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Date : 20060413

Dossier : T-1837-04

T-1532-04

Référence : 2006 CF 487

Ottawa (Ontario), le 13 avril 2006

En présence de monsieur le juge de Montigny

ENTRE :

ALBERT VOLLANT

demandeur

et

KONRAD SIOUI

et

ROSARIO PINETTE, CÉLINE BELLEFLEUR,

GEORGES ERNEST GRÉGOIRE, MARCELLE ST-ONGE,

GILLES JOURDAIN, RONALD FONTAINE ET MAURICE VOLLANT,

en leur qualité de membres ou ex-membres du conseil de bande

défendeurs

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

[1]                Le demandeur, M. Albert Vollant, a déposé deux demandes de contrôle judiciaire visant à faire annuler deux résolutions adoptées par le conseil de bande Innu Takuaikan Uashat Mak Mani-Utenam (Conseil I.T.U.M.). La première de ces résolutions, portant le numéro 04-05-64 (résolution 64), a été adoptée le 23 juin 2004 et fait l'objet du dossier T-1837-04, tandis que la deuxième résolution contestée, identifiée par le numéro 04-05-67 (résolution 67), a été adoptée le 30 juin 2004 et fait l'objet du dossier T-1532-04. Comme ces deux demandes s'inscrivent dans le même contexte, soulèvent les mêmes questions juridiques et ont été instruites en même temps, il m'est apparu plus commode d'en traiter conjointement dans les présents motifs.

[2]                D'autre part, les défendeurs ont à leur tour introduit deux autres demandes de contrôle judiciaire visant à faire réviser la légalité de deux autres résolutions adoptées le 13 septembre 2004 par un conseil I.T.U.M. différemment constitué suite aux élections ayant eu lieu le 8 juillet 2004. Ces deux dossiers, portant les numéros T-1841-04 et T-1842-04, sont traités dans une ordonnance distincte déposée ce même jour; bien que les parties en présence soient essentiellement les mêmes (quoique dans des rôles différents), les questions juridiques soulevées sont tout à fait différentes et nécessitent un traitement séparé.

LES FAITS

[3]                Le présent litige s'inscrit dans un contexte de profonde division politique au sein du Conseil I.T.U.M. La preuve abondante soumise par les parties dans les présents dossiers ainsi que dans les dossiers connexes révèle beaucoup de tension et de méfiance entre l'ancien et le nouveau chef de bande et leurs supporteurs respectifs; bien que les causes de cette dissension ne soient pas faciles à cerner et soient probablement d'origines multiples, certains indices me permettent de croire que le présent conflit trouve notamment sa source dans certains conflits de personnalité et dans le fait que des non-membres aient pu être impliqués dans la gouvernance de la Bande.

[4]                Le Conseil I.T.U.M. est l'organe décisionnel qui, en vertu de la Loi sur les Indiens, L.R.C., ch. I-5, a pour mandat d'administrer les réserves Uashat et Mak Mani-Utenam. Ce conseil est composé d'un chef et de neuf conseillers, tous élus par les membres de la communauté (Code électoral concernant les élections d'Innu-Takuaikan dans la Communauté Uashat mak Mani-Utenam, art. 2.1; dossier du demandeur, p. 29). La durée d'un mandat pour le Conseil est d'au plus trois ans (art. 2.5).

[5]                Entre le mois d'août 2001 et le 8 juillet 2004, date de la dernière élection, le Conseil I.T.U.M. était représenté par le chef Rosario Pinette et les conseillers Céline Bellefleur, Georges-Ernest Grégoire, Marcelle St-Onge, Gilles Jourdain, Ronald Fontaine, Maurice Vollant, Albert Vollant, Brigitte André et Réjean Ambroise. Ces trois derniers conseillers formaient l'opposition.

[6]                Le 3 août 2001, le Conseil I.T.U.M. (représenté par son chef) signait une convention d'emploi avec M. Konrad Sioui pour le poste d'aviseur principal. Cette convention prenait effet le 24 août 2001 et se terminait le 31 août 2004. Les tâches, fonctions et responsabilités afférentes à ce poste étaient ainsi décrites en annexe au contrat :

-                      Assister le Chef et/ou son représentant élu dans l'exercise [sic] de ses fonctions, politiques aux niveaux local, régional, national et international;

-                      Aviser le Chef et/ou son représentant élu sur toute politique ou réglementation gouvernementale ayant une incidence sur la gouverne d'I.T.U.M.;

-                      Assumer les tâches administratives requises pour le Chef et/ou son représentant élu; Rédiger des lettres, documents et rapports tels que requis par le Chef et/ou son représentant élu; Représenter le Chef et/ou son représentant élu lorsque requis;

-                      Remplir des mandats spéciaux tels que requis par le Chef et/ou son représentant élu.

[7]                Il importe ici de reproduire l'article 12 de cette convention, étant donné sa pertinence pour l'intelligence du présent litige :

12.     RÉSILIATION, FIN D'EMPLOI ET CONGÉDIEMENT

a)                   La présente convention est résiliable en tout temps par un consentement écrit des deux parties.

b)                   L'employeur, conformément à l'article précédent, s'engage alors à assumer les conditions suivantes :

1)                   Paiement du solde des vacances

2)                   Paiement du solde des maladies monnayables

3)                   Paiement du solde résiduel du contrat de l'employé

12.       RÉSILIATION, FIN D'EMPLOI ET/OU CONGÉDIEMENT (SUITE)

c)          L'employeur pourra résilier la présente convention si l'employé est trouvé coupable de fautes graves.

d)          Il est expressément convenu que tout retard ou absence répétée et/ou excessive pourront constituer une cause de terminaison avant terme de la présente convention.

e)          Il est également expressément convenu et compris que l'employé ne bénéficiera d'aucune tolérance de la part de l'employeur relativement à la consommation d'alcool ou de drogue illicite.     

[8]                Le 8 août 2002, le Conseil I.T.U.M. a pris la décision de prolonger les contrats d'emploi des employés contractuels jusqu'au 31 décembre 2004, dans le but d'assurer une meilleure transition après les élections. La résolution du Conseil autorisait explicitement le chef Rosario Pinette à modifier en conséquence la durée et la rémunération desdits contrats (Résolution 02-03-40; dossier du demandeur, p. 77).

[9]                Par voie de conséquence, le Conseil I .T.U.M. (toujours représenté par son chef) signait une nouvelle convention d'emploi avec M. Sioui le 13 août 2002. Non seulement ce nouveau contrat prolongeait-il la durée de l'entente jusqu'au 31 décembre 2004, mais on ajustait également la rémunération et les vacances annuelles de M. Sioui à la hausse, et l'on ajoutait à ses responsabilités celle de diriger le Comité exécutif à titre de président. En outre, ce nouveau contrat apportait des modifications importantes à la disposition relative à la résiliation et au congédiement, en prévoyant notamment que dans l'hypothèse où l'employeur mettrait fin au contrat dans l'année précédant son expiration, l'employé aurait droit non seulement à une compensation égale au solde résiduel des obligations de l'employeur (ce qui était déjà prévu dans le contrat original signé en 2001), mais également à une année additionnelle (art. 11(f) du contrat, reproduit à la p. 100 du dossier du demandeur). Il était au surplus convenu « que dans le cas de situation exceptionnelle où l'employé serait incapable d'exercer pleinement ses fonctions, suite à des actes de violence, d'intimidation, d'agression ou de menaces sérieuses subies dans son travail, l'employeur versera à l'employé, et ce, à titre de compensation pour fin d'emploi, le solde résiduel des obligations contenues dans la présente convention » , en sus d'une année additionnelle si ces circonstances exceptionnelles survenaient dans les douze derniers mois de la convention (art. 11(g)).

[10]            Ces clauses, qui n'ont rien à voir avec l'extension du contrat d'emploi jusqu'au 31 décembre 2004, témoignent du climat chargé qui régnait déjà à l'époque. Non seulement le Conseil de l'époque voulait-il tenir compte des craintes qu'entretenait M. Sioui pour sa sécurité, mais il voulait également lui fournir une certaine protection financière dans l'éventualité d'un changement de chef suite aux élections de 2004.

[11]            Il appert d'ailleurs de la preuve soumise par les parties que d'autres modifications au contrat de M. Sioui, à la demande de ce dernier, ont été envisagées dès la fin de l'année 2002. L'objectif était de protéger encore davantage M. Sioui, en prévoyant par exemple le paiement d'une indemnité équivalente à un an de salaire en cas de non renouvellement de son contrat à l'échéance et le dépôt entre les mains d'un fiduciaire, avant l'élection, des sommes qui pourraient lui être dues conformément aux termes de son contrat (voir, entre autres, l'avis juridique de Me Lucie Gauthier en date du 31 mars 2003, reproduit comme pièce AV-14 au soutien de l'affidavit d'Albert Vollant, dossier du demandeur, p. 114). À l'approche des élections, soit entre le 16 mai et le 22 juin 2004, l'étude Bertrand Poulin a été mandatée pour préparer de nombreuses ébauches de résolution, de lettre et de contrat dont l'objectif était toujours de mieux protéger M. Sioui suite à un changement de garde possible au Conseil de bande (voir les pièces AV-15 à AV-18 au soutien de l'affidavit de M. Vollant, ainsi que les paragr. 48-53 de son affidavit; dossier du demandeur, p. 120, 125, 130, 170).

[12]            La dernière assemblée régulière du Conseil I.T.U.M. a eu lieu le 25 mai 2004, soit deux semaines avant le déclenchement de la campagne électorale le 8 juin suivant. Suite à l'élection, qui a eu lieu le 8 juillet, le chef Rosario Pinette a été remplacé par M. Elie-Jacques Jourdain. Cinq conseillers favorables à l'ancien chef ont été réélus (Céline Bellefleur Vollant, Georges-Ernest Grégoire, Gilles Jourdain, Ronald Fontaine, Marcelle St-Onge), tandis que quatre conseillers appuient le nouveau chef (Marie-Marthe Fontaine, Bernadette Michel, Yves Rock et le demandeur, Albert Vollant).

[13]            Or, pendant la campagne électorale, la secrétaire du Conseil I.T.U.M. a fait circuler auprès des six conseillers de la même allégeance que le chef Rosario Pinette une résolution (la résolution 64) en vue d'obtenir leur signature. Il n'est pas contesté qu'aucune réunion n'a été convoquée pour faire adopter cette résolution.

[14]            Cette résolution avait pour objet de verser à M. Sioui une indemnité de six mois de salaire, à titre d'avance, et l'autorisait à mettre fin à son emploi en donnant un avis écrit dans les vingt-quatre heures suivant la publication du résultat final de l'élection. Il n'est pas sans intérêt de prendre note que l'un des attendus de cette résolution est à l'effet que « Konrad Sioui a déjà manifesté son intention éventuelle de résilier sa convention d'emploi si la composition du prochain Conseil devait être modifiée significativement suite à la publication du résultat final de l'élection » . D'autre part, le dispositif de la résolution se lit comme suit :

-                   Que INNU TAKUAIKAN UASHAT MAK MANI-UTENAM verse à monsieur Konrad Sioui, sur sa pale [sic] régulière du 7 juillet 2004 et à titre d'avance, la totalité des sommes qui lui sont dues en vertu de son contrat d'emploi pour la période du 4 juillet 2004 au 31 décembre 2004;

-                   Qu'advenant une modification significative de la composition du prochain Conseil, monsieur Konrad Sioui puisse mettre fin à son contrat d'emploi en donnant un avis écrit à cet effet dans les 24 heures suivant la publication du résultat final de l'élection;

-                   Que dans l'éventualité où monsieur Konrad Sioui décidait de mettre fin à son emploi, les sommes qui lui auront été versées à titre d'avance deviendront un paiement à titre d'indemnité ou prime de séparation, en règlement complet et final pour toutes sommes dues en vertu de son contrat d'emploi, en capital, intérêts et frais.

-                   Que dans l'éventualité où Monsieur Konrad Sioui choisirait de poursuivre son contrat avec INNU TAKUAIKAN UASHAT MAK MANI-UTENAM, celui-ci devra alors rembourser à INNU TAKUAIKAN UASHAT MAK MANI-UTENAM les sommes ainsi reçues dans les 24 heures suivant la remise au Conseil de sa décision écrite de continuer son contrat d'emploi, laquelle devra également être notifiée dans les 24 heures suivant la publication du résultat final de l'élection.

[15]            Il n'est pas contesté que les conseillers représentant l'opposition, soient le demandeur ainsi que Brigitte André et Réjean Ambroise, n'ont pas été contactés par la secrétaire du Conseil I.T.U.M. pour signer la résolution 64. D'autre part, la preuve révèle que les conseillers qui ont signé la résolution 64 étaient sous l'impression que l'indemnité ainsi versée à Konrad Sioui était déjà prévue à son contrat d'emploi. En fait, la plupart d'entre eux ignoraient que l'étude Bertrand, Poulin avait été mandatée depuis quelques mois pour préparer un nouveau contrat d'emploi pour Konrad Sioui et pour préparer la résolution 64. Ils n'étaient pas non plus au courant du montant de l'indemnité qui devait être versée à M. Sioui.

[16]            Le 28 juin 2004, Konrad Sioui a accepté les termes et conditions d'une entente contenue dans la lettre que lui avait adressée le chef Rosario Pinette le 23 juin, qui reprenait le contenu de la résolution 64. Le 5 juillet 2004, M. Sioui a donc reçu un paiement de 58 557,63$. L'entente prévoyait également le versement d'une allocation de logement mensuelle de 600 $ jusqu'à la fin de son contrat.

[17]            Suite à l'élection du chef Élie-Jacques Jourdain, M. Konrad Sioui a remis sa démission par courrier recommandé le 9 juillet 2004. On a longuement fait état devant moi des déclarations qu'aurait faite le nouveau chef avant, pendant et après la campagne électorale, relativement à son intention de congédier M. Sioui dès l'instant où il serait élu. Les défendeurs ont également fait valoir que M. Sioui aurait été victime de menaces et d'intimidation, et qu'il lui aurait été impossible de continuer à résider sur la réserve suite à l'élection. Il ne me sera pas nécessaire de me prononcer sur ces prétentions, et ce pour au moins deux raisons. D'abord, il m'apparaît tomber sous le sens que les fonctions exercées par M. Sioui auprès du chef requièrent un lien de confiance qui n'existait tout simplement pas avec le nouveau chef. Je vois très mal comment le chef Elie-Jacques Jourdain aurait pu faire de Konrad Sioui son principal lieutenant politique, compte tenu du degré d'animosité qui semblait exister entre les deux hommes. D'autre part, il est bien établi qu'une autorité publique ne saurait être dispensée d'agir conformément à son pouvoir habilitant au motif qu'elle avait de bonnes raisons pratiques de le faire.

[18]            Les faits qui précèdent m'apparaissent suffisants pour bien saisir la portée des questions que soulève l'adoption de la résolution 64. Quelques informations complémentaires m'apparaissent cependant utiles pour bien cerner le contexte dans lequel a été adoptée la résolution 67, dont la légalité est également contestée dans le cadre des présentes demandes de contrôle judiciaire.

[19]            La preuve révèle que le Conseil I.T.U.M. traversait une importante crise financière en 2001. De fait, le Ministère des Affaires indiennes avait demandé au Conseil de corriger sa situation financière car son niveau d'endettement dépassait les huit pour cent. En conséquence, le Conseil adoptait le 6 août 2001 un plan de redressement et créait par voie de résolution, le 10 août 2001, un comité exécutif chargé d'appliquer ce plan de redressement. Ce comité, présidé par M. Konrad Sioui, était secondé par la firme PriceWaterhouse Coopers, nommée co-gestionnaire par le Conseil.

[20]            Fait à signaler, il semble que la résolution créant ce comité exécutif a été adoptée de la même façon que la résolution 64, c'est-à-dire par voie de signature d'une majorité des membres du Conseil et sans qu'une réunion soit tenue. Le comité exécutif semble avoir appliqué le plan de redressement avec succès, puisque le déficit était ramené à 6.81% pour l'exercice financier de l'année 2004.

[21]            La création du comité exécutif ne s'est cependant pas faite sans heurt. En septembre 2004, deux membres de la Communauté Uashat Mak Mani-Utenam ont en effet déposé lors d'une assemblée publique du Conseil une pétition signée par près de 38% des électeurs de la communauté, afin de dénoncer ce que l'on alléguait être une délégation illégale des pouvoirs du Conseil I.T.U.M. à un comité exécutif composé en partie de non-Innus et pour demander la tenue d'une assemblée générale. Cette pétition devait cependant rester lettre morte, son instigateur n'y ayant pas donné suite. Les défendeurs ont incidemment mis en doute l'authenticité et la validité de cette pétition.

[22]            Quoiqu'il en soit, le Conseil I.T.U.M. a adopté le 30 juin 2004 une résolution (la résolution 67) ayant pour objet de ratifier « toutes les décisions prises et les gestes posés par les membres du comité exécutif depuis sa formation le 10 août 2001 jusqu'à maintenant, le tout, selon les orientations et directives de Innu Takuaikan Uashat Mak Mani-Utenam » . Cette résolution a été adoptée de la même façon que la résolution 64, soit par la signature d'une majorité des membres du Conseil et sans être discutée lors d'une réunion du Conseil dûment convoquée.

[23]            Au surplus, la preuve révèle que certains conseillers se seraient faits dire que cette résolution n'avait pour objet que de remercier le comité exécutif pour le travail effectué au cours de son mandat. Le demandeur a même fait valoir que les signataires de cette résolution ignoraient en quoi consistait l'ensemble des gestes et des décisions prises par le comité exécutif au cours de son mandat, que les membres du Conseil I.T.U.M. n'étaient pas convoqués aux réunions du comité exécutif et n'en recevaient même pas les ordres du jour et les minutes. En revanche, les défendeurs soutiennent que le chef était la courroie de transmission entre le Conseil et le comité exécutif, que les réunions du comité exécutif étaient ouvertes aux conseillers, et que le comité exécutif faisait rapport directement auprès du Conseil I.T.U.M. de l'avancement de l'application du plan de redressement. Une lecture attentive des affidavits et des interrogatoires m'incite à accorder plus de crédibilité aux témoignages des défendeurs sur ce point, dans la mesure où cela pourra être pertinent dans l'analyse des questions en litige.

QUESTIONS EN LITIGE

[24]            Le demandeur et les défendeurs ont soumis à cette Cour plusieurs questions aux fins de trancher le présent litige. Après avoir pris connaissance du dossier ainsi que des représentations écrites et orales des parties, j'en suis venu à la conclusion qu'il me fallait aborder les points suivants pour disposer des présentes demandes de contrôle judiciaire :

-                      Quelle est la norme de contrôle applicable?

-                      Les résolutions 64 et 67 ont-elles été adoptées validement? Plus particulièrement, ces résolutions pouvaient-elles être adoptées sans réunion du conseil, en les faisant circuler auprès des membres jusqu'à ce que la majorité requise soit obtenue? Cette façon de procéder est-elle conforme à la coutume qui se serait développée au sein du Conseil I.T.U.M.?

-                      En supposant même que ces coutumes n'auraient pas été adoptées validement, cette Cour doit-elle néanmoins refuser d'intervenir au motif que la communauté n'en a subi aucun préjudice?

ANALYSE

Questions préliminaires

[25]            Il est maintenant bien établi que les décisions prises par un conseil de bande, lorsqu'il exerce ou est réputé exercé son pouvoir de diriger la bande, peuvent faire l'objet d'un contrôle judiciaire par la Cour fédérale. La jurisprudence regorge en effet de décisions où l'on a assimilé un conseil de bande à un « office fédéral » , pour les fins de l'article 18 de la Loi sur les Cours fédérales : voir, entre autres, Rider v. Ear (1979), 103 D.L.R.(3d) 168 (C.S. Alb.); Canatonquin c. Gabriel, [1980] 2 C.F. 792 (C.A.) (QL); Coalition To Save Northern Flood v. Canada (1995), 102 Man R. (2d) 223 (C.A. Man.). Il en ira ainsi non seulement lorsque le conseil exerce un pouvoir qui lui a été explicitement conféré par une loi fédérale, mais également lorsque la décision contestée s'appuie sur la coutume; s'il en va ainsi, c'est tout simplement parce que c'est la Loi sur les Indiens elle-même, plus précisément son paragraphe 2(1), qui reconnaît le caractère juridique de la coutume : voir Francis c. Conseil mohawk de Kanesatake, [2003] 4 C.F. 1133 (QL), aux paragr. 13-17 (C.F.); Conatonquin c. Gabriel, précité; Frank c. Bottle, [1993] A.C .F. no 670 (QL); Scrimbitt c. Conseil de la bande indienne de Sakimay, [2000] 1 C.F. 513 (C.F.) (QL). Par voie de conséquence, les résolutions prises par un conseil de bande constituent des décisions au sens de la Loi sur les Cours fédérales et peuvent faire l'objet d'une demande de contrôle judiciaire.

[26]            Les défendeurs ont tenté de faire valoir que le recours à l'encontre de la résolution 67 n'était qu'un moyen détourné pour attaquer la création du Comité exécutif, près de trois ans après sa formation. Il est vrai qu'un examen de la preuve soumise de part et d'autre de même que du mémoire de la partie demanderesse laisse clairement voir que le demandeur et les affiants qui ont soutenu sa demande n'ont jamais accepté la création du Comité exécutif et remettent en question la légitimité de cet organe et sa façon de prendre des décisions. Mais je ne crois pas que cela soit suffisant pour remettre en question le véritable enjeu du litige.

[27]            Il m'apparaît au contraire que l'objectif poursuivi par le demandeur est de faire ressortir que certaines décisions prises par le Comité exécutif pourraient être illégales, d'où la nécessité de se pencher sur la légalité de la résolution 67 qui aurait pour effet de valider rétroactivement toutes les décisions prises par le Comité exécutif. Si la résolution 67 devait être déclarée nulle et illégale, les décisions prises par le Comité exécutif n'en seraient pas pour autant invalidées du même coup. Comme l'a fait valoir le demandeur, la nullité de la résolution 67 n'entraînerait que la possibilité de contester à la pièce l'une ou l'autre des décisions prises par le Comité exécutif.

[28]            En tout état de cause, la demande de contrôle judiciaire de la résolution 67 ne me paraît pas tardive, dans la mesure où le délai de trente jours prévu à l'article 18.1(2) ne s'applique qu'aux décisions de nature judiciaire ou quasi-judiciaire rendues par les tribunaux administratifs de juridiction fédérale. Bien que la version française réfère aux décisions d'un « office fédéral » , la version anglaise est beaucoup plus explicite et stipule que le délai de trente jours s'applique aux décisions ou ordonnances d'un « federal board, commission or other tribunal » : voir Federal Courts Practice, par B. Saunders, M. Kinnear, D.J. Rennie et G. Garton, Thomson Carswell, 2006, à la p. 110.

Norme de contrôle

[29]            Les pouvoirs conférés aux conseils de bande par la Loi sur les Indiens s'apparentent davantage aux pouvoirs dont sont investis les conseils municipaux qu'à ceux conférés aux conseils d'administration d'une corporation commerciale : Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [2000] 1 C.F. 325 (C.A.F.) (QL); Francis c. Conseil mohawk de Kanesatake, [2003] 4 C.F. 1133 (QL); Leonard v. Gottfriedson (1980), 21 B.C..L.R. 326 (C.S. C.-B.); Isolation Sept-Iles c. La Bande des Montagnais de Sept-Iles et Maliotenam (1989), 2 C.N.L.R. 49 (C.S.Q.). Dans cette optique, on pourrait croire que la détermination des limites expresses ou implicites du pouvoir discrétionnaire dont un conseil de bande est investi doit s'effectuer en vertu d'une norme de contrôle fondée sur la notion d'ultra vires. : Leonard c. Gottfriedson, précité.

[30]            Cette approche classique semble néanmoins être battue en brèche par la méthode pragmatique et fonctionnelle, à laquelle une majorité de la Cour suprême semble maintenant vouloir s'en remettre non seulement pour déterminer la norme de contrôle applicable aux décisions rendues par des organismes administratifs mais également aux résolutions adoptées par les autorités locales. C'est ce qui découle de l'évolution jurisprudentielle que l'on peut constater à la lecture des arrêts suivants de la Cour suprême du Canada : Produits Shell Canada Ltée. c. Vancouver (Ville de), [1994] 1 R.C.S. 231; Nanaimo (Ville de) c. Rascal Trucking Ltd., [2000] 1 R.C.S. 342; Chamberlain c. Surrey School District No. 36, [2002] 4 R.C.S. 710. La professeure Suzanne Comtois, dans son ouvrage intitulé Vers la primauté de l'approche pragmatique et fonctionnelle (Éd. Yvon Blais, Cowansville, 2003, aux pp. 107 à 125) en fait incidemment une analyse rigoureuse et fort éclairante.

[31]            En l'occurrence, je ne crois pas que la méthode pragmatique et fonctionnelle puisse dicter une norme de contrôle différente de celle qui découlerait de l'application de l'ultra vires. Je note tout d'abord que la Loi sur les Indiens ne protège pas les décisions prises par un conseil de bande par le biais d'une clause privative. Deuxièmement, je ne crois pas que le Conseil de bande soit mieux placé que cette Cour pour déterminer si la Loi sur les Indiens l'autorise à agir comme il l'a fait. Il est vrai que le Conseil I.T.U.M. se devait d'apprécier la situation qui prévalait pour tenter de prendre la décision qui serait dans le meilleur intérêt de la Bande; à ce chapitre, la Cour se doit de faire preuve d'une très grande déférence. Mais la question qui nous est soumise n'est pas tant de savoir s'il avait raison d'agir comme il l'a fait, mais s'il en avait le pouvoir. Sur ce plan, son expertise n'est certainement pas plus grande que celle de la Cour. Le troisième facteur de l'analyse pragmatique et fonctionnelle, soit l'objectif poursuivi par le législateur en confiant la gouvernance de la Bande au Conseil, revêt une importance particulière. Le Parlement a voulu reconnaître à l'autorité élue par les membres de la Bande une large autonomie dans la conduite de leurs affaires, et cet objectif doit certes se traduire par une attitude de respect de la part des tribunaux. Encore faut-il que les décisions prises s'inscrivent à l'intérieur des paramètres fixés par la loi; comme pour les conseils municipaux, c'est là le gage que la volonté des membres sera respectée et que leurs meilleurs intérêts seront pris en considération. Enfin, la question de savoir si le Conseil avait le pouvoir de suivre la procédure qu'il a suivie pour adopter les résolutions 64 et 67 est indéniablement une question de droit. Compte tenu de ces quatre facteurs, j'en arrive donc à la conclusion que ces décisions doivent être soupesées à l'aulne de la norme de la décision correcte. C'est dire que la retenue dont je dois faire preuve dans l'examen de cette question sera minimale.

Les résolutions 64 et 67 ont-elles été adoptées validement?

[32]            Le demandeur a beaucoup insisté sur l'obligation du Conseil I.T.U.M. de respecter les exigences de l'alinéa 2(3)b) de la Loi sur les Indiens dans l'exercice des pouvoirs que lui confère cette loi. Cette disposition se lit comme suit :

(3) Sauf indication contraire du contexte ou disposition expresse de la présente loi :

a) un pouvoir conféré à une bande est censé ne pas être exercé, à moins de l'être en vertu du consentement donné par une majorité des électeurs de la bande;

b) un pouvoir conféré au conseil d'une bande est censé ne pas être exercé à moins de l'être en vertu du consentement donné par une majorité des conseillers de la bande présents à une réunion du conseil dûment convoquée

(3) Unless the context otherwise requires or this Act otherwise provides,

(a) a power conferred on a band shall be deemed not to be exercised unless it is exercised pursuant to the consent of a majority of the electors of the band; and

(b) a power conferred on the council of a band shall be deemed not to be exercised unless it is exercised pursuant to the consent of a majority of the councillors of the band present at a meeting of the council duly convened.

[33]            Or, il y aurait eu deux manquements à cette disposition lors de l'adoption des résolutions 64 et 67 : d'abord, tous les conseillers n'ont pas été convoqués, et de plus, aucune réunion n'a été tenue. Ces vices seraient fatals pour la validité de ces résolutions. Aucune coutume ne pourrait être invoquée pour modifier les exigences posées par cette disposition de la Loi sur les Indiens. Et en supposant même que les défendeurs puissent invoquer une coutume qui déroge au texte législatif, une telle coutume n'aurait pas été prouvée puisque les conditions établies par la jurisprudence n'ont pas été remplies. Enfin, le demandeur a fait valoir que la coutume invoquée par les défendeurs ne pouvait recevoir application en l'espèce, puisque les trois conditions qui en sous-tendraient la mise en oeuvre n'auraient pas été respectées.

[34]            De leur côté, les défendeurs soutiennent que l'adoption d'une résolution en la faisant circuler pour obtenir le consentement d'une majorité des conseillers est une pratique bien établie qui a d'ailleurs été reconnue par le demandeur lui-même à certaines occasions. Ils font également valoir que les affiants qui ont témoigné au soutien de l'existence d'une telle coutume sont plus crédibles que les témoignages de ceux et celles qui appuient la position du demandeur. Enfin, les défendeurs ne contestent pas que le mécanisme coutumier de ce qu'il est maintenant convenu d'appeler une « flying resolution » est soumis à l'existence de certaines conditions préalables : 1) il n'est pas possible de convoquer une réunion; 2) une décision doit tout de même être prise de façon urgente; et 3) une majorité absolue de conseillers disponibles soutient la résolution. Toutes ces exigences auraient été remplies lors de l'adoption des résolutions 64 et 67.

[35]            À ce chapitre, il m'apparaît que le demandeur doit avoir gain de cause. L'alinéa 2(3)b) est rédigé en termes impératifs; l'objectif du législateur était clairement de créer une règle dont on ne peut déroger : voir, à propos de ce type de formulation législative, R. Sullivan, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd., Butterworths, pp. 71-72. Je note d'ailleurs que c'est précisément la conclusion à laquelle en est venue la Cour suprême de Colombie britannique dans l'arrêt Leonard and the Kamloops Indian Band et al. v. Gottfriedson, [1982] 1 C.N.L.R. 60; [1980] B.C.J. No. 551 (QL), aux paragraphes 43 à 45 :

I have been directed to no statutory or similar authority authorizing the exercise of power by the band council by individual consent to a resolution in writing.

As is well known in the field of company law, for example, it has been fairly common practice to make provision in the articles of a company for the exercise by directors of their powers by written resolution signed by all the directors, the same being as effective as if passed at a meting of directors duly called and properly constituted. (...)

It appears to me also that the position under the Indian Act is analogous to the exercise of powers of a municipal corporation. Such powers are, speaking generally, to be exercised in close conformity with the provisions of the incorporating statute. The rationale for such limitations with respect to the exercise of powers is that they are being exercised in the interests of the welfare of the inhabitants who are thus to be protected ...

Voir aussi: MacMillan v. Augustine, [2004] N.B.J. No. 161 (B.R. N.-B); Woodward J., Native Law Thomson Carswell, 2002, à la p. 182.

[36]            Il y a, me semble-t-il, de bonnes raisons pour qu'une assemblée publique à laquelle ont été convoqués tous les membres élus puisse seule prendre les décisions qui lient toute la Bande. En démocratie, on considère que le choc des idées dans le cadre d'un forum où tous les points de vue peuvent s'exprimer est le meilleur gage du respect des droits de chacun et de la poursuite des intérêts de la collectivité. Si cet objectif doit parfois céder le pas à des impératifs d'efficacité et de célérité dans le contexte d'entreprises commerciales, il ne devrait jamais en aller de même lorsqu'il y va du bien commun des membres appartenant à une collectivité publique. Les risques de dérapage sont trop lourds de conséquences pour que le moindre écart à cette règle puisse être toléré.

[37]            On a tenté de faire valoir que le contexte pouvait justifier que l'on s'éloigne de la règle prescrite par l'alinéa 2(3)b), en s'appuyant sur le texte liminaire du paragraphe 2(3) : « Sauf indication contraire du contexte ou disposition expresse de la présente loi » . J'ai cependant beaucoup de difficultés à voir dans ces mots une allusion à la coutume, et encore moins une autorisation implicite à déroger au texte clair de cette disposition en s'appuyant sur cette coutume. Il me semble que si le législateur avait voulu permettre de recourir à la coutume pour mettre de côté les prescriptions de l'alinéa 2(3)b), il se serait exprimé beaucoup plus directement, un peu comme il l'a fait lorsqu'il a voulu permettre l'élection d'un conseil de bande en s'en remettant à la coutume plutôt qu'en suivant les exigences de l'article 74.

[38]            En tout état de cause, les défendeurs ne m'ont pas convaincu qu'il existe bel et bien une coutume autorisant le Conseil I.T.U.M. à procéder à l'adoption d'une résolution en la faisant circuler auprès de ses membres jusqu'à ce qu'elle recueille l'assentiment d'une majorité d'entre eux. Or, il est bien établi que c'est à la partie qui invoque une coutume qu'il revient de la prouver : McArthur c. Canada (Department of Indian Affairs and Northern Development) (1992), 91 D.L.R. (4th) 666 (C.B.R. Sask); Francis c. Conseil mohawk de Kanesatake, précité.

[39]            Pour être en mesure de démontrer l'existence d'une coutume, deux éléments doivent être présents : un premier, de nature objective, consiste en l'existence d'un certain nombre de précédents (qui peuvent, en certaines circonstances, être remplacés par un acte isolé comme l'adoption d'un règlement général ou d'un code électoral). L'accumulation de précédents n'est cependant pas suffisante; il faudra y joindre un élément subjectif, qui consistera en l'acceptation par les personnes visées de la pratique suivie. Le juge Martineau, après avoir longuement analysé la jurisprudence pertinente, a bien résumé les principes applicables dans l'arrêt Francis c. Conseil mohawk de Kanesatake, précité, au paragr. 36 :

Pour qu'une règle devienne une coutume, la pratique se rapportant à une question ou situation donnée qui est visée par cette règle doit être fermement établie, généralisée et suivie de manière uniforme et délibérée par une majorité de la communauté, ce qui démontrera un « large consensus » quant à son applicabilité. Cette description exclurait les comportements sporadiques visant à corriger des difficultés d'application exceptionnelles à un moment donné ainsi que d'autres pratiques qui sont manifestement considérées au sein de la communauté comme des pratiques suivies à titre d'essai. S'il existe, ce « large consensus » prouvera la volonté de la communauté à un moment donné de ne pas considérer le code électoral adopté comme un document exhaustif et exclusif. Ce consensus aura pour effet d'exclure de l'équation un nombre infime de membres d'une bande qui se sont constamment opposés à l'adoption d'une règle régissant les élections à titre de règle coutumière.

[40]            En l'occurrence, la preuve soumise par les défendeurs ne me permet pas de me prononcer avec certitude sur l'existence de la coutume invoquée. Quelques résolutions semblent effectivement avoir été adoptées dans le passé en les faisant circuler auprès des membres du Conseil I.T.U.M.; il appert même que le demandeur lui-même en aurait signé quelques unes. Mais outre le fait qu'une telle procédure ne semble pas avoir été utilisée très souvent (ce qui serait dans l'ordre des choses, étant donné son caractère exceptionnel), je n'ai aucun élément de preuve me permettant de croire que cette soi-disant coutume est généralement acceptée par la communauté et qu'elle fait l'objet d'un consensus auprès des membres de la Bande.

[41]            Mais il y a plus. Dans l'hypothèse même où je serais prêt à reconnaître l'existence d'une telle coutume, les exigences qui en conditionnent l'application ne me paraissent pas avoir été remplies. D'abord, il est en preuve que la secrétaire du Conseil I.T.U.M n'a pas vérifié la disponibilité des conseillers dissidents Albert Vollant et Brigitte André pour assister à une réunion du conseil. Au surplus, l'urgence de procéder pendant la campagne électorale me semble un peu suspecte, étant donné que la question de l'indemnité à être versée à M. Konrad Sioui dans l'éventualité d'un changement de garde suite aux élections de juillet 2004 faisait déjà l'objet de discussions au moins depuis le mois de mars 2003. Il aurait donc sans doute été possible de discuter de cette question lors de la dernière assemblée régulière du Conseil I.T.U.M.; si on a plutôt choisi de procéder par voie de « résolution volante » , c'est peut-être davantage pour éviter d'attirer l'attention sur les modifications contractuelles envisagées et d'en payer le prix politique, comme le suggère le demandeur.

[42]            Enfin, je ne peux m'empêcher de m'interroger sur le degré d'appui qu'ont véritablement reçu les résolutions 64 et 67, dans la mesure où la preuve révèle que les membres du Conseil qui les ont signées ne semblaient pas très bien comprendre le sens et la portée véritable de ces résolutions. Les contre-interrogatoires des membres signataires de ces résolutions permettent en effet de constater qu'il y avait beaucoup de confusion dans l'air : plusieurs croyaient en effet que l'indemnité votée à M. Sioui dans le cadre de la résolution 64 était déjà prévue à son contrat d'emploi, et que la résolution 67 n'était en fait que l'expression de remerciements au comité exécutif pour le travail effectué au cours de son mandat.

[43]            Cette ambiguïté témoigne des dangers que recèle cette façon d'adopter des résolutions. À la limite, une telle façon de procéder pourrait autoriser les pires dérives : il pourrait en effet être tentant de faire adopter des décisions controversées dans le plus grand secret, en contrôlant l'information disséminée et en ne contactant que les membres présumés favorables à la résolution. Ce faisant, on se trouverait à pervertir les fondements mêmes de la démocratie, en ne permettant pas aux représentants élus de s'exprimer et de débattre des questions qui affectent l'ensemble des membres.

La Cour doit-elle intervenir?

[44]            Les défendeurs ont bien tenté de plaider que l'annulation des résolutions 64 et 67 n'emporterait aucun effet juridique puisqu'elles n'étaient pas nécessaires au départ. En ce qui concerne plus particulièrement la résolution 64, on a prétendu que le Chef avait l'autorité de modifier les conditions d'emploi de M. Sioui et qu'il s'agissait là d'une question administrative qui ne nécessitait pas l'intervention du Conseil. Je ne suis pas de cet avis. Tout comme en matière municipale et scolaire, les formalités imposées par la Loi sur les Indiens sont une condition sine qua non à la validité d'un contrat, et il ne saurait être question d'appliquer ici la théorie du mandat apparent comme on accepte plus facilement de le faire pour les autorités gouvernementales. Comme l'écrivait Mme la juge Tourigny dans l'arrêt Isolation Sept-Iles Inc. c. La Bande des Montagnais de Sept-Iles et Maliotenan, [1989] 2 C.N.L.R. 49 (C.S. Qué.), à la p. 57 :

D'autre part, si les tribunaux ont été unanimes à sanctionner l'inobservance des formalités prévues en matière municipale et scolaire, c'est parce qu'il s'agit là de pouvoirs délégués par le Parlement au bénéfice et dans l'intérêt des citoyens et que ces pouvoirs délégués ne peuvent s'exercer que dans le cadre strict qui leur est imposé par la loi.

Les conseils de bandes indiennes tirent leurs pouvoirs de la même source, et c'est par voie de délégations faite en vertu de la Loi sur les Indiens qu'ils sont habilités à agir dans des cas et selon des modalités qui y sont prévus.

Le paragraphe 2(3) de cette loi indique clairement la nécessité du consentement donné par une majorité de conseillers de la bande présents à une réunion du conseil dûment convoquée autrement, « un pouvoir conféré au conseil d'une bande est censé ne pas être exercé » . De plus, les autorisations prévues aux articles 64 et 66 qui doivent être données par le ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien, pour ce qui est de la dépense des deniers, sont également une formalité essentielle.

Voir aussi : Leonard and the Kamloops Indian Band et al. v. Gottfriedson, précitée; Conseil de bande des Abénakis de Wôlinak c. Bernard, [1999] 2 C.N.L.R. 52 (C.F.); Heron Seismic Services Ltd. v. Muscowpetung Indian Band, [1991] 2 C.N.L.R. 52 (B.R. Sask.); Gilbert v. Abbey, [1992] 4 C.N.L.R. 21 (C.S. C.-B.); Raine c. Bande Louis Bull (conseil),[2000] A.C.F. no 1372 (QL).

[45]            L'embauche d'un conseiller spécial ne me semble pas relever de la gestion courante des affaires de la Bande, ne serait-ce que parce que les termes de ce contrat, la nature des tâches décrites et le niveau de rémunération n'en font pas un contrat standard. Qui plus est, on ne peut prétendre que les modifications qu'apportaient la résolution 64 au contrat de M. Sioui étaient autorisées par la résolution adoptée le 8 août 2002, laquelle autorisait le Chef à prolonger les contrats d'emploi de tous les employés contractuels jusqu'au 31 décembre 2004 dans le but d'assurer une meilleure transition après les élections. La modification des termes du contrat de M. Sioui, prévoyant le versement d'une indemnité de 58 557,63 $ à ce dernier en cas de démission, va bien au-delà de la lettre et de l'esprit de cette résolution.

[46]            Les défendeurs ont également demandé à la Cour de rejeter la demande de contrôle judiciaire dans le dossier T-1532-04, au motif que l'annulation de la résolution 67 n'aurait aucun effet. Ils soutiennent en effet que si le demandeur veut attaquer des décisions prises par le Comité exécutif, il devait attaquer ces décisions elles-mêmes, et non la résolution les ratifiant.

[47]            Il est exact que l'annulation de la résolution 67 n'entraîne pas l'invalidité des gestes posés par le Comité exécutif. Ce n'est d'ailleurs pas ce que recherche le demandeur. Même s'il s'est toujours opposé à la création de ce Comité, je ne suis pas saisi de la question de savoir si ce Comité a été validement mis sur pied. Le seul impact que peut avoir l'annulation de la résolution 67, c'est de permettre la contestation d'une décision qu'aurait pu prendre le Comité au motif qu'il aurait excédé les pouvoirs que lui a délégué le Conseil I.T.U.M., sans que l'on puisse opposer une ratification ex post facto de cette décision. Pour cette raison, je ne puis donc souscrire à la thèse des défendeurs que l'annulation de la résolution 67 serait sans effet juridique.

[48]            De façon subsidiaire, les défendeurs ont demandé à la Cour d'exercer la discrétion que lui confère le paragraphe 18.1(5) de la Loi sur les Cours fédérales pour rejeter la demande de contrôle judiciaire, au motif que les irrégularités entourant l'adoption des résolutions 64 et 67 n'auraient emporté aucun dommage important pour les membres de la Bande. On a notamment fait valoir que l'animosité du nouveau chef envers M. Sioui et sa promesse électorale de démettre ce dernier de ces fonctions s'il était élu ne laissaient subsister aucun doute sur le sort qu'aurait subi M. Sioui s'il n'avait pas démissionné : il aurait sans aucun doute été congédié, ce qui aurait entraîné des dépenses encore plus importantes pour le Conseil I.T.U.M. La preuve révèle d'ailleurs qu'au lendemain de son élection, le nouveau chef aurait déclaré à un journaliste que M. Sioui « devra se trouver un autre emploi » . Or, les termes du contrat qui liait M. Sioui au Conseil prévoyaient une indemnité de départ équivalent au solde résiduel des obligations de l'employeur en plus d'une année additionnelle de salaire dans l'hypothèse où son contrat était résilié par l'employeur dans les douze derniers mois de sa durée (voir paragr. 9 des présents motifs).

[49]            Les défendeurs ont également fait allusion à l'alinéa 11g) de son contrat d'emploi, qui prévoyait la même indemnité de départ si M. Sioui devenait « incapable d'exercer pleinement ses fonctions suite à des actes de violence, d'intimidation, d'agression ou de menaces sérieuses subies dans son travail » . Invoquant le climat de violence qui avait prévalu suite à l'élection précédente et les agressions dont aurait été victime M. Sioui dans le passé, les défendeurs prétendent que ce dernier aurait également pu invoquer cette clause du contrat.

[50]            Compte tenu de cette situation, les défendeurs soutiennent donc que la résolution 64 n'avait pour effet que de garantir le paiement des sommes dues à M. Sioui s'il y avait un changement de direction suite à l'élection d'un nouveau Conseil, ainsi que de réduire d'un an de salaire l'indemnité à laquelle il aurait autrement eu droit. Cet argument, quoique séduisant, ne me convainc pas.

[51]            Il faut d'abord admettre que l'argumentation des défendeurs est purement spéculative. Il est bien possible que M. Sioui n'ait pas démissionné n'eut été de l'indemnité que lui permettait de réclamer la résolution 64. On peut également penser que le nouveau chef ne l'aurait pas maintenu dans son poste de conseiller spécial. Enfin, il est tout à fait concevable que M. Sioui ait pu se sentir menacé dans son intégrité physique suite à l'élection. Mais rien de tout cela ne permet d'affirmer avec certitude qu'il aurait pu se prévaloir des clauses de son contrat prévoyant une indemnité de départ en cas de résiliation ou d'incapacité d'exercer ses fonctions.

[52]            Qui plus est, les motifs qui ont pu amener le Conseil à adopter la résolution 64, pour légitimes qu'ils aient pu être, ne sauraient constituer une licence pour transgresser le texte clair de la Loi sur les Indiens et plus particulièrement son alinéa 2(3)b). C'est parce que le législateur a voulu s'assurer que les décisions d'un conseil de bande sont prises dans le meilleur intérêt des membres de la communauté qu'il a prescrit son mode de fonctionnement de façon impérative. Ce serait s'engager sur une pente glissante que d'autoriser un conseil à faire fi de ces règles chaque fois qu'il estime prendre une décision souhaitable.

[53]            Enfin, toutes les raisons invoquées par les défendeurs pour me convaincre du bien-fondé de la résolution 64 étaient déjà connues lors de la dernière assemblée publique du Conseil I.T.U.M., et même avant. S'ils estimaient qu'il y allait du meilleur intérêt de la Bande d'adopter cette résolution, ils se devaient de la présenter au cours d'une assemblée dûment convoquée et d'en débattre dans ce contexte.

[54]            Quant à la résolution 67, il se peut bien que son annulation n'entraîne aucune conséquence immédiate. Je ne suis cependant pas prêt à dire que la demande de contrôle judiciaire est futile et n'a aucun effet utile. Si cette résolution était sans objet, il me semble que l'on ne se serait pas donné la peine de la faire adopter de manière extraordinaire en plein milieu de la campagne électorale. Il reviendra de toute façon aux nouveaux élus de déterminer si certains actes posés par le comité exécutif peuvent être contestés et si le jeu en vaut la chandelle, compte tenu des avantages et des inconvénients que comporterait une telle contestation judiciaire.

[55]            Pour tous les motifs qui précèdent, j'en viens donc à la conclusion que les deux demandes de contrôle judiciaire dans les dossiers T-1532-04 et T-1837-04 doivent être accueillies, et que les résolutions 64 et 67 doivent par le fait même être annulées.

JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que :

Les deux demandes de contrôle judiciaire dans les dossiers T-1532-04 et T-1837-04 sont accueillies, et les résolutions 64 et 67 sont par le fait même annulées.

« Yves de Montigny »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-1837-04

                                                            T-1532-04

INTITULÉ :                                      ALBERT VOLLANT c. KONRAD SIOUI et ROSARIO PINETTE, CÉLINE BELLEFLEUR, GEORGES ERNEST GRÉGOIRE, MARCELLE ST-ONGE, GILLES JOURDAIN, RONALD FONTAINE et MAURICE VOLLANT en leur qualité de membres ou ex-membres du conseil de bande

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                Le 13 décembre 2005

MOTIF DES JUGEMENT

ET JUGEMENT :                               Monsieur le juge de Montigny

DATE DES MOTIFS :                       Le 13 avril 2006

COMPARUTIONS:

Me Claudine Lagacé/Me Caroline Biron                                     POUR LE DEMANDEUR

Me Claude Dallaire/Me Antoine Aylwin                                      POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

WOODS & ASSOCIÉS                                                           POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)                                                                    

FASKEN MARTINEAU DU MOULIN                                   POUR LES DÉFENDEURS

Montréal (Québec)

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