Date : 20240919
Dossier : IMM-8614-23
Référence : 2024 CF 1473
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 19 septembre 2024
En présence de madame la juge Fuhrer
ENTRE :
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ARDALAN GHAFOOR ARIF
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE
ET DE LA PROTECTION CIVILE
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défendeur
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ORDONNANCE ET MOTIFS
VU la requête, en date du 12 août 2024, présentée par écrit par le demandeur conformément aux articles 51 et 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [Règles], interjetant appel de l’ordonnance du juge adjoint Crinson datée du 2 août 2024 [ordonnance] et demandant que celle-ci soit annulée et qu’il y soit substitué une ordonnance autorisant le dépôt d’un affidavit complémentaire comme le prévoit l’article 312 des Règles;
ET APRÈS lecture des documents de requête des parties, y compris leurs observations écrites;
ET APRÈS détermination, pour les motifs énoncés ci-dessous, que la Cour n’est pas compétente pour instruire la présente requête, celle-ci sera donc rejetée; en outre, même si la Cour avait la compétence nécessaire, la requête serait rejetée parce que le demandeur n’a pas convaincu la Cour que le juge adjoint a commis une erreur manifeste et dominante.
[1] Tout en reconnaissant que l’issue de la présente requête sera décevante pour le demandeur, je conviens néanmoins avec le défendeur que l’alinéa 72(2)e) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [LIPR] empêche la requête. Cette disposition est claire : « le jugement sur la demande et toute décision interlocutoire ne sont pas susceptibles d’appel ».
[2] De plus, selon la Cour d’appel fédérale, l’ordonnance d’un fonctionnaire judiciaire de notre Cour rejetant une requête en autorisation de déposer un affidavit complémentaire dans un dossier en immigration est une décision interlocutoire qui ne peut être portée en appel : Froom c Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2003 CAF 331 aux para 1-3. Notre Cour est liée par l’arrêt Froom et, à mon avis, aucune des causes invoquées par le demandeur en l’espèce ne l’écarte.
[3] Même s’il en avait été autrement, j’aurais conclu que le juge adjoint n’a commis aucune erreur manifeste et dominante justifiant l’intervention de la Cour.
[4] L’ordonnance rejette la requête, en date du 26 février 2024, présentée par écrit par le demandeur en vue de déposer un affidavit complémentaire à l’appui d’une demande de prorogation de délai figurant dans la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire du demandeur déposée le 7 juillet 2023. La demande de prorogation a été présentée au titre de l’alinéa 72(2)c) de la LIPR.
[5] Le juge adjoint a cerné le droit applicable à une requête présentée en vertu de l’article 312 des Règles, tel qu’il est décrit dans l’arrêt Rosenstein c Atlantic Engraving Ltd, 2002 CAF 503 [Rosenstein], et a fourni trois motifs à l’appui de l’ordonnance. Premièrement, la preuve était disponible avant la signification et le dépôt du dossier de la demande du demandeur. Deuxièmement, plusieurs mois se sont écoulés avant que le défendeur ne signifie et ne dépose un mémoire, et le demandeur aurait entretemps pu présenter une requête en autorisation de déposer l’affidavit complémentaire. Troisièmement, le dépôt de l’affidavit complémentaire après la signification et le dépôt du mémoire du défendeur mènerait à la présentation d’une contre-preuve irrégulière.
[6] Il n’est pas contesté que la norme de contrôle applicable en appel s’applique à l’appel d’une ordonnance d’un juge adjoint en vertu de l’article 51 des Règles : Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215 aux para 63-65, 79 et 83, citant Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33 (voir les para 7-36). Ainsi, « les questions de fait et les questions mixtes de droit et de fait sont contrôlées selon la norme de l’erreur manifeste et dominante, tandis que les questions de droit et les questions mixtes de droit et de fait contenant une question de droit isolable sont assujetties à la norme de la décision correcte » :
Worldspan Marine Inc c Sargeant III, 2021 CAF 130 au para 48; voir aussi Canada (Procureur général) c Iris Technologies Inc, 2021 CAF 244 au para 33.
[7] Le demandeur ne m’a pas convaincue qu’il y a une question de droit en l’espèce; par conséquent, la norme de l’erreur manifeste et dominante, qui commande un degré élevé de retenue, s’applique.
[8] Il n’est pas non plus contesté que le juge adjoint a relevé la jurisprudence applicable faisant état du critère relatif au dépôt d’affidavits complémentaires en vertu de l’article 312 des Règles. Le demandeur conteste l’absence de référence aux exigences du critère décrites au paragraphe 8 de l’arrêt Rosenstein. Cependant, le demandeur fait fi de l’importante mise en garde énoncée au paragraphe 9, selon laquelle « [u]ne partie ne peut se servir de la règle 312 pour diviser sa cause et elle est tenue de présenter la meilleure preuve le plus tôt possible »
. L’ordonnance traite de cette mise en garde en concluant que le demandeur a essentiellement voulu déposer une preuve en réplique (c’est-à-dire que le demandeur a ainsi tenté de manière inacceptable de diviser sa cause). À mon avis, il n’était donc pas nécessaire pour le juge adjoint de traiter des facteurs décrits au paragraphe 8 de l’arrêt Rosenstein. Autrement dit, je conclus qu’il n’a commis aucune erreur manifeste et dominante à cet égard.
[9] Le demandeur soutient également que le juge adjoint a rendu des motifs inadéquats. Je ne suis pas d’accord.
[10] Selon la Cour d’appel fédérale, l’examen minutieux et la synthèse d’éléments de preuve en motifs brefs et compréhensibles ne porteront pas nécessairement les cours d’appel à conclure qu’il y a eu une mauvaise compréhension des principes juridiques ou une application erronée du droit aux faits : Millennium Pharmaceuticals Inc c Teva Canada Limitée, 2019 CAF 273 [Millennium] au para 9, citant South Yukon Forest Corp c Canada, 2012 CAF 165 au para 49; Mahjoub c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CAF 157 [Mahjoub] au para 69. Autrement dit, « [l]’examen de l’erreur manifeste et dominante ne tient pas compte des questions de forme et va au cœur de ce que le tribunal de première instance a fait »
: Millennium, au para 10.
[11] De plus, « [u]ne non-mention dans les motifs ne mène pas nécessairement à une conclusion d’erreur manifeste et dominante » :
Mahjoub, ci-dessus au para 66. Dans l’exercice d’une fonction d’appel, un objectif est d’effectuer un examen global, dynamique et équitable de la décision de première instance : Apotex Inc c Eli Lilly and Company, 2018 CAF 217 au para 97, citant Pfizer Canada Inc c Teva Canada Limited, 2016 CAF 161 aux para 68-69.
[12] En fin de compte, je conclus qu’en contestant l’ordonnance, le demandeur tente de plaider à nouveau la requête présentée en vertu de l’article 312 des Règles dans le présent appel et, ce faisant, demande à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve, alors que tel n’est pas la mission d’une cour d’appel : Alcon Canada Inc c Actavis Pharma Company, 2015 CAF 191 au para 26.
ET APRÈS avoir conclu, pour les motifs déjà énoncés, que la requête du demandeur sera rejetée;
ET APRÈS avoir examiné la demande de dépens du demandeur et ses observations à ce sujet en vertu de l’article 22 des Règles des cours fédérales en matière de citoyenneté, d’immigration et de protection des réfugiés, DORS/93-22, et décidé que, vu les circonstances, il est justifié que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire pour adjuger au défendeur une modeste somme forfaitaire de 500 $, payable par le demandeur.
ORDONNANCE DANS LE DOSSIER IMM-8614-23
LA COUR ORDONNE :
La requête du demandeur en appel de l’ordonnance du juge adjoint Crinson datée du 2 août 2024 est rejetée.
Le défendeur a droit à des dépens d’une somme forfaitaire de 500 $, payables par le demandeur.
« Janet M. Fuhrer »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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IMM-8614-23
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INTITULÉ :
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ARDALAN GHAFOOR ARIF c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE
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REQUÊTE PRÉSENTÉE PAR ÉCRIT ET EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO), CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES
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ORDONNANCE ET MOTIFS :
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LA JUGE FUHRER
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DATE DES MOTIFS :
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LE 19 SeptembrE 2024
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COMPARUTIONS :
Ashley Fisch
Adrienne Lei
Samhita Misra
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POUR LE DEMANDEUR
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Veronica Cham
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POUR LE DÉFENDEUR
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Ashley Fisch Alliance Immigration Lawyers
Toronto (Ontario)
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POUR LE DEMANDEUR
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Dewart Gleason LLP
Toronto (Ontario)
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POUR LE DEMANDEUR
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Procureur général du Canada
Toronto (Ontario)
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POUR LE DÉFENDEUR
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