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Date : 20240424

Dossier : IMM-12249-22

Référence : 2024 CF 623

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 24 avril 2024

En présence de madame la juge Aylen

ENTRE :

K.C. WILLIAM LUK

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Le demandeur, un citoyen de Hong Kong, en Chine, qui n’est pas représenté par un avocat, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 6 octobre 2022 par laquelle un agent des visas [l’agent] a refusé de lui délivrer un permis d’études pour qu’il puisse obtenir un diplôme en gestion des arts de la boulangerie et de la pâtisserie du collège Centennial.

[2] Dans sa demande de permis d’études, le demandeur a déclaré qu’il étudiait au Canada, notamment dans le programme de gestion des arts de la boulangerie et de la pâtisserie, pour être admissible au volet A de la politique d’intérêt public temporaire pour les résidents de Hong Kong qui se trouvent actuellement au Canada afin d’obtenir le statut de résident permanent.

[3] L’agent a rejeté la demande de permis d’études du demandeur parce qu’il n’était pas convaincu que le demandeur quitterait le Canada à la fin de son séjour, comme l’exige l’alinéa 216(1)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR], et qu’il avait conclu que l’objet de la visite du demandeur au Canada n’était pas compatible avec un séjour temporaire.

[4] La présente demande soulève deux questions, soit (i) celle de savoir si la décision de l’agent était déraisonnable et (ii) celle de savoir s’il y a eu atteinte au droit du demandeur à l’équité procédurale à la suite de l’application, aux dires du demandeur, d’un algorithme pour choisir les personnes qui devraient obtenir ou non un permis d’études (plutôt qu’à la suite d’une décision de l’agent) ou d’actes malveillants ou d’insubordination de l’agent.

[5] Pour ce qui est de la première question, la norme de contrôle présumée pour apprécier le bien-fondé de la décision de l’agent est celle de la décision raisonnable. Aucune exception à cette présomption n’a été soulevée ni ne s’applique [voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 23, 25].

[6] Le cadre général pour le contrôle judiciaire des rejets de permis d’études a été abordé récemment dans la décision Nesarzadeh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 568 aux para 5-9, où plusieurs principes clés ont été recensés :

• Une décision raisonnable doit expliquer le résultat obtenu, à la lumière du droit et des principaux faits.

• L’arrêt Vavilov cherche à renforcer une « culture de la justification » obligeant les décideurs à expliquer logiquement le résultat obtenu et à tenir compte des observations des parties, mais obligeant aussi la cour de révision à prendre en considération le contexte du processus décisionnel.

• Les agents des visas reçoivent une avalanche de demandes, et leurs motifs n’ont pas besoin d’être longs ou détaillés. Cependant, les motifs doivent exposer les principaux éléments de l’analyse de l’agent et tenir compte de l’essentiel des observations du demandeur sur les points les plus pertinents.

• Il incombe au demandeur de convaincre l’agent qu’il satisfait les exigences de la loi qui s’appliquent à l’examen des demandes de visas d’étudiant, notamment qu’il quittera le pays à la fin du séjour autorisé.

• Les agents des visas doivent prendre en considération les facteurs « d’incitation au départ » et « d’attraction » qui pourraient soit amener un demandeur à prolonger son séjour au-delà de la période de validité de son visa et à rester au Canada, soit l’encourager à retourner dans son pays d’origine.

[7] Il incombe au demandeur de convaincre l’agent qu’il quittera le Canada à la fin de son séjour autorisé [voir Hashem c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 41 au para 31; Penez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1001 au para 10]. Cependant, le demandeur n’a pas orienté la Cour vers des éléments de preuve au dossier dont disposait l’agent qui contredisent la conclusion de l’agent selon laquelle le demandeur ne quitterait pas le Canada à la fin de son séjour autorisé [voir notamment Ehigiator c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 308 au para 50]. Au contraire, le demandeur a fait la déclaration explicite suivante dans son plan d’études à l’égard de la question du départ du Canada à la fin de son séjour autorisé :

[traduction]

Dans mon cas, au lieu de quitter le Canada immédiatement après l’obtention de mon diplôme, je demanderai un [permis de travail postdiplôme] de trois ans, comme le prévoit la section 5.24 du Guide OP 12, et mon séjour légal sera prolongé avec une autre série de conditions. Plus important encore, le fait de m’obliger à quitter le Canada à l’obtention de mon diplôme va à l’encontre des critères d’admissibilité du volet A, qui précisent qu’un demandeur est effectivement présent au Canada au moment de la présentation de sa demande de résidence permanente au titre de la présente politique d’intérêt public et au moment de l’attribution de la résidence permanente.

[Non souligné dans l’original.]

[8] Une décision administrative doit être maintenue si la cour de révision peut discerner à partir du dossier les raisons motivant la décision et que cette décision est par ailleurs raisonnable [voir Saghaei Moghaddam Foumani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2024 CF 574 au para 15]. Compte tenu de la preuve, notamment le plan d’études du demandeur, je conclus qu’il était raisonnable de la part de l’agent de conclure qu’il n’était pas convaincu que le demandeur quitterait le Canada à la fin de son séjour autorisé.

[9] Le demandeur fait valoir que le paragraphe 22(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR] l’emporte sur l’exigence de l’alinéa 216(1)b) du RIPR l’obligeant à quitter le Canada à la fin de son séjour autorisé. Le paragraphe 22(2) de la LIPR est ainsi libellé :

Résident temporaire

Temporary resident

22 (1) Devient résident temporaire l’étranger dont l’agent constate qu’il a demandé ce statut, s’est déchargé des obligations prévues à l’alinéa 20(1)b), n’est pas interdit de territoire et ne fait pas l’objet d’une déclaration visée au paragraphe 22.1(1).

22 (1) A foreign national becomes a temporary resident if an officer is satisfied that the foreign national has applied for that status, has met the obligations set out in paragraph 20(1)(b), is not inadmissible and is not the subject of a declaration made under subsection 22.1(1).

Double intention

Dual intent

22 (2) L’intention qu’il a de s’établir au Canada n’empêche pas l’étranger de devenir résident temporaire sur preuve qu’il aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée.

22 (2) An intention by a foreign national to become a permanent resident does not preclude them from becoming a temporary resident if the officer is satisfied that they will leave Canada by the end of the period authorized for their stay.

[10] Le demandeur soutient que l’obligation de quitter le Canada à la fin de son séjour autorisé inclut toute prolongation ultérieure de ce séjour, par exemple à la suite d’une demande accueillie au titre du volet A. Le demandeur affirme donc que l’agent a mal interprété ou mal appliqué le paragraphe 22(2). L’agent a toutefois fait les remarques suivantes dans sa décision :

[traduction]

[Le demandeur] semble affirmer que la double intention prévue au paragraphe 22(2) « annule » certains critères d’admissibilité assortis à un permis d’études, notamment le fait que l’agent doit être convaincu que le demandeur est un véritable résident temporaire. Je ne suis pas d’accord, car le paragraphe 22(2) précise que l’intention de s’établir au Canada n’empêche pas le demandeur de devenir résident temporaire et précise expressément que l’agent doit être convaincu que le demandeur quittera le Canada à la fin de son séjour autorisé.

[11] La question que l’agent devait se poser était celle de savoir si le demandeur resterait illégalement au Canada s’il n’était pas accepté dans le programme [voir Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 840 au para 21]. Autrement dit, comme le demandeur a la double intention d’obtenir le statut de résident permanent au titre du volet A, il n’est pas nécessaire que l’agent soit convaincu que le demandeur compte séjourner temporairement au Canada. Il doit plutôt être convaincu que le demandeur ne restera pas illégalement au Canada si, par exemple, sa demande au titre du volet A est rejetée ou s’il ne peut pas terminer ses études [voir Bondoc c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 842 au para 29; Palogan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 889 au para 14]. En outre, cette interprétation correspond au libellé clair du paragraphe 22(2) de la LIPR, qui précise clairement que le demandeur doit convaincre l’agent qu’il « aura quitté le Canada à la fin de la période de séjour ». Je ne suis donc pas convaincue que l’agent a commis une erreur dans son interprétation de la « double intention » prévue au paragraphe 22(2) de la LIPR. Bien que le séjour autorisé du demandeur ait très bien pu être prolongé au titre du volet A, il incombe néanmoins au demandeur d’établir qu’il quittera le pays s’il n’est plus autorisé à rester au Canada, ce qu’il n’a pas fait.

[12] Bien que le demandeur ait avancé plusieurs arguments supplémentaires pour affirmer que la décision de l’agent est déraisonnable, aucun de ces motifs n’est fondé.

[13] En ce qui concerne la seconde question, la norme de contrôle applicable à la question de l’équité procédurale est particulièrement bien reflétée dans la norme de la décision correcte, même si, à proprement parler, aucune norme de contrôle n’est appliquée (voir Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 aux paras 34-35, 54-55). La Cour doit se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances et la question fondamentale est « celle de savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu possibilité complète et équitable d’y répondre » (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), précité aux para 54, 56; Maltais c Canada (Procureur général), au para 19).

[14] Le demandeur affirme que l’utilisation de l’intelligence artificielle, ou d’un algorithme, pour rejeter sa demande de permis d’études a porté atteinte à son droit à l’équité procédurale. À ce sujet, le demandeur prétend que la décision a été rendue par un « objet inanimé », qui peut être un ordinateur à l’intérieur d’un ordinateur, et qu’il n’existe aucune preuve établissant que « KL » (l’identifiant paraissant dans les notes consignées dans le SMGC de l’agent) est un agent autorisé et [traduction] « pas seulement un adjoint administratif qui remplace l’ordinateur ».

[15] Cependant, rien n’indique que l’intelligence artificielle ou un algorithme a été utilisé pour rendre une décision quant à la demande de permis d’études du demandeur. Selon la preuve dont la Cour dispose, la décision a été prise par un agent, qui l’a motivée. Même s’il y avait des éléments de preuve qui démontraient que l’intelligence artificielle ou un algorithme avait été utilisé pour rendre la décision, je ne suis pas convaincue que cette utilisation constituerait, en soi, une atteinte à l’équité procédurale. La question de savoir s’il y a eu atteinte à l’équité procédurale porte sur les faits particuliers de l’affaire et tient compte de la démarche qui a été suivie et des motifs de la décision [voir Haghshenas c Canada (Citoyenneté et Immigration) 2023 CF 464 au para 24]. Après avoir examiné ces facteurs, je conclus que le demandeur n’a pas démontré qu’il y a eu atteinte à ses droits en matière d’équité procédurale.

[16] En outre, le demandeur a accusé l’agent d’inconduite et d’actes inappropriés à diverses reprises dans ses observations. Je conclus toutefois que la preuve au dossier n’étaye pas ces accusations.

[17] Comme le demandeur n’a pas démontré que la décision est déraisonnable ou qu’il y a eu atteinte à ses droits en matière d’équité procédurale, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[18] Aucune question n’a été proposée aux fins de certification et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-12249-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Les parties n’ont proposé aucune question à certifier et l’affaire n’en soulève aucune.

« Mandy Aylen »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-12249-22

INTITULÉ :

K.C. WILLIAM LUK c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 AVRIL 2024

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE AYLEN

DATE DES MOTIFS :

LE 24 AVRIL 2024

COMPARUTIONS :

Aucune comparution

Pour le demandeur

Eli Lo Re

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

 

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