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Date : 20050920

Dossier : T-1628-04

Référence : 2005 CF 1293

Montréal (Québec), le 20 septembre 2005

En présence de Monsieur le juge Martineau

ENTRE :

PIERRE-PAUL POULIN

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

et

COMMISSAIRE DU SERVICE CORRECTIONNEL DU CANADA

et

DIRECTEUR GÉNÉRAL INTÉRIMAIRE

DE LA DIVISION DE LA SÉCURITÉ(SERVICE

CORRECTIONNEL DU CANADA)

et

LE DIRECTEUR DE L'ÉTABLISSEMENT MISSION

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le demandeur, Pierre-Paul Poulin, est présentement incarcéré à l'établissement Mission en Colombie-Britannique. Bien qu'il ne soit pas aveugle, ce dernier est atteint d'un sérieux handicap visuel. De fait, le demandeur est un client de l'Institut national canadien pour les aveugles (INCA). Bref, sa condition visuelle, qui se détériore graduellement, fait en sorte qu'il a besoin de matériel et d'accessoires spécialisés et qu'il a notamment de la difficulté à regarder la télévision sur son moniteur TV d'une grandeur de 14 pouces. Pour cette raison, le demandeur préfère regarder la télévision sur son moniteur d'ordinateur de 22 pouces à l'aide d'une carte de syntoniseur de télé. Cette façon de fonctionner lui permet de lire les sous-titres et tout autre texte qui apparaît sur l'écran.

[2]                Le Service correctionnel du Canada (le Service) ne conteste pas le fait que le demandeur ait besoin d'un ordinateur personnel en raison de ses problèmes de vision et que ce même handicap requiert des ajouts spéciaux à son ordinateur afin d'accommoder sa déficience. Toutefois, le droit ou le privilège d'un détenu de posséder dans sa cellule un ordinateur personnel équipé de certains périphériques n'est pas absolu. Celui-ci est réglementé depuis 1997 par la Directive 090 du Commissaire des pénitenciers (le Commissaire) intitulée « Effets personnels des détenus » (la Directive 090). Cette dernière a été amendée en juin 2003 de façon à restreindre l'achat de nouveaux ordinateurs et la mise à jour des ordinateurs acquis par les détenus avant octobre 2002. De plus, la Directive 090 interdit dorénavant la possession de certains périphériques dont les cartes de syntoniseur de télé et les unités de stockage; éléments qui étaient auparavant autorisés. Ces nouvelles restrictions ou interdictions sont liées, semble-t-il, à des préoccupations accrues du Service en matière de sécurité liées à l'évolution de la technologie informatique.

[3]                La présente demande de contrôle judiciaire porte sur l'interprétation et l'application de la Directive 090, voir sur la validité de celle-ci. La Cour est également invitée à examiner la légalité de diverses mesures administratives subséquentes affectant le demandeur qui ont été prises par les officiers du Service sous l'autorité présumée de la Directive 090 du Commissaire.

[4]                De fait, depuis 1997, le demandeur possède un ordinateur personnel équipé d'une carte de syntoniseur de télé, d'une unité de stockage LS120 et d'un CD-ROM/DVD-ROM. Cependant, en mai 2004, les autorités carcérales de l'établissement ont confisqué l'ordinateur du demandeur afin de retirer la carte de syntoniseur de télé et l'unité de stockage LS120, et ce, aux frais du demandeur. D'une part, le demandeur soumet que ces mesures administratives affectent les droits acquis qui sont protégés par la Directive 090 dans le cas des détenus ayant été autorisés avant octobre 2002 à garder un ordinateur ou des périphériques non conformes. D'autre part, le demandeur soumet que celles-ci (voir la Directive 090 elle-même) vont autrement à l'encontre du droit à l'égalité garanti à tout individu par le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés, Partie I de la Loiconstitutionnelle de 1982, constituant l'annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R.-U.) 1982, ch. 11 (la Charte) et également reconnu par l'alinéa 4e) de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, L.C. (1992), ch. 20 (la Loi). Au contraire, les défendeurs prétendent que ces mesures sont expressément autorisées par la Directive 090 et que les restrictions imposées au demandeur ne vont pas à l'encontre de la Charte ou de la Loi.

OBJECTIONS D'ORDRE PROCÉDURAL

[5]                Il importe en premier lieu de disposer de deux objections d'ordre procédural soulevées par les défendeurs dans leur mémoire et qui ont été reprises par leur représentant à l'audition.

[6]                Premièrement, les défendeurs reprochent au demandeur de ne pas avoir identifié la décision de l'office fédéral qu'il désire soumette au contrôle de la Cour et soumettent, d'autre part, que sa demande porte sur plusieurs décisions rendues par différents officiers du Service. Ces motifs de rejet de la demande de contrôle judiciaire m'apparaissent à tous égards spécieux et non fondés. Il s'agit d'irrégularités d'ordre purement technique dont la Cour pourrait en tout état de cause permettre la correction en vertu des Règles considérant que les défendeurs ne subissent ici aucun préjudice. En effet, il est clair que les défendeurs ont bien compris l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire. À cet égard, il est noté au paragraphe 28 du mémoire des défendeurs que « [l']essence de la plainte du demandeur est que les officiers du Service de correction ont interprété incorrectement la directive du Commissaire 090 à plusieurs reprises (voir les décisions mentionnées aux paragraphes 6, 8, 11, 17 et 19 de ce mémoire) et le privent de sa carte de syntoniseur de télé et de son unité de stockage. Il prétend avoir droit à ses objets aux termes de la Directive 090 et veut que la Cour oblige le Service correctionnel à l'autoriser à conserver ces objets parmi ses effets personnels » .

[7]                Deuxièmement, les défendeurs soulèvent la question de l'épuisement des voies de recours internes. Il faut se référer à cet égard aux articles 74 à 82 du Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, DORS/92-620, (le Règlement). Ces dispositions permettent au délinquant qui est insatisfait d'une action ou d'une décision d'un agent correctionnel de formuler par écrit une plainte au supérieur de cet agent. Si le supérieur refuse alors d'examiner sa plainte ou rend une décision qui ne satisfait pas le délinquant, celui-ci peut ensuite présenter un grief. Son grief est alors susceptible d'être successivement étudié à l'un des trois paliers suivants : le premier palier - la Directionde l'établissement; le deuxième palier - le niveau régional; et le troisième palier, le Commissaire. Il est clair ici que les revendications du demandeur au sujet des périphériques problématiques n'ont pas dépassé le premier palier ou le deuxième palier. Ceci étant dit, les défendeurs reconnaissent que le refus d'entendre une demande de contrôle judiciaire au motif que le demandeur n'a pas épuisé la procédure de grief et qu'il aurait dû d'abord s'adresser au Commissaire, relève de la discrétion de la Cour.

[8]                Compte tenu des circonstances particulières de l'affaire, j'estime qu'il serait contraire à l'administration de la justice de refuser d'entendre la présente demande de contrôle judiciaire ou de rejeter celle-ci au motif que le demandeur n'a pas épuisé les recours internes à sa disposition. Dans le présent dossier, de façon concurrente à l'institution des présentes procédures, le demandeur a, en effet, demandé à la Cour de lui accorder préalablement l'autorisation de déposer et de signifier la présente demande de contrôle judiciaire, et ce, en dehors du délai habituel de 30 jours prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7. À cet égard, je note que la question d'épuisement des recours internes a été évoquée sommairement par le demandeur dans les prétentions écrites à l'appui de sa demande d'autorisation. Or, bien que dans leurs prétentions écrites, les défendeurs aient opposé plusieurs motifs de rejet à l'encontre de la demande de prorogation de délai du demandeur, ceux-ci défendeurs n'ont pas expressément soulevé la question de l'épuisement des recours internes. Au contraire, les défendeurs ont implicitement admis dans leurs prétentions écrites que la présentation d'un grief aux deuxième et troisième paliers ne servirait ici aucune fin utile. En effet, les défendeurs ont fait valoir que l'ordinateur avait déjà été retourné au demandeur le 10 juin 2004, sans syntoniseur de télé. Aussi, selon les défendeurs, la légalité de la décision des officiers du Service ou du Commissaire de retirer les syntoniseurs de télé n'avait pas à être tranchée dans les circonstances. Bref, il a été soumis à l'époque que les questions soulevées par le demandeur étaient devenues théoriques et qu'une décision de la Courn'aurait aucun effet pratique sur les droits des parties. Reprochant plutôt au demandeur son inaction à déposer une demande de contrôle judiciaire dès le moment où il avait pris connaissance de la nouvelle politique prohibant l'utilisation de syntoniseurs de télé et de d'autres pièces d'équipement informatique, soit en juillet 2003, les défendeurs ont donc prétendu que la demande du demandeur ne soulevait aucune question sérieuse méritant d'être tranchée par la Cour.

[9]                Or, le 17 août 2004, la Cour a accueilli la requête en prorogation de délai du demandeur. Dans son ordonnance, le juge Shore mentionne avoir considéré les prétentions écrites soumises de part et d'autre par les parties et avoir également pris connaissance des explications concernant les besoins et l'importance de l'application générale de la politique pour la sécurité du pénitencier. Notant également que le demandeur « pourrait avoir besoin des ajouts spéciales [sic] pour son ordinateur à cause de sa situation particulière; compte tenu de sa déficience visuelle grave, unique, en soi-même » , mon collègue s'est déclaré satisfait que tous les critères jurisprudentiels requis pour obtenir une prorogation de délai étaient remplis (Grewal c. Canada (Ministère de l'Emploi et de l'Immigration), [1985] 2 C.F. 263; Canada (Procureur général) c. Hennely, [1999] A.C.F. no 846 (C.A.F.) (QL)).

[10]            Ceci étant dit, la présente demande de contrôle judiciaire est venue pour audition au mérite devant la Cour une première fois, le 26 mai 2005, à la suite d'une ordonnance de fixation de date et de lieu, en date du 11 mars 2005, rendue par le juge en chef Lutfy et signée par l'administrateur judiciaire. Or, une dizaine de jours avant l'audition, soit le 13 mai 2005, la procureure des défendeurs adressait alors au registraire une lettre dans laquelle elle demandait sommairement à la Cour d'accepter la production tardive du dossier des défendeurs, signifié le jour même au demandeur. Le 17 mai 2005, le juge Rouleau dispensait les défendeurs de la production et de la signification d'un dossier de requête, permettait le dépôt du dossier des défendeurs et ordonnait que l'audition par conférence téléphonique procède comme prévu le 26 mai 2005. Entre-temps, le demandeur présentait une demande de reconsidération, laquelle était débattue préliminairement le 26 mai 2005 devant le juge Blais qui présidait l'audience au mérite.

[11]            Le matin de l'audition du 26 mai 2005, la Cour a rendu une ordonnance d'ajournement. Le juge Blais note à cet égard que les motifs avancés par le demandeur dans sa demande de reconsidération sont sérieux. Il remarque toutefois que, bien qu'incommodé par le dépôt tardif du dossier des défendeurs, le demandeur reconnaît qu'il ne subira pas un préjudice exagéré si un ajournement est accordé pour lui permettre de se préparer adéquatement à l'audition de la demande de contrôle judiciaire. Aussi, la Cour a-t-elle décidé de reporter péremptoirement l'audition de la demande de contrôle judiciaire au 18 août 2005 par appel conférence à partir de Vancouver. Ceci étant dit, étant donné que les défendeurs n'avaient jamais répondu, ainsi qu'il est prévu aux règles 317 et 318, à la demande de transmission de documents faite par le demandeur dans son avis de demande de contrôle judiciaire, la Cour a également fixé un délai pour ce faire et a prescrit des délais additionnels pour la production, le cas échéant, d'un affidavit supplémentaire du demandeur, d'affidavits en réponse des défendeurs et pour la tenue d'interrogatoires. En outre, la Coura condamné les défendeurs à payer au demandeur les dépens fixés à 500 $.

[12]            Considérant les diverses ordonnances de la Cour mentionnées plus haut, le comportement des parties, la position adoptée initialement par les défendeurs, ainsi que toutes les circonstances de l'affaire, je suis donc d'avis qu'il est dans l'intérêt de la justice d'entendre l'affaire et de disposer du mérite de la présente demande de contrôle judiciaire de façon à permettre une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible, et ce, nonobstant toute possibilité d'existence de recours internes pour contester les décisions administratives attaquées par le demandeur. Au passage, je suis d'avis que la présente affaire doit être distinguée des décisions invoquées par les défendeurs (Bordage c. Établissement Archambault, [2000] A.C.F. no 1976 (C.F. 1re inst.) (QL); Giesbrecht c. Canada, [1998] A.C.F. no 621 (C.F. 1re inst.) (QL); Veley c. Établissement Fenbrook, [2004] C.F. 1571).

[13]            En effet, les décisions citées plus haut sont à l'effet que le système de griefs prévu par la Loi, le Règlement, la Directive 540 du Commissaire et ses Instructions permanentes constituent une procédure statutaire appropriée qui doit normalement être épuisée avant de déclencher une demande de contrôle judiciaire, du moins lorsqu'il s'agit d'une question afférente à une cote de sécurité ou de placement, incluant un transfèrement non sollicité d'un établissement correctionnel à un autre. Or, dans le présent cas, le demandeur attaque la légalité de certaines mesures administratives touchant l'utilisation d'ordinateurs et de matériel informatique. Ces mesures ont un effet continu dans le temps. En l'espèce, il est soumis par les défendeurs que les diverses mesures contestées prises par les officiers du Service sont autorisées par le Commissaire lui-même. D'autre part, le demandeur attaque également la validité de la Directive 090 du Commissaire. Or, le Commissaire représente le troisième et dernier palier du niveau national. Il n'y a donc aucun recours d'appel interne de ladite décision. Nonobstant la question de savoir si le Commissaire constitue un tribunal compétent au sens de l'article 24 de la Charte (rappelons ici que le demandeur prétend également que la Directive 090 et les décisions administratives prises en conformité de cette dernière vont à l'encontre de la Charte), il est clair que si le demandeur avait déposé un grief devant le Commissaire, celui-ci se retrouverait alors en conflit d'intérêt puisqu'il pourrait éventuellement être appelé à statuer sur l'application et la légalité de sa propre décision. Par ailleurs, la politique de règlement des griefs vient confirmer ma position. Il est stipulé qu'il est interdit à tout membre du personnel visé par une plainte ou un grief, d'enquêter sur cette plainte ou ce grief ou de décider de son bien-fondé.

[14]            Ainsi, il est donc nécessaire d'examiner le mérite de la présente demande de contrôle judiciaire.

MÉRITE DE LA DEMANDE DE CONTRÔLE JUDICIAIRE

[15]            Tout d'abord, les défendeurs reconnaissent qu'en vertu du paragraphe 15(1) de la Charte, le demandeur a droit à la même protection et au même bénéfice de loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur les déficiences physiques. De la même manière, indépendamment du fait que le demandeur soit atteint d'une déficience visuelle, les défendeurs ne contestent pas qu'en vertu des articles 3 et 76 de la Loi, comme délinquant, le demandeur ait le droit de recevoir une gamme de programmes appropriés visant à répondre à ses besoins (et, le cas échéant, contribuer à sa réinsertion sociale à titre de citoyen respectueux des lois). Bien entendu, il est également admis que dans l'exécution de son mandat général, le Service est guidé par les différents principes mentionnés à l'article 4 de la Loi, dont celui voulant que le délinquant continue à jouir des droits et privilèges reconnus à tout citoyen, sauf de ceux dont la suppression ou la restriction est une conséquence nécessaire de la peine qui lui a été infligée.

[16]            D'autre part, selon la preuve documentaire non contredite au dossier, le Service reconnaît également que l'informatique peut jouer un rôle important dans le développement personnel des détenus. Ceci étant dit, le Service doit évaluer en même temps les divers risques associés à la présence d'ordinateurs, de périphériques, de logiciels et de tout autre matériel informatique dans les cellules des détenus. C'est dans ce contexte que, le 17 février 1997, le Commissaire a modifié la Directive 090 (et également la Directive 860, « Argent personnel des détenus » ) aux fins de permettre aux détenus de posséder un ordinateur à titre d'effet personnel. Suite à cette modification de la politique carcérale, le demandeur peut alors posséder un ordinateur dans sa cellule à certaines conditions; c'est-à-dire et sous réserve de mesures de contrôle, telles que son consentement à des vérifications légitimes et raisonnables de matériel informatique et de logiciels et l'acceptation de certaines règles concernant les réparations et les améliorations. Bien entendu, en approuvant cette politique, le Commissaire n'a pas renoncé de ce fait à son pouvoir de réviser la Directive 090 dans le futur, et ce, compte tenu notamment de l'évolution technologique et de l'impact que celle-ci peut avoir sur la capacité du Service d'évaluer de manière raisonnable les risques.

[17]            Par la suite, le 30 septembre 1998, toujours par un amendement de la Directive 090, le Commissaire a modifié sa politique en matière d'ordinateur de façon à autoriser également l'utilisation de certains périphériques pouvant comprendre notamment une carte vidéo affichant des signaux de télé ou d'ordinateur (normes techniques relatives à la Directive 090 - Ordinateurs appartenant aux détenus). À cette époque, le demandeur compte alors parmi ses effets personnels autorisés du matériel informatique dont un ordinateur personnel équipé d'une carte vidéo (TV), d'une unité de stockage LS120 et d'un CD-ROM/DVD-ROM. Cependant, le 10 septembre 1999, par un amendement aux normes techniques relatives à la Directive 090, le Commissaire décide notamment que les détenus ne pourront plus se procurer des ordinateurs équipés d'une carte syntoniseur de télé. Néanmoins, les détenus qui ont déjà été autorisés à avoir une telle carte pourront la conserver. C'est le cas du demandeur.

[18]            En effet, la preuve non contredite soumise par le demandeur (les défendeurs n'ont en effet soumis aucun affidavit circonstancié en réponse aux allégations particulières du demandeur) établit de façon prépondérante que le demandeur possède un droit acquis à l'utilisation desdits périphériques problématiques. À cet égard, il est important de mentionner que selon le relevé d'effets personnels du demandeur, un document officiel provenant des autorités pénitentiaires, l'unité LS120, le CD-ROM/DVD-ROM et la carte syntoniseur de télé ont été déclarés « exceptions » ( « grandfathered to allow authorization » ). D'ailleurs, le 9 avril 2002, le demandeur fait parvenir une lettre au Comité consultatif national sur les ordinateurs des détenus afin d'obtenir une copie de la norme technique originale qui stipule que les détenus possédant une carte syntoniseur de télé avant l'entrée en vigueur de ladite norme peuvent la conserver dans leur cellule. Or, le 3 mai 2002, l'agent principal de projets confirme au demandeur qu'il peut garder sa carte syntoniseur de télé, tel que prévu par la norme technique du 10 septembre 1999.

[19]            Ceci étant dit, le 4 octobre 2002, le Service décrète un moratoire sur l'achat de nouveaux logiciels et la mise à jour des ordinateurs en possession des détenus. Le 30 juin 2003, le Service lève le moratoire. Du même coup, les détenus ne seront plus autorisés à acheter des ordinateurs personnels pendant la période d'admission de 30 jours et tout nouvel achat sera soumis aux nouvelles dispositions de la Directive 090 (Annexe A). À ce sujet, la directive amendée précise à l'Annexe A que les cartes syntoniseur de télé et les unités de stockage font dorénavant partie des périphériques interdits pour cause de sécurité. Cependant, ces nouvelles restrictions ne visent pas le matériel, les logiciels et les périphériques requis pour permettre aux personnes atteintes d'un handicap visuel ou physique d'utiliser leur ordinateur, lorsque le sous-commissaire de la région l'approuve. Par ailleurs, au chapitre des « Exceptions » , l'Annexe A précise bien que les détenus qui ont déjà été autorisés à garder un ordinateur ou des périphériques non conformes peuvent les conserver malgré le fait qu'ils dérogent aux spécifications prévues à l'Annexe A. C'est le cas du demandeur.

[20]            Peu de temps après, vers juillet 2003, le Directeur de l'établissement Mission émet un communiqué avisant que les détenus possédant un ordinateur avec une carte vidéo/TV doivent prendre des dispositions pour que celle-ci soit retirée des ordinateurs et que seuls ceux qui possédaient déjà un ordinateur avant octobre 2002 seront autorisés à le garder conformément à toutes les politiques et exigences applicables. Ceci étant dit, le 28 juillet 2003, M. Irving Kulik, Commissaire adjoint des opérations et programmes correctionnels, indique dans une lettre adressée au demandeur que : « [t]oute mise à jour de votre ordinateur en raison de vos problèmes de vision sera considérée comme étant une exception à la décision du Comité de direction, qui n'autorise pas la mise à jour des ordinateurs des détenus » . Par contre, l'auteur de la lettre indique également que toutes les cartes vidéo/TV installées dans les ordinateurs appartenant à des détenus doivent être retirées, ce qui pose ici problème étant donné que les droits acquis du demandeur sont clairement maintenus par l'Annexe A de la Directive 090 (au chapitre des « Exceptions » ).

[21]            Le 18 août 2003, le demandeur reçoit une note de service l'avisant qu'il doit prendre les mesures appropriées afin de retirer à ses frais sa carte syntoniseur de télé de son ordinateur conformément à la Directive 090 (Annexe A). Le 21 août 2003, le demandeur demande alors au sous-commissaire de la région du Pacifique de lui accorder une exemption pour qu'il puisse conserver sa carte syntoniseur de télé et acheter un téléviseur à plus grand écran. Le 12 septembre 2003, le demandeur reçoit une réponse négative. Toutefois, au cours du même mois, la directrice adjointe consent verbalement à ce qu'une extension de délai soit accordée au demandeur. Par le fait même, le demandeur bénéficie donc d'une suspension de l'exécution de la décision de retirer les périphériques problématiques de son ordinateur. Quoiqu'il en soit, le 23 septembre 2003, le demandeur avise l'administration centrale du Service qu'il ne s'objecte pas à retirer sa carte de syntoniseur de télé de son ordinateur personnel mais qu'il refuse de rendre son unité de stockage LS120. Malgré l'offre initialement faite par le demandeur (en effet, celui-ci s'est objecté par après à la légalité du retrait des deux périphériques problématiques et a institué les présentes procédures judiciaires), les autorités carcérales ne posent aucune action pendant plusieurs mois. L'inaction prolongée du Service constitue un acquiescement tacite à la prétention que le demandeur possède des droits acquis. D'autre part, l'absence d'action concrète du Service à l'égard des périphériques problématiques laisse supposer que leur utilisation continue après juillet 2003 ne pose aucun risque raisonnable. D'ailleurs, les défendeurs n'ont produit aucun élément de preuve pouvant suggérer que la possession, par le demandeur, des périphériques problématiques pose quelque risque que ce soit. De plus, toute documentation générale relative aux facteurs de risque considérés par le Commissaire, s'il en est, pour interdire ou restreindre la possession d'ordinateurs et de certains périphériques (sous réserve des droits acquis et des exceptions que l'on retrouve actuellement à l'Annexe A de la Directive 090), fait actuellement défaut et a été exclue du dossier préparé par le tribunal en vertu des Règles 317 et 318.

[22]            Nous en arrivons maintenant aux circonstances particulières et aux mesures administratives concrètes prises à l'hiver et au printemps 2004 et qui ont incité le demandeur à s'adresser subséquemment à la Cour en septembre 2004. Tout d'abord, le 6 février 2004, le chef des surveillants, M. Don Havelin (CCO) informe le comité des détenus de l'établissement Mission que les détenus détenteurs de carte syntoniseur de télé doivent prendre les dispositions nécessaires pour que ladite carte syntoniseur de télé soit retirée de leurs ordinateurs. Or, le 9 février 2004, le demandeur réclame une nouvelle extension de délai. En fait, le demandeur indique ne pas pouvoir retirer sa carte de syntoniseur de télé puisqu'il en a besoin pour rédiger des documents juridiques. Le 4 mars 2004, la directrice de l'établissement Mission informe le demandeur qu'elle lui accorde jusqu'au 29 avril 2004 pour faire retirer sa carte syntoniseur de télé afin qu'il puisse compléter ses documents juridiques. Entre temps, le 10 mars 2004, le demandeur reçoit une missive de la procureure des défendeurs au sujet d'une ordonnance d'injonction interlocutoire sollicitée par le demandeur dans la cause Pierre-Paul Poulin c. P.G. (Canada), T-2006-02. Dans cette dernière affaire, le demandeur désire empêcher la saisie de son ordinateur par le Service. Or, la missive en question indique que l'ordinateur du demandeur sera saisi le 29 avril 2004 pour cause de refus d'obtempérer à l'ordonnance des autorités compétentes du Service. En tout état de cause, le 13 avril 2004, le demandeur demande à la directrice par intérim du pénitencier de conserver son ordinateur jusqu'au 15 juillet 2004. Le 6 mai 2004, le directeur du pénitencier refuse de permettre au demandeur de conserver son ordinateur jusqu'au 15 juillet 2004. Il insiste pour que le demandeur prenne immédiatement les mesures appropriées pour faire retirer sa carte de syntoniseur de télé et son unité de stockage LS120 de son ordinateur.

[23]            Or, le 7 mai 2004, le demandeur écrit au directeur du pénitencier pour réitérer son objection à retirer l'unité de stockage de son ordinateur. Dans cette même lettre, il consent à retirer sa carte de syntoniseur de télé. Le 10 mai 2004, le demandeur écrit à Mme Diane Mousouliotis, directrice adjointe du pénitencier, pour proposer une date pour l'envoi de son ordinateur au fournisseur pour que sa carte de syntoniseur de télé soit retirée. Il s'oppose toujours à ce qu'on enlève l'unité de stockage. Le 14 mai 2004, la directive adjointe du pénitencier avise le demandeur que son unité de stockage sera retirée de l'ordinateur. Le 16 mai 2004, le demandeur s'adresse encore une fois au directeur du pénitencier afin qu'on lui permette de conserver son ordinateur jusqu'au 15 juillet 2004. À partir du 17 mai 2004, le demandeur fait parvenir de nombreuses lettres adressées à M. Kulik concernant certains problèmes techniques quant à son ordinateur. À titre d'exemple, le demandeur demande la permission pour effectuer une mise à jour du logiciel d'exploitation Windows de son ordinateur parce que les nouveaux logiciels disponibles pour les personnes atteintes d'un handicap visuel exigent la version XP de Windows. En dépit de l'indication favorable en date du 28 juillet 2003 qu'il a reçue de M. Kulik, la demande du demandeur relativement à la mise à jour de son système d'exploitation est refusée par les autorités carcérales au motif que celle-ci porte non pas sur une « réparation » , acte qui est autorisé, mais bien sur une « mise à jour » , laquelle est interdite selon la Directive du Commissaire 090 (Annexe A). Le Service autorise cependant le demandeur à se procurer les programmes secondaires Dragon Naturally Speaking, Biblirom Larousse et Encarta afin que celui-ci puisse avoir accès à son ordinateur. Quoiqu'il en soit, le demandeur fait aussi parvenir de nombreuses lettres relativement à l'unité LS120 et à l'obtention d'un moniteur de plus grande dimension. Le demandeur reçoit une réponse négative basée sur le fait qu'un tel moniteur nécessite l'utilisation d'une carte syntoniseur de télé, périphérique qui est depuis juillet 2003 interdit selon la Directive du Commissaire 090 (Annexe A). Par la suite, le demandeur fait une seconde demande concernant son système d'exploitation afin d'obtenir la version française de Windows XP cette fois-ci. À ce jour, le demandeur n'a reçu aucune réponse. Ceci étant dit, ce n'est donc que le 31 mai 2004 que les autorités de l'établissement Mission décident finalement de confisquer l'ordinateur du demandeur afin de retirer le syntoniseur de télé (carte TV) et l'unité LS120 de son ordinateur, et ce, aux frais du demandeur. Les frais d'enlèvement assumés par le demandeur sont de 139,08 $. La valeur de l'unité LS120 et de la carte syntoniseur de télé se chiffre à 505,99 $. Le 10 juin 2004, l'ordinateur du demandeur lui est retourné sans les périphériques problématiques.

[24]            La validité des mesures administratives visées plus haut ainsi que de la Directives 090 sont défendues par le représentant des défendeurs. Comme il a déjà été mentionné plus haut, le demandeur a obtenu de la Cour l'autorisation d'instituer les présentes procédures déposées et signifiées en septembre 2004 en dehors du délai de 30 jours prescrit au paragraphe 18.1(2) de la Loisur les Cours fédérales, précitée. D'une part, les défendeurs font valoir que les articles 3, 4 et 76 de la Loi n'empêchent pas le Commissaire d'interdire les cartes de syntoniseur de télé et les unités de stockage. D'autre part, les défendeurs soutiennent également que la Directive 090, en soi, ne viole pas le paragraphe 15(1) de la Charte. Selon eux, le demandeur ne s'est pas déchargé du fardeau de démontrer à la Cour que l'interdiction a pour objet ou pour effet d'imposer une différence de traitement entre des personnes ou des catégories de personnes en raison d'une caractéristique personnelle, soit la déficience visuelle. Les défendeurs font valoir que la directive en question interdit à toutes les personnes visées, soit les détenus dans les pénitenciers fédéraux, l'utilisation des cartes de syntoniseur de télé. Il n'y aurait aucune distinction évidente à la lecture même de la directive aux dires des défendeurs. Par ailleurs, les défendeurs précisent que l'interdiction ne crée pas une distinction indirecte entre certains groupes de détenus. En fait, ils affirment que les détenus qui souffrent d'un handicap visuel ne sont pas plus désavantagés par l'interdiction que les autres détenus. En tout état de cause, les défendeurs considèrent que le demandeur n'a pas besoin de la carte de syntoniseur de télé pour utiliser son ordinateur. Ils précisent que le demandeur utilise ladite carte seulement pour regarder la télévision. Or, selon eux, le demandeur pourrait toujours se procurer un téléviseur à grand écran pour regarder la télévision.

[25]            Je suis venu à la conclusion qu'il est opportun d'accueillir la présente demande de contrôle judiciaire. Tout d'abord, je ne peux retenir l'argumentation des défendeurs. Je note d'une part qu'une partie importante de l'argumentation des demandeurs ne repose pas sur des faits mis en preuve ni sur une interprétation raisonnable et cohérente des interdictions et exceptions précisées à la Directive 090. D'autre part, il est manifeste ici que les autorités carcérales ont agi d'une façon capricieuse et arbitraire en confisquant l'ordinateur du demandeur afin de retirer la carte de syntoniseur de télé et l'unité de stockage LS120. Compte tenu de la conclusion à laquelle je suis parvenu au sujet de l'application et la portée de l'exception contenue à l'Annexe A de la Directive 090 qui protège les droits acquis du demandeur, il n'est pas nécessaire de faire reposer mon raisonnement sur les questions d'égalité et de discrimination à l'endroit des détenus souffrant d'un handicap visuel qui ont été débattues à l'audition par les parties.

[26]            Pour disposer de la présente demande de contrôle judiciaire, il suffit donc de faire les observations supplémentaires suivantes. En premier lieu, l'instauration d'une politique cohérente et prévisible concernant la sécurité du personnel et même de la population est primordiale en milieu carcéral. La Directive 090 portant sur la possession d'ordinateurs de certains périphériques dans les cellules est donc très importante. En effet, tout moyen de communication entre détenus ou même entre détenus et personnes provenant de l'extérieur du pénitencier sont clairement inacceptables. Voilà pourquoi l'entrée de nouveaux ordinateurs et périphériques doit être sérieusement contrôlée par le Service. Les préoccupations générales du Commissaire sont donc légitimes considérant l'évolution fulgurante qu'il existe dans le milieu informatique. Le fondement des limitations actuelles m'est inconnu mais j'imagine que cela relève d'une préoccupation de nature informatique telle que la puissance des ordinateurs après cette date. Je peux seulement spéculer sur les raisons précises que le Commissaire pouvait avoir d'interdire l'achat de nouveaux ordinateurs après octobre 2002 et de restreindre l'utilisation des périphériques auparavant autorisés. En effet, les défendeurs ont choisi de ne produire aucun affidavit des personnes responsables de l'adoption et de l'application de la Directive 090. Par ailleurs, la Directive 090 reconnaît également que certains individus atteints d'un handicap visuel ou physique ont besoin d'utiliser sous certaines conditions des périphériques et logiciels adaptés à leurs besoins. C'est le cas du demandeur. Aussi, je n'ai pas à décider aujourd'hui si la privation des périphériques problématiques constitue en l'espèce une atteinte au droit à l'égalité que revendique le demandeur à cause de sa déficience visuelle. En effet, la politique actuelle autorise, en tout état de cause, la possession d'ordinateurs et de périphériques non conformes dans le cas des détenus ayant obtenu l'autorisation avant octobre 2002 de conserver ceux-ci. C'est le cas du demandeur. Sans doute, le Commissaire pourra-t-il choisir de révoquer, dans le futur, tout droit acquis du demandeur et d'autres détenus, en modifiant à nouveau la Directive090 mais je n'ai pas à décider aujourd'hui de la légalité d'une telle décision. Il suffit de constater que la Directive 090 reconnaît actuellement les droits acquis du demandeur.

[27]            Dans le cas présent, d'après le relevé des effets personnels du demandeur, le demandeur a clairement obtenu, avant octobre 2002, la permission des autorités carcérales compétentes de posséder dans sa cellule l'unité LS120 et la carte de syntoniseur de télé. En fait, il est même indiqué que lesdits périphériques sont « grandfathered » . Pour ces raisons, je considère que le retrait par les autorités carcérales de l'unité LS120 et la carte de syntoniseur de télé va à l'encontre de la Loiet des droits acquis du demandeur. (D'autre part, le demandeur a abandonné ses revendications relativement à l'unité CD-ROM/DVD-ROM de sorte que son retour n'a pas à être examiné ici). Le demandeur a clairement un droit acquis reconnu par ladite politique et ce droit doit être respecté malgré le fait qu'il déroge à la politique générale puisque telle est l'intention du Commissaire exprimée dans la partie intitulée « Exceptions » . La politique du Commissaire doit être interprétée dans son ensemble et toutes les dispositions de la Directive 090 doivent être interprétées de façon à produire un effet logique. Je ne peux donc retenir l'argumentation des défendeurs. Aussi, il est opportun d'accueillir la présente demande et d'ordonner au Service de remplacer, à ses frais, dans l'ordinateur du demandeur, la carte de syntoniseur de télé et l'unité de stockage LS120 qu'il possédait avant leur retrait illégal en mai 2004.

[28]            En terminant, il s'agit clairement d'un cas où l'octroi de dépens en faveur du demandeur est approprié. Considérant tous les facteurs pertinents, incluant le comportement des défendeurs, je suis d'avis de fixer ceux-ci à 1 500 $, somme qui s'ajoutera aux dépens de 500 $ déjà ordonnés par la Cour.

ORDONNANCE

LA COUR ACCUEILLEla demande de contrôle judiciaire et ORDONNE au Service correctionnel du Canada de remplacer, à ses frais, dans l'ordinateur du demandeur, Pierre-Paul Poulin, la carte de syntoniseur de télé et l'unité de stockage LS120 qu'il possédait avant leur retrait illégal en mai 2004; le tout avec dépens en faveur du demandeur, lesquels sont fixés à 1 500 $, somme qui s'ajoutera aux dépens de 500 $ déjà ordonnés par la Cour.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-1628-04

INTITULÉ :                                        Pierre-Paul Poulin c. Procureur général du Canada et al.

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Vancouver, C.-B.

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 18 août 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        Le juge Martineau

DATE DES MOTIFS :                       Le 20 septembre 2005

COMPARUTIONS:

Pierre-Paul Poulin                                                          POUR LE DEMANDEUR

SE REPRÉSENTANT LUI-MÊME

Richard Casanova                                                         POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

John H. Sims, c.r.                                                          POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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