Date: 20241002
Dossier: T-2210-23
Citation: 2024 CF 1544
Montréal, Québec, le 2 octobre 2024
En présence de monsieur le juge Gascon
ENTRE:
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ANNA BROWN
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demanderesse
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et
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PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
I. Aperçu
[1] La demanderesse, Madame Anna Brown, est employée de l’Agence canadienne d’inspection des aliments [ACIA]. Elle sollicite le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 21 septembre 2023 [Décision] par la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale du Canada [TSS] relativement à une demande de permission de faire appel. Cette demande de permission de faire appel avait été introduite par Madame Brown suite à une décision de la Division générale du TSS ayant confirmé le rejet de sa demande de prestations d’assurance-emploi. La Division générale du TSS avait conclu que Madame Brown avait été suspendue de son emploi en raison de sa propre inconduite, car elle ne s’est pas conformée à une politique de son employeur, ayant refusé de fournir son statut vaccinal et n’ayant pas produit de demande d’exemption selon les modalités exigées par la politique. La Division d’appel du TSS a refusé la demande de permission d’en appeler de Madame Brown au motif que son appel n’a aucune chance raisonnable de succès.
[2] Madame Brown soutient que la Division générale et la Division d’appel du TSS auraient appliqué la jurisprudence sur la notion d’inconduite de façon mécanique, sans tenir compte des spécificités de son dossier et sans considérer d’autres décisions de la Cour d’appel fédérale [CAF] qui iraient à l’encontre du raisonnement retenu par le tribunal. Selon Madame Brown, le TSS avait alors l’obligation de traiter de ces décisions et de les distinguer s’il était d’avis qu’elles ne devaient pas être suivies. Madame Brown prétend que la Division d’appel du TSS aurait donc erré dans son interprétation de la notion d’inconduite en confirmant la décision de la Division générale, laquelle aurait fait défaut d’adresser certains critères nécessaires à une conclusion d’inconduite. De plus, Madame Brown plaide que le TSS aurait également commis une erreur de fait en concluant que l’ACIA avait suivi les termes de la politique en place.
[3] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire de Madame Brown sera rejetée. Compte tenu des conclusions de la Division d’appel du TSS, de la preuve qui lui a été présentée et du droit applicable, la Décision ne comporte aucune lacune grave qui nécessiterait l’intervention de la Cour. Madame Brown n’a pas démontré que la Décision est déraisonnable.
II. Contexte
A. Les faits
[4] Madame Brown travaille dans la fonction publique fédérale à l’ACIA. Le 6 octobre 2021, le premier ministre du Canada annonçait que tous les employés du gouvernement du Canada se verraient imposer une politique de vaccination obligatoire, soit la Politique sur la vaccination contre la COVID-19 applicable à l’administration publique centrale, y compris à la Gendarmerie royale du Canada. La politique fédérale exigeait que tous les employés soient entièrement vaccinés contre la COVID-19, à moins qu’une mesure d’accommodement ne soit justifiée, et qu’ils informent leur employeur de leur état vaccinal. L’obligation d’être vacciné s’appliquait tant aux personnes qui travaillaient à distance qu’à celles qui se trouvaient sur place dans les installations du gouvernement fédéral. Afin de se conformer à la politique fédérale du gouvernement du Canada, l’ACIA a adopté et communiqué sa propre politique interne selon laquelle tous ses employés devaient attester de leur vaccination contre la COVID-19 au plus tard le 22 novembre 2021 [Politique de l’ACIA ou Politique].
[5] La Politique de l’ACIA est entrée en vigueur le 8 novembre 2021 et s’appliquait à tous les employés de l’organisme, qu’ils travaillent à distance ou non. Elle autorisait les demandes d’exemption pour des raisons médicales ou religieuses ou pour d’autres motifs visés par la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H-6 [LCDP], sous réserve de l’approbation du gestionnaire. La Politique établissait également que l’omission pour un/e employé/e de divulguer son statut vaccinal pouvait entraîner des mesures disciplinaires contre l’employé/e concerné/e, y compris un placement en congé sans solde à compter de deux semaines après la date limite d’attestation fixée au 22 novembre 2021. Dans les cas où une personne déposait une demande d’exemption en bonne et due forme, le délai de deux semaines ouvrant la porte à une mise en congé sans solde ne commençait à courir qu’à partir de la date à laquelle l’employé/e est informé/e du refus de la demande d’exemption.
[6] Le 22 novembre 2021, date à laquelle son attestation de vaccination doit être remise, Madame Brown refuse de divulguer son statut vaccinal sur le formulaire disponible en ligne. Elle refuse aussi d’accuser réception de l’énoncé de confidentialité inscrit dans le formulaire de l’employeur, ce qui signifiait que l’ACIA ne pouvait pas traiter son formulaire en ligne. Elle soumet plutôt un formulaire PDF d’attestation qui s’avère incomplet. Elle modifie aussi le formulaire PDF en ajoutant une quatrième option à la question sur le statut vaccinal, car elle ne veut pas y divulguer son statut vaccinal. Elle inclut d’autre part une demande d’accommodement fondée sur un motif non précisé dans la LCDP. Madame Brown expliquera plus tard que sa demande d’accommodement était basée sur une « objection morale au mandat »
qui n’était pas enracinée dans une religion spécifique et sur une « philosophie morale »
.
[7] Entre le 25 novembre et le 7 décembre 2021, l’ACIA communique par courriel avec Madame Brown au sujet de son formulaire d’attestation incomplet et modifié et de sa demande d’accommodement. À plus d’une reprise, l’ACIA lui explique qu’il ne peut pas prendre en considération sa demande d’accommodement parce qu’elle refuse l’étape préalable de prendre connaissance de l’énoncé de confidentialité inscrit au formulaire. L’ACIA avertit Madame Brown qu’elle sera mise en congé sans solde si elle refuse de divulguer de son statut vaccinal et d’accepter la déclaration de confidentialité contenue dans le formulaire de l’employeur.
[8] Suite à la décision de Madame Brown de maintenir son refus, l’ACIA considère que cette dernière a expressément refusé de se conformer à la Politique en n’acceptant pas l’énoncé de confidentialité et en ne divulguant pas son statut vaccinal. Le 7 décembre 2021, l’ACIA place donc Madame Brown en congé sans solde. Peu après, l’ACIA indique toutefois qu’elle considérera sa demande d’accommodement malgré ses irrégularités.
[9] Le 10 décembre 2021, Madame Brown présente une demande de prestations régulières d’assurance-emploi [Demande] en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi, LC 1996, c 23 [LAE] à la Commission de l’assurance-emploi du Canada [Commission]. Le 17 février 2022, l’ACIA confirme à Madame Brown que sa demande d’accommodement — que l’ACIA avait néanmoins accepté de traiter malgré le congé sans solde imposé — n’est pas approuvée, qu’elle n’a pas respecté la Politique de l’ACIA avant la date limite du 7 décembre 2021, et qu’elle restera en congé non payé jusqu’à ce qu’elle se conforme à cette Politique.
[10] Madame Brown ayant continué de ne pas se conformer à la Politique, elle est donc restée en congé sans solde jusqu’à la levée de l’obligation de vaccination.
B. La décision de la Commission
[11] Le 28 mars 2022, la Commission rejette la Demande de Madame Brown en vertu des articles 29 à 31 de la LAE, car elle détermine que Madame Brown a été suspendue de son emploi en raison de sa propre inconduite. Son départ étant volontaire, elle n’a pas droit aux prestations d’assurance-emploi.
[12] Suite à une demande de réexamen de la décision de la Commission, cette dernière confirme, en date du 30 juin 2022, la décision initiale.
[13] Entre-temps, le 20 juin 2022, Madame Brown retourne au travail auprès de l’ACIA suite à la levée de l’exigence de vaccination au sein du gouvernement fédéral.
[14] Le 28 juillet 2022, Madame Brown interjette appel de la décision de réexamen de la Commission devant la Division générale du TSS.
C. La décision de la Division générale du TSS
[15] Le 10 mars 2023, la Division générale du TSS rejette l’appel de la décision de la Commission. La Division générale conclut à son tour que Madame Brown a été suspendue en raison de sa propre inconduite. Le tribunal observe notamment que Madame Brown a témoigné être bien au courant de la Politique de l’ACIA et de la date limite pour fournir son attestation vaccinale.
[16] La Division générale conclut également que l’ACIA a clairement informé Madame Brown qu’une demande d’accommodement l’obligeait à remplir la reconnaissance de la déclaration de confidentialité et l’attestation de statut vaccinal, mais que cette dernière a refusé de remplir ces deux documents. Selon la Division générale, Madame Brown a ainsi consciemment décidé de ne pas suivre la Politique de l’ACIA et les demandes de son employeur, lesquelles incluaient des avertissements répétés sur les conséquences de sa non-conformité.
[17] La Division générale détermine donc que Madame Brown savait ou aurait dû savoir que son non-respect de la Politique de l’ACIA pouvait entraîner sa suspension. Compte tenu de ses conclusions, la Division générale constate que ces faits constituaient une inconduite au sens de la LAE.
[18] Madame Brown demande alors à la Division d’appel du TSS la permission d’interjeter appel de la décision de la Division générale.
D. La Décision de la Division d’appel du TSS
[19] Au soutien de sa demande de permission d’interjeter appel, Madame Brown allègue des erreurs de droit et de fait. Elle soulève d’abord une erreur de droit selon laquelle la Division générale aurait appliqué une jurisprudence distincte des cours fédérales au lieu d’une décision de la Division générale du TSS — maintenant infirmée — appelée AL c Commission de l’assurance-emploi du Canada, 2022 TSS 1428 [AL]. Elle identifie également une erreur factuelle selon laquelle la Division générale n’aurait pas tenu compte d’éléments sur la date limite d’attestation contenus dans la Politique de l’ACIA.
[20] Le 21 septembre 2023, la Division d’appel refuse la demande de permission d’interjeter appel, jugeant que les arguments de Madame Brown n’ont aucune chance raisonnable de succès.
[21] Selon la Division d’appel, la Division générale a fourni des raisons détaillées pour ne pas suivre AL, notant au passage que les membres du TSS ne sont pas liés par les autres décisions du tribunal et ne sont pas tenus de s’y conformer. Qui plus est, la Division d’appel conclut que la Division générale avait, à juste titre, considéré et suivi la jurisprudence contraignante des cours fédérales qui contredisait la décision AL.
[22] Finalement, la Division d’appel détermine que la Division générale n’avait commis aucune erreur de fait parce qu’elle avait notamment abordé les détails de la Politique de l’ACIA d’une manière conforme au dossier et en regard de la preuve étayée par celui-ci. À la lumière de ces faits, la Division d’appel conclut que Madame Brown n’a soulevé aucune erreur révisable de la part de la Division générale en vertu de l’article 58 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, LC 2005, c 34 [LMEDS].
E. Les dispositions législatives pertinentes
[23] Les dispositions législatives pertinentes se retrouvent à la LMEDS et à la LAE.
[24] Au niveau de la LMEDS, il s’agit de l’article 58. Il se lit comme suit :
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[25] Au niveau de la LAE, les articles pertinents sont les articles 30 et 31, qui se lisent en partie comme suit :
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F. La norme de contrôle
[26] Il ne fait pas de doute que la norme de contrôle qui s’applique aux décisions de la Division d’appel du TSS est celle de la décision raisonnable (Cecchetto v Canada (Attorney General), 2024 FCA 102 au para 4 [Cecchetto FCA]; Khodykin v Canada (Attorney General), 2024 FCA 96 au para 12 [Khodykin FCA]; Palozzi v Canada (Attorney General), 2024 FCA 81 au para 3 [Palozzi FCA]; Kuk v Canada (Attorney General), 2024 FCA 74 au para 5 [Kuk FCA]; Francis v Canada (Attorney General), 2023 FCA 217 au para 4 [Francis FCA]; Bhamra v Canada (Attorney General), 2023 FCA 121 au para 3; Cecchetto c Canada (Procureur général), 2023 CF 102 aux para 20–21 [Cecchetto CF]; Gauvreau c Canada (Procureur général), 2021 CF 92 aux para 24–27 [Gauvreau CF]; Malonga c Canada (Procureur général), 2020 CF 913 au para 10; Marcoux c Canada (Procureur général), 2020 CF 609 au para 10; Astolfi c Canada (Procureur général), 2020 CF 30 au para 15).
[27] D’ailleurs, le cadre d’analyse relatif au contrôle judiciaire du mérite d’une décision administrative est maintenant celui établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] (Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 au para 7 [Mason]). Ce cadre d’analyse repose sur la présomption voulant que la norme de la décision raisonnable soit désormais la norme applicable dans tous les cas.
[28] Lorsque la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, le rôle d’une cour de révision est d’examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et de déterminer si la décision est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle »
et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti »
(Mason au para 64; Vavilov au para 85). La cour de révision doit donc se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité »
(Vavilov au para 99, citant notamment Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 aux para 47, 74).
[29] Il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur administratif « doit également, au moyen de ceux-ci,
justifier
sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique »
[en italique dans l’original] (Vavilov au para 86). Ainsi, le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable s’intéresse tant au résultat de la décision qu’au raisonnement suivi (Vavilov au para 87). L’exercice du contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit comporter une évaluation rigoureuse des décisions administratives. Toutefois, dans le cadre de son analyse du caractère raisonnable d’une décision, la cour de révision doit adopter une méthode qui « s’intéresse avant tout aux motifs de la décision »
, examiner les motifs donnés avec « une attention respectueuse »
, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à sa conclusion (Mason aux para 58, 60; Vavilov au para 84). La cour de révision doit adopter une attitude de retenue et n’intervenir que « lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif »
(Vavilov au para 13). La norme de la décision raisonnable, la Cour le souligne, tire toujours son origine du principe de la retenue judiciaire et de la déférence, et elle exige des cours de révision qu’elles témoignent d’un respect envers le rôle distinct que le législateur a choisi de conférer aux décideurs administratifs plutôt qu’aux cours de justice (Mason au para 57; Vavilov aux para 13, 46, 75).
[30] Il incombe à la partie qui conteste une décision de prouver qu’elle est déraisonnable. Pour annuler une décision administrative, la cour de révision doit être convaincue qu’il existe des lacunes suffisamment graves pour rendre la décision déraisonnable (Vavilov au para 100).
III. Analyse
[31] Madame Brown soutient que le TSS aurait appliqué la jurisprudence sur la notion d’inconduite de façon mécanique sans considérer les spécificités de son dossier et sans tenir compte d’autres décisions de la CAF allant à l’encontre de son raisonnement.
[32] Madame Brown maintient par ailleurs que, compte tenu de cette jurisprudence, le TSS aurait erronément identifié le geste reproché comme étant le fait d’avoir violé volontairement la Politique de l’ACIA. Selon Madame Brown, en omettant d’identifier correctement le geste reproché (qu’elle décrit comme étant un refus de vaccination) et la conséquence de ce geste (soit le non-respect de la Politique de l’ACIA), le TSS était dans l’impossibilité de constater que le geste reproché est un droit garanti et protégé par la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11 [Charte]. Madame Brown estime que, si le TSS n’identifie pas correctement le geste reproché, toute son analyse de l’inconduite en souffre et cette erreur est fatale au caractère raisonnable de la Décision.
[33] Enfin, Madame Brown plaide que la Division d’appel n’aurait pas traité de plusieurs arguments pertinents dans sa Décision. Ainsi, Madame Brown soumet que la Division d’appel aurait omis de considérer que la politique d’accommodement fournie avait préséance sur la Politique de l’ACIA sur la vaccination, n’aurait pas traité du lien de causalité clairement invoqué par cette dernière, et aurait ignoré l’absence de violation de ses obligations de travail spécifiques. En ce sens, Madame Brown invoque que le TSS aurait omis de comprendre que le geste reproché était en fait l’exercice de droits protégés en vertu de la Charte, et qu’il ne s’agissait pas d’un geste répréhensible de la nature d’une inconduite.
[34] La Cour ne partage pas l’avis de Madame Brown.
[35] À l’instar du défendeur, le Procureur général du Canada [PGC] au nom du ministre de l’Emploi et Développement social Canada [Ministre], la Cour est plutôt d’avis que la Division d’appel du TSS a raisonnablement rejeté la demande de permission d’en appeler de Madame Brown.
[36] La Division d’appel a bien considéré le libellé et les facteurs énoncés à l’article 58 de la LMEDS avant de rejeter la demande de Madame Brown. La Division d’appel a expliqué en détail ses motifs et les a appuyés sur la jurisprudence constante des cours fédérales sur laquelle la Division générale avait elle-même fondé sa décision sur l’inconduite. La Division d’appel a notamment établi les raisons pour lesquelles elle n’était pas d’accord avec la décision AL et n’avait pas compétence pour examiner et appliquer la convention collective de Madame Brown. Finalement, la Division d’appel a jugé que la Division générale avait correctement conclu que les membres du TSS ne sont pas tenus de suivre les autres décisions du tribunal.
[37] La Décision du TSS, il faut le souligner, est maintenant appuyée par une jurisprudence récente, abondante et unanime de cette Cour et de la CAF qui confirme, dans le cadre de dossiers traitant directement des politiques de vaccination obligatoire, le rôle étroit du tribunal dans les appels portant sur des questions d’inconduite (voir notamment : Cecchetto FCA; Khodykin FCA; Palozzi FCA; Kuk FCA; Lalancette c Canada (Procureur général), 2024 CAF 58 [Lalancette CAF]; Sullivan v Canada (Attorney General), 2024 FCA 7 [Sullivan FCA]; Zhelkov v Canada (Attorney General), 2023 FCA 240 [Zhelkov FCA]; Francis FCA; Hazaparu v Canada (Attorney General), 2024 FC 928 [Hazaparu FC]; Boskovic v Canada (Attorney General), 2024 FC 841 [Boskovic FC]; Spears v Canada (Attorney General), 2024 FC 329 [Spears FC]; Butu v Canada (Attorney General), 2024 FC 321 [Butu FC]; Cecchetto CF).
[38] Incidemment, toutes et chacune de ces décisions contredisent la compréhension erronée du test d’inconduite mise de l’avant par Madame Brown.
A. Le test pour se prononcer sur une permission de faire appel
[39] Le test pour se prononcer sur une permission de faire appel à la Division d’appel du TSS se trouve dans la LMEDS. Ainsi, une demande de permission d’en appeler d’une décision de la Division générale peut uniquement être accordée si le requérant parvient à démontrer qu’au moins un des trois motifs d’appel prévus au paragraphe 58(1) de la LMEDS a une chance raisonnable de succès (Cecchetto FCA au para 5).
[40] Selon le paragraphe 58(1) de la LMEDS, les seuls moyens d’appel sont les suivants :
a) la Division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;
b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;
c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.
[41] En outre, le paragraphe 58(2) de la LMEDS prévoit que la Division d’appel doit rejeter la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès. Selon la jurisprudence de cette Cour, une chance raisonnable de succès consiste à « disposer de certains motifs défendables grâce auxquels l’appel proposé pourrait avoir gain de cause »
(Osaj c Canada (Procureur général), 2016 CF 115 au para 12).
B. La Décision est raisonnable
[42] Le rôle de la Cour est de déterminer si la Décision de la Division d’appel du TSS est raisonnable. Pour les raisons qui suivent, la Cour conclut que oui.
(1) Aucune erreur de fait
[43] Dans ses soumissions, Madame Brown fait d’abord valoir qu’elle aurait respecté la Politique de l’ACIA. Avec égards, ce n’est manifestement pas le cas.
[44] La Politique de l’ACIA exigeait clairement que Madame Brown partage son statut vaccinal avec son employeur et accepte l’énoncé de confidentialité, ce qu’elle n’a clairement pas fait. De ce fait, elle s’est trouvée à violer la Politique de l’ACIA. En revanche, en agissant comme elle l’a fait, l’ACIA a pour sa part suivi les paramètres de sa Politique. La Politique de l’ACIA exigeait la divulgation du statut vaccinal et l’acceptation de l’énoncé de confidentialité pour éviter d’être mis en congé sans solde. Il s’agissait là de prérequis pour traiter une demande d’exemption ou d’accommodement. Puisque Madame Brown a refusé à se conformer à ces conditions préalables, l’ACIA était dans son droit de suivre la Politique et de la relever de son emploi.
[45] Madame Brown prétend que la Politique de l’ACIA lui octroyait le droit de recevoir une réponse à sa demande d’accommodement avant d’être forcée à remplir le formulaire d’attestation du statut vaccinal ou de renoncer à sa vie privée concernant ce statut vaccinal. Elle aurait alors eu deux semaines pour remplir l’attestation suivant le refus potentiel de sa demande, le tout afin d’étudier ou réviser sa position concernant l’obligation vaccinale. En somme, elle soumet que l’ACIA devait traiter de sa demande d’accommodement avant de la mettre à pied.
[46] La Cour n’est pas convaincue par cet argument de Madame Brown.
[47] La question, la Cour le rappelle, est de déterminer s’il était raisonnable pour la Division d’appel du TSS d’interpréter la Politique de l’ACIA comme elle l’a fait. Aux yeux de la Cour, et considérant le langage de la Politique, l’interprétation retenue par l’ACIA était indéniablement raisonnable. La Politique de l’ACIA établissait clairement que la considération d’une demande d’exemption ou d’accommodement exigeait deux conditions préalables : une divulgation du statut vaccinal et un acquiescement à l’énoncé de confidentialité. Madame Brown ne les a pas respectées. Madame Brown était au courant de la Politique de l’ACIA, et il ne fait aucun doute qu’elle savait bien ce qu’elle devait faire pour s’y conformer.
[48] De plus, la Cour ne voit rien de déraisonnable dans la Décision du TSS de tenir compte des courriels envoyés par l’ACIA sur les conditions préalables à rencontrer pour déposer une demande d’accommodement, ou dans sa conclusion ultime indiquant que Madame Brown n’a pas respecté la Politique. L’ACIA a clairement précisé ce que Madame Brown devait d’abord faire pour soumettre son formulaire d’accommodement et lui a expliqué à au moins deux reprises qu’elle serait suspendue au début de décembre 2021 si elle ne respectait pas les paramètres de la Politique. Madame Brown a toutefois continué de refuser de s’y conformer.
[49] Bref, aucune erreur de fait n’entache la Décision de la Division d’appel du TSS.
(2) Aucune erreur de droit
[50] La Cour ne décèle pas non plus d’erreur de droit dans la Décision. Il était tout à fait raisonnable pour la Division d’appel du TSS (et pour la Division générale avant elle) de s’appuyer sur les décisions des cours fédérales dans McNamara c Canada (Procureur général), 2007 CAF 107, Paradis c Canada (Procureur général), 2016 CF 1282 [Paradis CF] et Mishibinijima c Canada (Procureur général), 2007 CAF 36 [Mishibinijima CAF] dans son interprétation du terme « inconduite »
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(a) La décision AL
[51] Il était d’abord tout à fait loisible à la Division générale et à la Division d’appel de ne pas suivre la décision AL, une décision rendue par un autre membre du TSS.
[52] Il n’est aucunement contesté que le TSS n’est pas lié par ses propres décisions. Dans des motifs détaillés, la Division générale a expliqué en quoi les faits du présent dossier se distinguaient du dossier AL et, surtout, pourquoi elle préférait suivre la jurisprudence unanime des cours fédérales qui allait à l’encontre de la décision AL sur la notion d’inconduite dans le cadre de politiques de vaccination obligatoire. Madame Brown n’a soulevé aucun argument méritoire qui pourrait permettre d’invalider la démarche suivie par le TSS au sujet de la décision AL.
(b) Le TSS n’a pas appliqué la jurisprudence sur la notion d’inconduite de façon mécanique
[53] Madame Brown prétend que le TSS aurait appliqué la jurisprudence sur la notion d’inconduite de façon mécanique sans tenir compte des spécificités de son dossier et d’autres décisions de la CAF qui, selon elle, iraient à l’encontre de son raisonnement. Aux dires de Madame Brown, le TSS aurait erronément identifié le geste qu’on lui reproche en le qualifiant de violation volontaire de la Politique de l’ACIA. Madame Brown estime qu’il y aurait absence de causalité entre le « soi-disant geste répréhensible »
, qui serait ici le refus de se faire vacciner, et la fin de son emploi.
[54] Avec égards, les arguments de Madame Brown n’ont aucun mérite. La Décision de la Division d’appel est maintenant appuyée par une jurisprudence abondante et unanime qui confirme le rôle étroit du TSS dans les appels sur les dossiers d’inconduite et qui n’appuie aucunement la lecture du test d’inconduite mise de l’avant par Madame Brown (voir notamment : Cecchetto FCA; Kuk FCA; Francis FCA; Sullivan FCA; Spears FC; Butu FC; Abdo c Canada (Procureur général), 2023 CF 1764 aux para 19–33 [Abdo CF]; Milovac c Canada (Procureur général), 2023 CF 1120 aux para 22–29 [Milovac CF]; Matti v Canada (Attorney General), 2023 FC 1527 aux para 17–24).
[55] Bien qu’elles soient toutes directement pertinentes au présent dossier puisqu’elles concernent des politiques de vaccination obligatoire, le mémoire de Madame Brown a étonnamment omis toutes ces décisions récentes des cours fédérales qui vont systématiquement à l’encontre de ce qu’elle a plaidé et fait valoir devant la Cour. À l’audience devant la Cour, l’avocate de Madame Brown en a finalement traité pour tenter de les distinguer, tout en suggérant que ces décisions devraient être laissées de côté au profit de décisions plus anciennes de la CAF sur la notion d’inconduite. La Cour n’est aucunement convaincue par ces représentations et elle conclut plutôt que ces précédents mettent en lumière la compréhension erronée du test d’inconduite avancée par Madame Brown.
(c) La notion d’inconduite
[56] Parlons d’abord de la notion d’inconduite. La description et les paramètres de l’inconduite développés au fil des ans par la CAF continuent d’être applicables (Gauvreau CF au para 27, citant Nelson c Canada (Procureur général), 2019 CAF 222 au para 21 [Nelson CAF]).
[57] Il y a inconduite au sens de la LAE lorsque « la conduite du prestataire est délibérée, c’est‑à‑dire que les actes qui ont mené au congédiement sont conscients, voulus ou intentionnels. Autrement dit, il y a inconduite lorsque le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’il soit congédié »
(Mishibinijima CAF au para 14). L’affaire Mishibinijima CAF enseigne qu’il y a inconduite dans le cadre d’une demande d’assurance-emploi lorsque : 1) l’inconduite est délibérée; 2) le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur; et 3) il y a une relation causale entre ladite inconduite et la fin d’emploi.
[58] Il suffit ainsi de démontrer une commission intentionnelle d’un acte contraire à ses obligations d’emploi (Sullivan FCA au para 6).
[59] Dans l’affaire Canada (Procureur général) c Lemire, 2010 CAF 314 [Lemire CAF], la CAF rappelle qu’un élément de causalité est nécessaire pour déterminer si l’inconduite pourrait mener à un congédiement. Ainsi, « il doit exister un lien de causalité entre l’inconduite reprochée au prestataire et son emploi; l’inconduite doit donc constituer un manquement à une obligation résultant expressément ou implicitement du contrat de travail »
(Lemire CAF au para 14). La CAF clarifie qu’il « ne s’agit pas, cependant, de décider si le congédiement est justifié ou non au sens du droit du travail, mais plutôt de déterminer selon une appréciation objective de la preuve s’il s’agit d’une inconduite telle que son auteur pouvait normalement prévoir qu’elle serait susceptible de provoquer son congédiement »
(Lemire CAF au para 15; voir également Khodykin FCA).
[60] La notion d’inconduite sous la LAE a donc une signification particulière: elle inclut toute contravention consciente d’une mesure mise en place par un employeur. Elle n’exige pas un degré de blâme ou une faute de l’employé/e; elle exige simplement un geste répréhensible, soit un geste qui mérite d’être blâmé, repris ou sanctionné. Il est également bien établi que le non-respect délibéré d’une politique d’un employeur est considéré comme une inconduite au sens de la LAE (Canada (Procureur général) c Bellavance, 2005 CAF 87 au para 7 [Bellavance CAF]; Canada (Procureur général) c Gagnon, 2002 CAF 460 aux para 2–5). Contrairement à ce que certains pourraient croire, il n’est pas nécessaire que l’employé ait eu une intention malveillante pour qu’il y ait inconduite (Cecchetto CF au para 37).
[61] L’inconduite est un manquement d’une portée telle que l’employé/e pouvait normalement prévoir qu’il/elle serait susceptible de provoquer son congédiement. Le manquement n’est pas répréhensible dans le sens de malveillant : il est répréhensible dans le sens qu’il peut être blâmé ou condamné et peut mener à une sanction comme une mise à pied ou un congédiement.
[62] Dans l’arrêt Francis FCA, la CAF a récemment refusé de réviser le test d’inconduite développé par la jurisprudence. Et elle a confirmé du même souffle que le refus volontaire de se conformer à une politique obligatoire de vaccination contre la COVID-19 ayant mené au congédiement d’un employé qui n’a pu obtenir d’exemption pour des raisons religieuses peut constituer une inconduite (Francis FCA au para 6; voir également Palozzi FCA au para 6; Kuk FCA aux paras 8–9; Sullivan FCA aux para 4–7; Lalancette CAF au para 2; Zhelkov FCA au para 5; Nelson CAF au para 21; Bellevance CAF au para 9; Cecchetto CF aux para 32–33). Dans Cecchetto FCA, la CAF a aussi reconfirmé le test d’inconduite que cette Cour avait résumé dans Cecchetto CF (Cecchetto FCA au para 10; Cecchetto CF au para 39). La Cour souligne que, dans tous ces dossiers de la CAF, des demandeurs s’étaient vus refuser des prestations d’assurance-emploi après avoir failli de se conformer aux politiques de vaccination sur la COVID-19 de leur employeur.
[63] Dans l’affaire Cecchetto CF, confirmée par Cecchetto FCA, la Cour a réaffirmé que le rôle du TSS est restreint. Ainsi, la Cour y note que le fait que le TSS n’ait pas abordé des questions concernant l’intégrité corporelle, le consentement à des tests médicaux, la sécurité et l’efficacité des vaccins COVID-19 ou des tests antigéniques ne rend pas la décision de la Division d’appel déraisonnable, puisque la loi ne permet pas au tribunal d’aborder ces questions (Cecchetto CF au para 32).
[64] Il ne fait aucun doute que la jurisprudence récente de cette Cour et de la CAF appuie sans réserve l’interprétation d’inconduite retenue par la Division d’appel du TSS dans le dossier de Madame Brown. Ainsi, cette Cour a récemment réitéré que les arguments selon lesquels la Division générale aurait commis des erreurs de fait ou de droit concernant l’adoption par l’employeur d’une politique de vaccination n’ont aucune chance raisonnable de succès, car le TSS n’a pas le pouvoir de traiter ces questions et que le test de l’inconduite n’est pas axé sur le comportement de l’employeur (Spears FC aux para 26–27). Sur la base des arrêts Nelson CAF et Bellavance CAF, la Cour a aussi observé que le fait de ne pas se faire vacciner lorsqu’un employé est au courant d’une politique de vaccination et choisit délibérément de ne pas la suivre constitue une inconduite (Abdo CF au para 22). La Cour a précisé que, dans une telle circonstance, il est raisonnable pour la Division d’appel de confirmer les conclusions de la Division générale selon lesquelles la décision volontaire et délibérée d’un employé de ne pas se faire vacciner constituait une violation de l’obligation expresse énoncée dans la politique de vaccination et donc, une forme d’inconduite (Abdo CF au para 23).
[65] Ces conclusions ont été récemment reprises par cette Cour dans l’affaire Butu FC, qui a à nouveau conclu que la question de savoir si une politique de vaccination était raisonnable ne relève ni de la compétence de la Commission, ni de celle de la Division générale ou de la Division d’appel du TSS (Butu FC au para 89, citant Cecchetto CF au para 32). Comme dans le dossier de Madame Brown, la demanderesse y soulevait une atteinte à ses droits à la vie privée et autres droits protégés par la Charte. La Cour a une fois encore constaté que la Division générale et la Division d’appel avaient identifié les tests appropriés et raisonnablement appliqué la jurisprudence des cours fédérales pour établir que l’employée avait été suspendue puis licenciée en raison de sa propre inconduite (Butu FC au para 91). Et, comme dans le présent dossier, cette affaire concernait un défaut de se conformer aux étapes préliminaires d’une politique de vaccination, qui a été jugé suffisant pour constituer une inconduite au sens de la LAE.
[66] Considérant la jurisprudence unanime de cette Cour et de la CAF, il était éminemment raisonnable pour la Division d’appel du TSS de conclure comme elle l’a fait.
(d) Les politiques de l’employeur
[67] La Cour rappelle que le TSS n’est pas l’endroit pour remettre en question les politiques d’un employeur. Le test de l’inconduite se concentre sur les connaissances et les actions de l’employé/e, et non sur le comportement de l’employeur ou sur le caractère raisonnable de ses politiques de travail.
[68] La CAF a récemment encadré de façon précise le rôle de la Division d’appel du TSS. Dans l’affaire Sullivan FCA, la CAF a établi qu’il était raisonnable pour la Division d’appel de conclure que le test de l’inconduite se concentre sur les connaissances et les actions de l’employé/e, et non sur le comportement de l’employeur ou le caractère raisonnable de ses politiques de travail, en ajoutant qu’un demandeur pouvait exercer des recours ailleurs s’il considérait que son employeur le traitait de manière inappropriée (Sullivan FCA aux para 4–5). Le juge David Stratas observe également qu’une telle conclusion est étayée par la jurisprudence applicable (Sullivan FCA au para 5). À cette fin, il note que :
[6] [TRADUCTION] Nous ajouterons que la jurisprudence de la Cour est logique. Si les arguments du demandeur étaient retenus, le Tribunal de la sécurité sociale deviendrait un forum pour remettre en question les politiques des employeurs et la validité des licenciements. Selon toute lecture plausible de la législation qui régit le Tribunal, il s’agit d’un forum chargé de déterminer le droit aux prestations en matière de sécurité sociale, et non d’un forum chargé de statuer sur des allégations de licenciement injustifié. Nous notons que le requérant a en fait exercé des recours ailleurs pour licenciement abusif et qu’il a déposé une plainte pour violation des droits des personnes.
[6] We would add that the court jurisprudence makes sense. Were the applicant’s submissions to be upheld, the Social Security Tribunal would become a forum to question employer policies and the validity of employment dismissals. Under any plausible reading of the legislation that governs the Tribunal, it is a forum to determine entitlement to social security benefits, not a forum to adjudicate allegations of wrongful dismissal. We note that the applicant in fact has pursued remedies elsewhere for wrongful dismissal and has made a human rights complaint.
(Sullivan CAF au para 6).
[69] Depuis, les cours fédérales ont rendu de multiples décisions établissant que le TSS n’est pas le forum approprié pour remettre en question le bien-fondé ou le mérite d’une politique de vaccination (Pallozi FCA au para 6; Kuk FCA au para 7; Hazaparu FC au para 16). Il y a d’autres avenues pour ce faire, telles qu’une action pour congédiement injustifié ou une plainte en matière de droits de la personne.
[70] Dans trois affaires récentes décidées par cette Cour, Spears FC, Hazaparu FC et Butu FC — toutes des situations où, à l’instar de Madame Brown, les demandeurs contestaient le bien-fondé ou la sagesse d’une politique de vaccination —, il est clairement établi que ce ne sont pas des questions que la Division d’appel peut considérer ni des motifs qui pourraient permettre à cette Cour de conclure au caractère déraisonnable de la Décision.
[71] Madame Brown n’a apporté aucun argument convaincant qui permettrait de distinguer cette jurisprudence des faits du présent dossier.
(e) Le lien avec les obligations de l’employé
[72] Madame Brown prétend, en disant se fonder sur l’arrêt Canada (Procureur général) c Cartier, 2001 CAF 274 au paragraphe 12 [Cartier CAF], que ce n’est pas n’importe quelle obligation de travail non respectée qui peut entraîner une inconduite, mais plutôt uniquement celles qui empêchent l’exécution des fonctions de l’employé/e. Madame Brown soutient que, dans le présent dossier, son non-respect de l’obligation vaccinale et/ou son défaut de renonciation à la confidentialité des renseignements médicaux n’avaient absolument aucun rapport et n’entravaient aucunement l’exécution de ses fonctions auprès de l’ACIA. Et que pour cette raison, ils ne pouvaient constituer une inconduite.
[73] Avec égards, il s’agit là d’une compréhension erronée du test établi par la jurisprudence. Madame Brown dénature la portée de la jurisprudence en limitant les obligations de travail aux strictes fonctions d’un employé/e. Il est en effet inexact de dire que le comportement répréhensible doive entraver l’exécution des obligations propres au travail de l’employé/e. La jurisprudence réfère plutôt à une entrave à la relation employeur-employé/e, ce qui déborde largement les seules fonctions accomplies par un/e employé/e. En d’autres termes, la question n’est pas de savoir si le non-respect d’une politique d’un employeur affecte l’exécution des fonctions. La question est plutôt de déterminer si le non-respect entrave les obligations de l’employé/e face à son employeur.
[74] Comme le constate le Ministre, la Cour s’est déjà prononcée sur l’argument de Madame Brown selon lequel le TSS avait besoin d’éléments de preuve que la non-vaccination avait une incidence sur ses fonctions particulières. La Cour a clairement conclu que le TSS n’avait pas besoin de le faire (Kuk c Canada (Procureur général), 2023 CF 1134 au para 37, conf par Kuk FCA). De même, le tribunal n’avait pas besoin d’analyser le contexte d’emploi ou le lien de causalité parce que le critère de l’inconduite met l’accent sur la connaissance objective qu’a Madame Brown de la conséquence de ses actes (Sullivan FCA aux para 4–5).
[75] Ainsi, la notion d’inconduite ne se limite pas aux seules tâches d’un/e employé/e. Elle renvoie plutôt au devoir plus général des employés envers leurs employeurs, à la relation employeur-employé/e au sens large. Aux paragraphes 10 et 11 des motifs, l’arrêt Cartier CAF parle d’ailleurs de lien entre l’inconduite et les obligations « [liées] à l’emploi »
. L’arrêt Nelson CAF réfère pour sa part aux « condition[s] explicite[s] ou implicite[s] de l’emploi »
(Nelson CAF au para 26; voir également Mishibinijima CAF au para 14 et Butu FC au para 83). Comme le dit la CAF dans l’affaire Locke c Canada (Procureur général), 2003 CAF 262 au paragraphe 8, une inconduite est une dérogation à ce point fondamentale que l’employé/e savait ou aurait dû savoir qu’il risquait de perdre son emploi. Il s’agit d’une situation où l’employé/e savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait entraver ses obligations envers son employeur (Lemire CAF aux para 13–14). C’est dans ce sens qu’on parle de fonctions essentielles à son emploi.
[76] En d’autres mots, la jurisprudence parle d’exécution des « obligations »
envers l’employeur au sens large, et non pas d’exécution des « fonctions »
limitées de l’employé/e, comme tente de le restreindre Madame Brown. Or, une des obligations qu’ont les employés envers leur employeur est de se conformer aux règles et politiques mises en place par ce dernier.
[77] Contrairement à ce qu’avance Madame Brown, la question n’est pas de savoir s’il y a absence de preuve que la non-vaccination entraînait une conséquence sur son rendement ou sur sa capacité à exercer ses fonctions. Il y a plutôt inconduite lorsqu’un comportement entrave l’exécution des obligations plus générales de l’employé/e face à son employeur. D’ailleurs, la définition objective d’inconduite formulée par la CAF dans l’arrêt Mishibinijima CAF stipule qu’« [...] il y a inconduite lorsque le prestataire savait ou aurait dû savoir que sa conduite était de nature à entraver l’exécution de ses obligations envers son employeur et que, de ce fait, il était réellement possible qu’il soit congédié »
(soulignements ajoutés) (Mishibinijima CAF au para 14; voir aussi Cecchetto FCA aux para 8, 10; Palozzi FCA au para 7; Nelson CAF au para 21).
(f) Causalité entre geste et fin d’emploi
[78] Madame Brown se plaint que le TSS aurait mal évalué quel était l’acte ou l’omission qui a mené à sa suspension. La Cour ne partage pas cet avis. Au contraire, c’est précisément ce que le TSS a fait en posant cette question et en y répondant : l’acte de Madame Brown était de refuser de divulguer son statut vaccinal et de remplir l’attestation de confidentialité, malgré les demandes directes et explicites de son employeur de se conformer à ces exigences.
[79] Dans Canada (Procureur générale) c Granstrom, 2003 CAF 485 [Granstrom CAF], la Cour a établi que ce n’est pas la violation d’une condition d’emploi qui constitue de l’inconduite mais plutôt le geste qui a mené à la violation de la condition d’emploi, concluant ainsi que ce n’est pas toute violation d’une condition d’emploi qui constitue de l’inconduite (Granstrom CAF au para 7). Ainsi, l’effet d’une inconduite ne peut pas être confondu avec la cause de cette inconduite.
[80] Madame Brown prétend que son geste serait son choix de ne pas se faire vacciner, qui représente selon elle un droit protégé et légal qui, à sa base même, est non répréhensible, du fait de sa protection par la Charte. La violation de la Politique de l’ACIA ne serait que la conséquence malheureuse de l’exercice d’un geste légal et protégé.
[81] La Cour n’est pas d’accord et ne partage pas l’interprétation du test d’inconduite avancée par Madame Brown. Le geste répréhensible de Madame Brown est d’avoir refusé de déclarer son statut vaccinal, de remplir correctement le formulaire exigé et de se conformer aux exigences relatives à la confidentialité, tel que le prescrivait la Politique de l’ACIA. Le geste répréhensible n’est pas le choix de ne pas se faire vacciner parce que ce choix n’existe pas dans la Politique de l’ACIA. En d’autres mots, ce n’est pas l’exercice d’un droit qui serait par ailleurs garanti par la Charte qui a été considéré comme une inconduite par le TSS, c’est le fait de ne pas respecter les exigences de la Politique de l’ACIA.
[82] Dans ses soumissions, Madame Brown tente de distinguer le geste reproché de la conséquence du geste (qui serait la violation de la Politique). Mais, en fait, Madame Brown ne réfère pas au geste qu’elle a posé et que l’ACIA lui reproche. Elle réfère plutôt à la motivation et à la raison d’être derrière son geste. La question du choix de ne pas se faire vacciner, des droits protégés et de ne pas vouloir renoncer à son droit à sa vie privée ne constitue pas le geste répréhensible qui est en cause ici; il s’agit plutôt du motif qui sous-tend et justifie le geste. Le geste reproché est le refus de fournir son statut vaccinal ou de renoncer à la confidentialité de son statut vaccinal. C’est cet acte qui constitue une inconduite et un geste répréhensible, car il contrevient à la Politique de l’ACIA.
[83] Il y a manifestement un lien entre les actes posés par Madame Brown et la Politique de l’ACIA.
(g) Le TSS n’a pas à traiter des questions de Charte
[84] Madame Brown se plaint également que le TSS n’aurait pas adéquatement traité de ses arguments de Charte. Avec égards, le tribunal n’avait pas à le faire. Dans les arrêts Khodykin FCA et Sullivan FCA, la CAF l’a rappelé en termes clairs et a confirmé que le TSS n’a pas la compétence pour considérer la constitutionnalité d’une politique de vaccination ou sa conformité avec la Charte (Khodykin FCA au para 8; Sullivan FCAau para 12).
[85] La Cour comprend que Madame Brown croit fermement que la Politique de l’ACIA est une réaction exagérée à la pandémie de COVID-19 et que la politique a été appliquée injustement à son égard compte tenu de ses antécédents de santé et de son rendement irréprochable en tant qu’employée. La Cour note aussi sa profonde conviction que le TSS (tant la Division générale que la Division d’appel) n’a pas tenu compte de ses préoccupations quant à la violation de ses droits garantis et protégés par la Charte et de son contrat d’emploi. Cependant, il s’agit là de questions que le TSS n’est pas légalement autorisé à examiner (Milovac CF au para 27; Cecchetto CF au para 32). Le TSS a un rôle limité à jouer pour décider s’il doit ou non accorder la permission de faire appel d’une décision de la Division générale.
[86] Par ailleurs, Madame Brown dit qu’en faisant valoir sa motivation derrière son refus de se conformer à la Politique de l’ACIA, elle ne serait pas en train de contester la validité de la Politique; elle demanderait plutôt au TSS de procéder à une interprétation de la notion d’inconduite en considérant les droits protégés par la Charte. La Cour n’est pas convaincue par les arguments et les distinctions que Madame Brown tente de faire. En invoquant ses droits protégés par la Charte, il est indéniable, aux yeux de la Cour, que Madame Brown se trouve en fait à contester le bien-fondé et la raison d’être de la Politique de l’ACIA, ce qu’elle ne peut pas faire devant le TSS.
[87] Le TSS n’a pas la compétence de conclure que la Politique de l’ACIA avait enfreint les droits de Madame Brown, car une telle conclusion serait hors de son champ d’expertise et hors de l’exercice approprié de ses attributions légales. Ainsi, on ne peut qualifier la Décision de la Division d’appel de déraisonnable parce qu’elle n’a pas traité ces questions constitutionnelles puisque le tribunal n’a pas la compétence de le faire (Zhelkov FCA au para 5; Boskovic FC au para 30; Cecchetto CF aux para 46–47). La question de savoir si une politique est contraire à la Charte relève d’un autre forum (Boskovic FC au para 57).
[88] La Cour rappelle que le TSS n’est pas le forum approprié pour remettre en question les politiques des employeurs et la validité des licenciements. Il s’agit d’un forum chargé de déterminer le droit aux prestations en matière de sécurité sociale et d’assurance-emploi, et non d’un forum chargé de statuer sur des allégations de licenciement injustifié (Sullivan FCA au para 6). En l’espèce, la Division générale et la Division d’appel du TSS se sont penchées sur la bonne question juridique et y ont répondu. Il ne s’agissait pas de savoir si la Politique de l’ACIA est raisonnable ou trop sévère, ou si la suspension ou le congédiement était justifié (Paradis CF aux para 30–34). La question était de savoir si Madame Brown pouvait normalement prévoir que sa conduite nuirait à ses obligations envers l’ACIA et entraînerait sa suspension ou son congédiement.
[89] De surcroît, la CAF a affirmé récemment, dans une affaire semblable à celle de Madame Brown, qu’il est approprié pour la Division d’appel de se référer à la jurisprudence pertinente et de refuser d’examiner certains arguments qui ne relèvent pas de sa compétence (Zhelkov FCA au para 5, citant Cecchetto CF). Ceci inclut notamment les questions relatives à la pertinence d’une politique de vaccination (Zhelkov FCA aux para 1–3).
(h) Convention collective
[90] Enfin, dans l’arrêt Nelson CAF, la CAF a rejeté l’argument selon lequel la politique écrite d’un employeur devait figurer dans un contrat de travail initial pour justifier l’inconduite. Les cours ont confirmé cette conclusion dans le contexte de l’obligation vaccinale, confirmant que le TSS n’est pas tenu de se concentrer sur le libellé contractuel lorsqu’il détermine l’inconduite, contrairement aux affirmations de Madame Brown.
(i) Conclusion
[91] En somme, la Division d’appel a raisonnablement refusé la permission d’interjeter appel parce que Madame Brown n’a pas soulevé d’erreur révisable en vertu du paragraphe 58(1) de la LMEDS. La Division générale a correctement identifié le test juridique approprié pour déterminer s’il y avait une inconduite en vertu de la LAE : l’employée savait ou aurait dû savoir que sa conduite pouvait entraîner sa suspension. La Division générale a ensuite appliqué ce test à la situation de Madame Brown. Il n’y a aucune erreur de droit ou de fait dans la décision de la Division générale ou dans celle de la Division d’appel.
[92] Il est clair que Madame Brown a bel et bien été informée qu’elle ne pouvait pas soumettre sa demande d’accommodement sans d’abord se conformer à d’autres exigences de la Politique, soit d’attester de son statut vaccinal et de compléter le formulaire et l’énoncé de confidentialité.
(3) Le TSS a amplement traité des arguments de Madame Brown
[93] Madame Brown soutient aussi que la Division d’appel n’aurait pas traité plusieurs de ses arguments dans sa Décision. Ainsi, Madame Brown soumet que la Division d’appel aurait omis de considérer que la politique d’accommodement fournie avait préséance sur la Politique de l’ACIA sur la vaccination, de traiter du lien de causalité clairement invoqué dans ses soumissions, de répondre à ses arguments sur les droits protégés, ou de tenir compte du fait qu’il n’y avait pas de violation à ses obligations de travail spécifiques.
[94] Tel que discuté plus haut, ces arguments sont dénués de tout fondement.
[95] Madame Brown écrit dans ses soumissions que le fait de ne pas adhérer à une politique de son employeur qui porte atteinte à ses droits protégés par la Charte ne peut constituer une inconduite au sens de la LAE. Elle ajoute que la Politique de vaccination de l’ACIA, telle qu’appliquée dans son cas, porte atteinte non seulement à son droit à la liberté et à la sécurité, mais aussi à son droit à la vie et la liberté de conscience. Elle dit qu’elle ne pouvait, selon sa conscience et ses convictions, remplir les exigences de la Politique de l’ACIA, en invoquant son droit de refuser des traitements médicaux. Elle explique que sa demande est basée sur des convictions profondes, que son consentement libre et éclairé à ce traitement était nécessaire pour le maintien d’un système médical éthique. Elle réfère de façon plus générale aux droits protégés sous la Charte, le « Bill of Rights »
et la LCDP — et au fait qu’un employeur ne peut les limiter —, puis aux lois sur la protection de la vie privée et au Code de Nuremberg.
[96] À l’audience devant le TSS, Madame Brown a répété ces propos, notamment son droit fondamental de ne pas accepter de traitements médicaux, dont la vaccination, et qu’un tel refus ne peut constituer une inconduite.
[97] Encore une fois, Madame Brown se méprend sur l’essence de la Décision de la Division d’appel. Le TSS ne dit pas que le choix de ne pas se faire vacciner constitue une inconduite. Il dit plutôt que le non-respect des conditions préalables inscrites dans la Politique de l’ACIA en est une. La question n’est pas de savoir si l’exercice d’un droit protégé est juste on non. La question est de savoir si Madame Brown s’est conformée ou non à la Politique de l’ACIA.
[98] Bien qu’elle tente de peindre son argument de Charte sous un angle qu’elle dit être nouveau, Madame Brown attaque en fait le bien-fondé de la Politique de l’ACIA, qu’elle juge déraisonnable et injuste, en invoquant des droits qu’elle dit protégés. Cette question des droits protégés a été traitée et considérée par la Commission et par les deux divisions du TSS, qui ont toutes rejeté les arguments de Madame Brown avec des motifs étoffés, en indiquant que ces préoccupations n’intervenaient pas dans l’appréciation de l’inconduite sous la LAE.
[99] Le TSS a donc amplement traité des arguments avancés par Madame Brown au niveau des droits protégés et la Décision ne contient aucune erreur. Il était loisible à la Division d’appel, d’après le dossier dont elle disposait, de conclure que le comportement délibéré de Madame Brown constituait une inconduite au sens de la LAE.
IV. Conclusion
[100] Il incombait à Madame Brown de démontrer le caractère déraisonnable de la Décision. Les lacunes ou les insuffisances identifiées par Madame Brown ne devaient pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la Décision, mais devaient plutôt être suffisamment importantes pour rendre la Décision déraisonnable (Vavilov au para 100). Ce n’est pas le cas.
[101] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est donc rejetée. Aux termes de la norme de la décision raisonnable, les motifs de la Décision devaient démontrer que les conclusions de la Division d’appel du TSS étaient fondées sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et justifiées au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur administratif était assujetti, et avaient suivi un processus équitable. C’est le cas en l’espèce. L’analyse faite par la Division d’appel possède tous les attributs requis de transparence, de justification et d’intelligibilité, et la Décision n’est entachée d’aucune erreur susceptible de contrôle.
[102] Dans les circonstances particulières du présent dossier, la Cour est d’accord avec Madame Brown qu’aucuns dépens ne devraient être accordés.
JUGEMENT au dossier T-2210-23
LA COUR STATUE que :
La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.
« Denis Gascon »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
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INTITULÉ :
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DATE DE L’AUDIENCE :
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DATE :
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Me Jocelyne Murphy
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POUR LA DEMANDERESSE
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Me Yanick Bélanger
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Me Jocelyne Murphy
Beauharnois (Québec)
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POUR LA DEMANDERESSE
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Procureur général du Canada
Gatineau (Québec)
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