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Date : 20240405

Dossier : T‑1929‑19

Référence : 2024 CF 532

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie‑Britannique), le 5 avril 2024

En présence de madame la juge responsable de la gestion de l’instance, Kathleen Ring

ENTRE :

MARGUERITE MARY (MARGARET) BUCK, DOROTHY ANNE SAVARD,

SYLVIA M. MCGILLIS, FRANCES JUNE MCGILLIS, FLORENCE JOYCE L’HIRONDELLE ET MARILYN MCGILLIS

demanderesses

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

ET LA NATION CRIE D’ENOCH

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La présente requête est introduite pour le compte du défendeur, le procureur général du Canada (le défendeur Canada ou le Canada), en vue d’obtenir une ordonnance obligeant chaque demanderesse, autres que Sylvia M. McGillis (la demanderesse McGillis), à signifier un affidavit de documents signé par elle ou par une personne désignée par la Cour en vertu de l’article 115 des Règles des Cours fédérales (les Règles), dans un délai de 45 jours à compter de la date de l’ordonnance.

[2] Il s’agit d’une des trois requêtes entendues par la Cour lors d’une séance spéciale tenue par vidéoconférence le 4 mars 2024. Les deux autres requêtes sont toujours en délibéré et seront examinées dans une décision distincte.

[3] Dans la présente requête, le défendeur Canada fait valoir que les demanderesses, autres que la demanderesse McGillis, n’ont pas signifié d’affidavit de documents, ce qui contrevient aux Règles et aux exigences clairement énoncées dans l’ordonnance du 5 octobre 2023. Le Canada affirme que le premier affidavit de documents signifié pour le compte des demanderesses était insuffisant, car l’auteure, Deborah Hardy, n’est ni une demanderesse à l’instance ni une personne désignée par la Cour pour représenter l'une des demanderesses à l’instance. Le Canada soutient que l’affidavit de documents déclaré sous serment ultérieurement par la demanderesse McGillis ne remplit que l'obligation de celle‑ci de présenter un affidavit de documents. Ce dernier est insuffisant dans la mesure où il se veut avoir été signé au nom des cinq autres demanderesses.

[4] Le Canada sollicite une ordonnance en vue d’obliger chaque demanderesse à signifier un nouvel affidavit [traduction] « signé par elle ou par une personne désignée par la Cour au titre de l’article 115 ». Le Canada affirme que la question de l’auteure appropriée découle du fait que les demanderesses ont désigné unilatéralement des tuteurs à l’instance pour le compte de plusieurs demanderesses dans l’intitulé de certains documents de la Cour, sans l’autorisation de cette dernière.

[5] Les demanderesses s’opposent à la requête. Elles affirment qu’elles intentent une action conjointe et que la production de cinq affidavits de documents supplémentaires pour les autres demanderesses, qui seraient identiques à celui déposé par la demanderesse McGillis, ne ferait pas progresser significativement le litige et constituerait une étape procédurale inutile et contraire à l’objectif des Règles. Si d’autres affidavits de documents sont nécessaires, elles soutiennent que plusieurs demanderesses devront charger leurs représentants désignés de signer les affidavits de documents en leur nom, étant donné que deux d’entre elles souffrent d’une santé mentale déclinante et qu’une autre est décédée.

[6] Lors de l’audition de la requête, la Cour a été informée que la défenderesse, la Nation crie d’Enoch, souscrit à la thèse du Canada en l’espèce.

[7] Deux questions principales se posent à l’égard de la présente requête :

  • a)Les demanderesses sont‑elles tenues de signifier un affidavit de documents distinct au défendeur, conformément aux Règles et à l’ordonnance antérieure de la Cour?

  • b)Dans l’affirmative, quelle est la réparation appropriée dans le cas où l’une des demanderesses est maintenant décédée et deux autres n’auraient plus la capacité d’ester en justice?

[8] Pour les motifs qui suivent, j’accueille la requête du défendeur Canada en vue d'exiger la signification d’affidavits de documents distincts de la part de chaque demanderesse, à l’exception de la demanderesse McGillis. Les demanderesses doivent, à titre préliminaire, prendre toutes les mesures nécessaires pour régulariser la représentation de trois des demanderesses au titre des articles 115 à 118 des Règles, conformément au libellé de la présente ordonnance.

II. Les affidavits de documents des demanderesses sont insuffisants

[9] Le 17 mai 2023, l’avocat des demanderesses a signifié au défendeur Canada un affidavit de documents déclaré sous serment par Deborah Hardy le 16 mai 2023 (l’« affidavit Hardy no1 »). Mme Hardy affirme qu’elle est la fille de la demanderesse Florence Joyce L’Hirondelle et la nièce des autres demanderesses. L’affidavit Hardy no 1 est un affidavit de documents censé avoir été présenté au nom des six demanderesses, et Mme Hardy atteste qu’elle a été autorisée par ces dernières à le signer.

[10] En outre, l’intitulé de l’affidavit Hardy no 1 a été unilatéralement modifié par les demanderesses afin d’ajouter des tuteurs à l’instance pour trois des demanderesses (modifications soulignées) :

MARGUERITE MARY (MARGARET) BUCK REPRÉSENTÉE PAR SON TUTEUR À L’INSTANCE, ROGER JOHN BUCK, DOROTHY ANNE SAVARD REPRÉSENTÉE PAR SA TUTRICE À L’INSTANCE CHERYL FRANCES HANKINSON, SYLVIA M. MCGILLIS, FRANCES JUNE MCGILLIS, FLORENCE JOYCE L’HIRONDELLE, REPRÉSENTÉE PAR SES TUTEURS À L’INSTANCE DEBORAH J. HARDY ET ALDON B. L’HIRONDELLE, ET MARILYN MCGILLIS

[11] Pour les motifs exposés plus loin, les demanderesses ne peuvent pas désigner unilatéralement des tuteurs dans le cadre de la présente instance. Elles ne peuvent pas non plus modifier unilatéralement l’intitulé. Seule la Cour peut, par voie d’ordonnance, désigner un tuteur à l’instance et modifier l’intitulé.

[12] Le 25 septembre 2023, les demanderesses et les défendeurs ont présenté à la Cour des lettres distinctes indiquant leurs propositions de calendrier pour les étapes à venir dans la présente requête faisant l’objet d’une gestion de l’instance. Selon le calendrier proposé par les défendeurs, les [traduction] « demanderesses doivent présenter des affidavits de documents distincts, en conformité avec les Règles, y compris le paragraphe 224(1) et l’article 115 », d’ici le 31 octobre 2023. Le calendrier proposé par les demanderesses ne mentionnait pas la question de la production de nouveaux affidavits de documents signés par elles.

[13] Le 5 octobre 2023, le juge Lafrenière a rendu une ordonnance (l’« ordonnance établissant le calendrier ») selon laquelle :

  1. [traduction]
    Chaque demanderesse doit signifier un affidavit de documents conformément aux Règles de la Cour fédérale, y compris les paragraphes 224(1) et 115(1), au plus tard le 31 octobre 2023.

[Non souligné dans l’original.]

[14] Les demanderesses n’ont pas interjeté appel de l’ordonnance établissant le calendrier. Elles n’ont pas non plus présenté de requête en vue de faire désigner un tuteur à l’instance au titre de l’article 115 des Règles. Elles ont plutôt signifié aux défendeurs l’affidavit de documents déclaré sous serment par la demanderesse McGillis (l’« affidavit McGillis ») le 30 octobre 2023. L’affidavit McGillis est censé être fait au nom des six demanderesses, et la demanderesse McGillis atteste qu’elle a été autorisée par les autres demanderesses à signer l’affidavit en leur nom.

[15] Le 30 novembre 2023, le défendeur Canada a déposé la présente requête pour obliger chaque demanderesse, à l’exception de la demanderesse McGillis, à signifier un affidavit de documents.

[16] Le paragraphe 223(1) des Règles précise qui doit signifier un affidavit de documents, et l’article 224 des Règles détermine qui doit en être l’auteur. Ces dispositions sont ainsi libellées :

223 (1) Chaque partie signifie un affidavit de documents aux autres parties dans les 30 jours suivant la clôture des actes de procédure.

223 (1) Every party shall serve an affidavit of documents on every other party within 30 days after the close of pleadings.

224 (1) L’auteur de l’affidavit de documents est

224 (1) The deponent of an affidavit of documents shall be

(a) la partie, s’il s’agit d’un particulier qui a la capacité d’ester en justice;

(a) where the party is an individual who is not under a legal disability, the party;

(b) la personne nommée en vertu de la règle 115, si la partie est un particulier qui n’a pas la capacité d’ester en justice;

(b) where the party is an individual under a legal disability, a person appointed under rule 115;

[Notre soulignement.]

[Emphasis added]

[17] Les demanderesses font valoir un nouvel argument voulant que, dans le cadre de leur demande, qu’elles décrivent comme [TRADUCTION] « une seule et même demande conjointe » soulevant les mêmes questions de faits et de droit pour toutes les demanderesses, le terme « partie », figurant aux paragraphes 223(1) et 224(1) des Règles, doit s’interpréter comme signifiant que les six demanderesses agissent comme une seule et même « partie ». Ainsi, les demanderesses étaient en droit de signifier un seul affidavit de documents pour le compte des six demanderesses.

[18] Je ne suis pas de cet avis. Le sens du paragraphe 223(1) des Règles est non équivoque. Il impose à « chaque partie » de signifier un affidavit de documents aux autres parties à l’action. Le terme « partie » est expressément défini à l’article 2 des Règles comme signifiant, dans une action, « le demandeur, le défendeur et la tierce partie » [non souligné dans l’original].

[19] Dans une affaire impliquant plusieurs demandeurs, comme c’est le cas en l’espèce, le paragraphe 223(1) des Règles prévoit que chaque demandeur doit signifier un affidavit de documents distinct aux autres parties à l’action. Cette exigence est maintenue à moins que la Cour rende une ordonnance en vertu des articles 55 ou 385 des Règles, qu’elle octroie une dispense à l’égard de l’obligation prévue au paragraphe 223(1) des Règles ou que les parties conviennent d’une autre forme d’affidavit de documents (pour les fins de la signification, mais non du dépôt). En l’espèce, aucune ordonnance de la Cour et aucune entente entre les parties ne dispense de respecter les obligations prévues à l’article 223 des Règles.

[20] En ce qui concerne l’auteur approprié d’un affidavit de documents, lorsque « la partie » est un particulier, les alinéas 224(1)a) et b) exigent que l’auteur soit « la partie », ou une personne désignée par la Cour en vertu de l’article 115 si la partie n’a pas la capacité d’ester en justice. Jusqu’à présent, aucune ordonnance n’a été rendue par notre Cour pour désigner une personne chargée de représenter l'une des demanderesses au titre de l’article 115 des Règles.

[21] Aucun des deux affidavits de documents qui ont été signifiés pour le compte de l’ensemble des demanderesses n’est conforme aux articles 223 ou 224 des Règles. L’affidavit Hardy est insuffisant pour deux raisons. Premièrement, il s’agit d’un seul affidavit de documents déposé pour le compte de six demanderesses distinctes. Deuxièmement, l’auteure n’est pas demanderesse à l’instance et n’a pas été désignée par la Cour pour représenter l’une des demanderesses en l’espèce, en vertu de l’article 115 des Règles.

[22] L’affidavit McGillis est suffisant, dans la mesure où il est déposé à titre d’affidavit de documents pour le compte de la demanderesse McGillis. Cependant, il contrevient aux articles 223 et 224 puisqu’il se veut l’affidavit de documents pour le compte de l’ensemble des demanderesses. Mme McGillis n’a pas été désignée par notre Cour, en vertu de l’article 115 des Règles, pour représenter l’une des demanderesses. Par conséquent, elle n’était pas l’auteure appropriée de l’affidavit de documents signé pour le compte de toutes autres demanderesses.

[23] Même si l’interprétation des articles 223 et 224 des Règles par les demanderesses était correcte, et que ces dispositions ne les obligeaient pas à signer et à signifier un affidavit de documents distinct, cela ne changerait pas l’issue de la présente requête. Dès la délivrance de l’ordonnance établissant le calendrier par le juge Lafrenière, le 5 octobre 2023, les demanderesses étaient légalement tenues de se conformer au libellé de l’ordonnance de la Cour, selon lequel « [c]haque demanderesse doit signifier un affidavit de documents conformément aux Règles de la cour fédérale, y compris les paragraphes 224(1) et 115(1) ».

[24] Si les demanderesses n’approuvaient pas la proposition que les défendeurs ont présentée à la Cour le 25 septembre, suivant laquelle chaque demanderesse devait fournir un affidavit de documents conformément aux Règles, elles avaient la possibilité de soulever leurs objections auprès de la Cour avant la délivrance de l’ordonnance établissant le calendrier, le 5 octobre 2023. Aucune objection n’a été soulevée. Les demanderesses auraient également pu interjeter appel de l’ordonnance établissant le calendrier. Aucun appel n’a été interjeté. À ce stade, les demanderesses sont légalement tenues de se conformer à l’ordonnance établissant le calendrier. La conformité aux ordonnances et aux directives sur la gestion d’une instance n’est pas facultative : Odyssey Television Network Inc. c Ellas TV Broadcasting Inc., 2018 CF 337 au para 74.

[25] En outre, même si la Cour accueillait les objections des demanderesses en dépit de l’ordonnance exécutoire, je ne suis pas persuadée que les demanderesses ont [TRADUCTION] « des prétentions de fait identiques », et donc, que le contenu de leurs affidavits de documents respectifs est nécessairement le même. Les faits allégués dans la seconde déclaration modifiée déposée le 18 novembre 2022 indiquent que chaque demanderesse détient un ou plusieurs certificats de possession distincts et que les droits sur les terres visées ne leur ont pas tous été transférés à la même date. Il s’ensuit que chaque demanderesse a (ou avait initialement) au moins quelques documents distincts en sa possession, sous son autorité ou sous sa garde.

[26] Pour les raisons mentionnées précédemment, je conclus que l’affidavit Hardy et l’affidavit McGillis sont tous deux insuffisants. Les demanderesses, outre Sylvia M. McGillis, n’ont pas respecté l’obligation, prévue par les Règles et l’ordonnance établissant le calendrier, suivant laquelle chacune d’elles devait signifier un affidavit de documents distinct aux défendeurs.

III. Quelle est la réparation appropriée?

[27] Le défendeur Canada sollicite une ordonnance, au titre de l’article 227 des Règles, pour exiger que chaque demanderesse, outre la demanderesse McGillis, signifie un affidavit de documents signé par elle, ou une personne désignée par la Cour en vertu de l’article 115 des Règles, dans un délai de 45 jours à compter de la date de l’ordonnance.

[28] Le Canada affirme que chaque demanderesse est tenue de signifier un affidavit de documents, et je suis du même avis. Cependant, le choix de l’auteur approprié et le moment de la signification de ces affidavits de documents par trois des cinq demanderesses peuvent être compliqués en l’espèce par plusieurs facteurs énoncés dans le deuxième affidavit de Deborah Hardy, déclaré sous serment le 11 janvier 2024 (l’affidavit Hardy no 2), en réponse à la requête du Canada. L’affidavit Hardy no 2 est rédigé en partie comme suit :

  1. [traduction]
    Ma tante, la demanderesse Mary Marguerite Buck, est décédée le 29 décembre 2021 et sa succession est en voie d’être réglée. Son droit sur le certificat de possession sera transféré à ses enfants.

  2. Ma mère, la demanderesse Florence Joyce L’Hirondelle, voit sa santé mentale décliner, et elle est représentée par ses tuteurs à l’instance : mon frère, Aldon B. L’Hirondelle, et moi‑même.

  3. La demanderesse Dorothy Anne Savard voit sa santé mentale décliner, et elle est représentée par sa tutrice à l’instance, sa fille Cheryl Frances Hankinson.

[29] En ce qui concerne ces trois demanderesses, et pour les motifs exposés plus loin, la Cour rédigera la présente ordonnance de manière à leur permettre de prendre les mesures nécessaires pour régulariser leur représentation devant notre Cour avant la signification de leurs affidavits de documents respectifs.

[30] Quant aux deux autres demanderesses, Frances June McGillis et Marilyn McGillis, chacune d’elles devra signer et signifier un affidavit de documents distinct dans un délai de 45 jours à compter de la date de la présente ordonnance.

A. La cession des droits de Marguerite Mary (Margaret) Buck

[31] Selon la preuve au dossier en l’espèce, la demanderesse, Marguerite Mary (Margaret) Buck (la « demanderesse Buck »), est décédée le 29 décembre 2021, et sa « succession est en voie d’être réglée ». La raison pour laquelle la Cour n’est informée que maintenant de ces faits n’est pas claire.

[32] L’article 116 énonce la règle générale selon laquelle le décès de la demanderesse Buck ne met pas en soi fin à l’instance, dans la mesure où elle est concernée : Daniels c Canada (Ministre des Affaires Indiennes et du Nord Canadien), 2005 CF 699 au para 13.

[33] La poursuite d’une instance après le décès d’une partie est régie par les articles 117 et 118 des Règles. Ces dispositions prévoient la procédure qui devait être suivie en l’espèce pour la cession à la succession des droits de la défunte à l’instance. Plus particulièrement, l’exécuteur testamentaire ou l’administrateur de la succession de la demanderesse Buck (le « représentant légal de la succession ») était tenu, dans un délai de 30 jours, de signifier et de déposer un avis et un affidavit énonçant les motifs de la cession des droits, à défaut de quoi une autre partie à l’instance pourrait demander, par voie de requête, demander un jugement par défaut ou demander le débouté. Lorsque l’avis et l’affidavit sont dûment signifiés et déposés, une partie à l’instance peut s’opposer à ce que la succession, ou le représentant légal de la succession, poursuive l’instance en tant que partie, et exiger que cette entité sollicite une ordonnance en vue d’être substituée à la partie qui a cédé ses droits.

[34] L’article 117 des Règles n’autorise pas la cession ou la dévolution des droits durant l’instance, il ne porte que sur les exigences procédurales nécessaires. Si la cession des droits est contestée, la Cour doit se référer aux règles de droit pertinentes, qu’elles soient d’ordre jurisprudentiel ou législatif, pour déterminer si elle est autorisée : Tacan c Canada, 2003 CF 915

[35] Le but des articles 117 et 118 est de veiller à ce que les parties devant la Cour connaissent leurs adversaires et qu’elles soient informées de tout changement allégué à cet égard, afin qu’elles puissent s’y opposer de manière pertinente :. Bauer Hockey Corp. c Sport Maska Inc. (CCM Hockey), 2018 CF 832 au para 14.

[36] En l’espèce, bien que la demanderesse Buck soit décédée il y a plus de deux ans, la Cour ne dispose pas des éléments de preuve lui permettant de savoir si et quand des lettres d’homologation ou des lettres d’administration ont été délivrées, ce qui aurait pour effet de placer le représentant légal de la succession sous le régime des règles de dévolution de l’instance et déclencherait le délai de 30 jours imposé par l’article 118 : Daniels c Canada (Ministre des Affaires Indiennes et du Nord Canadien), 2005 CF 699 aux para 3, 14‑15.

[37] En outre, l’identité du représentant légal de la succession ne ressort pas clairement des éléments de preuve présentés à la Cour. Les demanderesses ont unilatéralement modifié l’intitulé de l’affidavit Hardy no 1 pour indiquer que « Roger John Buck » est le tuteur à l’instance de la demanderesse Buck, mais aucun élément de preuve n’a été présenté à la Cour pour établir qu’il est le représentant dûment désigné de la succession de la demanderesse Buck.

[38] Il est clair cependant que le prétendu représentant légal de la succession de la demanderesse Buck n’a ni signifié ni déposé l’avis et l’affidavit prévus à l’article 117 des Règles. Il se pourrait bien que le délai pour le dépôt de l’avis et de l’affidavit prévus aux articles 117 et 118 soit expiré, compte tenu de la déposition de Mme Hardy selon laquelle la « succession est en voie d’être réglée ». Dans l’affirmative, la jurisprudence précise que l'inobservation de ces dispositions n’est pas nécessairement fatale en l’espèce en ce qui concerne la demanderesse Buck. Il s’agit plutôt d’une irrégularité qui peut être régie par la Cour dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire conféré par l’article 118 ou les articles 56 à 60 des Règles : Sport Maska Inc. c Bauer Hockey Ltd., 2019 CAF 204 aux para 22 à 38.

[39] À mon avis, la manière la plus rapide de régler cette question est de fixer un calendrier pour l’accomplissement des étapes requises en vertu des articles 117 et 118 afin que l’auteur approprié de l’affidavit des documents pour le compte de la succession de la demanderesse Buck puisse être identifié. Le calendrier comprendra, entre autres, un délai de 30 jours pour que le représentant légal de la succession de la demanderesse Buck signifie et dépose l’avis et l’affidavit requis, sous réserve de toute objection qui pourrait être soulevée par les défendeurs à l’égard du délai pour la signification de ces documents.

B. La désignation des représentants de Dorothy Anne Savard et de Florence Joyce L’Hirondelle

[40] Selon l’affidavit Hardy no 2, deux des demanderesses, Florence Joyce L’Hirondelle (la « demanderesse L’Hirondelle ») et Dorothy Anne Savard (la « demanderesse Savard ») voient leur « santé mentale décliner ». Selon Mme Hardy, la demanderesse L’Hirondelle est représentée par sa tutrice à l’instance, Cheryl Frances Hankinson (sa fille). La demanderesse Savard est représentée par ses tuteurs à l’instance, Deborah Hardy (sa fille) et Aldon B. L’Hirondelle (son fils).

[41] L’alinéa 115(1)b) précise que la Cour peut désigner une ou plusieurs personnes pour représenter une personne n’ayant pas la capacité d’ester en justice qui prend l’initiative d’introduire une instance en justice.

[42] Si les tuteurs à l’instance censés représenter les demanderesses L’Hirondelle ou Savard soutiennent que ces dernières n’ont pas « la capacité d’ester en justice », ils doivent présenter une requête au titre de l’article 115 des Règles pour solliciter une ordonnance les désignant comme les représentants respectifs de ces deux demanderesses. Les demanderesses ne peuvent désigner unilatéralement des tuteurs à l’instance pour représenter les demanderesses L’Hirondelle et Savard en l’espèce.

[43] Si les demanderesses L’Hirondelle ou Savard choisissent de ne pas présenter de requête au titre du paragraphe 115(1) des Règles, elles doivent signifier un affidavit de documents distinct dans un délai de 45 jours à compter de la date de la présente ordonnance.

IV. Conclusion

[44] Pour les motifs mentionnés précédemment, la Cour conclut que chaque demanderesse, à l’exception de Sylvie M. McGillis, doit signifier un affidavit de documents distinct conformément au libellé de la présente ordonnance.

[45] Le défendeur Canada sollicite des dépens de 2 500 $ afférents à la présente requête, payables sans délai, quelle que soit l’issue de la cause. Le Canada ayant obtenu gain de cause en l’espèce, je conclus qu’il a droit aux dépens afférents à la présente requête. En outre, le Canada affirme que des dépens élevés sont justifiés et devraient être payés sans délai, et je suis d’accord. Le Canada a dû présenter cette requête parce que les demanderesses n’ont pas respecté les Règles et l’ordonnance établissant le calendrier. À mon avis, les demanderesses n’auraient pas dû s’opposer à la requête étant donné que l’ordonnance établissant le calendrier obligeait explicitement chacune d'elles à signifier un affidavit de documents. En ce qui concerne les questions soulevées dans l’affidavit Hardy no 2, les articles 115 à 118 des Règles contiennent des dispositions relatives au décès d’une partie ou à son incapacité d’ester en justice. Il incombait aux demanderesses et à leur avocat de se familiariser avec ces Règles et de s’y conformer, au lieu de procéder différemment et unilatéralement sans avis ou autorisation de la Cour.

[46] Les dépens sont fixés à 1 800 $, débours et taxes inclus, et sont payables sans délai par les demanderesses au défendeur Canada.


ORDONNANCE dans le dossier T‑1929‑19

LA COUR REND L’ORDONNANCE suivante :

  1. Chaque demanderesse, à l’exception de Sylvie M. McGillis, doit signifier un affidavit distinct, conformément au libellé de la présente ordonnance.

  2. Les demanderesses Frances June McGillis et Marilyn McGillis doivent signer et signifier un affidavit de documents distinct dans un délai de 45 jours à compter de la date de la présente ordonnance.

  3. L’exécuteur ou l’administrateur (le représentant légal de la succession) de la succession de la demanderesse Marguerite Mary (Margaret) Buck doit signifier et déposer un avis et un affidavit, conformément au paragraphe 117(1) des Règles, dans un délai de 30 jours à compter de la date de la présente ordonnance.

  4. Le paragraphe 3 de la présente ordonnance est formulé sous réserve de toute objection qui pourrait être soulevée par les défendeurs concernant le délai de signification de l’avis et de l’affidavit prévus à l’article 117 des Règles.

  5. Si une partie à l’instance s’oppose à ce que l’instance soit poursuivie par la succession de la demanderesse Buck, telle que représentée par le représentant légal de la succession, elle doit signifier et déposer un avis d’opposition, conformément au paragraphe 117(2) des Règles, dans les 15 jours suivant la signification de l’avis et de l’affidavit décrits au paragraphe 3 de la présente ordonnance.

  6. Si un avis d’opposition est signifié et déposé au titre du paragraphe 5 de la présente ordonnance, le représentant légal de la succession doit, dans les 15 jours suivant la signification de l’avis d’opposition, présenter une requête pour le compte de la succession de la demanderesse Buck en vue d’obtenir une ordonnance le substituant à la demanderesse Buck, conformément au paragraphe 117(2) des Règles.

  7. Si aucune partie ne signifie ni ne dépose un avis d’opposition au titre du paragraphe 5 de la présente ordonnance, les demanderesses doivent, dans les 20 jours suivant la signification de l’avis et de l’affidavit décrits au paragraphe 3 de la présente ordonnance, présenter une requête informelle pour solliciter une ordonnance modifiant l’intitulé et substituant la succession de la demanderesse Buck, ou le représentant légal de la succession (article 112 des Règles), à la demanderesse Buck décédée, conformément au paragraphe 41 des Lignes directrices générales consolidées amendées de la Cour du 20 décembre 2023.

  8. Le représentant légal de la succession doit signer et signifier un affidavit de documents à la succession de la demanderesse Buck dans un délai de 20 jours à compter de la date de toute ordonnance de la Cour rendue au titre du paragraphe 6 ou 7 de la présente ordonnance, selon le cas.

  9. Si le représentant légal de la succession de la demanderesse Buck n’a pas signifié l’avis et l’affidavit dans le délai prescrit par le paragraphe 3 de la présente ordonnance, ou obtenu une ordonnance au titre du paragraphe 6 ou 7, le cas échéant, de la présente ordonnance, toute autre partie à l’instance peut présenter une requête pour demander que la demanderesse Buck soit déboutée, conformément à l’article 118 des Règles.

  10. Si les prétendus tuteurs à l’instance des demanderesses L’Hirondelle ou Savard demandent à notre Cour de rendre une ordonnance les désignant comme représentants de ces demanderesses, ils sont tenus de présenter une requête, au titre de l’article 115 des Règles, dans les 30 jours à compter de la date de la présente ordonnance.

  11. Si la Cour accueille une requête présentée au titre de l’article 115 des Règles, chaque représentant désigné par la Cour pour les demanderesses L’Hirondelle et Savard doit signer un affidavit de documents pour le compte de la demanderesse qu’il représente et le signifier dans un délai de 20 jours à compter de la date de l’ordonnance rendue en vertu de l’article 115 des Règles.

  12. Si la Cour rejette une requête présentée au titre de l’article 115 des Règles, les demanderesses L’Hirondelle et Savard doivent signer et signifier un affidavit de documents distinct dans un délai de 20 jours à compter de la date de l’ordonnance rendue en vertu de l’article 115 des Règles.

  13. Si les demanderesses L’Hirondelle et Savard choisissent de ne pas présenter de requête au titre du paragraphe 115(1) des Règles, chacune d’elles doit signer et signifier un affidavit de documents dans un délai de 45 jours à compter de la date de la présente ordonnance.

  14. Les demanderesses doivent payer sans délai les dépens de la requête au défendeur Canada, fixés à 1 800 $, débours et taxes inclus.

« Kathleen Ring »

Juge responsable de la gestion de l’instance

Traduction certifiée conforme

C. Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1929‑19

INTITULÉ :

MARGUERITE MARY (MARGARET) BUCK, DOROTHY ANNE SAVARD, SYLVIA M. MCGILLIS, FRANCES JUNE MCGILLIS, FLORENCE JOYCE L’HIRONDELLE, ET MARILYN MCGILLIS c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et LA NATION CRIE D’ENOCH

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 MARS 2024

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE RESPONSABLE DE LA GESTION DE L’INSTANCE, KATHLEEN RING

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 5 AVRIL 2024

COMPARUTIONS :

Karim Ramji

POUR LES DEMANDERESSES

Kerry Boyd

Katherine Creelman

POUR LE DÉFENDEUR

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Evan Duffy

POUR LA DÉFENDERESSE LA NATION CRIE D’ENOCH

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Karim Ramji Law Corporation

North Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LES DEMANDERESSES

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Bailey Wadden & Duffy LLP

POUR LA DÉFENDERESSE LA NATION CRIE D’ENOCH

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