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Action réelle en matière d’amirauté contre le navire « NOLHANAVA » et action personnelle


Date : 20240610

Dossier : T‑836‑17

Référence : 2024 CF 878

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Edmonton (Alberta), le 10 juin 2024

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

CANADIAN MARITIME ENGINEERING LTD, une personne morale

demanderesse

et

IONADA INCORPORATED, une personne morale

défenderesse

MOTIFS ET ORDONNANCE

I. INTRODUCTION

[1] Par une ordonnance datée du 31 octobre 2023, la Cour a ordonné à Edoardo Panziera de comparaître devant elle le vendredi 8 décembre 2023 afin de démontrer pourquoi il ne devrait pas être reconnu coupable d’outrage au tribunal relativement à l’ordonnance rendue le 22 juin 2023. L’ordonnance portait en partie que :

[traduction]
Le défendeur, Edoardo Panziera, se rendra disponible pour un interrogatoire de suivi à l’appui d’une exécution forcée comprenant toutes les questions figurant dans les annexes révisées A et B et toutes les questions appropriées qui en découlent, à l’heure, à la date et selon les modalités qui seront fixées par une ordonnance ultérieure de la Cour.

II. CONTEXTE

[2] L’historique suivant de la présente action est tiré du répertoire des inscriptions enregistrées.

[3] Par une déclaration déposée le 9 juin 2017, la Canadian Maritime Engineering Ltd (la « demanderesse ») a intenté une action contre Ionada Corporation, une personne morale (la « défenderesse »), ainsi que les propriétaires et toutes les autres personnes ayant un droit sur le navire « NOLHANAVA » (le « navire »).

[4] Une défense a été déposée au nom du navire et de ses propriétaires le 28 juillet 2017.

[5] Un jugement par défaut a été rendu le 12 septembre 2017 à l’encontre de la défenderesse.

[6] Le 20 mars 2019, l’action a été abandonnée à l’encontre des propriétaires et de toutes les autres personnes ayant un droit sur le navire, ainsi que du navire.

[7] Par un avis de requête déposé le 11 mai 2022, la demanderesse a sollicité une ordonnance identifiant les débiteurs judiciaires et les mesures connexes.

[8] Par une ordonnance rendue le 27 juillet 2022, l’intitulé a été modifié de façon à ce que « IONADA Incorporated, une personne morale » soit constituée partie défenderesse. Dans les motifs qui l’accompagnent, le juge Ahmed a accepté de faire abstraction de la personnalité morale. Il a identifié M. Panziera comme étant un débiteur judiciaire. Il a également identifié une société canadienne, Ionada Carbon Solutions Limited (« Ionada no 2 ») comme débitrice judiciaire.

[9] Dans la même ordonnance, M. Panziera et Ionada no 2 ont été jugés responsables de la dette constatée par jugement dont la somme s’élevait, le 19 mai 2022, à 253 067,28 $. Selon l’ordonnance, M. Panziera et d’autres personnes étaient tenus de se soumettre à un interrogatoire à l’appui d’une exécution forcée.

[10] M. Panziera a subi un interrogatoire à l’appui d’une exécution forcée le 22 août 2022. Cependant, les avocats de la demanderesse n’étaient pas satisfaits des réponses données ou des réponses aux engagements fournies ultérieurement par M. Panziera et, le 10 novembre 2022, ils ont déposé un avis de requête demandant une ordonnance pour obliger M. Panziera à se présenter une nouvelle fois pour répondre aux [traduction] « questions et engagements auxquels il a mal répondu ou auxquels il s’est opposé » lors de l’interrogatoire du 22 août 2022.

[11] Par une ordonnance rendue le 29 juin 2023, il a été ordonné à M. Panziera de se rendre disponible le 18 juillet 2023 pour un nouvel interrogatoire mené de façon virtuelle.

[12] Le 3 octobre 2023, la demanderesse a déposé un avis de requête demandant la délivrance d’une ordonnance de « justification » conformément à l’article 467 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les « Règles »). Une ordonnance de « justification » a été délivrée le 31 octobre 2023. Selon cette ordonnance, M. Panziera devait participer le vendredi 8 décembre 2023 à une audience par vidéoconférence depuis le bureau de la Cour fédérale situé au 1801, rue Hollis, à Halifax (Nouvelle‑Écosse).

[13] La demanderesse a indiqué que M. Panziera n’aurait pas respecté l’ordonnance du 22 juin 2023 pour trois raisons, à savoir :

  1. La question [traduction] « Avez‑vous des actifs quelque part dans le monde? » a été posée dans l’ordonnance, et M. Panziera a répondu [traduction] « Non ». Il a ensuite refusé d’indiquer la provenance de son argent de poche.

  2. Des questions relatives au paiement des frais de téléphone cellulaire, d’assurance vie et de location de voitures de M. Panziera ont été posées dans l’ordonnance. M. Panziera a répondu qu’Ionada Limited payait ces dépenses par carte de crédit, mais il a refusé de fournir le numéro de la carte de crédit.

  3. La question [traduction] « Où résidez‑vous actuellement en Italie? » a été posée dans l’ordonnance. M. Panziera a refusé d’y répondre.

[14] Selon un affidavit de signification daté du 9 novembre 2023 et déposé par les avocats de la demanderesse le 9 novembre 2023, l’ordonnance de « justification » a été signifiée à M. Panziera par courrier électronique.

[15] L’audience relative à la procédure pour outrage au tribunal a été tenue le vendredi 8 décembre 2023 en mode hybride avec comparution personnelle de la demanderesse par l’entremise de ses avocats à Halifax, en Nouvelle‑Écosse, et la présence de M. Panziera par vidéoconférence depuis Trévise, en Italie.

[16] La demanderesse a appelé Brendan Daniel Peters comme unique témoin. M. Panziera a également témoigné.

[17] M. Peters est avocat. Il a agi au nom de la demanderesse dans la présente action. Il a procédé à l’interrogatoire de M. Panziera le 18 juillet 2023. Il a témoigné des réponses données par M. Panziera lors de l’interrogatoire du débiteur judiciaire qui a eu lieu le 18 juillet 2023.

[18] Me Peters a présenté un cahier de documents qui a été versé au dossier en tant que pièce P‑1. Ce cahier contenait les documents suivants, tels qu’ils sont désignés dans la table des matières :

  • a)cahier de documents de la demanderesse, onglet 1 — ordonnance de la juge Steele responsable de la gestion de l’instance, datée du 31 octobre 2023;

  • b)cahier de documents de la demanderesse, onglet 2 — ordonnance et motifs du juge Ahmed datés du 27 juillet 2022;

  • c)cahier de documents de la demanderesse, onglet 3 — réponse écrite de la demanderesse en réponse;

  • d)cahier de documents de la demanderesse, onglet 4 — ordonnance de la juge Steele responsable de la gestion de l’instance, datée du 22‑juin‑2023;

  • e)cahier de documents de la demanderesse, onglet 5 — ordonnance de la juge Steele responsable de la gestion de l’instance, datée du 29‑juin‑2023;

  • f)cahier de documents de la demanderesse, onglet 6 — transcription certifiée de l’interrogatoire à l’appui d’une exécution forcée de M. Panziera mené le 18 juillet 2023;

  • g)cahier de documents de la demanderesse, onglet 7 — liste des engagements datée du 18 juillet 2023;

  • h)cahier de documents de la demanderesse, onglet 8 — courriel envoyé par M. Panziera à Me Peters le 19 juillet 2023;

  • i)cahier de documents de la demanderesse, onglet 9 — courriel envoyé par M. Panziera à Me Campbell le 15 novembre 2023.

[19] Chaque document a été versé au dossier individuellement et marqué consécutivement comme pièce P‑1(A), etc.

[20] Comme le montre la table des matières de la pièce P‑1, il s’agissait principalement d’ordonnances de la Cour, à l’exception de cinq documents. Ces cinq documents sont les suivants :

  • a)observations écrites de la demanderesse en réponse, pièce P‑1(C);

  • b)transcription de l’interrogatoire du 18 juillet 2023, pièce P‑1(F);

  • c)liste des engagements découlant de cet interrogatoire, pièce P‑1(G);

  • d)courriel daté du 19 juillet 2023 envoyé par M. Panziera à Me Peters et accompagné d’une pièce jointe, pièce P‑1(H);

  • e)courriel daté du 15 novembre 2023 envoyé par M. Panziera à Me Peters et accompagné d’une pièce jointe, pièce P‑1(I).

[21] Me Peters a passé en revue différentes ordonnances rendues entre 2022 et 2023 concernant la présence de M. Panziera pour un interrogatoire à l’appui d’une exécution forcée de l’ordonnance délivrée le 27 juillet 2022. Il a déclaré qu’aucun appel n’avait été interjeté à la suite de l’ordonnance du juge Ahmed rendue le 27 juillet 2022 et des ordonnances de la juge Steele responsable de la gestion de l’instance rendues les 22 et 29 juin 2023.

[22] Me Peters a déclaré qu’il avait procédé au nouvel interrogatoire le 18 juillet 2023 et qu’il avait ensuite reçu une réponse écrite aux engagements de la part de M. Panziera. Ces réponses ont été produites comme éléments de preuve dans la pièce P‑1(H). Elles ont été présentées dans un courriel daté du 19 juillet 2023. Le courriel était adressé à Me Scott Campbell, avec copie à Me Peters. Me Campbell est l’un des avocats du cabinet d’avocats qui représente la demanderesse dans le cadre de la présente action.

[23] Me Peters n’a pas été contre‑interrogé.

[24] Pour sa part, M. Panziera a déclaré qu’il avait eu l’intention de se conformer à l’ordonnance et qu’il avait fourni des réponses aux trois chefs d’accusation d’outrage.

[25] Lors de son contre‑interrogatoire, M. Panziera a été interrogé sur le contenu de son courriel du 15 novembre 2023 et sur la question de savoir si lui ou toute autre entité d’Ionada avait l’intention de rembourser la dette constatée par jugement. Il a déclaré que ni lui ni aucune entité qu’il contrôlait n’avait les moyens de rembourser la dette.

[26] Parmi les documents présentés comme pièces lors de l’audience du 8 décembre 2023 figure un courriel daté du 15 novembre 2023 envoyé par M. Panziera aux avocats de la demanderesse. Ce courriel prétendait répondre à des questions découlant de l’interrogatoire du débiteur judiciaire et était ainsi rédigé :

[traduction]
Monsieur,

J’ai reçu l’ordonnance et le dossier de requête.

Il est regrettable que votre cliente continue à faire perdre du temps aux tribunaux avec ses requêtes vexatoires.

J’ai accepté de répondre aux trois questions de l’annexe A plutôt que de défendre ma réponse lors d’un interrogatoire oral afin d’éviter de faire perdre davantage de temps aux tribunaux.

Mes réponses aux trois questions sont jointes au présent courriel.

Veuillez me faire savoir si vous avez toujours l’intention de déposer une requête pour obtenir une ordonnance en outrage au tribunal.

Cordialement,

Edoardo Panziera

[27] M. Panziera a répondu aux trois chefs d’accusation d’outrage dans une pièce jointe à son courriel du 15 novembre 2023.

[28] À la question concernant son argent de poche, M. Panziera a fourni la réponse suivante :

[traduction]
L’argent liquide dans le portefeuille provient d’un cadeau de 100 dollars canadiens reçu d’un parent, de retraits de 20 dollars au guichet automatique d’Ionada Carbon Solutions LLC pour la petite caisse, et de retraits de 50 euros au guichet automatique d’Ionada GmbH pour la petite caisse.

[29] En réponse au deuxième chef d’accusation, à savoir un engagement à fournir le nombre de cartes de crédit « au nom » d’Ionada Limited, M. Panziera a répondu qu’il y avait une carte de crédit Visa dont le numéro a été caviardé pour des raisons de protection des renseignements personnels.

[30] En réponse au troisième chef d’accusation relatif à sa résidence et à ses déplacements, M. Panziera a fourni l’adresse résidentielle suivante : Via Venozzi 15, Volpago del Montello, Trévise 31040, Italie.

[31] Eu égard à la preuve présentée, la demanderesse soutient que M. Panziera s’est rendu coupable d’outrage au tribunal parce qu’il n’a pas fourni de réponses acceptables aux questions qui lui ont été posées lors de l’interrogatoire du débiteur judiciaire.

[32] M. Panziera a présenté de brèves observations indiquant qu’il s’était conformé à toutes les ordonnances et qu’il avait répondu aux trois chefs d’accusation pour le présumé outrage.

III. ANALYSE

[33] La seule question soulevée dans la présente instance consiste à savoir si la demanderesse a démontré que M. Panziera devait être reconnu coupable d’outrage au tribunal pour ne pas avoir respecté l’ordonnance du 22 juin 2023. L’alinéa 466(b) du Règlement est pertinent; il porte que :

Outrage

Contempt

466 Sous réserve de la règle 467, est coupable d’outrage au tribunal quiconque :

466 Subject to rule 467, a person is guilty of contempt of Court who

b) désobéit à un moyen de contrainte ou à une ordonnance de la Cour;

(b) disobeys a process or order of the Court;

[34] L’article 467 porte sur la procédure à suivre lors d’une audience pour outrage au tribunal et porte que :

Droit à une audience

Right to a hearing

467 (1) Sous réserve de la règle 468, avant qu’une personne puisse être reconnue coupable d’outrage au tribunal, une ordonnance, rendue sur requête d’une personne ayant un intérêt dans l’instance ou sur l’initiative de la Cour, doit lui être signifiée. Cette ordonnance lui enjoint :

467 (1) Subject to rule 468, before a person may be found in contempt of Court, the person alleged to be in contempt shall be served with an order, made on the motion of a person who has an interest in the proceeding or at the Court's own initiative, requiring the person alleged to be in contempt

a) de comparaître devant un juge aux date, heure et lieu précisés;

(a) to appear before a judge at a time and place stipulated in the order;

b) d’être prête à entendre la preuve de l’acte qui lui est reproché, dont une description suffisamment détaillée est donnée pour lui permettre de connaître la nature des accusations portées contre elle;

(b) to be prepared to hear proof of the act with which the person is charged, which shall be described in the order with sufficient particularity to enable the person to know the nature of the case against the person; and

c) d’être prête à présenter une défense.

(c) to be prepared to present any defence that the person may have.

Requête ex parte

Ex parte motion

(2) Une requête peut être présentée ex parte pour obtenir l’ordonnance visée au paragraphe (1).

(2) A motion for an order under subsection (1) may be made ex parte.

Fardeau de preuve

Burden of proof

(3) La Cour peut rendre l’ordonnance visée au paragraphe (1) si elle est d’avis qu’il existe une preuve prima facie de l’outrage reproché.

(3) An order may be made under subsection (1) if the Court is satisfied that there is a prima facie case that contempt has been committed.

Signification de l’ordonnance

Service of contempt order

(4) Sauf ordonnance contraire de la Cour, l’ordonnance visée au paragraphe (1) et les documents à l’appui sont signifiés à personne.

(4) An order under subsection (1) shall be personally served, together with any supporting documents, unless otherwise ordered by the Court.

[35] Il convient tout d’abord de savoir si M. Panziera avait été informé de l’audience qui a eu lieu le 8 décembre 2023.

[36] Au paragraphe 1 de l’arrêt Pintea c Johns, 2017 CSC 23, la juge Karakatsanis, s’exprimant au nom de la Cour, a déclaré ce qui suit :

Suivant les règles de la common law relatives à l’outrage au tribunal en matière civile, les intimés doivent prouver hors de tout doute raisonnable que M. Pintea connaissait réellement l’existence des ordonnances fixant la tenue des rencontres de gestion d’instance auxquelles il a omis d’assister.

[37] Je suis convaincue que M. Panziera avait été informé de l’audience du 8 décembre 2023.

[38] La question suivante est celle de savoir si M. Panziera a commis un outrage au tribunal en ne répondant pas aux questions qui lui ont été posées lors de l’interrogatoire du 18 juillet 2023.

[39] La preuve relative à la présente requête est constituée des témoignages oraux de Me Peters et de M. Panziera, y compris du contre‑interrogatoire de ce dernier. La demanderesse a également présenté les neuf documents décrits ci‑dessus et figurant dans la pièce P‑1.

[40] La pièce P‑1(C) est la réponse écrite, datée du 22 novembre 2022, déposée par la demanderesse à l’appui de sa requête datée du 11 novembre 2022 et présentée en vue d’obtenir une ordonnance pour obliger M. Panziera à répondre aux questions et à prévoir une autre comparution. Le document de neuf pages est censé contenir les questions et les engagements, respectivement, auxquels la demanderesse prétendait que M. Panziera n’avait pas répondu correctement ou qu’il n’avait pas respectés.

[41] Les observations écrites ne sont pas des « éléments de preuve »; ce sont des arguments écrits. Les pièces jointes à ce document sont intitulées [traduction] « Annexes révisées A et B ». L’annexe A énonce les questions pour lesquelles la demanderesse a cherché à obtenir de meilleures réponses. L’annexe B présente les engagements découlant de l’interrogatoire du 22 août 2022 pour lesquels la demanderesse a cherché à obtenir de meilleures réponses.

[42] Les deux annexes font référence aux réponses fournies par M. Panziera le 17 novembre 2022.

[43] Ces réponses n’ont pas été déposées comme pièces.

[44] La pièce P‑1(D) est l’ordonnance de la juge Steele responsable de la gestion de l’instance, ordonnant à la demanderesse de fournir une ébauche d’ordonnance relativement à sa requête pour obliger M. Panziera à comparaître une nouvelle fois.

[45] La pièce P‑1(E) est une copie de l’ordonnance rendue par la juge Steele responsable de la gestion de l’instance le 29 juin 2023.

[46] La pièce P‑1(F) est une transcription de l’interrogatoire effectué le 18 juillet 2023.

[47] La pièce P‑1(G) est une liste des engagements qui ont été pris par M. Panziera.

[48] La pièce P‑1(H) est une copie d’un courriel daté du 19 juillet 2023 et envoyé par M. Panziera à Me Peters avec une copie conforme à Me Campbell.

[49] Le courriel était accompagné d’un document contenant les réponses de M. Panziera aux engagements découlant de l’interrogatoire, ainsi que de copies de certains documents demandés par Me Peters.

[50] Dans sa réponse, M. Panziera a qualifié certaines questions de [traduction] « non pertinentes », y compris des questions sur le nombre de cartes de crédit émises [traduction] « au nom d’Ionada Limited » et des questions sur les actifs, les cartes de crédit et les créanciers d’Ionada no 2.

[51] La pièce P‑1(I) est une copie d’un courriel daté du 15 novembre 2023 et envoyé par M. Panziera à Me Campbell avec une copie conforme à Me Peters. Ce courriel contenait une pièce jointe.

[52] Dans son témoignage, Me Peters, le témoin de la demanderesse, a abordé le courriel de la manière suivante :

[traduction]
ME PETERS : Il s’agit d’un courriel de M. Panziera envoyé le 15 novembre 2023 à Me Campbell, à vous‑même et à moi‑même, auquel était joint un document, et ce qui semblait être une annexe exposant les accusations d’outrage portées dans les observations de la demanderesse dans le dossier de requête pour l’ordonnance de justification, et il semble y avoir, comme dans la liste annotée des engagements dont nous avons discuté, une annexe annotée, ce qui signifie que M. Panziera a pris ce document et a ajouté la colonne la plus à droite intitulée « Edoardo Panziera Answer » (réponse d’Edoardo Panziera). Voilà donc ce que contenait le document.

[53] Me Peters a ensuite lu les « réponses » de M. Panziera dans le dossier et a mentionné dans son témoignage que M. Panziera n’avait pas fourni à la demanderesse d’autres renseignements concernant les trois chefs d’accusation d’outrage.

[54] La demanderesse soutient que le courriel ne doit pas être considéré comme une preuve que M. Panziera avait réparé son outrage, mais qu’il peut être pertinent à l’étape de la détermination de la sanction.

[55] Une sanction ne peut être envisagée que si l’outrage est établi. À mon avis, le courriel du 15 novembre 2023 n’a qu’une pertinence limitée à cette étape, et il ne sera pas pris en compte pour statuer sur la présente requête.

[56] La demanderesse a présenté une copie de l’ordonnance et des motifs du juge Ahmed comme pièce. Cette décision porte sur une question différente, à savoir la requête en identification des débiteurs judiciaires.

[57] Le juge Ahmed ne traitait pas d’une requête en outrage au tribunal. À mon avis, cette décision n’est pas pertinente pour l’espèce.

[58] Le fardeau de la preuve dans une audience pour outrage au tribunal incombe à la partie requérante. Selon l’arrêt Bhatnager c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 2 RCS 217, l’outrage au tribunal a une dimension criminelle ou quasi criminelle, et il est nécessaire que les éléments constitutifs de l’outrage soient démontrés hors de tout doute raisonnable.

[59] Dans la décision Lyons Partnership, LP c MacGregor, [2000] ACF No 341 (QL), la Cour a déclaré que les Règles codifiaient les règles de la common law en matière d’outrage au tribunal. La partie requérante, en l’espèce, la demanderesse, doit prouver au‑delà de tout doute raisonnable que l’auteur présumé de l’outrage avait personnellement connaissance de l’ordonnance de la Cour en question, qu’il était expressément ou implicitement l’auteur principal de l’acte visé par la procédure d’outrage, et qu’il possédait la mens rea nécessaire ou qu’il avait l’intention de désobéir à l’ordonnance de la Cour.

[60] Je suis convaincue que les deux premiers volets du critère établi dans la décision Lyons, précitée, ont été respectés.

[61] Selon la transcription de l’interrogatoire du 18 juillet 2023, M. Panziera a accusé réception de l’ordonnance du 22 juin 2023. Il a mentionné dans son témoignage qu’il avait examiné l’ordonnance. Cet élément de preuve satisfait au premier volet du critère.

[62] Je suis convaincue que M. Panziera est l’« acteur principal » de l’outrage allégué. L’ordonnance du 22 juin 2023 lui était adressée. Le deuxième volet du critère est respecté.

[63] Il reste donc le troisième volet, celui de l’intention. M. Panziera a‑t‑il volontairement désobéi à l’ordonnance du 22 juin 2023?

[64] La demanderesse se plaint que M. Panziera n’a pas répondu correctement aux questions ou qu’il n’a pas répondu pleinement aux engagements lors de son nouvel interrogatoire le 18 juillet 2023.

[65] La demanderesse a présenté une transcription de cet interrogatoire comme pièce P‑1(F) lors de l’audience relative à l’outrage au tribunal qui s’est tenue le 8 décembre 2023. Cependant, elle n’a pas remis de transcription de l’interrogatoire initial qui a eu lieu le 22 août 2022.

[66] En l’absence de tous les éléments de preuve fournis par M. Panziera lors des interrogatoires, c’est‑à‑dire en août 2022 et en juillet 2023, la Cour ne peut pas évaluer l’exhaustivité de ses réponses. À mon avis, les autres réponses écrites fournies par M. Panziera le 19 juillet 2023 ne peuvent être évaluées de manière équitable sans tous les éléments de preuve fournis par M. Panziera en août 2022 et en juillet 2023.

[67] M. Panziera a fourni des réponses lors de l’audience du 18 juillet 2023 à laquelle il a participé. Il semble que les réponses n’étaient pas satisfaisantes pour la demanderesse dans la mesure où elles ne révélaient pas l’existence ou la localisation des actifs exigibles. En outre, la demanderesse affirme que M. Panziera a refusé de répondre à certaines questions pour des raisons de pertinence.

[68] Lors du contre‑interrogatoire, les avocats de la demanderesse n’ont pas contesté la crédibilité de M. Panziera. Rien ne prouve que M. Panziera n’a pas dit la vérité dans son témoignage, qui a été fait sous affirmation solennelle.

[69] M. Panziera a déclaré que ni lui ni aucune des sociétés qu’il contrôle ne possèdent d’actifs. Comme il s’agit de son témoignage et que sa crédibilité n’a pas été contestée, j’estime que rien ne prouve qu’il avait l’intention de désobéir à l’ordonnance de la Cour.

[70] M. Panziera a déclaré à plusieurs reprises le 18 juillet 2023 qu’il ne possédait pas de biens, d’économies, de régimes enregistrés d’épargne‑retraite, d’œuvres d’art, de biens immobiliers ou d’appareils électroménagers. Il a déclaré que la société défenderesse est une [traduction] « société écran » et qu’elle n’a pas d’actifs — elle n’a ni comptes bancaires, ni comptes clients, ni créanciers.

[71] Dans son courriel daté du 19 juillet 2023, soit la pièce P‑1(H), M. Panziera a répondu aux engagements découlant de l’interrogatoire du 18 juillet 2023. Il n’a pas répondu à tous les engagements au motif que les demandes n’étaient pas pertinentes. Entre autres, il n’a pas répondu aux demandes concernant les comptes bancaires, les biens immobiliers ou l’équipement appartenant à Ionada no 2. Il a estimé que ces questions n’étaient pas pertinentes.

[72] M. Panziera a été interrogé sur ses voyages récents et sur ceux à venir. Je m’interroge sur la pertinence de ces questions.

[73] M. Panziera a été interrogé sur les actifs d’Ionada no 2. Il a déclaré que cette personne morale ne possédait pas d’actifs. Dans sa réponse aux engagements du 19 juillet 2023, il a déclaré que ni lui ni aucune des entités d’Ionada ne détenaient de droits de brevet.

[74] Selon le critère établi dans la décision Lyons, précitée, la partie requérante doit démontrer, au‑delà de tout doute raisonnable, que la personne à qui on reproche l’outrage a intentionnellement désobéi à une ordonnance de la Cour.

[75] Je ne suis pas convaincue, eu égard à la preuve présentée, que la demanderesse s’est acquittée de ce fardeau.

[76] La présente requête sera donc rejetée. En vertu du pouvoir discrétionnaire que me confère l’article 400 des Règles, je n’adjuge aucuns dépens.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER T‑836‑17

LA COUR ORDONNE que la requête est rejetée. En vertu du pouvoir discrétionnaire que me confère l’article 400 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, je n’adjuge aucuns dépens.

« E. Heneghan »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

T‑836‑17

INTITULÉ :

CANADIAN MARITIME ENGINEERING LTD, une personne morale, c IONADA INCORPORATED, une personne morale

LIEU DE L’AUDIENCE :

Tenue par vidéoconférence entre Halifax, Nouvelle‑Écosse et Trévise, Italie

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 décembre 2023

MOTIFS ET ORDONNANCE :

LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :

Le 10 juin 2024

COMPARUTIONS :

Scott R. Campbell

POUR LA DEMANDERESSE

Edoardo Panziera

Le débiteur judiciaire

(POUR SON PROPRE COMPTE)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Stewart McKelvey

Avocats

Halifax (Nouvelle‑Écosse)

POUR LA DEMANDERESSE

 

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