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Date : 20050520

                                                                                                                           Dossier : T-1253-02

                                                                                                                                                           

                                                                                                                         Citation : 2005CF731

OTTAWA (Ontario), vendredi, ce 20e jour de mai 2005

EN PRÉSENCE DE : MADAME LA PROTONOTAIRE MIREILLE TABIB

ENTRE :

                                   SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

                                                     (Ministre du Revenu national)

Demanderesse

- et -

CAISSE POPULAIRE DU BON CONSEIL

Défenderesse

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

INTRODUCTION

[1]                Le présent litige soulève la question de l'application des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu et de la Loi de l'assurance-emploi, établissant une fiducie réputée en faveur de Sa Majesté, aux mécanismes de compensation de prêts garantis au moyen de certificats de dépôts à terme.


[2]                Le mécanisme de la fiducie réputée, établi par les paragraphes 227(4.1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1(5e supp.) (la "LIR") et 86(2.1) de la Loi de l'assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23 (la "LAE"), est l'une des mesures mises en place pour assurer que les retenues à la source effectuées par les employeurs sur les paies des employés, aux termes de la LIR et de la LAE, soient effectivement versées à Sa Majesté.

[3]                Tant la LIR que la LAE exigent de l'employeur de déduire du salaire des employés les montants que ceux-ci doivent payer à titre d'impôt sur le revenu ou de contributions à l'assurance emploi, et de verser ces montants au receveur général. Suivant les paragraphes 227(4) de la LIR et 86(2) de la LAE, l'employeur est réputé détenir les sommes retenues à la source en fiducie au profit de Sa Majesté. En vertu des paragraphes 227(4.1) de la LIR et 86(2.1) de la LAE, dès lors que l'employeur fait défaut de verser les sommes déduites à la date prévue par règlement, une fiducie réputée se crée automatiquement et rétroactivement à la date de la déduction, sur tous les biens de l'employeur, jusqu'à concurrences des sommes déduites. Cette fiducie s'étend aux biens donnés par l'employeur en garantie et a priorité sur toute garantie, qu'elle ait été constituée avant ou après la prise d'effet de la fiducie réputée. Qui plus est, le créancier garanti qui exécute sa garantie sur les biens sujets à la fiducie est tenu de remettre au receveur général, en priorité, le produit découlant des biens jusqu'à concurrence des retenues à la source impayées. Vu le potentiel d'accumulation occulte des déductions à la source impayées d'un employeur et la réduction de la valeur des garanties financières détenues par les autres créanciers que cela entraîne, il n'est pas surprenant que les institutions financières cherchent à circonscrire l'application de la fiducie réputée, ou à tout le moins, à en sonder les limites. Malgré les sommes modestes impliquées dans cette affaire, les enjeux sont donc d'importance.

LES FAITS

[4]                Le 25 septembre 2000, en contrepartie d'une marge de crédit de l'ordre de 277 000,00$, les Entreprises Camvrac inc. (ci-après, la "débitrice") déposait auprès de la défenderesse, Caisse populaire du Bon Conseil, la somme de 200 000,00$ qui sera détenue par la défenderesse sous la forme d'un certificat de dépôt à terme avec échéance le 16 octobre 2005. En marge du certificat de dépôt à terme, la défenderesse et la débitrice signaient un contrat de garantie dont les termes les plus pertinents se lisent comme suit:

"1.        Droit de rétention et de compensation: Pour garantir le remboursement, en capital, intérêts, frais et accessoires, de toutes sommes dues ou pouvant être dues à la caisse par le déposant en vertu d'un contrat d'ouverture de crédit de 277 000,00$ qui lui a été consenti le 18 septembre 2000 en vertu de toutes les dettes ou obligations présentes ou futures, directes ou indirectes du déposant, le déposant s'engage à maintenir et consent à ce que la caisse retienne, dans le ou les comptes ou sur le ou les certificats de dépôt mentionnés ci-après, la somme de 200 000,00$.

7.         Défaut: Le déposant sera en défaut dans les cas suivants:

a) si l'une ou l'autre des obligations prévues aux contrats de crédit ou aux présentes n'est pas respectée;

b)         si le déposant ou l'emprunteur deviennent insolvable ou en faillite ou s'ils font une proposition concordataire et que celle-ci est rejetée ou annulée;

[...]

En cas de défaut:


a) toutes les sommes dues en vertu des contrats de crédit deviendront immédiatement exigibles;

b)         il y aura compensation entre le ou les contrats de crédit et le certificat de dépôt ou somme d'argent indiqués ci-dessus, que ceux-ci soient échus ou non;

[...]

Les conséquences d'un défaut sont au bénéfice exclusif de la caisse et celle-ci peut y renoncer expressément. Elle peut notamment, sans préjudice de ses droits, attendre l'échéance du ou des certificats de dépôt avant d'exercer les droits prévus aux paragraphes b) et c) ci-dessus."

[5]                De mai à octobre 2000, la débitrice faisait défaut de remettre à Sa Majesté des déductions à la source aux termes de la LIR et de la LAE totalisant 5 558,72$. En novembre 2000, mais à une date qui n'a pas été mise en preuve, des déductions de 3 253,10$ étaient effectuées mais non remises. Le 25 novembre, la débitrice faisait défaut de payer la portion intérêts de sa dette envers la défenderesse. De décembre 2000 à janvier 2001, le total des déductions effectuées mais non remises augmentait de 18 051,71$, portant le total des déductions dues à Sa Majesté à 26, 863,53$. Le 7 février 2001, la débitrice faisait cession de ses biens. Ce n'est cependant que le 21 février 2001 que la défenderesse notait la compensation entre le produit du certificat de dépôt, de 200 000,00$ et la somme de 277 000,00$ que lui devait la débitrice. Le 12 juin 2001, Sa Majesté mettait la défenderesse en demeure de lui verser les sommes dues par la débitrice à titre de produit des biens couverts par la fiducie réputée.

POSITIONS DES PARTIES


[6]                La demanderesse, Sa Majesté la Reine, affirme que le certificat de dépôt à terme détenu par la défenderesse était un bien de la débitrice assujetti à la fiducie réputée, et qu'en exerçant sa garantie sur le certificat de dépôt le 21 février 2001, la défenderesse en réalisait le produit, qu'elle devait remettre en priorité au receveur général à concurrence des montants retenus à la source.

[7]                La défenderesse, quant à elle, prétend que son obligation envers Sa Majesté ne s'applique qu'au "produit découlant" des biens assujettis à la fiducie, et qu'elle n'a, en réalité, reçu aucun "produit découlant" du certificat de dépôt à terme. En effet, la défenderesse soumet qu'aux termes du contrat de garantie conclu entre elle et la débitrice, le défaut de la débitrice rendait simultanément dues et exigibles tant la dette de la débitrice envers elle que sa dette envers la débitrice, représentée par le certificat de dépôt à terme. Par l'application des articles 1672 et 1673 du Code civil du Québec, la compensation se serait opérée de plein droit entre ces deux dettes, de sorte que la "dette", de la défenderesse envers la débitrice, représentée par le certificat de dépôt à terme, se serait éteinte en même temps que la dette de la débitrice envers elle, à concurrence de 200 000,00$. Selon l'interprétation de la défenderesse, elle n'a pas "encaissé" le certificat de dépôt à terme; il n'y en a eu aucun "produit", celui-ci s'étant tout simplement éteint par compensation.

[8]                Si l'argument de la défenderesse est accepté sans réserve, la date à laquelle la compensation s'est opérée n'est pas pertinente: Dans tous les cas, le bien sur lequel la fiducie s'appliquait ne fournit aucun produit qui dusse être remis au receveur général. La défenderesse soumet tout de même, subsidiairement, que si la Cour devait conclure que l'exécution de la garantie par la banque est une opération de laquelle résulte un "produit" quelconque, la date à laquelle cette opération s'est effectuée doit être fixée au 25 novembre 2000, date à laquelle la débitrice a fait défaut de payer l'intérêt dû en vertu du contrat de crédit, de sorte que la fiducie réputée ne doive s'appliquer qu'aux retenues effectuées avant cette date.


ANALYSE

[9]                Il convient ici d'énoncer le libellé des paragraphes 277(4) et 277(4.1) de la LIR (les paragraphes 86(2) et 86(2.1) de la LAE sont, à toutes fins utiles à cette analyse, identiques à ceux-ci.):

(4) "Toute personne qui déduit ou retient un montant en vertu de la présente loi est réputée, malgré toute autre garantie au sens du paragraphe 224(1.3) le concernant, le détenir en fiducie pour Sa Majesté, séparé de ses propres biens et des biens détenus par son créancier garanti au sens de ce paragraphe qui, en l'absence de la garantie, seraient ceux de la personne, et en vue de le verser à Sa Majesté selon les modalités et dans le délai prévus par la présente loi.

                                        

(4.1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, la Loi sur la faillite et l'insolvabilité (sauf ses articles 81.1 et 81.2), tout autre texte législatif fédéral ou provincial ou toute règle de droit, en cas de non-versement à Sa Majesté, selon les modalités et dans le délai prévus par la présente loi, d'un montant qu'une personne est réputée par le paragraphe (4) détenir en fiducie pour Sa Majesté, les biens de la personne, et les biens détenus par son créancier garanti au sens du paragraphe 224(1.3) qui, en l'absence d'une garantie au sens du même paragraphe, seraient ceux de la personne, d'une valeur égale à ce montant sont réputés:

a) être détenus en fiducie pour Sa Majesté, à compter du moment où le montant est déduit ou retenu, séparés des propres biens de la personne, qu'ils soient ou non assujettis à une telle garantie;

b) ne pas faire partie du patrimoine ou des biens de la personne à compter du moment où le montant est déduit ou retenu, que ces biens aient été ou non tenus séparés de ses propres biens ou de son patrimoine et qu'ils soient ou non assujettis à une telle garantie.

Ces biens sont des biens dans lesquels Sa Majesté a un droit de bénéficiaire malgré toute autre garantie sur ces biens ou sur le produit en découlant, et le produit découlant de ces biens est payé au receveur général par priorité sur une telle garantie."

(4) "Every person who deducts or withholds an amount under this Act is deemed, notwithstanding any security interest (as defined in subsection 224(1.3)) in the amount so deducted or withheld, to hold the amount separate and apart from the property of the person and from property held by any secured creditor (as defined in subsection 224(1.3)) of that person that but for the security interest would be property of the person, in trust for Her Majesty and for payment to Her Majesty in the manner and at the time provided under this Act.

(4.1) Notwithstanding any other provision of this Act, the Bankruptcy and Insolvency Act (except sections 81.1 and 81.2 of that Act), any other enactment of Canada, any enactment of a province or any other law, where at any time an amount deemed by subsection 227(4) to be held by a person in trust for Her Majesty is not paid to Her Majesty in the manner and at the time provided under this Act, property of the person and property held by any secured creditor (as defined in subsection 224(1.3)) of that person that but for a security interest (as defined in subsection 224(1.3)) would be property of the person, equal in value to the amount so deemed to be held in trust is deemed

(a) to be held, from the time the amount was deducted or withheld by the person, separate and apart from the property of the person, in trust for Her Majesty whether or not the property is subject to such a security interest, and

(b) to form no part of the estate or property of the person from the time the amount was so deducted or withheld, whether or not the property has in fact been kept separate and apart from the estate or property of the person and whether or not the property is subject to such a security interest

and is property beneficially owned by Her Majesty notwithstanding any security interest in such property and in the proceeds thereof, and the proceeds of such property shall be paid to the Receiver General in priority to all such security interests."


[10]            Les articles pertinents du Code civil du Québec, sur lesquels s'appuient l'argument de la défenderesse, sont les suivants:

1671. "Outre les autres causes d'extinction prévues ailleurs dans ce code, tels le paiement, l'arrivée d'un terme extinctif, la novation ou la prescription, l'obligation est éteinte par la compensation, par la confusion, par la remise, par l'impossibilité de l'exécuter ou, encore, par la libération du débiteur.

1672. Lorsque deux personnes se trouvent réciproquement débitrices et créancières l'une de l'autre, les dettes auxquelles elles sont tenues s'éteignent par compensation jusqu'à concurrence de la moindre.

La compensation ne peut être invoquée contre l'État, mais celui-ci peut s'en prévaloir.

1673. La compensation s'opère de plein droit dès que coexistent des dettes qui sont l'une et l'autre certaines, liquides et exigibles et qui ont pour objet une somme d'argent ou une certaine quantité de biens fongibles de même espèce.

Une partie peut demander la liquidation judiciaire d'une dette afin de l'opposer en compensation."            

1671. "Obligations are extinguished not only by the causes of extinction contemplated in other provisions of this Code, such as payment, the expiry of an extinctive term, novation or prescription, but also by compensation, confusion, release, impossibility of performance or discharge of the debtor.

1672. Where two persons are reciprocally debtor and creditor of each other, the debts for which they are liable are extinguished by compensation, up to the amount of the lesser debt.

Compensation may not be claimed from the State, but the State may claim it.

1673. Compensation is effected by operation of law upon the coexistence of debts that are certain, liquid and exigible and the object of both of which is a sum of money or a certain quantity of fungible property identical in kind.

A person may apply for judicial liquidation of a debt in order to set it up for compensation."

[11]            J'ajouterais aussi aux articles pertinents du Code civil, le suivant:

1681. La compensation n'a pas lieu, et on ne peut non plus y renoncer, au préjudice des droits acquis à un tiers."

1681. Compensation may neither be effected nor be renounced to the prejudice of the acquired rights of a third person."


[12]            D'un point de vue purement conceptuel, l'argument de la défenderesse se heurte à prime abord à la raison d'être de la fiducie réputée et à la priorité absolue qui lui a été reconnue par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt First Vancouver Finance c. Canada (M.R.N.), [2002] 2 R.C.S. 720 (l'arrêt First Vancouver) et plus récemment par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Canada (M.R.N.) c. Banque National et al 2004 CAF 92 (permission d'en appeler à la Cour suprême du Canada refusée le 14 octobre 2004, dossier CSC 30311) (l'arrêt Banque Nationale).

[13]            L'importance du système des retenues à la source pour la perception des impôts et le rôle que joue le mécanisme de fiducie réputée pour en assurer la perception ont été reconnus en ces termes par la Cour suprême dans l'arrêt First Vancouver, aux pages 729 et 730:

"Les tribunaux ont reconnu que les retenues à la source sont "au coeur" de la procédure de perception de l'impôt sur le revenu au Canada : voir Pembina on the Red Development Corp. c. Triman Industries Ltd. (1991), 85 D.L.R. (4th) 29 (C.A. Man.), p. 51, le juge Lyon (dissident), cité favorablement par le juge Gonthier (dissident quant à une autre question) dans l'arrêt Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., [1997] 1 R.C.S. 411, par. 36. Étant donné l'importance de la perception des retenues à la source, la loi dote le ministre du mécanisme de la fiducie réputée pour lui permettre de recouvrer l'impôt que l'employeur déduit du salaire de l'employé, mais omet de lui verser.

                Les tribunaux ont également signaléque, contrairement à la banque du débiteur fiscal, qui a la chance de se familiariser avec les affaires et la situation financière de ce dernier, le ministre ne connaît pas aussi bien le débiteur fiscal ni ses créanciers et ne peut organiser ses affaires en conséquence. Àtitre de "créancier involontaire", le ministre doit donc s'en remettre aux moyens que lui donne la LIR de percevoir les retenues à la source : Pembina on the Red Development, précité, p. 33-34, le juge en chef Scott, approuvé par le juge Cory dans Alberta (Treasury Branches), précité, par. 16-18. C'est pourquoi la LIR accorde au ministre la priorité de rang sur les autres créanciers pour la perception des versements d'impôt et de taxes en souffrance."

[14]            De plus, l'intention claire du législateur de faire primer la fiducie réputée sur toute autre garantie détenue, et plus particulièrement, exercée, par d'autres créanciers garantis a été reconnue à la page 732 et 733, dans les passages suivants:


"Ces modifications démontrent que le législateur a voulu que les par. 227(4) et (4.1) accordent la priorité de rang à la fiducie réputée lorsque les biens sont par ailleurs grevés d'une garantie, que celle-ci ait pris effet avant ou après les retenues à la source ou l'application de la fiducie réputée. C'est ce qui ressort clairement de l'expression "malgré toute autre garantie" employée aux par. 227(4) et (4.1). En d'autres termes, vu la manière dont les dispositions relatives à la fiducie réputée avaient été interprétées dans l'affaire Sparrow Electric, le législateur les a modifiées de façon à accorder la prioritéde rang à la fiducie réputée lorsque le ministre et des créanciers garantis font valoir concurremment un droit sur les biens du débiteur fiscal."

                                                                                                                    [Les soulignés sont de moi]

[15]            ainsi qu'au paragraphe 34 de l'arrêt Banque Nationale:

"[34] Or, les dispositions de la LIR et la LAE portant sur les fiducies réputées sont complètes et explicites quant à leur effet sur les biens repris par les créanciers garantis suite à l'exercice de leur garantie si l'on se fie aux motifs de la Cour suprême dans First Vancouver: Sa Majestéa une prioritéabsolue sur le produit découlant des biens assujettis à la fiducie réputée, lequel doit être payé au Receveur général.

                                                                                                                    [Les soulignés sont de moi]

[16]            Il semble incontournable, du libellé des dispositions législatives et de l'interprétation qui en a été faite, que l'intention du législateur est d'assurer qu'un créancier garanti qui exécute sa garantie soit obligé de remettre en priorité à Sa Majesté, à même le produit de la réalisation de sa garantie, les sommes dues par son débiteur à titre de retenues à la source.

[17]            Dans le cas présent, il ne fait aucun doute, et il est même à toutes fins pratiques admis, que la défenderesse détenait le certificat de dépôt de 200 000,00$ à titre de garantie des sommes dues en vertu de la marge de crédit, que l'encaissement du certificat de dépôt (ou selon le vocabulaire préconisé par la défenderesse, la compensation opérée entre la créance de la débitrice et le certificat de dépôt) constituait la réalisation de la garantie de la défenderesse en conséquence d'un défaut et que la banque a ainsi reçu le plein bénéfice de la réalisation de sa garantie. Il ne fait non plus aucun doute qu'au moment ou la défenderesse réalisait sa garantie, que ce soit le 25 novembre 2000 ou le 21 février 2001, le certificat de dépôt à terme était assujetti à la fiducie réputée.


[18]            En conséquence de ce qui précède, il est clair que la défenderesse a reçu le bénéfice du certificat de dépôt à terme, que ce soit par son encaissement en paiement de sa créance ou que ce soit par l'extinction de sa créance par compensation jusqu'à concurrence de la valeur du certificat de dépôt à terme.

[19]            À mon avis, ce bénéfice doit être tenu comme étant le "produit découlant" du certificat de dépôt. En effet, rien dans le libellé de la LIR ou de la LAE n'indique que le "produit découlant" des biens détenus en garantie se limite aux sommes reçues en espèce; le "produit découlant d'un bien" doit être interprété comme incluant toute contrepartie ou bénéfice reçu en échange ou en considération du bien.

[20]            Ni la LAE ni la LIR ne définissent les mots "produits découlant" ("proceeds") tels qu'utilisés dans les articles pertinents. Les dictionnaires d'usage commun les définissent comme suit dans leur contexte commercial:

Produit:             "Ce que rapporte une charge, une propriété foncière, un patrimoine; profit, bénéfice qu'on retire d'une activité."

Le Nouveau Petit Robert, Paris, 2002

"Contrepartie reçue en espèce ou autrement lors de la cession d'un bien, de l'obtention d'un prêt ou de l'émission de titres."

Le Grand dictionnaire terminologique, Office québécois de la langue française (février 2005) http://www.granddictionnaire.com


Proceeds:          "That which proceeds, is derived or results from something; that which is obtained or gained by any transaction; produce, outcome, profit."

Oxford English Dictionary, 2nd Ed., 1989, Oxford University Press, England

                                                                                                                    [Les soulignés sont de moi]

                                                                                                                                                           

[21]            Dans au moins une cause où le mot "proceeds" fut interprété judiciairement dans un contexte commercial, le résultat fut le même, soit de lui donner une portée non-limitative, et d'y inclure toute contrepartie de valeur reçue en échange dans une transaction. La cause ITT Commercial Finance Ltd. v. Co-op Centre Credit Union (1988), 59 Alta. L.R. (2d) 39 à la page 41, concernait un contrat de financement au moyen de ventes conditionnelles qui prévoyait que le débiteur, un concessionnaire de maisons mobiles, conservait le "produit de vente" des maisons mobiles en fiducie pour le compte du créancier, jusqu'à parfait paiement. La Cour d'appel de l'Alberta jugea que la garantie ainsi accordée sur le produit de vente s'étendait aux véhicules usagés reçus en paiement partiel du prix de vente.

"We are all of the view that the learned trial judge was correct to find, in the circumstances of this case, that the word "proceeds" in the assignment agreement meant not just any cash paid by a buyer but also any other property of value that was handed by a retail buyer to the dealer to help pay for the sale of the new motor homes."


[22]            La valeur du bénéfice conféré à la défenderesse en raison de la réalisation de sa garantie sur le certificat de dépôt constitue donc le produit découlant du certificat de dépôt, et doit être payé au receveur général. Conclure autrement permettrait aux créanciers garantis d'échapper à l'intention claire du législateur en acceptant, en contrepartie des biens détenus en garantie et par ailleurs assujettis à la fiducie réputée, des bénéfices ou effets non-monétaires mais monnayables.

[23]            Outre l'objection conceptuelle discutée ci-haut, la thèse de la défenderesse est mal fondée en droit civil québécois, en ce qu'elle fait abstraction du dispositif de l'article 1681 du Code civil, lequel prévoit que la compensation ne peut avoir lieu au préjudice des droits acquis à un tiers. Sa Majesté avait, à la date de la compensation (quelle qu'elle soit), acquis une garantie de premier rang sur le certificat de dépôt. La défenderesse ne pouvait donc, sans préjudice au droit de Sa Majesté, effectuer compensation pour le plein montant du certificat de dépôt. Si la Cour Suprême a reconnu, dans l'arrêt First Vancouver, qu'un débiteur puisse valablement vendre un bien assujetti à la fiducie réputée dans le cours normal de ses affaires, c'est en prenant qu'il recevrait en contrepartie une valeur équivalente sur laquelle viendrait se reporter la fiducie au profit de Sa Majesté. Si l'on devait accepter que compensation puisse opérer hors du cours normal des affaires entre la dette de la débitrice et le certificat de dépôt à terme, cette compensation s'opérerait au préjudice des droits acquis par Sa Majesté, puisque le certificat de dépôt à terme disparaîtrait du patrimoine de la débitrice sans que contrepartie monnayable pour Sa Majesté ne le remplace.

[24]            Finalement, la défenderesse invoque l'automatisme de la compensation légale telle que prévue au Code civil du Québec pour conclure que le certificat de dépôt à terme s'est éteint à titre de dette, sans que la défenderesse n'ait eu à "l'encaisser", et que cette opération a eu lieu automatiquement à la date du premier défaut de la débitrice, le 25 novembre 2000.


[25]            Les conditions essentielles à la compensation de plein droit sont clairement énumérées à l'article 1673 C.c.Q.: les dettes réciproques doivent être certaines, liquides et exigibles. Il n'est pas contesté que la marge de crédit et le certificat de dépôt à terme soient des dettes certaines et liquides. Quant à la condition d'exigibilité, le certificat de dépôt à terme venait à échéance le 16 octobre 2005, et n'était donc pas, à sa face même, exigible en date du défaut. La défenderesse prétend que le défaut de la débitrice a eu pour effet de faire perdre à celle-ci le bénéfice du terme, de sorte que les deux dettes soient devenues immédiatement exigibles à la date du défaut malgré la date d'échéance du dépôt à terme. Cela peut bien être le cas pour la dette de la débitrice envers la défenderesse, mais pas en ce qui concerne le certificat de dépôt à terme. En effet, si le contrat de mise en garantie d'épargne prévoit spécifiquement l'accélération du terme des contrats de crédit en cas de défaut (clause 7, 2e alinéa, (a): "toutes les sommes dues en vertu des contrats de crédit deviendront immédiatement exigibles"), aucune telle clause n'est prévue à l'égard des certificats de dépôt.


[26]            La défenderesse semble conclure que parce que le contrat de mise en garantie d'épargne prévoit la compensation entre le contrat de crédit et le dépôt à terme, il prévoit nécessairement la mise en exigibilité immédiate du certificat de dépôt par l'accélération réciproque de son terme. Pourtant, rien dans les termes du contrat ni dans le droit applicable n'exige une telle interprétation. Si la compensation légale, de plein droit, ne peut s'opérer en raison du fait que le certificat de dépôt ne soit pas exigible au moment du défaut, rien n'empêche la clause de défaut du contrat de mise en garantie de prendre effet à titre de compensation conventionnelle. L'existence de la compensation conventionnelle, lorsque les conditions requises par la loi ne sont pas remplies, est reconnue en doctrine et en jurisprudence (Beaudoin, Jean Louis et Jobin, Pierre Gabriel, Les obligations, Cowansville, Les Éditions Yvon Blais Inc., 1998, par. 931, p. 781-782; 2862-3718 Québec Inc. c. Michel Provost J.E. 93-904).

[27]            Étant conventionnelle plutôt que légale, la compensation, si elle s'est opérée entre la défenderesse et la débitrice, ne s'est pas opérée automatiquement et en l'absence de leur volonté à la date même du défaut: elle a requis une intention spécifique et manifeste de la défenderesse. C'est ce qui se dégage de la convention signée entre les parties. En effet, la convention de mise en garantie stipule spécifiquement que la compensation est au bénéfice exclusif de la défenderesse, qu'elle peut y renoncer expressément et qu'elle a la faculté d'attendre l'échéance des certificats de dépôt avant d'exercer son droit à la compensation. L'obligation contenue dans la convention pour la défenderesse d'exercer et de manifester son intention d'exercer son droit afin de donner effet à la compensation a de plus l'avantage d'être conséquente avec le fait que la défenderesse ait continué à faire courir à l'encontre de la débitrice l'intérêt dû sur la marge de crédit jusqu'à février 2001, chose qui n'aurait pu valablement être faite si la dette s'était éteinte par compensation dès le défaut du 25 novembre 2000.


[28]            Ainsi donc, il faut, selon moi, interpréter la clause de compensation du contrat de mise en garantie intervenu entre la débitrice et la défenderesse comme une clause permettant à la défenderesse de réaliser sa garantie sur les certificats de dépôt à terme en opérant compensation conventionnelle entre sommes dues en vertu des contrats de crédit et les certificats des dépôts à terme non-échus. Cette opération n'est pas une compensation légale automatique, mais procède de la volonté unilatérale de la défenderesse et exige de la défenderesse qu'elle démontre son intention de se prévaloir de son droit. Cette conclusion répond donc à la question subsidiaire posée par la défenderesse à savoir la date à laquelle la compensation ou la réalisation de la garantie de la défenderesse est réputée avoir eu lieu, soit, le 25 février 2001, date à laquelle la défenderesse a manifesté son intention de s'en prévaloir en notant la compensation.

                                                                   JUGEMENT       

PAR CES MOTIFS, LA COUR:

1.       Condamne la défenderesse à payer à la demanderesse la somme de 26 863,53 $, avec les intérêts prévus aux paragraphes 36(2) et 37(2) de la Loi sur les Cours fédérales au taux prescrit en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. (1985), ch. 1 (5e supp.), capitalisé quotidiennement à compter du 26 février 2001, jusqu'à parfait paiement.

2.       Le tout, avec dépens.       

                                                                                          "Mireille Tabib"           

                                                                                                                                         Protonotaire               


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                                       T-1253-02                                                 

INTITULÉ :                                                                      Sa Majesté la Reine du chef du Canada c.

Caisse Populaire du Bon Conseil

LIEU DE L'AUDIENCE :                                                Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                                              Le 17 novembre 2004

MOTIFS DU JUGEMENT ET

JUGEMENT:                                                                   Madame la protonotaire Mireille Tabib

DATE DES MOTIFS :                                                     Le 20 mai 2005

COMPARUTIONS :

Me Nadine Dupuis

POUR LE DEMANDERESSE

Me Christian Méthot

POUR LA DÉFENDERESSE                        


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

JOHN H. SIMS

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DEMANDERESSE                      

BOUDREAU, MÉTHOT, TOURIGNY

Drummondville (Québec)

POUR LA DÉFENDERESSE


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