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Date : 20240924


Dossier : IMM-12353-23

Référence : 2024 CF 1500

Ottawa (Ontario), le 24 septembre 2024

En présence de l'honorable madame la juge Ngo

ENTRE :

GIANCARLO MOTINO SORIANO

Partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

Partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire d’une décision négative d’une agente d’immigration avec Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [Agente] rejetant sa demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR] du 20 juin 2023 [Décision]. L’Agente a rejeté cette demande au motif que le demandeur n’a pas pu montrer suffisamment de preuve appuyant un risque prospectif d’être torturé ou persécuté, de subir des traitements ou peines cruels et inusités ou de menaces à sa vie advenant un renvoi vers son pays de nationalité ou de résidence habituelle.

[2] Le demandeur allègue que l’Agente n’a pas raisonnablement évalué la preuve au dossier. De plus, le demandeur plaide qu’en refusant la tenue d’une audience, l’Agente n’a pas respecté son obligation d’équité procédurale.

[3] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Le demandeur n’a pas démontré que la Décision était déraisonnable. De plus, je conclus qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale.

I. Faits et Décision sous contrôle

[4] Le demandeur est un citoyen du Honduras. Il est arrivé au Canada le 18 mars 2017 et a présenté une demande d’asile. Dans sa demande d’asile, le demandeur soutient que sa sécurité est en péril par un groupe appartenant au MS-13 qui lui a exigé une somme de 10 000 $ et l’a menacé. Il affirme avoir été témoin de deux incidents violents dans lesquels sa voisine et un de ses amis ont été battus par les personnes menaçant le demandeur.

[5] Le 10 juin 2019, la Section de la Protection des Réfugiés [SPR] a rejeté la demande d’asile du demandeur. La question déterminante devant la SPR était sa crédibilité. Elle a déterminé que le demandeur n’avait pas fourni suffisamment d’éléments de preuves « crédibles » et « dignes de foi ». La SPR a soulevé de nombreux points touchant au manque de crédibilité du demandeur. Elle précise d’ailleurs que « toutes les réponses » obtenues par le demandeur lorsqu’il a été interrogé ont été jugées « non satisfaisantes et non crédibles ».

[6] Le 20 juin 2019, le demandeur a été accusé de voies de fait sous l’alinéa 266(b) du Code criminel du Canada LRC (1985), ch. C-46 [Code criminel]. Le 23 janvier 2020 et le 30 janvier 2020, le demandeur a été accusé de bris de conditions en vertu du paragraphe 145(3) du Code criminel.

[7] Le 10 février 2020, la Section d’appel des réfugiés a rejeté l’appel du demandeur, car l’appel n’a pas été mis en état dans le délai prescrit.

[8] Le 14 avril 2021, le demandeur a fait l’objet d’une mesure d’expulsion et un rapport 44(1) a été délivré, car il a été établi que le demandeur est interdit de territoire en vertu de l’alinéa 36(2)(b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch. 27 [LIPR].

[9] Le 4 mai 2021, le demandeur a présenté sa demande d’ERAR. L’Agente a identifié que le demandeur présentait des risques similaires à sa demande d’asile, indiquant que dans un éventuel retour dans son pays d’origine il serait tué. Il dit être ciblé par les membres du groupe MS-13 parce qu’il a refusé de payer le montant qu’on lui avait exigé.

[10] Le demandeur a présenté de nouveaux éléments de preuve dans sa demande d’ERAR. Il s’agit des documents suivants :

  1. Un document provenant du Comité pour la défense des droits de la personne au Honduras daté du 23 mars 2017. Ce document a été rejeté en vertu de l’alinéa 113(a) de la LIPR parce qu’il est antérieur à l’audition de la demande d’asile.

  2. Un certificat de décès et une lettre mettant à jour la situation courante dans sa communauté. Cette lettre explique que plusieurs personnes de son quartier, dont son meilleur ami, ont été tuées par des membres du groupe MS-13 puisqu’ils ont refusé de payer la somme exigée. Ces éléments de preuves ont été rejetés parce qu’ils n’ont pas de valeur probante pour établir les faits allégués, par exemple que le demandeur a refusé de payer la somme d’argent, ou pour contrebalancer les conclusions de la SPR.

  3. Une lettre du frère du demandeur déclarant que la vie de son jeune frère est en danger parce qu’il a refusé de payer la somme exigée. L’Agente a conclu qu’en l’absence de plus de détails et de preuves corroboratives, cet élément de preuve ne présente pas de valeur probante pour établir que le demandeur est ciblé de menaces à sa vie.

[11] L’Agente a aussi conclu qu’une audience n’était pas requise puisque les éléments de preuves fournis ne sont pas pertinents aux facteurs des articles 113(b) LIPR et 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés [RIPR].

[12] Le 20 juin 2023, la demande a été rejetée. L’Agente a conclu que le demandeur n’a pas démontré qu’il risque d’être confronté à plus qu’une simple possibilité de persécution au sens de l’article 96 de la LIPR. Elle estime également que le demandeur n’a pas démontré qu’il y a des motifs sérieux à croire qu’il court des risques de torture, de menaces à sa vie, de traitements ou de peines inusités advenant un retour à son pays d’origine au sens des alinéas 97(1)(a) et 97(1)(b) de la LIPR.

II. Questions en litige et norme de contrôle

[13] Les questions qui ont été soulevées dans la demande de contrôle judiciaire sont les suivantes :

  1. Est-ce que la Décision est déraisonnable, et

  2. Est-ce qu’il y a eu un manquement à l’équité procédurale, car une audience n’a pas été tenue compte tenu de la nouvelle preuve?

[14] Une allégation d’équité procédurale est déterminée sur la base ressemblant à la décision correcte. La Cour doit analyser si la procédure était équitable en considérant toutes les circonstances (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux para 54-56; Lipskaia c Canada (Procureur général), 2019 CAF 267 au para 14). La question fondamentale demeure celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu la possibilité complète et équitable d’y répondre. L'obligation d'agir équitablement comporte deux volets: 1) le droit à une audience équitable et impartiale devant un décideur indépendant et 2) le droit d'être entendu (Fortier c Canada (AG), 2022 CF 374 au para 14; Therrien (Re), 2001 CSC 35 au para 82). Chacun a droit à une possibilité complète et équitable de présenter sa cause (Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 1999 CanLII 699 (CSC), [1999] 2 RCS 817 au para 28).

[15] S’il ne s’agit pas d’une question d’équité procédurale, les parties s’entendent que la Cour doit réviser le bien-fondé de la Décision en appliquant la norme de la décision raisonnable. D’ailleurs, la jurisprudence confirme que la norme de la décision raisonnable s’applique à une décision d’un agent ERAR ainsi qu’à son évaluation de la preuve (Buname c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 353 au para 18 citant Canada (Citoyenneté et Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 10, 23 [Vavilov] et Tesfay c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 593 au para 5; Rinchen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 437 aux para 15-16).

[16] Une cour appliquant le test du caractère raisonnable ne demande pas quelle décision elle aurait prise à la place du décideur administratif. Elle est ancrée dans le principe de la retenue judiciaire (Vavilov au para 13). Elle ne cherche pas à déterminer l'éventail des conclusions possibles qui auraient pu être tirées par le décideur, ni à effectuer une analyse de novo, ni à déterminer la bonne solution au problème (Vavilov au para 83). La cour de révision ne peut soupeser ni réévaluer les preuves examinées par le décideur (Vavilov au para 125). Une décision raisonnable est une décision fondée sur une chaîne d'analyse cohérente et rationnelle et qui est justifiée par rapport aux faits et au droit qui contraint le décideur. (Vavilov au para 85).

[17] Il incombe à la partie qui conteste la décision de démontrer que la décision souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne puisse pas dire que la décision satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence (Vavilov au para 100).

III. Analyse

[18] Le demandeur fait valoir que l’Agent n’a pas considéré ou bien pesé les éléments soumis dans la demande d’ERAR. D’ailleurs, il souligne que l’Agent n’a pas suffisamment apprécié les preuves.

[19] Le demandeur se fie sur l’arrêt Demesa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 135 au paragraphe 15 [Demesa] à l’appui de son argument que l’Agente avait le devoir d’évaluer la nouvelle preuve et non pas simplement d’accepter les conclusions de la SPR, car cette nouvelle preuve peut contredire les conclusions de la SPR quant à sa crédibilité. Le juge Norris dans Demesa explique que l’objet de l’ERAR est de déterminer si, en raison d’un changement dans la situation du pays ou sur la base de nouveaux éléments de preuve apparus depuis la décision de la SPR, il y a eu un changement dans la nature ou le degré du risque.

[20] Le défendeur cite Ali c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 50 [Ali] pour souligner le rôle d’un agent d’ERAR et la retenue que la Cour doit lui accorder quant à ses conclusions factuelles ainsi que son analyse du poids à accorder aux éléments de preuve. L’agent « doit analyser la preuve et la situation du demandeur pour déterminer s’il risque d’être torturé ou persécuté, ou de subir des traitements ou peines cruels ou inusités, ou de voir sa vie menacée en cas de renvoi ». Il incombe à l’agent de déterminer la valeur qu’il convient d’attribuer aux éléments de preuve présentés (Ali au para 24). L’analyse est axée sur les faits et la Cour doit faire preuve d’une grande retenue à l’égard de la décision rendue (Nikkhoo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 764 au para 14).

[21] Le défendeur cite aussi la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 96 au paragraphe 47, que « dans le contexte d’un ERAR, l’exigence que la nouvelle preuve soit d’une telle importance qu’elle aurait permis de conclure différemment de la SPR peut s’expliquer dans la mesure où l’agent d’ERAR doit faire preuve de déférence eu égard à la décision négative rendue par la SPR et ne peut y déroger que sur la base d’une situation différente ou d’un risque nouveau ».

[22] Le défendeur fait valoir que la Décision est raisonnable. L’Agente a analysé la nouvelle preuve qui lui a été fournie, mais elle a conclu que cette nouvelle preuve n’a pas contredit la conclusion de la SPR.

[23] Je souscris aux arguments avancés par le défendeur. Dans la Décision sous contrôle, l’Agente a considéré les circonstances qui ont changé entre la décision de la SPR et la demande d’ERAR. Les motifs de l’Agent expliquent pourquoi elle accorde peu de poids aux aspects de preuve : soit qu’il manque d’information ou de précisions.

[24] Le demandeur me demande essentiellement de soupeser la preuve. Le rôle de la cour de révision n’est pas de soupeser à nouveau les éléments de preuve ou de substituer la conclusion qu’elle-même juge préférable (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, aux para 59 et 61).

[25] L’Agent d’ERAR a aussi considéré le profil du demandeur et son risque dans son pays d’origine. La preuve objective au dossier national décrivait un risque général. Par contre, il incombe au demandeur de démontrer le lien entre cette crainte et la preuve qu’il serait ciblé personnellement eu égard à sa situation particulière. En l’espèce, compte tenu de la preuve au dossier, il était loisible à l’Agente de conclure que le demandeur n’avait pas démontré ce lien. Je ne peux donc conclure que la Décision est déraisonnable.

[26] Finalement, je ne décèle pas de manquement à l’équité procédurale. Le processus usuel d’ERAR procède habituellement sans audience. L’Agent a analysé la nouvelle preuve soumise et a tenu compte des critères de l’article 113 de la LIPR et 167 du RIPR. En lisant la Décision, il est évident qu’il s’agit d’une insuffisance de preuve dans la demande d’ERAR. Il ne s’agit pas d’un problème de crédibilité du demandeur à cause du rejet de la nouvelle preuve qui aurait pu justifier la considération d’une audience.

IV. Conclusion

[27] En conclusion, la Décision satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence selon Vavilov et elle est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov au para 85). La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

[28] Les parties n’ont soulevé aucune question à certifier. Je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans IMM-12353-23

LA COUR STATUE que

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
  2. Il n’y a pas de questions à certifier.

« Phuong T.V. Ngo »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-12353-23

INTITULÉ :

GIANCARLO MOTINO SORIANO c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (qUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 AOÛT 2024

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE NGO

DATE DES MOTIFS :

LE 24 SEPTEMBRE 2024

COMPARUTIONS :

Me Sabine Venturelli

Pour LE DEMANDEUR

Me Jeanne Robert

Pour LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocats

Montréal (Québec)

Pour LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour LE DÉFENDEUR

 

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