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Date : 20240411


Dossier : IMM-456-23

Référence : 2024 CF 573

Montréal (Québec), le 11 avril 2024

En présence de l'honorable madame la juge Ngo

ENTRE :

AYMAN TCHATCHIBARA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision prise le 16 novembre 2022 par un agent des visas qui a refusé l'octroi d’un permis d'études [Décision]. L’agent n’était pas satisfait que le demandeur, Ayman Tchatchibara [demandeur], aurait quitté le Canada à la fin de la période de séjour conformément au Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-27 [Règlement]. Notamment, l’agent n’était pas convaincu que le demandeur avait les ressources financières suffisantes et disponibles pour son projet d’études.

[2] Le demandeur allègue que la Décision est déraisonnable. D’une part, il allègue avoir subi une violation d’équité procédurale, car l’agent ne l’a pas informé qu’il avait des doutes quant à la source et la stabilité financière des garants. D’autre part, le demandeur allège que la Décision est déraisonnable, car l’agent a ignoré plusieurs éléments de faits qui contredisent ses conclusions, donc rendant la Décision inintelligible.

[3] Le défendeur stipule que la Décision est raisonnable. L’agent n’était pas satisfait de la provenance ni la stabilité des fonds compte tenu les documents soumis. L’agent pouvait raisonnablement conclure que le demandeur n’avait pas fourni les preuves nécessaires pour établir les ressources financières suffisantes et disponibles pour soutenir son séjour pour la période d’études au Canada.

[4] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire doit être accordée.

II. Faits

[5] Le 6 juillet 2022, le demandeur a fait une demande de permis d’études pour étudier au Canada. Il souhaitait compléter une Maitrise en gestion des organisations à l’Université du Québec à Chicoutimi. Le programme d’études avait une durée de deux ans.

[6] Le demandeur confirme qu’il n’a pas, personnellement, les moyens de défrayer les coûts pour sa période d’études. Il identifie ses parents comme garant, et en particulier son père. À l’appui de sa demande, le demandeur dépose des documents qui contiennent des relevés bancaires et une déclaration assermentée de son père.

[7] Le 16 novembre 2022, la demande de permis d’études a été refusée. Les notes de l’agent formant en partie la Décision décrivent les motifs de refus :

I have reviewed the application. I have considered the following factors in my decision. The applicant's assets and financial situation are insufficient to support the stated purpose of travel for the applicant. PA has stated his parents will be providing for his studies, Ecobank statements provided. Father declared employment as archivist. Bank history from April to June provided. I note large deposits starting at the end of April, sources unknown and do not appear to be substantiated by other supporting documents. These form the bulk of the account balance. Considering the starting balance of the account prior to the sharp increase, I have concerns as to the provenance and stability of these funds. I note mother's account statement, however it is not sufficient to pay for schooling and living expenses. Given the above, I am not satisfied that the applicant is sufficiently established such that the proposed studies would be a reasonable expense. Based on the financial documents submitted, I am not satisfied that the applicant has sufficient funds to pay the fees for the proposed studies. Based on the financial documents submitted, I am not satisfied that the applicant has sufficient funds to pay for living expenses for the proposed studies. Weighing the factors in this application. I am not satisfied that the applicant will depart Canada at the end of the period authorized for their stay. For the reasons above, I have refused this application. »

III. Question en litige et norme de contrôle

[8] Les parties s’entendent que la Cour doit réviser la Décision en fonction de la norme de la décision raisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] aux para 10, 16-17 et 25). Je suis du même avis que la norme de la décision raisonnable s’applique dans le contexte de la présente demande de contrôle judiciaire.

[9] La Cour doit s’assurer de bien comprendre le raisonnement suivi par le décideur afin de déterminer si la décision dans son ensemble est raisonnable. Elle doit se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité et si elle est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes (Vavilov au para 99).

[10] Il incombe à la partie qui conteste la décision de démontrer le caractère déraisonnable. La décision doit souffrir de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence (Vavilov au para 100).

[11] La norme de contrôle sur la question de l’équité procédurale est celle de la décision correcte (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 au para 54, Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43, citées dans Abdinur c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 880 au para 7).

IV. Analyse

[12] La question déterminante porte sur la conclusion de l’agent que les sommes qui se trouvent dans les relevés bancaires ne semblent pas être étayées par d’autres pièces justificatives.

[13] Selon l’article 220 du Règlement, l’étranger demandant un permis d’études doit démontrer qu’il est en mesure d’accéder aux ressources financières suffisantes et disponibles pour subvenir à ses besoins, y compris ses frais de scolarité ainsi que ses frais de transport pour venir au Canada et retourner à son pays d’origine, sans travailler pendant toute la période de son séjour autorisée.

[14] Le demandeur cible la Décision qui considérait principalement le facteur portant sur la suffisance des fonds – à la fois la provenance que la stabilité financière. En lisant la décision de façon holistique, il est clair que le motif de refuser la demande de permis d’études était principalement basé sur le facteur de la suffisance des fonds. Plus précisément, l’agent semble soupçonner le solde dans le compte bancaire du père « I note large deposits starting at the end of April, sources unknown and do not appear to be substantiated by other supporting documents. Considering the starting balance of the account prior to the sharp increase, I have concerns as to the provenance and stability of these funds. »

[15] Comme l’a confirmé le défendeur à l’audience, on ne conteste pas l’authenticité des documents comme le compte bancaire. Il s’agit des activités dans le compte qui est à la base des inquiétudes de l’agent, incluant la question portant sur la provenance et la stabilité des fonds.

[16] Or, dans la demande de permis d’études se trouvait une déclaration notariée provenant du père du demandeur, le garant en l’espèce.

[17] Le premier paragraphe de la déclaration confirme le montant en solde dans le compte bancaire du père. Les paragraphes qui suivent décrivent les biens immobiliers que détenait le père, et la valeur de ses biens, dont la valeur de l’immeuble ainsi que sa valeur locative.

[18] Ensuite, la déclaration précise le montant de revenu annuel que le père dérive de ses biens immobiliers et que ses biens « me procurent un revenu annuel, hormis le montant déposé sur mon compte personnel sus Indiqué (sic) ». Lorsqu’on arrondit les sommes, les montants dans la déclaration correspondent au solde dans les documents du compte bancaire du père.

[19] Au prochain paragraphe, la déclaration du père confirme qu’il s’engage « que ces fonds seront disponibles pour les frais qu'occasionneront les études de mon fils. »

[20] Le demandeur fait valoir que la conclusion de l’agent peut rendre la Décision déraisonnable, si les conclusions quant à la suffisance des fonds ne tiennent pas compte, ou omettent, un élément de preuve important sans fournir d’explication (Cepeda-Gutiérrez c Canada (Citoyenneté et Immigration), 1998 CanLII 8667 (CF) [Cepeda Guitérrez] au para 17). La Décision peut aussi être déraisonnable si une conclusion a été faite en dépit d’une preuve accablante qui tend à une conclusion contraire (Magonza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 14 au para 92).

[21] Je suis d’accord avec le demandeur. Je me fie sur le principe énoncé dans Cepeda Guitérrez au paragraphe 17. Au plus que la preuve était importante et qui n'a pas été expressément mentionnée ou analysée dans les motifs, au plus que la Cour serait disposée d’inférer que le silence sur cette preuve était une conclusion de fait erronée et qui ne tenait pas compte des éléments dont le décideur disposait devant lui. Sur la base de cette notion qui prend l’ampleur dans le cas en l’espèce, je détermine que la preuve en question semble contredire la conclusion.

[22] L’agent a conclu que la source des fonds qui se trouve dans les relevés bancaires était inconnue, ce qui ne semble pas être étayé par d’autres documents. Étant donné que la déclaration notariée explique la source des fonds dans le compte bancaire, et le revenu annuel qui sera disponible au besoin de l’étudiant, le silence quant à ce document ne peut soutenir une décision justifiée, transparente et intelligible.

[23] Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. Ayant donné gain de cause sur cette question déterminante, il n’est pas nécessaire d’examiner les autres questions soulevées par le demandeur, incluant la question de la violation de l’équité procédurale.

[24] Aucune question de portée générale n’a été soumise aux fins de certification, et la Cour est d’avis que cette cause n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans IMM-456-23

LA COUR STATUE que

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

« Phuong T.V. Ngo »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-456-23

INTITULÉ :

AYMAN TCHATCHIBARA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 MARS 2024

JUGEMENT ET MOTIFS

LA JUGE NGO

DATE DES MOTIFS :

LE 11 AVRIL 2024

COMPARUTIONS :

Me Mohamed-Amine Semrouni

Pour le demandeur

Me Suzon Létourneau

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

BERTRAND, DESLAURIERS AVOCATS LLP/SPA

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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