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Date : 20060512

Dossier : IMM-5572-05

Référence : 2006 CF 591

Ottawa (Ontario), le 12 mai 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

ENTRE :

HELENA LINIEWSKA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                  Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision de Mme Sophie Bisaillon (l'agent d'immigration) du 8 août 2005, par laquelle la demande de dispense de visa d'immigration pour motifs d'ordre humanitaire selon le paragraphe 25(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi) a été refusée.

FAITS PERTINENTS

[2]                  La demanderesse est une citoyenne polonaise âgée de 79 ans. Elle a visité le Canada à trois reprises, soit de septembre 1993 à avril 1994, de novembre 1994 à avril 1997 et de janvier 2001 à ce jour.

[3]                  La demanderesse est entrée au Canada le 17 janvier 2001 avec un visa de visiteur, valide jusqu'en mars 2006. Elle demande une dispense de visa pour motifs humanitaires. Elle est parrainée par sa fille, citoyenne canadienne.

[4]                  La famille de la demanderesse établie au Canada se compose de sa fille, du mari de celle-ci et de leurs deux enfants de 9 et 12 ans, tous citoyens canadiens. La demanderesse a trois autres enfants et cinq petits-enfants qui demeurent en Pologne.

QUESTIONS EN LITIGE

[5]                1. Est-ce que l'agent d'immigration a erré en accordant trop d'importance aux aspects financiers ?

2. Est-ce que l'intérêt des enfants a été pris en considération ?

3. Est-ce que l'agent d'immigration a erré en omettant de prendre en considération des faits pertinents ?

ANALYSE

[6]                  La demanderesse requiert une exemption de visa au motif que sa fille canadienne désire la parrainer et que vu son âge et les liens qui l'unissent à sa famille au Canada, il serait inhabituel, injustifié ou excessif de l'obliger à attendre le résultat de cette demande de résidence en Pologne. Cependant, l'agent d'immigration a jugé le contraire et a rejeté la demande de la demanderesse.

[7]                  La Loi requiert qu'un étranger qui désire s'établir de façon permanente au Canada demande et obtienne un visa de résidence permanente avant d'entrer au Canada. Cependant, en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi, le ministre peut dispenser un visa à l'étranger en raison de considérations humanitaires. Le paragraphe 25(1) de la Loi se lit comme suit :

25. (1) Le ministre doit, sur demande d'un étranger interdit de territoire ou qui ne se conforme pas à la présente loi, et peut, de sa propre initiative, étudier le cas de cet étranger et peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s'il estime que des circonstances d'ordre humanitaire relatives à l'étranger - compte tenu de l'intérêt supérieur de l'enfant directement touché - ou l'intérêt public le justifient.

25. (1) The Minister shall, upon request of a foreign national who is inadmissible or who does not meet the requirements of this Act, and may, on the Minister's own initiative, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligation of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to them, taking into account the best interests of a child directly affected, or by public policy considerations.

[8]                  Dans la décision Adu c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[2005] A.C.F. no 693, la juge Anne L. Mactavish indique que la norme de contrôle applicable pour les décisions rendues en vertu du paragraphe 25(1) de la Loi est celle de la décision raisonnable simpliciter :

La norme de contrôle générale qui s'applique aux décisions rendues par les agents d'immigration relativement à des demandes fondées sur des motifs d'ordre humanitaire est celle de la décision raisonnable simpliciter : Baker c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817.

[9]                  Dans la décision Pashulya c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2004 CF 1275, [2004] A.C.F. no 1527, le juge James Russell discute de la raison d'être de la demande d'ordre humanitaire :

La Cour a à maintes reprises affirmé que la raison d'être du processus CH était non pas d'éliminer les difficultés inhérentes au départ d'une personne qui a séjourné pendant un certain temps au pays, mais de dispenser de cette exigence le demandeur qui subirait des difficultés "inhabituelles, injustes ou excessives" s'il devait quitter le Canada pour présenter sa demande de l'étranger de la façon habituelle.

1. Est-ce que l'agent d'immigration a erré en accordant trop d'importance aux aspects   

    financiers ?

[10]              La demanderesse prétend que l'agent d'immigration a erré en accordant trop d'importance à la circonstance financière de sa fille qui voulait la parrainer. La demanderesse soumet que les aspects financiers ne sont pas des facteurs pertinents dans le cadre d'une évaluation d'une demande de résidence permanente du Canada pour raisons d'ordre humanitaire.

[11]              Le défendeur réplique en disant que l'agent d'immigration n'a accordé aucune importance aux considérations financières du dossier. De plus, ce dernier remarque que dans les notes de la demande d'ordre humanitaire, l'aspect financier est seulement mentionné sous le chapitre « Humanitarian or compassionate factors invoked by applicant » , mais elle n'en fait plus mention par la suite sous le chapitre « Decision and reasons » .

[12]              La demanderesse avait reçu une lettre pour la convoquer à une entrevue pour déterminer si elle pouvait recevoir un visa pour motifs d'ordre humanitaire. La lettre se lit comme suit :

This refers to your application for permanent residence from within Canada on humanitarian and compassionate grounds. This is a two step decision making process.

First, humanitarian and compassionate factors are assessed to decide whether to grant an exemption from the requirement of having to obtain a permanent resident visa before coming to Canada [A11(1)]. Second, you and the members of your family, if applicable must meet all other statutory requirements of the Immigration and Refugee Protection Act (IRPA) [A21], for example, medical, security and passport requirements as well as arrangements for your care and support and obtaining a "Certificat de Sélection du Québec (CSQ). This second decision will only be taken if you have been exempted of the permanent residence visa requirement.

INTERVIEW REQUIRED

Before making a decision on the visa requirement exemption, you will have the opportunity to submit any information at an interview.

Therefore, you must report for an interview and bring the documents indicated on the attached list.

(Lettre envoyée à la demanderesse, le 4 juillet 2005, dossier à la page 54.)

[13]              On avait demandé à la demanderesse d'apporter avec elle des documents à l'entrevue, incluant des documents d'ordre financier. Lors de l'entrevue, l'agent d'immigration avait noté :

SB :        I have asked you for some documents. Please show me all of the documents.

                          Daughter is providing documents:

                          Income tax declaration shows approximately 6000 for husband and 13000 for the sponsor. (see photocopies on file). Advise that this might be insufficient to be accepted for a CSQ from Quebec.

(Notes de l'entrevue, dossier à la page 9)

[14]              Il appert des documents déposés et de l'affidavit du demandeur et de sa fille que les documents à caractère financier déposés à l'entrevue ne correspondaient pas aux véritables revenus de la demanderesse. Il n'était pas déraisonnable d'offrir l'opportunité à la demanderesse de mettre son dossier à jour et de déposer des documents financiers qui correspondent à la réalité, ce qui, en plus, favorise la demanderesse, puisque les revenus sont beaucoup plus élevés que ceux qui apparaissent aux documents déposés la première fois. De plus, l'agent craignait que les revenus, au départ, puissent être insuffisants suivant les normes applicables.

[15]              Comme mentionné dans la lettre envoyée à la demanderesse, la demande de visa d'ordre humanitaire se fait en deux étapes. L'agent d'immigration essayait d'aider la demanderesse en l'avertissant que les ressources financières ne seraient peut être pas suffisantes pour rencontrer les exigences de la deuxième étape, c'est-à-dire, le fait de recevoir un CSQ du Québec. Le fait que l'agent ait fourni des conseils à la demanderesse pour une évaluation éventuelle ne veut pas dire que les aspects financiers ont influencé la décision à savoir si la demanderesse rencontrait les conditions d'ordre humanitaire (première étape). En lisant les notes du dossier et la décision de l'agent d'immigration, je suis convaincu que ce dernier n'a pas erré en accordant trop d'importance aux aspects financiers en rendant une décision sur la première étape dans l'évaluation d'une demande de résidence permanente du Canada pour raisons d'ordre humanitaire. D'ailleurs, il n'y a aucune référence dans sa décision aux documents d'ordre financier.

2. Est-ce que l'intérêt des enfants a été pris en considération?

[16]              La demanderesse prétend que l'agent d'immigration a erré en n'accordant pas assez d'importance aux intérêts des enfants et des petits-enfants et aux difficultés que ces derniers subiront si la demanderesse est forcée de partir.

[17]              Le défendeur soumet que l'obligation de considérer le meilleur intérêt des enfants a clairement été respectée en l'espèce. La demanderesse n'a pas documenté son implication auprès des deux petits-enfants vivant au Canada. De plus, l'intérêt supérieur de l'enfant ne l'emportera pas toujours sur toutes les autres considérations. Les petits-enfants canadiens ne se retrouveraient pas sans leur principal support advenant le départ en Pologne de leur grand-mère.

[18]              Dans l'arrêt Dias Fonseca c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 709, [2005] A.C.F. no 930, aux paragraphes 17 et 19, le juge W. Andrew MacKay discute l'exigence de soumettre la preuve par rapport à l'appréciation de l'intérêt supérieur de l'enfant :

Dans l'arrêt Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 4 C.F. 358 (C.A.), la Cour d'appel a clairement indiqué que l'intérêt supérieur des enfants constitue un facteur important, quoique non déterminant, dans le cas d'une décision fondée sur des motifs d'ordre humanitaire. Dans l'arrêt Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] 2 C.F. 555 (C.A.), la Cour d'appel a également confirmé que, dans l'examen d'une telle demande, il convient d'apprécier avec soin et compassion l'intérêt supérieur de l'enfant, et qu'il ne suffit pas de simplement mentionner cet intérêt ou la relation avec les enfants concernés. Par la décision qu'elle a rendue dans l'arrêt Owusu, précité, la Cour d'appel a reconnu que, dans l'examen d'une demande fondée sur des motifs d'ordre humanitaire, l'agent concerné doit être réceptif, attentif et sensible à l'intérêt supérieur des enfants lorsqu'il est clair que le demandeur se fonde sur ce facteur. Il incombe au demandeur d'établir qu'il se fonde sur ce facteur et que l'intérêt des enfants en souffrirait si la décision ne lui était pas favorable.

Bien que le paragraphe 25(1) puisse indiquer qu'il n'est pas nécessaire de procéder à "une appréciation plus détaillée de l'intérêt supérieur de l'enfant" que celle qu'exigeait l'arrêt Baker, précité, j'estime qu'il établit clairement l'existence d'une obligation légale de tenir compte de cet intérêt, même si le demandeur conserve le fardeau de fournir une preuve de cet intérêt. Dans la décision Richards c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2005] A.C.F. no 35 (1re inst.) (QL), au paragraphe 9, le juge Phelan, après avoir conclu que l'agent d'immigration concerné n'avait pas apprécié la preuve concernant l'intérêt de l'enfant, a écrit notamment :

Il est vrai qu'on aurait pu présenter des arguments plus solides, mais le défendeur était légalement tenu de prendre en compte l'intérêt supérieur de l'enfant. Dans l'arrêt Osuwu, précité, la Cour d'appel a statué qu'en l'absence d'éléments de preuve quant à l'intérêt supérieur de l'enfant, l'agent d'immigration n'est pas tenu de découvrir de tels éléments de preuve. En l'espèce, il y avait des éléments de preuve pour appuyer un examen de l'intérêt supérieur de l'enfant.

[19]              Dans sa décision, l'agent d'immigration avait abordé les questions qui touchent les intérêts des petits-enfants :

Applicant also states that she could be of a help for their children. She states twice in her form IMM 5283 that she could be of a help. Applicant does not document what is her involvement with her Canadian grandchildren neither in the forms neither during the interview.

[...]

I note that the Canadian grandchildren are of a school age (9 and 12) and that the sponsor is working two hours per day at home for her husband company.

[...]

Sponsor has already been alone from April 1997 until jan2001 raising by herself her children of a much younger age and who were not attending school, her husband being away as well as he started his occupation as a truck driver eight years ago.

(Décision de l'agent d'immigration, le 8 août 2005, aux pages 5 et 6 du dossier)

[20]              La demanderesse conserve le fardeau de fournir une preuve quant aux inconvénients que les enfants risquent de subir si elle est forcée de partir. L'agent d'immigration a une obligation de prendre cette preuve en considération. Ce n'est pas suffisant pour la demanderesse de seulement dire que l'agent n'a pas pris en considération l'intérêt supérieur des enfants, elle doit démontrer que l'agent n'a pas pris en considération la preuve qui porte sur l'intérêt supérieur des enfants. En l'espèce, la demanderesse n'a pas soumis de preuve par rapport à ce qu'elle faisait pour ses petits-enfants et comment ces derniers souffriraient si elle n'était plus au Canada. Ce n'est pas le rôle de l'agent d'immigration de découvrir de tels éléments de preuve. Les notes de l'entrevue démontrent que l'agent a posé de nombreuses questions sur l'interrelation existant entre elle, sa fille, son gendre et ses petits-enfants au Canada; c'est à l'agent qu'il revient de se faire une idée après avoir examiné la preuve. À ce sujet, madame la juge Judith A. Snider précise dans l'arrêt Anaschenko v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2004 FC 1328, au paragraphe 13 :

Simply, there was little, if any, evidence of hardship to Alexander. I do not doubt for a minute that the Applicant loves his child and that the loss - even temporarily - of the opportunity to visit with his son will be difficult for the Applicant. However, with respect to the analysis of the best interests of Alexander, this is irrelevant. There was nothing before the H & C Officer that focused on what hardship would be suffered by Alexander. In light of the separation of his parents, the lack of evidence of financial support from the Applicant and failure to provide details of the role played by the Applicant in the child's life, a conclusion that the separation would not cause excessive hardship was not unreasonable.

[21]              Avec la preuve qui existait dans le dossier, je suis satisfait que l'agent d'immigration fût réceptif, attentif et sensible à l'intérêt supérieur des enfants.

3. Est-ce que l'agent d'immigration a erré en omettant de prendre en considération des   

     faits pertinents ?

[22]              La demanderesse est d'avis que l'agent d'immigration a erré en omettant de prendre en considération des faits pertinents, surtout le fait que les enfants de la demanderesse en Pologne sont dans l'impossibilité de prendre soin d'elle.

[23]              Dans la décision Nazim c. Canada (ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2005 CF 125, le juge Paul Rouleau discute le fardeau de preuve associé à la demanderesse :

C'est au demandeur qu'il appartient de prouver à l'agent qu'il existe une situation particulière dans son pays et que sa situation personnelle eu égard à cette situation particulière justifie l'exercice favorable de son pouvoir discrétionnaire.

[24]              La demanderesse se plaint que l'agent d'immigration n'a pas essayé d'obtenir des précisions par rapport aux raisons pourquoi la demanderesse aurait de la difficulté en retournant en Pologne. En relisant la décision et les notes du dossier, je suis d'avis que l'agent d'immigration a tenu compte des difficultés possibles de la demanderesse en retournant en Pologne, contrairement à l'allégation de la demanderesse. Cependant elle a conclu que la preuve était insuffisante pour étayer cette affirmation. Cette conclusion est raisonnable étant donné que le fardeau de la preuve reposait sur la demanderesse qui devait prouver qu'il était justifié de lui accorder une dispense pour des motifs d'ordre humanitaire. La demanderesse aurait pu facilement fournir une preuve à l'appui de sa prétention.

[25]              Quant au fardeau de la preuve, le juge Frederick E. Gibson précise dans l'arrêt Mann c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 CFPI 567, paragraphe 16 :

...tout comme dans l'affaire Sadeghi, je suis convaincu que l'obligation qui incombe à celui qui présente une demande en vue d'obtenir le droit d'établissement à partir du Canada pour des raisons d'ordre humanitaire consiste à « présenter ses meilleurs arguments » en soumettant au fonctionnaire de l'Immigration tous les renseignements nécessaires pour établir le bien-fondé de sa demande. Dans ces conditions, je suis convaincu que l'obligation imposée au fonctionnaire de l'Immigration, sur le plan de l'équité procédurale, d'informer un tel demandeur de toutes les réserves qu'il peut avoir au sujet du bien-fondé de sa demande est réduite d'autant.

[26]              La demanderesse n'avait pas démontré l'existence de difficultés inhabituelles, injustes ou excessives du seul fait qu'elle n'était pas autorisée à rester au Canada. Cette conclusion est raisonnable vu les faits en l'espèce. La demanderesse n'a pas démontré que l'agente a ignoré de la preuve.

[27]              La demanderesse suggère par ailleurs que l'agent a pris en compte des éléments non pertinents dans son analyse soit l'existence d'autres petits-enfants en Pologne, les documents d'ordre financier, et le fait qu'elle soit demeurée illégalement au Canada, et que, de ce seul fait, la décision devrait être cassée.

[28]              Avec tout le respect, je suis d'avis que la prise en compte de l'intérêt des enfants et petits-enfants au Canada et dans son pays d'origine fait partie de sa situation de vie, et qu'il n'était pas déraisonnable d'en tenir compte dans son évaluation globale.

[29]              Quant aux documents financiers, j'en ai déjà discuté, et l'agent n'a fait que son devoir en suggérant à la demanderesse de mieux étoffer son dossier pour sa demande ultérieure au Québec.

[30]              Quant à sa période passée illégalement au pays, il s'agit d'un fait et il n'était pas déraisonnable d'examiner les périodes de temps passées au Canada et en Pologne pour examiner entre autres pourquoi la demande pour venir habiter au Canada n'a pas été faite alors que la demanderesse était en Pologne et qu'elle ait attendu d'être au Canada pour demander une exception à la règle.

[31]              Le procureur de la demanderesse suggère que l'arrêt Mohamed (Nargisbanu) v. Minister of Employment and Immigration, [1986] 68 N.R. 220, a pour effet d'interdire, à toute fin pratique à l'agent de considérer, dans sa décision l'intérêt, voire l'existence même des petits-enfants de la demanderesse, en Pologne.

[32]              Je ne partage pas cet avis. Ce que la Cour a considéré dans l'arrêt Mohamed, ci-dessus, c'est l'insistance de l'agent quant à l'impossibilité de réunir la famille avec un frère demeuré en Inde comme motif, parmi d'autres, pour rejeter la demande de résidence permanente; la Cour a conclu qu'il s'agissait d'une erreur.

[33]              Depuis l'arrêt Mohamed, la Cour s'est prononcée, à de nombreuses reprises, sur l'importance à donner à l'intérêt des enfants au moment d'évaluer une demande pour des motifs humanitaires : notamment Baker c. Canada, [1999] 2 R.C.S. 817; Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2002] 4 C.F. 358 (C.A.); Hawthorne c. M.C.I., [2002] A.C.F. no 1687.

[34]              Je n'ai aucune hésitation à conclure que la jurisprudence dans ses décisions les plus récentes n'a jamais supporté, de près ni de loin, l'argument avancé par la demanderesse. Je considère plutôt que ce serait plutôt l'absence de référence à l'existence des enfants et des petits-enfants de la demanderesse qui habitent à l'extérieur du Canada qui pourrait soulever une inquiétude, comme si on pouvait ignorer un fait aussi important dans la vie d'une personne.

[35]              Je retiens d'ailleurs cette citation de l'arrêt Baker au paragraphe 62 :

Je conclus qu'on devrait faire preuve d'une retenue considérable envers les décisions d'agents d'immigration exerçant les pouvoirs conférés par la loi, compte tenu de la nature factuelle de l'analyse, de son rôle d'exception au sein du régime législatif, du fait que le décideur est le ministre, et de la large discrétion accordée par le libellé de la loi. (...)

[36]              Le demandeur propose cinq questions pour fins de certification :

1. L'utilisation des petits-enfants polonais comme contrepoids aux petits-enfants canadiens constitue-t-elle une considération non pertinente à cause de l'arrêt Re Mohamed (Nargisbanu)v. Minister of Employment and Immigration, [1986] 68 N.R. 220?

[37]              À mon avis, l'agent n'a pas, comme le suggère la question, « utilisé des petits-enfants polonais comme contrepoids aux petits-enfants canadiens » . Pour en arriver à cette conclusion, le demandeur néglige manifestement une partie importante de la décision et le décideur a simplement référé dans sa décision au fait que la demanderesse avait des petits-enfants au Canada comme elle en avait en Pologne mais, en aucun cas, n'a mentionné ce fait comme étant un motif au centre de cette décision. Qui plus est, l'honorable juge Hugessen dans Mohamed, discutait de la pertinence d'invoquer l'impossibilité de réunir la famille que ce soit en Inde ou au Canada comme motif de rejet d'une demande, alors que dans le cas qui nous occupe, cette question n'est même pas soulevée. La question ne sera donc pas certifiée, puisque elle n'est évidemment pas de portée générale.

2. Les aspects financiers constituent-ils une considération non pertinente?

[38]              Quant à la deuxième question, il est clair de la décision de l'agent d'immigration que les aspects financiers n'ont joué aucun rôle dans sa prise de décision, et encore une fois comme je l'ai expliqué dans ma décision, c'est surtout l'irrégularité des documents financiers déposés par le demandeur qui a amené l'agent d'immigration à suggérer à la demanderesse de mettre à jour ses informations financières afin d'avoir un dossier qui reflète la réalité. Alors qu'il s'agit d'erreurs qui relèvent de la faute même de la demanderesse, il est incongru que la même demanderesse puisse utiliser la correction de ses propres erreurs comme pouvant constituer un motif pour soulever une question de portée générale qui ne l'est manifestement pas. La question ne sera donc pas certifiée.

3. Le séjour illégal de la requérante au Canada en 1997 constitue-t-il une considération non pertinente?

[39]              Tel que mentionné par le procureur du défendeur, cet aspect du séjour illégal de la requérante au Canada a été noté brièvement dans sa décision, particulièrement en référence à la possibilité pour la demanderesse de présenter sa demande de résidence permanente en bonne et due forme à partir de son pays la Pologne, comme c'est la norme, plutôt que d'attendre d'être au Canada pour le faire. Quoiqu'il en soit, il s'agit d'un fait indéniable qui n'apparaît pas comme étant un élément déterminant de la décision. Ce n'est pas une question de portée générale et elle ne sera pas certifiée.

4. La décision constitue-t-elle un accroc aux enseignements de l'arrêt Baker v. Canada (Minister of Citizenship), [1999] 2 S.C.R. 817, en particulier, en ce que :

a)Seules les considérations humanitaires doivent être évaluées;

b)Les conséquences néfastes aux enfants doivent être évaluées, (l'arrêt Hawthorne v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration) (C.A.), où elles ne sont pas mentionnées en l'occurrence.

[40]              Il ne revient pas à la Cour, au moment du contrôle judiciaire d'une décision d'un agent d'immigration de réévaluer les principes à la base de l'arrêt Baker. Le procureur du défendeur a raison de rappeler que l'évaluation des considérations humanitaires est une question qui relève de la compétence exclusive de l'agent d'immigration qui possède la discrétion pour ce faire. Comme je l'ai dit dans ma décision, la demanderesse ne m'a pas convaincu que la Cour fédérale était justifiée d'intervenir dans le présent dossier, puisque aucune erreur de la part de l'agent d'immigration ne justifiait pareille intervention. Il est d'ailleurs très clair à la lecture de la décision, que l'intérêt des enfants a été examiné avec minutie par l'agent d'immigration, au moment de sa prise de décision. Il s'agit d'une évaluation cas par cas des considérations humanitaires, et en aucun cas, la question suggérée ne peut être considérée de portée générale. La question ne sera donc pas certifiée.

5. Le fait de ne pas avoir posé des questions supplémentaires pour préciser l'aspect « enfants » dans ce dossier constitue-t-il une violation du devoir d'agir équitablement qui en ce que l'individu n'a pas été informé des véritables motifs pour le refus et n'a pas eu l'opportunité de répondre?

[41]              À mon avis, la jurisprudence est très claire quant à l'obligation pour le demandeur d'établir les faits devant l'agent d'immigration, il n'existe aucun flottement dans la jurisprudence quant au fardeau de preuve qui demeure toujours pour la demanderesse. Il n'y a aucun nombre minimum ou maximum de questions qui doivent être posées quant aux motifs d'ordre humanitaire. Il était du devoir de la demanderesse d'exposer clairement à l'agent d'immigration les raisons profondes qui motivaient son désir d'obtenir un visa de résidence permanente pour motifs humanitaires et en quoi sa relation particulière avec ses petits-enfants pouvait justifier une exception à la règle générale. Il ne revient pas à l'agent d'immigration par un assaut répété de questions de permettre à la demanderesse d'établir son droit, mais bien de s'assurer en posant des questions que la demanderesse puisse exposer clairement ses motifs. Ma lecture des notes de l'entrevue ne m'a pas convaincu, encore une fois, qu'une erreur avait été commise par l'agent d'immigration. Il s'agit d'une question purement factuelle et non pas de portée générale et la question ne sera donc pas certifiée.

JUGEMENT

-            La demande de contrôle judiciaire est rejetée;

            -            Aucune question ne sera certifiée.

« Pierre Blais »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-5572-05

INTITULÉ :                                        HELENA LINIEWSKA

                                                            c.

                                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal

DATE DE L'AUDIENCE :                20 avril 2006

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT:                     LE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS :                       12 mai 2006

COMPARUTIONS:

Me Julius Grey

Me Isabelle Turgeon

POUR LA DEMANDERESSE

Me Annie Van Der Meerschen

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Grey Casgrain

Montréal (Québec)

POUR LA DEMANDERESSE

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

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