Date : 20241007
Dossier : IMM-5510-23
Référence : 2024 CF 1575
Ottawa (Ontario), le 7 octobre 2024
En présence de l'honorable madame la juge Ngo
ENTRE :
|
CHRISTOPHER LARDO JACQUET |
Partie demanderesse |
et
|
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
Partie défenderesse |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Aperçu
[1] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’un refus de sa demande de permis d’étude [Décision] par un agent de visa avec Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [Agent]. L’agent n’était pas satisfait que le demandeur quittera le Canada à la fin de la période de séjour conformément au Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-27 [RIPR]. Quoique l’Agent avait cité plusieurs motifs de refus, l’insuffisance des ressources financières était un élément déterminant.
[2] Le demandeur fait valoir que la Décision de l’Agent est déraisonnable puisqu’il n’a pas véritablement procédé à une analyse des éléments de preuves à sa disposition. La conclusion à laquelle l’Agent est arrivé ne fait pas partie des issues possibles suivant la norme de la décision raisonnable.
[3] Le défendeur, pour sa part, souligne que le demandeur n’avait pas démontré de façon claire et convaincante qu’il disposait des ressources financières suffisantes pour subvenir à ses besoins et payer ses frais de scolarité au Canada provenant uniquement de sa tante et le conjoint de sa tante [garants] qui vivent au Canada.
[4] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Le demandeur n’a pas démontré que la Décision était déraisonnable.
II. Faits et décision sous contrôle
[5] Le demandeur est citoyen d’Haïti. Le 22 novembre 2022, il a été admis au programme d’étude de technique en informatique au cégep Gérald Godin débutant en automne 2023. Dans sa demande pour un permis d’étude, le demandeur a confirmé que sa tante et son conjoint, qui habitent au Canada, seront ses garants et couveront ses frais de scolarité et ses frais de subsistance.
[6] Le 31 mars 2023, la demande de permis d’étude du demandeur a été refusée parce que l’Agent n’était pas satisfait que le demandeur quittera le Canada après ses études conformément à l’alinéa 216(1)(b) du RIPR. En effet, l’Agent a soulevé que le demandeur n’avait pas les ressources financières nécessaires ni de liens familiaux significatifs à l’extérieur du Canada et il n’est pas établi financièrement dans son pays d’origine.
[7] Les motifs de l’Agent démontrent qu’il n’était pas satisfait quant à la situation financière du demandeur pour subvenir au motif de son voyage. De plus, ses garants au Canada, n’ont pas les fonds nécessaires pour le supporter dans ses études.
III. Questions en litige et norme de contrôle
[8] Les parties s’entendent sur la norme de la décision raisonnable s’applique aux motifs de la Décision (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 16-17 et 25 [Vavilov]). Je suis du même avis que la norme de la décision raisonnable s’applique dans le contexte de la présente demande de contrôle judiciaire.
[9] Une cour appliquant le test du caractère raisonnable ne demande pas quelle décision elle aurait prise à la place du décideur administratif. Elle est ancrée dans le principe de la retenue judiciaire (Vavilov au para 13). Elle ne cherche pas à déterminer l'éventail des conclusions possibles qui auraient pu être tirées par le décideur, ni à effectuer une analyse de novo, ni à déterminer la bonne solution au problème (Vavilov au para 83). La cour de révision ne peut soupeser ni réévaluer les preuves examinées par le décideur (Vavilov au para 125). Une décision raisonnable est une décision fondée sur une chaîne d'analyse cohérente et rationnelle et qui est justifiée par rapport aux faits et au droit qui contraint le décideur. (Vavilov au para 85).
[10] Il incombe à la partie qui conteste la décision de démontrer que la décision souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne puisse pas dire que la décision satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence (Vavilov au para 100).
IV. Analyse
A. Question d’ordre préliminaire : admissibilité de nouvelle preuve
[11] Dans un ordre préliminaire, le défendeur s’oppose à l’admission en preuve de l’affidavit de la tante du demandeur, datée du 31 août 2023 [Affidavit]. Le défendeur souligne que les informations contenues dans l’Affidavit n’étaient pas devant l’Agent lorsqu’il a rendu sa décision le 31 mars 2023. Dans le dossier certifié du tribunal, la tante du demandeur avait fourni un affidavit daté du 9 mars 2023 à l’appui de la demande du permis d’études.
[12] Le défendeur s’oppose à l’inclusion de l’Affidavit et allègue que le demandeur tente de bonifier sa preuve après coup et de pallier aux lacunes du dossier devant l’Agent. Le demandeur n’a pas contesté l’objection du défendeur lors de l’audience.
[13] Le rôle de la Cour en contrôle judiciaire est d’examiner la décision du décideur administratif dans le contexte juridique et factuel présenté au décideur lorsqu’il a pris sa décision. Le dossier de preuve devant la Cour lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire se limite généralement au dossier de preuve dont disposait le décideur. Donc, en règle générale, les documents et les informations dont ne disposaient pas le décideur ne sont pas admissibles lors du contrôle judiciaire devant la Cour (Tsleil-Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 128 aux para 97-98; Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 aux para 19-20 [Access Copyright]).
[14] Les exceptions à ce principe général comprennent: 1) fournir du contexte permettant à la Cour de comprendre les questions qui se rapportent au contrôle judiciaire, 2) faire ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le tribunal administratif lorsqu’il a tiré une conclusion, ou 3) porter à l’attention de la Cour des vices de procédure qu’on ne peut déceler dans le dossier de la preuve du tribunal administratif (Access Copyright au para 20).
[15] Le défendeur a raison de s’opposer à l’information dans l’Affidavit qui n’était pas devant le décideur. Je ne peux non plus conclure que l’Affidavit rencontre les exceptions dans l’affaire Access Copyright.
[16] Par conséquent, je ne considérerai pas la nouvelle preuve dans l’Affidavit pour les fins du contrôle judiciaire des motifs de la Décision.
B. La Décision est raisonnable
[17] Le demandeur souligne que la conclusion de l’Agent est déraisonnable, car la tante et l’oncle du demandeur ont démontré avoir les moyens nécessaires pour satisfaire aux exigences de la RIPR. Ils soutiennent avoir les sommes suffisantes pour couvrir les frais des trois ans d’études du demandeur étayés par un montant immédiat dans leurs comptes de 36,000 $ et leur salaire important. Les garants ont tout fait pour s’obliger devant l’Agent. L’Agent a aussi manqué à son analyse de l’absence des liens familiaux en ciblant la famille au Canada, mais en omettant les liens en Haïti. Sa conclusion quant au profil du demandeur est vague et déraisonnable.
[18] Le défendeur fait valoir que le motif de refus portant sur l’insuffisance des ressources financières est déterminant en soi pour rejeter la demande de permis d’études du demandeur. Selon l’article 220 du RIPR, l’étranger demandant un permis d’études doit démontrer qu’il est en mesure d’accéder aux ressources financières suffisantes et disponibles pour subvenir à ses besoins, y compris ses frais de scolarité ainsi que ses frais de transport pour venir au Canada et retourner à son pays d’origine, sans travailler pendant toute la période de son séjour autorisée.
[19] Les passages pertinents de la RIPR sont les suivants :
|
|
|
|
[20] Selon le défendeur, l’article 220 de la RIPR qu’en l’absence de preuve claire démontrant des ressources financières suffisantes, l’Agent n’a pas de pouvoir discrétionnaire et doit rejeter la demande du permis d’études (Ibekwe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 728 au para 31 [Ibekwe]).
[21] L’Agent a noté que les garants seront les pourvoyeurs du demandeur, mais, comme tiers, ils n’ont pas d’obligation légale envers ce dernier et donc le financement des besoins de ces fonds ne serait pas garanti. L’Agent a aussi considéré que les fonds des garants du demandeur n’étaient pas suffisants pour financer l’ensemble du voyage. L’Agent a conclu que les fonds présentés seraient vidés pour répondre aux dépenses du projet d’étude.
[22] Le demandeur avait identifié les frais de scolarité d’une année de 13,592 $ et des frais de subsistance de 14,339 $ dont le total pour une année serait 27,911 $. Il liste sous garant 1 (sa tante) et sous garant 2 (le conjoint de sa tante), les documents financiers comme lettres de leurs employeurs respectifs avec une confirmation documentaire d’emploi décrivant leur poste, la durée de l’emploi et le salaire de chacun ainsi que leurs relevés de paie. Les garants ont fourni des lettres signées par la gestion de la succursale de la banque des garants, confirmant la solde dans leurs comptes bancaires. Les garants ont aussi signé un affidavit daté du 9 mars 2023, dans lequel ils s’engagent d’héberger ainsi qu’à subvenir à tous les besoins du demandeur, « notamment nourriture, transport, soins médicaux et frais scolaires qui s’élèvent à 13,592.00 $ CA par année »
et un formulaire d’engagement avec le gouvernement du Québec.
[23] D’après le demandeur, l’Agent a validement considéré le solde dans les comptes bancaires des garants. Par contre, l’Agent a ignoré le salaire stable des garants qui leur permettrait de continuer à faire des économies.
[24] Le demandeur cite Asma c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1048 aux para 27 et 28 [Asma], a contrario, pour étayer sa position que la preuve du montant et de la stabilité de la source de revenus sont des éléments pertinents dans l’évaluation du dossier de demande de permis d’étude. Dans l’affaire Asma, l’engagement financier a été fait par le cousin du demandeur et la décision refusant le permis d’étude était basée sur le motif que les ressources financières étaient insuffisantes compte tenu des grandes fluctuations dans son propre compte de banque. Le demandeur fait valoir que dans le cas en l’espèce, il a prouvé la stabilité de la source de revenus avec la confirmation du salaire important et stable de ses garants.
[25] La juge Tsimberis dans Asma confirme que la jurisprudence récente de notre Cour reconnait qu’il est raisonnable de la part des agents d’immigration de tenir compte de la provenance des fonds en considérant les critères prévus à l’article 216 du RIPR (Asma au para 30 citant Bidassa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 242 au para 21, citant Kita c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1084 au para 20). Je note que dans ces trois arrêts, la disponibilité de fonds fait aussi partie de l’évaluation des critères prévus à l’article 216 du RIPR.
[26] En l’espèce, l’Agent a conclu que les fonds présentés par la tante et l’oncle du demandeur seraient vidés. Le demandeur reconnait que la solde dans les comptes bancaires pouvait rencontrer presque la moitié ou « au moins un an et demi »
des coûts associés à la période d’études, mais fait valoir que le revenu futur des garants pouvait couvrir le reste. Ce montant seul ne satisfait pas les critères de la RIPR.
[27] Il incombe au demandeur de convaincre l’Agent qu’il satisfait aux exigences prévues par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LC 2001, ch. 27) et la RIRP (Pierre c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1027 au para 8). Le demandeur devait démontrer qu’il pouvait accéder à presque 84,000 $ de fonds pour une période de trois ans sans devoir travailler durant cette période d’études.
[28] Autre qu’une confirmation du salaire des garants, il n’était pas clair comment le demandeur (à travers ses garants) pourrait continuer à couvrir les coûts associés avec ses études pour la période de trois ans. L‘Agent note que: « Based on the financial documents submitted, I am not satisfied that the applicant has sufficient funds to pay for living expenses for the proposed studies »
et « it is unclear third party’s household size and other obligations »
.
[29] Ces observations confirment l’insuffisance de preuve quant à la disponibilité de fonds après avoir vidé les comptes bancaires de ses garants. En effet, il n’y a pas de preuve au dossier contrairement aux arguments du demandeur, que les garants ont les moyens de faire des économies et de subvenir aux besoins du demandeur. Il n’y a aucune explication sur la façon dont les garants combleraient les fonds une fois que la solde des comptes bancaires sera épuisée.
[30] Je souscris aux arguments du défendeur que l’Agent, en considérant l’ensemble du dossier, a raisonnablement conclu que le demandeur n’a pas adéquatement étayé qu’il dispose des ressources financières suffisantes au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes. La Décision est raisonnable, car elle rencontre les caractéristiques de justification, de transparence et d’intelligibilité.
V. Conclusion
[31] Ayant considéré que la conclusion quant à la suffisance financière était déterminante, il n’est pas nécessaire de trancher les autres motifs de l’Agent (Ibekwe au para 32).
[32] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
JUGEMENT dans le dossier IMM-5510-23
LA COUR STATUE que
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
Il n’y a pas de questions à certifier.
« Phuong T.V. Ngo »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
|
IMM-5510-23 |
|
INTITULÉ :
|
CHRISTOPHER LARDO JACQUET c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
|
LIEU DE L’AUDIENCE :
|
MONTRÉAL (QUÉBEC) |
|
DATE DE L’AUDIENCE :
|
LE 2 OCTOBRE 2024 |
|
JUGEMENT ET MOTIFS :
|
LA JUGE NGO |
|
DATE DES MOTIFS :
|
LE 7 OCTOBRE 2024 |
|
COMPARUTIONS :
Me Émmanuel Roy-Allain |
Pour lA PARTIE demandeRESSE
|
Me Nadine Saadé |
Pour lA PARTIE défendeRESSE
|
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Susan Ramirez Avocat Montréal (Québec) |
Pour lA PARTIE demandeRESSE
|
Procureur général du Canada Montréal (Québec) |
Pour lA PARTIE défendeRESSE
|