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Date : 20240705


Dossier : IMM-13564-22

Référence : 2024 CF 1060

Ottawa (Ontario), le 5 juillet 2024

En présence de l'honorable madame la juge Tsimberis

ENTRE :

FREDY ALEXANDER RODRIGUEZ NEIRA

KELLY JOHANNA PUENTES PENA

KEWIN YESID RUIZ PUENTES

MANUEL FELIPE RODRIGUEZ PUENTES

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs, citoyens de la Colombie, demandent le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR], datée du 2 décembre 2022 [Décision], rejetant leurs demandes d’asile, concluant qu’ils n’ont pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni de personne à protéger aux termes des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. La SAR s’était appuyée sur le motif que les demandeurs possédaient une possibilité de refuge intérieur [PRI] en Colombie. Les demandeurs soutiennent que la Décision de la SAR était déraisonnable en ayant fait fi de la preuve au dossier démontrant une conclusion contradictoire à celle qui a été tirée.

[2] La demande d’asile est fondée sur les faits allégués par M. Neira [le demandeur principal] au sujet de sa crainte de persécution en raison de menace provenant d’un groupe nommé Los Radicales [les agents de persécution]. Le demandeur principal a pu identifier un membre de l’Université nationale de Colombie [UNC] faisant aussi partie du groupe Los Radicales. Les demandeurs allèguent que Los Radicales est un groupe lié aux Forces armées révolutionnaires de Colombie [FARC]. Après le départ des demandeurs de la Colombie, le demandeur principal prétend que ses parents ont été harcelés par Los Radicales, soit les agents de persécution.

[3] La SAR a confirmé la décision du 19 mai 2022 de la Section de la protection des réfugiés [SPR] selon laquelle les demandeurs disposaient d’une PRI viable en Colombie. Les demandeurs soulèvent dans ce contrôle judiciaire que la SAR a erré dans son analyse de la preuve quant à la motivation et à la capacité de Los Radicales, un groupe prétendument lié aux FARC, de retrouver le demandeur principal.

[4] Ayant examiné le dossier soumis à la Cour, y compris les représentations écrites et orales des parties, ainsi que le droit applicable, j’estime que les demandeurs ne se sont pas acquittés de leur fardeau de démontrer que la Décision de la SAR était déraisonnable. Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Faits

[5] Les demandeurs allèguent depuis le 7 novembre 2018 de craindre la persécution lorsque le demandeur principal s’était retrouvé face à Los Radicales lors d’une manifestation à l’UNC dans la ville de Bogota, l’endroit où le demandeur principal travaillait à l’époque. Lors de cette manifestation, le demandeur principal a identifié l’un des manifestants du groupe Los Radicales qui était également un employé de l’UNC. Le 15 février 2019, les demandeurs ont porté plainte en expliquant à la police qu’ils reconnaissaient des membres de Los Radicales.

[6] Le demandeur principal allègue avoir reçu une lettre menaçante en mars 2019, et avoir reçu des appels menaçants sur la ligne téléphonique de ses parents. Depuis ces incidents, et le fait d’avoir été contraint de quitter son emploi et la ville de Bogota, le demandeur principal allègue subir une crainte de Los Radicales parce qu’il a pu reconnaitre l’employé manifestant.

[7] Les demandeurs se sont réfugiés dans une autre ville, mais ils ont continué de recevoir des menaces par texte SMS, le 1er février 2018. Les demandeurs ont indiqué que l’incident du fils du demandeur principal qui s’est fait accoster le 21 octobre 2021 par des vendeurs de drogue pour fouiller son cellulaire démontrait la motivation des agents de persécution. Par la suite, les demandeurs ont tenté de se réinstaller à Bogota mais en vain, car ils allèguent que Los Radicales continuent de les menacer dans la ville.

[8] Les demandeurs prétendent que Los Radicales ont un lien avec les FARC, qui ont un pouvoir d’influence et qui disposent de ressources (capacité) de retrouver le demandeur principal.

[9] Après la tenue d’une audience, la SPR a rendu les motifs de sa décision le 19 mai 2022, concluant que le demandeur principal, ainsi que les autres membres de sa famille, ne s’étaient pas acquittés de leur fardeau pour démontrer qu’il existait une possibilité sérieuse de persécution reconnue comme un motif prévu par la Convention ou, qu’il existait, selon la prépondérance des probabilités de menaces à leur vie ou à un risque de traitements ou de peines cruels et inusités, ou encore à un risque à la torture advenant leurs retours en Colombie. La conclusion de la SPR était le rejet de la demande d’asile des demandeurs au motif qu’une PRI viable était disponible en Colombie.

[10] La SPR a mentionné, premièrement, qu’elle a pris en compte les menaces écrites qui ont été reçues par le demandeur principal, mais le fait que Los Radicales ont pu le localiser dans une ville en dehors de son lieu de travail ne permettait pas pour autant de conclure qu’il serait, selon la prépondérance des probabilités, capable de retrouver le demandeur principal ailleurs au pays. Deuxièmement, la SPR a conclu que le fils du demandeur principal n’était pas un vendeur rival, et que les vendeurs de drogue le percevaient comme un innocent à qui ils ne voulaient pas faire du mal. La conclusion de la SPR était que l’incident impliquant le fils du demandeur principal n’avait rien à voir avec les problèmes allégués par rapport à la crainte de persécution de Los Radicales. Troisièmement, la SPR s’était basée sur la preuve au dossier, particulièrement les articles au sujet des FARC et les manifestations à la l’UNC, et la SPR a déterminé que rien dans la preuve ne permettait de conclure que ces manifestations étaient liées par les mêmes groupes que Los Radicales.

[11] La SAR a confirmé les conclusions de la SPR concernant la PRI viable et a rejeté les demandes d’asile des demandeurs.

III. Décision faisant l’objet du contrôle judiciaire

[12] La SAR a fait une analyse indépendante du dossier, y compris la preuve présentée au dossier ainsi que l’enregistrement de l’audience virtuelle tenue par la SPR le 15 février 2022, pour arriver à la conclusion que l’appel des demandeurs devant la SAR devrait être rejeté, et que la question déterminante était la PRI. La SAR a conclu que les demandeurs n’avaient pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. La SAR a conclu que le risque de préjudice aux mains de Los Radicales ne présente pas de lien avec l’un des motifs prévus par la Convention. Ainsi, la SAR a examiné la demande aux termes du paragraphe 97(1) de la LIPR.

[13] En faisant l’analyse sur la PRI, la SAR a appliqué les deux volets du test applicable énoncés dans Rasaratnam c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (CA), 1991 CanLII 13517 (CAF), [1992] 1 CF 706 [Rasaratnam], et Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 1993 CanLII 3011 (CAF), [1994] 1 CF 589 [Thirunavukkarasu]. Seul le premier volet du test fait l'objet du contrôle judiciaire et, par conséquent, seul le premier volet est résumé ci-dessous.

[14] En ce qui concerne la capacité à retracer les demandeurs dans la PRI, la SAR confirme que les demandeurs n’ont pas démontré la capacité de Los Radicales à les relocaliser ailleurs en Colombie. Les articles déposés en preuve ne permettaient pas de démontrer que les manifestants reconnus par le demandeur principal avaient des liens avec les FARC, et qu’ils auraient la capacité à retracer le demandeur principal ainsi que sa famille dans la PRI, où le groupe criminel est présent. La SAR s’était basée sur le fait que le demandeur principal n’avait pas indiqué dans le récit qui se trouvait au formulaire de Fondement de la demande d’asile [FDA] ni dans l’amendement de son FDA afin d’expliquer que Los Radicales étaient un groupe affilié aux FARC, et que les menaces reçues provenaient de ce groupe.

[15] La SAR a conclu que les demandeurs n’ont pas établi que les agents de persécution étaient affiliés aux FARC. La SAR a aussi confirmé que la lettre de menace et les appels menaçants qui ont été faites au téléphone terrestre des parents du demandeur principal à Bogota, l’endroit où le demandeur principal vivait à l’époque, n’étaient pas une preuve aux fins de démontrer la capacité de Los Radicales de retrouver le demandeur principal dans la PRI.

[16] En ce qui concerne la motivation à retracer les demandeurs dans la PRI proposée, la SAR confirme que la SPR avait raison de conclure que le fait que les appels téléphoniques avaient cessé depuis août 2021, soit après que la ligne téléphonique des parents du demandeur principal soit coupée, était un indice significatif démontrant que les agents de persécution n’avaient pas la motivation de retrouver les demandeurs actuellement, et qu’ils n’ont pas une motivation continue à poursuivre les demandeurs partout en Colombie. La SAR a déterminé qu’une fois que la ligne a été coupée, il n’y a pas eu de représailles ni de nouvel incident impliquant Los Radicales puisque ce groupe connaissait l’adresse des parents et que les parents n’ont pas déménagé ou changé leur mode de vie.

[17] La SAR a reconnu que le demandeur principal a porté plainte le 15 février 2019 auprès des autorités afin de dénoncer les menaces reçues. Le contenu de la plainte n’était pas soumis en preuve devant la SPR, et donc la SAR a pris en considération le témoignage du demandeur principal qui prétendait ne pas connaître le nom de la personne qu’il avait reconnu parmi les manifestants et qui était secrétaire à l’UNC. La SAR a déterminé que la preuve au dossier ne permettait pas de conclure que cette personne que le demandeur prétendait reconnaître faisait réellement partie du groupe Los Radicales. La SAR a conclu que la preuve sur la plainte était insatisfaisante pour démontrer que Los Radicales avait la motivation continue de retrouver les demandeurs encore aujourd’hui partout en Colombie.

[18] En conclusion, la SAR a confirmé la décision de la SPR que les demandeurs avaient une PRI viable. Les demandeurs demandent le contrôle judiciaire de la décision rendue par la SAR.

IV. Question en litige et norme de contrôle applicable

[19] La seule question en litige dans le présent contrôle judiciaire est celle de savoir si la SAR a raisonnablement conclu qu’il existait une PRI viable en Colombie.

[20] La norme de contrôle judiciaire applicable en l’espèce est celle de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 23, 53; Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 [Mason] aux para 7, 39-44).

[21] Une décision raisonnable est une décision fondée sur une chaîne d'analyse cohérente et rationnelle qui est justifiée par rapport aux faits et au droit qui contraint le décideur. L’intervention de la Cour n’est pas justifiée lorsque la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, à savoir la justification, la transparence et l’intelligibilité (Vavilov au para 99; Mason au para 59).

[22] Il s'agit d'une approche visant à garantir que la Cour n'intervient pas dans les affaires administratives que lorsqu'il est vraiment nécessaire afin de préserver la légalité, la rationalité et l'équité du processus administratif. Elle est ancrée dans le principe de modération judiciaire et démontre le respect du rôle distinct des décideurs administratifs (Vavilov au para 13).

[23] Une décision peut être jugée déraisonnable si le décideur s’est mépris sur la preuve dont il disposait (Vavilov aux para 125-126; Mason au para 73). Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’est pas une « simple formalité »; ce type de contrôle demeure rigoureux (Vavilov au para 13; Mason au para 63).

[24] La charge de la preuve incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable, par exemple que cette décision souffre de lacunes suffisamment graves à un point tel qu’on ne peut pas dire que la décision satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence (Vavilov au para 100).

V. Analyse

A. La décision de la SAR est raisonnable

[25] Un réfugié au sens de la Convention et une personne à protéger doivent être confrontés au risque identifié dans toutes les parties de leur pays d’origine. Par conséquent, si un demandeur d’asile a une PRI viable, sa demande d’asile présentée au titre des articles 96 ou 97 sera irrecevable, indépendamment du bien-fondé des autres aspects de la demande (Olusola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 799 au para 7).

[26] Le critère permettant de déterminer si une PRI est viable dans le pays du demandeur d’asile est énoncé par la Cour d’appel fédérale dans les arrêts Rasaratnam et Thirunavukkarasu. La Cour d’appel fédérale confirme que pour établir s’il existe une PRI viable, la SAR doit être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, de deux choses :

  1. Le demandeur ne risque pas sérieusement d’être persécuté ou exposé au risque d’être soumis à la torture, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités dans la partie du pays où, selon elle, il existe une possibilité de refuge (la PRI proposée); et

  2. Les conditions dans cette partie du pays que l’on estime constituer une PRI doivent être telles qu'il ne serait pas déraisonnable dans toutes les circonstances, y compris les circonstances propres au demandeur, que le demandeur y cherche refuge dans cette partie du pays.

Rasaratnam à la page 711; Thirunavukkarasu aux pages 592, 595 à 597

[27] Lorsque l’existence d’une PRI est soulevée, il incombe au demandeur de démontrer qu’elle n’est pas viable: Thirunavukkarasu aux pages 594, 595.

[28] Les demandeurs soutiennent que la SAR n’a pas tenu compte de plusieurs éléments de la preuve soumis qui contredisaient ses conclusions et qui démontraient clairement que le groupe Los Radicales est lié aux FARC et que Los Radicales avaient donc la capacité et la motivation nécessaires de retrouver le demandeur principal.

[29] En ce qui concerne la capacité de Los Radicales à retracer les demandeurs, ces derniers soutiennent que la SAR a omis les nombreuses sources journalistiques décrivant les manifestations du 15 août et du 7 novembre 2018 ayant eues lieu au même endroit, et que, même en tenant compte des différents objectifs et de la déclaration de dissociation des FARC, les éléments de preuve auraient dû être suffisants pour surmonter leur fardeau afin de prouver qu’il existe un lien entre Los Radicales et les FARC. Les demandeurs soutiennent que la preuve démontre la capacité de Los Radicales de retrouver le demandeur principal ailleurs en Colombie, vu que Los Radicales ont été en mesure d’obtenir l’adresse et le numéro de téléphone des parents du demandeur principal à Bogota.

[30] En ce qui concerne la motivation de Los Radicales à retracer les demandeurs, les demandeurs soutiennent que la SAR a conclu à tort qu’il n’y avait plus de menace maintenant que le demandeur principal ne travaille plus à l’UNC. Selon les demandeurs, la SAR a tiré des conclusions qui contredisent la trame factuelle au dossier puisque la preuve démontre que Los Radicales ont infiltré l’université et que le demandeur principal est capable d’identifier la personne à l’UNC qui appartient au groupe Los Radicales.

[31] Les demandeurs soutiennent que la SAR a erré en ayant omis le fait que Los Radicales ont tenté d’intimider la famille du demandeur principal. Selon les demandeurs, la SAR a erré en ayant omis les faits au sujet des tentatives que le groupe criminel a pris pour contacter et tenter d’intimider la famille du demandeur principal. Les demandeurs s’appuient sur Cejudo Hernandez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1019 [Cejudo] au paragraphe 33 pour dire que la raison pour laquelle le demandeur principal n’avait pas eu de nouvelles des agents de persécution était en raison qu’il se trouvait au Canada. Le fait de se retrouver au Canada, selon les demandeurs, ont fait en sorte que Los Radicales ne pouvaient plus les poursuivre en raison de manques de ressources pour pourchasser les demandeurs au Canada. Selon les demandeurs, dès qu’ils retourneraient en Colombie, les demandeurs seraient à risque de se faire identifier et d’être retrouvés.

[32] Il appert que la SAR a clairement identifié le test applicable pour la PRI, et je constate qu’elle a raisonnablement appliqué le test de la PRI, et ses conclusions sous chacun des volets du critère PRI ne sont pas déraisonnables.

[33] À mon avis, les demandeurs n’ont pas démontré que les conclusions de la SAR sont déraisonnables en ce qui concerne la capacité de Los Radicales à retracer les demandeurs. Premièrement, je suis d’accord avec le défendeur que la SAR a analysé la preuve soumise, incluant les articles journalistiques, pour arriver à une conclusion raisonnable, soit que les demandeurs n’avaient pas établi que les manifestants repérés par le demandeur principal lors de la manifestation étudiante le 7 novembre 2018 avaient des liens avec les FARC (la manifestation d’août 2018 entre le gouvernement et les FARC) et que Los Radicales, les agents de persécution, étaient associés aux FARC. Le fait que deux événements aient eu lieu en 2018 ne signifie pas que l’un soit lié à l’autre.

[34] Deuxièmement, je suis d’accord avec le défendeur que la SAR a apprécié la preuve devant elle et qu’elle a raisonnablement conclu que Los Radicales pouvait localiser les parents du demandeur principal à Bogota en mars 2019, mais ceci ne voulait pas nécessairement dire que Los Radicales avait la capacité de retrouver les demandeurs dans la PRI proposée ou ailleurs que Bogota.

[35] De même, les demandeurs n’ont pas démontré que les conclusions de la SAR étaient déraisonnables en ce qui concerne la motivation de Los Radicales à retracer les demandeurs. La SAR s’était fondée, premièrement, sur le fait que les parents du demandeur principal n’ont plus reçu d’appels téléphoniques après avoir coupé leur ligne terrestre. Il n’était pas déraisonnable pour la SAR de considérer la cessation des appels comme indice permettant de conclure que les agents de persécution n’ont plus de motivation aujourd’hui de poursuivre les demandeurs partout au pays.

[36] La SAR s’était également fondée sur le fait que les parents du demandeur principal n’avaient pas déménagé ou changé de mode de vie depuis la réception à leur domicile de la lettre contenant des menaces en mars 2019. Il n’était pas déraisonnable pour la SAR de considérer le fait que les agents de persécution, qui connaissaient l’adresse des parents et qui avaient l’opportunité, n’ont pas contacté les parents du demandeur principal depuis les dernières menaces en mars 2019 pour conclure que les agents de persécution n’ont plus d’intérêt aujourd’hui de poursuivre les demandeurs partout au pays où existe une PRI.

[37] Je suis d’accord avec le défendeur que la SAR pouvait raisonnablement s’appuyer sur l’absence de preuve d’efforts effectués par les agents de persécution pour retrouver les demandeurs depuis août 2021, afin de conclure qu’il n’y avait pas d’intérêt continu à les poursuivre, et donc de l’existence d’une PRI (Chavez Perez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1021 au para 10; Ocampo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1058 au para 28).

[38] Comme mentionné au paragraphe 31 ci-dessus, les demandeurs s’appuient sur Cejudo pour dire que la raison pour laquelle le demandeur principal n’avait pas eu de nouvelles des agents de persécution était en raison qu’il se trouvait au Canada et que s’il devait retourner en Colombie, il serait à risque de se faire identifier et d’être retrouvé. Dans Cejudo, la Cour mentionne ce qui suit au paragraphe 34 pour démontrer que ces conclusions au paragraphe 33 n’étaient pas déterminantes dans sa décision:

[33] Cependant, la SAR omet de mentionner qu’une raison importante pour laquelle le demandeur n’avait pas eu de nouvelles de ces criminels était qu’il se trouvait au Canada depuis le 28 décembre 2016; ils ne savaient peut‑être pas comment entrer en contact avec lui au Canada. La déclaration de la SAR selon laquelle le demandeur n’avait pas entendu parler des criminels depuis novembre 2016 n’amène pas forcément à conclure que ceux‑ci ne le relanceraient pas s’il retournait au Mexique.

[34] Pour que les choses soient claires, je ne me prononce d’aucune façon sur cette question. La SAR avait peut‑être bien une raison pour faire abstraction de la distance géographique entre le Canada et le Mexique comme étant une raison pour laquelle le syndicat n’était pas entré en contact avec le demandeur. Si c’est le cas, l’explication n’est pas transparente, car elle ne ressort pas clairement des motifs donnés ni d’un examen du dossier sous‑jacent.

[39] De plus, dans notre cas, la SAR n’a pas tiré une conclusion sur la distance géographique, mais plutôt sur la nature de la persécution. Aux paragraphes 30 à 34 de la Décision, la SAR a conclu que les demandeurs ne peuvent se prévaloir d’une crainte de persécution puisque la persécution a cessé d’avoir lieu lorsque la ligne téléphonique a été coupée. Malgré que Los Radicales connaissaient l’adresse des parents du demandeur principal, la SAR a raisonnablement conclu que Los Radicales n’ont pas fait d’efforts pour aller retrouver le demandeur principal ni sa famille après la coupure de la ligne téléphonique.

[40] À mon avis, le raisonnement de la SAR est intelligible, transparent et justifié à la lumière du dossier dont elle disposait (Vavilov aux para 15, 98). Il incombe aux demandeurs de prouver que la Décision de la SAR est déraisonnable, et ils n’ont pas démontré que la SAR a commis des erreurs suffisamment capitales ou importantes pour rendre cette Décision déraisonnable (Vavilov au para 100).

[41] Dans son analyse, la SAR a tenu compte de l’ensemble de la preuve qui avait été soumise à la SPR, et a raisonnablement conclu que les demandeurs n’ont pas démontré qu’ils seraient en risque sérieux d’être persécutés ou d’être exposés à un risque de torture, de menace à leur vie ou de traitements ou peines cruels et inusités s’ils devaient se réinstaller dans la ville où il y a une PRI proposée, ou que cette relocalisation dans la PRI proposée serait objectivement déraisonnable. Dans les circonstances, la Cour ne peut donc pas intervenir.

[42] Les demandeurs demandent essentiellement à la Cour d’examiner et d’apprécier de nouveau la preuve que la SAR a elle-même examinée et appréciée. Malheureusement, ce n’est pas le rôle de la Cour dans le contexte du contrôle judiciaire (Zhang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1308 au para 36; Vavilov aux para 124-125).

VI. Conclusion

[43] La décision de la SAR est raisonnable. La SAR a effectué une évaluation raisonnable de l’existence d’une PRI viable.

[44] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[45] Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et je conviens qu’aucune ne se pose dans les circonstances.


JUGEMENT dans le dossier IMM-13564-22

LA COUR STATUE que :

1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  1. Il n’y a aucune question à certifier.

« Ekaterina Tsimberis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM-13564-22

INTITULÉ :

FREDY ALEXANDER RODRIGUEZ NEIRA ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 11 janvier 2024

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE TSIMBERIS

DATE DES MOTIFS :

LE 5 JUILLET 2024

COMPARUTIONS :

Me Félipe Morales

Me Léa Benoit

pour LA PARTIE DEMNDERESSE

Me Suzon Létourneau

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Avocats Semperlex, S.e.n.c.r.l.

Montréal (Québec)

pour LA PARTIE DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

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