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Date : 20050308

Dossier : IMM-10489-03

Référence : 2005 CF 334

Montréal (Québec), le 8 mars 2005

Présente :        L'honorable Johanne Gauthier

ENTRE :

                                            LA MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                       ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                                          HUSSEIN EL CHAYEB

                                                                             

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration demande à la Cour d'annuler la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (SPR) qui a accepté la demande d'asile de monsieur Hussein El Chayeb et rejeté la position du Ministre qu'il existait des raisons sérieuses de croire que monsieur El Chayeb avait participé à des crimes contre l'humanité et qu'il devait donc être exclu du bénéfice de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, (la Loi) en vertu de l'article 98.

[2]                Monsieur Chayeb est un Palestinien apatride qui a vécu presque toute sa vie dans le camp Mia Mia au Liban. Il revendique le statut de réfugié et de personne à protéger parce qu'il craint d'être persécuté ou maltraité et torturé par des membres de Fatah, une section de l'Organisation de libération de la Palestine (OLP), à cause de ses opinions politiques. Il allègue qu'il a été contraint par les membres de Fatah de faire partie de l'association des enseignants de Fatah dont il fut le président. À partir de 1993, il a aussi été forcé à donner des sessions d'information sur les objectifs de Fatah et leur combat pour regagner la Palestine contre Israël. Ces sessions étaient données deux fois par mois dans les locaux de la Fatah à de jeunes palestiniens dont plusieurs étaient les élèves du défendeur à l'école primaire.

[3]                En 1999, après avoir pris une retraite volontaire anticipée comme instituteur à une école primaire où il travaillait depuis 1968, il a refusé de continuer à participer aux activités de Fatah. C'est particulièrement après ce refus qu'il aurait été menacé par des membres de Fatah qui portaient des cagoules. En juillet 2002, après avoir obtenu une lettre d'invitation lui permettant d'obtenir un visa américain de visiteur, il quitte le camp laissant derrière lui sa femme et son plus jeune fils.

[4]                Selon la SPR, monsieur El Chayeb craint aussi d'être persécuté par le gouvernement libanais à cause de sa nationalité.

[5]                Bien que la SPR note que le défendeur a clairement démontré une résistance à répondre clairement aux questions posées, elle est d'avis que dans l'ensemble son témoignage est crédible. De plus, même si le défendeur est maintenant retraité, elle note qu'il a vécu toute sa vie dans ce camp et a expérimenté les restrictions imposées par le gouvernement Libanais concernant le travail et l'accès à l'éducation. S'il devait retourner au camp Mia Mia, il serait aussi sévèrement restreint quant à l'accessibilité aux services sociaux et aux soins de santé en particulier. Elle conclut que ce cumul de mesures discriminatoires constitue de la persécution et dit :

     De plus, étant donné son refus de travailler pour le Fatah et le climat d'intimidation auquel il a expliqué avoir eu à faire face amène le tribunal à conclure que celui-ci devrait vivre dans un climat d'appréhension et d'insécurité qui combiné aux mesures restrictives imposées par le gouvernement du Liban sont compatibles avec une crainte raisonnable de persécution en ce qui touche son avenir.

     Étant donné les faits ci-haut mentionnés, le tribunal est d'avis que le demandeur a fait la démonstration d'une crainte justifiée de persécution sur la base de sa nationalité.

[6]                Les motifs appuyant la conclusion que monsieur El Chayeb est un réfugié et une personne à protéger (inclusion) sont brefs. Ils sont exprimés en une page. L'essentiel de la décision consiste en une analyse de la question à savoir si le revendicateur devrait être exclu en vertu de l'article 98 de la Loi.


[7]                La SPR rejette cette prétention du demandeur en disant qu'il n'avait pas établi que la Fatah était une organisation ayant un objectif limité et brutal, ni que le défendeur avait participé personnellement aux crimes contre l'humanité (tel que l'utilisation d'adolescents dans des attentats bombe-suicide) présumément commis par la Fatah.

[8]                À cet égard, la SPR est d'avis que bien que le défendeur ait participé consciemment pendant une période de près de six ans à des activités de formation organisées par la Fatah, celui-ci le faisait contre son gré. Elle conclut que le Ministre n'a pas réussi à démontrer que « le demandeur avait quelque lien que ce soit avec la commission d'un crime contre l'humanité, qu'il en avait été complice ou qu'il a incité ces étudiants à la haine ou au meurtre » .

Questions en litige

[9]                D'abord, le demandeur soumet que la SPR a accueilli la demande d'asile sans considérer toute la preuve objective pertinente dont il disposait. À cet égard, le demandeur réfère particulièrement à deux documents datés respectivement du 20 octobre 1999 et du 28 avril 2002 qui traitent spécifiquement des pratiques de recrutement dans les camps Palestiniens et des pénalités imposées à ceux qui refusent de se joindre à des organisations, dont l'OLP.

[10]            La SPR aurait aussi omis de considérer la preuve documentaire selon laquelle les Palestiniens, y inclus ceux vivant au camp de Mia Mia, ont effectivement accès à des services de santé organisés par l'UNWRA.

[11]            De plus, le Ministre soulève un grand nombre d'erreurs que la SPR aurait commis en concluant que l'exclusion prévue à l'article 98 de la Loi ne s'appliquait pas.

[12]            Entre autres, la SPR a :

i)          utilisé un principe juridique erroné en analysant la question de la complicité du défendeur;

ii)          exigé un degré de preuve plus exigeant que la norme définie par la jurisprudence;

iii)          erré quant à la définition et l'étendue de la défense de contrainte disponible;

iv)         omis de considérer si la participation au recrutement d'adolescents est un crime de guerre.

[13]            Le défendeur a quitté le Canada en avril 2004 pour visiter sa femme au Liban[1]. Le défendeur n'était donc pas présent à l'audience. Il n'a pas non plus déposé de mémoire et son avocat s'est retiré du dossier peu de temps après son départ. Toutefois, son fils qui réside au Canada, a eu l'opportunité de faire des représentations orales. Il a commenté les arguments présentés par le demandeur en indiquant que :

i)          son père n'a jamais participé dans les sessions d'information organisées par la Fatah de son bon gré. Un représentant de Fatah était toujours présent pour le surveiller lors de ses sessions et il a effectivement fait l'objet de menaces de la part d'hommes masqués;


            ii)         l'association des enseignants de Fatah est une organisation dont le principal objectif est de défendre le droit des enseignants;

            iii)         Fatah ne doit pas être confondue avec les brigades de la mort qui sont responsables des attentats (bombe-suicide) auxquels réfère le demandeur;

            iv)        tel qu'indiqué dans la transcription, l'interprète a eu de la difficulté à traduire une réponse de son père et a confondu le mot « joindre » et « recruter » ;

            v)         il n'y a pas de véritables services de santé dans le camp Mia Mia, et ce, malgré la preuve documentaire à cet égard.

[14]            Quant à ce dernier point sur la non-disponibilité des services de santé, la Cour note que ce sujet n'a jamais été abordé avec le défendeur lors de l'audience devant la SPR. La Cour ne peut considérer les représentations du fils de monsieur El Chayeb sur ce point puisque cette preuve n'était pas disponible devant la SPR.

[15]            Si tel que le soumet le demandeur, la conclusion de la SPR que le défendeur a établi une crainte raisonnable de persécution est manifestement déraisonnable, la décision devra être annulée compte tenu de sa conclusion que le défendeur ne doit pas être exclu en vertu de l'article 98 de la Loi.

[16]            Tel que mentionné, la SPR a fondé sa conclusion sur deux éléments soit (i) la persécution par l'état libanais compte tenu des mesures restrictives imposées dans le camp Mia Mia particulièrement quant à l'accès aux services de santé et (ii) les pressions exercées par Fatah sur le défendeur afin qu'il joigne leur organisation et continue de participer à leurs activités.

[17]            Quant au premier point, il est important de noter que le défendeur ne réfère pas dans son FRP non plus que dans son témoignage au fait qu'il craint d'être persécuté compte tenu de l'accessibilité restreinte aux services sociaux et aux soins de santé dans le camp de Mia Mia. Ce sujet n'a tout simplement jamais été abordé.

[18]            Dans sa décision, la SPR réfère seulement à deux documents à cet égard, soit :

            i)          la pièce A-4, cartable régional 2.1. Ce document semble être celui auquel réfère le demandeur, soit un document intitulé : Lebanon, Country Conditions, April 2002. La seule section pertinente à cet égard est le paragraphe 5.65 qui se lit comme suit :

5.65 In Lebanon, UNWRA runs 74 schools and estimates that about 95 per cent of Palestinian children receive primary and lower secondary education. The agency also operates 18 full-scale health centres located in refugee camps, as well as 6 smaller clinics, and has also reached agreement with 12 private hospitals for the treatment of refugees. In addition, UNWRA provides emergency aid to families unable to support themselves. (renvoi omis)

ii)         le deuxième document est intitulé : Report on Fact-Finding Mission to Lebanon (mai 1998) et il indique :


The UNRWA explained that it operates 18 full-sclare health centres, located at refugee camps, as well as six smaller health clinics. The health centres provide Palestinians with the necessary medication and other medical treatment. In addition the UNRWA has reached agreements with 12 private hospitals throughout the country for the treatment of Palestinian refugees. However, it does not have the resources to pay for the most expensive operations and courses of treatment in the areas of neurology, cardiovascular diseases, cancer and intensive care. In such cases, in which the cost of treatment can easily amount to US $15 000 to 20 000 per patient, the UNRWA can at most offer to meet 50% of the cost, which among patients with an average income of about US $250 a month inevitably gives rise to fatalities as a result of inadequate treatment or going untreated. Particularly on the delegation's visits to camps, the issue of the UNRWA's shortage of resources to meet health needs was raised time and again. All camp committees met by the delegation mentioned the problem, including the fact that for hospital treatment the UNRWA cannot afford to pay more than US $2 500 per patient. For further details, see section 6.

[19]            À la section 6, on spécifie que « Health matters are UNRWA's responsibility and there are problems with very serious illnesses requiring hospitalization » . On trouve ensuite des commentaires sur chaque camp y inclus Mia Mia. À l'égard de ce camp, le rapport confirme que : « the camp has a health center with a staff of nine attended by an average of 113 patients a day. »

[20]            Comme ce sujet n'a aucunement été abordé à l'audience, le défendeur n'a jamais eu l'occasion de commenter ou d'indiquer si oui ou non les services décrits ci-dessus étaient insuffisants compte tenu de sa condition. Il n'y a aucune preuve que le défendeur, un homme âgé de 61 ans, souffrait d'une maladie quelconque qui nécessitait ou pourrait nécessiter une hospitalisation et qu'il n'aurait pas les moyens financiers nécessaires si ce besoin se faisait sentir.[2]


[21]            Dans les circonstances, la Cour est satisfaite que la SPR a ignoré la preuve ou a conclu malgré l'absence de preuve que « monsieur El Chayeb serait sévèrement restreint quant à l'accessibilité aux services de santé et que même s'il pouvait payer dans les hôpitaux, il est possible qu'il ne soit pas accepté et que l'on favorisera à ce moment là des citoyens libanais » .

[22]            De plus, la Cour note qu'absolument rien n'indique que monsieur El Chayeb a souffert de restrictions quant à son éducation et son emploi. De fait, il a travaillé toute sa vie jusqu'à ce qu'il prenne sa retraite en 1999. Il était professeur et il n'y a aucun indice qu'il n'a pu avoir accès à une éducation adéquate. De plus, comme l'article 96 vise à évaluer la persécution qu'un revendicateur subirait dans le futur, il est difficile d'imaginer comment ces restrictions pourraient être pertinentes. Monsieur El Chayeb est retraité et n'a pas témoigné qu'il aimerait travailler à nouveau.

[23]            Quant au climat d'appréhension et d'insécurité découlant de son refus de travailler pour la Fatah, la Cour est satisfaite que les deux documents préparés par la Direction de la recherche de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié et intitulé : Lebanon : Whether the Various Palestine Factions Practice Force Regroupment et Lebanon : Current Recruitment Practices of the Palestine Liberation Organizations and on the Penalties for Refusing to Become a Member étaient pertinents.

[24]            Considérant que ces deux documents semblent avoir été l'unique preuve documentaire au dossier sur ce sujet et qu'ils contredisent en partie le témoignage du défendeur sur un sujet au coeur même de sa revendication, la SPR aurait dû les commenter.

[25]            Compte tenu de la brièveté des motifs, de l'absence d'analyse et de la non-pertinence de la plupart des commentaires de la SPR eu égard à la nature de la revendication tel que présentée dans le FRP et à l'audience, la Cour n'a aucune hésitation à conclure que la décision est manifestement déraisonnable et qu'elle doit être annulée.

[26]            Dans les circonstances, il n'y a pas lieu de discuter ses autres arguments soulevés par le demandeur surtout lorsqu'on considère que plusieurs portent sur des questions de droit et d'application de principes bien établis dans la jurisprudence et qui ne requierent aucun commentaire particulier. Quant à savoir si le recrutement d'enfants de moins de 15 ans constitue un crime de guerre, cette question n'a pas été plaidée devant la SPR. La demanderesse aura donc l'occasion de le faire lors de la réévaluation du dossier.

[27]            Il est évident que le panel qui réévaluera cette revendication devra tenir une nouvelle audience afin que le défendeur puisse être interrogé sur toutes ces questions.

[28]            Avant de conclure, la Cour note que le fils de monsieur El Chayeb a indiqué à l'audience que son père ne pouvait revenir au Canada parce qu'on lui refusait l'entrée faute de documentation établissant son statut de réfugié.

[29]            Ayant demandé et obtenu l'intervention de la Cour dans ce dossier, il est crucial que le demandeur fasse le nécessaire pour s'assurer que monsieur El Chayeb, s'il désire toujours revendiquer un statut de réfugié, puisse être présent lors de la réévaluation de son dossier.

[30]            Tel qu'indiqué par le demandeur, il est possible qu'en vertu de l'article 108 de la Loi monsieur El Chayeb ait perdu la qualité de réfugié ou de personne à protéger en se réclamant de nouveau et volontairement de la protection du pays dont il a la nationalité ou en retournant volontairement s'établir dans le pays qu'il a quitté et en raison duquel il a demandé asile au Canada. Dans ce cadre, il est important que le défendeur ait la possibilité de faire des représentations à ce sujet.

[31]            Aucune question n'a été soumise pour certification et la Cour est satisfaite que cette affaire ne soulève aucune question d'importance générale.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :


La demande est accueillie. La demande d'asile de monsieur Hussein El Chayeb devra être réévaluée par un tribunal différemment constitué qui tiendra une nouvelle audience.

                  « Johanne Gauthier »               

                                juge                               



[1]           Bien qu'il n'y ait aucune preuve au dossier, le fils du défendeur a indiqué à l'audience que sa mère avait été malade.

[2]           Le défendeur a plusieurs fils qui travaillent et vivent en dehors du Liban.

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