Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 20240604

Dossier: IMM-12565-22

Référence: 2024 CF 840

Ottawa (Ontario), le 4 juin 2024

En présence de monsieur le juge Régimbald

ENTRE :

JASMIN ADRIANA RIVERA CALAMBAS

partie demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

partie défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse est citoyenne de la Colombie. Elle demande le contrôle judiciaire d’une décision de l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] datant du 22 octobre 2022 [Décision]. Dans cette Décision, l’ASFC détermine que la demande d’asile de la demanderesse est irrecevable en vertu de l’alinéa 101(1)c) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[2] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. La Décision de l’ASFC est claire, justifiée, et intelligible au regard de la preuve soumise (Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 [Mason] au para 8; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 99). La demanderesse ne s’est pas déchargée de son fardeau de démontrer que la Décision de l’ASFC était déraisonnable.

II. Contexte factuel

[3] La demanderesse, Mme Jasmin Adriana Rivera Calambas [demanderesse], est citoyenne de la Colombie. Elle demande l’asile au Canada en revendiquant craindre pour sa vie en Colombie en raison de menaces qu’elle aurait reçues.

[4] Le 8 juillet 2022, la demanderesse aurait quitté la Colombie en direction du Mexique et elle serait arrivée aux États-Unis le 19 juillet 2022.

[5] Le 2 août 2022, la demanderesse et son fils se sont présentés au point d’entrée de Peace Bridge pour faire une demande d’asile au Canada. Cette première demande d’asile au Canada fut jugée irrecevable en vertu de l’alinéa 101(1)e) de la LIPR en raison de l’application de l’entente sur les tiers pays sûrs, puisque la demanderesse venait directement des États-Unis. La demanderesse a fait l’objet d’une mesure d’exclusion pour une période d’une année et son renvoi a été confirmé cette même journée.

[6] Dans ses notes du 2 août 2022, l’ASFC indique que la demanderesse a déclaré ne pas avoir un membre de sa famille au Canada après avoir répondu « non » à la question « do you have any of the following family members in Canada: a grandmother or grandfather, a mother or father, a sister or brother, any other half-sister or half-brother, any aunts or uncles or a niece or nephew, any children [?] ».

[7] Dans cette même Décision, l’ASFC a déterminé, dans le cas du fils de la demanderesse, qu’une des exceptions à l’entente sur les tiers pays sûrs s’appliquait à lui puisqu’il a démontré avoir une tante paternelle citoyenne canadienne résident au Québec. L’ASFC recommande ainsi qu’il soit éligible à ce que sa demande d’asile soit référée. Malgré ceci, la demanderesse a décidé de quitter le Canada avec son fils.

[8] Le 19 octobre 2022, la demanderesse, encore accompagnée de son fils, a demandé asile au Canada une seconde fois en entrant au Canada par le chemin Roxham. Le 22 octobre 2022, l’ASFC détermine que la demande d’asile de la demanderesse est irrecevable en vertu de l’alinéa 101(1)c) de la LIPR. La demanderesse dépose une demande de contrôle judiciaire de cette Décision.

III. Décision contestée

[9] Dans sa Décision, l’ASFC statue premièrement qu’en vertu de l’article 159.4 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [RIPR], l’entente des tiers pays sûrs ne s’applique pas à une localisation qui n’est pas un point d’entrée désigné. La demanderesse n’est donc pas inéligible pour la seule raison qu’elle est entrée par le chemin Roxham, ou du fait qu’elle n’a aucun membre de sa famille au Canada.

[10] L’ASFC détermine ensuite que la demande d’asile de la demanderesse n’est pas recevable en vertu de l’alinéa 101(1)c) de la LIPR puisqu’elle s’est vu refuser une première demande d’asile le 2 août 2022 au point d’entrée de Peace Bridge en vertu de l’alinéa 101(1)e) de la LIPR (entente sur les tiers pays sûrs) et a fait l’objet d’une mesure d’exclusion pour une période d’une année en raison de son entrée à Peace Bridge qui fut jugée irrecevable.

[11] L’ASFC explique qu’un ordre d’expulsion a été émis puisque la demanderesse est revenue sans autorisation de retour durant sa période d’exclusion d’une année. L’ASFC ajoute, dans ses notes au système mondial de gestion des cas du 22 octobre 2022, que la demanderesse est inadmissible puisqu’elle cherche à s’établir au Canada sans avoir préalablement appliqué et obtenu une autorisation de retour, contrairement à l’article 52 de la LIPR.

[12] Suivant un rapport aux termes du paragraphe 44(1) de la LIPR dans lequel il fut déterminé que la demanderesse est interdite de territoire en vertu du paragraphe 41, une mesure d’expulsion ainsi qu’une mesure d’exclusion sont aussi émises le 22 octobre 2022.

[13] L’ASFC statue finalement que la demande d’asile du dépendent, le fils de la demanderesse, est recevable et que celle-ci a été déférée à la Commission de l’immigration et du statut de réfugié.

IV. Norme de contrôle et questions en litige

[14] La seule question en litige devant la Cour est à savoir si la Décision de l’ASFC à l’effet que la demande d’asile de la demanderesse n’est pas recevable est raisonnable.

[15] La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Vavilov, aux para 10, 25; Mason, aux para 7, 39–44). Une décision raisonnable est « fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, au para 85; Mason, au para 8); et qui est justifiée, transparente et intelligible (Vavilov, au para 99; Mason, au para 59). Un contrôle selon la norme de la décision raisonnable n’est pas qu’une « simple formalité »; c’est une forme de contrôle rigoureuse (Vavilov, au para 13; Mason, au para 63). Une décision peut être déraisonnable si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte (Vavilov, aux para 125–126; Mason, au para 73). Finalement, il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Vavilov, au para 100).

V. Analyse

A. Le droit applicable

[16] Il importe de reproduire les articles de la LIPR et du RIPR pertinents au présent dossier. Premièrement, la version du paragraphe 101(1) de la LIPR en vigueur en 2022 se lit comme suit :

Irrecevabilité

Ineligibility

101 (1) La demande est irrecevable dans les cas suivants :

101 (1) A claim is ineligible to be referred to the Refugee Protection Division if

a) l’asile a été conféré au demandeur au titre de la présente loi;

(a) refugee protection has been conferred on the claimant under this Act;

b) rejet antérieur de la demande d’asile par la Commission;

(b) a claim for refugee protection by the claimant has been rejected by the Board;

c) décision prononçant l’irrecevabilité, le désistement ou le retrait d’une demande antérieure;

(c) a prior claim by the claimant was determined to be ineligible to be referred to the Refugee Protection Division, or to have been withdrawn or abandoned;

c.1) confirmation, en conformité avec un accord ou une entente conclus par le Canada et un autre pays permettant l’échange de renseignements pour l’administration et le contrôle d’application des lois de ces pays en matière de citoyenneté et d’immigration, d’une demande d’asile antérieure faite par la personne à cet autre pays avant sa demande d’asile faite au Canada;

(c.1) the claimant has, before making a claim for refugee protection in Canada, made a claim for refugee protection to a country other than Canada, and the fact of its having been made has been confirmed in accordance with an agreement or arrangement entered into by Canada and that country for the purpose of facilitating information sharing to assist in the administration and enforcement of their immigration and citizenship laws;

d) reconnaissance de la qualité de réfugié par un pays vers lequel il peut être renvoyé;

(d) the claimant has been recognized as a Convention refugee by a country other than Canada and can be sent or returned to that country;

e) arrivée, directement ou indirectement, d’un pays désigné par règlement autre que celui dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle;

(e) the claimant came directly or indirectly to Canada from a country designated by the regulations, other than a country of their nationality or their former habitual residence; or

f) prononcé d’interdiction de territoire pour raison de sécurité, pour atteinte aux droits humains ou internationaux — exception faite des personnes interdites de territoire au seul titre de l’alinéa 35(1)c) —, grande criminalité ou criminalité organisée.

(f) the claimant has been determined to be inadmissible on grounds of security, violating human or international rights, serious criminality or organized criminality, except for persons who are inadmissible solely on the grounds of paragraph 35(1)(c).

[17] La version de l’article 159.4 du RIPR en vigueur en 2022 quant à elle indique ce qui suit :

Non-application : points d’entrée autres que les points d’entrée par route

Non-application — ports of entry other than land ports of entry

159.4 (1) L’alinéa 101(1)e) de la Loi ne s’applique pas au demandeur qui cherche à entrer au Canada à l’un ou l’autre des endroits suivants :

159.4 (1) Paragraph 101(1)(e) of the Act does not apply to a claimant who seeks to enter Canada at

a) un endroit autre qu’un point d’entrée;

(a) a location that is not a port of entry;

b) un port, notamment un débarcadère de traversier, qui est un point d’entrée;

(b) a port of entry that is a harbour port, including a ferry landing; or

c) sous réserve du paragraphe (2), un aéroport qui est un point d’entrée.

(c) subject to subsection (2), a port of entry that is an airport.

Exception — transit

In transit exception

(2) Dans le cas où le demandeur cherche à entrer au Canada à un aéroport qui est un point d’entrée, l’alinéa 101(1)e) de la Loi s’applique s’il est en transit au Canada en provenance des États-Unis suite à l’exécution d’une mesure prise par les États-Unis en vue de son renvoi de ce pays.

(2) Paragraph 101(1)(e) of the Act applies to a claimant who has been ordered removed from the United States and who seeks to enter Canada at a port of entry that is an airport while they are in transit through Canada from the United States in the course of the enforcement of that order.

[18] De plus, comme discuté dans les paragraphes qui suivent, la demanderesse soumet que l’ASFC a erré en manquant de déterminer qu’elle bénéficie de la même exception que son fils sous l’article 159.5 du RIPR. Il importe ainsi de reproduire la version en vigueur en 2022 de cet article :

Non-application — demandeurs aux points d’entrée par route

Non-application — claimants at land ports of entry

159.5 L’alinéa 101(1)e) de la Loi ne s’applique pas si le demandeur qui cherche à entrer au Canada à un endroit autre que l’un de ceux visés aux alinéas 159.4(1)a) à c) démontre, conformément au paragraphe 100(4) de la Loi, qu’il se trouve dans l’une ou l’autre des situations suivantes :

159.5 Paragraph 101(1)(e) of the Act does not apply if a claimant who seeks to enter Canada at a location other than one identified in paragraphs 159.4(1)(a) to (c) establishes, in accordance with subsection 100(4) of the Act, that

a) un membre de sa famille qui est un citoyen canadien est au Canada;

(a) a family member of the claimant is in Canada and is a Canadian citizen;

b) un membre de sa famille est au Canada et est, selon le cas :

(b) a family member of the claimant is in Canada and is

(i) une personne protégée au sens du paragraphe 95(2) de la Loi,

(i) a protected person within the meaning of subsection 95(2) of the Act,

(ii) un résident permanent sous le régime de la Loi,

(ii) a permanent resident under the Act, or

(iii) une personne à l’égard de laquelle la décision du ministre emporte sursis de la mesure de renvoi la visant conformément à l’article 233;

(iii) a person in favour of whom a removal order has been stayed in accordance with section 233;

c) un membre de sa famille âgé d’au moins dix-huit ans est au Canada et a fait une demande d’asile qui a été déférée à la Commission sauf si, selon le cas :

(c) a family member of the claimant who has attained the age of 18 years is in Canada and has made a claim for refugee protection that has been referred to the Board for determination, unless

(i) celui-ci a retiré sa demande,

(i) the claim has been withdrawn by the family member,

(ii) celui-ci s’est désisté de sa demande,

(ii) the claim has been abandoned by the family member,

(iii) sa demande a été rejetée,

(iii) the claim has been rejected, or

(iv) il a été mis fin à l’affaire en cours ou la décision a été annulée aux termes du paragraphe 104(2) de la Loi;

(iv) any pending proceedings or proceedings respecting the claim have been terminated under subsection 104(2) of the Act or any decision respecting the claim has been nullified under that subsection;

d) un membre de sa famille âgé d’au moins dix-huit ans est au Canada et est titulaire d’un permis de travail ou d’un permis d’études autre que l’un des suivants :

(d) a family member of the claimant who has attained the age of 18 years is in Canada and is the holder of a work permit or study permit other than

(i) un permis de travail qui a été délivré en vertu de l’alinéa 206b) ou qui est devenu invalide du fait de l’application de l’article 209,

(i) a work permit that was issued under paragraph 206(b) or that has become invalid as a result of the application of section 209, or

(ii) un permis d’études qui est devenu invalide du fait de l’application de l’article 222;

(ii) a study permit that has become invalid as a result of the application of section 222;

e) le demandeur satisfait aux exigences suivantes :

(e) the claimant is a person who

(i) il a moins de dix-huit ans et n’est pas accompagné par son père, sa mère ou son tuteur légal,

(i) has not attained the age of 18 years and is not accompanied by their mother, father or legal guardian,

(ii) il n’a ni époux ni conjoint de fait,

(ii) has neither a spouse nor a common-law partner, and

(iii) il n’a ni père, ni mère, ni tuteur légal au Canada ou aux États-Unis;

(iii) has neither a mother or father nor a legal guardian in Canada or the United States;

f) le demandeur est titulaire de l’un ou l’autre des documents ci-après, à l’exclusion d’un document délivré aux seules fins de transit au Canada :

(f) the claimant is the holder of any of the following documents, excluding any document issued for the sole purpose of transit through Canada, namely,

(i) un visa de résident permanent ou un visa de résident temporaire visés respectivement à l’article 6 et au paragraphe 7(1),

(i) a permanent resident visa or a temporary resident visa referred to in section 6 and subsection 7(1), respectively,

(ii) un permis de séjour temporaire délivré au titre du paragraphe 24(1) de la Loi,

(ii) a temporary resident permit issued under subsection 24(1) of the Act,

(iii) un titre de voyage visé au paragraphe 31(3) de la Loi,

(iii) a travel document referred to in subsection 31(3) of the Act,

(iv) un titre de voyage de réfugié délivré par le ministre,

(iv) refugee travel papers issued by the Minister, or

(v) un titre de voyage temporaire visé à l’article 151;

(v) a temporary travel document referred to in section 151;

g) le demandeur :

(g) the claimant is a person

(i) peut, sous le régime de la Loi, entrer au Canada sans avoir à obtenir un visa,

(i) who may, under the Act or these Regulations, enter Canada without being required to hold a visa, and

(ii) ne pourrait, s’il voulait entrer aux États-Unis, y entrer sans avoir obtenu un visa;

(ii) who would, if the claimant were entering the United States, be required to hold a visa; or

h) le demandeur est :

(h) the claimant is

(i) soit un étranger qui cherche à rentrer au Canada parce que sa demande d’admission aux États-Unis a été refusée sans qu’il ait eu l’occasion d’y faire étudier sa demande d’asile,

(i) a foreign national who is seeking to re-enter Canada in circumstances where they have been refused entry to the United States without having a refugee claim adjudicated there, or

(ii) soit un résident permanent qui fait l’objet d’une mesure prise par les États-Unis visant sa rentrée au Canada.

(ii) a permanent resident who has been ordered removed from the United States and is being returned to Canada.

[19] Finalement, la définition du terme « membre de la famille » est importante en l’espèce, et se trouve à l’article 159.1 du RIPR :

 

Définitions

Definitions

159.1 Les définitions qui suivent s’appliquent au présent article et aux articles 159.2 à 159.7.

159.1 The following definitions apply in this section and sections 159.2 to 159.7.

[…]

membre de la famille À l’égard du demandeur, son époux ou conjoint de fait, son tuteur légal, ou l’une ou l’autre des personnes suivantes : son enfant, son père, sa mère, son frère, sa sœur, son grand-père, sa grand-mère, son petit-fils, sa petite-fille, son oncle, sa tante, son neveu et sa nièce. (family member)

family member, in respect of a claimant, means their spouse or common-law partner, their legal guardian, and any of the following persons, namely, their child, father, mother, brother, sister, grandfather, grandmother, grandchild, uncle, aunt, nephew or niece. (membre de la famille)

[…]

 

tuteur légal À l’égard du demandeur qui a moins de dix-huit ans, la personne qui en a la garde ou est habilitée à agir en son nom en vertu d’une ordonnance judiciaire ou d’un accord écrit ou par l’effet de la loi. (legal guardian)

legal guardian, in respect of a claimant who has not attained the age of 18 years, means a person who has custody of the claimant or who is empowered to act on the claimant’s behalf by virtue of a court order or written agreement or by operation of law. (tuteur légal)

B. La Décision de l’ASFC est raisonnable

[20] La demanderesse soumet que la Décision de l’ASFC est déraisonnable dans son raisonnement et son application du RIPR en particulier. Elle soumet qu’en vertu du fait que la tante de son fils vit au Canada, l’exception à l’entente sur les tiers pays sûrs de l’article 159.5 du RIPR s’applique à elle aussi et elle peut demander asile au Canada. La demanderesse fait l’argument que cette personne est une « membre de la famille » tel que définie à l’article 159.1 du RIPR puisqu’elle est la sœur de son conjoint de fait. Elle fait aussi l’argument que la définition de « tuteur légal » à l’article 159.1 du RIPR aurait aussi dû lui permettre de bénéficier de la même exemption que celle accordée à son fils et que l’interprétation appliquée fait en sorte de séparer des mères de leurs enfants.

[21] Je ne peux faire droit aux arguments de la demanderesse.

[22] En premier lieu, la Décision sujette au contrôle judiciaire de la présente Cour est celle de l’ASFC datant du 22 octobre 2022 dans laquelle la demande d’asile fut jugée irrecevable en vertu de l’alinéa 101(1)c). Cet alinéa indique qu’une demande est irrecevable dans le cas d’une « décision prononçant l’irrecevabilité, le désistement ou le retrait d’une demande antérieure ». L’ASFC n’a ainsi fait qu’appliquer la loi.

[23] La demanderesse ne conteste pas l’application de l’alinéa 101(1)c) de la LIPR en soi. Elle concentre plutôt son argumentaire sur les exceptions à l’article 159.5 du RIPR. Or, cet article indique clairement que ce sont des exceptions à l’application de l’alinéa 101(1)e) de la LIPR. Ainsi, aucune de ces exceptions n’est pertinente à la Décision qui fait l’objet de ce contrôle judiciaire.

[24] En second lieu, la Cour ne peut examiner la décision de l’ASFC du 2 août 2022 au point d’entrée de Peace Bridge puisque celle-ci n’a pas été contestée ou portée en contrôle judiciaire dans le présent dossier. Néanmoins, cette décision est raisonnable.

[25] D’abord, elle repose sur la preuve de la demanderesse elle-même, qui a répondu « non » à la question « do you have any of the following family members in Canada: a grandmother or grandfather, a mother or father, a sister or brother, any other half-sister or half-brother, any aunts or uncles or a niece or nephew, any children [?] ». Il est important de noter que la demanderesse a aussi indiqué à l’ASFC ne pas connaître de gens qui vivent au Canada dans son entrevue après son entrée par le chemin Roxham lors de sa seconde demande d’asile. Or, par rapport à son fils, la demanderesse a clairement reconnu qu’il avait une tante paternelle vivant au Canada.

[26] Ensuite, la preuve démontre aussi que la demanderesse ne considère pas le père de son fils comme son conjoint de fait. Durant son entrevue avec l’ASFC le 2 août 2022, elle indique qu’elle ne s’est jamais mariée au père de son fils et qu’il est son ami (« We are friends » en anglais) et durant son entrevue avec l’ASFC le 22 octobre 2022, elle indique être « célibataire ».

[27] La demanderesse omet aussi d’expliquer comment, ou en vertu de quel article de la LIPR ou du RIPR, un « tuteur légal » peut bénéficier de l’exemption reconnue pour la personne dont il serait le tuteur.

[28] La demanderesse fait des analogies avec la décision Biosa c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CF 431 [Biosa]. Dans celle-ci il était question de déterminer si la nièce de la demanderesse qui est citoyenne canadienne serait un « membre de la famille » aux termes de la définition à l’article 159.1 du RIPR. Cette nièce était la fille du beau-frère de la demanderesse, lui aussi présent au Canada. Par ailleurs, dans cette affaire, la demanderesse a confié ses enfants à son beau-frère au Canada, le frère de son conjoint et ainsi l’oncle de ses enfants. Or, le juge Noël a conclu que bien que par « habitude ou par commodité, nous élargissons la portée [des termes neveu, nièce, oncle et tante] pour y inclure les personnes qui occupent ces rangs dans la famille par alliance […] ces raccourcis ne doivent toutefois pas se transposer dans le contexte juridique » (Biosa aux para 26–27). Ainsi, le juge Noël conclut que « [l]’énumération qui se trouve à la définition de « membre de la famille » à l’article 159.1 semble comprendre des personnes qui sont directement liées au demandeur […] [et] qu’il était raisonnable pour l’agent d’immigration d’exiger un lien de sang entre la demanderesse et l’éventuelle personne justifiant qu’elle soit soustraite à l’application de l’Entente (à l’exception, il va sans dire, de son époux ou conjoint de fait et de son tuteur légal) » (Biosa aux para 29, 31). En l’espèce, il n’y a pas de lien sanguin entre la demanderesse au présent dossier et la tante de son fils.

[29] La tante du fils de la demanderesse n’est donc pas un « membre de la famille » de la demanderesse au sens de la définition prévue à l’article 159.1 du RIPR. La règle ejusdem generis statue qu’il convient de limiter un terme général « au genre de l’énumération restreinte qui le précède » (Banque nationale de Grèce (Canada) c Katsikonouris, [1990] 2 RCS 1029 à la p 1040, 74 DLR (4e) 197 à la p 203; Ruth Sullivan, The Construction of Statutes, 7e éd, Toronto (Ontario), LexisNexis Canada, 2022 à la p 234). Appliquée à la définition, cette règle confirme que l’énumération restreint la définition à des personnes directement liées à la personne en question, dont avec un lien sanguin, et une ancienne belle-sœur n’y serait pas inclus. La règle noscitur a sociis explique qu’une ambiguïté en présence de mots analogues liés par des termes comme « et » ou « ou » est résolue en déterminant le sens commun ou apparenté de tous les termes (Regina v Goulis, 1981 CanLII 1642 (ON CA), 33 OR (2e) 55 à la p 61; Ruth Sullivan, The Construction of Statutes, 7e éd, Toronto (Ontario), LexisNexis Canada, 2022 à la p 230). Or, le sens commun des termes dans la définition de membre de la famille est bien un lien direct et une relation sanguine.

[30] Malgré le fait que la décision du 2 août 2022 ne soit pas strictement devant moi, la demanderesse ne m’a tout de même pas convaincu que cette décision de l’ASFC est déraisonnable sur ce point. Elle exprime son désaccord avec les conclusions de l’ASFC et invite essentiellement la Cour à effectuer une analyse de novo de la preuve. Par contre, ce n’est pas le rôle de la Cour en contrôle judiciaire de pondérer à nouveau la preuve soumise et de substituer son analyse à celle de l’AFSC (Vavilov aux para 124-125).

VI. Conclusion

[31] Je suis de l’avis que la Décision de l’ASFC est, dans son ensemble, raisonnable, et est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques du dossier (Vavilov, au para 99).

[32] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[33] Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification, et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-12565-22

LA COUR STATUE:

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

« Guy Régimbald »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER:

IMM-12565-22

INTITULÉ:

JASMIN ADRIANA RIVERA CALAMBAS c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE:

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE:

LE 15 MAI 2024

JUGEMENT ET MOTIFS:

LE JUGE RÉGIMBALD

DATE DES MOTIFS:

LE 4 JUIN 2024

COMPARUTIONS:

Me Felipe Morales

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Nadine Saadé

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Semperlex

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.