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Date : 20240605


Dossier : IMM-1790-23

Référence : 2024 CF 847

Québec (Québec), le 5 juin 2024

En présence de monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

MUKESH KUMAR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, Mukesh Kumar, est citoyen de l’Inde. Il sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 12 janvier 2023 par la Section d’appel des réfugiés [SAR] confirmant la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] qu’il n’est pas un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger, tel que défini aux articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], en raison de l’existence de possibilités de refuge interne [PRI] dans d’autres villes en Inde.

[2] Les faits en l’espèce sont les suivants. Le demandeur aurait été arrêté par la police en novembre 2017 après s’être entretenu avec un homme qu’il a rencontré en marchant dans son quartier à Jaipur. À l’insu du demandeur, l’homme en question était soupçonné par la police d’être un militant sikh. Le demandeur aurait été questionné par la police, agressé et emprisonné pendant deux jours et accusé de trahison. Il a été libéré lorsqu’un pot-de-vin a été versé par son père et aucune accusation n’a été déposée contre lui. Néanmoins, le demandeur aurait été ramené au poste de police à deux reprises afin d’être questionné davantage et ensuite libéré. Craignant pour sa sécurité, le demandeur a entrepris des démarches pour obtenir un visa canadien afin de quitter l’Inde. À son arrivée au Canada le 6 mai 2018, le demandeur a demandé l’asile au motif qu’il craignait d’être faussement emprisonné par la police et tué par ceux-ci s’il devait retourner en Inde.

[3] Il est convenu qu’il revient au demandeur de démontrer, selon la balance des probabilités, que les PRI identifiées par la SPR ne sont pas viables, car 1) il risquerait d’y être persécuté ou serait sujet à un risque ou une menace grave; et 2) que, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles lui étant particulières, la situation dans les PRI proposées est telle qu’il serait déraisonnable d’y chercher refuge.

[4] La SAR, à l’instar de la SPR, a déterminé en analysant le premier volet du critère relatif à la PRI que le demandeur n'avait pas réussi à établir que la police aurait les moyens et la motivation de le retracer dans les PRI identifiées. Pour ce qui est du deuxième volet, la SAR a confirmé l’analyse de la SPR qui concluait qu’il était raisonnable pour le demandeur de se relocaliser dans une des PRI proposées. Le demandeur ne conteste pas cette dernière conclusion.

[5] Le demandeur conteste uniquement le raisonnement de la SAR pour ce qui est du premier volet de la PRI et son traitement de la preuve au dossier. Il reproche à la SAR d'avoir avalisé ou confirmé ce qu'il considère être des erreurs d’appréciation de la preuve par la SPR.

[6] Chose étrange, le demandeur maintient que les lettres d’appui déposées à l’audience permettent de confirmer que la police le recherche encore activement. Rappelons, cependant, que la SAR a conclu que la SPR a commis une erreur dans sa conclusion d’accorder peu de poids aux lettres présentées par le demandeur. La SAR a plutôt accordé un grand poids à la preuve présentée par le demandeur relativement aux visites récentes de la police à sa résidence familiale à Jaipur et a reconnu que la police est toujours à sa recherche. Néanmoins, la question déterminante que la SAR devait trancher concernait la PRI, et non pas d’évaluer si le demandeur serait sujet à un risque ou menace grave advenant son retour à Jaipur. Le tribunal a examiné longuement la preuve dont il disposait et a conclu que le demandeur avait une PRI viable.

[7] Le demandeur prétend que la SAR a erré en déterminant que l’agent persécuteur, identifié comme étant l’État, n’avait pas la motivation ou la capacité de le retrouver ailleurs en Inde. Il soutient que l’absence d’accusation formelle contre lui « ne permet raisonnablement pas de conclure que la motivation à [le retrouver en serait diminuée] et que ce n’est pas parce que les policiers l’ont relâché qu’ils n’ont pas la motivation pour le retrouver ». Cependant, la preuve soumise par le demandeur montre que la police se limite à poursuivre les individus reconnus coupables d’un crime et qui se sont évadés de prison. La police traque également les individus formellement accusés d’activités terroristes. La situation du demandeur ne s’apparente pas à ces profils.

[8] Le demandeur affirme que le système d'enregistrement des locataires est bien en vigueur en Inde et que des accusations officielles n'ont pas à être déposées pour que le demandeur soit retrouvé grâce à ce système. Selon le demandeur, il était objectivement déraisonnable de s'attendre à ce qu’il dépose de la preuve à l’effet qu’il ne se trouve pas dans la base policière de données informatiques connue sous le nom de Crime and Criminal Tracking Network & System, soit le réseau de suivi des crimes et des criminels [CCTNS].

[9] Le demandeur omet de mentionner qu’il s’agit là des mêmes arguments qui ont été soulevés devant la SPR et entièrement rejetés par celle-ci avec des motifs détaillés à l’appui. La SAR a souscrit à l’analyse de la SPR qui avait constaté qu’il n’existe pas de force policière nationale en Inde, que la possibilité de surveiller et poursuivre des suspects est limitée, que la communication policière interétatique est limitée, que le CCTNS, qui permettrait la surveillance de suspects, n’est pas fonctionnel à travers le pays, et que l’information des personnes d’intérêt se retrouve dans des bases de données classifiées qui ne sont pas partagées avec d’autres états.

[10] Il n’était donc pas déraisonnable pour la SAR de conclure que le demandeur n’a pas le profil d’un individu qui serait poursuivi par la police dans les PRI proposées.

[11] La décision de la SAR est bien rédigée et soutenue par la preuve devant elle. Une cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve et réévaluer la preuve devant le décideur (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 125).

[12] En somme, je ne vois aucune raison d’infirmer la décision de la SAR qui possède les attributs d’intelligibilité, de transparence et de justification d’une décision raisonnable.

[13] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[14] Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.


JUGEMENT au dossier IMM-1790-23

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée; et

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

« Roger R. Lafrenière »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-1790-23

INTITULÉ :

MUKESH KUMAR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 MAI 2024

JUGEMENT ET motifs :

LE JUGE LAFRENIÈRE

DATE DES MOTIFS :

LE 5 JUIN 2024

COMPARUTIONS :

Me Julien Saint-Amour Lavigne

Pour le demandeur

Me Nadine Saadé

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Julien Saint-Amour Lavigne

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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