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Date : 20051013

Dossier : IMM-1804-05

Référence : 2005 CF 1393

Montréal (Québec), le 13 octobre 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE de MONTIGNY

ENTRE :

SELENA ANGELICA RUIZ ESPINOSA

ERUBEY REYES RUIZ

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le 3 mars 2005, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la « Commission » ) a rejeté la demande d'asile de Selene Angelica Ruiz Espinosa et de son fils Erubey Reyes Ruiz en raison du peu de crédibilité de leur récit et de la protection que pouvait leur accorder le Mexique, dont ils sont citoyens. C'est cette décision que les demandeurs contestent, par la voie d'une demande de contrôle judiciaire autorisée le 15 juillet dernier, aux termes de l'article 72 de la Loisur l'immigration et de la protection des réfugiés.

[2]                Les demandeurs sont arrivés au Canada le 13 août 2004 et auraient demandé l'asile le 19 août 2004. Ils fondent leur demande sur la crainte d'être persécutés en raison de leur appartenance à un groupe social particulier. Ils prétendent également être des « personnes à protéger » dans la mesure où ils seraient personnellement exposés au risque de torture et à une menace à leur vie, ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités.

[3]                La demanderesse allègue avoir été la secrétaire et maîtresse du directeur de la Sécurité publique de l'État de Michoacan, M. Juan Jose Vallanueva Toscano. Suite à une mésentente à propos de vacances qu'ils devaient passer ensemble, ce dernier aurait giflé la demanderesse. Puis, le 10 janvier 2004, M. Villanueva Toscano aurait menacé d'un pistolet des jeunes gens qui regardaient la demanderesse dans un restaurant. Finalement, le 28 février 2004, M. Villanueva Toscano aurait emmené la demanderesse de force pour avoir des rapports sexuels avec elle, et l'aurait enfermée dans une chambre dont elle aurait cependant réussi à s'enfuir.

[4]                La demanderesse se serait alors réfugiée chez sa mère et aurait tout dévoilé à la fille de M. Villanueva Toscano. Après avoir appris que ce dernier était à sa recherche avec ses gardes, la demanderesse se serait réfugiée chez une tante. M. Villanueva Toscano l'aurait alors appelée sur son téléphone cellulaire et l'aurait menacée de torturer et tuer son fils. Puis, le 9 août 2004, une amie de la demanderesse aurait révélé à M. Villanueva Toscano où se cachait la demanderesse après avoir été menacée de mort par ce dernier. Elle aurait ensuite prévenue immédiatement la demanderesse, qui s'est enfuie quatre jours plus tard avec son fils pour se rendre au Canada.

[5]                La Commission en est arrivée à la conclusion que la demanderesse et son fils n'avaient pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger, au sens des articles 96 et 97 de la Loi, essentiellement pour deux motifs. Tout en acceptant que la demanderesse a été secrétaire du directeur de la Sécurité publique et qu'elle a eu des relations intimes avec lui, la Commissiona estimé qu'il était peu plausible qu'il se soit adressé à une amie de la demanderesse cinq mois après le dernier incident pour obtenir son adresse. Non seulement ce délai donne-t-il à penser qu'il ne s'intéressait pas vraiment pas à elle, mais encore avait-il d'autres moyens à sa disposition pour la retracer compte tenu de ses fonctions. Par conséquent, on a jugé que la demanderesse n'était pas vraiment en danger au Mexique. D'autre part, on a également rejeté la demande du fait que la demanderesse ne s'était pas déchargée de son fardeau de prouver que le Mexique n'était pas en mesure de la protéger, n'ayant jamais porté plainte auprès des autorités du pays.

[6]                Dans sa plaidoirie orale et ses représentations écrites, l'avocat de la demanderesse s'est exclusivement attaqué aux conclusions de la Commission relativement à la protection de l'État. En s'appuyant sur de la preuve documentaire, il a fait valoir que la situation des femmes victimes de violence et de harcèlement sexuel au Mexique était loin d'être reluisante, et que la Commission avait fait une lecture sélective de la preuve objective. Il a également insisté sur le fait qu'il n'était pas réaliste de s'attendre à ce qu'une femme menacée et vulnérable puisse porter plainte contre son agresseur lorsque ce dernier exerce de hautes fonctions dans l'appareil étatique. Bref, il a soutenu que ce serait imposer un fardeau de preuve trop élevé que de demander à une personne de rechercher la protection de l'État lorsqu'elle se croit en danger suite aux agissements d'une personne de qui relève les forces de l'ordre.

[7]                Il est vrai qu'en règle générale, le demandeur de statut de réfugié doit recourir à la protection de son pays avant de demander la protection internationale. Comme l'affirmait le juge La Forest dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Ward, ([1993] 2 R.C.S. 689, p. 726), « la présomption [que l'État est capable de protéger le demandeur] sert à renforcer la raison d'être de la protection internationale à titre de mesure auxiliaire qui entre en jeu si le demandeur ne dispose d'aucune solution de rechange » . Il ne sera pas suffisant, pour écarter cette présomption, de prétendre que la police est corrompue ou qu'un policier n'a pas donné suite à une plainte. Dans cette optique, je suis donc prêt à admettre, comme plusieurs de mes collègues, que le Mexique est en mesure de protéger ses citoyens même si cette protection est loin d'être parfaite : Velazquez c. Canada (M.C.I.), [1999] A.C.F. no 934 (QL); Garcia c. Canada (M.C.I.), [2004] A.C.F. no 2058 (QL); Urgel c. Canada (M.C.I.), [2004] A.C.F. no 2171 (QL); Valdes c. Canada (M.C.I.), [2005] A.C.F. no 123 (QL); Balderas c. Canada (M.C.I.), [2005] A.C.F. no 225 (QL); B.O.T. c. Canada (M.C.I.), [2005] F.C.J. No. 343 (QL).

[8]                Ceci étant dit, il en va bien autrement lorsque c'est un représentant de l'État qui est l'auteur présumé de la persécution ou des menaces de violence. Comme l'affirmait ma collègue la juge Tremblay-Lamer, « le fait même que les représentants de l'État soient les auteurs présumés de la persécution affaiblit la nature démocratique apparente des institutions de l'État, ce qui diminue d'autant le fardeau de la preuve » (Chaves c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 193); voir aussi Molnar c. Canada (M.C.I.), [2003] 2 C.F. 339. Après tout, il serait absurde d'exiger qu'un demandeur mette sa vie en danger pour prouver l'inefficacité de la protection dans son pays. Ce raisonnement s'applique avec d'autant plus de force lorsque, comme c'est le cas en l'espèce, le présumé responsable de la persécution est la personne de qui relève ultimement la sécurité publique dans l'État. La Commission n'a pas semblé tenir compte de cet élément dans sa décision; en effet, la preuve documentaire qu'elle cite pour illustrer qu'un recours était possible ne tient pas compte de cette dimension du problème.

[9]                Par conséquent, je serais donc prêt à considérer que la Commission a erré en considérant que la demanderesse n'avait pas fait la preuve que son pays d'origine n'était pas en mesure de la protéger du fait qu'elle n'avait pas porté plainte auprès des autorités. Compte tenu des ratés et de la corruption qui affligent les forces policières du Mexique, de la culture d'impunité qui semble prévaloir dans ce pays face à la violence dont sont souvent victimes les femmes, et surtout de la position d'autorité qu'occupait celui-là même qui la menaçait, il était parfaitement compréhensible que la demanderesse ne cherche pas à obtenir la protection de son pays.

[10]            Cette erreur ne m'apparaît cependant pas fatale dans la mesure où la protection de l'État n'était qu'un argument subsidiaire dans le raisonnement de la Commission. En effet, c'est d'abord et avant tout parce qu'elle n'a pas cru que M. Villanueva Toscano continuait de poursuivre la demanderesse jusqu'à son départ du Mexique que la Commission a rejeté sa demande. Elle s'est dite d'avis qu'il n'aurait pas attendu aussi longtemps pour essayer de la localiser, et qu'il aurait pris d'autres moyens pour y parvenir, s'il avait vraiment voulu s'en prendre à la demanderesse. Somme toute, la Commission a inféré de la preuve que M. Villanueva Toscano ne cherchait pas vraiment à retracer la demanderesse, d'autant plus qu'il était marié, avait des enfants et ne cherchait sûrement pas à faire scandale.

[11]            L'appréciation de la vraisemblance d'un récit relève clairement de l'expertise de la Commission, et il n'appartient pas à la Cour de substituer son opinion à celle de la Commission à moins que les inférences tirées de la preuve soient totalement déraisonnables. La jurisprudence de cette Cour regorge de précédents qui illustrent ce principe : Aguebor c. M.E.I., (1993) 160 N.R. 315 (C.A.F.); Lorena Gonzalez c. Canada (M.C.I.), [1999] A.C.F. no 805 (QL); Khan c. Canada (M.C.I.), 2005 CF 403.

[12]            Il ne s'agit là que de l'application des principes connus de contrôle judiciaire, en vertu desquels une question de fait ne devrait faire l'objet de révision que dans la mesure où le tribunal a commis une erreur manifestement déraisonnable (Pushpanathan c. Canada (M.C.I.), [1998] 1 R.C.S. 982). Ce sera le cas, notamment, des questions de crédibilité : R. K. L. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 162 (C.F. 1re inst.) (QL); Akinlolu c. Canada (Ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 296 au par. 13 (C.F. 1re inst.) (QL); et Moyo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1297 au par. 4 (C.F. 1re inst.) (QL).

[13]            L'erreur commise par la Commission dans l'évaluation qu'elle a faite de la protection que pouvait espérer la demanderesse de son pays n'étant donc pas déterminante, j'en arrive à la conclusion que cette demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. Aucune question ne sera certifiée pour la Cour d'appel fédérale.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNEque la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Aucune question n'est certifiée.

« Yves de Montigny »

JUGE


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-1804-05

INTITULÉ :                                       Selena Angelica Ruiz Espinosa et al.

c. Le ministre de la Citoyenneté et de l'immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 11 octobre 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : LE JUGE de MONTIGNY

DATE DES MOTIFS :                       Le 13 octobre 2005

COMPARUTIONS:

Me Serban Mihai Tismanariu

POUR LES DEMANDEURS

Me Simone Truong

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Serban Mihai Tismanariu

Montréal (Québec)

POUR LES DEMANDEURS

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

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