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Date : 20060220

Dossier : IMM-4257-05

Référence : 2006 CF 229

Ottawa (Ontario), le 20 février 2006

En présence de Monsieur le juge Martineau

 

ENTRE :

EDGAR GENARO GARCIA HIDALGO

SOCORRO DEL P CAMINO HACHA

PEDRO ANDRE GARCIA CAMINO

MARIA EDUARDA GARCIA CAMINO

EDGAR ALEJANDRO GARCIA CAMINO

demandeurs

 

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée à l’encontre d’une décision rendue le 16 juin 2005 par la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, Section de la protection des réfugiés (la Commission), rejetant la demande d’asile du demandeur, de sa femme et de leurs trois enfants mineurs au motif qu’ils ne sont ni des « réfugiés au sens de la Convention », ni des « personnes à protéger » au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27 (la Loi).

CONTEXTE FACTUEL

[2]               Les demandeurs sont citoyens du Pérou. Ils craignent d’être persécutés dans leur pays à cause des opinions politiques imputées au demandeur principal qui est membre du parti politique FRENATRACA (Front national des travailleurs et des paysans). Celui-ci a agi comme coordonnateur général de la région Zone-Sud de 2000 à 2005. Or, lors des élections de janvier 2000, Luis Caceres Velasquez, le fondateur du FRENATRACA et son fils, Roger Luis Caceres Perez (collectivement, les Caceres), ont été élus pour le département d’Arequipa à la suite de la formation d’une coalition entre le FRENATRACA et le FREPAP, un autre parti politique. Le 25 juillet 2000, au moment de prêter serment, les Caceres ont changé d’allégeance politique et se sont joints au parti Pérou 2000, le parti au pouvoir, dont le leader était alors Alberto Fujimori, le président en exercice à l’époque. Ceci aurait négativement affecté la vie du demandeur et sa famille en raison de ses liens étroits avec les Caceres. Le demandeur principal allègue qu’il a alors commencé à se faire traiter de « transfuge ».

[3]               Suite à l’arrivée au pouvoir du nouveau président Alejandro Toledo, le 21 juillet 2001, la situation se serait détériorée. La plateforme politique du nouveau président est alors fondée sur sa ferme intention de combattre la corruption dans l’ancien gouvernement du président Fujimori.  Ainsi, le 5 mars 2002, le demandeur principal dit qu’il a commencé à recevoir des appels anonymes. Il aurait reçu des menaces de morts du fait de son appartenance au FRENATRACA. Son véhicule aurait été vandalisé à deux reprises, la première fois en janvier 2003 et la seconde fois le 28 juillet 2004. Ses enfants ont dû changer d’école par mesure de précaution. Leur fils aîné aurait commencé à souffrir de vitiligo, une conséquence que ses médecins auraient attribuée au stress vécu à l’école.  De plus, lors d’un appel anonyme reçu après le 28 juillet 2004, on aurait spécifiquement déclaré au demandeur que l’heure des transfuges et de leurs alliés était arrivée. De fait, le demandeur a déposé une plainte mais la police n’a pas accepté de faire enquête car celui-ci ne pouvait spécifier l’identité de la ou des personnes impliquées.

[4]               À son arrivée au Canada, le 28 septembre 2004, le demandeur a déclaré à l’agent d’immigration que ses problèmes avaient débuté vers le mois de janvier 2000, alors que Luis Caceres Velasquez avait quitté le FRENATRACA. Lorsque Toledo avait été élu président, il avait décidé de poursuivre tous ceux qui, directement ou indirectement, avaient travaillé avec Fujimori.

[5]               Le demandeur a déposé deux versions de sa réponse à la question 31 de son FRP. Plus précisément, le demandeur a déposé une première version de cette réponse le ou vers le 26 octobre 2004. Dans cette première version de son histoire, le demandeur est conséquent avec ses premières déclarations voulant qu’il ait été victime du combat du président Toledo contre ceux qui, directement ou indirectement, avaient été associés au président Fujimori. Aux lignes 36 à 38 de son récit, le demandeur mentionne en outre que des accusations de corruption ont été portées en octobre 2002 contre les Caceres. Il n’établit toutefois aucun lien entre les accusations portées contre ces personnes et sa propre crainte de persécution. De plus, il convient de souligner que le demandeur ne mentionne, dans cette première version de son FRP, aucun fait particulier le concernant, en relation avec les accusations de corruption portées contre les Caceres. Par exemple, il ne mentionne pas qu’il pourrait détenir de l’information pertinente à ce sujet.

[6]               Au début de l’audience du 18 avril 2005, le demandeur a déposé un ajout à sa réponse à la question 31 de son FRP, en modifiant les lignes 36 à 38 de son récit. Dans cet ajout, il mentionne pour la première fois qu’ayant été coordonnateur de la région Zone-sud que représentaient au Congrès les Caceres, il était au courant que ceux-ci avaient accepté des pots-de-vin pour abandonner l’alliance FRENATRACA-FREPAP et se rallier au parti de Fujimori. Dans cet ajout, le demandeur établit également pour la première fois un lien entre sa crainte et la question des pots-de-vin reçus par les Caceres. Il déclare pour la première fois que ce sont les Caceres qui l’ont menacé, ainsi que sa famille, parce qu’ils ne voulaient pas qu’il révèle aux autorités péruviennes ce qu’il savait à leur sujet.

[7]               À l’audience, le demandeur principal a été confronté par la Commission avec les divergences notées plus haut. Ce dernier a admis qu’il n’avait pas mentionné qu’il craignait les Caceres dans sa déclaration au point d’entrée. Il a invoqué sa nervosité pour expliquer son silence à ce sujet. Il a évidemment expliqué qu’il n’avait pas révélé le risque que représentaient pour lui les Caceres dans la première version de sa réponse à la question 31 parce que bien que Luis Caceres Velasquez ait été en procès au moment où il avait rédigé son histoire, il n’avait encore fait l’objet d’aucune condamnation.

DÉCISION CONTESTÉE

[8]               La Commission a jugé que les demandeurs n’avaient pas su se décharger du fardeau de démontrer qu’ils avaient une crainte bien fondée de persécution ou qu’ils pourraient être exposés à un préjudice sérieux en cas de retour au Pérou, à cause des contradictions et inconsistances notées dans leur exposé.

[9]               Quant aux deux plaintes portées par le demandeur principal, la Commission a noté qu’elles ne font aucune allusion au fait que le demandeur aurait été ciblé parce qu’il appartenait à un groupe de transfuges. De plus, la Commission a reproché au demandeur d’avoir changé sa version des faits en ce qui a trait à l’identité des agents persécuteurs.

MOTIFS DE RÉVISION

[10]           Les demandeurs soumettent que la Commission a erré dans l’évaluation de la preuve. Celle-ci démontre que la crainte de persécution du demandeur principal est bien fondée et qu’elle découle de motifs relatifs à l’opinion politique. Ainsi, la Commission a erré en exigeant que le demandeur établisse les raisons sous-jacentes aux menaces de mort de l’agent persécuteur. Or, telle n’était pas la question à évaluer; d’autant plus que les menaces pouvaient provenir de différents groupes ayant des motifs différents de persécuter le demandeur et sa famille.

[11]           Les demandeurs soumettent que la Commission a erré en décelant une incohérence découlant du contenu de la preuve documentaire fournie par les demandeurs du fait que les plaintes ne mentionnent pas que le demandeur principal était ciblé parce qu’il appartenait à un parti de transfuges. Les demandeurs reprochent également à la Commission d’avoir trouvé étrange le fait que le demandeur ait changé sa version des faits en ce qui à trait à l’identité des agents persécuteurs. La Commission a jugé que cette déclaration ne concordait pas avec son FRP, et les explications du demandeur étaient peu convaincantes. Or, le contraire devrait être inféré. L’article de journal trouvé sur Internet qui traite de la récente condamnation de M. Luis Caceres Velasquez pour corruption est un élément supplémentaire qui justifie la crainte de persécution pour des motifs politiques. La Commission a donc mal interprété la preuve documentaire car cet élément démontre que M. Luis Caceres Velasquez est impliqué dans des cas de corruption, tel que l’a mentionné le demandeur principal.

[12]           Finalement, les demandeurs affirment que la Commission a commis une erreur de droit dans son appréciation de la portée de l’arrêt Sheikh c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 C.F. 238 (C.A.F.), 71 D.L.R. (4th) 604 . En s’appuyant sur la décision rendue dans l’arrêt Foyet c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. no 1591 (C.F. 1re inst.) (QL), 187 F.T.R. 181, ils prétendent notamment que la Commission ne pouvait appliquer un énoncé général provenant de cette décision à une affaire qui devait être traitée dans le nouveau cadre législatif.

ANALYSE

[13]           Je ne peux retenir aucun des arguments des demandeurs. Ces derniers contestent essentiellement des conclusions d’ordre factuel. Or, la norme de contrôle généralement applicable aux questions de crédibilité est celle de la décision manifestement déraisonnable. Dans l'arrêt Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l’Immigration), [1993] A.C.F. no 732 au paragraphe 4 (C.A.F.) (QL), 160 N.R. 315, la Cour d'appel fédérale s'était exprimée ainsi :

Qui, en effet, mieux que [la section du statut de réfugié], est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.

 

 

[14]           Après tout, c’est la Commission qui était la mieux placée pour évaluer la crédibilité du demandeur principal; il lui était loisible, à titre de juge des faits, d’évaluer la preuve et de lui donner le poids qu’elle mérite. D’après le savant procureur des demandeurs, la Commission a commis une erreur dans son évaluation de la crainte de persécution lorsqu’elle a demandé au demandeur principal d’établir les raisons sous-jacentes aux menaces de mort de l’agent persécuteur. D’après celui-ci, cette question ne devait pas être analysée par la Commission dans son évaluation du bien-fondé de la crainte de persécution. Je ne suis pas d’accord. Il est manifeste ici que c’est plutôt dans le contexte de l’évaluation de la crédibilité de son récit que la Commission a posé cette question au demandeur principal.

[15]           Selon les demandeurs, la Commission se serait également trompée en jugeant que les plaintes du demandeur principal ne faisaient aucune allusion au fait que celui-ci était ciblé parce qu’il appartenait à un parti de transfuges. Les explications de la Commission sont pourtant explicites :

Or le tribunal constate que les plaintes déposées en P-7 et P-8 ne font aucune allusion au fait que le demandeur était ciblé parce qu’il appartenait à un parti de transfuges. Dans la plainte P-7, datée du 10 avril 2002, le demandeur d’asile principal indique qu’il avait peut-être été victime de membres de son parti jaloux du fait qu’il avait été nommé coordonnateur général des élections. Dans la plainte P-8, datée du 20 juillet 2004, les motifs invoqués par le demandeur d’asile principal ne sont pas plus clairs. Il précise qu’il ignore l’auteur des menaces adressés à sa famille et ajoute qu’il est probable qu’il était victime de représailles politiques à cause du fait qu’il occupait un poste de conseiller quand M. Luis Caceres était le maire de la municipalité. Le demandeur d’asile n’a pas pu concilier la teneur de ces deux plaintes avec son FRP, selon lequel il aurait été ciblé à cause de ses liens avec les transfuges.

 

 

[16]           À mon avis, il faut lire ce dernier passage en tant que conclusion portant sur la crédibilité du demandeur principal plutôt qu’en tant que question portant sur l’appréciation des faits, tel que le soumet le procureur des demandeurs. D’ailleurs, le demandeur principal a lui-même formulé plusieurs théories en ce qui à trait aux motifs ayant poussé le ou les agents persécuteurs de perpétrer des actes contre lui et sa famille. Tenant compte des diverses déclarations du demandeur principal, force est de croire qu’il était raisonnable pour la Commission de conclure que ce dernier n’avait pas réussi à concilier la teneur des plaintes, son FRP et le contenu de son témoignage lors de l’audition.

[17]           Quoiqu’il en soit, la Commission pouvait raisonnablement douter de la véracité du récit du demandeur principal à cause des graves incohérences en ce qui à trait à l’identité des agents persécuteurs. En effet, ce dernier a omis de mentionner l’identité des personnes qu’il disait craindre jusqu’au moment où il a déposé, lors de l’audience, un ajout aux lignes 36 à 38 de la question 31 de son FRP. Selon le demandeur principal, il ne fait que préciser l’identité des agents persécuteurs. La Commission croit, quant à elle, que le fait de changer l’identité des agents persécuteurs équivaut dans les faits à effectuer un changement majeur à son récit. Or, la position de la Commission n’est pas manifestement déraisonnable. Après avoir pris note des nouvelles déclarations du demandeur principal et ayant tenté d’obtenir des clarifications de la part de celui-ci, la Commission a considéré ses explications peu convaincantes. Il n’y a pas de raison d’intervenir à cet égard.

[18]           À la fin de ses motifs, la Commission cite un passage de l’arrêt Sheikh :

(…) Même sans mettre en doute chacune des paroles du demandeur, le tribunal peut douter raisonnablement de sa crédibilité au point de conclure qu’il n’existe aucun élément de preuve crédible ayant trait à la revendication (…). En d’autres termes, une conclusion générale quant au manque de crédibilité du revendicateur peut fort bien s’étendre à tous les éléments de preuve pertinents de son témoignage.

 

 

[19]           Le procureur des demandeurs a soutenu que la Commission a commis une erreur de droit dans son appréciation de la portée de l’arrêt Sheikh. Celle-ci ne pouvait appliquer un énoncé général provenant de cette décision à la présente affaire. Il y avait énormément d’éléments de preuve documentaire au dossier. L’authenticité des pièces n’était pas en cause. Rien ne permettait de douter des activités politiques du demandeur principal. Dans l’affaire Foyet qu’invoque le procureur des demandeurs, précitée, cette Cour a statué que la Commission ne peut conclure à l’absence de minimum de fondement lorsqu’il y a devant elle une preuve indépendante et crédible. Or, dans le cas présent, la Commission n’a pas conclu à l’absence de minimum de fondement de la revendication. Les principes qui se dégagent de la décision Foyet ne sont tout simplement pas applicables ici.  Quoiqu’il en soit, toute erreur de la Commission au niveau de l’application de l’arrêt Sheikh m’apparaît non déterminante en l’espèce. La présente demande de contrôle judiciaire doit donc échouer.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question d’importance générale n’a été soulevée et aucune telle question ne sera certifiée.

 

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                        IMM-4257-05

 

 

INTITULÉ :                                       Edgar Genaro Garcia Hidalgo et al. c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                 Montréal (Québec)

 

 

DATE DE L’AUDIENCE :               Le 7 février 2006

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                       LE JUGE MARTINEAU

 

 

DATE DES MOTIFS :                      Le 20 février 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

 

Me Michel Le Brun

 

 

POUR LES DEMANDEURS

Me Nicole Moreau

 

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Me Michel Le Brun

Montréal (Québec)

 

 

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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