Dossier : T‑1417‑18
Référence : 2024 CF 824
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Ottawa (Ontario), le 30 mai 2024
En présence de monsieur le juge Pamel
ENTRE : |
REGINALD PERCIVAL, ALLAN MEDRICK MCKAY, IONA TEENA MCKAY ET LORNA WATTS
|
demandeurs |
et |
SA MAJESTÉ LE ROI |
défendeur |
MOTIFS DE L’APPROBATION DU RÈGLEMENT
DANS L’AFFAIRE CONCERNANT LE PROGRAMME DES FOYERS FAMILIAUX INDIENS
Tables des matières
III. Expériences des survivants du Programme des foyers familiaux indiens
IV. Modalités principales de l’accord de règlement
D. Mesures visant à guérir les séquelles
A. Probabilité de recouvrement ou de réussite
C. Modalités du règlement proposé
D. Dépenses ultérieures et durée probable du litige
E. Recommandations des parties neutres
F. Nombre d’opposants et nature des oppositions
G. Conduite de négociations sans lien de dépendance et absence de collusion
J. Recommandations et expérience des avocats
[1] Le 11 décembre 2023, j’ai approuvé le règlement [l’accord de règlement] du recours collectif constituant l’instance principale, avec motifs à suivre [l’ordonnance d’approbation]. En voici les motifs.
I. Aperçu
[2] En 1951, en application de ses politiques de longue date concernant l’éducation et le soin des enfants autochtones, le gouvernement fédéral [le Canada] a créé et commencé à administrer un programme [le Programme des foyers familiaux indiens] dans le cadre duquel des élèves autochtones, dont les plus jeunes avaient à peine cinq ans, étaient retirés à leurs parents, à leur famille et à leur communauté et placés dans des familles étrangères [les familles d’accueil] pour fréquenter l’école primaire et secondaire. Ces familles d’accueil, souvent des familles non autochtones habitant loin des localités autochtones, étaient rémunérées par le Canada. Au fil du temps, bien qu’il soit impossible de déterminer la date exacte pour chaque bande, le Canada a transféré la responsabilité des programmes d’éducation des Autochtones et du placement des élèves à des corps dirigeants autochtones, notamment à des gouvernements autochtones locaux. Cependant, pour les personnes qui avaient déjà été déracinées [les survivants des foyers familiaux], le mal avait déjà été fait.
[3] On estime qu’environ 40 000 enfants ont été enlevés à leur communauté, dont beaucoup ont déclaré par la suite avoir subi des préjudices considérables : violence physique, sexuelle et verbale, humiliation, rabaissement, privation de nourriture, discrimination et mauvais traitements de la part de leur famille d’accueil. De nombreux survivants affirment qu’on leur a interdit de parler leur langue ou de se livrer à leurs pratiques culturelles. Comme ils ont été retirés de leur foyer à un jeune âge, nombre de survivants n’ont eu que de rares contacts, voire aucun contact, avec leur famille, leur culture, leur patrimoine et leur communauté. Ces enfants, aujourd’hui adultes, disent avoir souffert d’isolement et avoir été incapables de renouer les liens avec leur communauté lorsqu’ils sont rentrés chez eux des années plus tard. Leurs histoires témoignent d’une génération entière d’enfants autochtones qui ont subi de graves préjudices physiques, émotionnels et psychologiques et qui ont perdu leur culture, leur langue et leurs liens familiaux et communautaires. Le recours collectif constituant l’instance principale permettra aux quelque 33 000 membres du groupe de guérir des traumatismes relatés dans leurs récits et de demander une indemnité pour les dommages causés par le Programme des foyers familiaux indiens.
[4] L’accord de règlement prévoit l’indemnisation de deux groupes de personnes. Le premier groupe est le groupe principal. Il désigne les personnes qui ont été placées par le Canada dans des foyers familiaux pour qu’elles fréquentent l’école, à l’exclusion des placements effectués pour que la personne fréquente un établissement postsecondaire, et comprend toute personne qui a fait partie du Programme des foyers familiaux indiens pendant la période allant du 1er septembre 1951 au 30 juin 1992 [la période de référence du recours]. Les personnes placées dans des foyers familiaux après le 30 juin 1992 peuvent également être considérées comme des membres de ce groupe si elles sont en mesure de prouver que leur placement est antérieur au transfert de la responsabilité du Programme par le Canada à un corps dirigeant autochtone. D’après ce que je comprends, la période de référence du recours commence l’année où le Canada a payé pour la première fois la pension d’un élève qui vivait dans un foyer familial pour fréquenter l’école, ce qui coïncide avec les modifications apportées à la Loi sur les Indiens, SC 1951, c 29, qui autorisait le ministre des Affaires indiennes de l’époque à conclure des accords de placement. Le Canada semble n’avoir placé que peu d’élèves dans le cadre du Programme des foyers familiaux indiens après l’année scolaire 1991‑1992.
[5] Le deuxième groupe est le groupe familial. Il désigne les personnes qui ont fait valoir une demande par filiation en raison d’un lien familial avec un membre du groupe principal, conformément au droit familial applicable, et qui pourraient recevoir une indemnité dans le cadre des mesures visant à guérir les séquelles.
[6] Les parties ont réglé leur différend et m’ont présenté, à l’automne 2024, une requête en vue de faire approuver l’accord de règlement, conformément au paragraphe 334.29(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 [la requête en approbation de l’accord de règlement]. La valeur du règlement est d’environ 1,9 milliard de dollars. Bien qu’une indemnisation, quel qu’en soit le montant, soit insuffisante pour soigner les profondes blessures relatées par les survivants des foyers familiaux, l’accord de règlement témoigne de la reconnaissance des erreurs du passé et marque une étape importante dans la guérison des survivants, de leur famille et de leur communauté et dans la réconciliation avec la population canadienne. L’accord de règlement, qui a reçu un appui massif, prévoit le versement d’une indemnité juste et raisonnable aux personnes touchées et vise la promotion de la guérison, de l’éducation, de la commémoration et de la réconciliation.
[7] Je souligne que le recours collectif constituant l’instance principale vise la réparation des préjudices subis par les membres du groupe dans les foyers familiaux, et non dans les écoles. Il importe de préciser que les mauvais traitements que pourraient avoir subis ces élèves à l’école dépassent le cadre de l’accord de règlement. Par conséquent, les dispositions de quittance de l’ordonnance d’approbation ne valent que pour les réclamations faites dans le cadre de l’action principale intentée contre le Canada et ne s’appliquent pas aux écoles que fréquentaient les survivants des foyers familiaux ou les commissions scolaires dont relevaient ces écoles.
[8] En outre, je rends aujourd’hui mes motifs pour que leur date coïncide avec celle de la publication de l’avis de règlement, le 21 mai 2024, ainsi qu’avec l’achèvement des documents qui doivent être approuvés par la Cour selon l’accord de règlement et des documents de réclamation qui seront mis à la disposition des membres du groupe. Ainsi, je contribue aux efforts de sensibilisation prévus dans le plan d’avis, de même que dans l’accord de règlement, et j’accrois la visibilité du règlement lui‑même pendant que le processus de réclamation suit son cours. De plus, comme j’étais d’avis que la période d’exclusion devait être établie en fonction de la date de publication de l’avis de règlement, j’ai ordonné, le 29 avril 2024, que le délai de désistement prévu à l’accord de règlement expire le lundi 22 juillet 2024.
II. Historique du recours
[9] Le recours au nom des survivants des foyers familiaux a pris naissance au Québec. En 2012, les avocats du sous‑groupe du Québec ont commencé à travailler avec des survivants des pensionnats indiens qui, à l’époque, cherchaient à obtenir une indemnisation en vertu de la Convention de règlement relative aux pensionnats indiens [la CRRPI] (voir Baxter v Canada, 2006 CanLII 41673 (ON SC)). L’histoire du Programme des foyers familiaux indiens a été mise au jour lorsque des demandes d’indemnisation déposées en vertu de la CRRPI ont été rejetées malgré les preuves que les demandeurs avaient subi de mauvais traitements dans les foyers, au motif qu’ils n’avaient pas fréquenté un pensionnat indien, mais une école publique. Au fil de leurs contacts avec des survivants de diverses communautés, les avocats du sous‑groupe du Québec ont vu une tendance émerger, et, en 2016, ils ont déposé une demande d’action collective au Québec au nom des survivants des foyers familiaux. L’ampleur du Programme des foyers familiaux indiens n’a pas été immédiatement reconnue, et tant les demandeurs que leurs avocats ignoraient que des communautés de partout au Canada y avaient participé. Ils n’en ont pris conscience que lorsque le gouvernement du Canada a transmis des documents d’archives aux avocats du sous‑groupe du Québec après l’introduction de la demande au Québec. Les membres du groupe du Québec ont par la suite constitué le sous‑groupe du Québec dans le recours collectif constituant l’instance principale.
[10] Pendant ce temps, Reginald Percival, militant pour les survivants des foyers familiaux depuis 2006, année où la CRRPI a été annoncée, cherchait un avocat en Colombie‑Britannique pour l’aider dans son combat. Au début, M. Percival a eu du mal à trouver un avocat, probablement parce que l’histoire des survivants des foyers familiaux était méconnue et parce que le nombre de personnes qui pourraient faire partie du groupe était incertain. En février 2018, M. Percival a communiqué avec les avocats du groupe qui, du fait de leur participation récente au règlement du recours collectif relatif à la rafle des années soixante (Riddle c Canada, 2018 CF 641 [Riddle]), savaient que la perte de la langue, de la culture, du patrimoine et de l’identité constituait une nouvelle cause d’action. Ils estimaient que, malgré certains obstacles, les survivants des foyers familiaux pourraient avoir gain de cause dans un recours collectif. Comme pour l’action intentée au Québec, l’un des premiers éléments qui risquaient de compromettre la validité du recours collectif en l’espèce était la taille inconnue du groupe; au départ, les avocats du groupe croyaient aussi que le recours n’aurait qu’une portée locale et ne concernerait que la communauté Nisga’a, dont M. Percival est originaire, ou quelques communautés avoisinantes. Ce n’est que plus tard qu’ils ont pris conscience de la dimension nationale du Programme des foyers familiaux indiens. À l’instar des avocats du sous‑groupe du Québec en 2016, les avocats du groupe ont reconnu la possibilité d’intenter un recours collectif et, en avril 2018, ont informé M. Percival qu’ils seraient disposés à le représenter dans un recours collectif au nom des survivants des foyers familiaux. D’autres survivants se sont ensuite manifestés : Allan et Iona McKay en mai 2018 et Lorna Watts en juin 2018. Le recours principal a été intenté par M. Percival et d’autres personnes en juillet 2018; les avocats du sous‑groupe du Québec en ont pris connaissance, et les deux recours ont été regroupés peu de temps après.
[11] Après l’introduction du recours principal, le Canada a demandé du temps pour examiner les allégations soulevées, car, comme je le mentionne plus haut, le sort des survivants des foyers familiaux n’était pas bien connu, et il était important pour le Canada de comprendre l’objet du recours. En novembre 2018, après la première conférence de gestion de l’instance, la juge Strickland a suspendu l’instruction pour permettre aux parties de dialoguer, d’échanger des renseignements et de circonscrire les questions en litige. Le Canada a commencé à communiquer des documents aux parties peu de temps après, en décembre 2018. Il s’agissait principalement de documents d’archives provenant de bibliothèques d’institutions fédérales qui portaient sur l’administration du Programme des foyers familiaux indiens au fil des années et dans les différentes régions du pays. Même si des recherches avaient déjà été entamées pour les résidents du Québec à la suite de l’introduction de l’action au Québec en 2016, le ministère des Relations Couronne‑Autochtones et des Affaires du Nord [le ministère des RCAAN] a mandaté des sociétés de recherche indépendantes pour rechercher et recueillir des documents et pour rédiger des rapports sur les politiques fédérales et les activités du Programme, le transfert de l’administration du Programme à des entités des Premières Nations, le contrôle du Programme par des conseils tribaux ou les gouvernements provinciaux, et les registres sur le placement des élèves. Dans l’ensemble, ces travaux ont duré environ six ans.
[12] Les discussions entre les parties visant à circonscrire les questions en litige afin d’augmenter les chances que le recours soit autorisé se sont poursuivies. Il a été particulièrement difficile de déterminer les personnes à inclure dans le groupe en raison du transfert de la responsabilité, ainsi que d’élaborer une définition du groupe qui ne soit ni restrictive au point d’exclure des personnes ayant des réclamations valables, ni large au point d’empêcher l’autorisation du recours. On a tenté de déterminer les dates auxquelles le Canada a transféré la responsabilité de l’administration du Programme des foyers familiaux indiens aux autorités autochtones. Les chercheurs du ministère des RCAAN ont examiné des milliers de documents d’archives pour trouver des renseignements sur le transfert et ont fourni plus de 1 000 documents totalisant des milliers de pages, mais ne renfermant que peu d’information utile. Les renseignements sur le transfert de la responsabilité contenus dans la plupart des documents étaient incomplets ou ambigus, car bon nombre d’entre eux traitaient d’éducation en général, mais ne précisaient pas si le placement des élèves relevait du Canada ou d’une bande. En effet, à l’époque, on ne disposait de renseignements que pour environ 25 % des bandes indiennes. Ultimement, vu la difficulté à obtenir des renseignements d’archives pertinents malgré l’aide d’experts externes, les parties n’ont pas été en mesure de déterminer avec fiabilité les dates exactes du transfert de la responsabilité du Programme pour chaque bande.
[13] C’est pour cette raison que la définition du groupe comprend une présomption. Comme je le mentionne plus haut, les membres du groupe ayant fait l’objet d’un placement dans le cadre du Programme des foyers familiaux indiens avant le 30 juin 1992 sont réputés avoir été placés en foyer par le Canada, tandis que les élèves dont le placement est postérieur à cette date peuvent également être considérés comme des membres du groupe si, comme je l’ai indiqué, ils sont en mesure de prouver que « leur placement en foyer est antérieur au transfert de la responsabilité du Programme par le Canada à un corps dirigeant autochtone »
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[14] Alors que se révélait l’étendue du Programme des foyers familiaux indiens, et à la suite d’une réunion fructueuse des parties en février 2019 visant la définition des questions en litige, la juge Strickland a autorisé l’instance principale comme recours collectif le 28 juin 2019, sur consentement des parties et selon les modalités convenues. Il existe évidemment une distinction entre l’autorisation du recours, qui est une question de procédure, et son éventuel règlement sur le fond. Le fait que le Canada ait consenti à l’autorisation du recours ne signifie pas qu’il était prêt à conclure un règlement. Je comprends qu’il demeurait difficile de circonscrire le Programme des foyers familiaux indiens, notamment ses dates de début et de fin et ses politiques administratives. Or, même si la question du transfert de la responsabilité n’était pas encore réglée, les rapports d’experts disponibles donnaient déjà une idée assez précise de la taille éventuelle du groupe. Quoi qu’il en soit, je comprends que l’autorisation sur consentement a permis aux parties de se concentrer sur la notification du groupe à ce stade. Le Canada a continué de communiquer des documents aux parties et a produit, quelques mois plus tard, son premier rapport historique provisoire. Je dois préciser que l’autorisation sur consentement ne s’est pas matérialisée de façon isolée, ce qui est rarement le cas; elle constitue plutôt l’aboutissement d’une série de rencontres entre les avocats du groupe, les avocats du sous‑groupe du Québec et les avocats du Canada, qui ont permis aux parties de s’entendre sur la définition des questions en litige.
[15] La pandémie de COVID‑19 a mis un frein aux réunions en personne et entraîné des retards importants dans la communication des documents en 2020 et en 2021. Les avocats du groupe et les avocats du sous‑groupe du Québec ont tout de même continué à préparer plusieurs modèles d’indemnisation de plus en plus détaillés à l’intention du Canada, et les parties ont pu poursuivre le travail entrepris par leurs experts respectifs, en particulier en ce qui a trait à la détermination des dates du transfert de la responsabilité par le Canada à des corps dirigeants autochtones et à l’élaboration de projets visant la guérison des séquelles et la réconciliation. La communication des renseignements s’est poursuivie de façon limitée malgré la fermeture des salles d’archives où étaient entreposés la plupart des documents. Les documents communiqués et le rapport historique produit par le Canada ont renseigné les parties sur la taille du Programme des foyers familiaux indiens au fil du temps, notamment la fluctuation du nombre d’élèves qui y ont pris part et leur distribution géographique. Ces documents témoignaient également de la conception que le Canada avait du Programme à l’époque, y compris son cadre juridique, ses politiques, ses règles de financement et ses structures de reddition de comptes et de prise de décisions.
[16] Au sortir de la pandémie, les parties avaient une bonne idée de l’état de la situation; les avocats du groupe et les avocats du sous‑groupe du Québec ont fait part aux avocats du Canada de leurs attentes quant à un éventuel règlement et, bien que ces derniers n’aient pas répondu, ils n’ont pas non plus fait la sourde oreille. En août 2022, les avocats du Canada ont annoncé qu’ils avaient été chargés de négocier un règlement dans le recours collectif constituant l’instance principale, et, à partir de ce moment, les choses ont évolué rapidement. Pendant quelques mois, les parties se sont réunies pour discuter principalement des questions suivantes : (1) l’histoire du Programme des foyers familiaux indiens, y compris sa date de fin; (2) la taille du groupe et le calcul du nombre de membres; et (3) le processus et le mode d’indemnisation des membres du groupe. Par la suite, les parties ont pris part à deux séances de règlement des différends avec la juge Strickland, du 14 au 16 novembre 2022 et les 6 et 7 décembre 2022. Ces séances ont abouti à l’adoption de l’accord de principe le 7 décembre 2022. En février et en mars 2023, les parties ont participé à d’autres discussions et négociations, qui ont mené à l’accord de règlement le 15 juin 2023. Dans l’ensemble, hormis les modalités du règlement lui‑même qui ont continué de faire l’objet de vifs débats, peu de requêtes, voire aucune, ont été contestées. Tous les avocats m’ont indiqué que les parties ont collaboré de bonne foi pour parvenir à un règlement du recours constituant l’instance principale.
III. Expériences des survivants du Programme des foyers familiaux indiens
[17] À l’audience d’approbation du règlement, j’ai pris connaissance de témoignages très émouvants livrés de vive voix et par affidavit par plusieurs survivants des foyers familiaux et membres de leur famille. Les personnes suivantes ont fait montre d’un grand courage en racontant leur histoire, revivant du même coup leurs expériences passées :
i)Kenneth Weistche, membre de la Nation crie de Waskaganish, située dans le territoire de l’Eeyou Istchee dans le Nord du Québec;
ii)Reginald Percival, membre de la Nation Nisga’a, qui est né à Gitlaxt’aamiks, en Colombie‑Britannique;
iii)Annie Irene Trapper Weistche, membre de la Nation crie de Waskaganish;
iv)Allan Medrick McKay, membre de la Nation Nisga’a, qui est né à Middle Bay, en Colombie‑Britannique, mais a déménagé à Laxsgalts’ap avec sa famille lorsqu’il était très jeune;
v)Iona Teena McKay, membre de la Nation Nisga’a, qui est née à Laxsgalts’ap, en Colombie‑Britannique;
vi)Lorna Watts, membre de la Nation Nisga’a, qui est née à Kincolith, en Colombie‑Britannique;
vii)Claudia Newashish, de la Première Nation des Atikamekw de Manawan;
viii)Louise Tekahawáhkwen Mayo, du territoire Mohawk de Kahnawake;
x)Tania Percival, membre de la Nation Nisga’a;
xi)David Cheechoo, directeur exécutif du Wiichihiiwewin Centre of Waskaganish, le demandeur dans le recours collectif intenté au Québec;
xii)Rose Victoria Adams, une Inuite de Kuujjuaq.
J’ai été bouleversé par le tremblement perceptible dans la voix des survivants qui ont courageusement raconté leur histoire devant moi, que ce soit en personne ou par vidéoconférence, et par le traumatisme visible dans leurs yeux lorsqu’ils revivaient leurs expériences; toute la population canadienne devrait entendre leurs histoires.
[18] Les récits se correspondaient : tous les survivants des foyers familiaux ont raconté comment, à un jeune âge, ils avaient été arrachés à leurs parents, à leurs frères et sœurs, à leur communauté et à la seule vie qu’ils connaissaient, forcés à bord d’autobus sous les cris de protestation et les larmes de leurs parents désemparés et conduits en ville, à des centaines de kilomètres. La plupart des enfants ont été placés dans des familles non autochtones qu’ils ne connaissaient pas, dont ils ne comprenaient pas la langue et dont les coutumes leur étaient étrangères. Ils racontent que la violence physique, sexuelle, verbale et psychologique y était omniprésente, ils étaient confinés, isolés et utilisés comme main‑d’œuvre gratuite par leur famille d’accueil, qui profitait d’eux pour obtenir un gain financier, et étaient maltraités par leur famille d’accueil, d’autres élèves qui logeaient dans le même foyer et d’autres membres de leur communauté d’accueil. Ces souffrances ont marqué les survivants de plusieurs façons : tentatives de suicide, perte de la langue, de la culture, des coutumes et des traditions, incapacité à maintenir des relations familiales saines et perte de la connaissance et de l’estime de soi. Bon nombre d’entre eux étaient également des survivants des pensionnats, où les mauvais traitements bien documentés qui leur ont été infligés constituent un chapitre sombre de l’histoire du Canada.
[19] Un très grand nombre de survivants des foyers familiaux n’ont pas terminé leurs études secondaires en raison des séquelles émotionnelles permanentes des mauvais traitements qu’ils ont subis. Nombre d’entre eux ont essayé de retourner dans leur communauté, mais ont été incapables de s’y réintégrer; ils se sont décrits comme des étrangers chez eux. Psychologiquement, ils se sont repliés sur eux‑mêmes, ont l’impression d’avoir été privés de leurs droits et sont incapables de faire confiance aux autres, en particulier les personnes en position d’autorité. La plupart d’entre eux se sont tournés vers l’alcool et la drogue pour soulager leur douleur, leur souffrance et leur impression d’avoir été oubliés, maltraités et abandonnés. Ils avaient honte et se voyaient comme un fardeau pour la société et non comme quelqu’un qui y contribue. Leur propre famille n’a pas été épargnée : leurs relations de couple ont été marquées par la violence conjugale, l’alcoolisme et la toxicomanie, autant de tentatives infructueuses de faire taire leur souffrance et leur douleur. Les survivants ont aussi reporté sur leurs propres enfants les séquelles des mauvais traitements subis dans les pensionnats et les foyers familiaux, car ils n’ont jamais appris à aimer les enfants ou à s’en occuper correctement. La réalité des traumatismes intergénérationnels et l’expérience des survivants intergénérationnels, tels que Tania Percival et Rose Victoria Adams, sont aujourd’hui reconnues. Ces deux filles de survivants des pensionnats et des foyers familiaux m’ont expliqué comment elles en sont venues à accepter des événements survenus avant leur naissance et ce qu’elles font aujourd’hui pour aider leurs parents à guérir.
[20] Cependant, ces récits ne sont pas dénués d’espoir : M. Weistche et d’autres survivants se sont libérés de leur dépendance à l’alcool et aux drogues et, grâce à leur force de caractère, à leur résilience et aux alliés qu’ils ont trouvés, ils ont réussi à faire face à leur passé, à regagner leur confiance en soi et, dans de nombreux cas, à obtenir un diplôme d’études collégiales ou universitaires. Leur processus de guérison se poursuit encore aujourd’hui. Ils ont été capables de trouver un emploi plus tard dans leur vie, souvent au sein de leur communauté autochtone, de devenir chefs héréditaires de leur communauté et conseillers auprès de ceux qui souffrent encore de leur séjour dans les foyers familiaux et les pensionnats. D’autres se sont voués à l’apprentissage des chants et danses traditionnels et des rites et rituels culturels, et au parrainage d’enfants autochtones, qu’ils aident et guident sur la voie d’une vie meilleure. D’autres encore se sont dits chanceux simplement de faire partie de la vie de leurs enfants, de les réveiller le matin et de souper avec eux le soir ou, après des années de guérison, d’avoir pu retrouver leurs parents, leurs enfants et leurs grands‑parents pour célébrer les étapes importantes de leur vie et de leur communauté – des petites choses que beaucoup tiennent pour acquises.
[21] Je mentionne en particulier M. Weistche, le représentant demandeur du sous‑groupe du Québec, qui est décédé après la délivrance de l’ordonnance d’approbation. Il ne fait aucun doute que son courage, sa force, son leadership et sa détermination à obtenir justice pour les survivants des foyers familiaux resteront longtemps dans les mémoires. Il en va de même pour les autres représentants demandeurs : Reginald Percival, Allan Medrick McKay, Iona Teena McKay et Lorna Watts.
[22] Des membres du groupe familial ont aussi pris la parole, dont Louise Mayo, qui travaille dans le domaine de la santé et du développement de la santé mentale des Premières Nations. Elle possède également une vaste expérience de travail au sein des communautés et a participé à la mise en œuvre du règlement relatif aux externats (McLean c Canada, 2019 CF 1075 [McLean]). Selon son expérience, il faut éviter que les victimes subissent de nouveaux traumatismes pendant le processus de réclamation et privilégier le développement d’un lien de confiance avec elles. Les personnes travaillant à la mise en œuvre de l’accord de règlement doivent avoir une formation adéquate, faire preuve de compassion, respecter un code de déontologie, observer les règles de confidentialité et connaître les communautés des Premières Nations et des Inuits. Mme Mayo a recommandé que l’administrateur des réclamations se prépare à certaines difficultés, notamment sur le plan de la disponibilité des documents d’identité, des questions de compétence dans les réserves et hors réserves, du degré de littératie des membres du groupe, et des protocoles et pratiques exemplaires pour le travail dans les communautés.
[23] David Cheechoo, entre autres personnes, a livré un message d’espoir : la vérité commence par la reconnaissance, et la nation peut être un vecteur de guérison et de résilience pour les survivants. M. Cheechoo se réjouit de la reconnaissance croissante des cultures des Premières Nations et de l’avancement de la réconciliation, deux facteurs qui contribuent à briser le cycle de la douleur et de la souffrance et à éteindre la haine chez les survivants. M. Cheechoo est également en faveur de l’accord de règlement qui, selon lui, constitue une étape vers la vérité et la réconciliation entre les peuples autochtones et le Canada.
[24] J’ai également eu le privilège d’apprendre de M. Matthew Coon Come, membre de la Nation crie de Mistissini, ancien grand chef du Grand conseil des cris, ancien chef national de l’Assemblée des Premières Nations, et survivant des pensionnats et des foyers familiaux. D’après les avocats du groupe, sa précieuse connaissance des difficultés éprouvées lors de la mise en œuvre d’accords de règlement antérieurs – tels que la CRRPI, le règlement relatif aux externats, le règlement relatif aux anciens élèves externes (Première Nation Tk’emlúps te Secwépemc c Canada, 2021 CF 988), le règlement relatif à la rafle des années soixante et le règlement du recours collectif en réparation des préjudices subis par les bandes (Première Nation Tk’emlúps te Secwépemc c Canada, 2023 CF 327) – a orienté la structure et la teneur de ce qui est finalement devenu l’accord de règlement.
[25] M. Coon Come s’est dit en faveur de l’accord de règlement, mais a demandé que, pour la suite des choses, on voit au bon fonctionnement du programme de notification servant à informer les membres du groupe du règlement et du processus par lequel les membres remplissent et soumettent leur formulaire de réclamation, y compris pour les réclamations successorales. Selon M. Coon Come, la réussite du règlement et ses bénéfices pour l’ensemble des membres du groupe tiennent principalement à ces deux facteurs.
[26] En ce qui a trait au programme de notification, M. Coon Come a rappelé à la Cour à quel point il importe que l’avis de règlement soit rédigé dans un langage clair, en anglais et en français et dans les langues autochtones les plus couramment parlées, et qu’il soit publié en version électronique et en version papier. Il a également recommandé que l’avis de règlement soit communiqué périodiquement, au début et pendant la période de réclamation, ainsi que six mois et trois mois avant la fin de la période de réclamation. Les avis doivent indiquer les coordonnées des personnes qui peuvent aider les membres du groupe à préparer leurs réclamations. Il est essentiel que l’annonce du règlement soit transmise dans tout le pays, en particulier dans les localités éloignées.
[27] M. Coon Come s’est également soucié de l’accessibilité et de la convivialité des formulaires et du processus de réclamation. Il a recommandé que le formulaire de réclamation soit rédigé en langage clair et qu’il soit disponible en ligne et sur papier pour les personnes qui n’ont pas accès à un ordinateur ou à une connexion Wi‑Fi fiable dans leur localité éloignée (des formulaires de réclamation imprimés assortis d’enveloppes‑réponses préaffranchies pourraient leur être envoyés). M. Coon Come a rappelé que, même si l’administrateur des réclamations prépare les formulaires de réclamation dans un souci d’efficacité administrative, il doit garder en tête qu’ils serviront aux membres du groupe.
[28] En ce qui concerne les réclamations au titre de la catégorie 2, M. Coon Come a également exhorté les parties à se mettre d’accord sur le type d’éléments de preuve que les demandeurs devront fournir. Bien que le bénéfice du doute soit accordé aux demandeurs dans l’accord de règlement, il serait préférable de régler cette question à l’avance et de demander l’avis de la Cour plutôt que de laisser l’administrateur des réclamations en décider seul. Devant la Cour, M. Coon Come a cité en exemple le règlement relatif aux externats, où le processus de réclamation se faisait entièrement sur support papier, pour illustrer qu’il n’est pas nécessairement plus facile pour les demandeurs de raconter leur histoire par écrit que de vive voix, car il est toujours traumatisant de revivre de tels souvenirs. Qui plus est, bon nombre des demandeurs ne sont pas assez à l’aise en anglais ou en français pour relater leur expérience de manière adéquate; ils courent donc le risque de voir leur réclamation rejetée ou de se voir accorder une somme inférieure à celle à laquelle ils ont droit.
[29] M. Coon Come a également parlé de la complexité des réclamations successorales. Il a expliqué que de nombreuses localités n’ont pas d’institutions bancaires, ce qui rend difficile l’ouverture de comptes de succession pour le dépôt des chèques de réclamation. Il a ajouté que les demandeurs autochtones qui vivent dans une réserve décèdent souvent intestats, auquel cas leurs biens sont administrés par Services aux Autochtones Canada, ce qui place le ministre des Services aux Autochtones dans un conflit d’intérêts. M. Coon Come a proposé que l’on s’inspire de l’approche adoptée dans le règlement relatif aux anciens élèves externes aux fins de prévention des conflits d’intérêts, soit la représentation des successions par des avocats indépendants.
[30] M. Coon Come s’attend également à ce que de nombreux demandeurs engagent un avocat indépendant pour les aider à soumettre une réclamation, en particulier une réclamation au titre de la catégorie 2, dont le processus est plus rigoureux. Ces avocats devront rencontrer les demandeurs, car il est malaisé de discuter d’expériences traumatisantes au téléphone, et la vidéoconférence n’est pas une option viable étant donné la piètre qualité des connexions réseau dans les petites localités. Vu le coût élevé des déplacements dans le Nord du Canada, où certaines localités ne sont accessibles que par avion, et vu que plusieurs rencontres avec les demandeurs pourraient être requises, les honoraires des avocats s’additionneront rapidement. M. Coon Come s’attend donc à ce que le plafond proposé pour les frais juridiques, soit 5 % des indemnités versées au titre de la catégorie 2, soit insuffisant.
[31] Enfin, M. Coon Come s’est dit en faveur de l’idée de mettre des ressources à la disposition des demandeurs tout au long du processus et de permettre aux membres du groupe d’avoir accès à des travailleurs en santé communautaire [TSC], qui sont déjà présents auprès de nombreuses communautés des Premières Nations et des Inuits. Similairement, les demandeurs dans le règlement relatif aux externats avaient accès à des services d’assistance téléphonique, qui les aidaient à gérer le traumatisme que constitue la présentation d’une réclamation; selon M. Coon Come, il serait opportun de fournir de tels services.
IV. Modalités principales de l’accord de règlement
[32] Étant donné les séquelles particulièrement douloureuses du Programme des foyers familiaux indiens, le Canada reconnaît l’importance qu’une entente soit conclue dans le recours collectif constituant l’instance principale pour les représentants demandeurs, les membres du groupe et leurs familles et, dans une perspective de vérité et de réconciliation, pour toute la population canadienne. Pour ma part, je suis convaincu que la structure de l’accord de règlement atténue, dans la mesure du possible, le risque de nouveaux traumatismes et encourage les membres du groupe à se manifester et à raconter leur histoire. Les parties souhaitaient que l’accord de règlement crée un climat favorable à la reconnaissance des traumatismes vécus par les membres du groupe et leur donne l’occasion de raconter leur histoire dans un contexte propice à la réconciliation et à la guérison. Comme il est indiqué dans le préambule de l’accord de règlement, celui‑ci vise à fournir un règlement juste, complet et durable des réclamations liées au Programme des foyers familiaux indiens, ainsi qu’à promouvoir la guérison, l’éducation, la commémoration et la réconciliation. L’accord de règlement est le fruit des leçons tirées de règlements de recours collectifs similaires et constitue, à bien des égards, une amélioration par rapport à ces règlements.
[33] Certains diront, à juste titre, que l’accord de règlement n’est pas parfait. Je suis cependant d’avis qu’il est juste, raisonnable et dans l’intérêt supérieur de l’ensemble du groupe et qu’il fait partie d’un ensemble ou éventail d’issues raisonnables possibles (McLean, au para 65; Nation des Cris de Tataskweyak c Canada (Procureur général), 2021 CF 1415 au para 63). Les avocats du groupe ont reconnu l’importance des points soulevés par M. Coon Come et ont réitéré qu’une grande attention leur a été accordée lors de l’élaboration de l’accord de règlement. Ils estiment que les inquiétudes exprimées ont été raisonnablement prises en compte, dans la mesure du possible compte tenu des circonstances.
[34] Les modalités principales de l’accord de règlement sont énoncées ci‑après.
A. Admissibilité
[35] J’ai présenté plus haut la composition du groupe principal et du groupe familial; de même, j’ai indiqué que, pour être admissibles à une indemnité, les demandeurs devaient être en vie en date du 24 juillet 2016. L’admissibilité à l’indemnisation dépend des événements et non des préjudices subis. Comme je le mentionne plus haut, les personnes ayant fait l’objet d’un placement dans le cadre du Programme des foyers familiaux indiens durant la période de référence du recours sont réputées avoir droit à une indemnité, et les personnes ayant été placées en foyer après le 30 juin 1992 seront admissibles à une indemnité si elles sont en mesure de prouver que leur placement est antérieur au transfert de la responsabilité de l’éducation des Autochtones par le Canada à un corps dirigeant autochtone. La décision d’adopter une approche globale quant à la constitution des groupes et à l’admissibilité à l’indemnisation découle des leçons tirées de recours collectifs similaires. L’établissement d’une seule période d’admissibilité assortie de dates de début et de fin précises permet d’éviter toute confusion chez les membres du groupe (McLean, au para 60).
[36] Dans la plupart des cas, le Canada semble avoir transféré la responsabilité de l’éducation des Autochtones à des groupes autochtones. Étant donné la rareté des documents confirmant la date du transfert, la présomption constitue une amélioration importante par rapport aux règlements antérieurs, car elle évite à la plupart des membres du groupe de devoir prouver ce qui pourrait être difficile, voire impossible, à établir. Je comprends que, en raison de leur nature, les périodes de présomption ont pour conséquence l’exclusion de certains demandeurs, qui doivent alors établir qu’ils ont été placés en foyer aux fins de scolarisation avant le transfert de responsabilité pour recevoir une indemnité. Toutefois, je conviens avec les avocats du groupe que l’approche globale de constitution du groupe est plus simple que, par exemple, la démarche appliquée dans le cadre de la CRRPI, qui comprenait de longues listes d’établissements avec différentes dates d’admissibilité; le fait d’avoir une seule période d’admissibilité clarifie les choses pour les membres du groupe, qui savent immédiatement s’ils sont admissibles ou non. D’après ce que j’ai compris, selon les documents produits et les recherches historiques menées par les parties, il ne devrait y avoir que peu de cas où la responsabilité n’avait pas été transférée à un corps dirigeant autochtone en 1992. Quoi qu’il en soit, l’accord de règlement prévoit la mise en place d’un Comité des exceptions pour traiter de tels cas. Bien que ce ne soit pas parfait, je suis convaincu que, compte tenu du dossier et des arguments des avocats, il est raisonnable de fixer la période d’admissibilité du 1er septembre 1951 au 30 juin 1992.
[37] La succession des membres du groupe principal qui sont décédés le 24 juillet 2016 ou après, soit deux ans avant l’introduction du recours collectif constituant l’instance principale, est admissible à une indemnité individuelle. Lorsqu’il y a un exécuteur testamentaire, les choses sont simples, car celui-ci peut demander une indemnité au nom du membre du groupe principal qui est décédé, à condition qu’il n’ait pas soumis de demande avant son décès. S’il n’y a pas d’exécuteur testamentaire, un problème soulevé par M. Coon Come, l’indemnité à laquelle le membre du groupe principal décédé aurait eu droit au titre de l’accord de règlement sera versée conformément au protocole de réclamation successorale que j’ai approuvé le 29 avril 2024. D’après ce que j’ai compris, ce protocole a été achevé après la fin de la période de réclamation du règlement relatif aux anciens élèves externes et met à profit les leçons qui en ont été tirées.
[38] Je reconnais que, pour le Canada, comme l’ont souligné les avocats, les questions de succession dans le contexte d’un recours collectif national sont complexes, car elles relèvent du droit provincial. Le Canada s’efforce de simplifier le processus afin que les héritiers des survivants décédés intestats puissent faire une réclamation sans devoir passer par une lourde et coûteuse procédure d’homologation (voir, par exemple, le processus créé dans le cadre du règlement relatif aux anciens élèves externes). Je suis convaincu que les parties sont conscientes de ce problème, qui a été soulevé par M. Coon Come, et qu’elles s’efforceront de simplifier le plus possible le processus dans les limites de ce qui est autorisé par la loi. Les avocats m’ont indiqué que le Canada est conscient que l’administration de la succession des membres du groupe décédés intestats par Services aux Autochtones Canada en vertu de la Loi sur les Indiens pose un risque de conflits et compte atténuer ce risque en désignant un administrateur des réclamations indépendant. Un tel processus a notamment été utilisé dans le cadre du règlement relatif aux externats pour éliminer le risque ou l’apparence de conflit.
B. Indemnisation et soutien
[39] L’accord de règlement prévoit deux catégories d’indemnisation pour les demandeurs individuels. La catégorie 1 prévoit le versement d’une indemnité de 10 000 $ aux membres du groupe pour la perte de leur culture et la perte des liens avec les membres de leur famille et leur communauté du fait de leur placement dans des foyers familiaux par le Canada dans le cadre du Programme des foyers familiaux indiens. Pour recevoir cette indemnité, les membres du groupe n’ont qu’à confirmer leur adhésion au groupe; le formulaire à remplir est simple et n’exige pas de présenter de longues observations, ce qui réduit autant que possible le risque de nouveaux traumatismes. De plus, le versement de cette indemnité est rapide, ce qui permet aux membres du groupe de prendre le temps de faire une demande d’indemnisation de catégorie 2, un processus beaucoup plus difficile sur le plan émotionnel.
[40] La catégorie 2 prévoit cinq niveaux d’indemnisation supplémentaires allant de 10 000 $ à 200 000 $ pour les cas d’agression. L’indemnité augmente en fonction de la gravité des actes reprochés selon une grille fondée sur les catégories d’indemnisation du règlement relatif aux externats, mais modifiée dans un souci de simplicité et d’efficacité, de manière à ce que l’accent soit mis sur les incidents plutôt que sur les preuves de préjudice. Le processus sera difficile et suscitera de vives émotions. Cependant, contrairement aux réclamations faites au titre de la CRRPI, les demandes d’indemnisation ne sont évaluées que sur la base des documents soumis, sans qu’il soit nécessaire de participer à une audience. Les demandeurs peuvent donc rassembler et traiter les documents requis à leur rythme, à leur manière et avec l’aide d’un avocat ou d’autres personnes de leur communauté pendant la longue période de réclamation.
[41] Il est important que les membres du groupe prennent leur temps pour remplir la demande d’indemnisation de catégorie 2, car ils ne peuvent la modifier pour demander une somme plus élevée après l’avoir soumise. Les demandeurs peuvent présenter des demandes d’indemnisation distinctes au titre des deux catégories à des moments différents. Cela leur permet d’éviter le choix difficile que certains membres de groupes de règlements antérieurs ont dû faire : présenter une demande simple et rapide ou une demande complexe et douloureuse. La séparation des demandes d’indemnisation au titre de la catégorie 1 et de la catégorie 2 est un élément novateur de l’accord de règlement qui permet d’éviter le problème de la divulgation progressive constaté dans le règlement relatif aux externats, où des demandeurs ont déposé une demande d’indemnisation de base qui a été traitée rapidement et ont ensuite voulu modifier leur demande pour demander une somme plus élevée. La Cour d’appel fédérale a récemment statué que le règlement relatif aux externats ne permettait pas une telle modification (Waldron c Canada (Procureur général), 2024 CAF 2).
[42] Bref, les demandes d’indemnisation de catégorie 1 sont traitées rapidement; les demandeurs devraient donc recevoir leur indemnité dans les plus brefs délais. S’ils le souhaitent, les demandeurs peuvent ensuite présenter une demande d’indemnisation de catégorie 2 à leur rythme et à leur convenance, au plus tard dans un délai de deux ans et six mois à compter de la date de mise en œuvre du règlement. Je suis d’avis que la structure du régime d’indemnisation permettra aux demandeurs de recevoir une indemnité juste et de progresser à leur rythme dans une démarche difficile et exigeante sur le plan émotionnel.
[43] L’accord de règlement indique également que le Canada s’efforcera d’obtenir des provinces, des territoires et des ministères fédéraux concernés qu’ils consentent à ce que les indemnités versées au titre de l’accord de règlement n’aient aucune incidence sur le montant, la nature ou la durée des prestations sociales ou d’assurance sociale versées à un membre du groupe principal en application d’une loi d’une province ou d’un territoire ou au titre d’un programme de prestations sociales du Canada, telles que les prestations de la Sécurité de la vieillesse et du Régime de pensions du Canada. Le dossier contient d’ailleurs une lettre du gouvernement du Québec confirmant que les indemnités versées dans le cadre de recours collectifs touchant des Autochtones ne sont pas prises en compte, de sorte que les indemnités versées dans le cadre du présent règlement n’auront aucune incidence sur le montant, la nature ou la durée des prestations versées aux membres du sous‑groupe du Québec. Je comprends que les indemnités prévues dans l’accord de règlement, comme celles prévues dans le règlement relatif aux externats, sont qualifiées de dommages‑intérêts généraux pour qu’elles aient le moins d’effet possible sur les autres prestations auxquelles les membres du groupe ont droit.
[44] Il importe également de noter qu’aucun plafond ni aucune limite n’ont été fixés pour ce qui est du montant total du règlement, ce qui signifie que les membres du groupe pourront recevoir une indemnité rapidement, sans devoir attendre que toutes les réclamations aient été présentées pour que l’éventuelle déduction proportionnelle applicable à leur indemnité soit calculée. Il s’agit là d’un avantage majeur.
C. Processus de réclamation
[45] Tania Percival affirme que, même si leur témoignage a donné lieu à la création des 94 appels à l’action, les survivants sont épuisés d’avoir raconté leur histoire devant la Commission de vérité et réconciliation et d’avoir revécu leurs traumatismes. Elle demande donc que le processus de réclamation soit le plus simple possible. Je suis d’accord avec elle.
[46] Le processus de réclamation ne fait pas partie des protocoles qui doivent être approuvés par la Cour aux termes de l’accord de règlement. Contrairement aux processus de réclamation des règlements antérieurs, celui du présent règlement n’avait, à dessein, pas encore été établi au moment de l’audience d’approbation du règlement. On voulait ainsi s’assurer qu’il puisse être élaboré sans contraintes et mis en œuvre facilement. Je suis conscient que chaque cas est différent et comporte ses propres faits, et que la souplesse est de mise lorsque les membres d’un groupe sont aussi nombreux et diversifiés qu’en l’espèce. Un éventail de mesures adaptées à la situation de chaque membre doit être possible afin que les parties n’aient pas à revenir continuellement devant la Cour pour faire modifier un protocole de réclamation qu’elle a déjà approuvé. En l’espèce, l’administrateur des réclamations, qui était responsable de l’élaboration d’un protocole de réclamation efficace, était libre de s’inspirer des meilleures pratiques. Dans ce contexte, il faut s’assurer de fournir une assistance adéquate aux demandeurs; c’est pourquoi la Cour continuera de superviser la mise en œuvre de l’accord de règlement. La Cour suprême du Canada a rappelé, dans l’arrêt JW c Canada (Procureur général), 2019 CSC 20, que le rôle de supervision de la Cour consiste à veiller à ce que les demandeurs obtiennent les avantages qui leur ont été promis (voir aussi McLean, aux para 72 et 73).
[47] Sur recommandation des parties, la nomination de PricewaterhouseCoopers comme administrateur des réclamations a été approuvée le 3 octobre 2023. Les fonctions de l’administrateur des réclamations, énoncées à l’article 8 de l’accord de règlement, comprennent la préparation des formulaires, processus et protocoles de réclamation prévus dans l’accord de règlement. Je comprends que des professionnels ayant participé à des règlements antérieurs ont été consultés pour que le processus de réclamation mis en place soit rapide, peu coûteux, convivial et sensible aux aspects culturels et à la vie privée des membres du groupe. Selon les principes régissant l’administration des réclamations, il sera présumé que le demandeur agit de bonne foi, et toutes les conclusions raisonnables et favorables qui peuvent être tirées en sa faveur devront l’être. Comme je le mentionne plus haut, les réclamations sont faites entièrement par écrit et très peu d’éléments de preuve doivent être fournis. Les demandeurs n’auront pas à témoigner ou à subir un contre‑interrogatoire, contrairement aux personnes qui ont présenté une demande au titre de la CRRPI.
[48] En l’espèce, comme pour le règlement relatif aux externats, le processus de réclamation se fait uniquement sur papier. Autre avantage, les demandeurs qui font une réclamation au titre de la catégorie 1 n’ont pas à prouver le préjudice qu’ils ont subi, car il est réputé découler de leur participation forcée au Programme des foyers familiaux indiens, et englober toutes les conséquences qui en ont résulté.
[49] Les demandeurs disposent de deux ans et six mois à compter de la date de mise en œuvre (ou d’entrée en vigueur ) de l’accord de règlement pour présenter leurs réclamations. Selon l’accord de règlement, la date de mise en œuvre désigne la date la plus tardive parmi les suivantes : (1) 30 jours après l’expiration de la période d’exclusion; (2) la date à laquelle prend fin le délai d’appel de l’ordonnance d’approbation; et (3) la date à laquelle une décision définitive est rendue pour tout appel interjeté de l’ordonnance d’approbation. Comme je le mentionne, l’ordonnance d’approbation a été rendue le 11 décembre 2023; par conséquent, le délai d’appel est expiré depuis longtemps. La période d’exclusion prévue dans l’accord de règlement s’étend de la date de publication de l’avis d’autorisation de l’action principale comme recours collectif (l’ordonnance a été rendue le 16 juin 2023) jusqu’à une date fixée par la Cour, qui doit être au moins 60 jours après l’ordonnance d’approbation. Comme je ne voulais pas que le temps nécessaire à l’achèvement des documents de réclamation et des protocoles nécessitant l’approbation de la Cour aux termes de l’accord de règlement raccourcisse la période d’exclusion accordée aux membres du groupe, j’ai attendu le 29 avril 2024 pour ordonner que la période d’exclusion prenne fin le lundi 22 juillet 2024. Par conséquent, étant donné que le délai d’appel de l’ordonnance d’approbation est expiré, la date de mise en œuvre de l’accord de règlement, c’est‑à‑dire sa date d’entrée en vigueur, est fixée à 30 jours après le 22 juillet 2024, et, comme il a été mentionné, les demandeurs disposent de deux ans et six mois à compter de cette date [la date limite du dépôt des réclamations] pour présenter leurs réclamations.
[50] Comme je le mentionne plus haut, les réclamations se font uniquement sur support papier, et les processus et formulaires utilisés mettent à profit les leçons tirées de règlements antérieurs. L’un des objectifs du présent règlement est de corriger les lacunes du processus de la CRRPI, qui prévoyait la tenue d’audiences pour établir le bien‑fondé des réclamations, et du processus du règlement relatif aux externats, qui prévoyait un système de réclamation sur papier, mais offrait un soutien limité aux demandeurs, en offrant un soutien accru aux survivants des foyers familiaux tout au long du processus de réclamation. En l’espèce, les personnes souhaitant demander une indemnité de catégorie 1 doivent remplir un formulaire de réclamation. L’administrateur des réclamations confirme leur participation au Programme des foyers familiaux indiens et leur verse une indemnité si elles sont admissibles. Il s’agit d’une amélioration par rapport au règlement relatif aux externats, qui ne prévoyait que l’équivalent d’une indemnité de catégorie 2. Les demandeurs devaient donc prouver le préjudice subi pour avoir droit à l’indemnité. En l’espèce, il suffit pour les demandeurs de faire partie du groupe pour être admissibles à l’indemnité de catégorie 1, qui les dédommage pour la perte de leur culture, de leur langue et des liens avec leur famille et leur communauté.
[51] En ce qui concerne les réclamations au titre de la catégorie 2, les demandeurs doivent présenter une demande détaillée, dans laquelle ils décrivent leurs expériences du Programme des foyers familiaux indiens. Comme je le mentionne, le processus de réclamation se fait uniquement sur papier, comme dans le règlement relatif aux externats, et, contrairement au processus prévu dans la CRRPI, les demandeurs n’ont pas à témoigner à une audience. L’administrateur des réclamations examinera la demande et déterminera l’indemnité à verser selon la grille d’indemnisation qui figure à l’annexe B de l’accord de règlement.
[52] Les membres du groupe peuvent demander le réexamen de leur réclamation dans les 120 jours suivant la réception d’un avis de rejet ou d’un avis d’approbation, mais pour une somme inférieure à celle demandée. J’ai approuvé le protocole de demande de réexamen le 29 avril 2024. Selon ce protocole, un examinateur indépendant et le Comité des exceptions procèdent au réexamen des réclamations pour lesquelles un réexamen a été demandé. L’examinateur indépendant et le Comité des exceptions sont nommés par la Cour. Je note qu’aux termes de l’accord de règlement, le Comité des exceptions doit s’efforcer de parvenir à un consensus à l’égard de toute réclamation; advenant l’impossibilité d’y parvenir, le président du Comité des exceptions dispose d’une voix prépondérante.
[53] L’accord de règlement permet également de demander, dans certaines circonstances, une prolongation du délai pour le dépôt des réclamations dans les six mois suivant la date limite du dépôt des réclamations, soit après la période de réclamation de deux ans et six mois. Autre nouveauté de l’accord de règlement : pour présenter une demande de prolongation du délai, il suffit de remplir un formulaire en y inscrivant tous les renseignements requis pour la réclamation, ainsi que les raisons pour lesquelles la date limite n’a pas été respectée. En évitant un processus en deux étapes, on facilite et accélère le traitement des réclamations. À noter qu’aucune demande de prolongation du délai présentée plus de six mois après la date limite ne sera étudiée.
[54] Dans l’accord de règlement, le Canada a confirmé que les membres du groupe auront accès aux services de santé mentale et de soutien affectif offerts par l’administration fédérale pendant le processus de règlement des réclamations. En réponse aux inquiétudes soulevées par M. Coon Come, les avocats du groupe m’ont fait comprendre que ces services de soutien, y compris l’accès à des TSC et à des fournisseurs de soutien culturel, dont les services sont financés depuis de nombreuses années en application de la CRRPI, s’inscrivent dans l’engagement général à fournir des services, de l’aide et du soutien aux membres du groupe durant le processus de réclamation. Les parties reconnaissent que le processus de réclamation peut, directement ou indirectement, causer de nouveaux traumatismes aux membres du groupe, et qu’ils doivent donc avoir accès à du soutien psychosocial en plus des services juridiques et de défense des intérêts. Comme je le mentionne plus haut, les TSC sont déjà présents auprès des communautés des Premières Nations et des Inuits et fournissent du soutien affectif et culturel aux anciens élèves des pensionnats et à leur famille. Les services qu’ils offrent s’ajoutent aux services de counseling en santé mentale offerts par des psychologues et des travailleurs sociaux. Ces services, plutôt que ceux de défense des droits, devraient être élargis pour soutenir les survivants, dont bon nombre sont également des survivants des pensionnats et travaillent avec ces mêmes TSC depuis un certain temps.
[55] Après l’approbation du règlement, il incombera principalement aux avocats du groupe et aux avocats du sous‑groupe du Québec de s’assurer qu’il est mis en œuvre de manière efficace et qu’il atteint ses objectifs. Ils devront aussi veiller à ce que les membres du groupe soient bien informés, à ce qu’ils reçoivent de l’aide pour faire leur réclamation et à ce qu’ils bénéficient de soutien en santé mentale. Une fondation, que je décris plus loin, devra être mise sur pied.
[56] À l’audience qui s’est tenue devant moi, les parties ont débattu longuement de la nature et de l’ampleur de l’aide qui doit être fournie aux membres du groupe tout au long du processus de réclamation. Les parties savaient que cette question avait été source de difficultés dans des règlements antérieurs. En effet, dans le règlement relatif aux externats, le juge Grammond a exprimé des réserves concernant l’aide fournie aux membres du groupe sur le terrain. Aucune réserve du genre n’a été formulée dans le règlement relatif aux anciens élèves externes; cependant, ce règlement prévoyait seulement une indemnisation équivalant à celle de catégorie 1 et aucune indemnisation de catégorie 2. L’aide accordée aux membres du groupe a aussi été source de problèmes dans le règlement relatif à la rafle des années soixante. En l’espèce, l’objectif est de tirer profit de l’expérience des membres des communautés qui ont participé à la CRRPI, au règlement relatif aux externats et au règlement relatif aux anciens élèves externes pour offrir aux membres du groupe l’aide dont ils ont besoin. Les protocoles concernant l’aide apportée aux membres du groupe ne sont pas soumis à l’approbation de la Cour, compte tenu des préoccupations exprimées par M. Coon Come. Puisqu’il pourrait être nécessaire de déployer des stratégies adaptées pour certains membres du groupe, comme les détenus, différentes approches de communication, d’aide et de soutien devront être mises sur pied. Comme je le mentionne, la Cour continuera de superviser la mise en œuvre de l’accord de règlement. Par conséquent, comme l’ont reconnu les parties, je demeurerai saisi de l’affaire dans un rôle de supervision, et les parties tiendront la Cour informée sur la mise en œuvre de l’accord de règlement.
[57] Enfin, le Canada a convenu de payer les coûts d’administration de l’accord de règlement.
D. Mesures visant à guérir les séquelles
[58] Le Canada allouera 50 millions de dollars à la création d’une organisation canadienne à but non lucratif dirigée par des Autochtones [la Fondation], dont le mandat sera la mise en place d’activités et de programmes visant à soutenir les membres du groupe et leurs descendants et à promouvoir la guérison, le bien‑être, l’éducation, les langues, les cultures, l’héritage, la commémoration et la réconciliation. En particulier, la Fondation créera un registre historique du Programme des foyers familiaux indiens visant à répondre à l’appel à la divulgation publique complète des expériences des survivants et à commémorer les préjudices qu’ils ont subis. Le registre sera accessible au public, notamment aux fins de recherche.
[59] La Fondation comptera au moins cinq premiers administrateurs nommés par les parties, qui représenteront les Premières Nations et les Inuits du pays, y compris du Québec. Elle sera guidée par un comité consultatif composé de représentants des régions, qui devront être versés dans les langues, les cultures, le patrimoine et les pratiques de bien-être autochtones et au fait des enjeux de perte et de revitalisation. Comme j’ai rendu l’ordonnance d’approbation en décembre 2023, les parties auront le temps de mettre sur pied la Fondation avant la date de mise en œuvre, comme l’exige l’accord de règlement.
E. Honoraires d’avocats
[60] Tout d’abord, les honoraires des avocats du groupe ne seront pas déduits de l’indemnité versée aux membres du groupe; le Canada a accepté de payer aux avocats du groupe et aux avocats du sous‑groupe du Québec les honoraires et les débours que la Cour juge justes et raisonnables pour le travail qu’ils ont effectué pour le groupe. Il convient de noter que les parties n’ont pas réussi à s’entendre sur le montant des honoraires des avocats du groupe, et qu’il appartient donc à la Cour de le fixer lorsqu’elle tranchera la requête en approbation des honoraires des avocats qui a été présentée au titre de l’article 334.4 des Règles des Cours fédérales, et dont je suis saisi.
[61] Les membres du groupe peuvent, quant à eux, retenir les services de l’avocat de leur choix pour les aider à préparer leur réclamation au titre de la catégorie 2. Le protocole pour le paiement des frais juridiques individuels a été approuvé le 29 avril 2024. Pour soutenir les membres du groupe, le Canada versera aux avocats indépendants un montant égal à 5 % de l’indemnité de catégorie 2 accordée au demandeur, sans autre approbation de la Cour et sans aucune déduction sur l’indemnité versée aux membres du groupe.
[62] Par comparaison, un protocole pour le paiement des honoraires des avocats avait été mis en place après coup par le juge Phelan dans le cadre du règlement relatif aux externats. Les honoraires étaient prélevés sur le fonds d’indemnisation des membres du groupe, et les avocats indépendants devaient systématiquement demander l’approbation de la Cour au titre de l’article 334.4 des Règles des Cours fédérales pour le paiement de leurs honoraires et débours, ce qui s’est avéré être un lourd fardeau pour les avocats et la Cour. Autre lacune de ce règlement, les demandeurs ne pouvaient être représentés que par un seul cabinet d’avocats. En l’espèce, les demandeurs peuvent choisir leurs propres avocats, un avantage important pour les membres du groupe. Le protocole de paiement prévu par la CRRPI n’était pas non plus idéal; certes, la somme versée aux avocats correspondait à 15 % de l’indemnité accordée, comparativement à 5 % en l’espèce, mais les coûts engendrés par le processus de réclamation, vu les audiences individuelles pour les demandeurs et l’échange exhaustif de documents, étaient beaucoup plus élevés. La façon de faire adoptée en l’espèce permet d’éviter ces problèmes.
[63] Je prends acte des points soulevés par M. Coon Come concernant le coût des déplacements dans le Nord du Canada et je reconnais qu’en ce qui concerne les réclamations pour préjudice grave au titre de la catégorie 2, il ne suffit pas de simplifier le formulaire de réclamation. Les survivants des foyers familiaux, tout comme les demandeurs dans les règlements antérieurs, ont souvent de la difficulté à coucher par écrit les événements traumatisants qu’ils ont vécus. Comme il est plus facile pour les demandeurs de se confier en personne, les avocats doivent parfois se rendre plusieurs fois auprès d’eux pour consigner correctement leurs histoires et les relayer de manière à ce qu’ils obtiennent l’indemnité la plus élevée possible. À ce titre, je conviens que la somme de 5 % de l’indemnité ne sera pas toujours suffisante, mais j’estime qu’elle représente une amélioration par rapport aux règlements antérieurs. Ni le règlement relatif aux externats ni le règlement relatif à la rafle des années soixante ne prévoyaient le paiement d’honoraires à des avocats indépendants. Toutefois, comme je le mentionne plus haut, un protocole pour le paiement de ces honoraires avait été mis en place après coup dans le cadre du règlement relatif aux externats. Le juge Phelan y indique d’ailleurs que, selon lui, un versement équivalant à 5 % de l’indemnité est raisonnable dans les circonstances, en particulier lorsque la réclamation ne risque pas d’être rejetée et que le seul risque qui se pose concerne la catégorie de la réclamation et la somme versée. Je suis également convaincu que les avocats représentant des demandeurs qui vivent dans des localités éloignées peuvent prendre des mesures pour réduire leurs frais, comme rencontrer plusieurs demandeurs lors d’une même visite et visiter plusieurs localités au cours d’un même voyage. Quoi qu’il en soit, le versement d’une somme supplémentaire pouvant aller jusqu’à 5 % des frais juridiques et des débours, plus les taxes, pourrait être approuvé, moyennant l’approbation de la Cour, comme je le mentionne plus haut.
[64] À mon avis, ce volet de l’accord de règlement, malgré ses imperfections, ne rend pas à lui seul l’intégralité de l’accord déraisonnable et contraire à l’intérêt supérieur de l’ensemble des membres du groupe.
F. Exclusion
[65] Les membres du groupe principal et les membres du groupe familial ont le droit de s’exclure du recours collectif. Si plus de 4 000 membres du groupe principal s’excluent du recours [le seuil d’exclusion], l’accord de règlement sera nul et l’ordonnance d’approbation sera annulée dans son intégralité, sous réserve du droit du Canada de renoncer à observer le seuil d’exclusion au plus tard 30 jours après la fin de la période d’exclusion. Les membres du groupe familial qui ont choisi de s’exclure du recours ne comptent pas pour l’atteinte du seuil d’exclusion. Comme je l’indique dans mon ordonnance du 29 avril 2024, j’ai fixé au lundi 22 juillet 2024 l’expiration de la période d’exclusion. À l’audience tenue devant moi, les avocats du groupe ont mentionné qu’ils avaient reçu entre 16 et 20 demandes d’exclusion depuis la délivrance de l’avis d’autorisation; cependant, après vérification, la moitié de ces demandes semblent avoir été faites par erreur par des membres du groupe qui croyaient remplir un formulaire de réclamation.
V. Analyse
[66] Le paragraphe 334.29(1) des Règles des Cours fédérales indique que le règlement d’un recours collectif ne prend effet que s’il est approuvé par la Cour. Il est ainsi libellé :
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[67] Notre Cour approuve le règlement d’un recours collectif si elle est convaincue que le règlement est [traduction] « juste, raisonnable et dans l’intérêt supérieur de l’ensemble du groupe »
(McClean, au para 65; Merlo c Canada, 2017 CF 533 au para 16 [Merlo]). La Cour peut approuver ou rejeter un règlement, mais elle ne peut pas le modifier (McClean, au para 70; Merlo, au para 17). Dans mon analyse, je tiens compte de plusieurs facteurs non exhaustifs. Ces facteurs sont résumés au paragraphe 19 de la décision Condon c Canada, 2018 CF 522, et sont reproduits au paragraphe 66 de la décision McLean. Ils comprennent notamment les facteurs suivants :
la probabilité de recouvrement ou de réussite;
l’ampleur et la nature des éléments de preuve issus des interrogatoires préalables, des témoignages ou de l’enquête, et la nature de ceux‑ci;
les modalités et conditions du règlement proposé;
les dépenses ultérieures et la durée probable du litige;
les recommandations des parties neutres;
le nombre d’opposants et la nature des oppositions;
la conduite de négociations sans lien de dépendance et l’absence de collusion;
les renseignements éclairant la Cour quant à la dynamique des négociations et aux positions prises par les parties;
l’importance et la nature des communications des avocats et des représentants demandeurs avec les membres du groupe pendant le litige;
les recommandations et l’expérience des avocats.
Je tiens compte de l’ensemble de ces facteurs, que j’examine ci‑après, et le poids que j’y accorde varie en fonction des circonstances (McClean, au para 67). Dans l’ensemble, le règlement est apprécié selon la norme de la décision raisonnable et non de la perfection, car, de par leur nature, les règlements sont le fruit de compromis (voir Merlo, au para 18, renvoyant à la décision Châteauneuf c Canada, 2006 CF 286 au para 7).
A. Probabilité de recouvrement ou de réussite
[68] Quoique ce facteur se rapporte davantage au règlement qu’à la probabilité de réussite au procès au moment où l’action est intentée, et partant du principe qu’il est plus facile de porter jugement après coup, je suis d’avis que, lorsque le recours collectif constituant l’instance principale a été intenté, le règlement par le Canada du litige relatif à la politique en matière d’éducation des enfants autochtones semblait plus probable qu’improbable, pourvu que les demandeurs présentent des arguments convaincants.
[69] En l’espèce, comme l’ont reconnu les avocats du sous‑groupe du Québec, la probabilité de recouvrement et de réussite semblait élevée lorsque l’action a été intentée au Québec en 2016 et que l’action principale a été intentée en 2018, mais cet optimisme n’était pas partagé pour tous les éléments des actions. De plus, bien que la question de la négligence ou de la responsabilité du fait d’autrui du Canada à l’égard des mauvais traitements infligés aux survivants des foyers familiaux dans les résidences privées des familles d’accueil (et qui agissaient à titre d’entrepreneurs indépendants) n’avait pas encore été réglée lorsque M. Percival a pris contact avec les avocats du groupe, la perte de la langue, de la culture, du patrimoine et de l’identité avait, quant à elle, été reconnue comme une cause d’action dans le règlement relatif à la rafle des années soixante, même s’il est vrai que cette question n’a pas fait l’objet d’une décision définitive. La question des délais de prescription applicables devait également être prise en compte, quoique dans une moindre mesure en ce qui concerne la perte de la langue et de la culture.
[70] En outre, je crois qu’il est raisonnable d’affirmer que, s’il n’y avait pas eu de probabilité de réussite, du moins aux yeux des avocats du groupe et des avocats du sous‑groupe du Québec, ni l’action de 2016 au Québec ni l’action principale n’auraient été intentées. Il n’est pas dit que la réussite globale était garantie; comme je le mentionne plus haut, la principale menace à la validité du présent recours collectif était l’incertitude : la nature et la portée du Programme des foyers familiaux indiens étaient incertaines, de même que la taille du groupe. Au départ, les avocats du groupe et les avocats du sous‑groupe du Québec s’attendaient à un recours limité sur le plan de la portée géographique et de la taille du groupe. Le Canada a justement eu besoin de temps au début pour prendre conscience de la nature et de l’ampleur du Programme et des questions qu’il soulevait. Ainsi, il n’était pas certain, du moins au départ, qu’un recours collectif était justifié.
[71] Si je comprends bien, c’est l’aspect individuel du recours collectif qui pourrait poser les plus grandes difficultés. S’il est impossible de conclure un règlement, les quelque 33 000 membres du groupe devront-ils prouver individuellement le lien de causalité et les préjudices subis lors d’un procès? Il s’agirait d’un lourd fardeau pour les parties et la Cour. À supposer que les questions communes, telles que les délais de prescription et la responsabilité, aient été réglées, il serait difficile d’établir les dommages‑intérêts – en particulier le montant des dommages‑intérêts à accorder à chaque demandeur individuel – et de résoudre les questions complexes de causalité. De plus, étant donné l’âge des membres du groupe, il serait, pour reprendre les propos des avocats, à la limite de l’irresponsabilité de convoquer chaque demandeur à une audience, car bon nombre de membres du groupe risquent de décéder avant.
B. Ampleur et nature des éléments de preuve issus des interrogatoires préalables, des témoignages ou de l’enquête
[72] Bien qu’il n’y ait pas eu d’interrogatoire préalable en bonne et due forme en l’espèce, que l’autorisation du recours n’ait pas été contestée et que la Cour n’ait pas eu à examiner attentivement des questions contestées, les parties ont effectué un travail considérable à l’étape de la communication préalable : plus de 1 000 documents ont été communiqués dans les plus brefs délais, principalement des documents d’archives découverts par le Canada. Ces documents ont aidé les parties à déterminer l’ampleur et la portée du Programme des foyers familiaux indiens, en particulier les dates du transfert de la responsabilité de l’éducation des Autochtones à des organisations et des entités autochtones par le Canada, de préférence au cas par cas. Ce dernier point semblait être une question préliminaire qui, en fin de compte, a été tranchée par la création d’une présomption.
[73] Dans l’ensemble, je suis convaincu que les deux parties ont fait preuve de la diligence nécessaire pour conclure un règlement équitable et durable. À mon avis, la conduite des parties indique qu’elles se sont véritablement efforcées de trouver une solution définitive et satisfaisante pour les survivants des foyers familiaux, si tant est qu’un règlement puisse leur apporter satisfaction; des rapports d’expert sur ces points ont également été préparés. À peu près au moment de la conclusion de l’accord de règlement, la preuve au dossier confirmait que des centaines de membres du sous‑groupe du Québec avaient communiqué avec les avocats du sous‑groupe du Québec et qu’environ 1 500 autres membres du groupe avaient communiqué avec les avocats du groupe, ce qui a permis aux avocats des demandeurs de comparer leurs renseignements à ceux tirés des divers documents fournis par le Canada afin de confirmer la nature et la portée du Programme des foyers familiaux indiens. Comme c’était le cas dans l’affaire Merlo, je conviens que la communication de documents et la prise de contact avec les communautés par les avocats du groupe et les avocats du sous‑groupe du Québec, par leur ampleur, ont permis aux demandeurs et au défendeur d’avoir la meilleure compréhension possible des faits et des circonstances entourant les réclamations. Outre la communication des documents, les parties se sont rencontrées à plusieurs reprises sur une période de cinq ans pour discuter des questions en litige en l’espèce. Je doute donc que la tenue d’interrogatoires préalables eût permis de découvrir d’autres informations, compte tenu de la bonne foi dont ont fait preuve les deux parties pour s’entendre sur les questions en litige afin de bien comprendre le contexte factuel de ces réclamations et les obstacles auxquels elles seraient confrontées en donnant suite à la procédure contentieuse.
C. Modalités du règlement proposé
[74] J’examine plus haut les différentes modalités de l’accord de règlement et formule des observations à leur sujet. Je sais que le règlement a fait l’objet d’au moins deux oppositions, au motif que les indemnités de catégorie 1 et de catégorie 2 seraient insuffisantes. Comme je le mentionne plus haut, aucune indemnité ne peut réellement soulager les membres du groupe et réparer les blessures profondes des survivants des foyers familiaux, mais je suis convaincu que l’accord de règlement, par sa structure et son processus de réclamation, est bénéfique pour les membres du groupe. Certaines des modalités les plus remarquables du présent accord de règlement sont le fruit des leçons tirées de règlements antérieurs. Par exemple, le règlement est fondé sur le principe des « réclamations présentées »
, ce qui signifie que tous les membres du groupe admissibles qui présentent une réclamation toucheront les sommes indiquées dans le règlement. Contrairement aux règlements antérieurs fondés sur ce principe, il n’y a pas de limite ou de plafond au montant total d’indemnisation que le Canada versera au groupe. Par conséquent, il n’y a pas de risque que l’indemnité versée aux membres du groupe fasse l’objet d’une réduction proportionnelle. De plus, les membres du groupe n’auront pas à attendre que toutes les réclamations soient traitées avant d’être indemnisés; une indemnité leur sera versée dès l’approbation de leur réclamation.
[75] En outre, les avocats ont constaté que le témoignage de vive voix requis par la CRRPI était difficile pour les victimes. C’est pourquoi l’accord de règlement prévoit un processus de réclamation entièrement sur papier, non contradictoire et conçu pour protéger la vie privée des demandeurs, éviter les témoignages de vive voix, atténuer le plus possible le risque que les victimes revivent leurs traumatismes et rendre le processus aussi simple et transparent que possible pour les demandeurs. Ces caractéristiques sont un autre un avantage important, car elles encouragent les victimes à se manifester et à raconter leur histoire.
[76] La période d’admissibilité est établie clairement dans l’accord de règlement. La présomption a permis de trancher à la satisfaction des parties la question de la date du transfert de responsabilité et de simplifier la détermination de l’admissibilité des demandeurs. De plus, à l’instar du règlement dans l’affaire Merlo, l’accord de règlement prévoit une indemnisation fondée sur les réclamations présentées, et non le versement d’un montant forfaitaire à l’expiration du délai, ce qui signifie que tous les demandeurs recevront rapidement la somme fixée. Les modalités principales de l’accord de règlement intègrent des leçons tirées de règlements antérieurs, et sont conçues de manière à simplifier le plus possible le processus pour les victimes. La structure d’indemnisation garantit également que le fonds de règlement ne sera pas épuisé, de sorte que les demandeurs obtiendront une indemnisation pleine et entière.
[77] Un règlement, aussi bien conçu soit‑il, ne peut être qualifié de réussite si ses mécanismes de notification et d’identification des membres du groupe sont déficients et s’il ne fournit pas à ces derniers les ressources dont ils ont besoin pour soumettre leurs réclamations. Cela dit, la perfection n’est pas de ce monde, et la répartition géographique des membres du groupe, en particulier le fait que nombre d’entre eux vivent dans des localités éloignées, complique l’envoi des notifications et la fourniture des ressources nécessaires. Devrait-on alors refuser d’approuver l’accord de règlement? Je ne le crois pas. Tout règlement comporte des lacunes, parfois en raison des compromis qui ont dû être faits, parfois en raison de réalités inéluctables qui compliquent la communication et la soumission des réclamations, mais auxquelles il peut être pallié. Des mécanismes, comme un processus de réclamation exclusivement sur papier, peuvent être adoptés pour que les membres du groupe n’aient pas à se déplacer, à raconter leur histoire devant des étrangers et à revivre leurs cauchemars. Un processus de réclamation en ligne, avec des formulaires simples en langage clair, peut être mis en place. On peut favoriser l’embauche de personnes proches des communautés situées en régions éloignées, qui ne seront pas considérées comme des étrangers. Il peut être nécessaire de faire des compromis et d’essayer de trouver un juste milieu pour empêcher que des membres du groupe ne se manifestent pas parce qu’un avis insuffisant leur a été donné ou parce que le processus de réclamation est trop pénible. Il arrive en effet que ces demandeurs, qui sont souvent marginalisés et disposent d’un soutien inadéquat, abandonnent le processus par frustration, ou parce qu’il les intimide. Chaque recours collectif est unique, et chaque processus d’administration des réclamations présente ses propres difficultés. C’est pourquoi il est important de faire preuve de souplesse dans le cadre du processus de réclamation et d’assurer un suivi constant des résultats.
[78] Enfin, j’estime que la Fondation, qui viendra en aide aux enfants et petits‑enfants des survivants des foyers familiaux, n’aurait jamais vu le jour n’eût été le règlement des réclamations. Somme toute, je suis convaincu que le présent accord de règlement est raisonnablement équilibré et que, s’il est mis en œuvre correctement, il représentera une avancée dans le processus de guérison des survivants des foyers familiaux et de leurs familles.
D. Dépenses ultérieures et durée probable du litige
[79] Si le présent litige était porté devant les tribunaux, les parties devraient s’engager dans une instance longue et coûteuse, et les membres du groupe ne recevraient pas d’indemnité avant de nombreuses années, si indemnité il y a. Même si les parties se sont déjà communiqué une foule de documents, elles se heurteraient à des obstacles importants lors d’un procès. Comme je le mentionne plus haut, même si les représentants demandeurs obtenaient gain de cause à un procès sur les questions communes, il s’avérerait fastidieux et probablement impossible de guider les quelque 33 000 membres du groupe durant les audiences et d’établir le lien de causalité et les préjudices, étant donné le risque que des demandeurs âgés décèdent. Dans l’affaire concernant le règlement du recours collectif en réparation des préjudices subis par les bandes, 48 jours ont été réservés pour la tenue du procès avant le règlement. En l’espèce, le procès devrait durer au moins aussi longtemps.
E. Recommandations des parties neutres
[80] Sans dire que la juge Strickland a recommandé le règlement, mentionnons que l’accord de principe a été négocié sous son habile supervision et avec son aide. Avec l’aide d’experts, les parties sont parvenues à un compromis sur toutes les questions en litige. De plus, des personnes dont l’opinion est respectée, dont M. Coon Come, se sont prononcées en sa faveur.
F. Nombre d’opposants et nature des oppositions
[81] Le dossier, le témoignage des personnes qui ont comparu devant moi et les propos des avocats m’indiquent que l’accord de règlement a reçu un soutien massif et que le nombre d’opposants est nettement inférieur à celui de règlements antérieurs du même type. À la fin du mois d’août 2023, quelques semaines après la délivrance de l’avis d’autorisation, les avocats du groupe n’avaient reçu que deux lettres d’opposition et huit demandes d’exclusion, ce qui n’est pas beaucoup; toutefois, il convient de préciser que l’avis d’autorisation venait à peine d’être délivré à ce moment‑là. Je dois également souligner que personne ne s’est présenté devant moi lors de l’audience d’approbation du règlement pour exprimer une quelconque opposition au règlement. Comme je le mentionne plus haut, les deux oppositions formulées portent sur le montant d’indemnisation de base prévu dans l’accord de règlement, jugé trop bas comparativement à celui prévu dans la CRRPI. L’indemnité de base dans la CRRPI, appelée Paiement d’expérience commune [le PEC], consistait en un montant initial de 10 000 $ auquel s’ajoutait un montant additionnel de 3 000 $ par année passée dans un pensionnat. Les deux oppositions font valoir que les indemnités de catégorie 1 prévues dans l’accord de règlement devraient être comparables au PEC et que l’accord de règlement devrait prévoir des sommes additionnelles en fonction de la durée de la participation au Programme des foyers familiaux indiens. Ces points ont été dûment pris en compte. Les avocats du groupe étaient d’avis, et je suis d’accord que, même si l’indemnité de catégorie 1 n’est pas aussi élevée que le PEC, la plupart des demandeurs au titre de l’accord de règlement demanderont des indemnités de catégorie 1 et de catégorie 2. Par conséquent, le montant total des indemnités touchées sera probablement semblable à celui des indemnités prévues par la CRRPI.
G. Conduite de négociations sans lien de dépendance et absence de collusion
[82] Comme je le mentionne plus haut, la présente action a été intentée en 2018 et a été autorisée sur consentement des parties en 2019. Le litige entre les parties a duré cinq années. Au cours de cette période, les parties ont pris part à une multitude de discussions et d’échanges, et ont notamment participé à des conférences de règlement des différends qui ont duré près de cinq jours. De nombreuses recherches ont été entreprises avant la résolution du litige. Le Canada a fait le nécessaire pour s’informer sur le Programme des foyers familiaux indiens et sur la composition du groupe. Les rapports d’expert ont grandement aidé les parties à comprendre les questions en litige. Je suis convaincu que, lorsque les parties ont conclu l’accord de principe, en toute connaissance de cause, elles avaient une compréhension globale des questions en litige. Les parties ont négocié sans lien de dépendance et de bonne foi. Je ne vois aucune preuve de collusion.
H. Renseignements éclairant la Cour quant à la dynamique des négociations et aux positions prises par les parties
[83] Je crois qu’il va de soi qu’il n’aurait pas fallu cinq jours pour régler les différends si les parties s’étaient entendues dès le départ sur toutes les questions en jeu. De plus, j’ai exposé tout au long de mes motifs les questions soulevées au cours des trois années qui ont précédé l’accord de principe, puis au cours de la conférence de règlement des différends. Je suis convaincu que les renseignements transmis à la Cour étaient suffisants pour me permettre de comprendre la dynamique du processus de négociation qui a mené à l’accord de règlement. Comme je le mentionne plus haut, l’évolution de l’accord de règlement se distingue de celle des règlements antérieurs en ce qu’à partir du moment où les représentants demandeurs ont fait valoir leurs arguments, et vu le portrait du Programme des foyers familiaux indiens dressé par les documents d’archives et les rapports d’expert concernant sa portée, sa nature et ses conséquences, le Canada s’est rapidement montré ouvert à la conclusion d’un règlement. Les nouveautés de l’accord de règlement, comme la présomption applicable aux réclamations au titre de la catégorie 1, démontrent que les avocats étaient déterminés à surmonter les obstacles qui auraient pu faire échec à la conclusion du règlement, l’occurrence, la question du transfert de la responsabilité.
[84] Au paragraphe 27 de la décision McLean c Canada (Procureur général), 2023 CF 1093, le juge Grammond a exposé les problèmes survenus au cours de la mise en œuvre de la convention de règlement dans cette affaire, qui ont empêché les membres du groupe de présenter des réclamations dans le délai fixé. Ces problèmes comprenaient notamment le manque de fiabilité de l’estimation de la taille du groupe, le peu de soutien individuel fourni aux membres du groupe, l’accès restreint à Internet, les barrières linguistiques et le faible niveau d’alphabétisation dans de nombreuses communautés autochtones. D’après ce que j’ai entendu, je suis convaincu que les parties en l’espèce travaillent de concert pour trouver des solutions aux problèmes relevés par le juge Grammond. En l’espèce, la plus grande difficulté sera celle de l’éloignement; on estime que la vaste majorité des membres du groupe sont nés dans des localités éloignées, mais on ignore combien d’entre eux sont retournés dans leur localité d’origine ou sont restés en milieu urbain. Il faudra peut‑être du temps pour déterminer le degré de présence en personne nécessaire pour desservir les localités éloignées. Cette question sera prise en compte lors de la mise en œuvre de l’accord de règlement. Les avocats et l’administrateur des réclamations ont créé un plan pour communiquer en personne avec les communautés par l’intermédiaire du réseau des TSC. Je suis convaincu, du moins pour l’instant, que les stratégies mises au point pour communiquer avec les membres du groupe, dont beaucoup sont des personnes marginalisées vivant en milieu urbain ou dans des localités éloignées, ainsi que pour leur apporter de l’aide et du soutien, permettront de répondre aux deux principaux enjeux concernant la transmission d’un avis suffisant du règlement et l’efficacité du processus de réclamation. Je reconnais qu’il faudra peut-être adapter le programme de notification au fil du temps afin d’en accroître l’efficacité et de corriger les problèmes soulevés. Les avocats du groupe et les avocats du Canada se sont engagés devant moi à diffuser régulièrement et continuellement des renseignements afin que le plus grand nombre possible de membres du groupe puisse être informé du règlement. J’ai approuvé le plan d’avis dans mon ordonnance du 29 avril 2024.
I. Importance et nature des communications des avocats et des représentants demandeurs avec les membres du groupe pendant le litige
[85] Les avocats du groupe ont publié un avis aux membres du groupe conformément à l’ordonnance de la Cour datée du 16 juin 2023, et leur cabinet a créé un site Web sur lequel sont diffusées des mises à jour continues sur l’évolution de l’accord de règlement à l’intention des membres du groupe. Les demandes de renseignements des membres du groupe ont été traitées rapidement et efficacement. De plus, les représentants demandeurs ont joué un rôle de premier ordre dans les discussions en vue d’un règlement et les communications avec les membres potentiels du groupe.
J. Recommandations et expérience des avocats
[86] Les membres du groupe sont représentés par les avocats du groupe et les avocats du sous‑groupe du Québec, dont l’expertise dans le domaine des recours collectifs est reconnue. Comme je l’ai mentionné, la ténacité de M. Percival, conjuguée à l’expérience acquise par les avocats du groupe dans le cadre du règlement relatif à la rafle des années soixante, pourrait bien avoir incité les parties à intenter le recours collectif national constituant l’instance principale, qui a abouti à l’accord de règlement. Notre Cour a d’ailleurs déjà reconnu la grande expérience des avocats du groupe, qui œuvrent dans le domaine des recours collectifs depuis plus de 27 ans (voir Merlo, au para 34; Tiller c Canada, 2020 CF 323 au para 36). Les avocats du sous‑groupe du Québec, quant à eux, ont une expertise reconnue en droit autochtone et une vaste expérience en représentation de gouvernements, d’organisations sans but lucratif et de particuliers autochtones, ainsi que de membres de groupes. Ils ont aussi participé à plusieurs titres au règlement relatif aux externats. Tant les avocats du groupe que les avocats du sous‑groupe du Québec recommandent l’approbation de l’accord de règlement et, comme l’a déclaré la Cour suprême de la Colombie‑Britannique dans l’arrêt Jones v Zimmer GMBH, 2016 BCSC 1847, au paragraphe 36, [traduction] « [l]es avocats expérimentés du groupe sont particulièrement bien placés pour apprécier les risques et les avantages du litige et leurs recommandations se voient accorder un poids considérable par la cour de révision ».
À mon avis, il est évident que les avocats du groupe et les avocats du sous‑groupe du Québec possèdent l’expertise nécessaire et une connaissance détaillée de la présente affaire. Pour ces motifs, j’accorde un poids important à la recommandation qu’ils ont faite à leurs clients d’accepter l’accord de règlement.
VI. Conclusion
[87] Les représentants demandeurs, les membres du groupe qui ont témoigné devant moi et le Canada ont tous convenu que le règlement de la présente affaire est une étape importante sur la voie de la réconciliation. Pour le Canada en particulier, il était important que les membres du groupe soient indemnisés équitablement et d’une manière qui tienne compte à la fois des règlements antérieurs concernant les différentes composantes des politiques et programmes de longue date sur l’éducation et le soin des enfants autochtones – d’où les similitudes entre l’accord de règlement et les règlements de recours collectifs similaires – et de l’expérience unique des survivants des foyers familiaux. Les avocats du Canada m’ont indiqué que, par le versement de l’indemnité de catégorie 1, le Canada reconnaissait la nature de l’expérience vécue par les survivants des foyers familiaux, qui ont été arrachés à leur foyer et à leur communauté, et qu’il était donc important que cette expérience soit reconnue et que les membres du groupe soient indemnisés équitablement.
[88] Cela dit, comme on me l’a clairement indiqué, un règlement, aussi bon soit‑il, ne peut donc être qualifié de réussite si ses mécanismes de notification et d’identification des membres du groupe sont déficients et s’il ne fournit pas à ces derniers les ressources nécessaires pour présenter leurs réclamations. Par conséquent, une mise en œuvre diligente sera nécessaire. Dans l’ensemble, la Cour doit tenir compte de l’intérêt supérieur des quelque 33 000 membres du groupe au regard des restrictions et des contraintes mentionnées plus haut. Les membres du groupe ont suffisamment souffert. L’indemnisation ne corrigera pas les erreurs du passé, mais il faut espérer qu’elle leur permettra de tourner la page et, par là même, de guérir.
[89] Pour les motifs qui précèdent, je suis convaincu que l’accord de règlement est juste, raisonnable et dans l’intérêt supérieur de l’ensemble du groupe. Je réitère donc l’ordonnance prononcée le 11 décembre 2023, dans laquelle j’approuvais l’accord de règlement qui y était joint.
« Peter G. Pamel »
Juge
Traduction certifiée conforme,
Sébastien D’Auteuil, jurilinguiste
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AUX DOSSIERS
DOSSIER :
|
T‑1417‑18 |
INTITULÉ :
|
REGINALD PERCIVAL, ALLAN MEDRICK MCKAY, IONA TEENA MCKAY ET LORNA WATTS c SA MAJESTÉ LE ROI |
MOTIFS DE L’ORDONNANCE D’APPROBATION DU RÈGLEMENT : |
LE JUGE PAMEL |
DATE DES MOTIFS :
|
Le 30 MAI 2024 |
COMPARUTIONS :
David Klein Aden Thompson‑Klein Brent Ryan Douglas Lennox |
POUR LES MEMBRES DU GROUPE |
David Schulze Léa Lemay Langlois Rose Victoria Adams |
POUR LE SOUS‑GROUPE DU QUÉBEC
|
Catharine Moore
Travis Henderson
Sarah Dawn Norris
Thomas Finlay
|
POUR LE DÉFENDEUR |
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Klein Lawyers LLP Vancouver (Colombie‑Britannique) |
POUR LES MEMBRES DU GROUPE |
Dionne Schulze Montréal (Québec) |
POUR LE SOUS‑GROUPE DU QUÉBEC
|
Procureur général du Canada Ottawa (Ontario) |
POUR LE DÉFENDEUR |