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Date : 20240513


Dossier : T‑908‑23

Référence : 2024 CF 729

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 mai 2024

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

demandeur

et

JÜRGEN SCHREIBER

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] Le ministre du Revenu national (le demandeur ou le ministre) sollicite une ordonnance d’exécution au titre de l’article 231.7 de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC (1985), c 1 (5e suppl.), dans sa version modifiée (la LIR), visant à enjoindre à Jürgen Schreiber (le défendeur) de lui fournir les documents et les renseignements qui lui ont été demandés conformément à une demande envoyée le 5 juillet 2022.

II. Contexte

[2] Le défendeur est un homme d’affaires prospère.

[3] Avant le 28 décembre 2016, le défendeur était un résident canadien. Après cette date, il s’est déclaré non‑résident, affirmant qu’il résidait principalement aux Bahamas.

[4] De 2017 à 2019, la société Bateman MacKay LLP a préparé des déclarations de revenus pour le défendeur afin de déclarer les revenus de location de source canadienne de ce dernier. Le défendeur a déclaré des revenus de location suivant l’article 216 de la LIR. En 2018, la société a également préparé une deuxième déclaration relative aux revenus d’emploi du défendeur pour 2017, qui avaient été versés par un employeur canadien.

[5] Pour la période de 2017 à 2019, la société a déterminé que le défendeur était toujours non‑résident.

[6] Le défendeur a rétabli sa résidence canadienne en 2022. Pendant cette période, il a informé Bateman MacKay LLP du changement de son statut de résident, et la société a produit la déclaration de revenus des particuliers du défendeur pour 2022.

[7] Bien que le défendeur se soit déclaré non‑résident de la fin de 2016 à 2019, l’Agence du revenu du Canada (l’Agence) a souligné qu’il avait toujours des liens avec le Canada compte tenu des éléments suivants :

  1. Le défendeur possédait au moins deux biens canadiens;

  2. Le défendeur a maintenu son emploi ou sa participation auprès d’entreprises canadiennes, notamment OEG Inc., Le Groupe Aldo Inc. et GTEC Holdings Ltd. (devenue Avant Brands Inc.). Il a également reçu des transferts électroniques de fonds de ses sociétés étrangères liées ou leur a viré des fonds par voie électronique, notamment Hiroko Holdings Inc. (Hiroko Holdings), Retail Invest & Consulting PTE Ltd. (Retail Invest), D’Banyan International Ltd. (D’Banyan) et Eight Treasures Limited (Eight Treasures). Certains de ces transferts électroniques de fonds ont été faits à un dénommé « Kevin Schreiber » au Canada, qui, selon l’Agence, serait un membre de la famille du défendeur;

  3. Le défendeur a constitué trois sociétés canadiennes : 1195282 B.C. Ltd (119 BC), 1151807 B.C. Inc. (115 BC), et 11134981 Canada Inc. (111 Canada) en 2018 et 2019. Il était actionnaire des sociétés 119 BC et 111 Canada, et était administrateur de la société 115 BC.

[8] En 2022, l’Agence a procédé à une vérification à l’égard du défendeur pour les années d’imposition allant du 1er janvier 2016 au 31 décembre 2019. La vérification visait à : i) établir le statut de résident du défendeur; et ii) déterminer s’il s’était conformé à ses devoirs et obligations prévus par la LIR, y compris s’il avait déclaré tous ses avoirs et toutes ses opérations au pays et à l’étranger comme il le devait.

[9] Dans le but de vérifier le statut de résident et la conformité du défendeur à la LIR, l’Agence a envoyé une demande (la Demande) au défendeur au titre du paragraphe 231.1(1) de la LIR en date du 5 juillet 2022.

[10] La Demande enjoignait au défendeur de fournir certains documents que l’Agence croyait raisonnablement accessibles ou situés au Canada et qui étaient en sa possession, sous son autorité ou sous sa garde. Plus particulièrement, elle exigeait des renseignements sur sept entités dont le défendeur était propriétaire, actionnaire ou administrateur : Hiroko Holdings, Retail Invest, D’Banyan, Eight Treasures, 119 BC, 115 BC et 111 Canada.

[11] La Demande visait à obtenir les éléments suivants :

  1. Le questionnaire joint à la Demande dûment rempli;

  2. Les états financiers, les balances de vérification, les regroupements de comptes et les écritures d’ajustement de fin d’exercice pour toutes les entités;

  3. Des copies de toutes les déclarations de revenus étrangères pour toutes les entités;

  4. Les organigrammes de toutes les entités résidentes et non résidentes, pour chaque année s’ils sont différents, notamment les sociétés, fiducies, simples fiducies, sociétés de personnes, copropriétés et coentreprises que le défendeur ou un membre de sa famille contrôlait, directement ou indirectement, seul ou avec des parties liées;

  5. Les détails et des copies de tous les contrats de prêt intersociétés, y compris ceux conclus avec des entités non résidentes liées, et rapprochés avec les balances de vérification des entités concernées;

  6. Les détails de tous les dividendes versés et reçus, et rapprochés avec les balances de vérification des entités concernées, ainsi que les calculs de surplus de dividende pour les dividendes reçus d’entités non résidentes liées;

  7. Les copies de toutes les ententes interentreprises et conventions entre actionnaires (c.‑à‑d. les ententes de service, ententes de recherche et développement, accords de redevances, conventions unanimes des actionnaires, etc.);

  8. Les détails à l’appui des balances de vérification pertinentes et le rapprochement avec celles‑ci pour tout formulaire T106, T1134, T1135, T1141 et T1142 produit pour toutes les entités;

  9. Les registres des procès‑verbaux de la société 119 BC depuis sa création, notamment pour les rencontres suivantes : assemblées générales des actionnaires, réunions des comités spéciaux, réunions des comités de gouvernance d’entreprise et de rémunération, réunions du conseil d’administration, ordres du jour, réunions du comité des finances, réunions du comité d’audit, réunions du comité d’investissement, réunions du comité de direction et réunions du comité de révision de la conduite des affaires de la société;

  10. J.Des copies de toute décision ou de tout avis demandé par les entités à l’Agence et de toute réponse reçue;

  11. K.Les documents relatifs à la planification fiscale ayant eu lieu au cours de la période visée par la vérification, pour toutes les entités;

  12. L.Le calcul des attributs fiscaux de toutes les actions détenues par le défendeur de 2015 à 2019, pour l’ensemble des entités.

(Collectivement, la documentation requise.)

[12] Le défendeur a eu 60 jours, soit jusqu’au 6 septembre 2022, pour fournir toute la documentation requise. Il a demandé plusieurs prorogations afin de fournir ces renseignements, qui ont entraîné un délai supplémentaire d’environ six mois. Selon la dernière prorogation, le défendeur devait produire toute la documentation requise au plus tard le 28 février 2023.

[13] En réponse à la Demande, le représentant du défendeur, Miller Thomson LLP (le représentant), a fourni des déclarations annuelles produites auprès de BC Registry Services pour la société 115 BC à l’égard des années d’imposition 2019 à 2022. Le défendeur a également fourni des déclarations de revenus des sociétés pour la société 115 BC à l’égard des années d’imposition 2018 et 2019.

[14] Le 6 décembre 2022, dans sa réponse, le représentant a fourni à l’Agence un contrat de prêt entre Hiroko Holdings et la société 115 BC, daté du 8 février 2018. En ce qui concerne Hiroko Holdings, le représentant a soutenu que plusieurs éléments exigés dans la Demande n’existaient pas. Le défendeur a également refusé de fournir des copies de toutes les déclarations de revenus étrangères de Hiroko Holdings au motif qu’il s’agissait d’une société des Bahamas qui n’exploitait pas d’entreprise au Canada.

[15] Le 20 janvier 2023, le représentant a répondu à l’Agence au sujet d’une autre entité, D’Banyan, affirmant que les pouvoirs de l’Agence ne s’étendaient pas aux années d’imposition 2017 et 2018, car le défendeur n’était pas un résident du Canada. Le représentant a conclu que le défendeur s’était acquitté de ses obligations concernant D’Banyan pour l’année d’imposition 2016. Une annexe jointe indique que la majorité des documents pour l’année d’imposition 2016 n’existaient pas.

[16] Vers le 25 janvier 2023, le ministère de la Justice a écrit au défendeur pour l’informer qu’une procédure visant à obtenir une ordonnance serait engagée au titre du paragraphe 231.7(1) de la LIR s’il ne fournissait pas toute la documentation requise au plus tard le 15 février 2023.

[17] Le 2 février 2023, le représentant a écrit un message à l’Agence au sujet d’Hiroko Holdings, dans lequel il a affirmé que l’Agence ne pouvait pas exiger la production de documentation pour les années d’imposition 2017 et 2018, car ni le défendeur ni la société n’étaient des résidents du Canada. Une annexe jointe indique que la majorité des documents pour l’année d’imposition 2016 n’existaient pas.

[18] Le 2 février 2023, le représentant a présenté une réponse au sujet de Retail Invest, dans laquelle il a déclaré que l’Agence ne pouvait pas demander de renseignements pour les années d’imposition 2017 et 2018, car ni le défendeur ni la société n’étaient des résidents du Canada. Le représentant n’a fourni que les états financiers, la balance de vérification et la déclaration de revenus étrangère pour l’exercice terminé le 30 novembre 2016 de Retail Invest. Il a soutenu que la majorité des documents pour l’année d’imposition 2016 n’existaient pas.

[19] Vers le 10 février 2022, l’Agence a été informée que le ministère de la Justice avait eu un appel avec le représentant. L’Agence a accepté d’attendre jusqu’au 28 février 2023 avant de présenter une demande d’ordonnance.

[20] Le 17 février 2023, le représentant a informé l’Agence que, comme le défendeur n’était pas un résident du Canada au cours de l’année d’imposition 2019, elle ne pouvait pas exiger la production de documents concernant D’Banyan, Retail Invest et Hiroko Holdings pour l’année en question.

[21] Le 21 février 2023, le représentant a fait valoir auprès de l’Agence qu’elle ne pouvait pas exiger la production de documents concernant Eight Treasures pour les années d’imposition 2017, 2018 et 2019, car ni le défendeur ni l’entité n’étaient des résidents du Canada. Le représentant a également soutenu que plusieurs éléments demandés pour l’année d’imposition 2016 n’existaient pas.

[22] Le 28 février 2023, dans une réponse à l’Agence concernant la société 111 Canada, le représentant a mentionné que l’entité n’avait pas de documents pour les années d’imposition 2016 et 2017, car elle n’avait été constituée que le 7 décembre 2018. Le représentant a soutenu que la majorité des documents pour les années d’imposition 2018 et 2019 n’existaient pas.

[23] En ce qui concerne la société 115 BC, le représentant a déclaré qu’il n’y avait aucun document préalable à la date de constitution de celle‑ci, soit le 5 février 2018. Il a soutenu que la majeure partie des documents pour les années d’imposition 2018 et 2019 n’existaient pas.

[24] En ce qui a trait à la société 119 BC, le représentant a déclaré qu’il n’y avait aucun document préalable à la date de constitution de celle‑ci, soit le 24 janvier 2019. il a soutenu que la majeure partie des documents pour l’année d’imposition 2019 n’existaient pas.

[25] Le 28 février 2023, le défendeur a fourni des états financiers et des balances de vérification visant la société 115 BC pour les exercices ayant pris fin le 31 octobre 2018 et le 31 octobre 2019. Le défendeur a également inclus le registre des procès‑verbaux de la société 119 BC et les documents connexes, ainsi qu’une convention d’achat d’actions entre la société 119 BC et le défendeur. Enfin, le défendeur a fourni ses réponses au questionnaire de l’Agence.

[26] Ni le défendeur ni son représentant n’ont invoqué le secret professionnel de l’avocat ou le privilège d’intérêt commun à l’égard de la documentation requise, sauf pour ce qui est des documents de planification fiscale de la société 119 BC.

[27] Le 27 avril 2023, le demandeur a déposé la présente demande contre le défendeur au motif que ce dernier n’avait pas fourni tous les renseignements exigés dans la Demande. Il a fait valoir que la majeure partie de la documentation requise n’avait pas été fournie et que le privilège des communications entre client et avocat ne pouvait être invoqué à l’égard de ces documents.

[28] Dans le cadre de ses observations de vive voix, le demandeur a indiqué que les registres de procès‑verbaux de la société 119 BC n’étaient plus requis. En l’espèce, le demandeur a plutôt sollicité les renseignements suivants :

  1. Des réponses complètes aux questions 1.1 à 7.3 du questionnaire pour les années d’imposition 2017 à 2019;

  2. Les états financiers, les balances de vérification, les regroupements de comptes et les écritures d’ajustement de fin d’exercice pour toutes les entités autres que la société 115 BC;

  3. Des copies de toutes les déclarations de revenus étrangères pour toutes les entités;

  4. Les organigrammes de toutes les entités résidentes et non résidentes, pour chaque année s’ils sont différents, notamment les sociétés, fiducies, simples fiducies, sociétés de personnes, copropriétés et coentreprises que le défendeur ou un membre de sa famille contrôlait, directement ou indirectement, seul ou avec des parties liées

  5. Les détails et des copies de tous les contrats de prêt intersociétés pour toutes les entités, y compris ceux conclus avec des entités non résidentes liées, et rapprochés avec les balances de vérification des entités concernées;

  6. Les détails de tous les dividendes versés et reçus, et rapprochés avec les balances de vérification des entités concernées. Pour les dividendes reçus d’entités non résidentes liées, les détails des calculs de surplus de dividende;

  7. Les copies de toutes les ententes interentreprises et conventions entre actionnaires pour toutes les entités;

  8. Les détails à l’appui des balances de vérification pertinentes et le rapprochement avec celles‑ci pour tout formulaire T106, T1134, T1135, T1141 et T1142 produit pour toutes les entités;

  9. Des copies de toute décision ou de tout avis demandé par les entités à l’Agence et de toute réponse reçue;

  10. Les documents relatifs à la planification fiscale ayant eu lieu au cours de la période visée par la vérification, pour toutes les entités;

  11. Le calcul des attributs fiscaux de toutes les actions détenues par le défendeur de 2015 à 2019, pour l’ensemble des entités.

III. Question en litige

[29] La principale question qui sous‑tend la présente demande est de savoir si le demandeur a droit à une ordonnance d’exécution au titre du paragraphe 231.7(1) de la LIR pour enjoindre au défendeur de fournir la documentation requise manquante. Toutefois, pour répondre à cette question, une question connexe doit être tranchée, soit celle de savoir si un non‑résident est tenu de répondre à une demande de renseignements fondée sur le paragraphe 231.1(1).

IV. Dispositions pertinentes

[30] Les dispositions pertinentes de la LIR sont énoncées à l’annexe A.

V. Arguments

[31] Je n’examinerai pas l’ensemble des arguments des parties, car certains ne sont pas déterminants en l’espèce ou ne sont pas tout à fait pertinents pour trancher la véritable question.

A. Observations du demandeur

[32] Le demandeur fait valoir que le défendeur a reçu en bonne et due forme la Demande fondée sur le paragraphe 231.1(1) de la LIR et que celui‑ci n’a pas fourni la documentation requise. Il soutient que la principale question à trancher en l’espèce est de savoir si les paragraphes 231.1(1) et 231.7(1) de la LIR s’appliquent au défendeur pour les années d’imposition 2017 à 2019. Le demandeur affirme qu’ils s’appliquent. Il soutient que tout contribuable (ou toute personne), qu’il soit résident ou non, est tenu de produire les documents et les renseignements demandés par le ministre dans la mesure où les conditions prévues par la loi sont remplies.

1) Les dispositions relatives à l’ordonnance s’appliquent au défendeur

[33] En l’espèce, le demandeur affirme que les dispositions relatives à l’ordonnance, soit les paragraphes 231.1(1) et 231.7(1), s’appliquent au défendeur. Il soutient que, selon les principes généraux d’interprétation législative, les dispositions relatives à l’ordonnance s’appliquent à toute personne qui se trouve au Canada, qu’elle soit résidente ou non.

[34] Premièrement, le demandeur fait remarquer que le libellé des dispositions relatives à l’ordonnance est précis et sans équivoque. Le sujet des deux dispositions est une « personne ». Ni le texte des articles ni les définitions des termes « personne » et « contribuables » ne font référence à un « résident » ou à un « non‑résident ». Il souligne que les termes « personne » et « contribuables » sont définis au paragraphe 248(1) de la LIR et que ces dispositions élargissent la portée de ces termes. Il soutient que le terme« personne » doit être interprété dans son sens ordinaire, c’est‑à‑dire un être humain ou une personne physique.

[35] En se fondant sur une interprétation textuelle, le demandeur affirme que la question de savoir si le défendeur est un résident ou un non‑résident aux fins de l’impôt sur le revenu n’est pas pertinente. Il fait remarquer que les versions française et anglaise du paragraphe 231.1(1) prévoient qu’un contribuable, ce qui comprend toute personne, est tenu lui fournir des renseignements. De plus, les versions française et anglaise du paragraphe 231.7(1) permettent à un juge d’ordonner à une « personne » de fournir ce qui lui est demandé. Le demandeur affirme que le libellé des dispositions, dans les deux langues, ne fait pas référence à la résidence.

[36] Le demandeur soutient également que l’argument du défendeur, selon lequel ce dernier était un non‑résident pendant la période visée par la vérification et ne peut être assujetti aux dispositions, repose sur une interprétation erronée impliquant l’ajout d’une condition absente du libellé. Le défendeur demande que l’expression « résident au Canada » accompagne chaque mention des termes « personne » et « contribuables » dans les dispositions visées. Le demandeur affirme que la Cour devrait rejeter cette approche parce que, si le législateur avait eu l’intention de restreindre la portée des dispositions relatives à l’ordonnance, il aurait explicitement utilisé le mot « résident ». Il soutient également que le législateur distingue les contribuables en fonction de la résidence dans d’autres parties de la LIR.

[37] En ce qui concerne le contexte, le demandeur fait valoir que les dispositions relatives à l’ordonnance font partie d’un ensemble plus vaste de dispositions relatives à la collecte de renseignements dans le cadre de la LIR, dont les articles 231.2 et 231.6. Dans le premier de ces articles, le législateur a soustrait une catégorie de personnes, les personnes non désignées nommément, du pouvoir général du ministre d’exiger des documents ou des renseignements. Par conséquent, le demandeur affirme que, si le législateur avait cherché à exempter les non‑résidents, il l’aurait indiqué expressément, comme il l’a fait pour les personnes non désignées nommément au paragraphe 231.2(1).

[38] De plus, le demandeur fait remarquer que l’adoption de l’article 231.6 démontre l’intention du législateur de restreindre les pouvoirs du ministre en matière de collecte de renseignements sur le fondement de la résidence dans d’autres dispositions. L’article 231.6 prévoit que le ministre peut exiger d’une « personne résidant au Canada ou d’une personne n’y résidant pas, mais y exploitant une entreprise » de fournir des renseignements étrangers. Le demandeur soutient que le législateur a expressément réduit la portée du terme « personne » à l’article 231.6. En revanche, le législateur n’a imposé aucune restriction, réserve ou modification aux termes « contribuables » ou « personne » aux paragraphes 231.1(1) et 231.7(1).

[39] En outre, le demandeur affirme que l’article 231.6 ne s’applique pas en l’espèce, car il ne s’applique que lorsque des renseignements étrangers sont exclusivement accessibles ou situés à l’étranger. En l’espèce, le demandeur soutient que le défendeur a accès aux renseignements demandés au Canada. Il fait remarquer que le défendeur est actuellement au Canada et qu’il a un pouvoir et un contrôle sur les documents requis au Canada.

[40] Enfin, en ce qui concerne l’objet du libellé, le demandeur fait remarquer que les dispositions relatives à l’ordonnance permettent au ministre de vérifier les dossiers des personnes pour veiller au respect de la LIR. Il cite l’arrêt R c McKinlay Transport Ltd, [1990] 1 RCS 627 [McKinlay], où la Cour suprême du Canada (la CSC) a conclu que le ministre doit disposer de larges pouvoirs pour vérifier les déclarations des contribuables et examiner tous les documents pertinents. Le demandeur affirme que [traduction] « il est impossible que le législateur ait voulu qu’une personne qui est présente au Canada puisse simplement se déclarer non‑résidente aux fins de l’impôt canadien, privant ainsi le ministre de la capacité de vérifier cette déclaration à l’aide des vastes pouvoirs que le législateur lui a conférés, c’est‑à‑dire les dispositions relatives à l’ordonnance. » Le demandeur souligne que même les non‑résidents du Canada sont assujettis à l’impôt sur leur revenu de source canadienne sous le régime de la LIR, et que le ministre doit être en mesure de vérifier ces personnes.

[41] Le demandeur renvoie également à l’arrêt 1068754 Alberta Ltd c Québec (Agence du revenu), 2019 CSC 37 [Alberta Ltd], où la CSC a conclu qu’une demande avait été valablement transmise par l’Agence du revenu du Québec à une entité de l’Alberta. Il explique que, dans cet arrêt, dans son évaluation de la compétence territoriale, la CSC a jugé qu’il faut « se concentrer sur le lieu où l’exécution de la Demande peut être réclamée en tant que facteur déterminant dans la description de l’exercice du pouvoir contraignant en cause ». En l’espèce, le demandeur soutient que les conséquences du non‑respect de la Demande, et sa possibilité d’exécution, ont toutes lieu au Canada. Le demandeur fait remarquer que, peu importe le statut de résident aux fins de l’impôt, le défendeur accepte le fait qu’il est sur un territoire relevant du droit canadien lorsqu’il entre au pays; par conséquent, dans la mesure où le défendeur est présent au Canada, il est assujetti au droit canadien. Le demandeur conclut qu’il n’y a [traduction] « aucune véritable question de compétence territoriale en l’espèce ».

2) Les exigences prévues à l’article 231.7 sont remplies

[42] Le demandeur affirme que les exigences de l’article 231.7 sont par ailleurs remplies. La Demande a été délivrée à des fins pertinentes : vérifier le statut de résident du défendeur et évaluer ses revenus de toutes provenances, toutes sources confondues, pendant la période visée par la vérification afin de s’assurer qu’il s’est conformé à ses devoirs et obligations sous le régime de la LIR.

[43] Le demandeur affirme que le délai accordé était raisonnable. Le défendeur a attendu des mois avant de déclarer qu’il ne serait pas en mesure de fournir la documentation requise en raison de son statut de résident. Il soutient qu’il s’est écoulé plus d’un an depuis la délivrance de la Demande et que la documentation requise n’a toujours pas été fournie. À la lumière du dossier disponible, le demandeur soutient que rien n’indique que le défendeur avait besoin de plus de 60 jours. De plus, il soutient que les affirmations du défendeur, selon lesquelles il n’existe aucun document pour l’année 2016, sont de simples allégations qui ne sont pas étayées par la preuve.

[44] Enfin, le demandeur fait valoir que le privilège des communications entre client et avocat ne peut être invoqué à l’égard de la documentation requise. En se fondant sur l’alinéa 231.7(1)b) de la LIR, il affirme que le privilège ne s’applique qu’aux communications entre client et avocat, qui sont censées être confidentielles aux fins de l’obtention et de la prestation d’avis juridiques. Il ajoute que ce n’est pas le cas en l’espèce, car les documents manquants contiennent des renseignements commerciaux et financiers.

3) Il n’y a pas de considérations discrétionnaires

[45] Enfin, le demandeur affirme qu’aucune considération discrétionnaire ne justifie le rejet de la présente demande. Il soutient qu’il est dans l’intérêt de la justice que la Cour exerce son pouvoir discrétionnaire et rende l’ordonnance d’exécution. De plus, il fait valoir qu’une demande est le moyen le moins intrusif d’assurer la conformité à la LIR, car elle exige simplement la production de documents ou de renseignements.

B. Observations du défendeur

[46] Le défendeur soutient que, lorsque des renseignements, concernant un contribuable non résident, sont demandés au titre de l’article 231.1, le demandeur doit d’abord rendre une décision sur le statut de résident du particulier. Il fait valoir que cette décision aura une incidence sur le type de production de documents ou de fourniture de renseignements qui peuvent être exigés sous le régime de la LIR.

[47] Le défendeur soutient qu’il a fourni au demandeur tous les renseignements et documents qui étaient en sa possession, sous son autorité ou sous sa garde et qui ont été demandés pendant la période où il résidait au Canada, y compris les renseignements et les documents relatifs à ses revenus de toutes provenances et à ses avoirs étrangers. Il affirme qu’il a répondu à toutes les demandes de renseignements aux fins de vérification concernant ses revenus et ses avoirs canadiens pour l’ensemble de la période visée par la vérification, c’est‑à‑dire tout ce qu’il était tenu de faire.

[48] Le défendeur soutient que la Cour devrait ordonner au demandeur de trancher sur son statut de résident. Par ailleurs, il demande à la Cour de renvoyer la question de la résidence à la Cour canadienne de l’impôt (la CCI) suivant l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7 (la Loi sur les Cours fédérales).

1) Le ministre doit d’abord déterminer la résidence

[49] Le défendeur conteste l’affirmation selon laquelle le demandeur a le droit d’exiger des documents et des renseignements avant de trancher sur son statut de résident. Sur le fondement de la décision Lin, le demandeur affirme que l’Agence peut recourir à l’article 231.1 pour exiger des renseignements sans rendre une décision concernant le statut de résident, ou avant de la rendre. Le défendeur soutient que cette position est erronée en droit et, s’appuyant sur la décision Lin, il affirme que la Cour n’a pas compétence pour rendre une décision concernant le statut de résident.

[50] Le défendeur soutient que la détermination du statut de résident aide à définir le type de renseignements que le demandeur peut exiger en vertu de l’article 231.1. Il affirme que l’article 231.1 est censé s’appliquer aux personnes ayant un lien suffisant avec le Canada aux fins de l’imposition de l’obligation de payer de l’impôt sur le revenu fédéral. Une demande visant un non‑résident, sans lien apparent avec le Canada, ne peut être présentée au titre de cet article. Le défendeur fait valoir que l’Agence peut s’appuyer sur d’autres dispositions de la LIR, comme les articles 231.2 et 231.6.

[51] Le défendeur affirme que l’argument du demandeur voulant que l’article 231.6 ne s’applique pas dans la présente affaire du fait qu’il est actuellement au Canada va à l’encontre de la jurisprudence. Dans l’arrêt Landbouwbedrijf Backx BV c Canada, 2019 CAF 310, et la décision Landbouwbedrijf Backx B.V. c La Reine, 2021 CCI 2, les tribunaux ont confirmé qu’« une cotisation est définitive entre les parties seulement en ce qui concerne la cotisation établie pour l’année en cause ». Étant donné que ses déclarations de revenus indiquaient qu’il était un non‑résident de 2017 à 2019, le défendeur soutient que le demandeur ne peut pas s’appuyer sur son emplacement physique en 2023 afin de le contraindre pour la période visée par la vérification.

[52] Le défendeur soutient également que la déclaration du demandeur selon laquelle l’article 231.1 s’applique indépendamment du statut de résident permettrait au demandeur d’exiger des renseignements à chaque non‑résident ayant de faibles liens avec le Canada, ce qui donnerait des [traduction] « résultats absurdes ».

2) Les dispositions relatives à l’ordonnance ne s’appliquent pas au défendeur

[53] Bien que le défendeur reconnaisse que le libellé de la LIR a une vaste portée, il soutient que la jurisprudence a restreint cette portée. Plus précisément, il affirme que la définition de « contribuable » ne peut inclure les non‑résidents qui n’ont pas de revenu de source canadienne ou d’avoirs canadiens. Autrement, la définition de « contribuable » serait illimitée, car tout particulier ou toute société existant pourrait être qualifié de contribuable sous le régime de la LIR, qu’il soit résident canadien ou non. Le défendeur soutient qu’il s’agirait d’un [traduction] « mépris flagrant » du droit international.

[54] Le défendeur affirme que, d’après ses propres dossiers internes, l’Agence reconnaît qu’elle doit s’appuyer sur les conventions fiscales internationales et les accords d’échange de renseignements à des fins fiscales pour obtenir des renseignements auprès de non‑résidents. Il soutient que, comme il a été non‑résident pendant plusieurs années, il a produit ses déclarations de revenus à ce titre. Il affirme que, Pendant toutes les années en cause, ses entités non résidentes liées n’étaient pas des contribuables et n’étaient donc pas assujetties à l’article 231.1.

3) Les entités non résidentes liées ne sont pas des contribuables pour l’application de l’article 231.1

[55] Le défendeur soutient qu’il n’était pas tenu de fournir au demandeur des renseignements sur ses entités non résidentes liées pendant les années où il n’était pas résident, car les entités n’étaient pas des « contribuables » sous le régime de la LIR. Comme il était un contribuable et un résident du Canada en 2016, le défendeur a fourni tous les renseignements relatifs à ses revenus de toutes provenances pour cette année‑là. Il affirme cependant que, de 2017 à 2019, il n’était un contribuable sous le régime de la LIR que pour ce qui est de ses revenus de source canadienne ou des gains découlant de la disposition de biens canadiens, et qu’il n’était pas tenu de produire des renseignements sur ses revenus autres que canadiens.

[56] Le défendeur soutient que la Cour d’appel fédérale (la CAF) a examiné la question en cause. Selon lui, dans l’affaire Oceanspan Carriers Ltd. c Canada, 1987 CanLII 9009 (CAF), [1987] 2 CF 171 [Oceanspan], la Cour a déterminé qu’une société non résidente, qui ne gagnait pas de revenu de sources canadiennes, ne pouvait pas être considérée comme une « contribuable » sous le régime de la LIR. Plus précisément, le défendeur fait référence à la citation suivante :

[... ] Selon moi, il ressort indiscutablement de la définition du terme « contribuable », interprétée en fonction de son contexte au sein de l’économie générale de la Loi, que ce terme désigne des individus ou corporations résidants qui peuvent être tenus de payer l’impôt à un moment donné, que ceux‑ci soient ou non tenus de le faire à un moment précis. Une personne non résidante qui n’a aucun revenu de source canadienne ne peut en aucun cas être tenue de payer l’impôt prévu à la Loi sur son revenu étranger. Elle ne constitue donc pas une corporation visée par la définition du terme « contribuable » figurant dans la Loi.

[Non souligné dans l’original, caractère gras ajouté.]

[57] Le défendeur cite également la décision Marino c La Reine, 2020 CCI 50 [Marino], qui concernait une personne non résidente. Dans cette décision, la CCI a fait remarquer qu’un non‑résident, n’ayant aucune source de revenus au Canada, n’était pas un « contribuable » et n’avait pas d’année d’imposition. Elle a également analysé l’article 250.1 de la LIR pour conclure que la disposition n’avait pas pour effet de donner une année d’imposition à chaque non‑résident.

[58] De plus, le défendeur affirme que, selon la jurisprudence, les termes « contribuables » et « personne » peuvent être utilisés de façon interchangeable dans le cadre de la LIR.

[59] En l’espèce, comme il n’était pas un « contribuable » du 28 décembre 2016 à la fin de la période visée par la vérification (conformément à la décision Oceanspan), le défendeur soutient qu’il n’était pas une « personne » sous le régime de la LIR. Invoquant la décision Marino, le défendeur soutient que le paragraphe 2(3) de la LIR n’identifie qu’un sous‑ensemble de non‑résidents qui sont assujettis à l’impôt, ce qui comprend ceux qui sont employés au Canada, qui exploitent une entreprise au Canada ou qui ont disposé d’un bien canadien imposable à un moment donné de l’année ou d’une année antérieure. Pour les motifs analysés plus en détail plus bas, je ne peux souscrire à cet argument.

[60] Le défendeur renvoie également au paragraphe 105(1) du Règlement de l’impôt sur le revenu, CRC 1977, c 945, qui n’exige pas qu’un non‑résident touchant des honoraires, des commissions ou tout autre montant produise une déclaration de revenus uniquement en fonction de la réception de paiements pour des services rendus au Canada. De même, il cite les décisions administratives publiées par l’Agence elle‑même, selon lesquelles [traduction] « un particulier non‑résident qui n’a aucun revenu de source canadienne ne serait pas considéré comme un “contribuable” au sens de la Loi ».

[61] Compte tenu de ce qui précède, le défendeur soutient que, si une entité non résidente n’a pas d’impôt à payer, du fait qu’elle est employée au Canada, qu’elle y exploite une entreprise ou qu’elle a disposé d’un bien canadien imposable, elle n’est pas du tout une contribuable. Par conséquent, dans les circonstances de l’espèce, le défendeur affirme que le demandeur a le droit d’exiger des renseignements sur ses entités non résidentes liées et lui‑même en ce qui concerne ses revenus de source canadienne, ses revenus tirés d’une entreprise exploitée au Canada ou ses gains découlant de la disposition de biens canadiens au cours de la période visée par la vérification. Il affirme que le demandeur ne peut pas exiger tous les détails au sujet de ses entités non résidentes liées (et à son sujet) pendant les années où il n’était pas résident.

[62] Enfin, le défendeur établit une distinction factuelle par rapport à l’arrêt invoqué par le demandeur, Alberta Ltd, pour l’évaluation des limites de la compétence territoriale lorsqu’il s’agit d’exiger la production de documents. Le défendeur soutient que, dans cet arrêt, la CSC a conclu que la banque exerçait des activités par la voie de succursales au Québec et à l’extérieur de cette province. Le défendeur soutient que la Cour s’est appuyée sur les activités de la banque au Québec pour conclure que la demande de l’Agence du revenu du Québec n’était pas extraterritoriale. Il fait valoir que ce raisonnement ne s’applique pas en l’espèce, car l’Agence lui a signifié la Demande à titre personnel (elle ne l’a pas signifiée à un tiers), et parce que la Demande visait une période pour laquelle il s’était déclaré non‑résident et ne pouvait avoir aucune obligation fiscale à l’égard de ses revenus étrangers de toutes provenances au cours des années en question.

4) Le ministre a privé le défendeur de la possibilité de se prévaloir du contrôle judiciaire d’une décision relative à la résidence

[63] Le défendeur fait remarquer que, selon les articles 18.1 et 28 de la Loi sur les Cours fédérales, la Cour a le pouvoir de procéder au contrôle judiciaire de toute décision rendue par l’Agence. Toutefois, il affirme que l’Agence n’a rendu aucune décision concernant son statut de résident. Selon la jurisprudence, une « décision » est définitive et exécutoire. En l’espèce, le défendeur affirme que le ministre ou l’Agence doit rendre une décision relative à son statut de résident avant de recourir aux pouvoirs de vérification prévus par l’article 231.1 de la LIR.

[64] Le défendeur soutient que le demandeur [traduction] « met la charrue devant les bœufs », car il ne peut pas demander le contrôle judiciaire de la décision relative au statut de résident de l’Agence avant de répondre à la Demande. Il affirme que le demandeur l’a privé de son droit à l’équité procédurale parce que ce dernier ne lui a pas donné la possibilité de connaître les éléments invoqués contre lui et de les réfuter.

5) L’ordonnance d’exécution n’est pas justifiée

[65] Le défendeur fait remarquer que, pour obtenir une ordonnance d’exécution au titre du paragraphe 231.7(1) de la LIR, le demandeur doit satisfaire au critère à trois volets énoncé dans la décision Canada (Revenu national) c Chamandy, 2014 CF 354 [Chamandy]. Il affirme qu’un juge ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire à moins que toutes les conditions soient manifestement remplies. De plus, il fait valoir que la LIR exige seulement que le contribuable fasse des efforts raisonnables pour obtenir les documents requis lorsqu’une demande est présentée suivant l’article 231.1. Par conséquent, le défendeur affirme que, si un document n’a jamais existé ou n’était pas disponible (puisqu’il n’était pas en la possession du contribuable), il n’y a pas lieu d’accorder une ordonnance d’exécution.

[66] Le défendeur affirme que, dans les circonstances de l’espèce, il a fait des efforts raisonnables pour fournir toute la documentation requise qui était en sa possession, sous son autorité et sous sa garde. Il soutient que certains des renseignements ou documents exigés par le demandeur dans la Demande n’existent pas. Il fait valoir qu’il ne peut produire ce qui n’existe pas et renvoie à la décision Canada (Revenu national) c Amdocs Canadian Managed Services Inc., 2015 CF 1234 [Amdocs]. Le défendeur indique que l’article 231.1 exige seulement qu’il fournisse une aide raisonnable pour produire la documentation requise, car il n’a pas à [traduction] « détailler chacun de ses efforts de recherche » de façon volontaire et sans que le ministre lui en fasse la demande.

[67] De plus, le défendeur fait remarquer que l’article 231.1 permet à l’Agence de faire des demandes de renseignements de suivi, au besoin. Par conséquent, il affirme que l’Agence est autorisée à s’informer de ses recherches visant des documents, qui, selon lui, n’existent pas. Il affirme que l’Agence n’a présenté aucune demande de la sorte. Il soutient donc que la Cour ne devrait pas récompenser le demandeur pour ce manquement.

[68] Enfin, le défendeur invoque le secret professionnel de l’avocat et le privilège d’intérêt commun à l’égard des documents de planification fiscale se rapportant à la société 119 BC, dont il a fourni la description dans ses observations du 28 février 2023. Il affirme que la Cour ne devrait pas rendre d’ordonnance d’exécution à l’égard de ces documents.

VI. Analyse

A. Question préliminaire

[69] À titre préliminaire, le demandeur soutient que le défendeur n’a pas présenté de preuve recevable pour étayer son affirmation selon laquelle il n’était pas résident du Canada de 2017 à 2019. Le demandeur soutient que le défendeur tente, à tort, de prouver son statut de résident par l’entremise de son comptable, Vinay Khosla, qui a déposé un affidavit pour la présente demande (l’affidavit de Khosla). Le défendeur n’a pas présenté son propre affidavit. Le demandeur affirme que cet élément de preuve est irrecevable parce qu’il s’agit de ouï‑dire et qu’il est contraire à l’article 81 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles).

[70] Le demandeur affirme que l’affidavit de Khosla ne satisfait à aucune des exceptions à la règle du ouï‑dire ni au critère de la nécessité et de la fiabilité établi par la CSC dans l’arrêt R c Khelawon, 2006 CSC 57. Plus particulièrement, il fait valoir que le défendeur avait la possibilité de déposer un affidavit étant donné qu’il était au Canada. Par conséquent, il soutient que l’affidavit de Khosla n’était pas nécessaire. En outre, il soutient que l’affidavit de Khosla n’est pas fiable parce que M. Khosla ne connaissait pas les faits, qu’il n’avait aucune connaissance directe de la situation, et qu’il n’a déployé aucun effort pour vérifier les renseignements fournis.

[71] Compte tenu de ce qui précède, le demandeur soutient qu’il n’y a aucun élément de preuve admissible démontrant que le défendeur était légalement un résident des Bahamas.

[72] Après avoir examiné l’affidavit de Khosla, je conclus qu’il est admissible aux fins de la présente demande. Il semble que l’argument du demandeur concerne en grande partie l’impossibilité de contre‑interroger la source des renseignements fournis, soit le défendeur, car il s’agit selon lui [traduction] « d’une tentative de protéger [le défendeur] contre un contre‑interrogatoire ». Toutefois, comme dans l’affaire Canada (Revenu national) c 2276230 Ontario Inc., 2021 CF 242, bien que le défendeur n’ait pas fourni les meilleurs éléments de preuve à l’appui de ses arguments et qu’il n’ait pas expliqué pourquoi de tels éléments de preuve n’avaient pas pu être fournis, je ne radierai pas l’affidavit de Khosla. Je lui accorderai plutôt un poids moindre en l’espèce.

B. La résidence est‑elle une considération dans les dispositions relatives à l’ordonnance?

[73] Le défendeur a fourni des documents concernant ses revenus de source canadienne pour la période pendant laquelle il s’est dit non‑résident. L’Agence demande maintenant à la Cour une ordonnance d’exécution en vue d’obtenir d’autres documents du défendeur, dont des renseignements sur les entités non résidentes visées. Elle affirme qu’une ordonnance d’exécution est nécessaire pour déterminer le statut de résident du défendeur et décider s’il a respecté ses devoirs et obligations prévus par la LIR.

[74] D’après les observations des parties, il semble que le demandeur et le défendeur conviennent que la CCI a compétence exclusive pour trancher la question de la résidence. Les deux parties invoquent la décision Canada (Revenu national) c Lin, 2019 CF 646 [Lin], qui indique qu’il ne relève pas de la compétence de la Cour de déterminer le statut de résident pour les besoins de la LIR. Toutefois, les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir s’il faut d’abord trancher la question de la résidence, c’est‑à‑dire s’il faut l’examiner avant d’appliquer les articles 231.1 et 231.7 de la LIR.

[75] Le demandeur renvoie à la décision Ghermezian c Canada (Procureur général), 2020 CF 1137 [Ghermezian 1], où la Cour a fait référence à la décision Lin. La Cour a fait remarquer que la décision Lin n’indique pas qu’un différend concernant le statut de résident empêche le ministre d’exercer les pouvoirs que lui confère l’article 231.1.

[76] Bien que la jurisprudence fasse allusion à l’incidence du statut de résident, rien ne s’applique directement aux cas où l’Agence a demandé des renseignements étrangers à un non‑résident, au titre des paragraphes 231.1(1) et 231.7(1) de la LIR, afin de rendre une décision sur la résidence et d’évaluer la conformité globale à la loi.

[77] Toutefois, pour répondre à la question de savoir si le défendeur s’est conformé à la Demande et si l’ordonnance d’exécution peut être accordée, il faut notamment déterminer si la résidence est une considération ayant une incidence sur l’application des paragraphes 231.1(1) et 231.7(1). Autrement dit, la question est de savoir si la résidence limite la portée de ces dispositions, et si elle doit être tranchée en premier.

1) Jurisprudence pertinente

[78] La jurisprudence sur cette question est limitée. Dans quelques cas, la Cour a fait allusion à l’incidence que la résidence pourrait avoir sur l’applicabilité des paragraphes 231.1(1) et 231.7(1). Dans d’autres cas, elle présente des analyses portant sur les renseignements étrangers, notamment sur le recours à l’article 231.6 ou aux conventions fiscales pertinentes. Toutefois, elle n’offre aucune réponse définitive à cette question.

[79] Dans l’affaire Lin, les parties ont soulevé un enjeu lié à la résidence, faisant valoir qu’un non‑résident n’était pas tenu de répondre à une demande de renseignements présentée au titre de l’article 231.1 de la LIR. Aux paragraphes 28 et 29, la Cour a indiqué ce qui suit dans le cadre de son examen de la question :

Le statut de résident au titre de la LIR (c.‑à‑d. résident habituel, résident de fait, personne réputée résider au Canada, personne réputée non‑résidente et non‑résident) influe sur l’obligation d’un particulier de payer de l’impôt. Toutefois, ce ne sont pas tous les non‑résidents qui sont exemptés de payer de l’impôt, car le paragraphe 2(3) de la LIR précise les circonstances dans lesquelles un non‑résident peut être tenu de payer de l’impôt sur du revenu gagné au Canada.

M. Lin a produit des déclarations de revenus pour la période visée par la vérification. Toutefois, en vertu de l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1983, c F‑7, il ne relève pas de la compétence de la Cour de déterminer son statut de résident pour les besoins de la LIR pendant les années d’imposition. Cette question relève de la compétence de la Cour canadienne de l’impôt parce qu’elle suppose de déterminer quelles sont, en tant que non‑résident, ses obligations fiscales en vertu de la LIR (Johnson c La Reine, 2007 CCI 288).

[80] À mon avis, la décision Lin n’est pas tout à fait pertinente aux fins de la présente affaire. Dans cette décision, la Cour n’a pas indiqué si un non‑résident était tenu de fournir des renseignements suivant l’article 231.1, car le juge Boswell a tranché l’affaire sur un autre motif.

[81] Toutefois, dans l’affaire Ghermezian 1, les demandeurs ont invoqué la décision Lin et ont soutenu que le ministre devait établir sa compétence à l’égard des entités étrangères avant de demander des renseignements au titre du paragraphe 231.2(1). Plus précisément, les demandeurs affirmaient que le ministre pouvait exercer un recours devant la Cour canadienne de l’impôt, ou, dans le cas d’une société étrangère, devant l’autorité compétente désignée par un traité fiscal. La Cour a rejeté l’argument selon lequel il fallait d’abord déterminer la résidence. Aux paragraphes 138 et 139, la Cour a indiqué ce qui suit :

Ces arguments ne me semblent pas convaincants. La décision Lin n’est pas utile pour les demandeurs, car la décision du juge Boswell de rejeter la demande d’ordonnance du ministre dans cette affaire‑là était imputable au manque de clarté des demandes du ministre, lesquelles n’indiquaient pas clairement si elles étaient adressées aux défendeurs personnellement ou à des entités qui leur étaient liées ou associées (para 30‑32). Le juge Boswell souligne à juste titre que la détermination du statut de résident d’un contribuable relève de la Cour canadienne de l’impôt et non de la Cour fédérale. Cependant, sa décision ne découlait pas de cette détermination et je ne crois pas que la décision Lin permet de dire qu’un différend quant au lieu de résidence d’une personne empêche la ministre d’exercer les pouvoirs que lui confèrent les articles 231 et suivants pour obtenir des renseignements et documents pertinents quant à l’assujettissement à l’impôt de cette personne, y compris des documents portant sur la détermination du statut de résident.

Il se pourrait qu’une cour de justice ou un autre organisme compétent en vienne à la conclusion, dans une instance ultérieure portée devant lui, que les contribuables faisant l’objet de l’enquête de la ministre en l’espèce ne résident pas au Canada et que cette conclusion touche l’assujettissement des contribuables à l’impôt canadien. Cependant, les demandeurs ne m’ont pas convaincu que la ministre ne peut, à l’heure actuelle, solliciter des renseignements et documents pertinents quant à cette question. Plus précisément, cet argument ne me convainc pas qu’il était déraisonnable de la part du décideur de délivrer les DPR visant Triple Five en l’espèce.

[Non souligné dans l’original.]

[82] Dans la décision Canada (Revenu national) c Ghermezian, 2022 CF 236 [Ghermezian 2], les défendeurs ont également soulevé la question de la résidence pour l’application des articles 231.2 et 231.7. Les défendeurs affirmaient qu’ils étaient des résidents américains et qu’ils ne pouvaient être contraints de fournir des documents et des renseignements. Ils soutenaient que le ministre devait plutôt suivre une procédure désignée par un traité fiscal. Aux paragraphes 213 et 214, le juge Southcott a reconnu ce différend de la façon suivante :

Je tiens à souligner que j’ai des réserves sur la compétence de la Cour pour tirer une conclusion au sujet du lieu de résidence des défendeurs. Comme la Cour l’a mentionné dans la décision Lin, en vertu de l’article 18.5 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7, il relève de la compétence de la Cour canadienne de l’impôt de déterminer le lieu de résidence pour les besoins de la Loi (au para 29). Faisant abstraction de ce point, j’accepte la thèse des défendeurs selon laquelle la preuve ne permet guère de conclure que Paul et/ou Joshua Ghermezian sont ou étaient résidents du Canada aux périodes potentiellement pertinentes. Toutefois, la preuve ne permet guère plus de conclure que Paul et/ou Joshua Ghermezian ne sont pas ou n’étaient pas des résidents du Canada. La réponse à cette question (si la Cour avait la compétence nécessaire) dépendrait du fardeau de la preuve qui, à mon avis, devrait incomber aux défendeurs. Le lieu de résidence des défendeurs n’est pas l’une des conditions énoncées à l’article 231.7. C’est plutôt un argument que les défendeurs ont soulevé et, surtout, ce sont eux qui ont accès à la preuve pertinente à cet égard.

En l’absence d’une conclusion que les défendeurs ne sont pas des résidents canadiens, leurs arguments sur l’interprétation des articles 231.2 et 231.7, y compris la pertinence éventuelle de la Convention avec les É.‑U. et des principes du droit international, ne sauraient influer sur l’issue des présentes demandes d’ordonnance. Par conséquent, par souci de retenue judiciaire, je refuse de tirer des conclusions sur ces arguments.

[Non souligné dans l’original.]

[83] Bien que la question de la résidence ait été soulevée dans chaque décision, ni la décision Lin, ni les décisions Ghermezian 1 et Ghermezian 2 n’ont résolu définitivement la question. Toutefois, d’après un examen de ces pouvoirs, la Cour semble indiquer que la résidence n’empêche pas nécessairement le ministre d’exiger des renseignements au titre de l’article 231.1.

2) Interprétation législative

[84] Compte tenu de la jurisprudence limitée sur la question de la résidence, j’ai examiné les paragraphes 231.1(1) et 231.7(1) à l’aide de l’approche moderne de l’interprétation des lois. J’ai examiné les dispositions dans leur contexte global en suivant leur sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la LIR, l’objet de la LIR et l’intention du législateur (voir Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 RCS 27, 1998 CanLII 837 au para 21, et Marino, aux para 22‑23).

a) Libellé

[85] Les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si les paragraphes 231.1(1) et 231.7(1) incluent les non‑résidents. Plus précisément, le demandeur et le défendeur ne s’entendent pas sur le sens des termes « personne » et « contribuables ».

[86] Il ressort d’une simple interprétation des articles 231.1(1) et 231.7(1) que la portée des termes « personne » et « contribuables » n’est pas limitée. En vertu du paragraphe 231.1(1), une personne autorisée peut, à tout moment raisonnable, recueillir des renseignements sur un contribuable ou toute autre personne pour l’application et l’exécution de la LIR. Au paragraphe 58 de l’arrêt BP Canada Energy Company c Canada (Revenu national), 2017 CAF 61, la CAF a convenu que le paragraphe 231.1(1) « n’aurait pu être libellé en termes plus généraux ».

[87] De même, en vertu du paragraphe 231.7(1), la Cour peut ordonner à une personne de fournir l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents que le ministre cherche à obtenir en vertu des articles 231.1 ou 231.2, lorsque la personne était tenue de le faire et que le privilège des communications entre client et avocat ne pouvait être invoqué à l’égard des renseignements ou documents en question. Au paragraphe 213 de la décision Ghermezian 2, la Cour a souligné que « le lieu de résidence [...] n’est pas l’une des conditions énoncées à l’article 231.7 ».

i) Contribuables

[88] Une interprétation simple du terme « contribuables » comprendrait toute personne ou entité qui paie des impôts.

[89] Aux termes du paragraphe 248(1) de la LIR, le mot « contribuables » s’entend de toutes les personnes, même si elles ne sont pas tenues de payer de l’impôt. Cette définition est large et ne prévoit aucune restriction fondée sur la résidence.

[90] Toutefois, comme le souligne le défendeur, la jurisprudence a restreint le sens du terme « contribuables ». Dans l’arrêt Oceanspan, la CAF a déterminé qu’une société, initialement constituée aux Bermudes, ne pouvait pas reporter prospectivement les pertes de la période où elle était non‑résidente. La CAF a renvoyé aux sections A à D de la LIR, soulignant que les résidents et les non‑résidents sont tenus de payer de l’impôt sur les revenus tirés de sources canadiennes. Un non‑résident sans revenu, de quelque source que ce soit au Canada, ne serait pas tenu de payer de l’impôt au Canada. Au paragraphe 12, le juge Urie a reconnu que la définition du terme « contribuables » désigne « à la fois les résidents et les non‑résidents, tenus ou non de payer l’impôt, qui gagnent un revenu provenant d’une source située à l’intérieur du Canada ». Au paragraphe 13 de l’arrêt Oceanspan, la CAF a fourni les précisions suivantes :

Ce raisonnement peut s’exprimer d’une autre façon. Selon moi, il ressort indiscutablement de la définition du terme « contribuable », interprétée en fonction de son contexte au sein de l’économie générale de la Loi, que ce terme désigne des individus ou corporations résidants qui peuvent être tenus de payer l’impôt à un moment donné, que ceux‑ci soient ou non tenus de le faire à un moment précis. Une personne non résidante qui n’a aucun revenu de source canadienne ne peut en aucun cas être tenue de payer l’impôt prévu à la Loi sur son revenu étranger. Elle ne constitue donc pas une corporation visée par la définition du terme « contribuable » figurant dans la Loi.

[Non souligné dans l’original.]

[91] Dans l’affaire Marino, la CCI s’est appuyée en partie sur cette interprétation pour trancher une question relative aux crédits pour frais de scolarité. L’appelant, qui était originaire des États‑Unis, est devenu résident du Canada ultérieurement. Il a tenté de réclamer des crédits d’impôt pour frais de scolarité inutilisés en se fondant sur les droits de scolarité qu’il avait payés dans des universités américaines pendant qu’il était non‑résident et n’avait aucun revenu de source canadienne. Les parties ne s’entendaient pas sur la question de savoir si le paragraphe 118.5(1) et l’article 118.61 de la LIR s’appliquaient à tous les non‑résidents ou seulement aux non‑résidents qui étaient des contribuables au cours des années pour lesquelles les droits de scolarité avaient été acquittés.

[92] La CCI a conclu que les dispositions ne s’appliquaient pas à tous les non‑résidents, et la CAF a confirmé cette conclusion (Marino c Canada, 2022 CAF 115). Dans le cadre de son interprétation des dispositions, la CCI a reconnu que le terme « contribuable », selon une lecture littérale, pouvait inclure un non‑résident. Toutefois, la juge Monaghan a appliqué l’interprétation du terme « contribuable » tirée de la décision Oceanspan et a conclu que l’appelant n’était pas un « contribuable » pendant les années où il était non‑résident. Par conséquent, la CCI a jugé que le paragraphe 118.5(1) ne s’appliquait pas à l’appelant pour la période visée. Au paragraphe 42, la Cour a indiqué ce qui suit :

Selon l’application des principes d’interprétation des lois, l’article 118.5 ne s’applique pas aux particuliers non résidents, mais se limite aux particuliers (résidents ou) non résidents qui sont potentiellement assujettis à l’impôt canadien au cours de l’année d’imposition (c.‑à‑d. qui sont des contribuables au sens de la définition établie dans la décision Oceanspan au cours de l’année en question).

[93] La CCI a également reconnu que l’utilisation du terme « particulier » au lieu de « contribuable » au paragraphe 118.5(1) et à l’article 118.61 de la LIR ne signifiait pas que tout particulier qui remplissait par ailleurs les conditions pertinentes pouvait se prévaloir d’un crédit d’impôt pour frais de scolarité. Pour évaluer le sens du mot « particulier », tel qu’il a été utilisé au paragraphe 118.5(1), elle a tenu compte de l’objectif pour lequel il avait été utilisé et du libellé qui l’entoure. La juge Monaghan a statué qu’une personne est un « particulier » aux fins du paragraphe 118.5(1) lorsque ce particulier est un contribuable « aux termes du paragraphe 2(1) ou 2(3) et qu’il est potentiellement assujetti à l’impôt au Canada aux termes de la partie I ». Par conséquent, pour ce qui est des non‑résidents, la CCI a conclu ce qui suit : « Un particulier non résident est un particulier auquel le paragraphe 118.5(1) peut s’appliquer au cours d’une année d’imposition uniquement si ce particulier est celui qui est décrit au paragraphe 2(3) (c.‑à‑d., qu’il est un contribuable) au cours de cette année. »

[94] Après avoir examiné ces décisions, je conclus que le principe tiré de la décision Oceanspan s’applique en l’espèce. Une interprétation littérale de la LIR impliquerait que tout contribuable serait visé par les paragraphes 231.1(1) et 231.7(1), ce qui serait toutefois incompatible avec les interprétations antérieures du terme « contribuable ». Dans l’affaire Marino, la CCI a reconnu qu’un contribuable s’entend d’un particulier qui est assujetti à l’impôt sous le régime de la partie I de la LIR. Dans le cas des non‑résidents, cela comprend les personnes désignées par le paragraphe 2(3), c’est‑à‑dire celles qui ont été employées au Canada, qui ont exploité une entreprise au Canada ou qui ont disposé d’un bien canadien imposable au cours d’une année.

[95] Par conséquent, pour l’application des paragraphes 231.1(1) et 231.7(1), j’admets que le terme « contribuable » comprend les résidents et les non‑résidents qui sont assujettis à l’impôt sous le régime de la partie I de la LIR.

[96] Toutefois, je ne crois pas que cette définition exclut nécessairement le défendeur. Comme je le mentionne plus haut, le défendeur a produit une déclaration de revenus dans laquelle il a déclaré un revenu d’emploi d’un employeur canadien en 2018, soit pendant la période où il s’était déclaré non‑résident. Par conséquent, il serait un « non‑résident » au sens du paragraphe 2(3) de la LIR. De plus, il semble que le défendeur ait choisi de déclarer un revenu de location pendant qu’il était non‑résident suivant l’article 216 de la LIR, ce qui, encore une fois, ferait qu’il serait techniquement visé par la partie I de la loi : voir Pechet c Canada, 2009 CAF 341 aux para 5, 36, 46. En se prévalant du choix prévu au paragraphe 216(1), un non‑résident peut produire une déclaration et payer de l’impôt sous le régime de la partie I de la LIR sur le revenu net tiré de ses biens immeubles au Canada. Le non‑résident est donc considéré comme un résident canadien : voir aussi Merali (P.) v The Queen, 1988 CanLII 10016 (FCA).

[97] Par conséquent, je suis d’avis que le défendeur n’est pas un « contribuable » dans le cadre de la LIR.

ii) Personne

[98] Quoi qu’il en soit, les paragraphes 231.1(1) et 231.7(1) ne se limitent pas aux« contribuables », car ils font référence à une « personne ».

[99] Il ressort de l’examen du sens ordinaire du mot « personne », comme pour le mot « contribuable », que ce terme n’implique pas nécessairement de considérations relatives à la résidence. Une interprétation simple du mot « personne » engloberait tout être humain ou toute personne physique.

[100] Dans la LIR, le terme « personne » est défini au paragraphe 248(1). Sont comprises parmi les « personnes » tant les sociétés que les entités exonérées de l’impôt prévu à la partie I sur tout ou partie de leur revenu imposable par l’effet du paragraphe 149(1), ainsi que les héritiers, liquidateurs de succession, exécuteurs testamentaires, administrateurs ou autres représentants légaux d’une personne, selon la loi de la partie du Canada visée par le contexte.

[101] Dans la décision Canada (Revenu national) c Stanchfield, 2009 CF 99, au paragraphe 23, la Cour a noté que le mot « personne » ne se limite pas aux personnes morales, car il comprend également les personnes physiques. Dans cette affaire, le défendeur a tenté de faire valoir qu’il n’était pas une personne physique, même s’il avait convenu qu’il était assujetti à la LIR. La Cour a rejeté cet argument après avoir conclu que la jurisprudence avait déjà « pleinement examiné cette question ». Plus précisément, la Cour a accepté que la définition du mot « personne » dans la LIR ne faisait qu’élargir le sens ordinaire de ce terme.

[102] En l’espèce, le défendeur soutient que les termes « contribuables » et « personne » ont la même signification. À cet égard, il renvoie au paragraphe 31 de la décision Kim c La Reine, 2017 CCI 246, où la CCI a déclaré que les termes « contribuables » et « personne » étaient interchangeables.

[103] Toutefois, le paragraphe 231.1(1) de la LIR prévoit expressément qu’une personne autorisée peut recueillir des renseignements au sujet d’un « contribuable ou d’une autre personne » (non souligné dans l’original). Le paragraphe 231.7(1) n’utilise pas ce libellé, mais il se fonde sur l’article 231.1. Il prévoit que la Cour peut « ordonner à une personne de fournir l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents que le ministre cherche à obtenir en vertu des articles 231.1 ou 231.2 ».

[104] Compte tenu de ce libellé, je ne suis pas d’avis que les termes « contribuables » et « personne » peuvent être interchangeables. Le législateur tente d’établir une distinction en raison de l’utilisation du mot « ou » dans la phrase. Par conséquent, une personne autorisée pourrait demander des renseignements à un large éventail de sources, y compris des tiers.

[105] D’après le libellé en tant que tel, je conclus que le sens du terme « personne » est large et n’est pas limité par le statut de résident.

b) Contexte

[106] Selon l’approche moderne d’interprétation législative, il faut également tenir compte du contexte pertinent. Au paragraphe 31 de l’arrêt R c Alex, 2017 CSC 37, la CSC a souligné que « le sens ordinaire n’est pas en soi déterminant et qu’une entreprise d’interprétation législative demeure incomplète sans l’examen du contexte, de l’objet et des normes juridiques pertinentes ».

[107] Aux fins de la présente demande, j’ai tenu compte du reste de l’article 231.1, ainsi que de l’historique législatif pertinent. Plus particulièrement, j’ai examiné les récentes modifications apportées à la LIR à partir de 2022, qui élargissent davantage la portée de l’article 231.1. J’ai également examiné le régime de collecte de renseignements énoncé dans la LIR, plus précisément les articles 231.2 et 231.6.

i) Reste de l’article 231.1

[108] Au paragraphe 24 de l’arrêt Redeemer Foundation c Canada (Revenu national), 2008 CSC 46 [Redeemer], la CSC a noté que « […] le par. 231.1(1) est libellé en termes généraux. »

[109] L’article 231.1 s’intitule « Collecte de renseignements » et comporte cinq parties qui précisent les divers moyens par lesquels une personne autorisée peut recueillir des renseignements.

[110] Premièrement, en vertu de l’alinéa 231.1(1)a), une personne autorisée peut inspecter, vérifier ou examiner tous documents d’un contribuable ou d’une autre personne qui peuvent être pertinents pour déterminer les obligations ou les droits du contribuable ou de cette autre personne.

[111] En vertu de l’alinéa 231.1(1)b), une personne autorisée peut examiner tout bien ou tout procédé d’un contribuable ou d’une autre personne ou toute matière le concernant ou la concernant.

[112] En vertu de l’alinéa 231.1(1)c), une personne autorisée peut pénétrer dans un lieu où est exploitée une entreprise, est gardé un bien, est faite une chose en rapport avec une entreprise ou sont tenus ou devraient l’être des livres ou registres. Cette disposition permet également à une personne autorisée d’entrer dans une habitation après l’obtention d’un mandat.

[113] L’alinéa 231.1(1)d) oblige le contribuable ou toute autre personne à répondre aux questions, de vive voix ou par écrit, notamment en précisant la manière dont les réponses seront communiquées. De plus, une personne autorisée peut exiger qu’un contribuable ou toute autre personne l’accompagne à un lieu qu’elle a désigné, ou participe avec elle par vidéoconférence ou par tout autre moyen de communication électronique.

[114] Enfin, l’alinéa 231.1(1)e) permet à une personne autorisée d’exiger qu’un contribuable ou toute autre personne lui fournisse toute l’aide raisonnable concernant quoi que ce soit qu’elle est autorisée à accomplir en vertu de la LIR.

[115] Compte tenu de ce qui précède, il est évident que le paragraphe 231.1(1) a une vaste portée et ne se limite pas à l’inspection des documents. Il confère plutôt de vastes pouvoirs de collecte de renseignements, ce qui permet à l’Agence de mener des examens, d’entrer à des endroits, d’interroger des contribuables ou des personnes et d’exiger toute l’aide raisonnable à des fins liées à l’application et à l’exécution de la LIR.

ii) Historique législatif de la disposition

[116] L’étendue du paragraphe 231.1(1) est par ailleurs étayée par des modifications législatives. Le gouvernement fédéral a instauré des mesures législatives qui permettent à l’Agence d’avoir un meilleur accès aux renseignements sur les contribuables, tant au pays qu’à l’étranger : voir, par exemple, le document de Laurie A. Goldbach et Andrea M. Ryer, « Audit, Appeals, and Requests for Information: The View from Both Sides », dans le rapport de la Conférence de 2022 intitulé Report of Proceedings of the Seventy‑Fourth Tax Conference, (Toronto : Fondation canadienne de fiscalité, 2023), 9 : p 1‑26 [en anglais seulement].

[117] Plus précisément, depuis les modifications apportées à la LIR en 2022, l’alinéa 231.1(1)a) permet à une personne autorisée de demander des renseignements qui peuvent être pertinents pour déterminer les « obligations ou les droits du contribuable », plutôt que tout montant payable en vertu de la LIR. Ces modifications élargissent le fondement au titre duquel l’Agence peut faire des demandes, puisque ces dernières peuvent se rapporter à toute obligation du contribuable. De plus, cette disposition permet à une personne autorisée de demander des documents qui peuvent être pertinents pour déterminer les obligations ou les droits d’une « autre personne ».

[118] De plus, selon l’alinéa 231.1d), l’Agence n’est plus limitée aux réponses écrites. Par suite des modifications législatives, un contribuable ou toute autre personne est tenu de fournir « toute l’aide raisonnable et de répondre à toutes les questions pertinentes », ce qui peut se faire de vive voix dans un lieu désigné par la personne autorisée, par vidéoconférence ou par tout autre moyen de communication électronique. De plus, la personne autorisée peut exiger du contribuable ou de toute autre personne de répondre aux questions par écrit, « en la forme qu’elle précise ».

[119] Les modifications ont également permis l’ajout de l’alinéa 231.1(1)e), selon lequel une personne autorisée peut requérir « un contribuable ou toute autre personne de lui fournir toute l’aide raisonnable concernant quoi que ce soit qu’elle est autorisée à accomplir en vertu de la présente loi ».

[120] En apportant ces modifications, le législateur a élargi les moyens par lesquels l’Agence peut recueillir des renseignements, alors qu’avant, l’article 231.1 était principalement utilisé à des fins d’inspection. Toutefois, ces modifications à l’article 231.1 n’ont pas les mêmes protections que l’article 231.2 : voir, par exemple, l’article d’Almut MacDonald et d’Anu Koshal, « Blurring the Lines Between Inspection and Requirement Powers: Recent Legislative Amendments to Section 231.1 » (12 juin 2023), en ligne (blogue) [en anglais seulement] : <https://www.mccarthy.ca/en/insights/blogs/mccarthy‑tetrault‑tax‑perspectives/blurring‑lines‑between‑inspection‑and‑requirement‑powers‑recent‑legislative‑amendments‑section‑2311>.

iii) Régime législatif

[121] Enfin, la vaste portée du paragraphe 231.1(1) ressort clairement du régime d’application et d’exécution global de la LIR. Comme je l’indique plus haut, les paragraphes 231.1(1) et 231.7(1) font partie d’un ensemble plus vaste de dispositions relatives à la collecte de renseignements. Dans l’arrêt Redeemer, au paragraphe 15, la CSC a reconnu que « [l]es dispositions législatives doivent recevoir une interprétation textuelle, contextuelle et téléologique et, si possible, il faut donner un sens cohérent à un ensemble de dispositions connexes ». Aux fins de la présente demande, deux dispositions s’appliquent, soit les articles 231.2 et 231.6.

[122] En vertu du paragraphe 231.2(1), le ministre peut exiger d’une personne qu’elle fournisse des renseignements ou qu’elle produise des documents pour l’application ou l’exécution de la LIR, d’un accord international désigné ou d’un traité fiscal conclu avec un autre pays. Aux termes du paragraphe 231.2(2), le ministre ne peut exiger la fourniture de renseignements ou la production de documents prévue au paragraphe 231.2(1) concernant une ou plusieurs personnes non désignées nommément, sans l’autorisation d’un juge.

[123] Dans l’arrêt Redeemer, la CSC a traité de l’interaction entre les articles 231.1 et 231.2. Dans cette affaire, l’appelante faisait valoir que l’article 231.1 ne pouvait être interprété de manière à permettre au ministre d’obtenir des renseignements concernant des personnes non désignées nommément, car l’article 231.2 perdrait toute son utilité. Au paragraphe 15, les juges majoritaires de la CSC ont rejeté cette approche dans les termes suivants :

Toutefois, nous n’acceptons pas l’argument selon lequel l’art. 231.2 perd toute son utilité si l’art. 231.1 est interprété comme autorisant le ministre à obtenir des renseignements sur des tiers non désignés nommément dans le cadre de la vérification d’un contribuable. Le ministre peut très bien avoir besoin d’obtenir des renseignements sur un ou plusieurs contribuables en dehors du contexte d’une vérification formelle. L’article 231.2 répond à ce besoin, sous réserve de l’exigence d’obtenir une autorisation judiciaire dans les cas où le ministre demande, à un tiers qui tient des registres, des renseignements concernant des personnes non désignées nommément. L’argument selon lequel le par. 231.1(1) devrait recevoir une interprétation atténuée pour éviter la redondance échoue donc.

[124] Au paragraphe 22 de l’arrêt Redeemer, la CSC a précisé que le paragraphe 231.2(2) s’applique dans des circonstances particulières, soulignant qu’il « ne devrait pas s’appliquer aux situations où les renseignements demandés sont nécessaires pour vérifier que le contribuable visé par la vérification se conforme à la Loi. […] l’ARC devrait pouvoir obtenir les renseignements dont elle pourrait autrement prendre connaissance dans le cadre d’une vérification. »

[125] Par conséquent, l’arrêt Redeemer limite la portée de l’article 231.2 tout en confirmant que l’article 231.1 confère à l’Agence de vastes pouvoirs dans le cadre d’une vérification officielle.

[126] De même, la CAF a reconnu que l’article 231.2 ne confère pas de pouvoir distinct dans le cadre de la LIR, car son libellé indique qu’il s’applique « [m]algré les autres dispositions » de la LIR (voir Miller c Canada (Revenu national), 2022 CAF 183 au para 67 [Miller]). Elle a donc conclu que les différentes dispositions pouvaient se recouper. Dans l’affaire Miller, l’appelant a fait valoir que les articles 231.1 et 232.1 conféraient des pouvoirs distincts, mais la CAF a rejeté cet argument en invoquant l’arrêt Redeemer.

[127] Dans l’affaire Miller, la CAF a également mentionné la possibilité d’un recoupement dans son analyse de l’article 231.6. En vertu de cette disposition, le ministre peut exiger qu’une personne résidant au Canada, ou un non‑résident qui exploite une entreprise au Canada, fournisse des renseignements ou des documents étrangers. Selon la LIR, un renseignement ou un document étranger s’entend « d’un renseignement accessible, ou d’un document situé, à l’étranger » qui peut être pris en compte pour l’application ou l’exécution de la LIR.

[128] Au paragraphe 69 de l’arrêt Miller, la CAF a conclu que, « [p]arce que le recoupement est possible, on ne peut interpréter l’article 232 comme énonçant qu’il s’agit du seul processus permettant d’obtenir des documents auprès des avocats de l’appelant ou l’article 231.6 comme énonçant que le seul processus d’obtention de documents est auprès de la banque de l’appelant au Luxembourg » (non souligné dans l’original). La CAF a conclu que la Cour fédérale pouvait ordonner à l’appelant de présenter une demande de renseignements et de documents à sa banque étrangère au titre des articles 231.1 et 231.7.

[129] De plus, je fais remarquer qu’il y a un autre aspect à prendre en considération en ce qui a trait à l’article 231.6. Comme je l’indique plus haut, la disposition se limite aux « renseignement[s] accessible[s], ou [aux] document[s] situé[s], à l’étranger ». Par conséquent, lorsque des renseignements étrangers sont accessibles ou sont situés au Canada, différents éléments doivent être pris en considération dans le cadre de la LIR. De même, lorsque le contribuable prétend n’avoir aucune relation avec l’entité étrangère détenant l’information, même si elle se trouve au Canada, l’utilisation des dispositions par l’Agence s’en trouverait modifiée.

[130] Par exemple, dans l’affaire Levett c Canada (Procureur général), 2021 CF 295 [Levett], décision confirmée en appel (voir Levett c Canada (Procureur général), 2022 CAF 117), les demandeurs étaient des contribuables canadiens qui contestaient des demandes de renseignements adressées aux autorités suisses. La juge St‑Louis a conclu que l’Agence avait épuisé tous les recours nationaux raisonnables pour obtenir les renseignements. Les demandeurs affirmaient n’avoir aucun lien avec deux sociétés, dont l’une avait été constituée aux îles Vierges britanniques. Par conséquent, notre Cour a reconnu que le vérificateur ne pouvait pas demander de renseignements en vertu des articles 231.1 ou 231.2. La Cour a également noté que le vérificateur ne pouvait pas utiliser l’article 231.6, car rien n’indiquait qu’un contribuable canadien pouvait fournir les renseignements demandés.

[131] Dans la décision Rémillard c Canada (Revenu national), 2022 CF 338 [Rémillard], la Cour a fait référence à l’affaire Levett, dans laquelle l’Agence avait demandé des renseignements à un non‑résident qui se trouvait à l’étranger. L’Agence a présenté trois demandes d’échange de renseignements en vertu des traités fiscaux pertinents. Dans la correspondance, l’Agence a indiqué que ses demandes étaient conformes au droit interne et que les renseignements requis auraient pu être obtenus s’ils avaient été accessibles au Canada. Parmi les questions soulevées, la juge en chef adjointe Gagné a finalement rejeté la demande de contrôle judiciaire et a conclu que l’Agence avait épuisé tous les recours nationaux raisonnables pour obtenir les renseignements et les documents avant de se tourner vers les autorités étrangères.

[132] Contrairement à ce qui s’était produit dans l’affaire Rémillard, dans l’affaire Miller, l’Agence n’a pas recouru aux traités fiscaux et s’est plutôt appuyée sur l’article 231.1. Notre Cour a accueilli la demande de l’Agence visant à obtenir des renseignements et des documents relatifs à une banque étrangère. La CAF a conclu que notre Cour n’avait pas dépassé les bornes en formulant son ordonnance, car il n’avait pas été ordonné à l’appelant de produire les documents et (de fournir) les renseignements de la banque étrangère; l’appelant devait simplement les demander. Si l’appelant essuyait un refus, il pourrait alors expliquer le refus (Miller, au para 74). Compte tenu de la manière dont notre Cour avait formulé son ordonnance, la CAF a souligné qu’il n’avait pas été ordonné à l’appelant de produire les documents étrangers.

[133] Plus récemment, dans l’affaire Canada (Revenu national) c Chad, 2024 FC 460 [Chad], la Cour a indiqué qu’aucune décision définitive n’a été rendue sur la question de savoir si les articles 231.1 et 231.2 s’appliquent aux renseignements ou documents étrangers. Le juge Favel a fait remarquer que [traduction] « […] les tribunaux ont seulement statué que les renseignements ou documents étrangers qui sont également accessibles au Canada peuvent être exigés en vertu de l’article 231.2 ». À cet égard, la Cour a renvoyé à la décision Ghermezian 2 aux paragraphes 177 et 178, qui renvoyait aux paragraphes 95, 96, 99 et 100 de la décision Ghermezian 1.

[134] Dans l’affaire Chad, la Cour a également reconnu d’autres décisions portant sur cette question, dont l’arrêt eBay Canada Limited c Canada (Revenu national), 2008 CAF 348 aux para 47‑48, 52 [eBay]. Dans cet arrêt, la CAF a jugé que les renseignements ne se trouvaient pas à l’étranger, car eBay pouvait y accéder à partir d’ordinateurs au Canada. De plus, dans la décision Frank C. Smith Medicine Professional Corporation c Canada (Revenu national), 2022 CF 29 [Frank C. Smith], notre Cour a noté qu’un contribuable ne pouvait pas transformer des renseignements canadiens en renseignements étrangers simplement en les transférant à l’étranger.

[135] En fin de compte, dans l’affaire Chad, la Cour a conclu que le dossier de preuve était insuffisant pour pouvoir déterminer si les renseignements étaient accessibles depuis le Canada. La Cour n’a pas tranché la question de savoir si les documents et les renseignements demandés étaient « situés à l’étranger ». Au paragraphe 34, le juge Favel a plutôt déclaré ce qui suit :

[traduction]

Pour clarifier la portée des ordonnances d’exécution fondées sur l’article 231.7, le dossier de preuve doit clairement démontrer que le défendeur n’a pas été capable, et continue de ne pas être en mesure, d’accéder aux documents et aux renseignements exigés au Canada. Les parties sont tenues de présenter des éléments de preuve pour permettre à la Cour de rendre une telle décision (Ghermezian 2022, au para 179). Le dossier de preuve en l’espèce est un peu plus solide que celui présenté dans l’affaire Ghermizian 2022, car le défendeur a déposé une preuve par affidavit, y compris les lettres de refus. Dans l’affaire Ghermezian 2022, les défendeurs n’ont pas déposé d’affidavits. Le défendeur a également été contre‑interrogé au sujet de son affidavit. Néanmoins, je suis d’avis que, en l’espèce, comme dans l’affaire Ghermezian 2022, le dossier de preuve ne permet pas de tirer une conclusion sur la question de savoir si les renseignements sont accessibles depuis le Canada (au para 181). Dans la décision Ghermezian 2022, la Cour a conclu que, « en l’absence d’une preuve qui leur permettrait de s’acquitter du fardeau qui leur incombe, les défendeurs n’ont avancé aucun argument au sujet des renseignements et documents se trouvant à l’étranger qui permettrait de rejeter l’une ou l’autre des demandes d’ordonnance » (Ghermezian 2022, au para 189).

[136] Par conséquent, compte tenu de toutes les décisions antérieures qui précèdent, j’estime que plusieurs concepts commencent à émerger. Premièrement, l’Agence ne peut vraisemblablement pas se fonder sur l’article 231.1 pour obtenir des renseignements étrangers si le contribuable affirme n’avoir aucune relation avec l’entité étrangère en cause. Cette situation peut être distinguée de celle de l’affaire Miller, où l’appelant était au Canada, détenait un compte bancaire au Luxembourg et devait demander des renseignements à sa banque étrangère.

[137] Deuxièmement, si des renseignements étrangers demandés ne sont pas accessibles depuis le Canada, mais qu’ils auraient autrement pu être obtenus, il est peu probable que l’article 231.1 soit utilisé. Comme on l’a vu dans l’affaire Rémillard, l’Agence dispose d’autres moyens d’obtenir l’information.

[138] Troisièmement, bien qu’aucune décision officielle n’ait été rendue au sujet de l’utilisation des articles 231.1 et 231.2 pour obtenir des renseignements étrangers, les dispositions peuvent vraisemblablement être utilisées lorsque les renseignements sont accessibles et se trouvent au Canada. Toutefois, comme il est mentionné dans la décision Chad, les parties doivent présenter un dossier de preuve solide pour aider la Cour à rendre une telle décision.

[139] Enfin, dans l’éventualité où les renseignements ne seraient pas accessibles et ne se trouveraient pas au Canada, la décision Miller indique qu’il pourrait y avoir une limite à la portée de l’article 231.1. Dans l’arrêt Miller, la CAF a mentionné que la « Cour fédérale a[vait] formulé son ordonnance avec soin visant à ne pas dépasser les bornes » et a convenu que les renseignements provenant d’une banque étrangère pouvaient être demandés, mais qu’il n’était pas nécessaire de les produire.

[140] En conclusion, après avoir examiné les décisions Redeemer et Miller, j’estime donc que la portée de l’article 231.1 n’est pas nécessairement limitée par les autres dispositions relatives à la collecte de renseignements de la LIR. Les articles fonctionnent plutôt ensemble, de sorte que le demandeur peut obtenir des renseignements étrangers de non‑résidents sans s’appuyer sur les articles 231.2 et 231.6. Autrement dit, l’article 231.1 peut être la disposition qui convient le mieux lorsque des renseignements étrangers sont demandés et que le contribuable peut y accéder depuis le Canada. Son application cadre avec celle de l’article 231.6, qui s’applique lorsque les renseignements ne sont pas accessibles ou situés au Canada. Elle cadre aussi avec l’application de l’article 231.2, qui convient mieux en dehors du contexte de vérification officielle. Toutefois, pour qu’une telle question puisse être tranchée, il doit y avoir un dossier de preuve solide.

c) Objet

[141] Enfin, l’objet des dispositions appuie une interprétation qui n’est pas limitée sur la base de la résidence.

[142] La LIR régit la façon dont l’impôt fédéral sur le revenu est calculé et perçu, et établit un régime fiscal d’autocotisation. Dans l’arrêt McKinlay, la CSC a fait remarquer que, « [b]ien qu’il ne fasse pas de doute que la plupart des contribuables respectent le régime et s’y conforment, c’est un fait que certaines personnes tentent d’en tirer profit et d’échapper en partie au fisc ». Par conséquent, la LIR confère de vastes pouvoirs au ministre pour surveiller le régime de réglementation.

[143] Comme je le mentionne plus haut, dans ce régime, les paragraphes 231.1(1) et 231.7(1) comptent parmi les mécanismes d’application et d’exécution de la LIR, qui permettent au ministre d’enquêter sur les contribuables et d’assurer la conformité. Au paragraphe 27 de l’arrêt Canada (Revenu national) c Cameco Corporation, 2019 CAF 67, la CAF a expliqué que l’article 231.1 vise à « assurer au ministre un accès sans entrave et immédiat aux dossiers et renseignements du contribuable ». En ce qui concerne l’article 231.7, la CAF a mentionné que l’objectif est de permettre « un recours aux pouvoirs de la Cour en cas de refus ».

[144] Par conséquent, j’estime que, dans le cadre de ce régime, l’objet des articles 231.1 et 231.7 aide le ministre à examiner les renseignements provenant de contribuables non résidents, même s’ils sont situés à l’étranger, sous réserve de certaines conditions. Comme le fait remarquer le demandeur, le régime fiscal repose sur l’autodéclaration, et le ministre est chargé d’effectuer des enquêtes et des vérifications sur les contribuables. De plus, même les non‑résidents sont assujettis à l’impôt sur leur revenu de source canadienne. Le ministre doit donc être en mesure de vérifier les renseignements fournis par les personnes, qu’elles soient résidentes ou non, pour s’assurer qu’elles respectent la LIR.

[145] À cet égard, le défendeur soutient que le ministre devrait déterminer son statut de résident avant d’exiger des renseignements en vertu de l’article 231.1. Toutefois, l’article 231.1 a pour objet d’aider le ministre à effectuer des vérifications. En l’espèce, la vérification du défendeur visait en partie à vérifier le statut de résident de ce dernier. Il serait donc illogique que le ministre doive trancher la question de la résidence avant d’avoir tous les documents nécessaires. Le ministre demandait des renseignements en vertu de l’article 231.1 justement afin de trancher cette question précise. Par conséquent, l’argument du défendeur selon lequel le statut de résident devrait être déterminé en premier lieu va à l’encontre de l’objet des dispositions en question.

d) Conclusion sur l’interprétation législative

[146] Après avoir examiné le texte, le contexte et l’objet des dispositions, je conclus que le statut de résident n’empêche pas nécessairement le ministre de demander des renseignements en vertu des articles 231.1 et 231.7. Comme je le mentionne plus haut, le paragraphe 231.1(1) permet à l’Agence de recueillir des renseignements auprès des contribuables ou des autres personnes. La portée de cette disposition a été continuellement élargie et elle ne fonctionne pas indépendamment des autres articles relatifs à la collecte de renseignements de la LIR. De plus, les articles en question font en sorte que le ministre est en mesure de vérifier les contribuables et de s’assurer qu’ils respectent la loi.

[147] Je conclus donc que le demandeur peut, en vertu des articles 231.1 et 231.7, exiger des renseignements sur les non‑résidents lorsqu’ils sont tenus de payer de l’impôt sous le régime de la partie I de la LIR. De plus, cela n’exclut pas nécessairement les renseignements étrangers. La jurisprudence indique plutôt que des renseignements étrangers peuvent être exigés en vertu de l’article 231.1, mais qu’ils doivent être accessibles ou se trouver au Canada. Si les renseignements se trouvent à l’étranger et qu’il existe un lien entre les entités, le demandeur peut demander les renseignements, plutôt que leur production, en vertu de l’article 231.1 (comme il est démontré dans l’arrêt Miller).

C. Autres arguments

[148] Je traiterai brièvement de certains autres arguments soulevés en l’espèce.

1) La CCI a compétence exclusive

[149] Le demandeur soutient que le défendeur sollicite un bref de mandamus, car il demande le renvoi de la question à la CCI. Le demandeur soutient que la Cour fédérale n’a pas compétence pour accorder le redressement demandé.

[150] Le défendeur affirme qu’il ne sollicite pas de bref de mandamus, précisant que la Cour peut accorder un redressement « domino » ou « en cascade ». De plus, le défendeur soutient que, même s’il demandait un bref de mandamus, la Cour pourrait faire droit à une telle demande sur le fondement des articles 3 et 4 des Règles.

[151] Sans entrer dans les détails des arguments des parties, je souligne que la CCI a effectivement compétence exclusive pour déterminer le statut de résident. La Cour ne « transférera » pas la présente affaire à la CCI. À la fin de la vérification en cause, si le défendeur estime que l’Agence a tiré une conclusion erronée quant à son statut de résident, il pourra la contester et demander un redressement devant la CCI (voir Rémillard, au para 148). De plus, l’argument soulevé n’est pas déterminant dans la présente demande et est, au mieux, accessoire.

2) Le ministre a privé le défendeur de la possibilité de se prévaloir du contrôle judiciaire d’une décision relative à la résidence

[152] Le défendeur soutient que le demandeur l’a privé de son droit à l’équité procédurale, car l’Agence n’a pas déterminé son statut de résident avant d’exiger qu’il réponde à la Demande.

[153] Encore une fois, comme je le mentionne plus haut, tout examen du statut de résident du défendeur serait effectué par la CCI. Dans l’affaire Rémillard, la juge en chef adjointe Gagné a fait remarquer que le demandeur pourrait contester une cotisation découlant de la conclusion relative à la résidence devant la CCI au terme de la vérification.

[154] Par conséquent, je conclus que le ministre n’a pas privé le défendeur de la possibilité de se prévaloir du contrôle judiciaire d’une décision relative à son statut de résident.

D. Le demandeur a‑t‑il droit à l’ordonnance d’exécution?

[155] Le demandeur reconnaît que le défendeur ne conteste pas la pertinence de l’ordonnance d’exécution relativement à ses revenus de source canadienne. De plus, les parties s’entendent sur le fait que, avant qu’une ordonnance puisse être rendue, la Cour doit être convaincue des éléments suivants :

  1. La personne était tenue, aux termes des articles 231.1 ou 231.2 de la LIR, de fournir l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents que le ministre cherche à obtenir;

  2. La personne n’a pas fourni l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents demandés;

  3. Le privilège des communications entre client et avocat ne peut être invoqué à l’égard des renseignements ou des documents demandés.

[156] Chacune des conditions doit avoir été « rempli[e] de façon claire » avant que la Cour puisse exercer son pouvoir discrétionnaire d’accorder une ordonnance (voir Canada (Revenu national) c Dominelli, 2022 CF 1418 au para 28 [Dominelli]). Même si toutes les conditions ont été remplies, la Cour conserve le pouvoir discrétionnaire prépondérant, conféré par le paragraphe 231.7(1), d’imposer certaines conditions à l’égard de toute ordonnance qui est accordée (Dominelli, au para 30). La Cour peut imposer des restrictions pour prévenir les débordements et veiller à ce que l’ordonnance soit adaptée aux circonstances (Dominelli, au para 30).

[157] La jurisprudence indique que la portée des demandes de vérification peut être large et que le critère pour juger si une vérification est raisonnable est peu exigeant (Dominelli, au para 29, citant Saipem Luxembourg S.V. c Canada (Douanes et Revenu), 2005 CAF 218 aux para 31‑37). Il peut être satisfait à la condition relative à l’objet d’une demande de vérification même si certains des renseignements s’avèrent non pertinents aux fins de la vérification (Dominelli, au para 29, citant Ghermezian 2, au para 225). Au paragraphe 67 de la décision Amdocs, la Cour a mentionné qu’il « incombe au ministre d’établir tant la portée de la vérification que les documents nécessaires pour effectuer la vérification ».

[158] Toutefois, il y a des limites à ce qu’une ordonnance d’exécution peut exiger en matière de production. L’alinéa 231.7(1)b) prévoit que les renseignements ou documents à l’égard desquels le privilège des communications entre client et avocat peut être invoqué ne peuvent pas être exigés. De plus, la LIR requiert seulement qu’un contribuable fasse des « efforts raisonnables » pour obtenir les renseignements demandés (Dominelli, au para 31, citant Miller, au para 50). Le caractère raisonnable dépend du contexte (Chad, au para 42).

[159] Le contribuable doit également disposer d’un délai raisonnable pour fournir la documentation demandée. En l’espèce, l’Agence a envoyé la Demande au défendeur le 5 juillet 2022. La Demande accordait initialement 60 jours au défendeur pour fournir la documentation requise. Toutefois, le défendeur n’a pas fourni la documentation dans le délai prévu. Pendant plusieurs mois, le défendeur a maintenu qu’il ne fournirait pas certains renseignements en raison de son statut de résident. À la suite d’une série de prorogations, l’échéance à respecter pour fournir toute la documentation requise a finalement été repoussée jusqu’au 28 février 2023.

[160] En l’espèce, je juge que le défendeur s’est vu accorder un délai raisonnable (environ huit mois) pour répondre à la Demande

1) Le défendeur était‑il tenu de fournir les renseignements ou les documents demandés sur le fondement de l’article 231.1 ou 231.2 de la LIR?

[161] En ce qui concerne le premier volet du critère, les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si les renseignements et les documents exigés par l’Agence peuvent être demandés à un non‑résident. Comme je le mentionne plus haut, je suis d’avis que le paragraphe 231.1(1) s’applique à un contribuable non résident qui est tenu de payer de l’impôt sous le régime de la partie I de la LIR. En l’espèce, le défendeur a produit une déclaration de revenus pour ses revenus de source canadienne, de sorte qu’il serait visé par le paragraphe 231.1(1). Le défendeur a reçu un revenu d’emploi d’un employeur canadien pendant la période visée par la vérification et a choisi de déclarer son revenu de location sous le régime de la partie I de la loi, et a donc été traité comme un résident canadien.

[162] Toutefois, comme je l’indique plus haut, une autre restriction concerne la question de savoir si les renseignements sont des renseignements étrangers. Pour les trois sociétés canadiennes (115 BC, 119 BC et 111 Canada), la question ne se pose pas. Toutefois, l’Agence demande également des renseignements et des documents concernant quatre entités non résidentes : Hiroko Holdings, Retail Invest, D’Banyan et Eight Treasures.

[163] S’appuyant sur un affidavit d’un vérificateur de l’Agence, le demandeur affirme que le défendeur est propriétaire, actionnaire ou administrateur de chaque entité. Pour établir ce lien, l’auteur de l’affidavit s’appuie sur un formulaire RC1 (Hiroko Holdings), une demande de dispense de l’application de l’article 105 du Règlement de l’impôt sur le revenu (Retail Invest) et le Consortium international des journalistes d’investigation (D’Banyan et Eight Treasures). Le demandeur indique également que divers transferts électroniques de fonds démontrent un lien entre le défendeur, D’Banyan et Eight Treasures.

[164] Comme il est mentionné dans les décisions Ghermezian 2 et Chad, une preuve suffisante doit être présentée pour que la Cour puisse déterminer si les renseignements se trouvent au Canada. De plus, il incombe au défendeur de démontrer l’emplacement ou l’accessibilité de la documentation requise (voir Chad, au para 30, citant Ghermezian 2, au para 186).

[165] En l’espèce, comme dans les décisions Ghermezian 2 et Chad, je juge que le défendeur n’a pas fourni suffisamment d’éléments de preuve pour permettre à la Cour de déterminer si les renseignements se trouvent au Canada. Le défendeur n’a pas déposé de preuve par affidavit ni de lettres de refus comme l’a fait la partie défenderesse dans l’affaire Chad. Dans ses observations écrites, le défendeur réfute principalement la logique des arguments du demandeur. Au paragraphe 189 de l’affaire Ghermezian 2, la Cour a indiqué que, « en l’absence d’une preuve qui leur permettrait de s’acquitter du fardeau qui leur incombe, les défendeurs n’ont avancé aucun argument au sujet des renseignements et documents se trouvant à l’étranger qui permettrait de rejeter l’une ou l’autre des demandes d’ordonnance ».

[166] Par conséquent, selon la décision Ghermezian 2, les renseignements se trouvant à l’étranger pourraient, techniquement, être demandés au défendeur, car ce dernier n’a pas démontré qu’ils sont inaccessibles ou ne se trouvent pas au Canada. Toutefois, à la lumière de l’arrêt Miller, je conclus que la solution de rechange la plus appropriée consiste à demander au défendeur de demander ces renseignements aux entités étrangères, surtout qu’il pourrait être limité dans l’obtention de la documentation. Comme je l’indique plus haut, le demandeur a déclaré que le défendeur est soit propriétaire, actionnaire ou administrateur de chacune des sociétés en cause. Toutefois, lorsque ces renseignements leur seront demandés, il se peut que les entités refusent de les transmettre en fonction de l’accès au renseignements et du contrôle du demandeur, comme dans l’affaire Chad, où le demandeur avait exigé certains renseignements à des fiducies et à des sociétés non résidentes. Le fait de limiter l’ordonnance à une demande de renseignements permet de prévenir tout débordement éventuel et est conforme au raisonnement sous‑tendant la décision Miller.

2) Le défendeur a‑t‑il fourni les renseignements ou les documents demandés par le ministre?

[167] En ce qui concerne le deuxième volet du critère, les parties ne s’entendent pas sur la question de savoir si le défendeur a fourni les renseignements demandés. Le défendeur affirme qu’il a fait des efforts raisonnables pour obtenir la documentation exigée dans la Demande. Le demandeur soutient que le défendeur n’a fourni aucun des renseignements ou documents manquants qui étaient demandés pour vérifier que ce dernier respectait la LIR.

[168] Dans ses observations, le défendeur fait valoir qu’il n’a pas transmis à l’agence une part importante de la documentation requise en raison de son statut de résident autodéclaré. Il convient de souligner que, au cours de la période de 2017 à 2019, le défendeur n’a répondu qu’aux demandes de vérification concernant ses revenus de source canadienne ou des biens dont il avait disposé au Canada pour lui‑même, Hiroko Holdings, Retail Invest, D’Banyan et Eight Treasures. Le défendeur a refusé de fournir d’autres renseignements pour les années en question. Par conséquent, il n’a pas fourni les renseignements exigés dans la Demande.

[169] Une autre question se pose à cet égard. Le demandeur affirme que le défendeur a omis de fournir certains documents pour l’année 2016 au motif qu’ils n’existaient pas. Le demandeur soutient qu’il s’agit de simples affirmations qui ne sont pas étayées par la preuve.

[170] Conformément à la décision Amdocs, le ministre ne peut exiger la production de documents qui n’existent pas. Le défendeur a raison sur ce point. Toutefois, je note que le défendeur n’a fourni aucune preuve pour établir que les documents n’existent pas et démontrer les efforts de recherche qu’il a déployés pour trouver la documentation. Le défendeur ne fait que répéter les affirmations en question.

[171] Dans la décision Dominelli, la Cour a traité de cette question au paragraphe 36, dans les termes suivants :

Dans la décision Amdocs, la Cour a refusé de rendre une ordonnance après que la contribuable a démontré i) qu’elle n’était pas en possession des renseignements et ii) qu’elle n’était pas en mesure de les obtenir (au para 75). Dans cette affaire, la contribuable a convaincu la Cour que la preuve montrait, selon la prépondérance des probabilités, une incapacité à produire les renseignements. Inversement, si le contribuable n’a pas réussi à démontrer le premier élément de non‑possession ou le deuxième élément de non‑disponibilité, la Cour devrait accorder l’ordonnance demandée (voir : Société de fiducie Blue Bridge Inc. c Canada (Revenu national), 2020 CF 893 au para 120; Miller, notamment aux para 31, 33, 37, 48‑50, 63, 75‑76, 82‑83).

[Non souligné dans l’original.]

[172] Compte tenu de la preuve présentée en l’espèce, j’estime que le défendeur n’a pas démontré que les documents n’existent pas ni que les renseignements sont inaccessibles. Rien n’indique que le défendeur a fait des efforts raisonnables pour obtenir ces renseignements. Par conséquent, en l’espèce, comme dans l’affaire Dominelli, je suis d’avis d’ordonner que le défendeur effectue une recherche détaillée en vue d’obtenir la documentation manquante pour l’année 2016 et fournisse des détails sur ses efforts de recherche.

3) Le privilège des communications entre client et avocat, au sens de la LIR, s’applique‑t‑il à l’égard des documents ou renseignements demandés par le ministre?

[173] Enfin, en ce qui concerne le privilège des communications entre client et avocat, il incombe au défendeur de démontrer qu’il s’applique à l’égard de certains documents.

[174] En l’espèce, le défendeur a invoqué le privilège à l’égard de plusieurs documents de planification fiscale concernant la société 119 BC. Dans le cadre de ses observations de vive voix, le défendeur a fourni à la Cour une copie des documents à l’égard desquels le privilège des communications entre client et avocat et le privilège d’intérêt commun ont été invoqués.

[175] Après avoir examiné la documentation, je conclus que le privilège des communications entre client et avocat peut être invoqué à l’égard des documents de planification fiscale, conformément à la décision rendue par la CAF dans l’affaire Iggillis Holdings Inc. c Canada (Revenu national), 2018 CAF 51. Dans cet arrêt, fondé sur des décisions des cours de l’Alberta et de la Colombie‑Britannique, la CAF a conclu il n’y avait pas renonciation au privilège du secret professionnel lorsque l’avis juridique de l’avocat d’une partie est communiqué, confidentiellement, à d’autres parties qui ont un intérêt commun suffisant dans la conclusion des mêmes opérations. Je juge que la situation est semblable en l’espèce.

[176] Par conséquent, je suis d’avis d’exempter ces documents de toute ordonnance d’exécution.

VII. Conclusion

[177] Pour les motifs qui précèdent, je suis d’avis d’accueillir en partie la présente demande.

 


JUGEMENT dans le dossier T‑908‑23

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. Le défendeur, Jürgen Schreiber, fournira au demandeur, le ministre du Revenu national (le ministre), dans les 60 jours suivant la date de la présente ordonnance, les documents et renseignements suivants pour la période visée par la vérification conformément à la Demande :

    • a)Des réponses complètes aux questions 1.1 à 7.3 du questionnaire pour les années d’imposition 2017 à 2019;

    • b)En ce qui concerne les entités canadiennes, c.‑à‑d. la société 115 BC (pour les années d’imposition 2018 et 2019), la société 119 BC (pour l’année d’imposition 2019) et la société 111 Canada (pour l’année d’imposition 2019), les renseignements suivants :

      1. Les états financiers, les balances de vérification, les regroupements de comptes et les écritures d’ajustement de fin d’exercice pour toutes les entités autres que la société 115 BC;

      2. Des copies de toutes les déclarations de revenus étrangères pour toutes les entités canadiennes;

      3. Les organigrammes de toutes les entités résidentes et non résidentes, pour chaque année s’ils sont différents, notamment les sociétés, fiducies, simples fiducies, sociétés de personnes, copropriétés et coentreprises que le défendeur ou un membre de sa famille contrôlait, directement ou indirectement, seul ou avec des parties liées;

      4. Les détails et des copies de tous les contrats de prêt intersociétés pour toutes les entités, y compris ceux conclus avec des entités non résidentes liées, et rapprochés avec les balances de vérification des entités concernées;

      5. Les détails de tous les dividendes versés et reçus, et rapprochés avec les balances de vérification des entités concernées. Pour les dividendes reçus d’entités non résidentes liées, les détails des calculs de surplus de dividende;

      6. Les copies de toutes les ententes interentreprises et conventions entre actionnaires pour toutes les entités;

      7. Les détails à l’appui des balances de vérification pertinentes et le rapprochement avec celles‑ci pour tout formulaire T106, T1134, T1135, T1141 et T1142 produit pour toutes les entités ;

      8. Des copies de toute décision ou de tout avis demandé par les entités à l’Agence et de toute réponse reçue;

      9. Les documents relatifs à la planification fiscale ayant eu lieu au cours de la période visée par la vérification, pour toutes les entités, à l’exception des documents soulevés par le défendeur en l’espèce pour la société 119 BC à l’égard desquels le privilège des communications entre client et avocat a été invoqué;

      10. Le calcul des attributs fiscaux de toutes les actions détenues par le défendeur de 2015 à 2019, pour l’ensemble des entités.

    • c)En ce qui concerne les quatre entités étrangères, Hiroko Holdings, D’Banyan, Eight Treasures et Retail Invest, le défendeur demandera les renseignements qui suivent, précisés aux paragraphes i à x, à chaque entité pour l’ensemble de la période visée par la vérification (les années d’imposition 2016 à 2019). Le défendeur fournira une explication et des documents à l’appui concernant la réponse de chaque entité.

  2. En ce qui concerne les documents pour l’année 2016, que le demandeur a déjà demandés au défendeur, le défendeur transmettra au ministre les résultats de ses recherches liées à ces documents dans un affidavit personnel dans les 60 jours suivant la date de la présente ordonnance. L’affidavit devra décrire les efforts de recherche du défendeur, ainsi que les demandes qu’il a formulées à son ou ses conseillers, et inclura comme pièce tout document qu’il aura trouvé. Pour les documents qu’il n’est pas en mesure de trouver, le défendeur décrira ses efforts de recherche.

  3. Le ministre est autorisé à signifier la présente ordonnance au défendeur, conformément à l’article 139 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106.

  4. Aucuns dépens ne sont adjugés. Les parties ont convenu de régler la question des dépens à l’amiable.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

Traduction certifiée conforme

Philippe Lavigne‑Labelle


Annexe A

Les dispositions suivantes de la LIR sont pertinentes :

 

Collecte de renseignements

231.1 (1) Une personne autorisée, à tout moment raisonnable, pour l’application et l’exécution de la présente loi, peut :

a) inspecter, vérifier ou examiner tous documents, y compris les livres et registres, d’un contribuable ou d’une autre personne qui peuvent être pertinents pour déterminer les obligations ou les droits du contribuable ou de cette autre personne en vertu de la présente loi;

b) examiner tout bien ou tout procédé d’un contribuable ou d’une autre personne ou toute matière le concernant ou la concernant, dont l’examen peut aider la personne autorisée à établir les obligations ou les droits du contribuable ou de cette autre personne en vertu de la présente loi;

c) pénétrer dans un lieu où est exploitée une entreprise, est gardé un bien, est faite une chose en rapport avec une entreprise ou sont tenus ou devraient l’être des livres ou registres, sauf que, si le lieu est une maison d’habitation, la personne autorisée ne peut y pénétrer sans la permission de l’occupant, qu’après l’obtention d’un mandat décerné en vertu du paragraphe (3);

d) requérir le contribuable ou toute autre personne de lui fournir toute l’aide raisonnable et de répondre à toutes les questions pertinentes à l’application ou l’exécution de la présente loi ainsi que :

(i) de l’accompagner à un lieu désigné par celle‑ci, de participer avec elle par vidéoconférence ou par tout autre moyen de communication électronique à une rencontre, et de répondre à ses questions de vive voix,

(ii) de répondre aux questions par écrit, en la forme qu’elle précise;

e) requérir un contribuable ou toute autre personne de lui fournir toute l’aide raisonnable concernant quoi que ce soit qu’elle est autorisée à accomplir en vertu de la présente loi.

[…]

Information gathering

231.1 (1) An authorized person may, at all reasonable times, for any purpose related to the administration or enforcement of this Act,

(a) inspect, audit or examine any document, including books and records, of a taxpayer or any other person that may be relevant in determining the obligations or entitlements of the taxpayer or any other person under this Act;

(b) examine any property or process of, or matter relating to, a taxpayer or any other person, an examination of which may assist the authorized person in determining the obligations or entitlements of the taxpayer or any other person under this Act;

(c) enter any premises or place where any business is carried on, any property is kept, anything is done in connection with any business or any books or records are or should be kept, except that, if the premises or place is a dwelling‑house, the authorized person may enter the dwelling‑house without the consent of the occupant only under the authority of a warrant under subsection (3);

(d) require a taxpayer or any other person to give the authorized person all reasonable assistance, to answer all proper questions relating to the administration or enforcement of this Act and

(i) to attend with the authorized person, at a place designated by the authorized person, or by video‑conference or by another form of electronic communication, and to answer the questions orally, and

(ii) to answer the questions in writing, in any form specified by the authorized person; and

(e) require a taxpayer or any other person to give the authorized person all reasonable assistance with anything the authorized person is authorized to do under this Act.

[…]

 

Production de documents ou fourniture de renseignements

231.2 (1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, sous réserve du paragraphe (2) et, pour l’application ou l’exécution de la présente loi (y compris la perception d’un montant payable par une personne en vertu de la présente loi), d’un accord international désigné ou d’un traité fiscal conclu avec un autre pays, par avis signifié ou envoyé conformément au paragraphe (1.1), exiger d’une personne, dans le délai raisonnable que précise l’avis :

a) qu’elle fournisse tout renseignement ou tout renseignement supplémentaire, y compris une déclaration de revenu ou une déclaration supplémentaire;

b) qu’elle produise des documents.

[…]

Requirement to provide documents or information

231.2 (1) Notwithstanding any other provision of this Act, the Minister may, subject to subsection (2), for any purpose related to the administration or enforcement of this Act (including the collection of any amount payable under this Act by any person), of a listed international agreement or, for greater certainty, of a tax treaty with another country, by notice sent or served in accordance with subsection (1.1), require that any person provide, within such reasonable time as is stipulated in the notice,

(a) any information or additional information, including a return of income or a supplementary return; or

(b) any document.

[…]

 

Sens de renseignement ou document étranger

231.6 (1) Pour l’application du présent article, un renseignement ou document étranger s’entend d’un renseignement accessible, ou d’un document situé, à l’étranger, qui peut être pris en compte pour l’application ou l’exécution de la présente loi, y compris la perception d’un montant payable par une personne en vertu de la présente loi.

Obligation de fournir des renseignements ou documents étrangers

(2) Malgré les autres dispositions de la présente loi, le ministre peut, par avis signifié à personne ou envoyé par courrier recommandé ou certifié, exiger d’une personne résidant au Canada ou d’une personne n’y résidant pas mais y exploitant une entreprise de fournir des renseignements ou documents étrangers.

[...]

Definition of foreign‑based information or document

231.6 (1) For the purposes of this section, foreign‑based information or document means any information or document that is available or located outside Canada and that may be relevant to the administration or enforcement of this Act, including the collection of any amount payable under this Act by any person.

Requirement to provide foreign‑based information

(2) Notwithstanding any other provision of this Act, the Minister may, by notice sent or served in accordance with subsection (3.1), require that a person resident in Canada or a non‑resident person carrying on business in Canada provide any foreign‑based information or document.

[...]

 

Ordonnance

231.7 (1) Sur demande sommaire du ministre, un juge peut, malgré le paragraphe 238(2), ordonner à une personne de fournir l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents que le ministre cherche à obtenir en vertu des articles 231.1 ou 231.2 s’il est convaincu de ce qui suit :

a) la personne n’a pas fourni l’accès, l’aide, les renseignements ou les documents bien qu’elle en soit tenue par les articles 231.1 ou 231.2;

b) s’agissant de renseignements ou de documents, le privilège des communications entre client et avocat, au sens du paragraphe 232(1), ne peut être invoqué à leur égard.

[…]

Conditions

(3) Le juge peut imposer, à l’égard de l’ordonnance, les conditions qu’il estime indiquées.

[…]

Compliance order

231.7 (1) On summary application by the Minister, a judge may, notwithstanding subsection 238(2), order a person to provide any access, assistance, information or document sought by the Minister under section 231.1 or 231.2 if the judge is satisfied that

(a) the person was required under section 231.1 or 231.2 to provide the access, assistance, information or document and did not do so; and

(b) in the case of information or a document, the information or document is not protected from disclosure by solicitor‑client privilege (within the meaning of subsection 232(1)).

[…]

Judge may impose conditions

(3) A judge making an order under subsection (1) may impose any conditions in respect of the order that the judge considers appropriate.

[…]

 

Définitions

248 (1) Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

personne Sont comprises parmi les personnes tant les sociétés que les entités exonérées de l’impôt prévu à la partie I sur tout ou partie de leur revenu imposable par l’effet du paragraphe 149(1), ainsi que les héritiers, liquidateurs de succession, exécuteurs testamentaires, administrateurs ou autres représentants légaux d’une personne, selon la loi de la partie du Canada visée par le contexte. La notion est visée dans des formulations générales, impersonnelles ou comportant des pronoms ou adjectifs indéfinis. 

[…]

contribuables Sont comprises parmi les contribuables toutes les personnes, même si elles ne sont pas tenues de payer l’impôt. 

Definitions

248 (1) In this Act,

person, or any word or expression descriptive of a person, includes any corporation, and any entity exempt, because of subsection 149(1), from tax under Part I on all or part of the entity’s taxable income and the heirs, executors, liquidators of a succession, administrators or other legal representatives of such a person, according to the law of that part of Canada to which the context extends.

[…]

taxpayer includes any person whether or not liable to pay tax.

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑908‑23

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL c JÜRGEN SCHREIBER

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 19 septembre 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DES MOTIFS :

Le 13 mai 2024

 

COMPARUTIONS :

Rita Araujo

Peter Swanstrom

 

Pour le demandeur

 

Molly Luu

Justin Ng

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Miller Thomson LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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