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Date : 20241004


Dossier : IMM-7686-23

Référence : 2024 CF 1565

Ottawa (Ontario), le 4 octobre 2024

En présence de l'honorable juge Régimbald

ENTRE :

BAILON SANCHEZ RAUL

demandeur

et

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, RÉFUGIÉS ET CITOYENNETÉ CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Section d’appel des réfugiés [SAR] a conclu dans une décision datée du 30 mai 2023 que Raul Bailon Sanchez [le demandeur] n’est pas un réfugié au sens de la Convention et ne se qualifie pas à titre de personne à protéger selon les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], puisqu’il existait pour lui une possibilité de refuge intérieur [PRI] dans les villes de Mérida et de Campeche. Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de cette décision de la SAR.

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. La décision de la SAR est claire, justifiée et intelligible au regard de la preuve soumise (Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 au para 8 [Mason] ; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 99 [Vavilov]). Le demandeur ne s’est pas déchargé de son fardeau de démontrer que la décision de la SAR était déraisonnable.

II. Contexte

[3] Le demandeur est citoyen du Mexique et habitait la ville de Salamanca. Il allègue avoir été menacé par El Pelon, un responsable du cartel de los Caballeros Templarios [CT], puisque lui et ses associés leur devaient de l’argent. Ses deux associés auraient été tués.

[4] Craignant pour sa vie, le demandeur s’est enfui vers la ville de Querétaro, située à environ une heure de route de Salamanca, où il a travaillé pendant quatre ans sans être importuné. Le 30 septembre 2019, de façon fortuite, il aurait croisé El Pelon qui travaillait désormais pour le Cartel de Jalisco Nueva Generacion [CJNG]. Ce dernier lui aurait fait mention de la dette et aurait tenté de le recruter pour le CJNG. Le demandeur a donc quitté le Mexique le 8 octobre 2019 pour le Canada.

[5] Au motif qu’il n’était pas crédible, la Section de la protection des réfugiés [SPR] a conclu que le demandeur n’est pas réfugié au sens de la Convention et ne se qualifie pas à titre de personne à protéger en vertu des articles 96 et 97 de la LIPR. Pour sa part, la SAR a estimé qu’il était crédible, mais qu’il avait une PRI à Mérida et Campeche. La SAR a notamment conclu que le demandeur n’a pas démontré que El Pelon, le CT ou le CJNG seraient motivés à le retrouver dans les PRI et qu’il n’y a aucune preuve réelle et concrète de conditions prévalant dans les PRI qui mettent en péril la vie et la sécurité du demandeur. La SAR a donc confirmé la décision de la SPR et rejeté l’appel du demandeur.

III. Norme de contrôle et question en litige

[6] La seule question en litige est à savoir si la décision de la SAR est raisonnable.

[7] Nul ne conteste que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Vavilov aux para 10, 25 ; Mason aux para 7, 39–44). Une décision raisonnable est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov au para 85 ; Mason au para 8) ; et qui est justifiée, transparente et intelligible (Vavilov au para 99 ; Mason au para 59). Un contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’est pas qu’une « simple formalité » ; c’est une forme de contrôle rigoureuse (Vavilov au para 13 ; Mason au para 63). Une décision peut être déraisonnable si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte (Vavilov aux para 125–126 ; Mason au para 73). Finalement, il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov au para 100).

IV. Analyse

A. Le critère à deux volets relatif à la PRI

[8] Il faut appliquer un critère à deux volets pour déterminer la viabilité d’une PRI. Dans le cadre du premier volet, le décideur se penche sur la question de savoir si le demandeur d’asile serait exposé à une possibilité sérieuse de persécution au titre de l’article 96 ou au risque de subir un préjudice au titre du paragraphe 97(1) de la LIPR à l’endroit proposé comme PRI. Dans le cadre de ce volet, le décideur tient compte des « moyens » et de la « motivation » de l’agent de persécution de retrouver le demandeur d’asile à l’endroit proposé comme PRI (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 996 au para 8 [Singh] ; Adeleye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 81 au para 21 [Adeleye]).

[9] Dans le cadre du second volet, le décideur doit évaluer s’il serait raisonnable, compte tenu de toutes les circonstances, pour le demandeur d’asile de chercher refuge à l’endroit proposé comme PRI (Singh au para 10 ; Olusola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 799 au para 8 [Olusola]).

[10] Une fois qu’une PRI est proposée, il incombe au demandeur d’asile de démontrer qu’elle n’est pas viable (Adeleye au para 20 ; Olusola au para 9).

B. La décision de la SAR est raisonnable

(1) Le premier volet de l’analyse

[11] Le demandeur prétend que la SAR a commis une erreur lorsqu’elle a conclu que El Pelon et les cartels n’ont pas une motivation à le retrouver. À cet effet, il allègue que deux de ses associés ont été assassinés par le cartel pour ne pas avoir payé leurs dettes, et qu’il est « de notoriété » que le cartel CT fait partie du CJNG. Il soulève ainsi que la SAR a mis trop d’emphase sur le fait que le demandeur doit de l’argent au cartel CT et non au CJNG.

[12] Selon moi, au regard de la preuve qui lui a été soumise, la SAR pouvait raisonnablement conclure que la preuve n’établissait pas que El Pelon et les cartels avaient un intérêt à retrouver le demandeur pour le paiement de la dette, ou que le CJNG faisait du recrutement forcé (Décision de la SAR aux para 32-39). Certes, le caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur se méprend fondamentalement sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en tient pas compte (Vavilov au para 126), mais le demandeur ne soulève aucune erreur de la sorte.

[13] La SAR a rendu des motifs limpides, intelligibles et justifiés. Elle a pris en compte, notamment, l’assassinat des deux associés, l’allégation que le demandeur a refusé de payer pour une dette et a refusé de collaborer avec El Pelon et les cartels, et le fait que le demandeur a trouvé refuge à une heure de route et y est demeuré sans embuche pendant quatre ans; sa rencontre en septembre 2019 avec El Pelon étant tout à fait fortuite (Décision de la SAR aux para 5, 32–38).

[14] La SAR a ensuite pondéré la preuve et tiré la conclusion que le demandeur ne s’était pas déchargé de son fardeau de démontrer que El Pelon ou les cartels étaient motivé à le retrouver (Décision de la SAR aux para 34, 38-39). À moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne peuvent pas pondérer à nouveau la preuve et modifier les conclusions de fait établies par la SAR (Vavilov au para 125).

[15] L’argument principal du demandeur porte sur l’assassinat de ses deux associés, ce qui en soi démontre selon lui la motivation de El Pelon et des cartels pour le retrouver. Avec égard, la SAR pouvait aussi, dans sa pondération de la preuve, décider que le fait que le demandeur ait été en mesure de déménager dans une ville à environ une heure de route de Salamanca, et y vivre durant quatre ans sans être victime de harcèlement, indique plutôt que les agents de persécution ne sont pas motivés à le retrouver. Ainsi, la SAR conclut que la rencontre de septembre 2019 avec El Pelon est fortuite (et cette conclusion n’est pas contestée par le demandeur) et non pas une indication d’une motivation de El Pelon pour retrouver le demandeur. Cette conclusion est raisonnable et il ne revient pas à la Cour de soupeser de nouveau la preuve soumise à la SAR et d’y substituer sa propre conclusion.

[16] Dans un deuxième temps, le demandeur prétend que la SAR n’a pas apprécié les éléments de preuve contenus dans le cartable national de documentation [CND]. En guise d’argument, il cite dans son mémoire plusieurs extraits du CND relatif au Mexique. Or, la SAR est présumée avoir examiné la preuve et ne doit pas faire référence à tous les éléments de preuve, même s’ils sont pertinents (Kandha c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 430 au para 16). De plus, les extraits proposés discutent de la puissance des cartels et de leur capacité à retrouver des gens lorsqu’ils ont une très forte motivation pour le faire. Or, en l’espèce, la SAR a raisonnablement conclu que les cartels en question n’ont pas la motivation de retrouver le demandeur. Les extraits du CND ne sont donc d’aucun recours pour le demandeur.

(2) Le deuxième volet de l’analyse

[17] Selon la SAR, rien dans la preuve ne démontre qu’il serait déraisonnable pour le demandeur de s’établir dans les villes de Mérida et de Campeche. Le demandeur ne conteste pas ce point. La conclusion de la SAR est donc raisonnable sur ce deuxième volet de l’analyse.

V. Conclusion

[18] La décision de la SAR est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques du dossier (Mason au para 8 ; Vavilov au para 99). Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[19] Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification, et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-7686-23

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Guy Régimbald »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7686-23

INTITULÉ :

BAILON SANCHEZ RAUL c LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, RÉFUGIÉS ET CITOYENNETÉ CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 OCTOBRE 2024

JUGEMENT ET MOTIFS

LE JUGE RÉGIMBALD

DATE DES MOTIFS :

LE 4 OCTOBRE 2024

COMPARUTIONS :

Serban Mihai Tismanariu

POUR LE DEMANDEUR

Claudia Gagnon

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Serban Mihai Tismanariu

Avocat

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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