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Date : 20240618

Dossier : IMM-12720-23

Référence : 2024 CF 935

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 juin 2024

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

R.A.

RÉSEAU JURIDIQUE VIH

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] La présente ordonnance et les présents motifs portent sur une requête déposée le 31 mai 2024 dans laquelle le défendeur, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, sollicite une ordonnance faisant droit à la demande de contrôle judiciaire, annulant la décision du 11 septembre 2023 par laquelle un agent [l’agent] d’Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC] a rejeté la demande de permis d’études présentée par le premier demandeur [désigné de façon anonyme par RA], et renvoyant l’affaire à un autre agent d’IRCC pour nouvelle décision. Les demandeurs s’opposent à la requête du défendeur.

[2] Dans sa décision, l’agent a rejeté la demande de RA en application du paragraphe 38(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], car son état de santé risquait d’entraîner un fardeau excessif pour les services sociaux ou de santé du Canada.

[3] Dans la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire, les demandeurs sollicitent l’autorisation de la Cour pour présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision de l’agent ainsi que des mesures de réparation, notamment : a) une ordonnance annulant la décision de l’agent et renvoyant l’affaire à IRCC pour qu’une nouvelle décision soit rendue par un autre agent; b) un jugement déclarant que le paragraphe 38(1) de la LIPR est incompatible avec le paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés [la Charte]; c) une ordonnance annulant ou radiant le paragraphe 38(1) et les dispositions législatives et réglementaires connexes, au titre du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982.

[4] À l’appui des mesures de réparation demandées, les demandeurs indiquent que l’agent a tiré des conclusions de fait erronées et a rendu une décision déraisonnable au vu de la preuve, qu’il n’a pas tenu compte d’éléments de preuve pertinents et qu’il a manqué aux principes de justice naturelle. Ils affirment aussi que le paragraphe 38(1) de la LIPR enfreint la protection contre la discrimination garantie par le paragraphe 15(1) de la Charte.

[5] À l’appui de sa requête, le défendeur reconnaît que l’agent a commis plusieurs erreurs dans la décision, en ce sens qu’il n’a pas appliqué le bon seuil pour conclure que RA était interdit de territoire pour des motifs sanitaires et qu’il n’a pas observé les principes d’équité procédurale. Le défendeur soutient donc qu’il n’existe désormais aucun différend entre les parties et que la Cour devrait accueillir la requête, annuler la décision de l’agent et renvoyer l’affaire à un autre agent d’IRCC pour nouvelle décision.

[6] Les demandeurs s’opposent à la requête du défendeur au motif qu’elle ne traite pas de leur demande de jugement déclaratoire concernant la constitutionnalité du paragraphe 38(1) de la LIPR ni de la réparation connexe visant l’annulation de ce paragraphe et d’autres dispositions législatives et réglementaires. Les demandeurs affirment notamment que, peu importe l’issue d’un réexamen de la demande de permis d’études de RA, il serait discriminatoire d’assujettir ce dernier à l’application du paragraphe 38(1) de la LIPR dans le cadre de ce réexamen.

[7] En réponse, le défendeur soutient qu’à moins de circonstances exceptionnelles, le principe de retenue judiciaire commande à la Cour de ne pas statuer sur des questions constitutionnelles s’il n’est pas nécessaire de le faire pour régler le différend qui oppose les parties. Le défendeur renvoie la Cour au paragraphe 24 de l’arrêt R c McGregor, 2023 CSC 4, et au paragraphe 76 de la décision Kiss c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1147.

[8] Dans la décision relative au contrôle judiciaire dans l’affaire Kiss, le juge Fothergill a accueilli les demandes de contrôle judiciaire des décisions par lesquelles un agent de l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC] avait annulé les autorisations de voyage électroniques des demandeurs, les empêchant ainsi de prendre des vols à destination du Canada. Comme en l’espèce, le défendeur a concédé que la décision de l’agent, qui était fondée sur l’association des demandeurs avec d’autres personnes qui avaient demandé le statut de réfugié au Canada, devait être annulée au motif qu’elle était déraisonnable et inéquitable sur le plan procédural. Le défendeur a cependant soutenu que la Cour ne devait pas rendre le jugement déclaratoire sollicité par les demandeurs, portant que l’indicateur « association avec des réfugiés » appliqué par l’agent de l’ASFC était discriminatoire et contrevenait au paragraphe 15(1) de la Charte ainsi qu’au droit international en matière de droits de la personne (aux para 1-5).

[9] Sur ce dernier point, le juge Fothergill a souscrit à l’avis du défendeur, invoquant le principe de la retenue judiciaire et concluant qu’il n’était pas nécessaire d’examiner les arguments des demandeurs selon lesquels il y avait eu violation de la Charte ou du droit international en matière de droits de la personne (aux para 75-76).

[10] Cependant, le juge Fothergill a expliqué au paragraphe 20 que l’historique procédural des demandes comprenait une requête du défendeur visant l’annulation de la décision de l’agent de l’ASFC et le renvoi de l’affaire à un autre décideur pour nouvelle décision, requête à laquelle les demandeurs s’étaient opposés au motif que l’annulation de leurs autorisations de voyage électroniques était illégale et que les mesures de réparation proposées par le défendeur étaient donc inadéquates. La juge Heneghan a rejeté la requête du défendeur (Kiss c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1247).

[11] Dans sa décision relative à la requête dans l’affaire Kiss, la juge Heneghan a accepté l’argument des demandeurs selon lequel la mesure de réparation proposée par le défendeur ne correspondait pas à celle sollicitée dans leur avis de demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. La Cour a conclu que les demandeurs avaient le droit de s’opposer à la requête du défendeur et de solliciter la mesure de réparation demandée dans leur avis de demande (aux para 11-13).

[12] Peu d’éléments me permettent d’établir une distinction entre la présente requête et celle dans l’affaire Kiss. Il demeure loisible au défendeur de faire valoir, à l’audition de la demande en l’espèce, que le principe de la retenue judiciaire justifie la décision de ne pas examiner les arguments constitutionnels des demandeurs, comme dans la décision relative au contrôle judiciaire dans l’affaire Kiss. Toutefois, se fondant sur la jurisprudence, la Cour n’est pas disposée à accueillir la requête du défendeur et, de ce fait, à empêcher les demandeurs de présenter leur demande et de solliciter les mesures de réparation qui ne sont pas concédées par le défendeur.

[13] Par conséquent, dans mon ordonnance, je rejetterai la requête du défendeur. Par ailleurs, il n’est pas nécessaire que la Cour examine les autres arguments avancés par les parties, notamment ceux concernant la qualité du deuxième demandeur, le Réseau juridique VIH, pour agir dans l’intérêt public. Je n’adjugerai aucuns dépens.

ORDONNANCE dans le dossier IMM-12720-23

LA COUR REND L’ORDONNANCE suivante : La requête est rejetée, et aucuns dépens ne sont adjugés.

« Richard F. Southcott »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-12720-23

INTITULÉ :

RA, RÉSEAU JURIDIQUE HIV c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

ORDONNANCE RENDUE SUR LA BASE DES OBSERVATIONS ÉCRITES

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

LE 18 juin 2024

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Matthew Wilton

Pour le demandeur

(R.A.)

Anne-Rachelle Boulanger

POUR LE DEMANDEUR

(RÉSEAU JURIDIQUE VIH)

Judy Michaely

Nimanthika Kaneira

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Battista Migration Law Group

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

(R.A.)

Réseau juridique VIH

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

(RÉSEAU JURIDIQUE VIH)

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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