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Date : 20240528


Dossier : T-2245-23

Référence : 2024 CF 809

Ottawa (Ontario), le 28 mai 2024

En présence de l’honorable juge Roy

ENTRE :

JOSUÉ ROUSSEL

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les cours fédérales, LRC 1985, c F-7. Le demandeur, Josué Roussel, conteste la décision de troisième examen d’une agente de validation de l’Agence du revenu du Canada [ARC], rendue le 28 septembre 2023, le trouvant inadmissible à la Prestation canadienne de relance économique [PCRE] pour les périodes 1 à 3. Il se plaint de la décision rendue sans identifier la norme de contrôle. Il n’est pas d’accord avec la décision et il critique l’assistance reçue des fonctionnaires qui ont traité son dossier.

[2] La demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

II. Remarques préliminaires : « deuxième examen subséquent » ou « troisième examen »

[3] Trois agentes de l’ARC ont chacune effectué un examen du dossier du demandeur. La décision de premier examen fut rendue le 19 février 2021 par Mme Clémentine Sibomona. La décision de deuxième examen fut rendue le 3 août 2023 par Mme Mélanie Lajoie. La décision de troisième examen fut rendue le 28 septembre 2023 par Mme Joëlle St-Germain. Cependant, la lettre envoyée au demandeur le 28 septembre 2023 indique comme objet « Deuxième examen de votre demande de [PCRE] ». En revanche, le rapport rédigé conjointement avec cette lettre s’appelle « Rapport de troisième examen ». C’est que M. Roussel a demandé une reconsidération après que la seconde décision ait été rendue en s’adressant au Commissaire de l’Agence du revenu; c’est l’ARC qui est chargée de l’administration du programme, même si c’est le ministre de l’Emploi et du Développement social qui en est responsable. C’est de cette reconsidération dont il est question sur contrôle judiciaire, celle-ci étant la décision finale.

[4] Pour meilleure clarté dans la présente décision, j’utilise le terme « décision de troisième examen » pour décrire la décision du 28 septembre 2023 rendue par Mme St-Germain.

III. Faits

[5] Le demandeur était un enseignant qui a cessé de travailler le 7 juin 2019. Il vivait de l’assurance-emploi jusqu’au 1er février 2020.

[6] Le demandeur a demandé et reçu la Prestation canadienne d’urgence [PCU] pour les périodes 1 à 7, du 15 mars 2020 au 26 septembre 2020. Celle-ci est devenue disponible en vertu de la Loi sur la prestation canadienne d’urgence, LC 2020, c 5, art 8.

[7] Le demandeur a aussi demandé et reçu la PCRE pour les périodes 1 à 3, du 27 septembre 2020 au 7 novembre 2020. Il s’agit de prestations différentes de la PCU qui ont été rendues disponibles grâce à une loi particulière, la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique, LC 2020, c 20, art 2. La prestation en notre espèce procède de la Partie I de cette loi. On y retrouve les conditions d’admissibilité à ce programme à l’article 3.

[8] Les prestations étaient accordées sans examen préalable. Mais un examen ex post facto peut être fait et le cas du demandeur a été sélectionné à cet effet. Entre le 27 novembre 2020 et 16 décembre 2020, le demandeur a transmis plusieurs documents justificatifs à l’ARC (Dossier du défendeur, Affidavit de Joëlle St-Germain, Pièce C, aux pp 32-69; Dossier certifié du tribunal, Onglet 14.1-14.7, aux pp 89-127).

[9] Le 9 décembre 2020, l’agente responsable du premier examen du dossier du demandeur a conclu que le demandeur était inadmissible à la PCU.

[10] Le 19 février 2021, la même agente l’a également jugé inadmissible à la PCRE pour le motif suivant :

  • -Vous n’avez pas cessé de travailler ou vos heures de travail n’ont pas été réduites en raison de la COVID-19.

[11] Le demandeur a fait une demande de deuxième examen de son admissibilité à la PCU et la PCRE.

[12] Entre le 30 mars 2023 et le 28 juin 2023, le demandeur a transmis plusieurs documents additionnels à l’ARC (Dossier du défendeur, Affidavit de Joëlle St-Germain, Pièce E, aux pp 73-116); Dossier certifié du tribunal, Onglet 14.8-14.9, aux pp 128-171).

[13] Le 3 août 2023, l’agente responsable du deuxième examen a conclu que le demandeur était inadmissible à la PCU et à la PCRE pour les périodes demandées. Les motifs suivants ont été donnés pour la décision sur la PCRE :

  • -Vous ne travaillez pas pour des raisons autres que la COVID-19.

  • -Vous n’avez pas eu une baisse de 50 % de votre revenu hebdomadaire moyen par rapport à l’année précédente pour des raisons liées à la COVID-19.

[14] Le 12 août 2023, le demandeur adresse un courriel au Commissaire de l’ARC, pour exprimer son mécontentement à l’égard du processus de révision de son dossier. Il a inclus les documents qu’il avait déjà envoyés à l’ARC en pièces jointes.

[15] Le 28 septembre 2023, l’agente responsable du troisième examen du dossier du demandeur, Mme Joëlle St-Germain, a conclu que le demandeur est admissible à la PCU pour les périodes demandées, mais inadmissible à la PCRE. Les motifs suivants ont été donnés pour la décision sur la PCRE :

  • -Vous ne travaillez pas pour des raisons autres que la COVID-19.

  • -Vous étiez capable de travailler, mais ne cherchiez pas d’emploi.

[16] Le 24 octobre 2023, le demandeur dépose sa demande de contrôle judiciaire de la décision de troisième examen portant sur l’inadmissibilité à la PCRE. Aucune demande n’a été faite par le Procureur général pour contester l’admissibilité du demandeur au titre de la PCU.

IV. Décision assujettie à la demande de contrôle judiciaire : la décision de troisième examen

[17] Seule l’inadmissibilité de M. Roussel pour la PCRE se trouve devant la Cour. Les raisons pour lesquelles les prestations au titre de la PCRE sont refusées sont élaborées aux notes au dossier du demandeur, dans le journal de communication de système tenu par l’Agence du revenu du Canada. Ces notes sont partie intégrante de la décision rendue (Aryan c Canada (Procureur général), 2022 CF 139, au para 22 et la jurisprudence y citée et celle qui a suivi).

[18] Quant au premier motif de refus, l’agente souligne, dans le rapport de troisième examen, que le dernier jour d’emploi du demandeur remonte au 7 juin 2019. Le demandeur a ensuite fait une demande d’assurance-emploi puisqu’il avait accumulé suffisamment d’heures assurables pour y être admissible. Le demandeur bénéficiait donc de l’assurance-emploi jusqu’au 1er février 2020. Ainsi, l’agente conclut que la fin de l’emploi du demandeur en juin 2019 « n’est en aucun cas en lien avec la COVID-19 » (Dossier certifié du tribunal, Onglet 8, à la p 54). L’agente conclut que le demandeur ne travaillait pas, mais c’était pour des raisons autres que la COVID‑19.

[19] Au sujet du deuxième motif de refus, l’agente note le fait que le demandeur ne savait pas qu’il devait être la recherche d’un emploi afin d’être admissible à la PCRE. Il a seulement commencé à chercher un emploi « après s’être vu couper ses prestations d’urgence » (Dossier certifié du tribunal, Onglet 8, à la p 54). Les lettres portant sur sa recherche d’emploi, toutes deux datées du 15 décembre 2020, sont postérieures aux trois périodes pour lesquelles il a fait des demandes à la PCRE. Ainsi, l’agente conclut que le demandeur était capable de travailler, mais ne cherchait pas un emploi.

V. Questions en litige

[20] Il y a trois questions en litige :

  1. Quelle est la norme de contrôle de la décision de troisième examen?

  2. En fonction de cette norme, est-ce que la décision donne l’ouverture au contrôle judiciaire demandé?

  3. La décision contestée était-elle prédéterminée?

VI. Norme de contrôle

[21] Le demandeur ne présente pas d’observation sur les normes de contrôles applicables aux questions qu’il soulève. Le défendeur affirme que la décision de troisième examen devrait être révisée selon la norme de la décision raisonnable. Je suis d’accord. La jurisprudence est unanime, à ma connaissance, pour déclarer que la norme de contrôle sur le mérite d’une décision en matière de prestations en lien avec la COVID-19 est la norme de la décision raisonnable (Aryan, aux para 15-16; Hayat c Canada (Procureur général), 2022 CF 131, au para 14; généralement au sujet de la présomption que la norme est celle de la décision raisonnable voir Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21, au para 7). Ainsi, le rôle de la Cour est de déterminer « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes [je souligne] » tout en faisant preuve de déférence envers les conclusions des décideurs administratifs (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 653 [Vavilov], aux para 99, 85). De plus, c’est le demandeur qui a le fardeau de démontrer le caractère déraisonnable de la décision contestée (Vavilov, au para 100). Dans Mason, la Cour résume en quelques lignes le principe de déférence auquel le juge en révision est tenu : « Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable a pour point de départ la retenue judiciaire et doit être centré sur « la décision même qu’a rendue le décideur administratif, notamment sur sa justification, et non sur la conclusion à laquelle [la cour de révision] serait parvenue à la place du décideur administratif » » (Mason, au para 8, référant à Vavilov, aux para 5 et 24).

[22] Le demandeur laisse aussi entendre que le résultat de la décision était prédéterminé. Il s’agit d’une question d’équité procédurale. Les questions de partialité des décideurs sont généralement comprises comme étant tranchées selon la norme de contrôle de la décision correcte (Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196, au para 35). Pour dire les choses autrement, cela implique que la Cour de révision ne fasse preuve d’aucune déférence à l’égard du décideur administratif. Si l’équité procédurale n’a pas été respectée, la cour de révision se doit d’intervenir. La jurisprudence récente de la Cour d’appel fédérale met l’emphase sur une analyse contextuelle de « la nature des droits concernés et les conséquences pour les parties touchées » (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au para 55). Ces principes ont récemment été énoncés utilement par le juge Gascon dans la décision Pothier c Canada (Procureur général), 2024 CF 478 :

[39] Il appartient à la cour de révision de se demander, « en mettant nettement l’accent sur la nature des droits substantiels concernés et les conséquences pour la personne, si un processus juste et équitable a été suivi » (CCP au para 54). Par conséquent, lorsqu’une demande de contrôle judiciaire porte sur l’équité procédurale et sur des manquements aux principes de justice fondamentale, la véritable question n’est pas tant de savoir si la décision était « correcte ». C’est plutôt de déterminer si, compte tenu du contexte particulier et des circonstances de l’espèce, le processus suivi par le décideur administratif était équitable et a donné aux parties concernées le droit de se faire entendre devant un décideur impartial ainsi que la possibilité complète et équitable d’être informées de la preuve à réfuter et d’y répondre. Les cours de révision n’ont pas à faire preuve de déférence envers le décideur administratif sur des questions ayant trait à l’équité procédurale.

[Je souligne].

VII. Dispositions pertinentes

[23] L’article 3 de la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique énumère les critères d’admissibilité pour la PCRE. L’alinéa 3(1)f) de la Loi exige qu’un demandeur n’ait pas exercé un emploi, ou ait vu une réduction de son travail d’au moins 50 %, pour des raisons liées à la COVID-19. De plus, l’alinéa 3(1)i) de la Loi exige qu’un demandeur ait fait des recherches pour trouver un emploi « au cours de la période de deux semaines » pour laquelle les prestations sont demandées. Ce sont là les exigences légales, qui n’ont rien à voir avec une discrétion quelconque.

VIII. Arguments des parties et analyse

A. Arguments du demandeur

[24] Le demandeur soumet que, puisqu’il est admissible à la PCU, il devrait également être admissible à la PCRE, car « [l]e programme de la PCRE découle de la PCU » (Avis de demande, au para 14). Il affirme que « [l]’agente ne prend pas en considération que la PCRE est comme la PCU à la base et que la PCRE s’appliquait à une ouverture du marché du travail » (Avis de demande, au para 30). Le demandeur soutient également que les décisions des décideuses administratives ont perdu toute crédibilité, car les trois agentes qui ont analysé son dossier n’ont pas fondé leurs décisions sur les mêmes motifs d’inadmissibilité (Avis de demande, au para 18).

[25] Il reproche également ne pas avoir été informé qu’il devait fournir des preuves de sa recherche d’emploi (Avis de demande, aux para 15, 17). De plus, il affirme qu’il y a une « désorganisation évidente » dans la prise de décision, car il y avait de la confusion quant à savoir s’il devait envoyer ses pièces justificatives au bureau de l’ARC de Sudbury ou au bureau de Jonquière (Avis de demande, aux para 16, 19).

[26] Le demandeur présente également l’argument que son contrat d’emploi, qui s’est terminé le 7 juin 2019, n’aurait pas dû être utilisé comme preuve de son inadmissibilité à la PCRE, car ce même fait a été utilisé pour démontrer ses revenus pour l’année 2019 (Avis de demande, au para 27).

[27] Étonnement, le mémoire des faits et du droit, où on devrait s’attendre à ce que les propositions mises de l’avant dans l’avis de demande soient articulées et soutenues d’arguments est, pour ainsi dire, muet à cet égard. Il renvoie plutôt à l’affidavit détaillé qui constitue un amalgame de griefs relatifs à la PCU et la PCRE. N’est devant la Cour que le troisième refus d’accorder la PCRE.

B. Arguments du défendeur

[28] Le défendeur affirme que la décision de troisième examen est raisonnable et fut fondée sur « l’entièreté de la preuve qui était à la disposition du décideur » (Mémoire du défendeur, au para 20). Le défendeur souligne le fait que le demandeur a arrêté de travailler le 7 juin 2019 et vivait de l’assurance-emploi jusqu’au 1er février 2020. Ainsi, il était raisonnable pour l’agente de conclure que le demandeur a arrêté de travailler pour des raisons autres que la COVID-19 (Mémoire du défendeur, au para 21).

[29] Sur le deuxième motif invoqué pour le refus de considérer le demandeur admissible à la PCRE, le défendeur souligne que le demandeur s’est seulement mis à la recherche d’un emploi lorsque son dossier était en cours d’examen, après que les périodes pour lesquelles il a postulé au programme de prestations soient déjà écoulées. Ainsi, le demandeur « n’était pas au courant qu’un des critères d’admissibilité à PCRE était la recherche active d’un emploi au cours des périodes visées par les demandes de PCRE » (Mémoire du défendeur, aux para 23, 24). À la lumière de la preuve au dossier, le défendeur soutient que la décision de l’agente responsable du troisième examen est raisonnable.

C. Analyse

[30] La Cour conclut que le demandeur n’a pas démontré une erreur révisable dans la décision de troisième examen. Un demandeur doit satisfaire chacune des exigences de la Loi. Ainsi, il suffirait que l’une des raisons données par le décideur soit raisonnable pour que le contrôle judiciaire échoue. À mon sens, les deux motifs fournis ont tous les apanages de la décision raisonnable.

[31] Le demandeur présente l’argument que « [l]e programme de la PCRE découle de la PCU » et donc qu’il devrait être admissible aux deux prestations. C’est mal comprendre ce que les deux lois requièrent. Il s’agit de deux prestations distinctes, créées par deux lois différentes. La PCU et la PCRE n’ont pas les mêmes conditions d’admissibilité. Notamment, l’alinéa 3(1)(i) de la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique requiert qu’une personne qui reçoit la PCRE « fait des recherches pour trouver un emploi ou du travail à exécuter pour son compte au cours de la période de deux semaines » pour laquelle elle reçoit la prestation. En revanche, la Loi sur la prestation canadienne d’urgence n’inclut pas une exigence de recherche d’emploi comme condition d’admissibilité à la PCU. Il n’est donc pas déraisonnable en soi que l’agente responsable du troisième examen soit parvenue à des conclusions différentes quant à l’admissibilité aux deux prestations.

[32] Puisque le demandeur se plaint d’incongruités entre les décideuses, il n’est pas inutile de réciter les motifs invoqués dans les trois décisions relatives à la PCRE car, à mon avis, ils ne se contredisent pas comme le demandeur le prétend :

Lettre du 19 février 2021

- Vous n’avez pas cessé de travailler ou vos heures de travail n’ont pas été réduites en raison de la COVID-19.

Lettre de 3 août 2023

- Vous ne travaillez pas pour des raisons autres que la COVID-19.

- Vous n’avez pas eu une baisse de 50 % de votre revenu hebdomadaire moyen par rapport à l’année précédente pour des raisons liées à la COVID-19.

Lettre du 28 septembre 2023 (lettre de décision dont contrôle judiciaire est demandé)

- Vous ne travaillez pas pour des raisons autres la COVID-19.

- Vous étiez capable de travailler, mais ne cherchiez pas d’emploi.

[33] Les premiers motifs donnés par les trois décideuses administratives expriment tous la notion que la cessation de travailler n’avait pas à voir avec la COVID-19. L’alinéa 3(1)f) de la Loi sur les prestations de relance économique prévoit expressément que c’est pour des raisons liées à la COVID-19 que le demandeur de prestation n’a pas exercé d’emploi. Avec des formulations à peine différentes, les trois décideuses ont la même constatation et ont décidé que le demandeur n’avait pas cessé d’exercer un emploi pour une raison liée à la COVID-19.

[34] Les deux premières décideuses ont aussi ajouté que les heures de travail n’avaient pas subi de réduction en raison avec la COVID-19. C’est encore l’alinéa 3(1)f) de la Loi qui prévoit le tout spécifiquement. Il est fait double usage lorsque la décideuse stipule que la personne n’a pas exercé d’emploi pour des raisons non liées à la COVID-19 ou que les heures de travail ont été réduites en raison de la COVID-19. En effet, il coule de source que si la personne ne travaille pas pour des raisons non liées à la COVID-19, elle n’aura pas une réduction d’au moins 50 % de tous ses revenus hebdomadaires moyens d’emploi à cause de la COVID-19. La formulation est peut-être quelque peu boiteuse, mais il n’y a aucune inconsistance entre les deux premières décisions. Elles sont semblables, sinon identiques.

[35] Quant à la troisième décision, celle dont le contrôle judiciaire est demandé, elle ajoute un motif supplémentaire pour conclure que le demandeur n’est pas admissible à la PCRE. C’est que la troisième décideuse a révisé le dossier; elle en vient à la conclusion que le demandeur n’a pas « fait des recherches pour trouver un emploi ou du travail à exécuter pour son compte au cours de la période de deux semaines » comme le requiert expressément l’alinéa 3(1)i) de la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique. Les seules lettres tendant peut-être à indiquer une certaine recherche sont d’ailleurs postérieures aux trois périodes pour lesquelles le demandeur aura reçu des prestations aux titres de la PCRE. Du fait, les deux lettres, datées du 15 décembre 2020, ne font qu’attester une absence de poste d’enseignement à cette date. On voit mal en quoi la décision sous contrôle judiciaire serait déraisonnable sans preuve de concomitance entre la recherche d’emploi et la période pour laquelle la prestation de relance économique est demandée. Les deux lettres ne démontrent pas la concomitance requise par la Loi.

[36] L’argument du demandeur selon lequel il était déraisonnable que les motifs donnés par chaque agente pour le trouver inadmissible à la PCRE ne fussent pas identiques doit donc être rejeté. Chaque agente a procédé, comme il se doit, à une analyse indépendante du dossier dont elle était saisie. De plus, des preuves se sont ajoutées au dossier du demandeur entre chacune des nouvelles déterminations. Ainsi, le dossier qui était devant chaque agente n’était même pas identique. Elles étaient unanimes au sujet du premier motif. Cela suffirait pour disposer de l’examen. Quant au deuxième motif dans le troisième examen, il n’a pas été démontré qu’il était déraisonnable. Il n’a même pas été contesté. Il n’est donc pas déraisonnable que les décideuses soient parvenues à des conclusions substantiellement identiques, avec le troisième examen fournissant un motif supplémentaire de refus.

[37] De plus, le demandeur suggère dans son affidavit circonstancié que les fonctionnaires auraient dû expliquer au demandeur qu’il était obligé d’être à la recherche d’un emploi pour être admissible à la PCRE. Cela procède d’un argument que l’ignorance de la loi est une défense valide. Aucune autorité n’est venue soutenir une telle proposition. Comme vu plus tôt, la Loi sur les prestations canadiennes de relance économique prévoit spécifiquement les conditions requises. Dans un contexte analogue lié à l’accès aux prestations d’assurance-emploi, la Cour d’appel fédérale a jugé que l’ignorance de la loi ne constitue pas une excuse pour ne pas satisfaire aux critères imposés par la législation, et que les prestataires ont la responsabilité de prendre des mesures raisonnables pour comprendre leurs obligations (Canada (Procureur général) c Mendoza, 2021 CAF 36, aux para 13-18; Canada (Procureur général) c Somwaru, 2010 CAF 336, aux para 7-11). En ce qui concerne les prestations liées à la COVID-19, notre Cour a statué à plusieurs reprises qu’il incombe au demandeur de s’informer sur les critères d’admissibilité pour chaque prestation, et de prouver que ces critères ont été remplis (voir Walker c Canada (Procureur général), 2022 CF 381, au para 55 ; Ntuer c Canada (Procureur général, 2022 CF 1596 [Ntuer], au para 26; Lalonde c Canada (Agence du revenue), 2023 CF 41, au para 75; Payette c Canada (Procureur général), 2023 CF 131, au para 35).

[38] L’argument du demandeur selon lequel son contrat d’enseignement terminé le 7 juin 2019 aurait dû être utilisé uniquement comme moyen de prouver ses revenus pour l’année 2019, et non comme moyen de vérifier les autres critères d’admissibilité, est sans valeur. Les critères d’admissibilité pour la PCRE sont cumulatifs (Ntuer, au para 24; Grandmont c Canada (Procureur général), 2023 CF 1765, au para 37). Il n’est pas déraisonnable qu’une preuve qui établit une condition d’admissibilité puisse également démontrer le non-respect d’une autre condition.

[39] Le demandeur allègue que le résultat de la décision de troisième examen était prédéterminé (Avis de demande, au para 29) :

Je me suis aperçu qu’on se préparait pour prendre des décisions qui me seront défavorables à l’avance malgré les tonnes de plaidoyers, preuves, ou arguments. Il fallait que j’explique encore et encore malgré toutes les évidences. Ce qui est clair n’était jamais clair. C’était presque de l’harcèlement [sic]. J’étais toujours sur le mode auto-défense avec toute cette histoire. Si ce n’était pas le cas, ça n’aurait pas été aussi loin.

[40] Le demandeur fait également des arguments d’équité procédurale sur le processus suivi lors du deuxième examen (Décision du 3 août 2023). Les arguments soulevés peuvent être résumés brièvement :

  • La décision du 3 août 2023 a été prise trop rapidement (Avis de demande, au para 22).

  • L’ARC a fait des fausses représentations, car la lettre envoyée le 3 août 2023 était signée par le gestionnaire, M. Jean-François Perron, plutôt que l’agente responsable du deuxième examen (Avis de demande, au para 23).

  • La décision aurait dû être prise par un comité plutôt qu’une seule agente de vérification, car « [t]ous les angles sont rarement pris en considération si c’est seulement une personne qui prend les décisions. » (Avis de demande, au para 25).

  • La décision de l’agente responsable du deuxième examen était également prédéterminée (Avis de demande, au para 26).

[41] Le défendeur fait peu de cas des allégations et affirme qu’elles « ne sont fondées sur aucune preuve » (Mémoire du défendeur, au para 27). Il n’a pas tort. Ces allégations ne fondent pas une atteinte à l’équité procédurale. De toute manière, cette décision n’est pas assujettie à une demande de contrôle judiciaire.

[42] Le demandeur fait un commentaire selon lequel l’agente responsable du deuxième examen a dit, lors d’un appel téléphonique, « qu’elle n’était pas trop sûre ou « inquiète » pour la PCRE avant la prise de décision » (Avis de demande, au para 26; Affidavit circonstancié, au para 27). En fait, au pis-aller, la deuxième décideuse, si elle a tenu les propos rapportés par le demandeur, ne faisait qu’énoncer des doutes au sujet de la demande d’examen qu’elle prenait de toute manière dans une forme de délibéré pour ce qui était de la PCRE. Les commentaires, lorsque lus en contexte au paragraphe 27 de l’affidavit, ne manifestent rien de plus que la deuxième décideuse administrative aurait indiqué être « optimiste pour la PCU car toutes les preuves à l’appui étaient là, » tout en étant inquiète à l’égard de la PCRE. Il n’y a pas là atteinte démontrée à l’impartialité, mais plutôt une conversation sur le contenu du dossier avec ses forces et faiblesses. Encore ici, non seulement cette plainte n’est pas fondée, mais cette décision n’est pas devant la Cour.

[43] Le demandeur n’a aucunement démontré que le résultat de la décision du 28 septembre 2023 dont le contrôle judiciaire est demandé était prédéterminé. C’était son fardeau. Afin d’évaluer s’il existe une crainte raisonnable de partialité de la part d’un décideur, le test classique applicable est de considérer « à quelle conclusion en arriverait une personne bien renseignée qui étudierait la question en profondeur, de façon réaliste et pratique. Croirait-elle que, selon toute vraisemblance, [le décideur], consciemment ou non, ne rendra pas une décision juste? » (Committee for Justice and Liberty c Office national de l’énergie, 1976 CanLII 2 (CSC), [1978] 1 RCS 369, à la p 394, citée dans Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c Yukon (Procureure générale), 2015 CSC 25, [2015] 2 RCS 282 [Commission scolaire francophone du Yukon], au para 20). Puisqu’il s’agit d’une question « intrinsèquement contextuelle et fonction des faits » le fardeau sur le demandeur « est donc élevé » (Commission scolaire francophone du Yukon, au para 26. Voir aussi Sigma Chi Canadian Foundation v Canada (National Revenue), 2024 FCA 59, au para 13).

[44] En l’espèce, le demandeur ne fournit aucune preuve pour étayer son allégation selon laquelle l’agente responsable du troisième examen avait prédéterminé la question. Il fait simplement des déclarations sur sa frustration à l’égard du processus d’examen, et surtout du fait que les preuves qu’il a fournies n’ont pas été jugées suffisantes pour conclure qu’il était admissible à la PCRE (Avis de demande, au para 33). Cependant, il ne fournit pas de preuve directe ou circonstancielle tendant à démontrer la partialité de l’agente.

[45] De fait c’est au troisième examen que la décideuse administrative a accordé au demandeur les prestations au titre de la prestation d’urgence. Ce n’est certes pas l’attitude d’une décideuse qui a déterminé à l’avance que le demandeur avait tort. Elle a donné raison à M. Roussel sur une partie de sa demande de révision. Lors d’un appel avec le demandeur, Mme St-Germain a expliqué au demandeur qu’elle était « l’agent[e] assigné[e] à la révision de [son] dossier, » et que son « travail est d’en faire une analyse complète alors [elle] repar[t] à zéro » (Dossier certifié du tribunal, Onglet 3, à la p 31). Si, d’aventure, il avait pu y avoir une lacune procédurale menant à la deuxième décision, ce que je ne crois pas, un remède y aurait été appliqué grâce au troisième examen (voir Flock c Canada (Procureur général), 2022 CF 305, aux para 25-26). Comme dans Flock, une occasion complète de faire valoir ses arguments a été fournie au demandeur par l’agente qui a rendu la décision sous étude. En l’absence de preuve et même d’allégation, le demandeur n’a pas réussi à prouver partialité de la part de l’agente responsable du troisième examen.

[46] Le demandeur se plaint également d’une confusion quant à savoir à quel bureau de l’ARC, soit Sudbury ou Jonquière, la décision devait être prise. Le lieu où la décision sera prise est sans importance. Ce qui est important est que la décideuse administrative ait eu devant elle toute la documentation fournie par le demandeur. La décideuse administrative a déclaré dans son affidavit avoir reçu les nouvelles représentations du demandeur et l’ensemble du dossier. Les notes confirment que le demandeur n’a pas soumis de documentation additionnelle pour le troisième examen (Dossier certifié du tribunal, Onglet 3, aux pp 34-35). Aucune contestation à l’égard du dossier que la décideuse administrative dit avoir consulté n’a été soumise. Il n’y a donc aucune raison de douter de la qualité du dossier mis devant la décideuse. Cela aurait certainement pu constituer un manquement à l’équité procédurale s’il avait été établi que l’agente responsable du troisième examen n’avait pas pris en compte les documents soumis par le demandeur. Mais ce ne fut pas le cas. La preuve est tout à fait à l’effet contraire. Il n’y a donc aucune atteinte à l’équité procédurale.

IX. Conclusion

[47] En conséquence, la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée. La conclusion tirée lors du troisième examen de refus d’accorder au demandeur des prestations au titre de la PCRE est raisonnable en ce qu’elle est conforme à la loi applicable à ces prestations. De plus, il n’a pas été démontré une violation à l’équité procédurale.

[48] Le défendeur a requis ses dépens au cas où il réussirait dans sa défense face à la demande de contrôle judiciaire. Les parties avaient convenu que des dépens à hauteur de 500 $ devraient être adjugés. La Cour limite donc les dépens à une somme forfaitaire de 500 $.


JUGEMENT au dossier T-2245-23

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Des dépens de 500 $, qui incluent déboursés et taxes, sont adjugés au défendeur.

« Yvan Roy »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2245-23

 

INTITULÉ :

JOSUÉ ROUSSEL c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AFFAIRE ENTENDUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 22 AVRIL et le 21 mai 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE Roy

 

DATE DES MOTIFS :

LE 28 mai 2024

 

COMPARUTIONS :

Josué Roussel

Pour le demandeur

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Me Noémie Martel

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

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