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Date : 20240605


Dossier : DES-1-19

Référence : 2024 CF 853

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 5 juin 2024

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

demandeur

et

BRITISH COLUMBIA CIVIL LIBERTIES ASSOCIATION

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. INTRODUCTION

[1] En 2014, la British Columbia Civil Liberties Association (BCCLA) a porté plainte auprès du Comité de surveillance des activités du renseignement de sécurité (CSARS) en vertu de l’article 41 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, LRC 1985, c C-23 (Loi sur le SCRS). (Cette disposition et des dispositions connexes de la Loi sur le SCRS ont été abrogées en 2019, lorsque le CSARS a été remplacé par l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement.)

[2] S’appuyant en partie sur des reportages médiatiques concernant des renseignements obtenus à la suite d’une demande présentée en application de la Loi sur l’accès à l’information LRC 1985, c A-1, la BCCLA a allégué que le Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS ou le Service) avait commis des [traduction] « actes inappropriés et illégaux en recueillant des renseignements au sujet de groupes et de citoyens canadiens qui participaient à des activités expressives pacifiques et licites, et en les communiquant à d’autres organismes gouvernementaux et à des intervenants du secteur privé » (lettre de Paul Champ du 6 février 2014 à l’intention du CSARS [la lettre de plainte], à la page 1).

[3] Plus particulièrement, la BCCLA a allégué que le SCRS menait des enquêtes sur des groupes et des particuliers qui manifestaient légalement contre le projet de pipelines Northern Gateway et qu’il avait communiqué le fruit de ses enquêtes à l’Office national de l’énergie (ONE) et à des membres non gouvernementaux de l’industrie pétrolière. Selon la BCCLA, le SCRS visait certains groupes susceptibles de représenter une menace pour la sécurité qui justifiait la tenue d’une enquête [traduction] « simplement parce qu’ils milit[aient] pour la protection de l’environnement » (lettre de plainte, à la page 1). Sept groupes étaient désignés dans la plainte : Leadnow, la ForestEthics Advocacy Association, le Conseil des Canadiens, la Dogwood Initiative, EcoSociety, le Sierra Club de la Colombie-Britannique et Idle No More (lettre de plainte, à la page 2).

[4] La BCCLA a fait valoir que les activités du SCRS concernant la collecte et la communication de renseignements au sujet de ces groupes dépassaient les limites du pouvoir que lui conférait la Loi sur le SCRS. Elle a également soutenu que ces activités portaient atteinte aux droits à la liberté de pensée, de croyance, d’opinion, d’expression et d’association garantis par la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte). À cet égard, la BCCLA a exprimé ses préoccupations concernant les effets dissuasifs découlant du fait qu’un service du renseignement de sécurité cible des groupes et des particuliers qui s’investissent légalement dans d’importantes questions d’intérêt public majeur.

[5] L’enquête du CSARS sur la plainte a été menée par l’honorable Yves Fortier, C.P., C.C., O.Q., c.r. L’enquête comportait des audiences à huis clos devant le membre Fortier, au cours desquelles la BCCLA a présenté des éléments de preuve et des observations à l’appui de sa plainte. L’enquête comportait également des audiences ex parte au cours desquelles quatre témoins ont témoigné au nom du SCRS et des observations ont été présentées en réponse à la plainte. Le SCRS a compilé plusieurs volumes de recueils de documents déposés auprès du CSARS lors des audiences ex parte.

[6] Les parties ont convenu que la plainte soulevait les quatre questions suivantes :

  • a)Le Service a-t-il recueilli des renseignements au sujet de groupes ou de particuliers en raison des activités de ceux-ci se rapportant au projet de pipelines Northern Gateway?

  • b)Dans l’affirmative, était-ce légal?

  • c)Le Service a-t-il communiqué à l’Office national de l’énergie ou à des membres non gouvernementaux de l’industrie pétrolière des renseignements concernant des particuliers ou des groupes s’opposant au projet de pipelines Northern Gateway?

  • d)Dans l’affirmative, était-ce légal?

[7] Pour les motifs énoncés dans un rapport côté « très secret » de 57 pages du 30 mai 2017, le membre Fortier a rejeté la plainte après avoir conclu que les allégations de la BCCLA n’étaient pas étayées par la preuve.

[8] Le CSARS a fourni à la BCCLA une version caviardée du rapport accompagnée d’une lettre de présentation datée du 30 août 2017. Par la suite, relativement à la présente demande, le procureur général du Canada (le PGC) a fourni à la BCCLA une version moins caviardée du rapport, qui comprenait tout de même de nombreux caviardages visant des renseignements dont la divulgation porterait préjudice à la sécurité nationale, selon le PGC. (Ces caviardages sont indiqués ci-dessous par le symbole [***].)

[9] En résumé, le membre Fortier a tiré les conclusions suivantes :

  • [traduction]« L’audience et les éléments de preuve ex parte m’ont permis d’apprendre que le Service disposait dans ses bases de données de certains renseignements concernant les groupes désignés dans la plainte, [***], et qu’il a par conséquent effectué la collecte de renseignements. Cependant, aucune preuve ne me permet de conclure que le Service recueillait des renseignements ou menait une enquête [***] se rapportant aux groupes désignés en raison de leur militantisme ou de leur dissidence pacifique » (au paragraphe 137).
  • [traduction] « [***] la collecte de renseignements [***] effectuée de façon accessoire, dans le contexte d’autres enquêtes licites » (au paragraphe 138).

  • [traduction] « Grâce aux éléments de preuve qui m’ont été présentés au cours de l’audience ex parte, je sais que des renseignements ont été recueillis en vertu de l’article 12 [de la Loi sur le SCRS] et que des renseignements concernant certains particuliers pour qui les autorisations d’enquête nécessaires avaient été obtenues ont été communiqués » (au paragraphe 139).

  • [traduction] « La preuve ex parte m’a convaincu qu’il y a eu [***], comme l’indiquent des renseignements accessoires se rapportant aux autorisations légales d’enquête visant des cibles alors en place, sans lien avec des groupes ou des particuliers participant à des activités légitimes de manifestation et de dissidence » (au paragraphe 141).

  • [traduction] « La totalité de la preuve que j’ai examinée et analysée démontre qu’il n’existe aucun lien direct entre le SCRS et l’"effet dissuasif" que les témoins de la plaignante ont mentionné dans leurs témoignages. Je souscris aux observations du défendeur selon lesquelles la plaignante n’a pas réussi à établir la distinction entre les actions de l’ONE et de la GRC [Gendarmerie royale du Canada] et celles du SCRS » (au paragraphe 156).

  • [traduction] « J’ai conclu que le Service disposait, dans sa base de données opérationnelle, de renseignements concernant les groupes désignés et qu’il a par conséquent effectué la collecte de renseignements. Cependant, je conclus également que les renseignements concernant ces groupes ont été inclus dans la base de données opérationnelles du Service lorsque celui-ci produisait des rapports sur ses cibles. Dans ces circonstances, cette collecte relève directement du mandat du Service » (au paragraphe 160).

  • [traduction] « […] Il m’est impossible de conclure, selon la preuve dont je dispose, que le SCRS a en l’espèce élargi son mandat de manière à inclure le militantisme, la manifestation ou la dissidence licites » (au paragraphe 163).

  • [traduction] « Les témoignages livrés par les témoins du défendeur, ainsi que la preuve documentaire présentée par le Service pendant l’audience à huis clos et l’audience ex parte sont convaincants. Je suis convaincu, compte tenu de ces éléments de preuve, que le SCRS n’a pas mené d’enquête sur des groupes ou des particuliers [***] participant à des activités licites de militantisme, de manifestation ou de dissidence. Par conséquent, je conclus que la collecte de renseignements sur les groupes en question effectuée par le Service était licite et relevait de son mandat, et que le Service n’a pas mené d’enquête sur des activités licites de militantisme, de manifestation ou de dissidence » (aux paragraphes 174-175).

  • [traduction] « Je conclus que le Service n’a pas communiqué à l’ONE ou à des membres non gouvernementaux de l’industrie pétrolière des renseignements concernant des particuliers ou des groupes s’opposant au projet de pipelines Northern Gateway. Compte tenu de la preuve qui m’a été présentée au cours de l’audience ex parte, je suis plutôt convaincu que le SCRS n’a pas communiqué de renseignements au sujet des groupes ou des particuliers désignés à l’ONE ni à des membres privés de l’industrie pétrolière » (au paragraphe 176).

  • [traduction] « Compte tenu de la preuve qui m’a été présentée au cours de l’audience ex parte, je suis convaincu que le SCRS a réellement formulé des conseils à l’ONE suivant l’article 12 et le paragraphe 19(2) de la Loi sur le SCRS. Cependant, les éléments de preuve ex parte ne comportent aucun renvoi à un quelconque groupe ou particulier désigné dans la plainte, ni aucune mention de ceux-ci » (au paragraphe 183).

  • [traduction] « La preuve indique clairement que le Service a participé à des réunions ou à des tables rondes avec RNCan [Ressources naturelles Canada] et le secteur privé, y compris des membres de l’industrie pétrolière, à l’administration centrale du SCRS. Cependant, les éléments de preuve ex parte qui m’ont été présentés sont aussi clairs. Ces séances d’information concernaient des questions de sécurité nationale et ne portaient absolument pas sur [***] les groupes mentionnés dans la plainte » (au paragraphe 188).

  • [traduction] « Comme j’ai conclu que le Service n’avait pas communiqué de renseignements au sujet des "groupes ciblés" représentés par la BCCLA à l’ONE ou à des membres non gouvernementaux de l’industrie pétrolière, la question de la légalité est devenue théorique » (au paragraphe 195).

  • [traduction] « Selon la preuve qui m’a été présentée au cours des audiences ex parte, je suis convaincu que toute activité de collecte et de communication de renseignements effectuée par le SCRS s’est déroulée légalement et conformément au mandat de celui-ci. Je suis convaincu que le SCRS n’a pas ciblé [***] » (au paragraphe 196).

  • La plaignante et ses témoins sont réellement préoccupés par l’effet dissuasif des activités du Service. [traduction] « Cependant, compte tenu de l’ensemble de la preuve qui m’a été présentée au cours des audiences ex parte, j’ai constaté que ces préoccupations n’étaient pas fondées. Le comportement du Service en l’espèce respecte sa loi habilitante » (au paragraphe 204).

  • [traduction] « […] la plaignante n’a pas réussi à établir un "lien de causalité" ou un "lien direct" entre le comportement du SCRS et l’"effet dissuasif" qu’elle invoque. Comme je n’ai relevé aucun "effet dissuasif", j’estime que ses allégations ne peuvent être invoquées à l’appui d’une violation de la Charte » (au paragraphe 205).

  • Cette conclusion [traduction] « tranche également l’allégation de la plaignante selon laquelle le comportement du SCRS dans le cadre de son enquête sur les activités relatives au projet de pipelines Northern Gateway a porté atteinte à l’article 2 de la Charte, qui garantit la protection de la liberté d’expression » (au paragraphe 206).

  • « Après avoir examiné attentivement la preuve qui m’a été présentée au cours des audiences ex parte […], je suis convaincu qu’elle n’étaye pas l’observation de la plaignante concernant un "lien direct" entre le comportement du SCRS et l’"effet dissuasif". Par conséquent, après avoir examiné la preuve dont je disposais en l’espèce, je suis convaincu qu’il n’y a eu aucune violation de la Charte » (au paragraphe 207).

[10] Le membre Fortier a tiré la conclusion suivante dans la section [traduction] « Conclusions et recommandations » de son rapport (aux paragraphes 240-243) :

[traduction]

Pour ces motifs, je conclus que les allégations de la plaignante ne sont pas étayées par la preuve, et par conséquent, je rejette la plainte.

J’estime que le Service a effectivement recueilli certains renseignements accessoires [***], mais je conclus que tout renseignement rapporté à leur sujet l’a été de manière accessoire, conformément aux autorisations légales d’enquête qui avaient été obtenues à ce moment-là, [***]. Je conclus également que le Service n’a pas mené d’enquête sur [***], dont la participation à des activités licites de militantisme, de manifestation ou de dissidence est reconnue.

Je conclus que le Service n’a pas communiqué à l’ONE ou à des membres non gouvernementaux de l’industrie pétrolière des renseignements concernant ces groupes ou ces particuliers.

Je recommande que le Service tienne en priorité des discussions publiques inclusives avec les groupes concernés par la présente plainte sur la nature classifiée de certains sujets, si possible.

[11] La BCCLA a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision du membre Fortier, en application de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 (dossier no T-1492-17 de la Cour). Elle fait valoir que le membre Fortier a commis une erreur de droit dans son interprétation des articles 12 et 19 de la Loi sur le SCRS, en ce qui concerne l’effet dissuasif des actions du SCRS et le seuil à partir duquel les actions du SCRS font intervenir la Charte. La BCCLA allègue aussi que la non-divulgation de renseignements et d’éléments de preuve se rapportant à la procédure du CSARS a porté atteinte aux principes d’équité procédurale et de justice naturelle.

[12] Conjointement avec la demande de contrôle judiciaire, la BCCLA a demandé, en vertu de l’article 317 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, que le CSARS lui transmette, et qu’il transmette aussi à la Cour, tous les documents et éléments matériels pertinents en sa possession. Les documents qui ont finalement été produits en réponse à cette demande comprenaient le rapport Fortier, les recueils de documents classifiés déposés auprès du CSARS, les transcriptions des procédures devant le membre Fortier et différents documents procéduraux se rapportant au traitement de la plainte par le CSARS.

[13] Conformément au paragraphe 318(2) des Règles des Cours fédérales, le CSARS s’est opposé à la transmission de certaines parties du dossier certifié du tribunal (le DCT). Pour justifier son opposition, le CSARS a notamment fait valoir que le DCT comptait quelque 3 340 pages de renseignements classifiés non caviardés et qu’il serait inapproprié de produire ces documents avant que le PGC ne les ait examinés à des fins de sécurité nationale. Le CSARS a alors avisé le PGC, suivant l’article 38.01 de la Loi sur la preuve au Canada, LRC 1985, c C-5 (la LPC), de la possibilité de divulgation de renseignements sensibles ou de renseignements potentiellement préjudiciables se trouvant dans le DCT.

[14] Après avoir désigné dans le DCT les renseignements dont la divulgation était contestée pour des motifs de sécurité nationale, le PGC a déposé la présente demande en vertu de l’article 38.04 de la LPC en vue d’obtenir une ordonnance confirmant l’interdiction de divulguer ces renseignements. La BCCLA est la défenderesse dans le cadre de la demande.

[15] Une version non classifiée du DCT caviardée dans l’objectif de protéger les renseignements visés par la présente demande a été communiquée à la BCCLA. Le PGC a réussi à obtenir une ordonnance de confidentialité concernant cette version caviardée du DCT : voir British Columbia Civil Liberties Association c Canada (Procureur général), 2018 CF 1094.

[16] Conformément à la pratique courante, le PGC a déposé une version classifiée des documents dans lesquels étaient visibles les renseignements caviardés en vertu de l’article 38 de la LPC.

[17] Compte tenu des questions soulevées dans le cadre de la demande, du grand volume de documents à examiner et du fait qu’une grande partie de la demande devrait être entendue à huis clos et ex parte, un ami de la cour, M. Ian Carter, a été nommé au début de l’instance pour aider la Cour. M. Carter a aussi été nommé ami de la cour relativement à la demande de contrôle judiciaire sous-jacente, mais il n’avait alors qu’un mandat d’observateur.

[18] La Cour a tenu des audiences publiques et des audiences à huis clos et ex parte au sujet de la demande que le PGC avait présentée en vertu de l’article 38 de la LPC. Les audiences à huis clos et ex parte étaient axées sur le préjudice qui, selon le PGC, découlerait de la divulgation des renseignements en cause.

[19] M. Carter s’est retiré de son rôle d’ami de la cour en juin 2022, lorsqu’il a été nommé juge à la Cour supérieure de justice de l’Ontario. Heureusement, le PGC avait alors présenté ses éléments de preuve classifiés à l’appui des demandes de non-divulgation, qui ont fait l’objet d’un contre-interrogatoire par M. Carter. En outre, M. Carter avait terminé d’examiner les documents caviardés et de formuler son avis au sujet de la divulgation. La Cour a eu l’avantage de recevoir des observations écrites et orales classifiées de la part des avocats du PGC et de la part de M. Carter avant le retrait de celui-ci.

II. RÉSUMÉ DES CONCLUSIONS DE LA COUR

[20] Le critère prévu à l’article 38 de la LPC pour décider s’il y a lieu de confirmer l’interdiction de divulgation ou, plutôt, d’ordonner une forme de divulgation (p. ex. en supprimant le caviardage ou en résumant les passages caviardés) est énoncé dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Ribic, 2003 CAF 246. En résumé, je dois décider si les renseignements en question sont pertinents quant à l’instance sous-jacente (en l’espèce, la demande de contrôle judiciaire de la BCCLA à l’encontre de la décision par laquelle le CSARS a rejeté sa plainte); dans l’affirmative, si leur divulgation serait préjudiciable aux relations internationales, à la défense nationale ou à la sécurité nationale; et, dans ce cas, si les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation l’emportent sur les raisons d’intérêt public qui justifient la non‑divulgation.

[21] Grâce au travail assidu de l’ami de la cour et des avocats du PGC, les questions contestées dans la demande ont été nettement circonscrites. Mes conclusions sont résumées ci‑dessous.

[22] Premièrement, comme l’indique le tableau joint aux présents motifs en tant qu’annexe A, l’ami de la cour a relevé 363 documents [traduction] « non litigieux » – autrement dit, l’ami de la cour était convaincu qu’il n’existait aucun motif de contester les caviardages dans ces documents. (Six autres documents ont subséquemment été désignés comme non litigieux.) Après avoir examiné la justification des décisions de l’ami de la cour concernant les documents énumérés à l’annexe A (et les documents supplémentaires), ainsi que les renseignements figurant dans ces documents, je suis convaincu que la position de l’ami de la cour est bien fondée. Par conséquent, en vertu du paragraphe 38.06(3) de la LPC, je confirmerai l’interdiction de divulguer les renseignements caviardés contenus dans les documents énumérés à l’annexe A et tout autre document désigné comme non litigieux par l’ami de la cour.

[23] Deuxièmement, l’ami de la cour a relevé 314 documents litigieux, qui sont énumérés dans le tableau joint aux présents motifs en tant qu’annexe B. Même dans ces documents, selon l’ami de la cour, les renseignements caviardés ne sont pas tous litigieux. Il a exprimé des avis précis au sujet des renseignements caviardés qui, selon lui, devraient être divulgués soit par la suppression des caviardages soit par des résumés se rapportant à des documents particuliers.

[24] Après avoir examiné les motifs invoqués par l’ami de la cour pour établir la distinction entre les renseignements litigieux et non litigieux contenus dans ces documents, ainsi que les renseignements que l’ami de la cour a qualifiés de non litigieux, je suis convaincu que la position de l’ami de la cour est bien fondée. Par conséquent, en vertu du paragraphe 38.06(3) de la LPC, je confirmerai l’interdiction de divulguer les renseignements caviardés non litigieux contenus dans les documents énumérés à l’annexe B.

[25] Sans surprise, le rapport Fortier (AGC0003) est l’un des documents litigieux. Il est aussi juste d’affirmer que tous les renseignements caviardés dans ce document sont litigieux. La position du PGC concernant le rapport Fortier a grandement évolué au cours de l’examen de la présente demande. Finalement, le PGC a accepté de supprimer des caviardages qui se trouvaient initialement dans le rapport. Pour les motifs énoncés ci-dessous, à quelques exceptions près, je ne suis pas convaincu qu’il est justifié de supprimer d’autres caviardages du rapport Fortier.

[26] Le PGC a également proposé des résumés de chaque paragraphe caviardé dans le rapport Fortier. Le PGC reconnaît, du moins dans une certaine mesure, qu’il est possible soit de résumer les renseignements visés par chacun des caviardages d’une façon qui n’est pas préjudiciable, soit de résumer les renseignements de façon à ce que les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation du résumé l’emportent sur le préjudice en découlant. L’ami de la cour a souscrit aux résumés proposés par le PGC (bien qu’il ait dans quelques cas exhorté la Cour à autoriser plutôt la suppression d’autres caviardages). Je reconnais que les résumés proposés par le PGC sont justifiés. Comme j’ordonne la suppression du caviardage dans certains paragraphes pour lesquels le PGC a proposé des résumés, ces résumés sont inutiles.

[27] Le PGC devra préparer une version du rapport Fortier caviardée conformément à la présente ordonnance et aux présents motifs, à laquelle seront intégrés les résumés dont la divulgation est autorisée. Plus précisément, cette version devrait tenir compte des éléments suivants : (1) la décision de la Cour selon laquelle, exception faite des paragraphes 137, 138, 140 (en partie), 141, 174 et 241, la position du PGC au sujet des caviardages est acceptée; (2) la décision de la Cour selon laquelle il convient d’ordonner la suppression des caviardages dans les paragraphes 137, 138, 140 (les huit derniers mots seulement), 141, 174 et 241; (3) l’acceptation par la Cour des résumés proposés par le PGC pour les paragraphes où les caviardages sont maintenus, sous réserve de quelques modifications mineures par souci de clarté. En vertu du paragraphe 38.06(2) de la LPC, j’autoriserai la divulgation de cette version du rapport Fortier à la BCCLA. En vertu du paragraphe 38.06(3) de la LPC, je confirmerai l’interdiction de divulguer les renseignements caviardés qu’il reste dans le rapport Fortier.

[28] En ce qui concerne le reste des renseignements litigieux contenus dans les documents énumérés à l’annexe B, je ne suis pas convaincu qu’il est justifié de supprimer d’autres caviardages, et exception faite de six documents, je ne suis pas d’accord avec l’ami de la cour pour dire qu’il convient d’établir un lien entre les résumés des renseignements caviardés et certains documents litigieux.

[29] En bref, je ne suis pas convaincu que les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation des renseignements, que ce soit par la suppression de caviardages ou par des résumés des renseignements caviardés se rapportant à des documents en particulier l’emportent sur le préjudice qu’entraîneraient ces formes de divulgation. Je me range plutôt à l’avis du PGC selon lequel un seul résumé global traitant d’un vaste sous-ensemble des documents litigieux permet d’atteindre un juste équilibre entre les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation et les raisons d’intérêt public qui justifient la protection des renseignements caviardés. Je suis aussi d’accord avec le PGC pour dire qu’il est possible et qu’il convient de préciser que les résumés se rapportent à six documents en particulier (AGC0967, AGC0968, AGC0972, AGC0973, AGC0974 et AGC0976). Par conséquent, en vertu du paragraphe 38.06(2) de la LPC, j’autoriserai la divulgation du résumé global et des six résumés précis énoncés à l’annexe C. Tous ces résumés sont essentiellement les mêmes que le PGC a proposés, mais je les ai légèrement modifiés par souci de clarté. En vertu du paragraphe 38.06(3) de la LPC, je confirmerai l’interdiction de divulguer les renseignements caviardés restants contenus dans le reste des documents énumérés à l’annexe B.

[30] Troisièmement, en vertu du paragraphe 38.06(2) de la LPC, si le juge désigné conclut que la divulgation des renseignements serait préjudiciable, mais que les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation l’emportent sur les raisons d’intérêt public qui justifient la non‑divulgation, avant d’autoriser la divulgation des renseignements, le juge doit tenir compte « des raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation ainsi que de la forme et des conditions de divulgation les plus susceptibles de limiter le préjudice porté aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales ». Par conséquent, le juge peut autoriser la divulgation « sous réserve des conditions qu’il estime indiquées ».

[31] En l’espèce, j’autorise la divulgation des renseignements à la BCCLA à condition que ceux-ci soient considérés comme confidentiels par les parties et par la Cour. Cette exigence ne porte pas atteinte au droit de la BCCLA de demander que la version du rapport Fortier divulguée en application de la présente ordonnance et que tout autre renseignement dont la divulgation est ordonnée soient intégrés au dossier public dans la demande de contrôle judiciaire sous-jacente. Tant qu’une telle ordonnance n’est pas rendue, l’annexe C et la version du rapport Fortier dont j’autorise la divulgation doivent être considérées comme confidentielles par les parties et par la Cour.

[32] Dans l’espoir d’éviter la nécessité de rendre une ordonnance de confidentialité et d’imposer toute autre restriction concernant le corps principal de la présente ordonnance et des présents motifs, je n’ai inclus aucun renseignement litigieux dans les présents motifs. Néanmoins, comme je l’indique ci-dessous, il demeure loisible au PGC de demander une telle mesure lorsqu’il aura eu l’occasion d’examiner la décision.

[33] Enfin, pour les motifs énoncés ci-dessous, j’autorise, en vertu du paragraphe 38.06(2) de la LPC, la divulgation de tous les renseignements caviardés dans les documents visés à l’article 317 des Règles des Cours fédérales au juge qui sera saisi de la demande de contrôle judiciaire sous-jacente. Dans l’éventualité où un nouvel ami de la cour est nommé relativement à la demande de contrôle judiciaire, les questions concernant son rôle et son accès aux renseignements non caviardés pourront être tranchées à ce moment-là.

[34] Je traite ci-après des étapes à suivre pour communiquer la présente ordonnance et les présents motifs aux parties, et pour divulguer les renseignements supplémentaires à la BCCLA.

III. ANALYSE

[35] Dans l’arrêt R c Ahmad, 2011 CSC 6, la Cour suprême du Canada a conclu que l’objectif du régime prévu à l’article 38 de la LPC consiste en « la recherche du juste équilibre entre l’intérêt public en matière de secret d’État et l’intérêt public relatif à l’administration efficace d’un système de justice équitable » (au paragraphe 41). Bien qu’elle ne se soit pas directement prononcée sur le critère de l’arrêt Ribic, la Cour suprême du Canada a mentionné à la fois la souplesse du régime prévu à l’article 38 et le « pouvoir discrétionnaire considérable » qu’il confère aux juges désignés : voir Charkaoui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CSC 9 au para 77, et Ahmad, au para 44.

[36] Dans l’arrêt Ribic, qui concernait une poursuite criminelle, la Cour d’appel fédérale a établi un critère en trois étapes pour décider, suivant l’article 38.06 de la LPC, s’il y a lieu de confirmer une interdiction de divulgation de renseignements sensibles ou potentiellement préjudiciables, ou, subsidiairement, s’il y a lieu d’ordonner une certaine forme de divulgation. Depuis que cet arrêt a été rendu, ce critère est appliqué dans le cadre des demandes présentées conformément à l’article 38 en matière tant criminelle que civile : voir, par exemple, Canada (Procureur général) c Telbani, 2014 CF 1050 au para 22, et les jugements qui y sont cités; voir aussi Canada (Procureur général) c Huang, 2018 CAF 109 au para 13; et Canada (Procureur général) c Hutton, 2023 CAF 45 au para 31.

A. Première étape – Pertinence

[37] Selon le critère de l’arrêt Ribic, je dois d’abord déterminer si les renseignements en cause sont pertinents pour la demande de contrôle judiciaire sous-jacente. Dans l’arrêt Ribic, où (comme je l’ai mentionné) l’instance sous-jacente était une poursuite criminelle, la Cour d’appel fédérale a conclu que la pertinence devrait être interprétée « au sens habituel et courant », qui est énoncé dans l’arrêt R c Stinchcombe, [1991] 3 RCS 326 – à savoir des renseignements, qu’il s’agisse d’éléments de preuve inculpatoires ou disculpatoires, qui pourraient raisonnablement être utiles pour la défense (Ribic, au para 17). La proposition selon laquelle ces renseignements sont pertinents s’ils peuvent être utiles dans l’instance sous-jacente pour la partie à qui ils ne sont pas divulgués s’applique également aux instances civiles.

[38] À cette étape, il incombe à la BCCLA « de prouver que les renseignements sont très probablement des éléments de preuve pertinents » (Ribic, au para 17). Il s’agit là « sans aucun doute d’un seuil de faible niveau » (ibid.).

[39] Le PGC reconnaît que les renseignements caviardés dans les documents litigieux sont pertinents au sens nécessaire pour satisfaire au premier volet du critère. Je reviens plus loin sur l’éventuelle utilité des renseignements non divulgués dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire sous-jacente.

B. Deuxième étape – Préjudice

[40] À la deuxième étape, je dois me demander si la divulgation des renseignements risque de porter préjudice aux relations internationales, à la défense nationale ou à la sécurité nationale. Seul le préjudice éventuel à la sécurité nationale est en cause en l’espèce.

[41] À cette étape, il incombe au PGC d’établir qu’un préjudice résulterait de la divulgation. Le PGC doit démontrer une probabilité de préjudice, et non simplement une possibilité (Canada (Procureur général) c Canada (Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar), 2007 CF 766 aux para 47-49). Bien que la Cour devrait faire preuve de déférence à l’égard des décisions du PGC concernant le préjudice éventuel, la position du PGC doit « repose[r] sur des faits établis par la preuve » (Ribic, au para 18). Comme le juge de Montigny (maintenant juge en chef de la Cour d’appel fédérale) l’a conclu dans la décision Telbani, « il ne suffira pas de spéculer qu’un renseignement pourrait éventuellement être dommageable pour la sécurité nationale; il faudra établir, à partir d’une preuve concrète et fiable, que le préjudice est sérieux et ne repose pas sur de simples hypothèses » (au para 44). En résumé, il doit exister des motifs raisonnables pour le préjudice invoqué (Huang, au para 13).

[42] Si je suis convaincu que l’allégation de préjudice repose sur un fondement raisonnable, je dois passer à la troisième étape du critère (Ribic, au para 19). Si, par contre, je ne suis pas convaincu qu’il existe un motif raisonnable de conclure que la divulgation entraînerait le préjudice allégué, la divulgation des renseignements en question peut être autorisée : voir la LPC, à l’art 38.06(1).

[43] En règle générale, dans la partie publique d’une demande déposée en vertu de l’article 38 de la LPC, le préjudice allégué par le PGC et les éléments de preuve à l’appui doivent être formulés de manière très générale, sans quoi l’objectif même du régime prévu à l’article 38 serait mis en échec. Généralement, il est possible de présenter des éléments de preuve détaillés et des observations sur la nature du préjudice porté aux intérêts à protéger et sur la façon dont la divulgation entraînerait ce préjudice uniquement lors d’audiences à huis clos et ex parte, comme le prévoit l’article 38.11 de la LPC. C’est ce qui s’est produit en l’espèce.

[44] L’ami de la cour a reconnu que la preuve présentée par le PGC au sujet des renseignements litigieux était suffisante pour satisfaire au deuxième volet du critère. Après avoir examiné les renseignements en cause et les éléments de preuve présentés par le PGC sur le préjudice, je conviens que la deuxième étape du critère est satisfaite. Par conséquent, il est nécessaire de passer à la troisième étape du critère. Je m’attarde à la question du préjudice plus loin, dans la mesure où cela peut se faire dans des motifs publics.

C. Troisième étape – Pondération

[45] À la troisième étape du critère, je dois dire si les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation des renseignements litigieux l’emportent sur les raisons d’intérêt public qui justifient la non-divulgation.

[46] D’un côté de la balance se trouve l’intérêt public à veiller à ce que justice soit rendue dans l’instance sous-jacente. L’évaluation de cet intérêt comprend, entre autres, les questions en litige dans cette instance et l’utilité des renseignements non divulgués pour aider la BCCLA à faire avancer sa demande de contrôle judiciaire. À cette étape, les renseignements en cause « ne [doivent] pas être considéré[s] comme se rapportant strictement à la question de savoir [s’ils] se rapporte[nt] à un point qui a été plaidé, mais plutôt à [leur] importance relative lorsqu’il s’agit de prouver la demande ou de se défendre » (Ribic, au para 22, renvoyant à Pereira E Hijos SA c Canada (Procureur général), 2002 CAF 470 au para 17).

[47] Le principe de la publicité des débats judiciaires se trouve aussi du même côté de la balance. Les dossiers de la Cour et les procédures judiciaires sont présumés accessibles au public. Selon la règle générale, l’administration de la justice doit se dérouler dans le cadre de débats judiciaires publics et non en secret (Sherman (Succession) c Donovan, 2021 CSC 25 aux para 30 et 37-39).

[48] De l’autre côté de la balance se trouve l’intérêt public à éviter le préjudice qui découlerait de la divulgation des renseignements litigieux, conformément à la deuxième étape du critère.

[49] La pondération des intérêts est abordée dans la jurisprudence régissant les limites discrétionnaires au principe de la publicité des débats judiciaires. Il est reconnu que, bien que la publicité des débats soit la règle, « il ne s’agit pas d’un principe absolu ou prépondérant » (R c TWW, 2024 CSC 19 au para 69). La publicité des débats judiciaires peut être pondérée en regard d’autres intérêts importants, mais il n’en demeure pas moins que « le secret en matière de procédures judiciaires doit être exceptionnel » (Sherman (Succession), au para 63). Cette présomption peut être réfutée lorsque la publicité des débats judiciaires pose un risque sérieux pour un intérêt public important, l’ordonnance sollicitée est nécessaire pour écarter ce risque sérieux pour l’intérêt mis en évidence et du point de vue de la proportionnalité, les avantages de l’ordonnance l’emportent sur ses effets négatifs (Sherman (Succession), au para 38).

[50] Lors de la pondération de ces intérêts publics contradictoires au sein du régime prévu à l’article 38 de la LPC, qui est en soi une limite discrétionnaire à la publicité des débats judiciaires, je dois également établir s’il existe des moyens de limiter le préjudice qui serait causé par la divulgation des renseignements tout en permettant quand même leur communication en vue de leur utilisation dans le cadre de l’instance sous-jacente, lorsque les circonstances le justifient. S’agissant de ces moyens, je peux approuver un résumé des renseignements caviardés et rendre une ordonnance de confidentialité : voir la LPC, à l’art 38.06(2); voir aussi Ribic, au para 27; Hutton, au para 32; et Canada (Procureur général) c Abdelrazik, 2023 CF 1100 au para 68.

[51] Il incombe à la BCCLA de prouver que la balance de l’intérêt public penche en sa faveur. Cela dit, pour décider si la BCCLA s’est acquittée de ce fardeau, la Cour ne doit pas imposer à celle-ci une norme irréaliste. Comme elle n’a pas consulté les renseignements en cause, elle doit s’appuyer sur des suppositions générales quant aux renseignements non divulgués et à leur utilité éventuelle (voir Canada (Procureur général) c Meng, 2020 CF 844 au para 77). Imposer à la BCCLA une norme trop stricte la placerait dans une situation sans issue : voir, dans un contexte analogue, R c McNeil, 2009 CSC 3 au para 33. Néanmoins, des possibilités purement conjecturales concernant l’utilité éventuelle des renseignements litigieux ne justifient pas leur divulgation (Ader c Canada (Procureur général), 2018 CAF 105 au para 30). À cet égard, il importe également de souligner que l’ami de la cour était bien placé pour présenter des observations efficaces sur l’utilité éventuelle des renseignements non divulgués.

[52] Il convient de mettre l’accent sur un autre point général. Cet exercice de mise en balance ne doit pas être accompli en l’absence de tout contexte; les facteurs pertinents doivent être « tirés du contexte du dossier » et être ancrés « dans les questions que soulève l’instance sous-jacente » (Canada (Procureur général) c Tursunbayev, 2021 CF 719 aux para 88-89).

(1) L’intérêt public dans la divulgation

[53] Comme je l’indique plus haut, à cette étape du critère, je dois entre autres tenir compte des intérêts et des questions en litige dans l’instance sous-jacente. L’arrêt Ahmad concernait la façon dont l’article 38 de la LPC pouvait servir à concilier « le conflit potentiel entre deux obligations fondamentales de l’État dans notre système de gouvernement : premièrement, celle de protéger la société en empêchant la divulgation de renseignements susceptibles de constituer une menace pour les relations internationales ou pour la défense ou la sécurité nationales; deuxièmement, celle de poursuivre les individus accusés d’infractions à nos lois » (au paragraphe 1). Bien que la première de ces obligations entre en jeu en l’espèce, ce n’est évidemment pas le cas de la deuxième. Un autre intérêt public opposé est mis en cause – à savoir l’intérêt public dans un processus juste et efficace en ce qui a trait au contrôle judiciaire des décisions administratives.

[54] Dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, la Cour suprême du Canada a signalé que le contrôle judiciaire des décisions administratives « touche des questions fondamentales pour notre ordre juridique et constitutionnel » (au paragraphe 4). Le contrôle judiciaire fait intervenir l’obligation constitutionnelle des tribunaux de s’assurer que l’exercice du pouvoir étatique est assujetti à la primauté du droit (Vavilov, au para 82; Catalyst Paper Corp c North Cowichan (District), 2012 CSC 2 au para 10). Il « permet aux cours de justice de s’assurer que les pouvoirs légaux sont exercés dans les limites fixées par le législateur » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 28).

[55] L’intérêt public à l’égard d’un contrôle judiciaire efficace, qui est toujours important, est particulièrement marqué dans la demande sous-jacente, car des intérêts supérieurs sont aussi en jeu. La décision faisant l’objet du contrôle concerne des questions d’une importance fondamentale, comme la portée légale des pouvoirs d’enquête du Service, le contrôle effectif des activités du Service et les protections garanties par la Charte.

[56] Comme je le mentionne aussi plus haut, un autre facteur à prendre en compte à la troisième étape du critère est l’importance relative que revêtent les renseignements non divulgués dans l’avancement de la thèse de la partie à qui les renseignements ont été refusés dans l’instance sous-jacente. Dans le contexte d’une instance criminelle, il s’agit de l’importance des renseignements pour présenter une défense pleine et entière. Dans le contexte d’une demande de contrôle judiciaire, il s’agit de l’importance des renseignements pour assurer l’efficacité du contrôle judiciaire de la décision en question.

[57] La jurisprudence a relevé plusieurs facteurs pouvant avoir une incidence sur l’importance des renseignements non divulgués dans une affaire donnée, y compris l’admissibilité des renseignements dans l’instance sous-jacente; dans le cas où les renseignements seraient admissibles, leur valeur probante; l’importance des faits que ces renseignements permettent d’établir; la question de savoir si les faits peuvent être établis par d’autres renseignements ou éléments de preuve qui ne soulèvent pas de préoccupations au titre de l’article 38 (Ribic, au para 22; Abdelrazik, au para 66).

[58] En l’espèce, comme les renseignements litigieux sont inclus soit dans la décision faisant l’objet du contrôle soit dans le dossier dont disposait le décideur, aucun de ces facteurs ne milite contre l’importance des renseignements non divulgués. Au contraire, ces facteurs font ressortir l’importance des renseignements dans l’objet même de la demande de contrôle judiciaire. Cela dit, je suis d’accord avec le PGC pour dire que les renseignements non divulgués n’ont pas tous la même importance. Bien que les renseignements contenus dans le rapport Fortier soient incontestablement importants (et le PGC ne soutient pas le contraire), il ne s’ensuit pas que chaque élément d’information classifié dans les recueils de documents du SCRS examinés par le CSARS a la même importance que les renseignements contenus dans le rapport Fortier, ni même qu’il a une quelconque importance. L’importance de ces autres renseignements varie en fonction de la nature de ceux-ci.

[59] Un indicateur clé de l’importance des renseignements non divulgués est la pertinence de ceux-ci à la lumière des questions en litige dans l’instance sous-jacente. Dans le contexte d’une demande de contrôle judiciaire, la pertinence doit être évaluée en fonction des motifs de contrôle invoqués et des renseignements dont dispose par ailleurs le demandeur. Il faut établir si la non‑divulgation des renseignements pourrait avoir des répercussions importantes sur l’issue du contrôle judiciaire et priver le demandeur d’un argument important (Telbani, au para 91). Lors de l’évaluation des renseignements non divulgués, l’importance d’un élément d’information donné ne peut pas être déterminée isolément. Lorsque la partie qui demande la divulgation de renseignements a déjà accès à une quantité importante de renseignements, comme c’est le cas de la BCCLA en l’espèce, et lorsque la divulgation de renseignements supplémentaires est autorisée, pour déterminer si la divulgation est justifiée malgré le préjudice qui en découlerait, la Cour devrait évaluer l’utilité d’autoriser la divulgation de renseignements supplémentaires, qui peut être marginale.

[60] Tout d’abord, je souligne qu’aux fins de l’espèce, il est difficile de savoir quoi penser de l’allégation de la BCCLA selon laquelle la non-divulgation de renseignements du CSARS a porté atteinte aux principes d’équité procédurale et de justice naturelle. Tel qu’il est actuellement formulé, ce motif de contrôle est fondé sur le fait que les renseignements non divulgués ne posent [traduction] « aucun risque pour la sécurité nationale ». Cependant, à ce stade-ci, nous nous intéressons uniquement aux renseignements qui satisfont à la deuxième étape du critère de l’arrêt Ribic – à savoir les renseignements dont la divulgation serait préjudiciable à la sécurité nationale. Par conséquent, les renseignements maintenant en cause semblent être dénués d’importance relativement à ce motif de contrôle.

[61] L’utilité des renseignements non divulgués semble aussi être limitée relativement aux motifs qu’invoque la BCCLA pour contester le fond de la décision, du moins de la façon dont ces motifs sont formulés dans l’avis de demande. Il en est ainsi, pour l’essentiel, parce que les motifs se rapportent en grande partie à des questions d’interprétation législative et à d’autres questions juridiques, comme le seuil auquel les enquêtes du SCRS font intervenir les protections garanties par la Charte pour toute personne touchée par ces enquêtes. Dans l’avis introductif d’instance, la BCCLA n’a pas expressément contesté le caractère raisonnable d’une quelconque conclusion factuelle du membre Fortier, y compris les suivantes : le Service n’a pas mené d’enquête sur des activités licites de militantisme, de manifestation ou de dissidence; bien que le Service ait recueilli des renseignements sur les groupes en question, il l’a fait uniquement en vue de produire des rapports sur des cibles licites du Service; le Service n’a pas communiqué à l’ONE ou à des membres non gouvernementaux de l’industrie pétrolière des renseignements sur les groupes plaignants; il n’existait aucun lien de causalité entre les enquêtes du Service et tout effet dissuasif sur la liberté d’expression ressenti par les particuliers ou les groupes plaignants.

[62] Quoi qu’il en soit, en toute justice pour la BCCLA, il convient de souligner que son avis de demande a été rédigé en 2017. La BCCLA disposait alors uniquement de la version caviardée du rapport Fortier divulguée par le CSARS. Elle n’avait pas eu l’avantage de consulter la version moins caviardée du rapport que le PGC a finalement divulguée dans le cadre de la demande, encore moins la version dont j’autorise la divulgation aujourd’hui. Elle ne pouvait pas non plus s’appuyer sur l’arrêt Vavilov et d’autres précédents importants récents portant sur le contrôle judiciaire selon la norme de contrôle de la décision raisonnable, car ceux-ci n’avaient pas encore été rendus.

[63] En examinant les motifs de contrôle proposés dans le contexte de l’évolution subséquente de la situation, en m’appuyant sur les observations très utiles de la BCCLA dans le cadre de la présente demande, j’estime que la demande de contrôle judiciaire comprend une contestation du caractère raisonnable de la conclusion générale du membre Fortier selon laquelle l’article 12 de la Loi sur le SCRS autorisait la collecte et la conservation de renseignements au sujet des groupes en question, et qu’en conséquence, celles-ci relevaient [traduction] « directement du mandat du Service » (rapport Fortier, au para 160). J’estime aussi qu’elle comprend une contestation du caractère raisonnable des conclusions du membre Fortier selon lesquelles les actions du Service n’ont pas eu d’effet dissuasif sur les activités expressives des groupes en question, et qu’en conséquence, elles n’ont pas fait intervenir les protections garanties par la Charte. Enfin, le membre Fortier a conclu que le Service n’avait pas communiqué de renseignements au sujet des groupes désignés. Que cette conclusion ait été raisonnable ou non, la BCCLA soulève également des questions de portée plus générale au sujet du caractère raisonnable de la façon dont le membre Fortier a interprété la portée de son autorisation de communication de renseignements en vertu de l’article 19 de la Loi sur le SCRS.

[64] L’importance des renseignements litigieux caviardés dans l’avancement de la demande de contrôle judiciaire devient évidente lorsqu’on interprète ainsi les motifs du contrôle. Une cour de révision qui effectue une analyse du caractère raisonnable doit tenir compte à la fois du résultat et du raisonnement suivi par le décideur (Vavilov, au para 87). Comme la Cour suprême du Canada l’a souligné dans l’arrêt Vavilov, puis dans l’arrêt Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21, les cours qui procèdent au contrôle judiciaire d’une décision administrative selon la norme de la décision raisonnable doivent adopter une méthode qui « s’intéresse avant tout aux motifs de la décision » (Mason, aux para 58-63). Comme le reconnaît le PGC, le rapport Fortier est au cœur de cette méthode. Le caviardage de passages du rapport en soi risque d’entraver cette méthode fondamentale qui permet de veiller à ce que le contrôle judiciaire soit efficace et significatif.

[65] En outre, dans la mesure où la BCCLA conteste le caractère raisonnable de la décision générale du membre Fortier, il lui incombe de démontrer que la décision est déraisonnable. Une décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et [être] justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85). Pour infirmer une décision au motif qu’elle est déraisonnable, la cour de révision doit être convaincue que cette décision « souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Vavilov, au para 100). Là encore, le rapport Fortier est au cœur de cette décision. En outre, « [l]e caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte » (Vavilov, au para 126). Le dossier sous-jacent fournit des éléments contextuels essentiels pour comprendre et évaluer les conclusions du membre Fortier. À divers degrés, la preuve documentaire et les témoignages de vive voix qu’il a examinés sont importants pour évaluer le caractère raisonnable de la décision compte tenu de la preuve dont disposait le CSARS.

[66] En résumé, je suis convaincu que le rapport Fortier en soi est de la plus haute importance pour la demande de contrôle judiciaire sous-jacente. Par ailleurs, bien que les renseignements classifiés contenus dans les dossiers du SCRS et les témoignages pris en compte par le membre Fortier soient tous importants, leur importance varie en fonction de leur nature et de leur pertinence quant aux questions soulevées dans l’instance sous-jacente.

(2) L’intérêt public dans la non-divulgation

[67] Dans les présents motifs non classifiés, il suffit de dire que les éléments de preuve du PGC concernaient le préjudice lié, entre autres, aux conséquences de la divulgation des intérêts des enquêteurs du Service (ou du manque d’intérêt) à l’égard de sujets en particulier et aux conséquences de la divulgation de la nature, de la portée et de l’intensité de toute enquête que le Service peut avoir effectuée. Autrement dit, les renseignements litigieux font intervenir le principe de « ne jamais confirmer ou ne jamais nier » (que la Cour d’appel fédérale appelle le « principe des enquêtes » dans l’arrêt Hutton, au paragraphe 37). Le PGC soutient que la divulgation de renseignements en contravention de ce principe porterait préjudice à la sécurité nationale.

[68] Il est logique et évident de s’attendre à ce que la divulgation de renseignements en contravention de ce principe risque de porter préjudice à la sécurité nationale. En effet, la jurisprudence reconnaît cette réalité depuis longtemps : voir par exemple Henrie c Canada (Comité de surveillance des activités du renseignement de sécurité), 1988 CanLII 5686 (CF), [1989] 2 CF 229 aux para 29-30 (conf par 1992 CanLII 8549 (CAF); voir aussi Telbani, au para 50, et Abdelrazik, au para 157. Néanmoins, les renseignements litigieux que le PGC cherche à protéger en invoquant ce principe ne bénéficient pas d’une protection générique; le fait de pondérer l’intérêt à respecter le principe des enquêtes contre l’intérêt public dans la divulgation demeure un exercice du pouvoir discrétionnaire au cas par cas (Hutton, au para 45).

[69] Comme je l’indique plus haut, j’ai conclu, relativement au deuxième volet du critère, que la divulgation des renseignements litigieux en espèce porterait préjudice à la sécurité nationale. J’en suis entre autres venu à cette conclusion parce que la preuve et les observations présentées à huis clos et ex parte m’ont convaincu que la divulgation de renseignements litigieux en contravention du principe des enquêtes nuirait à la capacité du SCRS d’exercer efficacement ses activités. Un service du renseignement de sécurité comme le SCRS ne peut exercer efficacement ses activités si des personnes qui sont visées ou qui ont été visées par ses enquêtes sont en mesure de savoir qu’elles présentent ou présentaient un intérêt pour le Service. De tels renseignements permettraient aux personnes ciblées de prendre des mesures pour échapper ou nuire aux efforts d’enquête du Service. Ils révéleraient également le degré de connaissances du Service à leur sujet, ce qui pourrait révéler la nature et l’intensité des enquêtes du Service, ainsi que d’éventuelles lacunes dans ses capacités. La sécurité nationale serait aussi compromise si des groupes ou des particuliers savaient qu’ils ne présentent pas d’intérêt pour le SCRS (qu’ils n’en aient jamais présenté ou qu’ils n’en présentent pas à un moment donné), car cela indiquerait à ceux qui ont participé à des activités liées à des menaces que ces activités sont passées inaperçues et révélerait ainsi les lacunes dans les intérêts et les capacités du Service. Par conséquent, je suis convaincu qu’il existe des raisons d’intérêt public qui justifient de maintenir la confidentialité des renseignements litigieux.

(3) Atteinte d’un juste équilibre

[70] Compte tenu de ce qui précède, il importe véritablement d’atteindre un juste équilibre à cette étape-ci : d’une part, en règle générale, il existe des raisons d’intérêt public solides qui militent contre la divulgation des renseignements litigieux; d’autre part, il existe également des raisons d’intérêt public qui militent en faveur d’une certaine forme de divulgation, bien que la solidité de ces raisons dépend des renseignements en question.

[71] À cette étape-ci, il importe de souligner que le PGC et l’ami de la cour s’entendent pour l’essentiel sur la nécessité de résumer une grande partie des renseignements caviardés. Bien entendu, le fait que le PGC et l’ami de la cour s’entendent au sujet des résumés ne lie pas la Cour, et celle-ci ne devrait pas se contenter d’approuver machinalement toute entente à laquelle ils sont parvenus. Néanmoins, dans les circonstances de l’espèce, je suis convaincu qu’il convient d’accorder un poids considérable à la position commune du PGC et de l’ami de la cour (Telbani, au para 36; Meng, au para 71).

[72] Le cœur du conflit consiste à savoir si l’utilité des renseignements caviardés qui demeurent en cause dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire sous-jacente l’emporte sur le préjudice qui découlerait de leur divulgation. Il existe en fait deux principaux points de désaccord. L’un consiste à savoir s’il est justifié de supprimer dans le rapport Fortier et dans les documents que le SCRS a transmis au CSARS d’autres caviardages que ceux relativement auxquels le PGC a donné son accord. L’autre consiste à savoir s’il convient d’établir un lien entre les résumés des renseignements caviardés et des documents en particulier du recueil de documents, ou s’il convient plutôt de résumer ces renseignements de façon générale.

[73] En ce qui a trait au rapport Fortier, à quelques exceptions près, je ne suis pas convaincu qu’il est justifié de supprimer d’autres caviardages que ceux relativement auxquels le PGC a donné son accord. Je rappelle que le PGC a finalement accepté de supprimer plusieurs caviardages comparativement à la première version du rapport qui a été divulguée à la BCCLA relativement à la présente demande, et encore plus comparativement à la version initialement communiquée par le CSARS. Si je comprends bien sa position finale en ce qui concerne les renseignements caviardés dans le rapport Fortier (comme l’indique la version moins caviardée du rapport divulguée en septembre 2022), le PGC a reconnu que la divulgation de certains renseignements qui étaient caviardés dans les versions antérieures du rapport était justifiée, car l’importance des renseignements en question dans la demande de contrôle judiciaire sous-jacente l’emportait sur un quelconque préjudice pouvant découler de la divulgation. Par conséquent, relativement peu de parties du rapport Fortier demeurent en litige à cet égard.

[74] Selon moi, le PGC a adopté une proposition de principe généralement bien fondée en ce qui a trait aux renseignements du rapport Fortier qui devraient être divulgués ou non. Dans l’ensemble, je conviens qu’il n’est pas justifié de supprimer d’autres caviardages dans le rapport, principalement parce que leur suppression porterait indûment atteinte au principe des enquêtes; autrement dit, l’utilité des renseignements en question dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire sous-jacente ne l’emporte pas sur le préjudice qu’entraînerait la divulgation. Je ne suis pas convaincu que les allégations du PGC en ce qui concerne les paragraphes 137, 138, 140 (en partie), 141, 174 et 241 du rapport sont justifiées.

[75] À la lecture de ces paragraphes dans leur contexte et compte tenu d’autres renseignements contenus dans le rapport Fortier que le PGC accepte de divulguer (particulièrement les autres renseignements se trouvant aux paragraphes 137, 141 et 174, ainsi qu’aux paragraphes 90, 120, 143, 144, 153 et 160), je ne suis pas convaincu que la divulgation des renseignements litigieux se trouvant aux paragraphes 137, 138, 140 (en partie), 141, 174 et 241 causerait un préjudice supplémentaire à celui que la divulgation peut déjà avoir causé. En résumé, bien que les renseignements contenus dans ces paragraphes font intervenir le principe des enquêtes, je ne suis pas convaincu que ce principe milite fortement contre la divulgation à ces égards en particulier. Comme je l’ai dit, la position du PGC en ce qui a trait aux renseignements du rapport Fortier qui devraient être divulgués est valable. Je ne fais qu’appliquer la logique de cette position à des renseignements essentiellement identiques qui se trouvent ailleurs dans le rapport.

[76] En outre, j’estime que les renseignements caviardés dans ces paragraphes sont essentiels à la demande de contrôle judiciaire de la BCCLA. Les renseignements figurant aux paragraphes 137, 138, 140 et 141 sont des éléments clés de l’analyse du membre Fortier concernant la première des quatre questions découlant de la plainte, à savoir : « Le Service a-t-il recueilli des renseignements au sujet de groupes ou de particuliers en raison des activités de ceux-ci se rapportant au projet de pipelines Northern Gateway? » Les paragraphes 174 et 241 ne font que réitérer les conclusions énoncées dans les paragraphes précédents. La réponse du membre Fortier à cette première question a été largement déterminante en ce qui a trait à la plainte de la BCCLA. Les renseignements litigieux figurant dans ces paragraphes, ainsi que d’autres renseignements divulgués dans le rapport, sont essentiels pour permettre à la BCCLA de faire valoir que le membre Fortier a commis une erreur dans son interprétation des pouvoirs du Service en matière de collecte et de conservation de certains documents, y compris dans son interprétation de l’article 12 de la Loi sur le SCRS.

[77] Par conséquent, en ce qui concerne les paragraphes 137, 138, 140 (les huit derniers mots seulement), 141, 174 et 241, je suis convaincu que les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation l’emportent sur les raisons d’intérêt public qui justifient la non-divulgation. Par conséquent, en vertu du paragraphe 38.06(2) de la LPC, j’ordonne la divulgation des renseignements caviardés dans ces paragraphes (et la divulgation des huit derniers mots du paragraphe 140).

[78] Comme je le mentionne plus haut, le PGC a accepté de fournir des résumés des renseignements caviardés dans le rapport Fortier. Selon moi, les résumés du PGC constituent la meilleure solution possible sous le régime prévu à l’article 38 de la LPC pour informer la BCCLA au sujet des renseignements contenus dans ce document qui ne doivent toujours pas être divulgués. Bien que le PGC ait proposé des résumés pour les paragraphes 137, 138, 140, 141, 174 et 241, ces résumés sont désormais inutiles compte tenu des suppressions des caviardages que j’ordonne. (Un résumé se rapportant au paragraphe 160 est inutile en raison de la suppression de caviardages que le PGC a accepté de faire). Par ailleurs, en vertu du paragraphe 38.06(2) de la LPC, j’ordonne la divulgation des résumés des renseignements caviardés dans le rapport Fortier préparés par le PGC, sous réserve de quelques modifications mineures des résumés des paragraphes 140 et 145 par souci de clarté. (L’énoncé des résumés modifiés de ces paragraphes sera fourni au PGC dans une directive ex parte confidentielle rendue en même temps que la présente ordonnance et les présents motifs.)

[79] En vertu du paragraphe 38.06(3) de la LPC, je confirme l’interdiction de divulguer les renseignements caviardés qu’il reste dans le rapport Fortier.

[80] En ce qui concerne les documents classifiés litigieux faisant partie du recueil de documents, je conviens avec le PGC que le fait d’ordonner la suppression d’autres caviardages ou d’établir des liens entre les résumés et des documents en particulier (exception faite de six documents) porterait préjudice à des intérêts protégés et que l’utilité de ces mesures dans l’avancement de la demande de contrôle judiciaire de la BCCLA ne l’emporte pas sur ce préjudice. Autrement dit, je ne suis pas convaincu que la BCCLA serait mieux placée pour faire avancer sa demande de contrôle judiciaire si les résumés proposés par l’ami de la cour étaient divulgués qu’elle ne le serait si le seul résumé divulgué était le résumé global proposé par le PGC. Par conséquent, compte tenu du préjudice qui serait occasionné, les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation dans la forme demandée par l’ami de la cour ne l’emportent pas sur les raisons d’intérêt public qui justifient la non-divulgation. Selon moi, le résumé global proposé par le PGC constitue la meilleure solution possible sous le régime prévu à l’article 38 de la LPC pour informer la BCCLA au sujet des renseignements caviardés contestés figurant dans le recueil de documents. J’ai légèrement modifié le résumé proposé par souci de clarté.

[81] Comme je le mentionne plus haut, le PGC convient qu’il est possible d’établir un lien entre six résumés et des documents en particulier. Je conviens moi aussi qu’il est justifié de divulguer des renseignements de cette façon, sous réserve de quelques modifications par souci de clarté.

[82] Par conséquent, en vertu du paragraphe 38.06(2) de la LPC, j’autorise la divulgation du résumé global et des six résumés précis énoncés à l’annexe C.

D. Y a‑t‑il lieu d’imposer une condition de confidentialité?

[83] Comme je l’explique plus haut, en application du paragraphe 38.06(2) de la LPC, la Cour doit établir s’il convient d’assujettir la divulgation de renseignements à des conditions dans l’objectif de limiter le préjudice porté aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales en raison de la divulgation. Le PGC demande une condition selon laquelle tout renseignement dont la divulgation est autorisée en vertu du paragraphe 38.06(2) de la LPC soit considéré comme confidentiel par les parties et par la Cour; la BCCLA ne s’oppose pas à cette demande. De façon tout à fait appropriée, la BCCLA se réserve le droit de contester la nécessité de la confidentialité lorsqu’elle aura eu l’occasion d’examiner les renseignements dont la divulgation est autorisée.

[84] Par conséquent, la divulgation que j’autorise sera assujettie à la condition que les renseignements divulgués soient considérés comme confidentiels par les parties et par la Cour. Cette exigence ne porte pas atteinte au droit de la BCCLA de demander que la version du rapport Fortier maintenant divulguée ou que les renseignements contenus dans l’annexe C soient intégrés au dossier public dans la demande de contrôle judiciaire sous-jacente. Il y a lieu de me soumettre toute demande de cette nature sous le présent numéro de dossier. Tant qu’une telle ordonnance n’est pas rendue, les renseignements dont j’autorise à présent la divulgation doivent être considérés comme confidentiels par les parties et par la Cour.

[85] Il est entendu que cette ordonnance de confidentialité ne s’applique pas au corps principal de la présente ordonnance et des présents motifs. Cela ne porte pas atteinte au droit du PGC de demander des restrictions à la diffusion des présents motifs (que ce soit au moyen de caviardages, d’une ordonnance de confidentialité ou d’autres mesures) lorsqu’il aura eu l’occasion de les examiner conformément au processus décrit ci-après.

E. Y a‑t‑il lieu d’autoriser la divulgation d’une version moins caviardée du rapport Fortier aux avocats de la BCCLA?

[86] L’analyse qui précède est fondée sur la prémisse selon laquelle tout renseignement dont la divulgation est autorisée sera divulgué à la BCCLA, une partie à l’instance sous-jacente. Autrement dit, les représentants de la BCCLA responsables du litige sous-jacent et les avocats représentant la BCCLA dans le présent litige auraient accès aux renseignements pour faire avancer la demande de contrôle judiciaire sous-jacente.

[87] Dans le cadre de la présente demande, le PGC a indiqué qu’il pouvait être ouvert à une forme de divulgation plus limitée – à savoir la divulgation d’une version moins caviardée du rapport Fortier que celles divulguées jusqu’à présent qui serait [traduction] « réservée aux avocats » ou dont la Cour ordonnerait la divulgation à la BCCLA. Selon cette proposition, la Cour autoriserait la divulgation d’une version moins caviardée du rapport, mais tout de même classifiée, à condition que les avocats de la BCCLA fournissent au PGC un engagement de confidentialité explicite à l’égard des renseignements supplémentaires divulgués dans ce document, et que le document soit traité conformément à sa classification de sécurité. Ainsi, les avocats de la BCCLA auraient accès à ces renseignements supplémentaires contrairement à leur cliente, la BCCLA.

[88] Le paragraphe 38.06(2) de la LPC confère à la Cour le pouvoir d’autoriser la divulgation de renseignements aux avocats d’une partie à condition que les avocats ne communiquent pas les renseignements en question à leur client : voir Ahmad, au para 49; voir aussi Tursunbayev, aux para 107-113. En fait, le PGC a lui-même aussi le pouvoir de divulguer des renseignements sous réserve de cette condition sans que la Cour n’ait à intervenir (c’est ce qui s’est produit par exemple dans le procès concernant Air India, comme il est indiqué dans les arrêts Charkaoui, au paragraphe 78, et Ahmad, au paragraphe 49). La Cour suprême du Canada a souligné qu’il y a lieu de faire preuve de prudence lorsqu’on envisage la possibilité d’avoir recours à une telle mesure compte tenu des difficultés que l’obtention de renseignements conformément à cette condition peut entraîner sur la relation avocat-client (Ahmad, au para 49; voir aussi R c Basi, 2009 CSC 52 aux para 45-46). Néanmoins, il ne fait aucun doute que la divulgation de renseignements conformément à cette condition peut être autorisée dans les cas qui s’y prêtent, que ce soit par la Cour ou par le PGC lui-même.

[89] Lorsque cette possibilité a été proposée pour la première fois, le PGC ignorait bien entendu si la Cour allait autoriser la divulgation d’autres renseignements à la BCCLA, et le cas échéant, dans quelle mesure. Par conséquent, il n’était pas en mesure de savoir si la Cour confirmerait ou non des caviardages qu’il était prêt à supprimer dans ce contexte. En outre, à cette étape-ci, personne ne peut par conséquent savoir si les avocats de la BCCLA jugeraient qu’il est nécessaire ou approprié d’obtenir ou non la divulgation de renseignements supplémentaires dans ce contexte.

[90] Comme cette option est entièrement hypothétique en ce moment, aucune ordonnance ne sera rendue à cet égard. La Cour demeurera saisie de cette question dans l’éventualité où les parties souhaitent se prévaloir de cette option ultérieurement.

F. Y a‑t‑il lieu d’autoriser la divulgation des renseignements caviardés au juge saisi de la demande?

[91] À titre de réparation, le PGC demande entre autres une ordonnance en vertu du paragraphe 38.06(2) de la LPC autorisant la divulgation des renseignements dont la divulgation est autrement interdite au juge saisi de la demande de contrôle judiciaire sous-jacente. Autrement dit, le PGC sollicite une ordonnance autorisant le juge saisi de la demande de contrôle judiciaire à avoir accès aux renseignements classifiés dans le DCT. Une telle ordonnance ferait en sorte que le DCT classifié (et les passages caviardés non classifiés du DCT) ferait partie du dossier de la demande sous-jacente. La BCCLA s’oppose à cette demande.

[92] Comme je suis le juge saisi de la demande de contrôle judiciaire sous-jacente, il semble s’agir d’une simple formalité. Après tout, j’ai déjà eu accès au DCT classifié dans le cadre de la présente demande. Cependant, même s’il s’agit d’une formalité, elle n’en est pas moins importante. Elle met en évidence la question de savoir si la demande de contrôle judiciaire sous‑jacente devrait être tranchée sur la foi du dossier dont disposait le membre Fortier (y compris tous les renseignements classifiés) ou seulement sur la foi du DCT non classifié qui a été divulgué à la BCCLA (y compris les renseignements supplémentaires dont j’autorise actuellement la divulgation).

[93] S’appuyant sur la décision Telbani (plus précisément sur l’analyse présentée aux paragraphes 103 à 114 de cette décision), le PGC soutient qu’il peut être approprié, pour la demande sous-jacente, de tenir une audience à huis clos et ex parte afin que le juge soit en mesure d’examiner les motifs de contrôle en tenant compte de la totalité du dossier dont disposait le membre Fortier, y compris tous les renseignements classifiés. Le PGC fait valoir, comme l’indique la Cour dans la décision Telbani, que ce faisant, « l’on s’assurera que la demande de contrôle judiciaire sera traitée au mérite et ne sera pas rejetée ou accueillie faute d’information » (Telbani, au para 114). En effet, il serait « dommageable pour l’administration de la justice et la primauté du droit qu’une décision soit jugée raisonnable ou déraisonnable du seul fait qu’un juge n’ait pas en mains tous les renseignements dont disposait la personne qui a pris cette décision » (ibid.). Le PGC reconnaît également que si la Cour décidait de procéder de cette façon, il pourrait être approprié de nommer un ami de la cour dans le cadre de l’instance sous-jacente.

[94] La BCCLA s’oppose à ce que toute partie de la demande de contrôle judiciaire soit entendue à huis clos et ex parte pour plusieurs motifs, y compris parce que la Cour n’a pas compétence pour procéder de cette façon, et quoi qu’il en soit, cela limiterait de façon injustifiée le principe de la publicité des débats judiciaires et serait contraire aux exigences de la justice naturelle et de l’équité procédurale.

[95] À mon avis, il n’est ni nécessaire ni approprié de trancher cette question importante à l’heure actuelle. À proprement parler, il s’agit d’une question à trancher dans le cadre de la demande de contrôle judiciaire sous-jacente, et non dans le cadre de la présente demande. Bien que les deux demandes soient étroitement liées et concernent les mêmes parties, il s’agit d’instances distinctes. Selon moi, la question en l’espèce consiste simplement à savoir si le juge qui entendra la demande de contrôle judiciaire sous-jacente devrait avoir la possibilité de tenir compte du DCT classifié. Ce n’est pas parce que j’offre cette possibilité en autorisant la divulgation de renseignements en vertu du paragraphe 38.06(2) de la LPC que le juge saisi de la demande de contrôle judiciaire sous-jacente se prévaudra de cette possibilité ou devra s’en prévaloir. La question de savoir si le juge devrait se prévaloir de cette possibilité, et dans quelles circonstances (par exemple en entendant une partie de la demande à huis clos et ex parte avec l’aide d’un ami de la cour), devrait être tranchée plus tard, dans le contexte du contrôle judiciaire en soi.

[96] La BCCLA soutient qu’il est même impossible de trancher cette question précise en faveur du PGC parce que le régime prévu à l’article 38 de la LPC ne confère pas à la Cour compétence pour autoriser la divulgation du dossier classifié au juge saisi de la demande de contrôle judiciaire sous-jacente, et que, même si tel était le cas, il serait impossible à la Cour d’exercer cette compétence en l’espèce.

[97] Il m’est impossible d’être d’accord avec la BCCLA.

[98] Dans l’arrêt Ahmad, la Cour suprême du Canada a expressément adopté une approche pratique à l’égard du régime prévu à l’article 38 de la LPC (voir le sous-titre précédant le paragraphe 27 du jugement. La Cour a insisté à maintes reprises sur la souplesse du régime pour les fins de la justice. Comme la Cour l’a affirmé :

Le pouvoir discrétionnaire étendu conféré par l’art. 38 doit être interprété en fonction de l’objet de la loi, à savoir la recherche du juste équilibre entre l’intérêt public en matière de secret d’État et l’intérêt public relatif à l’administration efficace d’un système de justice équitable. Cela suppose que le juge du procès dispose des renseignements nécessaires pour s’acquitter, de façon judiciaire et éclairée, des obligations que lui imposent la LPC et la Charte.

(Ahmad, au para 41; voir aussi le para 44)

[99] Dans l’arrêt Ahmad, la Cour suprême du Canada a conclu que le paragraphe 38.06(2) de la LPC autorise la divulgation de renseignements directement au juge présidant le procès criminel qui a donné lieu à une demande fondée sur l’article 38. Je suis du même avis que le juge de Montigny dans la décision Telbani, à savoir que l’arrêt Ahmad n’établit pas que le seul juge à qui la divulgation peut être autorisée en vertu du paragraphe 38.06(2) est le juge présidant le procès criminel. La Cour suprême du Canada n’a rien dit de tel. L’énoncé du paragraphe 41, cité ci-dessus, et l’analyse présentée ailleurs dans l’arrêt Ahmad reflètent précisément la question dont la Cour est saisie, qui consiste à savoir si le régime établi par l’article 38 empêchait le juge présidant le procès criminel d’obtenir tous les renseignements nécessaires pour statuer de façon juste sur la demande de réparation fondée sur l’article 38.14 de la LPC ou sur l’article 24 de la Charte. En estimant que le régime était suffisamment souple pour permettre qu’une telle chose survienne lorsque l’intérêt de la justice l’exige, la Cour a conclu qu’en concevant le régime établi par l’article 38, le législateur devait s’attendre à ce que le juge du procès se voie fournir « suffisamment de renseignements pertinents pour être en mesure d’exercer judiciairement le pouvoir conféré par cette disposition et pour éviter, lorsque cela est possible (et opportun), l’effondrement de la poursuite » (Ahmad, au para 33).

[100] Bien que ce raisonnement soit formulé dans l’arrêt Ahmad relativement à un procès criminel, il s’applique tout autant à l’extérieur du contexte criminel. Que l’instance sous-jacente soit criminelle ou civile, il n’est généralement pas dans l’intérêt de la justice de fonder des décisions sur un dossier incomplet. Il faut présumer que le législateur avait prévu, tant dans les affaires criminelles que civiles, que le juge qui préside l’instance ait accès aux renseignements et aux éléments de preuve nécessaires pour s’acquitter de ses obligations « de façon judiciaire et éclairée » même s’il est nécessaire, pour des motifs d’intérêt public, d’interdire la divulgation de renseignements ou d’éléments de preuve pertinents au public et même à une partie : voir Telbani, aux para 113-114. Le principe fondamental selon lequel le contrôle judiciaire d’une décision doit être effectué à la lumière du dossier dont disposait le décideur, qui a pris encore plus d’importance depuis l’arrêt Vavilov, ne fait que renforcer cette conclusion. Par conséquent, je souscris à la conclusion du juge de Montigny dans la décision Telbani selon laquelle le paragraphe 38.06(2) confère la compétence d’autoriser la divulgation du DCT classifié, en tout ou en partie, au juge saisi de la demande de contrôle judiciaire qui a donné lieu à la demande fondée sur l’article 38 de la LPC, et j’adopte cette conclusion.

[101] Outre la présente décision, la décision Telbani est la seule à examiner cette question de compétence dans le contexte non criminel. Cependant, des ordonnances comme celle que sollicite le PGC ont été rendues dans plusieurs affaires non criminelles outre Telbani : voir Canada (Procureur général) c Chad, 2018 CF 556 au para 71 (bien qu’au regard de l’article 37 de la LPC); Canada (Attorney General) v Life Prediction Technologies Inc et al, DES-1-20; et Canada (Procureur général) c Llewellyn, 2024 CF 143 au para 128. Dans d’autres cas, il semble avoir été présumé qu’habituellement, le juge désigné saisi de l’affaire sous-jacente serait en mesure d’examiner le DCT classifié : voir, par exemple, Canada (Procureur général) c Turp, 2016 CF 795 au para 21; et Tursunbayev, au para 109. Par conséquent, la conclusion selon laquelle le paragraphe 38.06(2) de la LPC confère la compétence d’autoriser la divulgation de renseignements classifiés au juge saisi de l’affaire sous-jacente est conforme à la pratique de la Cour jusqu’à présent.

[102] Pour les motifs qui précèdent, je conclus que le paragraphe 38.06(2) de la LPC confère la compétence de rendre l’ordonnance sollicitée par le PGC. Je suis également convaincu qu’il ne serait pas dans l’intérêt de la justice d’empêcher le juge saisi de la demande de contrôle judiciaire sous-jacente de tenir compte de la totalité du dossier dont disposait le membre Fortier. Par conséquent, je vais autoriser la divulgation du DCT classifié au juge saisi de la demande sous‑jacente. Je répète qu’en autorisant la divulgation, je ne fais que mettre les renseignements classifiés à la disposition de ce juge. Les questions de savoir s’il est nécessaire ou approprié pour le juge d’utiliser concrètement le DCT classifié pour trancher la demande de contrôle judiciaire, ou de mener une partie des procédures à huis clos ou ex parte, devront être tranchées ultérieurement.

G. La procédure de communication de la présente ordonnance et des présents motifs

[103] La présente ordonnance et les présents motifs, y compris les annexes, seront d’abord communiqués uniquement au PGC. Ce dernier aura ainsi la possibilité d’examiner le corps de l’ordonnance et des motifs pour relever toute préoccupation liée à la sécurité nationale. En outre, conformément au paragraphe 38.06(3.01) de la LPC, l’ordonnance de divulgation de la Cour prend effet après l’expiration du délai prévu ou accordé pour en appeler (ou après le règlement de tout appel). Lorsque la position du PGC à ces deux égards sera établie, il faut se pencher sur la question de savoir s’il y a lieu d’imposer des restrictions à la communication de la présente ordonnance et des présents motifs (y compris des annexes) à la BCCLA et sur la question de savoir à quel moment sera communiquée la nouvelle version du rapport Fortier.

[104] Simultanément à la communication de la présente ordonnance et des présents motifs au PGC, une directive publique établissant les prochaines étapes dans la présente affaire sera fournie aux parties.

IV. CONCLUSION

[105] Pour les motifs qui précèdent, la demande du PGC sera accueillie en partie. L’ordonnance de la Cour est énoncée ci-après.


ORDONNANCE DANS LE DOSSIER DES-1-19

LA COUR REND L’ORDONNANCE suivante :

  1. La demande est accueillie en partie.

  2. Suivant le paragraphe 38.06(3) de la Loi sur la preuve au Canada, l’interdiction de divulguer les renseignements caviardés contenus dans les documents énumérés dans le tableau de l’annexe A est confirmée.

  3. Le procureur général du Canada (PGC) doit préparer une version caviardée modifiée du document AGC0003 conformément à la présente ordonnance et aux présents motifs.

  4. Plus précisément :

    1. Le caviardage des paragraphes 137, 138, 140 (les huit derniers mots seulement), 141, 174 et 241 doit être supprimé;

    2. Hormis les exceptions qui suivent, les résumés que le PGC a ajoutés dans la version du document AGC0003 soumise à la Cour ex parte en mai 2022 doivent être conservés;

    3. Les résumés des paragraphes 137, 138, 141, 160, 174 et 241 doivent être supprimés;

    4. Une directive ex parte confidentielle rendue en même temps que la présente ordonnance et les présents motifs comprendra l’énoncé approuvé des résumés des paragraphes 140 et 145.

  5. En vertu du paragraphe 38.06(2) de la Loi sur la preuve au Canada, la divulgation de la version caviardée révisée du document AGC0003 est autorisée.

  6. Le PGC doit déposer la version caviardée révisée du document AGC0003 ex parte dans les sept (7) jours suivant la date de la présente ordonnance et des présents motifs. Si un délai supplémentaire est nécessaire, le PGC peut soumettre une demande informelle.

  7. En vertu du paragraphe 38.06(2) de la LPC, la divulgation du résumé global et des six résumés précis énoncés à l’annexe C est autorisée.

  8. Suivant le paragraphe 38.06(3) de la Loi sur la preuve au Canada, l’interdiction de divulguer les renseignements qui demeurent caviardés dans les documents énumérés dans le tableau de l’annexe B est confirmée.

  9. Suivant le paragraphe 38.06(3) de la Loi sur la preuve au Canada, l’interdiction de divulguer les renseignements caviardés dans tout document faisant partie du dossier certifié du tribunal qui ne figure pas à l’annexe A ou à l’annexe B est confirmée.

  10. Les renseignements divulgués aux termes de la présente ordonnance et des présents motifs (c.-à-d. l’annexe C et la version caviardée révisée du document AGC0003) doivent être considérés comme confidentiels par les parties et par la Cour.

  11. Le point qui précède ne porte pas atteinte au droit de la BCCLA, le cas échéant, de demander une dispense de la condition de confidentialité relativement à des renseignements divulgués conformément à la présente ordonnance et aux présents motifs.

  12. Il est entendu que la condition de confidentialité ne s’applique ni au corps principal de la présente ordonnance et des présents motifs ni aux annexes A et B, qui ont déjà été divulguées dans le dossier public.

  13. Le point qui précède ne porte pas atteinte au droit du PGC, le cas échéant, de demander une ordonnance de confidentialité ou d’autres restrictions quant à la diffusion du corps principal de la présente ordonnance et des présents motifs.

  14. En vertu du paragraphe 38.06(2) de la Loi sur la preuve au Canada, la divulgation du dossier certifié du tribunal non caviardée au juge saisi de la demande de contrôle judiciaire sous-jacente (dossier no T-1492-17 de la Cour) est autorisée.

  15. La présente ordonnance et les présents motifs (y compris les annexes) doivent d’abord être communiqués ex parte au PGC. Lorsque la Cour aura été informée de la position du PGC quant à tout appel et quant à la communication de la présente ordonnance et des présents motifs (y compris des annexes) à la BCCLA, le processus de communication de la présente ordonnance et des présents motifs (y compris des annexes) à la BCCLA et le moment où sera communiquée la version caviardée modifiée du document AGC0003 seront établis. Le PGC doit communiquer sa position à la Cour (au besoin, ex parte) dans les quatorze (14) jours suivant la date de la présente ordonnance et des présents motifs. Si un délai supplémentaire est nécessaire, une demande informelle peut être présentée.

  16. Simultanément à la publication de la présente ordonnance et des présents motifs, une directive publique décrivant les prochaines étapes dans la présente affaire sera fournie aux parties.

« John Norris »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


ANNEXE A

Liste des documents non litigieux

BCCLA c PGC, DES-1-19


ANNEXE A

Liste des documents non litigieux

BCCLA c PGC, DES-1-19


ANNEXE A

Liste des documents non litigieux

BCCLA c PGC, DES-1-19


ANNEXE B

Liste des documents litigieux

BCCLA c PGC, DES-1-19

 


ANNEXE B

Liste des documents litigieux

BCCLA c PGC, DES-1-19

ANNEXE B

Liste des documents litigieux

BCCLA c PGC, DES-1-19


ANNEXE C

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

DES-1-19

 

INTITULÉ :

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA c BRITISH COLUMBIA CIVIL LIBERTIES ASSOCIATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (Ontario)

 

DATES DE L’AUDIENCE :

LE 23 NOVEMBRE 2021

LE 30 MAI 2022

LE 31 OCTOBRE 2022

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DES MOTIFS :

LE 5 JUIN 2024

 

COMPARUTIONS :

Nathalie Benoit

Andre Seguin

Véronique Fortin

Tara-Marie Andronek

Michael Wonham

Christine Arcari

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Paul Champ

Bijon Roy

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

Ian Carter

AMI DE LA COUR (PRÉCÉDEMMENT)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Champ & Associates

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DÉFENDERESSE

 

Bayne, Sellar, Ertel, Carter

Ottawa (Ontario)

AMI DE LA COUR (PRÉCÉDEMMENT)

 

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