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Date : 20240627


Dossier : IMM‑11110‑22

Référence : 2024 CF 1003

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 27 juin 2024

En présence de monsieur le juge Battista

ENTRE :

KIM CHI HOANG

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire du rejet de l’appel de la demanderesse par la Section d’appel des réfugiés (la SAR). La principale question à trancher consiste à savoir si la SAR a évalué de façon raisonnable les éléments de preuve dont elle disposait concernant le risque auquel la demanderesse serait exposée au Vietnam en raison de sa pratique de la foi Hoa Hao. Pour les motifs exposés ci‑après, je conclus que la décision et les motifs de la SAR sont raisonnables et je rejette la demande.

II. Contexte

[2] La demanderesse est une citoyenne du Vietnam qui craint d’être persécutée dans son pays d’origine parce qu’elle est adepte du bouddhisme Hoa Hao, une pratique religieuse qu’elle a commencée lorsqu’elle habitait au Canada. La Section de la protection des réfugiés et la SAR ont toutes deux jugé crédibles les éléments de preuve présentés par la demanderesse concernant sa pratique religieuse, mais ont conclu qu’elle n’avait pas subi de persécution au Vietnam parce qu'elle pratique individuellement le bouddhisme Hoa Hao. Elles ont donc rejeté la demande d’asile de la demanderesse. La demanderesse conteste cette conclusion, soutenant que la SAR a commis une erreur en jugeant qu’elle pouvait pratiquer sa religion sans risque au Vietnam.

III. La décision de la SAR

[3] Avant de se prononcer sur le fond, la SAR a refusé d’évaluer les nouveaux éléments de preuve présentés par la demanderesse, à savoir une lettre datée du 11 avril 2014 adressée par le premier ministre de l’époque, Stephen Harper, à un chef bouddhiste Hoa Hao pour le remercier d’avoir participé à une « table ronde sur la liberté de religion au Vietnam ». La SAR a conclu que la lettre n’était pas pertinente, en ce qu’elle ne portait pas sur la crédibilité de la demanderesse, sur la sincérité de sa foi ou sur les conditions générales dans le pays (Vietnam). Elle a donc rejeté ce nouvel élément de preuve. La demanderesse n’invoque pas ce rejet comme argument pour contester la décision de la SAR.

[4] Quant au fond de l’appel, comme il est mentionné ci‑dessus, la SAR a reconnu que Mme Hoang était une véritable adepte du Hoa Hao. La SAR a pris note que, même si la liberté de religion est protégée par la Constitution au Vietnam, l’État peut régir les pratiques religieuses, que les éléments de preuve sur l’exercice de ce contrôle d’État sur le bouddhisme Hoa Hao sont « contradictoires » et que des adeptes du Hoa Hao présentant certaines caractéristiques pouvaient subir de la répression ou s’exposer à des risques. La SAR a décrit des éléments de preuve objectifs sur les conditions dans le pays entourant ces questions, y compris des éléments de preuve produits par Mme Hoang, mais elle a aussi souligné que le harcèlement policier avait tendance à cibler les adeptes de Hoa Hao présentant en plus certaines caractéristiques, comme le militantisme politique et la pratique de la religion en public.

[5] La SAR s’est aussi penchée sur la pratique religieuse de la demanderesse. Le tribunal a noté que la demanderesse avait déclaré, pendant son témoignage, qu’elle exerçait une pratique simple axée sur l’alimentation végétalienne pendant les fêtes religieuses et la prière quotidienne, qu’elle pratiquait généralement sa religion seule, mais parfois en groupe, et qu’elle n’était pas politiquement active [décision de la SAR, au para 13]. La SAR a également souligné que la demanderesse habite une grande ville, un milieu propice au libre exercice de la religion selon les éléments de preuve objectifs sur les conditions dans le pays. La SAR a ensuite conclu, en se basant sur des éléments de la preuve documentaire déposée à la SAR par la demanderesse, que le type de pratique religieuse de la demanderesse n’était pas susceptible d’attirer l’attention et l’hostilité du gouvernement vietnamien.

[6] La SAR a conclu que Mme Hoang n’avait pas qualité de personne à protéger au titre des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et rejeté son appel.

IV. La question en litige

[7] À mon avis, la seule question à trancher consiste à savoir si la SAR a mené une évaluation raisonnable des éléments de preuve se rapportant à la situation personnelle de la demanderesse, ainsi que des éléments de preuve documentaire sur les conditions dans le pays que la demanderesse a déposés à l’appui de sa demande d’asile.

V. Analyse

[8] Comme je l’ai mentionné ci‑dessus, je conclus que l’examen par la SAR des éléments de preuve dont elle disposait était raisonnable.

[9] Dans son premier motif de contestation de la décision de la SAR, la demanderesse affirme que la SAR a mal compris les éléments de preuve documentaire déposés à l’appui de la demande d’asile. Elle fait valoir que la preuve documentaire sur les conditions au Vietnam révèle que les adeptes du Hoa Hao sont exposés à un risque beaucoup plus important que celui décrit par la SAR. Elle invoque des éléments de preuve documentaire indiquant que le simple fait d’être un adepte du Hoa Hao au sein d’une secte non reconnue ou non enregistrée est source de risque.

[10] Malgré les arguments convaincants de l’avocat de la demanderesse sur ce point, j’estime que la SAR a examiné de façon raisonnable les éléments de preuve documentaire sur les conditions dans le pays. La SAR a reconnu la nature contradictoire des éléments de preuve documentaire et a pondéré le risque auquel sont exposés les adeptes de Hoa Hao en utilisant des critères clairs qui étaient étayés par la preuve documentaire. Ces critères comptaient le niveau de militantisme politique des adeptes du Hoa Hao, le lieu de résidence de ces derniers et la mesure dans laquelle leur pratique religieuse est publique, en plus du type de secte de Hoa Hao à laquelle appartiennent les adeptes.

[11] L’avocat de la demanderesse a fait valoir que, lorsqu’il y a des éléments de preuve documentaire témoignant d’un risque pour un groupe d’adeptes religieux et d’autres éléments de preuve documentaire limitant ce risque à un sous‑ensemble de ces adeptes, le premier type de preuve documentaire devrait prévaloir et servir de fondement à une demande d’asile. Cependant, l’arrêt Vavilov m’interdit de me mettre à la place du décideur de la SAR et de privilégier un type de preuve documentaire à un autre : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, au para 83. En l’absence d’erreurs graves, comme des éléments de preuve écartés ou rejetés de façon déraisonnable, mon rôle consiste à réviser la décision et non à trancher la question moi‑même.

[12] Le deuxième motif de contestation de la demanderesse concernant l’examen des éléments de preuve présentés à la SAR porte sur des éléments de preuve se rapportant à la nature de sa pratique religieuse. La demanderesse affirme que la SAR a mal interprété la mesure dans laquelle sa pratique religieuse personnelle est publique. La demanderesse affirme également que les conclusions de la SAR reposaient sur l’idée qu’elle pouvait se soustraire au risque en pratiquant sa religion en secret.

[13] Je ne souscris pas à l’allégation selon laquelle la SAR s’attendait à ce que la demanderesse pratique sa religion en secret afin d’éviter le risque. La demanderesse ne renvoie à aucun paragraphe de la décision pour appuyer cet argument, et je n’en trouve aucun.

[14] La SAR s’est plutôt fondée sur le témoignage de la demanderesse au sujet de la nature de sa pratique religieuse pour conclure qu’elle ne s’exposerait pas à un risque. Ce faisant, elle n’a tiré aucune conclusion déraisonnable concernant le témoignage de la demanderesse et les documents qu’elle a fournis et qui illustrent la nature de sa pratique religieuse. Ces éléments ont révélé que Mme Hoang a parfois assisté à des prières en groupe et à des rassemblements religieux [décision de la SAR, au para 49], mais qu’elle pratiquait principalement sa religion chez elle et que la foi Hoa Hao se pratiquait avec soi-même, sans qu'il soit nécessaire de se rendre à un temple [décision de la SAR, au para 20]. En fin de compte, toutefois, la conclusion de la SAR ne reposait pas uniquement sur la question de savoir si Mme Hoang assisterait à des cérémonies religieuses en groupe ou à des rassemblements religieux, mais aussi sur la question de savoir si la demanderesse était susceptible de s’impliquer en politique [décision de la SAR, au para 20].

VI. Conclusion

[15] Les éléments de preuve déposés à la SAR étaient effectivement contradictoires et certains d’entre eux témoignent d’un risque continu pour au moins certains bouddhistes adeptes du Hoa Hao uniquement en raison de ce statut. Cependant, d’autres éléments de preuve ont démontré le fait qu’une personne dans la situation de la demanderesse ne courrait aucun risque de persécution, parce que ce risque exigeait plus qu’une simple pratique de la religion Hoa Hao. Malgré les arguments convaincants de la demanderesse, je ne suis pas convaincu que la décision de la SAR comporte des erreurs importantes au point de la rendre déraisonnable. La demande est rejetée.


JUGEMENT dans le dossier nº IMM‑11110‑22

LA COUR STATUE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« Michael Battista »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑11110‑22

INTITULÉ :

KIM CHI HOANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 juin 2024

MOTIFS DU JUGEMENT :

LE JUGE BATTISTA

DATE DES MOTIFS :

LE 27 juin 2024

COMPARUTIONS :

Phillip J.L. Trotter

Pour la demanderesse

Aida Kalaj

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Phillip J.L. Trotter

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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