Date : 20240619
Dossier : IMM-2204-23
Référence : 2024 CF 952
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Toronto (Ontario), le 19 juin 2024
En présence de monsieur le juge Diner
ENTRE : |
ABHIJIT SINGH CHEEMA |
demandeur |
et |
LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
[1] M. Cheema sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 3 février 2023 par laquelle un agent d’immigration [l’agent] a rejeté sa troisième demande de prolongation de son permis d’études et de rétablissement de son statut. Pour les motifs exposés ci-après, la présente demande sera rejetée.
[2] À titre d’aperçu du contexte, M. Cheema est un ressortissant indien. Il est entré au Canada en septembre 2020 et y est demeuré en tant que résident temporaire muni d’un permis d’études, qui était valide jusqu’au 31 janvier 2022, pour étudier au Collège Matrix de Montréal. M. Cheema a présenté une première demande de prolongation de permis d’études et de rétablissement de son statut le 30 avril 2022 (la première demande), soit au cours de la période de rétablissement de 90 jours. La première demande a été rejetée le 5 août 2022. Dans la lettre de refus, il est indiqué que son statut a expiré le 5 août 2022 et qu’il peut présenter une demande de rétablissement de son statut dans les 90 jours suivant l’expiration de son statut.
[3] M. Cheema a ensuite présenté une demande subséquente de prolongation de permis d’études et de rétablissement de son statut le 1er septembre 2022 (la deuxième demande). Cette demande a été rejetée le 29 septembre 2022, au motif que son statut avait expiré le 31 janvier 2022, alors que la deuxième demande avait été déposée le 1er septembre 2022, soit après l’expiration du délai de 90 jours. La lettre de refus du 29 septembre 2022 ne mentionne pas la première demande ni la date du 5 août 2022 qui était indiquée dans la lettre de refus de cette première demande.
[4] M. Cheema a ensuite présenté une autre demande de prolongation de permis d’études et de rétablissement de son statut le 1er novembre 2022 (la troisième demande). L’agent a rejeté cette troisième demande au motif que M. Cheema l’avait présentée après l’expiration du délai de 90 jours prévu à l’article 182 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le Règlement]. Dans les notes constituant la décision, il est écrit ce qui suit :
[traduction]
Le client est entré au Canada le 02/09/2020 et a été autorisé à y demeurer à titre de résident temporaire muni d’un permis d’études jusqu’au 31/01/2022. Le demandeur a présenté une demande de rétablissement de statut le 30/04/2022, qui a été rejetée le 05/08/2022. Le client a présenté une deuxième demande PE-Prol avec rétablissement de statut le 01/09/2022, qui a été rejetée le 29/09/2022. Le client présente maintenant une demande PE-Prol avec rétablissement de statut; demande reçue le 01/11/2022. Il est resté au Canada depuis lors sans autorisation. Il n’a pas respecté la condition imposée en vertu de l’alinéa 185a) du Règlement, qui l’obligeait à quitter le Canada au plus tard le 31/01/2022. Conformément à l’alinéa 47a) de la LIPR, le client a perdu son statut de résident temporaire. Cette demande a été reçue le 01/11/2022, soit après le délai réglementaire de 90 jours prévu à l’article 182 du Règlement; il n’est pas admissible au rétablissement de son statut. Demande rejetée; le client est informé de l’expiration de son statut et de son obligation de quitter le Canada.
[5] M. Cheema soutient devant la Cour que la décision relative à la troisième demande était déraisonnable, car l’agent a fait abstraction d’éléments de preuve essentiels, à savoir le fait que son statut n’avait pas expiré le 31 janvier 2022, comme il l’avait conclu dans sa réponse à la deuxième demande et à la troisième demande. Il soutient plutôt qu’il a expiré le 5 août 2022, la date figurant dans la lettre de refus de la première demande.
[6] Je ne suis pas d’accord avec le demandeur. Pour commencer, je ne vois aucun fondement juridique permettant au premier agent de prolonger valablement le statut du 31 janvier 2022 au 5 août 2022, et l’avocat de M. Cheema ne m’a pas non plus indiqué d’élément permettant d’établir un fondement juridique à cet égard. L’avocat du défendeur a admis qu’il s’agissait probablement d’une erreur.
[7] J’estime que la jurisprudence citée par l’avocat du demandeur appuie la conclusion selon laquelle le premier agent a commis une erreur, car M. Cheema a présenté sa première demande après l’expiration de son statut par application des articles 182, 183 et 185 du Règlement (voir l’explication de ces dispositions dans la décision Lawrence c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 607 [Lawrence], dans laquelle le juge Lafrenière explique le droit en matière de prolongations et de rétablissement de statut aux para 24-29, et la décision Shekhtman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 964 [Shekhtman], dans laquelle le juge Gascon explique également le régime de rétablissement de statut aux para 12-13). En l’espèce, selon l’application des paragraphes 182(1) et 183(5) du Règlement, comme il est décrit dans les décisions Lawrence et Shekhtman, M. Cheema disposait d’un délai de 90 jours à compter du 31 janvier 2022 pour présenter une demande de rétablissement de son statut, ce qu’il a tenté de faire dans sa première demande. Cette tentative a échoué, ce qui a entraîné le rejet de sa demande le 5 août 2022.
[8] Même si je me trompe et que le premier agent disposait d’un fondement juridique valable pour prolonger le statut de M. Cheema jusqu’au 5 août 2022, la deuxième demande présentée par ce dernier a été dûment rejetée le 29 septembre 2022. Dans cette décision, le deuxième agent a conclu que le statut de M. Cheema avait effectivement expiré le 31 janvier 2022. M. Cheema n’a jamais demandé le contrôle judiciaire de la décision relative à cette deuxième demande.
[9] Dans sa troisième demande, M. Cheema a choisi, à ses risques et périls, de revenir sur la question une fois de plus, malgré le rejet de sa deuxième demande. Dans cette décision, il est expliqué en termes explicites pourquoi il ne pouvait obtenir le rétablissement de son statut :
[traduction]
Votre statut de résident temporaire au Canada a expiré le [3]1 janvier 2022 [sic] et votre demande a été présentée le 1er septembre 2022.
La demande de rétablissement de statut doit être présentée dans les 90 jours suivant la perte du statut de résident temporaire. Vous n’êtes pas admissible au rétablissement de votre statut de résident temporaire parce que votre demande a été présentée après le délai réglementaire de 90 jours. Puisque vous ne détenez plus le statut de résident temporaire au Canada, votre demande de permis d’études est également rejetée.
Vous êtes au Canada sans statut de résident temporaire et vous n’êtes pas admissible au rétablissement de votre statut au titre de l’article 182 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés.
[10] Compte tenu de toutes les circonstances exposées dans la deuxième demande, il était tout à fait raisonnable pour l’agent de rejeter la troisième demande en se fondant sur la date d’expiration initiale du 31 janvier 2022, qui était la même date sur laquelle le deuxième agent s’était fondé pour rejeter la deuxième demande. Autrement dit, la troisième demande de rétablissement de statut de M. Cheema n’a pas invalidé la décision antérieure (visant la deuxième demande) par laquelle il avait été conclu que son statut avait expiré le 31 janvier 2022, soit la date d’expiration de son permis d’études. M. Cheema n’a rien fait valoir qui permettrait de conclure que la décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire est déraisonnable, même si je reconnais qu’il préfère la date du 5 août 2022.
[11] M. Cheema aurait toutefois pu et dû contester la décision du 29 septembre (visant la deuxième demande) s’il avait voulu contester la date du 31 janvier 2022 qui y figurait et la date du 5 août 2022 indiquée dans la décision visant la première demande, mais il ne l’a pas fait. Il tente maintenant de remettre en question la décision relative à la deuxième demande dans le cadre du présent contrôle judiciaire, affirmant que les décisions antérieures peuvent être contestées lorsqu’une décision ultérieure est en cause, citant Kaur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 513 [Kaur] au para 31 et Zhang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1381 [Zhang] aux para 21, 23, 29.
[12] Je ne suis pas d’accord avec cette proposition. M. Cheema cherche à faire annuler une décision administrative (la deuxième décision) qu’il a choisi de ne pas faire réviser par contrôle judiciaire, en contestant la décision subséquente (la troisième décision). Ainsi que la Cour suprême l’a déclaré, « [d]ans le cadre d’une révision judiciaire, il n’appartient pas au tribunal d’évaluer la légalité de chaque décision antérieure à la décision contestée »
: First Nation of Nacho Nyak Dun c Yukon, 2017 SCC 58 au para 32. Tenter de le faire est considéré comme une attaque indirecte et n’est généralement pas permis (voir, par exemple, Toronto (Ville) c S.C.F.P., section locale 79, 2003 CSC 63 au para 33, et R c Bird, 2019 CSC 7 aux para 25-32).
[13] En effet, les décisions Kaur et Zhang établissent que la Cour peut tenir compte des décisions antérieures lorsqu’il est pertinent de le faire dans le contexte de la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire. Cela ne revient pas à dire que la Cour devrait se prononcer sur la justesse de décisions antérieures et définitives. Elles ne peuvent plus être contestées directement, et ne devraient donc pas pouvoir être contestées indirectement. C’est précisément ce que M. Cheema demande à la Cour de faire en contestant le caractère raisonnable de la décision relative au rejet de la deuxième demande. En plus d’être une attaque indirecte inappropriée à l’égard d’une décision qui appartient au passé, j’ajouterais qu’il était raisonnable de conclure dans la décision relative à la deuxième demande que le statut de M. Cheema avait expiré le 31 janvier 2022, en même temps que le permis d’études, et non le 5 août 2022.
[14] Enfin, compte tenu des contraintes décrites ci-dessus dans les faits et dans la loi comme cela a été expliqué dans les décisions Lawrence et Shekhtman, je conclus que les motifs de la décision contestée possèdent les attributs de la transparence, de l’intelligibilité et de la justification (Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 aux para 59–63; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 99). Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire en l’espèce sera rejetée.
JUGEMENT dans le dossier IMM-2204-23
LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :
-
La demande de contrôle judiciaire est rejetée.
-
Aucune question n’est certifiée.
-
Aucuns dépens ne sont adjugés.
« Alan S. Diner »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER : |
IMM-2204-23 |
INTITULÉ : |
ABHIJIT SINGH CHEEMA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION |
LIEU DE L’AUDIENCE : |
TORONTO (ONTARIO) |
DATE DE L’AUDIENCE : |
LE 18 JUIN 2024 |
JUGEMENT ET MOTIFS : |
LE JUGE DINER |
DATE DES MOTIFS : |
LE 19 JUIN 2024 |
COMPARUTIONS :
Tejinder Saroya |
POUR LE DEMANDEUR |
Neeta Logsetty |
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Saroya Law Professional Corporation Brampton (Ontario) |
POUR LE DEMANDEUR |
Procureur général du Canada Toronto (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR |