sauf celle rendue aux termes des alinéas 385a), b) ou c)

50. (1) Prothonotaries - A prothonotary may hear, and make any necessary orders relating to, any motion under these Rules other than a motion

***

g) to stay, set aside or vary an order of a judge, other than an order made under paragraph 385 (a), (b) or (c)

[35]       La juge Gauthier n'ayant pas émis son ordonnance à titre de gestionnaire d'instance, le protonotaire ne pouvait donc la modifier ou l'écarter par une autre ordonnance. La règle 47 (et, par voie de conséquence, la règle 107) ne peut lui être d'aucun secours, puisque la règle 50 constitue précisément une disposition contraire, au sens de la règle 47. Il est d'ailleurs significatif que l'on ait spécifiquement prévu la possibilité pour le protonotaire de modifier une ordonnance rendue par un juge lorsqu'elle a été émise dans le contexte des pouvoirs qu'il ou elle exerce à titre de gestionnaire d'instance. Il faut nécessairement en déduire que le protonotaire ne possède pas ce pouvoir lorsque l'ordonnance d'un juge a été rendue en dehors de ce contexte.

[36]       Bien que ce résultat puisse paraître excessivement formaliste, il n'est pas sans issue, du moins dans le présent litige. Il faut en effet se rappeler que dans son ordonnance du 24 octobre 2003, le juge en chef a désigné le juge Hugessen pour gérer cette instance, avec l'aide du protonotaire Morneau. Il est donc toujours possible pour le juge Hugessen, sur la recommandation du protonotaire ou de sa propre initiative, de modifier l'ordonnance de la juge Gauthier et d'ordonner que l'instance soit scindée.

[37]       Enfin, en ce qui concerne les dépens de l'ordre de 3 500 $ octroyés à la partie défenderesse par le protonotaire, je n'estime pas opportun de les réviser. Compte tenu encore une fois de la discrétion dont le protonotaire est investi dans son rôle de gestionnaire d'instance, il lui était parfaitement loisible de tenir compte notamment de la conduite des parties dans l'octroi des dépens (paragraphe 400(3)i)), en plus des autres facteurs énumérés aux paragraphes 400(3)a), c) et g). Il n'y a donc pas lieu d'intervenir sur ce plan.

[38]       Pour tous les motifs qui précèdent, la requête de la demanderesse en appel de l'ordonnance du protonotaire Richard Morneau rendue le 14 décembre 2005 est rejetée, sauf en ce qui concerne ses conclusions relativement à la scission d'instance. Le dossier sera donc retourné au protonotaire dès que la présente ordonnance sera devenue finale, pour qu'il établisse un nouvel échéancier.

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE QUE :

-            La requête de la demanderesse en appel de l'ordonnance du protonotaire Richard Morneau rendue le 14 décembre 2005 est rejetée, sauf en ce qui concerne ses conclusions relativement à la scission d'instance. Le dossier sera donc retourné au protonotaire dès que la présente ordonnance sera devenue finale, pour qu'il établisse un nouvel échéancier.

                                                                                                            « Yves de Montigny »

Juge

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-697-02

INTITULÉ :                                        OSMOSE-PENTOX INC.

                                                            c.

                                                            SOCIÉTÉ LAURENTIDE INC.

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 13 mars 2006

MOTIFS :                                           Le juge de Montigny

DATE DES MOTIFS :                       Le 27 mars 2006

COMPARUTIONS:

Me José Bonneau

POUR LA DEMANDERESSE

Me Patrick Goudreau

Me Kevin O'Brien

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Dagenais & Associés

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

Dunton Rainville

Montréal (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE

  

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