Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20241001


Dossier : IMM-17309-24

Référence : 2024 CF 1543

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 1er octobre 2024

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

ARWA ALMSRAWI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Arwa Almsrawi, sollicite une injonction interlocutoire mandatoire empêchant Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada (« IRCC ») de retirer le soutien de son partenaire de réinstallation, l’Organisation internationale pour les migrations (« OIM »), jusqu’à ce qu’une décision soit rendue sur sa demande de contrôle judiciaire de la décision défavorable rendue par un agent principal de migration par suite d’un réexamen, en date du 17 septembre 2024. La demanderesse sollicite également une directive facilitant son transfert immédiat au Canada par l’octroi d’un permis de séjour temporaire (« PST »). La demanderesse dépose la présente requête conformément à l’article 18.2 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), ch. F-7, et à l’article 373 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les Règles).

[2] Pour les motifs qui suivent, la présente requête est rejetée.

II. Faits et décisions sous-jacentes

[3] La demanderesse est une femme transgenre originaire de Syrie qui s’est convertie au christianisme. De 2011 à 2024, elle a vécu en tant que sans-papiers en Arabie Saoudite.

[4] En janvier 2024, IRCC a approuvé la demande de visa de résidente permanente que la demanderesse a présentée dans le cadre du programme outre-mer de réfugiés parrainés par le gouvernement (RPG).

[5] En février 2024, l’OIM a pris des dispositions pour que la demanderesse se rende au Canada depuis l’Arabie Saoudite. La compagnie aérienne a refusé de laisser la demanderesse monter dans l’avion. L’OIM a ensuite pris des dispositions pour que la demanderesse se rende au Canada en passant par la Turquie. Cependant, la compagnie aérienne chargée de ce vol a également refusé de laisser la demanderesse monter dans l’avion, en déclarant que son nom figurait sur la liste d’interdiction de vol de la Transportation Security Administration des États-Unis (la liste d’interdiction de vol).

[6] Par conséquent, IRCC a annulé le visa de résidente permanente (VRP) de la demanderesse et a rouvert sa demande de résidence permanente dans le cadre du programme de RPG.

[7] Depuis février 2024, la demanderesse réside dans la zone de transit sécurisée de l’aéroport en Turquie. Durant cette période, l’OIM a facilité l’accès à la nourriture, aux soins de santé et à des lieux d’hébergement. Puisque l’OIM n’est pas autorisée à pénétrer dans la zone de transit sécurisée sans l’autorisation de l’Istanbul Grand Airport Authority (l’IGAA), l’OIM a conclu avec l’IGAA un contrat prévoyant que celle-ci fournirait de tels services à la demanderesse.

[8] En avril 2024, l’agent a eu une entrevue avec la demanderesse en Turquie. Le but de l’entrevue était de [TRADUCTION] « dissiper les préoccupations [d’IRCC] quant aux raisons pour lesquelles [la demanderesse] se serait au départ retrouvée sur la [liste d’interdiction de vol] », puisqu’[TRADUCTION] « il semble qu’il pourrait y avoir dans [ses] antécédents plus de faits et de détails susceptible d’être importants aux fins d’une évaluation de l’admissibilité [de la demanderesse] ». Pendant l’entrevue, la demanderesse a déclaré qu’elle n’avait pas demandé de visa antérieurement.

[9] Le 10 juillet 2024, IRCC a envoyé une lettre relative à l’équité procédurale à la demanderesse. La lettre faisait état des préoccupations de l’agent concernant les paragraphes 11(1) et 16(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), qui traitent respectivement de l’interdiction de territoire et de l’obligation de franchise des demandeurs. Comme l’a déclaré l’agent, [TRADUCTION] « [i]l s’ensuit que je suis préoccupé par la crédibilité des renseignements que vous m’avez fournis durant notre entrevue, laquelle est importante pour une évaluation précise de votre admissibilité, compte tenu de la preuve contradictoire figurant dans » une demande de visa de résidente temporaire (« VRT ») présentée en 2019.

[10] Le 10 août 2024, la demanderesse a répondu à la lettre relative à l’équité procédurale. La demanderesse a soulevé des allégations d’abus de procédure et soutenu que ses droits procéduraux avaient été violés.

[11] À cette date, la demanderesse avait présenté trois demandes de contrôle judiciaire. Ces demandes étaient liées à une demande de PST (la demande de PST), à la demande de résidence permanente rouverte (la demande de RP) et à la demande de communication de la demanderesse concernant des allégations figurant dans la lettre relative à l’équité procédurale (la demande de communication).

[12] Le 20 août 2024, la demanderesse a déposé une requête en vue d’obtenir la gestion de la demande de PST, de la demande de RP et de la demande de communication. Dans une décision datée du 20 septembre 2024, cette requête a été accueillie.

[13] Dans une décision datée du 17 septembre 2024, la demande de résidence permanente de la demanderesse et sa demande de PST ont été rejetées (la décision relative au réexamen). L’agent a jugé que la crédibilité de la demanderesse avait été minée par sa preuve contradictoire et changeante concernant un ancien passeport et la demande de VRT de 2019, de sorte qu’il y avait [TRADUCTION] « insuffisamment de renseignements crédibles et clairs pour pouvoir conclure que [la demanderesse n’est] pas interdite de territoire au Canada ». La demanderesse a été informée qu’elle cesserait donc de recevoir le soutien de l’OIM le 2 octobre 2024.

[14] La demanderesse a demandé le contrôle judiciaire de la décision relative au réexamen. Il s’agit de la demande sous-jacente dans la présente requête.

III. Analyse

[15] Le critère qui s’applique aux injonctions interlocutoires mandatoires est énoncé dans l’arrêt R c Société Radio-Canada, 2018 CSC 5 (SRC), citant l’arrêt RJR-MacDonald Inc c Canada (Procureur général), 1994 CanLII 117 (CSC), [1994] 1 RCS 311 (RJR-MacDonald). Selon les arrêts SRC et RJR-MacDonald, le demandeur a le fardeau d’établir ce qui suit : (1) l’existence d’une question sérieuse à juger, ou « une forte apparence de droit qu’il obtiendra gain de cause au procès »; (2) « il subira un préjudice irréparable si la demande d’injonction n’est pas accueillie »; et (3) la « prépondérance des inconvénients favorise la délivrance de l’injonction » (SRC, au para 18).

[16] La demanderesse n’a pas satisfait aux trois exigences du critère.

A. Il n’y a pas de forte apparence de droit

[17] La demanderesse soutient qu’il y a une forte apparence de droit que l’agent a manqué à son obligation d’équité procédurale, que la décision de refus est déraisonnable et qu’IRCC a violé les droits de la demanderesse garantis par la Charte canadienne des droits et libertés, partie 1 de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 (Charte), en révoquant l’approbation de la demande de RPG de la demanderesse.

[18] Je ne suis pas d’accord. En ce qui concerne l’équité procédurale, la demanderesse interprète mal la portée des obligations d’IRCC en matière de communication. La demanderesse a demandé que lui soient communiquées les notes de cinq entrevues avec des agents d’immigration, ainsi que les [TRADUCTION] « documents concernant le motif pour lequel la demande [de la demanderesse] a été rouverte, y compris tout renseignement au sujet du fait que le transporteur aérien aurait indiqué que son nom figurait sur la [liste d’interdiction de vol] ». N’ayant reçu que des notes caviardées de l’entrevue d’avril 2024, la demanderesse allègue que ses droits procéduraux ont été violés.

[19] IRCC n’était pas tenu de communiquer des renseignements autres que ceux concernant l’entrevue d’avril 2024, puisqu’« il n’existe aucune obligation de communiquer des renseignements qui ne servent pas d’assise à la décision » (Hasi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1115 au para 49). La décision relative au réexamen a été rendue sur le fondement de l’entrevue d’avril 2024. Par conséquent, IRCC n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale en refusant de communiquer d’autres documents.

[20] De plus, les renseignements communiqués sont suffisants pour satisfaire aux obligations procédurales d’IRCC. Notre Cour a décidé que « l’équité n’exige pas la communication de chaque document sur lequel le décideur s’est appuyé, mais exige plutôt que le demandeur ait une compréhension suffisante de l’essentiel des doutes soulevés » (Geng c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 773 au para 74). IRCC a fourni à la demanderesse les notes de l’entrevue d’avril 2024. Ce document, de même que la lettre relative à l’équité procédurale délivrée le 10 juillet, fait clairement état des préoccupations de l’agent, à savoir que [TRADUCTION] « les renseignements obtenus de [la demanderesse] » pendant l’entrevue [TRADUCTION] « au sujet [de ses] activités et de ses déplacements, de sa résidence et de son statut juridique » de 2011 à 2024 sont directement contredits par une demande de VRT présentée en 2019. Pendant l’entrevue et dans la lettre relative à l’équité procédurale, l’agent a clairement expliqué que ces renseignements étaient importants pour trancher la question de l’interdiction de territoire, vu que le nom de la demanderesse figurait sur la liste d’interdiction de vol. Par conséquent, je conclus qu’IRCC a effectué une communication adéquate des renseignements sur lesquels la décision de refus était fondée. Il n’existe aucune question sérieuse concernant l’équité procédurale.

[21] Quant au caractère raisonnable de la décision relative au réexamen, je conviens avec le défendeur qu’aucun élément des motifs de l’agent ne justifie d’accueillir la présente requête.

[22] La demanderesse soutient que la décision relative au réexamen n’est ni transparente ni justifiée. La demanderesse fait valoir que l’agent n’a pas tiré de conclusions définitives concernant l’interdiction de territoire pour raison de sécurité, en dépit du fait que le VRP de la demanderesse avait été annulé parce que son nom figurait sur la liste d’interdiction de vol. La demanderesse soutient également que l’agent a fait fi de la preuve qui contredisait sa conclusion, y compris le fait qu’en 2023, la demanderesse avait volontairement admis à IRCC qu’elle avait présenté une demande de VRT.

[23] L’absence de conclusion d’interdiction de territoire pour raison de sécurité ne rend pas la décision déraisonnable. La question déterminante dans la décision relative au réexamen est la crédibilité. Comme l’a déclaré l’agent, la [TRADUCTION] « demande a été rejetée parce qu’après avoir écarté les renseignements à l’égard desquels [l’agent] avait des préoccupations en matière de crédibilité, [l’agent] n’avait pas suffisamment de renseignements crédibles et clairs pour effectuer une évaluation et être convaincu que [la demanderesse n’était] pas interdite de territoire au Canada ». Il était loisible à l’agent de rejeter une demande de résidence permanente pour un tel motif, « y compris une demande fondée sur l’appartenance à la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre‑frontières et à la catégorie des personnes protégées à titre humanitaire outre‑frontières » (Shafique c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 226 au para 8).

[24] En outre, je ne relève aucune erreur dans l’évaluation de la crédibilité effectuée par l’agent. Au cours de l’entrevue d’avril 2024, l’agent a demandé à la demanderesse si elle avait [TRADUCTION] « déjà utilisé [son] passeport pour demander un visa quelque part », si elle avait [TRADUCTION] « engagé un représentant dans le cadre d’une demande quelque part », si elle avait [TRADUCTION] « payé quelqu’un pour présenter une demande de visa en [son] nom », ou si [TRADUCTION] « des amis » ou [TRADUCTION] « des amants avaient déjà présenté une demande en [son] nom ». La demanderesse a répondu par la négative. Après qu’on lui eut présenté, dans la lettre relative à l’équité procédurale, des allégations selon lesquelles elle avait présenté une demande de visa en 2019, la demanderesse a déclaré dans un affidavit qu’[TRADUCTION] « [elle avait] engagé une agence en Arabie Saoudite pour présenter une demande de visa au Canada », qu’un ami avait signé [TRADUCTION] « un genre de contrat » pour payer les frais de la demande, qu’elle avait envoyé des documents personnels à l’appui de la demande, que l’agent [TRADUCTION] « [l’avait] appelée et [lui avait] dit que les documents avaient été soumis à l’ambassade » et que l’agent avait ensuite soudainement [TRADUCTION] « disparu » avant qu’elle ne lui paie ses services. Cette preuve contredit les réponses que la demanderesse a données pendant l’entrevue d’avril 2024 et mine sa crédibilité.

[25] Compte tenu du dossier de preuve, je ne puis convenir que la demanderesse a fourni une [TRADUCTION] « réponse complète » aux préoccupations de l’agent. Sur ce point, la présente affaire se distingue de la décision Takhar c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 7544 (CF) (« Takhar »). Dans l’affaire Takhar, le demandeur a admis qu’il avait présenté des renseignements frauduleux dans sa demande d’asile suivant les directives d’un agent. En l’espèce, la demanderesse a déclaré qu’elle n’avait jamais présenté de demande de visa ni engagé un agent pour le faire. Dans la présente affaire, il n’est pas question de demandeurs d’asile qui ont été pénalisés de façon déraisonnable pour ne pas avoir eu « de documents de voyage en règles [sic] » ou pour avoir présenté des renseignements frauduleux conformément aux « directives de l’agent qui a organisé leur fuite » (Takhar, au para 14). Il s’agit d’une demanderesse qui n’a pas divulgué ses antécédents en matière d’immigration, contrairement au paragraphe 16(1) de la LIPR.

[26] L’observation de la demanderesse selon laquelle elle n’a pas compris les questions de l’agent en raison de problèmes de médicaments et d’interprétation n’est pas non plus une « réponse complète ». Le défendeur souligne à juste titre que la demanderesse n’a pas soulevé ces problèmes « à la première occasion » (Baloch c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1373 au para 29), même si l’agent a interrogé la demanderesse deux fois au sujet de problèmes d’interprétation et l’a invitée à demander des pauses pendant l’entrevue, au besoin. Je conviens avec le défendeur que les observations de la demanderesse demeurent hypothétiques et incompatibles avec les notes d’entrevue.

[27] La demanderesse n’a pas présenté une preuve suffisante justifiant que l’on préfère son récit de l’entrevue à celui de l’agent. La demanderesse affirme que, pendant l’entrevue d’avril 2024, l’agent lui a simplement demandé [TRADUCTION] « si [elle s’était] rendue dans d’autres pays, ou [avait] une autre nationalité ou citoyenneté », et non si elle avait présenté une demande de visa dans le passé. Les notes de l’agent confirment que la demanderesse a été interrogée au sujet de ses déplacements, de sa nationalité et de sa citoyenneté dans d’autres pays. Cependant, les notes indiquent également que la demanderesse s’est vu poser une série de questions concernant des demandes de visa et qu’elle a nié avoir présenté une demande. Comme l’a déclaré mon collègue le juge Pentney, « [l]a jurisprudence de la Cour établit qu’on doit généralement accorder beaucoup de poids aux notes d’un agent, parce qu’elles reflètent le document contemporain de l’interaction par un agent formé qui n’a aucun intérêt personnel dans l’issue de l’affaire » (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 687 au para 39). Vu le poids accordé aux notes de l’agent, la demanderesse ne doit pas se contenter de présenter des [TRADUCTION] « explications possibles quant aux incohérences », par exemple des problèmes concernant les médicaments et l’interprétation.

[28] Par conséquent, je conclus qu’il n’y a pas de forte apparence de droit en ce qui concerne l’observation de la demanderesse selon laquelle elle a mal compris l’agent pendant l’entrevue d’avril 2024. La demanderesse soutient qu’il est illogique de décider qu’elle a tenté de dissimuler la demande de visa de 2019, étant donné qu’elle a divulgué la demande à un responsable de l’immigration en octobre 2023 et déclaré, pendant l’entrevue d’avril 2024, qu’[TRADUCTION] « il y a un bureau auquel [elle s’est] adressée » il y a six ans, [TRADUCTION] « où ils disaient qu’ils s’occupaient de visas, mais tout cela n’était que du vent ». La demanderesse fait valoir qu’il est plus probable qu’elle ait simplement mal compris l’agent, croyant qu’on l’avait interrogée au sujet de tentatives d’obtenir des documents frauduleux, plutôt que sur la présentation de bonne foi de demandes de visa. Cependant, la preuve versée au dossier montre qu’on a demandé à plusieurs reprises à la demanderesse si elle avait présenté une demande de visa et qu’elle a nié en avoir présenté. Les observations de la demanderesse sur cette question font ressortir la nature contradictoire et changeante de sa preuve, tant durant l’entrevue d’avril 2024 que dans sa réponse à la lettre relative à l’équité procédurale. Elles ne révèlent pas une forte apparence de droit que la décision relative au réexamen est déraisonnable.

[29] Dans le même ordre d’idées, les observations de la demanderesse concernant la preuve contradictoire n’établissent pas de forte apparence de droit. La demanderesse soutient que sa fiche de départ de l’Arabie Saoudite [TRADUCTION] « est une corroboration définitive de sa version des événements » et que la décision relative au réexamen est déraisonnable parce qu’elle n’a pas tenu compte de ce document. Cependant, la fiche de départ n’a aucun lien avec la question déterminante dans la décision relative au réexamen : les fausses déclarations et la non-communication se rapportant à la demande de VRT de 2019. L’agent n’était pas tenu d’examiner ce document, parce qu’il ne contredit pas les questions de crédibilité au cœur de la décision de refus. De plus, l’agent est présumé avoir considéré l’ensemble de la preuve et la demanderesse n’a pas réfuté cette présomption dans la présente requête (Solopova c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 690 au para 28).

[30] Enfin, en ce qui concerne les violations de la Charte alléguées, il n’y a pas de forte apparence de droit parce que la demanderesse n’a pas établi l’existence d’un lien avec le Canada. Un demandeur peut établir l’existence d’un lien « par sa présence au Canada, par le fait qu’il fait l’objet d’un procès au criminel au Canada ou par le fait qu’il a la citoyenneté canadienne » (Zeng c Canada (Procureur général), 2013 CF 104 au para 72). Aucun de ces scénarios ne s’applique à la demanderesse dans la présente instance.

[31] Pour les motifs énoncés ci-dessus, je conclus que la demanderesse n’a pas établi de forte apparence de droit. La requête en vue d’obtenir une injonction interlocutoire mandatoire est donc rejetée.

B. L’existence d’un préjudice irréparable n’a pas été établie

[32] Quoi qu’il en soit, je conclus que la demanderesse n’a pas non plus établi l’existence d’un préjudice irréparable.

[33] Pour satisfaire au deuxième volet du critère, les demandeurs doivent démontrer qu’un préjudice irréparable sera causé si le sursis n’est pas accordé. Un préjudice n’est pas qualifié d’irréparable en raison de son ampleur; c’est un préjudice qui ne peut être quantifié du point de vue monétaire ou auquel il ne peut être remédié (RJR-MacDonald à la p 341). La Cour doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que le préjudice n’est pas hypothétique, mais elle n’a pas à être convaincue que le préjudice sera causé (Xu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] ACF no 746, 79 FTR 107 (CFPI); Horii c Canada (CA), [1991] ACF no 984, [1992] 1 CF 142 (CAF)).

[34] La demanderesse soutient que, si l’injonction interlocutoire mandatoire n’est pas accordée, elle sera renvoyée en Syrie, où elle sera exposée à un risque grave de violence, de décès et de torture en tant que personne rapatriée transgenre. La demanderesse affirme aussi qu’elle fait face à un risque imminent d’automutilation ou de décès par suicide en raison de la perte de son statut d’immigrante et des conditions transphobes à l’aéroport d’Istanbul.

[35] Le défendeur soutient que le redressement sollicité par la demanderesse ne relève pas de la compétence d’IRCC et que les observations de la demanderesse indiquent qu’un préjudice irréparable serait causé que l’injonction soit ou non accordée, ce qui ne satisfait pas au deuxième élément du critère énoncé dans les arrêts SRC et RJR-MacDonald.

[36] Je suis d’accord avec le défendeur.

[37] La capacité de notre Cour d’accorder le redressement demandé est cruciale lorsqu’il s’agit de trancher la requête de la demanderesse. Cependant, celle-ci sollicite un redressement qu’IRCC n’est pas en mesure d’offrir seul. Le soutien que reçoit actuellement la demanderesse est facilité par IRCC en collaboration avec l’OIM et l’IGAA. L’OIM est affiliée aux Nations Unies. L’IGAA est [TRADUCTION] « une société d’infrastructure créée dans le cadre d’un partenariat public-privé avec le gouvernement turc pour construire et gérer l’aéroport d’Istanbul ». Je conviens avec le défendeur que la demanderesse n’a pas établi si la Cour est compétente pour lier des tiers comme l’OIM et l’IGAA au moyen d’une injonction interlocutoire mandatoire.

[38] En outre, quoique dans le contexte d’un contrôle judiciaire, la compétence de la Cour pour transférer la demanderesse au Canada n’est pas claire (Rocha Badillo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2024 FC 1092 au para 37). Cette constatation est renforcée par le fait que la demanderesse est actuellement une ressortissante étrangère, les non‑citoyens n’ayant pas un « droit absolu d’entrer » au Canada (Medovarski c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration); Esteban c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 51 au para 46). Il convient de souligner que le fait de contraindre le défendeur à accorder à la demanderesse un visa l’autorisant à entrer au Canada constitue une mesure tout à fait extraordinaire, sans parler du fait de contraindre ensuite le défendeur à transférer la demanderesse au Canada. Un tel exercice dépasserait les limites de la surveillance judiciaire de l’action gouvernementale; il représenterait une réinvention judiciaire du système d’immigration du Canada. Je conclus que les observations de la demanderesse dépendent fondamentalement d’une demande de « mandamus déguisé », un redressement pour lequel la demanderesse n’a certes pas établi de fondement dans la présente requête (Canada c Boloh 1(a), 2023 CAF 120 aux para 61-63).

[39] Quoi qu’il en soit, la demanderesse soutient qu’un préjudice irréparable serait causé si elle restait à l’aéroport ou était renvoyée en Syrie. Selon la demanderesse, [TRADUCTION] « [elle risquerait] fort d’être victime de violence sexuelle, de torture et d’autres violations des droits de la personne » en Syrie. De plus, il est allégué que le fait de rester à l’aéroport continuerait à nuire à la santé mentale de la demanderesse, puisqu’elle fait actuellement [TRADUCTION] « l’objet de transphobie et se voit refuser l’accès à des produits d’affirmation de genre… et à des soins médicaux fiables ». Je ne vois pas comment l’accueil de la présente requête, sans contraindre le défendeur à faire quelque chose que la demanderesse n’a pas prouvé qu’il doit faire (ou peut-être même que la Cour pourrait faire), établit qu’un préjudice irréparable sera causé si la requête est ou n’est pas accueillie. (SRC, au para 18).

[40] Le rapport médical de la demanderesse traite des préjudices allégués; un psychiatre autorisé y déclare que [TRADUCTION] « [l]e fait de rester à l’aéroport d’Istanbul ou d’être renvoyée en Syrie exacerberait probablement les symptômes [de la demanderesse] », y compris la psychose, les épisodes dépressifs majeurs et les tentatives de suicide (non souligné dans l’original). Cependant, le défendeur souligne à juste titre la valeur probante limitée du rapport médical concernant la demanderesse. Le rapport médical a été produit sur la foi de faits relatés par la demanderesse elle-même au cours d’un seul rendez-vous de 45 minutes, sans la possibilité d’examiner les notes des professionnels de la santé qui la traitaient à l’aéroport en Turquie. Ces facteurs réduisent la fiabilité du rapport (Chehade c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 293 au para 15; Esahak-Shammas c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 461 au para 33; Hernadi c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CanLII 126350 (CF) au para 6; Egwuonwu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 231 au para 75). Néanmoins, il est significatif qu’un document médical fourni par la demanderesse elle-même confirme qu’un préjudice irréparable serait causé que l’injonction interlocutoire mandatoire soit accordée ou non.

[41] Pour ces motifs, je conclus que l’existence d’un préjudice irréparable n’a pas été établie.

C. La prépondérance des inconvénients ne favorise pas l’octroi de l’injonction

[42] Selon le troisième volet du critère, la Cour doit évaluer la prépondérance des inconvénients, ce qui consiste à déterminer quelle partie subirait le plus grand préjudice selon que l’on accorde ou refuse une injonction interlocutoire en attendant une décision sur le fond (RJR-MacDonald à la p 342; Manitoba (P.G.) c Metropolitan Stores Ltd., 1987 CanLII 79 (CSC), [1987] 1 RCS 110 à la p 129). Il a parfois été dit que, « [l]orsque la Cour est convaincue que l’existence d’une question sérieuse et d’un préjudice irréparable a été établie, la prépondérance des inconvénients militera en faveur du demandeur » (Mauricette c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2008 CF 420 (CanLII) au para 48). Toutefois, la Cour doit également tenir compte de l’intérêt public pour assurer la bonne administration du système d’immigration.

[43] Je conclus que l’intérêt public à assurer la bonne administration du système d’immigration l’emporte sur les intérêts de la demanderesse dans la présente requête. En l’espèce, la Cour conclut que la demanderesse n’a pas établi une forte apparence de droit, ni l’existence d’un préjudice irréparable. De plus, l’intérêt public à assurer la bonne administration du système d’immigration est particulièrement important dans la présente affaire, puisque celle-ci soulève, dans le contexte de la liste d’interdiction de vol, des questions concernant la crédibilité, de fausses déclarations et la preuve contradictoire de la demanderesse dans la demande de VRT de 2019.

[44] Tout comme l’agent, je reconnais et comprends bien la situation difficile dans laquelle se trouve la demanderesse. La décision relative au réexamen indique à juste titre que [TRADUCTION] « le visa [de la demanderesse] a été annulé et [son] vol rouvert après [qu’elle] eut pris des décisions irréversibles et importantes sur la foi de cette approbation ». La présente décision ne vise pas à minimiser ni à contester la gravité de la situation de la demanderesse. Cependant, les motifs de l’agent sont détaillés et sensibles aux inquiétudes de la demanderesse. Le dossier démontre que l’agent a clairement indiqué qu’il était absolument essentiel que la demanderesse réponde de façon complète et honnête à ses questions, en déclarant ce qui suit pendant l’entrevue d’avril 2024 : [TRADUCTION] « Je suis ici pour vous aider, mais je ne peux vous aider que si vous êtes complètement ouverte et honnête dans toutes vos réponses aujourd’hui. » L’agent a décrit ses préoccupations de façon transparente dans la lettre relative à l’équité procédurale et a fait droit à la demande présentée par la demanderesse en vue d’obtenir une prorogation de délai de 28 jours pour y répondre. Compte tenu de la preuve dont dispose la Cour, je dois conclure que la demanderesse ne satisfait pas au critère à trois volets qui s’applique aux injonctions interlocutoires mandatoires. La présente requête est donc rejetée.

IV. Conclusion

[45] Je conclus que la demanderesse ne satisfait pas au critère à trois volets énoncé dans les arrêts SRC et RJR-MacDonald. Par conséquent, je rejette la présente requête visant à obtenir une injonction interlocutoire mandatoire.


ORDONNANCE dans le dossier IMM-17309-24

LA COUR ORDONNE que la requête en vue d’obtenir une injonction interlocutoire mandatoire est rejetée.

« Shirzad A. »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-17309-24

 

INTITULÉ :

ARWA ALMSRAWI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 1ER OCTOBRE 2024

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

Le 1ER OCTOBRE 2024

 

COMPARUTIONS :

Erin Simpson

Andrew Brouwer

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Jocelyn Espejo-Clarke

Giancarlo Volpe

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Landings LLP

Barristers and Solicitors

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.