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     T-1160-90

OTTAWA (Ontario), le 25 mars 1997

EN PRÉSENCE DE : Monsieur le juge Marc Nadon

ENTRE :

     C & B VACATION PROPERTIES INC.

     et

     CORPORATION DROVELLE LTÉE.,

    

     demanderesses,

     - ET -

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     défenderesse.

     JUGEMENT

     La Cour accueille l'action des demanderesses contre la défenderesse et leur accorde des intérêts ainsi que l'indemnité additionnelle prévue par l'article 1619 du Code civil du Québec (C.C.Q.).

     La Cour ordonne aux parties de calculer, conformément aux motifs du jugement, le montant précis de l'indemnité à laquelle les demanderesses ont droit.

     Si les parties sont incapables de s'entendre sur le montant de l'indemnité, elles devront en aviser la Cour au plus tard le 1er mai 1997. Si elles parviennent à s'entendre, elles en aviseront la Cour immédiatement et un jugement sera inscrit pour le montant convenu.

     Les frais extrajudiciaires sont adjugés aux demanderesses.

                                 MARC NADON
                    
                                 Juge
Traduction certifiée conforme     
                                 C. Bélanger, LL.L.

     T-1160-90

ENTRE :

     C & B VACATION PROPERTIES INC. et

     CORPORATION DROVELLE LTÉE,

     demanderesses,

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     défenderesse.

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE NADON

     En mai 1989, la défenderesse a, en vertu de la Loi sur l'expropriation, L.R.C. (1985), ch. E-21 (la Loi), exproprié un bien-fonds appartenant aux demanderesses et situé dans la province de Québec. Le présent litige découle de cette expropriation et porte sur la valeur du bien-fonds des demanderesses au moment de l'expropriation.

LES FAITS

     Les demanderesses sont C & B Vacation Properties Inc. ("C & B Vacation") et Corporation Drovelle Ltée ("Drovelle"). Pendant toute l'époque en cause, Carl McInnis était président et actionnaire principal de C & B Vacation et Me Gérald Boudreau, président et actionnaire principal de Drovelle.

     Carl McInnis était un promoteur immobilier reconnu dans la municipalité de Hull-Ouest et, avant 1988, il avait également réalisé la mise en valeur et la mise en marché de plusieurs lotissements dans la vallée de l'Outaouais.

     Gérald Boudreau est notaire de profession. Il a rencontré M. McInnis au milieu des années 1970. Au début, il agissait comme notaire instrumentant relativement aux lotissements mis en valeur et mis en marché par M. McInnis. Ensuite, il a participé à certains aspects de la planification des lotissements de celui-ci et il a fini par devenir lui-même un promoteur d'expérience.

     Le bien-fonds des demanderesses a été exproprié le 2 mai 1989, par la Commission de la capitale nationale ("CCN"). En vertu de la Loi sur la capitale nationale , L.R.C. (1985), ch. N-3, la CCN peut acquérir des biens afin de réaliser la mission pour laquelle elle a été créée. L'article 10 de la Loi sur la capitale nationale prévoit :

         10. (1) La Commission a pour mission :                 
         a) d'établir des plans d'aménagement, de conservation et d'embellissement de la région de la capitale nationale et de concourir à la réalisation de ces trois buts, afin de doter le siège du gouvernement du Canada d'un cachet et d'un caractère dignes de son importance nationale;                 
         b) d'organiser, de parrainer ou de promouvoir, dans la région de la capitale nationale, des activités et des manifestations publiques enrichissantes pour le Canada sur les plans culturel et social, en tenant compte du caractère fédéral du pays, de l'égalité du statut des langues officielles du Canada ainsi que du patrimoine des Canadiens.                 

     Le bien qui fait l'objet du présent litige était connu sous le nom de "La Grande Corniche du Parc". Il se composait de soixante-treize lots1 occupant une superficie de 110,85 acres situés dans le parc de la Gatineau. Ce lotissement se trouvait à environ 1 200 pieds du côté ouest du chemin de la Mine, dans la municipalité de Hull-Ouest (maintenant connue sous le nom de municipalité de Chelsea).

     Aux plan et livre de renvoi officiels du septième rang du canton de Hull, circonscription foncière de Gatineau, le bien est décrit comme une partie du lot primitif numéro 14. Par acte de vente en date du 8 juillet 1988, Redmond Quain et Robert Tennant se sont portés acquéreurs du bien en question pour la somme de 476 655,00 $. Dans cet acte, il est notamment prévu que le bien est :

     [TRADUCTION] [s]ous réserve de toutes les servitudes actives et passives, apparentes et non apparentes, grevant ledit immeuble, plus particulièrement sous réserve de deux servitudes de passage établies en faveur de l'immeuble vendu au présent acte par deux actes enregistrés au bureau de la division d'enregistrement de Hull, en mille neuf cent treize et mille neuf cent quinze, et qui portent respectivement les numéros 21842 et 23558; [...]         

     Le 14 juillet 1988, Redmond Quain et Robert Tennant ont transporté en pleine propriété le bien aux demanderesses. En contrepartie, celles-ci leur ont versé le montant qu'ils avaient déboursé pour acheter le bien et une somme additionnelle de 124 000 $. Elles ont également versé 50 000 $ à un certain Robert McElligott à qui MM. Quain et Tennant avaient promis de vendre le bien. Ainsi, au total, les demanderesses ont versé 650 655,00 $ pour acquérir le bien exproprié par la défenderesse le 2 mai 1989.

     Le 29 août 1988, les demanderesses ont présenté à la Commission de Planification de Hull-Ouest un plan de lotissement provisoire pour leurs 110 acres. Après discussion, cette commission a accepté à l'unanimité de recommander au conseil municipal de Hull-Ouest d'approuver le plan de lotissement du 24 août 1988, établi par l'arpenteur Hugues St-Pierre, sous réserve des conditions suivantes :

     [TRADUCTION] a) le promoteur doit construire un chemin d'accès à partir de la route principale;         
     b)      une emprise de cinquante pieds doit être prévue pour accéder aux lots adjacents;         
     c)      un ingénieur doit présenter un rapport sur les installations septiques;         
     d)      le promoteur doit signer un "Engagement de développement" - dont le montant sera déterminé par le Comité des Chemins;         
     e)      la cession de terrains à des fins de parcs et de terrains de jeux doit être approuvée par le Comité des Loisirs.         

     Le 6 septembre 1988, par la résolution no 279-88, le conseil municipal de Hull-Ouest donnait son approbation de principe au projet des demanderesses, sous réserve de ces cinq conditions.

     Comme il a été mentionné précédemment, le lotissement est situé à environ 1 200 pieds du côté ouest du chemin de la Mine. Le bien-fonds qui sépare ce chemin du lotissement appartenait à la défenderesse. Dans l'acte de vente par lequel MM. Quain et Tennant se portaient acquéreurs du bien-fonds en question, le bien est décrit, en partie, de la manière suivante :

     [TRADUCTION] Un bien immeuble de forme irrégulière constituant une PARTIE du lot primitif numéro QUATORZE (ptie 14) aux plan et livre de renvoi officiels du RANG SEPT (R. VII), canton de Hull, division d'enregistrement de Gatineau, province de Québec, [...]         

     Le lot primitif 14 a appartenu à Catherine Blake, de Hull, jusqu'en septembre 1915. Par acte de vente enregistré le 21 septembre 1915, Mme Blake a vendu la moitié nord du lot numéro 14 à sa soeur, Jane Blake. Au moment de la vente, cependant, elle s'est réservée, pour elle-même, ses héritiers et ses ayants droit, une emprise allant de son terrain (la moitié sud du lot numéro 14) à la principale route fréquentée. Voici comment est décrit cette emprise dans l'acte de vente :

     [TRADUCTION] Ladite venderesse aux présentes se réserve, en tout temps, pour elle-même et ledit mari, Michael McCloskey, et leurs ayants droit, une emprise ou un chemin à partir de la principale route fréquentée qui croise ledit lot quatorze, jusqu'à la moitié sud dudit lot. Ladite emprise ou ledit chemin partira de la principale route fréquentée, à environ soixante-quinze verges, plus ou moins, à l'est du pont enjambant le ruisseau qui croise ladite moitié nord du lot quatorze sur ladite principale route fréquentée, et s'étendra presque franc sud à travers une vallée basse qui sépare des rangées de collines presque parallèles, se dirigeant presque franc sud à partir de ladite route principale, jusqu'à l'extrémité nord de ladite moitié sud du lot quatorze, sur une hauteur, où lesdites collines se rejoignent dans la direction de cette éminence. Ladite bande ou partie de lot sur laquelle passera ledit chemin sera choisie par la venderesse, ses héritiers et ses ayants droit : [...]         

     Se fiant à leur interprétation de cette emprise, les demanderesses ont déboisé une bande de terre d'environ cinquante pieds, du chemin de la Mine jusqu'à l'entrée de leur bien, au cours de la fin de semaine du 17 septembre 1988. Le 23 septembre 1988, elles ont écrit à la CCN pour l'informer des actions qu'elles avaient entreprises et lui demander si elle était intéressée à conserver le bois coupé au cours de la fin de semaine précédente.

     Dans leur lettre, elles indiquent également que leur lotissement "a successivement franchi les trois étapes de l'approbation municipale (comité de planification, comité des loisirs et conseil municipal [...]". Elles concluent :

     Il nous ferait plaisir de vous rencontrer, si ça vous intéresse, pour vous expliquer nos plans et aussi pour établir des assises de bon voisinage pour le bienfait des futurs propriétaires et du public en général.         

     Le jour où les demanderesse ont écrit à la CCN, l'inspecteur des bâtiments de Hull-Ouest, Bernard Benoit, leur écrivait pour leur demander de cesser immédiatement leurs activités sur l'emprise. Tout en reconnaissant qu'elles l'avaient prévenu de leur intention de construire une route sur l'emprise pour assurer l'accès à leur lotissement à partir du chemin de la Mine, il les a avisées que le règlement 334 les obligeait à obtenir un permis de Hull-Ouest avant d'entreprendre toute construction.

     Il y a lieu de signaler immédiatement que, le 23 septembre 1988, les demanderesses avaient déjà commencé à vendre des lots de ce lotissement. Le 1er septembre 1988, elles avaient publié leur première liste de prix pour les 73 lots. Le 23 septembre 1988, elles avaient accepté huit offres d'achat de lots et avaient augmenté leur prix de vente trois fois : le 8 septembre, le 16 septembre et le 22 septembre. Par la suite, ces prix ont été augmenté encore quatre autres fois : le 29 septembre, le 7 octobre, le 15 octobre et le 7 novembre 1988.

     Le 3 octobre 1988, lors d'une séance régulière du conseil municipal de Hull-Ouest, on a tenté de faire modifier la résolution no 279-88 de la manière suivante :

     [TRADUCTION] a) remplacer l'alinéa "a)" par celui-ci : le promoteur doit construire un chemin d'accès à partir du chemin de la Mine et céder l'emprise réservée de ce chemin à la municipalité, comme l'exige le règlement no 290.         
     b)      remplacer l'alinéa "e)" par celui-ci : la municipalité exige un paiement en espèces représentant 5 % de l'évaluation pour fins de parcs et de terrains de jeux; toutefois, elle accepterait des points d'accès au parc de la Gatineau comme paiement partiel de cette taxe, à la condition que ces points soient acceptés par la Commission de la capitale nationale.         

     En ce qui concerne l'alinéa a), la modification n'a pu être apportée parce qu'elle visait manifestement à modifier le règlement 290. Me Boudreau, qui assistait à la séance, a en effet signalé aux membres du conseil qu'ils ne pouvaient modifier un règlement par résolution. Cette question comptait beaucoup pour lui et pour les demanderesses puisque l'alinéa 2.1.c du règlement 290 prévoyait que la municipalité pouvait approuver un plan de lotissement nécessitant la construction d'un chemin d'accès, si le promoteur s'engageait à lui céder son droit de passage pour la somme de 1,00 $. Ainsi, même si les demanderesses n'étaient pas propriétaires du bien-fonds sur lequel elles avaient un droit de passage, cela ne les empêchait pas de construire un chemin et de céder ensuite leurs droits à la municipalité.

     Le 14 octobre 1988, Bernard Benoit, l'inspecteur des bâtiments de Hull-Ouest, a écrit à M. McInnis pour lui signaler, entre autres, qu'il devait présenter un rapport d'ingénieur à propos des installations septiques prévues pour les lots du projet de lotissement. Il lui a clairement indiqué que la municipalité de Hull-Ouest ne pouvait donner son approbation définitive au projet tant que ce rapport n'était pas produit et n'avait pas été approuvé par la Communauté régionale de l'Outaouais ("C.R.O."). Dans sa lettre, il demandait aussi à M. McInnis comment il entendait effectuer le transfert du titre de l'emprise de cinquante pieds à la municipalité de Hull-Ouest. Il lui rappelait que ces questions devaient être réglées à la satisfaction de la municipalité avant que celle-ci ne donne son approbation définitive.

     Le 21 octobre 1988, M. Pierre Gravelle, ingénieur travaillant pour la firme Boileau & Associés Inc. ("Boileau"), a présenté à M. Benoit le plan des installations septiques qu'il avait établi pour les demanderesses. Dans sa lettre, M. Gravelle indiquait à M. Benoit qu'à son avis un système septique pouvait être installé sur chacun des 72 lots2.

     Le 7 novembre 1988, le conseil de Hull-Ouest, par la résolution no 384-88, a approuvé le plan no 40587-15717S visant les lots 14-14 à 14-98, rang VII, canton de Hull, établi par l'arpenteur St-Pierre pour le compte des demanderesses. L'approbation de la municipalité était assujettie à deux conditions : (1) que la taxe pour fins de parcs et de terrains de jeux de 5 % soit versée en espèces et (2) que les demanderesses signent un "Engagement de Développement" avec la municipalité. Le 15 novembre 1988, le plan de M. St-Pierre a été déposé au bureau du ministre de l'Énergie et des Ressources du Québec, conformément à l'article 2175 du Code civil du Bas-Canada . Le 18 novembre 1988, ce plan a été dûment enregistré au bureau d'enregistrement de Gatineau.

     Dès qu'elle a commencé à se répandre dans la région de la Capitale nationale, la nouvelle que les demanderesses avaient acheté le bien et avaient l'intention de vendre des lots à des fins résidentielles a soulevé l'opposition. Ces protestations provenaient de différents milieux, notamment des environnementalistes, des amis des bêtes, des amateurs de ski de randonnée et des cyclistes. Tous ces groupes s'élevaient "férocement" contre la présence d'un ensemble résidentiel dans le parc de la Gatineau. Les différentes coupures de presse versées en preuve témoignent de cette contestation. Par suite de cette opposition, la CCN a subi des pressions visant à l'inciter à faire tout en son pouvoir pour empêcher les demanderesses de réaliser leur projet. À titre d'exemple, selon l'édition du 27 septembre 1988 du Citizen d'Ottawa, Mme Diane Barnes, porte-parole de la CCN, aurait déclaré que la Commission avait tenté d'acheter le bien, mais que les demanderesses l'avaient emporté. Elle aurait ajouté que la CCN [TRADUCTION] "espérait acquérir le bien-fonds de M. McInnis pour bloquer le projet de construction", qu"elle avait communiqué avec lui et qu"elle attendait sa réponse. Dans l'édition du 17 octobre 1988 du journal Le Droit , un article paru à la page 3 donne le ton général de l'opposition au projet de construction domiciliaire des demanderesses. En voici le texte :

             Un [sic] vingtaine de citoyens appartenant à la Coalition pour la protection du parc de la Gatineau, qui s'oppose à la construction de 70 maisons, à 300 mètres du lac Pink, ont tenté de se rallier des partisans, samedi, en manifestant à l'entrée du parc de la Gatineau située boulevard Gamelin, à Hull.                 
             Brandissant des affiches sur lesquelles ont [sic] pouvait lire en anglais Pas de projet domiciliaire dans le parc, les manifestants ont aussi invité les automobilistes, les cyclistes et les marcheurs à signer une pétition par laquelle ils indiquent leur opposition au projet de construction de Carl McInnis sur un terrain situé dans la municipalité de Hull-Ouest.                 
             Les protestataires, membres du club Alpin du Canada, de la Fédération québécoise de la montagne, et de l'Association canadienne des parcs, distribuaient des feuillets d'information sur lesquels on invitait également le public à écrire ou à téléphoner à Pat Carney, présidente du Conseil du trésor, à la Chambre des Communes, pour qu'elle accorde les fonds permettant à la Commission de la capitale nationale (CCN) d'acquérir le terrain.                 
             On en profitait également pour convier le public à venir rencontrer Jean Piggott [sic], présidente de la CCN, ce soir, à 19 h 30, à l'école publique de Chelsea, où elle abordera justement le nouveau mandat de la CCN et ses répercussions sur le parc de la Gatineau.                 
             Selon Harry Gow, vice-président de la Fédération québécoise de la montagne, si l'on n'arrivait pas à empêcher ce projet, les $500 000 que la CCN a décidé d'investir pour protéger le lac Pink seraient une pure perte, puisque le bassin de drainage du site prévu pour la construction se dirige naturellement vers le lac Pink. En outre, a-t-il ajouté, il serait illusoire de penser que des enfants domiciliés à 300 mètres d'un tel lac n'aient pas envie de s'y baigner et ne s'y risquent pas à l'occasion.                 
             La coalition a également fait parvenir une lettre à Clifford Lincoln, ministre de l'Environnement à l'Assemblée nationale, afin de lui demander de tenir une audience mais selon M. Gow, bien que cette démarche ait été faite depuis un certain temps, la coalition n'a pas reçu de réponse ni du ministre ni de son adjoint Robert Middlemiss, député de Pontiac et adjoint parlementaire à l'Environnement.                 

     Selon un article paru dans l'édition du 18 octobre 1988 du Citizen d'Ottawa, la présidente de la CCN de l'époque, Mme Jean Pigott, aurait déclaré que la Commission envisageait la possibilité d'exproprier le bien-fonds parce que les exigences des demanderesses étaient exagérées.

     D'après ce journal, Mme Pigott aurait également indiqué que le moratoire sur les acquisitions de biens-fonds par la CCN qu'avait imposé le gouvernement conservateur, en 1979, avait pris fin le mois précédent, ce qui, selon elle, allait [TRADUCTION] "permettre à la CCN d'aller voir le Conseil du Trésor pour acheter des biens "cas par cas"".

     Le 28 octobre 1988, M. Curry Wood, vice-président intérimaire, direction de l'immobilier de la CCN, a écrit à M. McInnis pour offrir aux demanderesses la somme de 650 000 $ pour le lotissement. Le 16 novembre 1988, Gérald Boudreau a écrit à Me Pierre Legault, avocat de la CCN, pour lui signaler quelles dépenses les demanderesses avaient déjà engagées relativement à leur bien. Son intention était de montrer à la CCN que leurs dépenses dépassaient largement ce qu'elle leur offrait pour acquérir le bien.

     Le 21 novembre 1988, Me Boudreau a écrit de nouveau à Me Legault. Il a joint une copie du compte de la municipalité de Hull-Ouest à propos de la taxe pour fins de parcs et de terrains de jeux et qui se montait à 76 205,00 $. Dans sa lettre, Me Boudreau faisait savoir à Me Legault que les demanderesses s'attendaient à recevoir une offre plus raisonnable de la CCN. Le 23 novembre 1988, M. Wood a de nouveau écrit à M. McInnis, lui offrant d'acquérir le lotissement pour la somme de 750 000 $. Le 25 novembre 1988, les demanderesses ont répondu à la CCN en rejetant cette deuxième offre. Après avoir expliqué pourquoi elles la considéraient inacceptable, elles concluaient leur lettre en qualifiant cette offre de "farce de mauvais goût" et en déclarant qu'elles soupçonnaient cet organisme de n'avoir jamais eu l'intention d'acquérir leur bien.

     L'échange de correspondance entre les demanderesses et la CCN au sujet de la vente du lotissement s'est poursuivi, mais en vain. Le 22 décembre 1988, la CCN a enregistré, conformément au paragraphe 8(1) de la Loi sur l'expropriation, un avis d'intention d'exproprier le bien des demanderesses. Le 29 décembre 1988, cet avis d'intention d'exproprier a été signifié aux demanderesses. Le 2 mai 1989, la défenderesse a enregistré un avis de confirmation d'une intention d'exproprier. Cet avis est ainsi libellé :

         ATTENDU QUE par un document enregistré au bureau de la division d'enregistrement de Gatineau, province de Québec, le 22e jour de décembre 1988, sous le numéro 262-025, Sa Majesté la Reine du chef du Canada a signifié son intention d'exproprier aux fins d'aménagement, de conservation et d'embellissement de la région de la Capitale nationale, tous les droits rattachés à un bien-fonds connu et désigné comme étant les subdivisions officielles numéro QUATORZE, [...] du lot originaire QUATORZE (14-14, 14-15, 14-16, 14-17, 14-18, 14-19, 14-20. 14-21, 14-22, 14-23, 14-24, 14-25, 14-26, 14-27, 14-28, 14-29, 14-30, 14-31, 14-32, 14-33, 14-34, 14-35, 14-36, 14-37, 14-38, 14-39, 14-40, 14-41, 14-42, 14-43, 14-44, 14-45, 14-46, 14-47, 14-48, 14-49, 14-50, 14-51, 14-52, 14-53, 14-54, 14-55, 14-56, 14-57, 14-58, 14-59, 14-60, 14-61, 14-62, 14-63, 14-64, 14-65, 14-66, 14-67, 14-68, 14-69, 14-70, 14-71, 14-72, 14-73, 14-74, 14-75, 14-76, 14-77, 14-78, 14-79, 14-80, 14-81, 14-82, 14-83, 14-84, 14-85, 14-86, 14-87, 14-88, 14-89, 14-90, 14-91, 14-92, 14-93, 14-94, 14-95, 14-96, 14-97 et 14-98),                 
         Rang SEPT (R. VII), aux plan et le livre de renvoi du cadastre officiel du canton de Hull, division d'enregistrement de Gatineau, Province de Québec, et deux parties dudit lot originaire numéro QUATORZE (14), Rang SEPT (R. VII) aux plan et livre de renvoi du cadastre officiel du canton de Hull, plus particulièrement décrites comme suit :                 
         a)      Partie du lot QUATORZE (Ptie 14), Rang SEPT (R. VII) dudit canton de Hull, bornée vers le sud par le lot numéro QUATORZE (14), Rang SIX (R. VI), canton de Hull, et de tous les autres côtés par la subdivision officielle numéro QUATRE-VINGT-DIX-SEPT dudit lot originaire QUATORZE (14-97), Rang SEPT (R. VII), canton de Hull,                 
         b)      Partie du lot QUATORZE (ptie 14), Rang SEPT (R. VII) dudit canton de Hull, bornée vers le sud par une partie du lot QUATORZE (ptie 14), Rang SIX (R. VI), canton de Hull, vers le sud-est par la subdivision officielle numéro CINQUANTE-SEPT du lot originaire numéro QUATORZE (14-57), Rang SEPT (R. VII), canton de Hull, vers l'est par une partie du lot TREIZE "C" (ptie 13C), Rang SEPT (R. VII), canton de Hull, vers le nord par la subdivision officielle numéro SOIXANTE-DEUX du lot originaire numéro QUATORZE (14-62), Rang SEPT (R. VII), canton de Hull, vers le nord-ouest et l'ouest par les subdivisions officielles numéro CINQUANTE-SIX, CINQUANTE-HUIT, SOIXANTE ET UN et QUATRE-VINGT-DIX-SEPT du lot originaire numéro QUATORZE (14-56, 14-58, 14-61 et 14-97), Rang SEPT (R. VII), canton de Hull,                 
             AVEC toutes les servitudes existant en faveur dudit bien-fonds et plus particulièrement une servitude de passage établie dans un acte enregistré au bureau de la division d'enregistrement de Hull sous le numéro 25558.                 
             AVIS EST PAR LES PRÉSENTES DONNÉ que l'intention de Sa Majesté la Reine d'exproprier tous les droits rattachés au bien-fonds susmentionné est confirmée.                 

     Il y a lieu de signaler que le plan de lotissement des demanderesses se composait de soixante-treize lots, c'est-à-dire les lots 14-15 à 14-34, 14-36 à 14-60, 14-62 et 14-63, 14-65 à 14-70, 14-72 à 14-76 et 14-78 à 14-92, et comprenait trois emprises, plus précisément les parcelles 14-35, 14-61, 14-64 et 14-77. Il était prévu que les futures rues du lotissement seraient construites sur les parcelles 14-93, 14-94, 14-95 et 14-96.

     Il y a lieu de signaler également que, le 2 mai 1989, les demanderesses avaient vendu vingt-trois lots et que, par conséquent, ceux-ci ne font pas l'objet du présent litige. Il s'agit des lots suivants :

         Lots 14-19, 14-22, 14-26, 14-27, 14-32, 14-37, 14-40, 14-41, 14-44, 14-45, 14-53, 14-54, 14-55, 14-56, 14-59, 14-68, 14-73, 14-74, 14-79, 14-82, 14-83, 14-88 et 14-92.                 

     Après l'expropriation des droits des demanderesses sur les cinquante lots invendus, la défenderesse, conformément à l'article 16 de la Loi, leur a écrit, le 26 juillet 1989, afin de leur offrir 1 380 000,00 $ pour leur droit exproprié. Le 23 août 1989, les demanderesses ont accepté la somme offerte par la défenderesse, sous réserve de tout droit de réclamer une indemnité supplémentaire.

     Le 8 mars 1995, la défenderesse a de nouveau écrit aux demanderesses pour les aviser qu'elle augmentait son offre d'une somme additionnelle de 140 000,00 $. Les 14 et 21 avril 1995, respectivement, Carl McInnis et Gérald Boudreau ont accepté, pour le compte des demanderesses, l'offre majorée de la défenderesse, toujours sous réserve de tout droit de réclamer une indemnité supplémentaire. Ainsi, au début de l'instruction de la présente action, la défenderesse avait déjà versé aux demanderesses 1 520 000 $ au total.

QUESTIONS EN LITIGE

     La présente affaire soulève les questions suivantes :

     1.      La valeur des cinquante lots invendus le 2 mai 1989. En sous-question, la question de savoir s'il était possible d'aménager six de ces cinquante lots, plus particulièrement les lots 14-29, 14-30, 14-47, 14-48, 14-58 et 14-67 est contestée. La défenderesse soutient que ces lots ne pouvaient être aménagés parce qu'ils ne pouvaient être dotés d'aucune installation septique.
         Les parties ne s'entendent pas non plus sur la valeur du lot 14-57, qui ne peut être aménagé parce qu'il n'a aucun accès à une voie publique. L'expert des demanderesse, M. Gaëtan Roy, estime que ce lot vaut 20 000,00 $, tandis que l'expert de la défenderesse, M. Ron Juteau, lui attribue une valeur de 5 000,00 $.
     2.      L'importance des coûts qu'il aurait fallu engager pour mener à terme le projet de lotissement ("les coûts d'aménagement").
     3.      Le profit du promoteur, c'est-à-dire le montant qu'un acheteur consentant, en l'espèce un promoteur, aurait déduit de son offre d'achat des cinquante lots pour tenir compte des risques auxquels il pouvait s'exposer au moment de l'achat.
         Cette question se pose parce que l'expert des demanderesses prétend que, n'eût été la menace d'expropriation, les cinquante lots auraient été vendus le 2 mai 1989. Pour sa part, la défenderesse soutient que, dans le meilleur des cas, les cinquante lots n'auraient pas été vendus le 2 mai 1989. En outre, elle prétend que M. Roy ne peut pas faire des suppositions quant aux ventes qui se seraient concrétisées en l'absence de menace d'expropriation, parce que la Loi ne le permet pas : celle-ci prévoit clairement que la valeur des lots invendus doit être appréciée à la date de l'avis de confirmation d'une intention d'exproprier, c'est-à-dire le 2 mai 1989.
         Comme il estimait que tous les lots auraient été vendus le 2 mai 1989, M. Roy a conclu qu'il n'avait aucun motif de déduire un montant quelconque pour le profit du promoteur. M. Juteau, pour la défenderesse, a déduit un montant correspondant à 15 % de la valeur marchande brute des lots pour le profit du promoteur.

LA LOI

     Les dispositions de la Loi qui s'appliquent au présent litige sont les suivantes :

         5. (1) Chaque fois que, de l'avis du ministre, la Couronne a besoin d'un droit réel immobilier pour un ouvrage public ou pour une autre fin d'intérêt public, le ministre peut demander au procureur général du Canada d'enregistrer un avis d'intention d'exproprier ce droit, signé par le ministre, et qui, à la fois :                 
             a) décrit le bien-fonds;                 
             b) précise la nature du droit dont l'expropriation est proposée et détermine si ce droit sera assujetti à un droit préexistant sur le bien-fonds;                 
             c) indique l'ouvrage public ou autre fin d'intérêt public pour lequel ou laquelle ce droit est requis;                 
             d) déclare que la Couronne a l'intention d'exproprier le droit.                 
         (2) Lorsqu'il reçoit du ministre une demande d'enregistrement d'un avis d'intention mentionné au présent article, le procureur général du Canada fait enregistrer, au bureau du registrateur du comté, du district ou de la division d'enregistrement où se trouve le bien-fonds, cet avis ainsi qu'un plan du bien-fonds visé par l'avis, et, après avoir fait faire les enquêtes et recherches qu'il juge nécessaires ou souhaitables sur le titre du bien-fonds, il fournit au ministre un rapport indiquant les noms et dernières adresses connues, le cas échéant, des personnes qui paraissent y avoir un droit réel immobilier, dans la mesure où il lui a été possible d'en connaître l'existence.                 
         11. (1) Si un avis d'intention a été donné, le ministre peut :                 
             a) soit confirmer l'intention de la manière prévue à l'article 14 si :                 
                 (i) aucune opposition ne lui est faite en vertu de l'article 9 dans le délai de trente jours mentionné dans cet article,                 
                 (ii) une opposition lui a été faite en vertu de l'article 9 dans le délai de trente jours mentionné dans cet article, après avoir reçu et examiné le rapport d'un enquêteur nommé pour tenir une audience publique à ce sujet,                 
                 (iii) la déclaration prévue au paragraphe 10(11) a été incluse dans l'avis d'intention, qu'une opposition lui ait été faite ou non en vertu de l'article 9; [...]                 
         14. (1) Le ministre peut confirmer une intention d'exproprier un droit réel immobilier visé par un avis d'intention, ou un droit plus restreint y afférent, en demandant au procureur général du Canada d'enregistrer un avis de confirmation, signé par le ministre, contenant :                 
             a) si le droit exproprié est le même que le droit visé par l'avis d'intention, une déclaration que l'intention d'exproprier ce droit est confirmée;                 
             b) si le droit exproprié est un droit plus restreint que celui visé par l'avis d'intention, une déclaration portant que l'intention d'exproprier le droit visé par l'avis d'intention est confirmée, avec les réserves expressément spécifiées dans la déclaration.                 
         (2) En recevant du ministre une demande d'enregistrer un avis de confirmation mentionné au présent article, le procureur général du Canada fait enregistrer cet avis au bureau du registrateur où l'avis d'intention a été enregistré, et si le bien-fonds visé par l'avis de confirmation est plus restreint en superficie que celui visé dans l'avis d'intention, il fait enregistrer avec l'avis de confirmation un plan révisé du bien-fonds visé par ce dernier avis.                 
         15. Après l'enregistrement d'un avis de confirmation :                 
             a) le droit dont l'expropriation est confirmée devient absolument dévolu à la Couronne;                 
             b) tout autre droit est, vis-à-vis de la Couronne ou de toute personne réclamant par son intermédiaire ou sous son autorité, perdu dans la mesure où ce droit est incompatible avec le droit dont l'expropriation est confirmée.                 
         16. (1) Lorsqu'un avis de confirmation a été enregistré, le ministre :                 
             a) immédiatement après l'enregistrement de l'avis, fait envoyer une copie de celui-ci à chacune des personnes qui paraissent avoir un droit sur le bien-fonds, dans la mesure où il a été possible au procureur général du Canada d'en connaître l'existence, et à toute autre personne qui a signifié une opposition au ministre en vertu de l'article 9; [...]                 
         25. (1) Une indemnité est payée par la Couronne à chaque personne qui, immédiatement avant l'enregistrement d'un avis de confirmation, était le titulaire d'un droit réel immobilier sur le bien-fonds visé par l'avis, jusqu'à concurrence de son droit exproprié; le montant de cette indemnité est égal à l'ensemble des sommes suivantes :                 
             a) la valeur du droit exproprié à la date de sa prise de possession;                 
             b) le montant de la diminution de valeur de ce qui reste au titulaire, déterminé ainsi que le prévoit l'article 27.                 
         (2) Pour l'application du présent article et des articles 26 et 27, le moment de la prise de possession d'un droit exproprié est :                 
             a) lorsqu'un choix a été fait en vertu du paragraphe (3) par le titulaire de ce droit, le moment spécifié par lui dans son choix;                 
             b) dans tout autre cas, le moment où l'avis de confirmation a été enregistré.                 
         26. (1) Les règles qu'énonce le présent article s'appliquent à la détermination de la valeur d'un droit exproprié.                 
         (2) Sous réserve des autres dispositions du présent article, la valeur d'un droit exproprié est la valeur marchande de ce droit, c'est-à-dire le montant qui aurait été payé pour ce droit si, à la date de la prise de possession, il avait été vendu sur le marché libre par un vendeur consentant à un acheteur consentant.                 
         (11) En déterminant la valeur d'un droit exproprié, il n'est tenu aucun compte :                 
             a) de tout usage que la Couronne envisage de faire ou fait réellement du bien-fonds après l'expropriation;                 
             b) de toute valeur établie ou prétendue établie par une opération ou un contrat comportant la vente, le louage ou toute autre aliénation du droit ou de partie de ce droit, ou par référence à ceux-ci, lorsque cette opération ou ce contrat a été passé après l'enregistrement de l'avis de l'intention d'exproprier;                 
             c) de toute augmentation ou diminution de la valeur du droit résultant de la prévision d'une expropriation par la Couronne ou d'une connaissance ou prévision, avant l'expropriation, de l'ouvrage public ou autre fin d'intérêt public pour lequel le droit a été exproprié;                 
             d) de toute augmentation de la valeur du droit résultant de son usage en contravention avec la loi.                 
         31. (1) Sous réserve de l'article 30 :                 
             a) une personne qui peut prétendre à une indemnité pour un droit exproprié peut :                 
                 (i) après l'enregistrement de l'avis de confirmation, si elle n'a accepté aucune offre faite en vertu de l'article 16,                 
                 (ii) dans un délai d'un an à compter de l'acceptation de l'offre, dans tout autre cas,                 
             engager des procédures devant le tribunal par voie d'exposé de la demande pour le recouvrement du montant de l'indemnité à laquelle elle a alors droit; [...]                 
         36. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article.                 
         "date de la possession" Le jour où la Couronne a obtenu le droit de prendre matériellement possession ou de faire usage du bien-fonds visé par l'avis de confirmation.                 
         "date de l'offre" Le jour où une offre a été acceptée.                 
         "indemnité" Le montant de l'indemnité allouée par le tribunal, en vertu de la présent partie, pour un droit exproprié.                 
         "offre" Offre faite en vertu de l'article 16.                 
         "taux de base" Taux, déterminé de la manière prescrite par un décret pris par le gouverneur en conseil pour l'application du présent article; il n'est pas inférieur au rendement moyen des bons du Trésor du gouvernement du Canada, déterminé de la manière prescrite par ce décret.                 
         (2) Un intérêt est payable par la Couronne, au taux de base, sur l'indemnité, depuis la date de la possession jusqu'à la date du prononcé du jugement, sauf lorsqu'une offre a été acceptée.                 
         (3) Lorsqu'une offre a été acceptée, un intérêt est payable par la Couronne depuis la date de l'offre jusqu'à la date du prononcé du jugement :                 
             a) au taux de base, sur le montant par lequel l'indemnité dépasse le montant de l'offre;                 
             b) par surcroît, au taux de cinq pour cent l'an sur l'indemnité, si le montant de l'offre est inférieur à quatre-vingt-dix pour cent de l'indemnité.                 
         Lorsqu'une offre a été acceptée après la date de la possession, l'intérêt est payable sur l'indemnité, au taux de base, depuis la date de la possession jusqu'à la date de l'offre.                 
         (4) Lorsqu'une offre n'est faite qu'après l'expiration de la période applicable qu'indique l'alinéa 16(1)b) pour faire une telle offre, un intérêts est payable par la Couronne sur l'indemnité, au taux de cinq pour cent l'an, en plus de tout intérêt payable en vertu des paragraphes (2) ou (3), depuis l'expiration de cette période jusqu'à la date où une offre est faite.                 
         (5) Lorsque le tribunal est d'avis qu'un retard apporté à la détermination finale de l'indemnité est attribuable, en tout ou en partie, à une personne qui a droit à cette indemnité, ou que cette personne a omis de transmettre la possession dans un délai raisonnable après une demande formelle, le tribunal peut refuser de lui allouer des intérêts pour tout ou partie d'une période pour laquelle elle aurait autrement eu droit à des intérêts, sauf que le tribunal ne peut refuser de les allouer du seul fait qu'une offre faite à cette personne n'a pas été acceptée.                 
         39. (1) Sous réserve du paragraphe (2), les frais des procédures devant le tribunal en vertu de la présente partie et les frais accessoires à ces procédures, sont laissés à la discrétion du tribunal ou, dans le cas de procédures devant un juge du tribunal ou un juge de la cour supérieure d'une province, à la discrétion de ce juge. Le tribunal ou le juge peuvent ordonner, qu'en tout ou en partie, ces frais soient acquittés par la Couronne ou par une partie à ces procédures.                 
         (2) Lorsque le montant de l'indemnité allouée en vertu de la présente partie, à une partie à des procédures devant le tribunal en vertu des articles 31 et 32, pour un droit exproprié, ne dépasse pas le montant total de toute offre faite à cette partie en vertu de l'article 16 et de toute offre subséquente à elle faite pour ce droit avant le début de l'instruction des procédures, le tribunal ordonne, sauf s'il conclut que le montant de l'indemnité réclamée par cette partie dans les procédures était déraisonnable, que la totalité des frais des procédures et des frais accessoires encourus par cette partie soit payée par la Couronne, et lorsque le montant de l'indemnité ainsi allouée à cette partie dépasse ce montant total, le tribunal ordonne que la totalité des frais des procédures et des frais accessoires encourus par cette partie, y compris les frais extrajudiciaires que le tribunal détermine, soit payée à cette partie par la Couronne.                 

ANALYSE

     Comme les demanderesses et la défenderesse s'appuient dans une large mesure sur la preuve produite par les experts en évaluation, plus précisément M. Gaëtan Roy, pour les demanderesses, et M. Ron Juteau, pour la défenderesse, l'analyse des questions en litige commencera par la présentation d'un résumé de leur témoignage respectif.

     Les deux experts conviennent que, dans les circonstances du présent cas, la meilleure méthode pour apprécier la valeur des lots invendus est la "méthode du lotissement". Voici comment l'auteur Eric C.E. Todd explique cette méthode aux pages 218 à 220 de son ouvrage intitulé The Law of Expropriation and Compensation in Canada , 2e éd., Carswell, Toronto, 1992, :

             [TRADUCTION] Dans certaines circonstances spéciales, la valeur marchande d'un bien-fonds peut être établie au moyen de la méthode du lotissement, qui est une version modifiée de la technique de parité. Il ne s'agit pas d'une technique d'évaluation d'application générale.                 
             Cette méthode peut se décrire très simplement : il faut faire une projection du nombre possible de lots futurs; on évalue le prix de vente des lots viabilisés, on multiplie ensuite ce prix par le nombre possible de lots dans le lotissement; on calcule les coûts requis pour aménager et viabiliser les lots et on les soustrait des recettes brutes qu'il est possible de tirer de la vente des lots. Il faut ensuite déduire un pourcentage pour les profits futurs. Le résultat vise à représenter la valeur actualisée à la date de l'expropriation.                 
             Pour utiliser cette méthode, il faut réunir un grand nombre de données, dont un plan de lotissement, qui indique le nombre, les dimensions et le type de lots qui seront découpés à partir de cette superficie brute, des données sur le marché, qui permettront d'évaluer la valeur marchande des lots, une estimation des coûts d'aménagement directs et indirects, une estimation du profit et des frais généraux du promoteur, une estimation de l'absorption et la déduction pour les risques.                 
             Les cours et les tribunaux sont habituellement réticents à s'appuyer sur la méthode du lotissement, et ce, pour deux raisons. Premièrement, à moins qu'un projet de lotissement n'ait déjà été officiellement approuvé, il existe toujours une certaine incertitude quant à sa réalisation et aux conditions dans lesquelles celle-ci se fera. Dans un tel cas, [...][c]'est faire hypothèse sur hypothèse que de chercher à indemniser un propriétaire exproprié en fonction de ventes possibles à long terme aux prix estimatifs actuels de lots qui seront théoriquement découpés à partir de la superficie après l'expropriation, mais comme si aucune expropriation n'avait eu lieu [...]                 
             Deuxièmement, cette méthode est reconnue pour être sensible aux variations en ce sens qu'un changement relativement mineur, dans le coût des services par exemple, peut donner un chiffre qui au bout du compte peut influencer sensiblement la valeur résiduelle. "Comme l'illustrent, en l'espèce, les variations et les permutations de tous les chiffres, une erreur de plume semble coûter des milliers de dollars, aussi faut-il faire preuve de vigilance." Invariablement, l'une ou plusieurs des raisons qui suivent sont invoquées pour rejeter cette méthode et lui en préférer d'autres aux fins de l'estimation de la valeur marchande.                 

     À la page 15 de son rapport, M. Juteau résume la méthode du lotissement de la manière suivante :

         [TRADUCTION]
         1.      On estime la valeur marchande brute des terrains lotis à partir d'une comparaison faite avec des ventes de lots comparables. Lorsque le projet de plan de lotissement a été approuvé ou lorsque l'approbation finale a été obtenue, on utilise le nombre de lots indiqué sur le plan.                 
         2.      Ensuite, il faut déduire les coûts d'aménagement. Ces coûts se composent tant des coûts essentiels (routes, services, ingénierie, arpentage), que des coûts accessoires (financement, taxes foncières, frais juridiques, etc.).                 
         3.      Il faut déduire un montant pour le profit du promoteur, et ce, sous forme de pourcentage du prix de vente brut.                 
         4.      La valeur obtenue représente la valeur du terrain en friche à la date réelle d'évaluation.                 

     M. Roy, à la p. 31 de son rapport, donne sa propre explication de la méthode du lotissement :

         [TRADUCTION] Pour apprécier la valeur marchande de la composante résidentielle du bien-fonds en question, il y a lieu d'appliquer la méthode du lotissement, celle-ci étant la plus fiable lorsque toutes les composantes essentielles sont établies. Des recherches ont été menées afin de faire une analyse comparative des ventes de terrains vacants ayant un potentiel d'aménagement imminent, mais, compte tenu de la situation et du moment choisi pour le projet d'aménagement, aucune vente comparable reflétant un potentiel similaire n'a pu être trouvée.                 
         Pour établir l'estimation de la valeur au moyen de la méthode du lotissement, il faut d'abord établir la valeur brute des lots à aménager. Une fois cette valeur déterminée, à partir d'une étude du marché des ventes de terrains résidentiels, il faut déduire tous les coûts imputables à leur aménagement. Ces coûts comprennent les frais de viabilisation, les frais d'urbanisme et d'ingénierie, les frais d'arpentage, les frais juridiques et les honoraires immobiliers, les taxes foncières, les redevances municipales, les droits d'aménagement et le financement provisoire, de même qu'une somme à déduire pour le profit du promoteur. Tous ces frais, toutefois, doivent être établis pour un délai raisonnable, connu sous le nom de délai d'absorption, qui est basé sur la capacité prévue du marché d'absorber les terrains viabilisés. Le chiffre net qui reste représente la valeur marchande actualisée du terrain en friche, non aménagé, dans son état actuel ou, en l'espèce, la valeur nette des cinquante lots.                 

     Comme M. Juteau l'explique au point 1 de son résumé, la valeur marchande brute des lots est établie à l'aide d'[TRADUCTION] "une comparaison faite avec des ventes de lots comparables". Cette méthode est connue sous le nom de technique de parité. Aux pages 181 et 182 de son ouvrage intitulé Expropriation and Compensation , Eric Todd explique cette méthode de la façon suivante :

         [TRADUCTION] Les cours et les tribunaux préfèrent la technique de parité. En général, les autres méthodes sont plus compliquées et font appel à une plus grande utilisation de facteurs discrétionnaires susceptibles de nuire à la fiabilité de l'évaluation obtenue.                 
             La technique de parité compare le bien en question aux données du marché, notamment aux prix de vente de biens comparables. De cette comparaison, et après avoir apporté les "rajustements" nécessaires, l'évaluateur tire une conclusion sur le prix, ou sur une fourchette de prix, auquel le bien en question aurait pu être vendu, s'il avait été à vendre, à la date de l'expropriation.                 
             Toutefois, bien que cette technique soit apparemment d'une plus grande simplicité, il importe d'en reconnaître les limites. D'abord, il est évident qu'on ne peut y faire appel que s'il existe des données du marché sur lesquelles on peut se fier. Elle est inutilisable en l'absence de ventes de biens comparables ou en présence de ventes isolées seulement; on ne peut s"en servir non plus si le bien en question est d'un genre qui n'est pas habituellement acheté ni vendu ou si, en raison de circonstances exceptionnelles, il n'a aucune valeur marchande.                 
             Deuxièmement, cette technique exige que les prix de vente des biens comparables ou le prix de vente estimatif du bien en question, ou les deux, ont été ou auraient été obtenus par suite de négociations entre un acheteur et un vendeur indépendants, avertis et consentants, sans que ni l'un ni l'autre n'ait été soumis à une forme quelconque de contrainte.                 
             Troisièmement, même lorsque les immeubles comparables ressemblent beaucoup au bien à évaluer, il faut habituellement que l'évaluateur procède à des "rajustements".                 
             Les données utilisées dans la technique de parité se rapportent soit au bien à évaluer lui-même, soit aux autres immeubles qui sont considérés comme comparables à ce bien. Même s'il y a un certain chevauchement entre ces deux catégories de données, il convient de les examiner séparément.                 

     M. Roy, lui aussi, explique minutieusement cette technique à la page 33 de son rapport. Il indique :

         [TRADUCTION] [C]'est la technique préférée d'évaluation de l'emplacement parce qu'elle reflète les réactions typiques du marché. Elle nécessite la collecte, la consignation et la comparaison de données sur des ventes de biens-fonds similaires qui ont eu lieu vers l'époque de la date de l'évaluation et qui se sont déroulées dans des circonstances comparables. Au moyen de rajustements apportés pour traduire les différences entre une vente comparable et le bien en question, chaque vente comparable sert d'indication de la valeur de l'emplacement à évaluer. Lorsque l'on trouve un assez grand nombre de ventes fortement comparables pour cette époque, on obtient, après avoir procédé aux rajustements, une fourchette limitée de valeurs pour l'emplacement en question. Lorsqu'il faut apporter un nombre excessif de rajustements en raison des différences plus marquées entre les immeubles comparables et l'emplacement à évaluer, on peut obtenir une fourchette de valeurs plus étendue. Dans ce cas, il faut accorder plus d'importance aux ventes qui requièrent le moins de rajustements possible. Cette méthode d'évaluation de l'emplacement est celle qui est la mieux comprise des gens en général et la préférée des tribunaux.                 
         En procédant aux comparaisons, il faut apporter des rajustements pour traduire les différences observées entre les immeubles comparables et le bien à évaluer. Le premier rajustement est toujours en fonction du temps, pour amener les ventes aux cours du marché. Ce rajustement se base sur l'état du marché foncier pendant un certain temps.                 
         Le deuxième rajustement vise les différences de situation et tient compte des facteurs externes touchant les immeubles comparables par rapport au bien en question. Il peut s'agir de l'influence du voisinage, de la circulation, du quadrilatère, de l'exposition de l'emplacement au sud, de la proximité de pistes de ski de randonnée, de la vue sur un étang ou un lac, de la vue sur des montagnes, de la vue sur le lever ou le coucher du soleil et du fait qu'il s'agisse d'un coin ou d'une rue sans issue.                 
         Le troisième rajustement porte sur les caractéristiques physiques. Cet élément reflète les différences de dimension (superficie, façade, forme, largeur), de topographie (pentes, écoulement des eaux de ruissellement, emplacement d'un édifice sur le terrain), les conditions du sol et du sous-sol (les possibilités d'aménagement paysager, le drainage des fosses septiques, la capacité portante du sol, les plantations existantes, le remplissage requis).                 

     Comme il a été indiqué au début de la présente partie, MM. Roy et Juteau conviennent de la méthode à appliquer pour établir la valeur marchande du lotissement. Toutefois, malgré leur consensus sur la "méthode", ces experts n'arrivent pas à la même conclusion sur la valeur finale des cinquante lots.

L'évaluation de M. Roy

         Les demanderesses ont retenu les services de M. Gaëtan Roy, de la firme Pigeon-Roy Évaluation Ltée, pour évaluer les cinquante lots encore invendus le 2 mai 1989. Dans une lettre datée du 29 septembre 1994 et adressée aux procureurs des demanderesses, M. Roy indique qu'à son avis la valeur marchande des cinquante lots est de 3 575 000,00 $. Pendant son témoignage à l'instruction, il a modifié plusieurs de ses chiffres. Par suite de ces modifications, à la fin de l'instruction, il était d'avis que la valeur marchande des cinquante lots était de 3 383 980,00 $. Il justifie ce chiffre de la manière suivante.

     M. Roy a commencé par choisir un certain nombre de ventes comparables. En procédant à cette sélection, il a éliminé les ventes de biens-fonds qui n'étaient pas situés dans le parc de la Gatineau. Finalement, il a retenu dix ventes, toutes de lots situés dans la municipalité de Kingsmere, qui ont eu lieu entre le 3 octobre 1977 et le 8 mars 19893. D'après ce que la Cour a cru comprendre de son rapport et de l'ensemble de son témoignage, M. Roy n'a pas retenu de ventes faites dans le parc de la Gatineau autres que celles des lots du secteur de Kingsmere et, par conséquent, il n'a pas tenu compte, à des fins de comparaison, des ventes de terrains du lotissement en cause qui ont eu lieu entre le 1er septembre et le 22 décembre 1988, date à laquelle la CCN a enregistré l'avis d'intention d'exproprier.

     Ensuite, M. Roy a examiné les dix ventes et a conclu qu'entre octobre 1977 et mars 1989, l'augmentation annuelle moyenne des prix avait été de 26 %, soit 2,1 % par mois, pourcentage qu'il a arrondi à 2 % par mois. Il a expliqué que cette augmentation mensuelle de 2 % de la valeur était légèrement supérieure à l'augmentation de la valeur connue pendant cette période à Hull-Ouest, où le pourcentage d'augmentation a été de 1,6 % par mois. Il a utilisé le pourcentage de 2 % pour apporter aux ventes nos 4, 5, 6, 8, 9 et 10 un rajustement en fonction du temps. Les chiffres qu'il a obtenus sont : 76 000,00 $ pour la vente no 4, 73 000,00 $ pour la vente no 5, 73 000,00 $ pour la vente no 6, 94 000,00 $ pour la vente no 8, 87 000,00 $ pour la vente no 9 et 93 500 $ pour la vente no 104. Ensuite, il a décidé d'utiliser la vente no 8 comme "vente comparable". Pourquoi a-t-il choisi cette vente plutôt que la vente no 9? Ce n"est pas tout à fait clair. Il semble que son choix ait reposé sur la date de la conclusion de cette vente, le 26 août 1988, soit à peu près à la même époque où le conseil municipal de Hull-Ouest a approuvé le projet de plan de lotissement des demanderesses. La vente no 8 portait sur un lot de 42 561 pieds carrés situé du côté nord du chemin Barnes, à Kingsmere. Le vendeur, Jeffrey Sugarman, a vendu le bien à Deborah Hines et Stephan Sander pour la somme de 80 500,00 $.

     M. Roy indique ensuite qu'à son avis la situation des lots de Kingsmere est supérieure à celle des terrains du lotissement McInnis/Boudreau. Par conséquent, il a conclu que la valeur d'un lot de premier ordre du lotissement en question est inférieure de 7 % à celle d'un lot comparable de Kingsmere. Ainsi, la valeur d'un terrain de premier ordre de ce lotissement serait de 87 500,00 $, soit la valeur rajustée en fonction du temps de la vente no 8 de Sugarman, 94 000,00 $, moins 7 %. La valeur marchande de tous les lots de premier ordre du lotissement serait donc de 87 500 $, sauf pour le lot 14-33, qui, selon M. Roy, est exceptionnel. Il a évalué ce lot à 95 000,00 $.

     Après avoir établi la valeur marchande des meilleurs lots du lotissement, M. Roy a conçu une méthode qui lui permettrait d'estimer la valeur de l'ensemble des cinquante lots. Pour ce faire, il a inventé une formule de rajustement applicable à chaque lot. Cette formule comporte deux volets : les différences de situation et les caractéristiques physiques. Chaque volet de la formule est lui-même divisé en un certain nombre de postes. Les différences de situation comptent huit points de référence et les caractéristiques physiques en comptent douze.

     À l'aide de sa formule de rajustement, M. Roy a "classé" chaque lot en accordant jusqu'à 5 points par poste du volet "différences de situation" et du volet "caractéristiques physiques". Le maximum de points qu'un lot pouvait obtenir était 100. Tout lot obtenant 90 ou plus constituait, selon lui, un lot de premier ordre et, par conséquent, sa valeur marchande était évaluée à 87 500,00 $. Comme la Cour l'a indiqué, le lot 14-33 était une exception.

     Pour classer ses lots, M. Roy est allé inspecter chacun d"eux et a rencontré et interrogé un certain nombre d'acquéreurs de lots individuels vendus par les demanderesses. Il a également rencontré et interrogé Carl McInnis et Gérald Boudreau. La valeur marchande des lots qui obtenaient moins de 90 points était rajustée vers le bas. Par exemple, le lot 14-36 a obtenu 84 points et sa valeur a été fixée à 81 600,00 $. Le lot 14-38 a obtenu 78 points et sa valeur a été estimée à 75 900,00 $. Le seul lot exempté de l'application de cette formule, outre le lot 14-33, a été le lot 14-57, qui n'avait aucune façade donnant sur une voie publique. M. Roy a évalué ce lot à 20 000 $.

     Ayant conclu que les meilleurs terrains du lotissement correspondaient (réduits de 7 %) aux terrains comparables de Kingsmere, M. Roy n'a pas cherché à comparer les caractéristiques physiques ou les différences de situation des lots de Kingsmere avec ceux du lotissement. À titre d'exemple, il n'a pas "comparé" le lot de Kingsmere qui a fait l'objet de sa vente no 8 avec un des terrains du lotissement qui, à son avis, constituaient des lots de premier ordre. Il a arbitrairement choisi le total de 90 comme point à partir duquel un lot est considéré comme étant de premier ordre et, en fait, n'a pas attribué de points aux lots de Kingsmere.

     Après avoir évalué chacun des cinquante lots, M. Roy est arrivé à une valeur, avant dépenses, de 3 856 501,00 $, qui se répartit comme suit : 3 725 269,00 $ correspondant à la valeur brute des lots invendus, et de 131 232,00 $ représentant l'excédent des intérêts sur les frais de financement provisoires. Ensuite, il a soustrait de ce montant de 3 856 501,00 $ les dépenses que les demanderesses auraient dû supporter pour terminer le lotissement. Les renseignements dont il disposait l'ont amené à conclure que celles-ci auraient engagé des dépenses additionnelles de 472 521,00 $. Il a déduit ce montant des 3 856 501,00 $ représentant la valeur brute des lots et a obtenu une valeur nette de 3 383 980,00 $, qu'il a arrondie à 3 400 000,00 $.

     Il convient de signaler que M. Roy et M. Juteau ne s'entendent pas sur les coûts requis pour mener à terme l'aménagement du lotissement. Par exemple, leurs chiffres quant aux coûts de construction du chemin d'accès et des rues sont sensiblement différents. Cette divergence d'opinion est le résultat des avis différents que leur ont donnés les ingénieurs professionnels dont ils ont retenu les services.

     MM. Roy et Juteau ne sont pas non plus du même avis au sujet de ce que l'on a appelé le profit et les frais généraux du promoteur. La Cour a déjà fait allusion à cette divergence d'opinion en énumérant les questions à trancher. Ce désaccord vient de ce que M. Roy a conclu que les cinquante lots auraient été vendus le 2 mai 1989. D'après ce scénario, il n'y a aucune raison de tenir compte d'un profit quelconque du promoteur. D'un autre côté, selon le scénario de M. Juteau, il faut tenir compte de cet élément, car il y avait cinquante lots à vendre le 2 mai 1989. M. Juteau s'appuie à cet égard sur le paragraphe 26(2) de la Loi.

     Les deux parties conviennent que, si la Cour n'accepte pas le scénario de M. Roy, qui présume que tous les lots auraient été vendus le 2 mai 1989, l'acheteur consentant mentionné au paragraphe 26(2) de la Loi doit alors nécessairement être un acheteur unique et non cinquante acheteurs individuels. Les parties conviennent également que l'acheteur consentant doit nécessairement être un promoteur qui acquiert les cinquante lots, avec le chemin d'accès, les rues et les zones de parc, en vue de terminer le lotissement et de vendre les lots au grand public.

     Selon M. Juteau, le promoteur aurait nécessairement réduit le prix d'achat du lotissement d'un certain pourcentage pour tenir compte d'un profit quelconque et d'un certain nombre de risques auxquels il était susceptible de s'exposer en acquérant le lotissement. Il estime qu'une réduction de 15 % à ce titre est un pourcentage qui convient aux circonstances. Les demanderesses ne contestent pas le raisonnement de M. Juteau si la Cour accepte sa prémisse sous-jacente, à savoir que, le 2 mai 1989, cinquante lots auraient été à vendre. Toutefois, elles n'acceptent pas la réduction de 15 %. Elles prétendent qu'une réduction de 7,5 % est plus appropriée puisqu'il y avait très peu de risques à acheter le lotissement aux demanderesses.

Le rapport Juteau

     Dans une lettre du 31 janvier 1995 adressée au ministère de la Justice, M. Ron Juteau, président de la firme Juteau Johnson Comba Inc., évaluateurs et consultants immobiliers, indique qu'à son avis la valeur marchande des cinquante terrains invendus du lotissement était, le 2 mai 1989, de 1 520 726,00 $. Dans une lettre du 2 juin 1996 (pièce D-30), M. Juteau modifie, pour des motifs qui seront abordés plus loin, le chiffre susmentionné et le fait passer à 1 500 524,00 $.

     M. Juteau convient avec M. Roy que les terrains du lotissement étaient très intéressants et qu'ils fournissaient un accès facile aux villes de Hull et d'Ottawa. Selon l'explication qu'il donne de la méthode du lotissement, la première étape consiste à estimer la valeur des lots pour obtenir la valeur marchande brute. Pour y parvenir, M. Juteau, comme M. Roy, a évalué les lots au moyen de la technique de parité. Il expose ainsi sa conception de cette technique :

         [TRADUCTION] Chaque lot est comparé à d'autres lots et les prix de vente d'immeubles comparables sont rajustés pour tenir compte des différences qui existent par rapport au lot à évaluer.                 

     En cherchant des immeubles comparables, M. Juteau a examiné six ventes conclues en 1988 et 1989, dans Skyridge et Kingsmere, deux zones résidentielles du parc de la Gatineau. Après avoir minutieusement étudié les trois ventes de Skyridge, il a décidé de les éliminer parce que, selon lui, il s'agissait d'un secteur [TRADUCTION] "hétérogène". De plus, il a estimé que l'accès à ce lotissement, dans un sens ou dans l'autre, était moins bon que celui du lotissement en cause et que le niveau d'imposition de la ville d'Aylmer, où il se situe, était plus élevé que celui de Hull-Ouest.

     M. Juteau a éliminé aussi Kingsmere comme zone comparable bien qu'il soit d'accord avec M. Roy pour dire qu'il s'agit du secteur le plus prestigieux du parc de la Gatineau. Il mentionne dans son rapport avoir entendu des personnes décrire Kingsmere comme "la crème de la crème". Selon lui, les prix y sont plus élevés parce qu'il y a toujours eu très peu de terrains à vendre dans ce secteur. Ensuite, il a décidé que les meilleurs immeubles comparables étaient les terrains du lotissement qui avaient été vendus par les demanderesses avant le 2 mai 1989. Il explique son raisonnement de la manière suivante aux pages 27 et 28 de son rapport :

         [TRADUCTION] Il ne fait aucun doute que les meilleures ventes comparables sont celles des terrains situés dans le même lotissement que le lot à évaluer. Ces lots bénéficient des mêmes caractéristiques générales quant à la situation, on y aurait construit des bâtiments qui auraient respecté les mêmes normes minimales et ils auraient apparemment attiré le même segment du marché.                 
         Tous les propriétaires de terrain dans le lotissement en question auraient aussi été assujettis aux mêmes restrictions contractuelles et auraient eu à payer les coûts associés à l'entretien des routes jusqu'au transfert de cette responsabilité à la municipalité. Le moment de ce transfert était incertain. Les propriétaires de terrains situés à l'extérieur du lotissement, dans le secteur de Kingsmere ou du lac Meech, ne sont pas assujettis à de telles restrictions contractuelles et ne sont pas obligés de payer pour l'entretien d'un chemin privé.                 
         Il est particulièrement avantageux d'avoir recours à des ventes comparables situées à l'intérieur d'un même lotissement pour estimer la valeur marchande d'un lot parce qu'il n'est pas nécessaire d'apporter des rajustements pour la situation globale. Les rajustements de ce genre sont habituellement difficiles à quantifier et très subjectifs, ce qui réduit la précision de l'évaluation. Toutefois, il importe de noter que, dans les limites du lotissement, les caractéristiques et les particularités de chaque lot varient considérablement. Il faut donc tenir compte de ces différences, de même que de la situation relative du terrain dans le lotissement.                 
         À première vue, il semblait évident que les ventes de Skyridge constituaient des ventes comparables, susceptibles de servir de fondement pour une évaluation du bien en cause. Il s'agit là aussi d'un lotissement résidentiel, ce lotissement présente des particularités topographiques relativement comparables au lotissement en question, surtout dans sa partie nord, et il se trouve dans le parc de la Gatineau, à une faible distance du lac Pink, comme le lotissement en cause. Toutefois, après avoir discuté avec des agents immobiliers et d'autres personnes qui ont fait des offres d'achat pour les lots situés dans La Grande Corniche du Parc et qui connaissent bien Skyridge, j'ai constaté que beaucoup estiment que le mélange disparate de constructions résidentielles de Skyridge est un désavantage. De même, le chemin d'accès à forte pente qui y conduit, le moins bon accès à la ville d'Ottawa et les taxes foncières considérablement plus élevées sont tous d'autres désavantages de ce lotissement. Quantifier ces différences est très subjectif en l'absence de données du marché sur lesquelles s'appuyer. Il ne faut pas oublier non plus que ces ventes ont été conclues après la date de l'expropriation et que les détails les concernant ne peuvent être obtenus que grâce à un examen rétrospectif. Il reste que ce lotissement a servi de solution de rechange aux acheteurs de "La Grand [sic] Corniche du Parc", comme en témoigne les acheteurs du lot 41 de Skyridge qui avaient auparavant acheté le lot 56 du lotissement en cause.                 
         Bien que du point de vue de leurs attributs physiques, les lots de Kingsmere vendus en 1988 et 1989 soient comparables à ceux du bien en cause (ils sont tous d'environ un acre, boisés et situés dans le parc de la Gatineau), à d'autres égards, ils sont fort différents de ceux-ci. L'une des principales différences vient du caractère général de Kingsmere, une enclave résidentielle très stable et très fermée, qui, en outre, est située à proximité d'un lac. De plus, comparer la vente d'un lot découpé dans un district convoité où les lots sont très rarement mis en vente (il n'y a eu que les deux ventes Sugarman au cours des deux dernières années et demie) à un terrain situé dans un nouveau lotissement, qui en compte 72, avec encore des douzaines de terrains à vendre, serait, au mieux, une comparaison boîteuse. Par ailleurs, les lots de Kingsmere sont situés sur des chemins publics revêtus qui existent déjà et on peut y entreprendre immédiatement la construction, tandis que c'est un chemin privé qui mène au lotissement en question et les rues ne sont pas encore ouvertes. Ajoutons que l'acte de vente qu'aurait conclu l'acquéreur d'un terrain situé dans le lotissement en cause aurait contenu des restrictions.                 
         Finalement, étant donné les difficultés inhérentes à une tentative de quantification objective des rajustements à apporter pour les différences mentionnées précédemment entre Kingsmere et Skyridge, d'une part, et La Grande Corniche du Parc, d'autre part, et compte tenu du grand nombre de ventes qui ont eu lieu dans le lotissement en question, j'estime qu'on ne peut s'appuyer sur les ventes conclues dans Kingsmere et dans Skyridge pour fournir une estimation fiable et précise de la valeur marchande du bien en cause. Par conséquent, je me suis basé sur les ventes de lots situés dans le lotissement en question, celles-ci représentant manifestement la meilleure preuve pouvant fonder une estimation de la valeur marchande du bien en cause.                 

     Ainsi, après avoir rejeté Skyridge et Kingsmere aux fins de comparaison, M. Juteau a choisi ses comparables parmi les vingt-trois lots vendus entre le 2 septembre et le 19 décembre 1988. Il a écarté les ventes conclues en septembre 1988 parce qu'il les estimaient trop basses. En conséquence, il a retenu onze ventes comme ventes comparables5.

     Les prix de vente des comparables vont de 43 500,00 $, pour le lot 14-46, à 78 500,00 $, pour le lot 14-79. Selon lui, les prix obtenus pour les onze lots traduisent fidèlement le marché de cette époque.

     À la page 26 de son rapport, M. Juteau résume ainsi son examen et son analyse des ventes conclues dans le lotissement :

         [TRADUCTION]

         1-      D"après le grand nombre d'offres d'achat reçues dans un bref délai après le début de la mise en marché du bien et d'après la capacité d'absorption habituelle des lotissements ruraux, il est évident que la demande pour les terrains situés dans le lotissement en cause était très forte.                 
         2-      À en juger aussi par le grand nombre d'offres d'achat reçues peu après le début de la mise en marché et qui ont continué d'affluer après une première vague d'augmentation des prix, il ressort que le prix des lots, au début, n'était pas assez élevé. C'est probablement une des raisons qui expliquent le grand intérêt manifesté pour ce bien.                 
         3-      Le prix moyen des lots vendus n'a pas suivi le prix d'inscription moyen des lots qui restaient à vendre.                 
         4-      Après une courte période de ventes frénétiques, l'intérêt pour le lotissement a commencé à diminuer, comme en témoigne la présentation des offres d'achat, à la suite d'une deuxième vague de hausse spectaculaire des prix, où le prix d'inscription moyen des lots restants est passé de 46 211,00 $ à 64 271,00 $ en deux semaines.                 
         5-      Comme le montrent les longs délais qu'elles ont acceptés pour la clôture de la vente dans le cas de plusieurs offres, les venderesses ne s'attendaient pas à une augmentation sensible de la valeur des lots au cours de l'année suivante puisque les longs délais de clôture entraînent effectivement pour le vendeur la perte d'un revenu additionnel en période de montée rapide des prix.                 
         6-      À l'exception de plusieurs ventes dont les délais de clôture ont été plus longs que la moyenne, les deux seules ventes qui se démarquent sont celles des lots 19 et 79 : ce sont les seules ventes qui ont été financées par les venderesses (sans intérêt pendant plusieurs mois) et le financement que celles-ci ont offert, soit 73 500,00 $ en ce qui concerne le lot 79, représente 94 % du prix d'achat, pourcentage très élevé et très rarement consenti.                 

     M. Juteau a ensuite rajusté les prix de vente des comparables en fonction du temps, de la date d'acceptation des offres d'achat par les demanderesses jusqu'au 2 mars 1989, au taux de 1,5 % par mois. Il justifie son choix de la date du 2 mars plutôt que celle du 2 mai comme date butoir, à la page 35 de son rapport :

         [TRADUCTION] On aurait tort, toutefois, d'appliquer le taux d'augmentation de 1,5 %, de la date d'acceptation de l'offre à la date de l'expropriation, puisque le taux d'augmentation de 1,5 % par mois n'est pas tiré des dates d'acceptation des ventes jumelées, mais de leur date de clôture. Dans le lotissement en question, le délai moyen entre la date d'acceptation et la date de clôture est de cinq mois. Si la date prévue pour la conclusion de sept ventes n'avait pas été avancée, le délai moyen aurait été de 5,6 mois. À mon avis, un délai de deux ou trois mois entre la date d'acceptation et la date de clôture est plus raisonnable et, par conséquent, pour prévoir un délai raisonnable avant la date de l'expropriation, où un transfert de titre se produit, et une date hypothétique, où une offre pour un lot aurait été acceptée par un vendeur, j'ai rajusté à la hausse les ventes d'immeubles comparables de 1,5 % par mois, de la date d'acceptation jusqu'à deux mois avant la date de l'expropriation ou jusqu'au 2 mars 1989.                 

     M. Juteau a aussi apporté un rajustement pour tenir compte du financement des lots 19 et 79. Les acheteurs de ces lots ayant été financés, sans intérêt, par les demanderesses pendant plusieurs mois, il en a conclu simplement qu'ils avaient épargné un montant qui se traduisait dans leur offre d'achat.

     Ainsi, après avoir apporté aux lots 19 et 79 un rajustement en fonction du financement et avoir rajusté ses prix en fonction du temps jusqu'au 2 mars 1989, M. Juteau a estimé la valeur des lots invendus en les comparant à ses comparables. Chacun des cinquante lots invendus a été comparé à un échantillon de sept immeubles comparables. Au cours de ce processus, M. Juteau a rajusté aussi ses comparables en fonction de trois facteurs, plus particulièrement des "caractéristiques physiques", de la "situation" et d'"autres facteurs".

     Les rajustements en fonction des caractéristiques physiques reposent sur une évaluation des cinquante lots faite par l'ingénieur Michel Charron, qui a aussi témoigné comme témoin expert pour le compte de la défenderesse. Pour chaque lot, M. Charron a préparé une feuille qu'il a appelée "fiche individuelle de pointage". Suivant son système, le nombre maximal de points qu'un lot pouvait obtenir était 105. Les six caractéristiques physiques prévues dans sa fiche étaient : 1) la pente/l'écoulement des eaux de ruissellement; 2) la constructibilité du lot; 3) la percolation/l'eau souterraine; 4) la capacité portante du sol; 5) les travaux de déblaiement ou de terrassement requis; 6) les travaux de dynamitage requis.

     Relativement aux rajustements apportés en fonction de la situation, M. Juteau a comparé la situation du lot sous examen avec celle des lots comparables. Sous cette rubrique, il a pris en compte des facteurs comme l'intimité, l'exposition au sud, la vue, la proximité d'un étang, etc. M. Juteau a appelé "autres facteurs" le dernier rajustement apporté. À la page 37 de son rapport, il explique ce rajustement de la manière suivante :

         [TRADUCTION] Les "autres facteurs" constituent un rajustement apporté en fonction du long délai qui s'est écoulé avant la clôture des ventes des lots 62, 46 et 23 et en fonction du niveau de financement élevé que les venderesses ont accordé pour le lot 79. Les longs délais avant la clôture de la vente sont considérés comme avantageux pour les acheteurs. En effet, ces derniers profitent de la majoration de la valeur, de la date de leur acceptation jusqu'à la date de clôture. Dans le cas du lot 79, l'acheteur, avec un versement initial de seulement 5 000 $, peut bénéficier de la hausse des prix excédant les frais de la dette jusqu'au remboursement du prêt hypothécaire accordé par les venderesses. Ainsi, l'acheteur du lot 79 aurait profité, dans un marché à la hausse, de l'effet de levier qu'il a obtenu grâce à un versement initial de 5 000 $ seulement.                 

     Afin de faciliter la compréhension, voici un exemple du système de M. Juteau, appliqué au lot 14-17, dont il a estimé la valeur à 70 000,00 $. Le tableau de rajustements du lot 14-17 est le suivant :


     TABLEAU DE RAJUSTEMENTS

     LOT 17

Vente #1

Vente #2

Vente #3

Vente #4

Vente #5

Vente #6

Vente #7

Numéro du lot

62

79

19

28

22

16

23

Rajustement en fonction du temps

76 775 $

79 464 $

61 619 $

66 719 $

69 921 $

70 413 $

74 713 $

Caractéristiques physiques

--

+ 2 %

--

- 2 %

--

+ 3 %

- 1 %

Situation

- 6 %

- 5 %

--

- 1 %

--

--

--

Autres facteurs

- 4 %

- 5 % à

- 10 %

--

--

--

- 4 %

- 4 %

Valeur rajustée

69 098 $

69 134 $ -

73 107 $

61 619 $

64 717 $

69 921 $

69 709 $

70 977$

VALEUR: 70,000 $

     Le lecteur remarquera que, pour évaluer le lot 14-17, M. Juteau s'est servi de la vente des lots 14-62, 14-79, 14-19, 14-28, 14-22, 14-16 et 14-23 comme ventes comparables. Il a commencé par déterminer le pointage accordé par M. Charron à chacun des comparables et au lot auquel il fallait apporter les rajustements. Ces pointages sont les suivants :

         14-62:      86          14-79:      80                 
         14-19:      90          14-28:      96
         14-22:      87          14-16:      83
         14-23      89          14-17:      90

     On remarquera que, selon M. Juteau, il fallait, d'après le pointage accordé par M. Charron, apporter des rajustements en fonction des caractéristiques physiques entre le lot 14-17 et les lots 14-79, 14-28, 14-16 et 14-23. Ensuite, il a comparé le lot 14-47 à ses sept immeubles comparables en fonction du facteur relatif à la situation.

     Ce que le tableau de rajustements de M. Juteau montre par rapport au lot 14-17 est une comparaison entre ce lot et chaque lot comparable utilisé. Lorsqu'un rajustement, que ce soit pour les caractéristiques physiques, la situation ou pour d'autres facteurs, est à l'avantage du lot 14-17, M. Juteau a inscrit un pourcentage positif sous la rubrique visée. Par exemple, sous la rubrique "caractéristiques physiques", M. Charron a attribué 80 points au lot 14-79 et 90 points au lot 14-17, ce qui fait une différence de dix. M. Juteau a établi qu'une différence de 5 points se traduit généralement par une variation de 1 % dans la colonne visée. Lorsque la différence était égale ou inférieure à quatre, M. Juteau n'apportait aucun rajustement. Ainsi, sous la rubrique "caractéristiques physiques", il a inscrit + 2 % dans la colonne, de manière à indiquer un avantage du lot 14-17, ce qui augmentait la valeur du comparable 14-79. Plus la valeur du comparable était élevée, plus la valeur du lot soumis au rajustement l'était aussi. Inversement, lorsqu'il inscrivait un pourcentage négatif à côté d'un lot comparable, la valeur du comparable s'en trouvait diminuée, ce qui avait un effet négatif sur celle du lot soumis aux rajustements.

     Donc, en comparant le lot 14-17 au lot 14-79, M. Juteau a conclu que la valeur du lot 14-17 était inférieure à la valeur rajustée en fonction du temps du lot 14-79. Selon lui, comparé au lot 14-79, le lot 14-17 avait une valeur se situant entre 69 134,00 $ et 73 107,00 $. M. Juteau s'est livré à cet exercice pour chacun de ses immeubles comparables et, après avoir tenu dûment compte des conclusions tirées pour chacun d'eux, il a conclu que la valeur du lot 14-17 était de 70 000,00 $.

     M. Juteau a procédé de la même manière pour tous les lots invendus, sauf pour le numéro 14-57, auquel, étant donné son absence d'accès à une voie publique, il a attribué une valeur symbolique de 5 000 $. Les autres exceptions sont six lots qu'il a estimés non aménageables parce que, selon l'ingénieur Michel Charron, il était impossible de les équiper d'une installation septique. Il s'agit des lots 14-29, 14-30, 14-47, 14-48, 14-58 et 14-67. M. Juteau a estimé que ces lots avaient une valeur marchande correspondant à 15 % de la valeur qu'ils auraient eue s'il avait été possible de les aménager.

     Dans son rapport initial, M. Juteau estime que la valeur brute des cinquante lots est de 2 810 500,00 $. Toutefois, le 2 juin 1996, il a fait passer ce chiffre à 2 766 150,00 $. Ce nouveau chiffre résulte d'un changement de la valeur attribuée aux lots 14-16, 14-23, 14-46, 14-62 et 14-78. La Cour expliquera, plus loin, pourquoi M. Juteau a apporté ces modifications et précisera si elle les juge valables. Ensuite, M. Juteau a abordé la question du délai d'absorption des lots, c'est-à-dire le temps qu'il faudra pour les vendre. Selon lui, la plus grande partie des cinquante lots auraient été vendus en décembre 1989, tandis que M. Roy estime qu'ils auraient tous été vendus le 2 mai 1989.

     M. Juteau a ensuite étudié les coûts qui auraient été engagés pour terminer l'aménagement du lotissement. Il les a évalués à 1 265 626,00 $. Ce chiffre comprend une somme de 414 900,00 $ incluse sous la rubrique "Profit et frais généraux du promoteur de 15 %". Il faut rappeler que M. Roy n'a rien prévu à ce titre puisqu'il a estimé que tous les lots auraient été vendus le 2 mai 1989, ce qui éliminait la nécessité de tenir compte du risque auquel un acheteur se serait exposé. Aux pages 42 et 43 de son rapport, M. Juteau explique cette question de la manière suivante :

         [TRADUCTION] En mai 1989, tout acheteur du lotissement en question aurait dû engager des frais pour aménager les lots et pour s'exposer aux risques liés à l'absorption de ceux-ci et à leur prix de vente. De plus, la vente des lots non aménageables présentait des risques certains pour le nouvel acquéreur.                 
         Normalement, dans les lotissements, il n'est pas rare qu'un promoteur prévoie un profit et des frais généraux représentant de 15 à 20 % de la valeur marchande brute. Le lotissement qui nous occupe a déjà une histoire qui démontre l'existence d'une forte demande pour les lots et, par conséquent, des risques réduits pour le promoteur. Encore lui faut-il vendre ces cinquante lots et obtenir des prix correspondant aux valeurs estimées par son évaluateur. De plus, le promoteur doit investir des capitaux dans l'aménagement effectif du lotissement et surveiller l'installation de l'infrastructure, la mise en marché des lots et les négociations avec des professionnels et des organismes gouvernementaux.                 
         Eu égard à ces facteurs, j'estime qu'à ce titre un pourcentage se situant à la partie inférieure de la fourchette est raisonnable. Le montant indiqué pour le profit et les frais généraux du promoteur correspondant à 15 % de la valeur brute est donc de 421 575,00 $6.                 

     Soustraction faite des dépenses, M. Juteau a estimé que les demanderesses avaient droit à la somme de 1 500 524,00 $.

     Passons maintenant à la première question.

La valeur des cinquante lots invendus

     La Cour tient à préciser en commençant qu'elle préfère la méthode adoptée par M. Juteau pour établir la valeur marchande des lots invendus. Toutefois, elle ne saurait accepter toutes les conclusions de cet expert. Par conséquent, il faudra nécessairement modifier les valeurs qu'il a obtenues.

     La Cour ne peut souscrire à l'opinion de M. Roy selon laquelle les ventes dans Kingsmere peuvent servir de point de comparaison avec les cinquante lots invendus. Par contre, elle accepte entièrement les motifs invoqués par M. Juteau pour distinguer Kingsmere du lotissement dont il est question en l'espèce. Elle souscrit aux motifs invoqués par cet expert pour conclure que les lots vendus dans La Grande Corniche du Parc, avant l'avis d'intention d'exproprier, constituent les véritables immeubles comparables dans le présent cas.

     Avant d'aller plus loin, il y a lieu de faire quelques remarques sur l'opinion de M. Roy selon laquelle tous les lots auraient été vendus le 2 mai 1989. M. Roy en arrive à cette conclusion parce qu'il était fermement convaincu que, n'eût été la menace d'expropriation, les prix de vente du lotissement auraient continué de grimper [TRADUCTION] "mais à un rythme moins spectaculaire". En conséquence, il était presque certain que les cinquante lots auraient été vendus le 2 mai 1989. Cette conviction a servi d'assise à son autre opinion suivant laquelle, dans les circonstances, il n'était pas nécessaire de prévoir quoi que ce soit pour le profit du promoteur. Si la Cour avait souscrit à sa première conclusion, elle aurait nécessairement adopté son opinion sur la question du profit du promoteur. Malheureusement, dans les circonstances, la Cour ne peut se rallier à aucune de ces conclusions.

     Il est fort probable qu'il y aurait eu d'autres ventes en décembre et au printemps 1989 et certainement en avril et au début de mai 1989. Toutefois, il faut une bonne dose d'optimisme pour conclure que tous les lots auraient été vendus le 2 mai 1989. Il est difficile de comprendre ce qui, dans la preuve, a amené M. Roy à tirer une telle conclusion. La Cour considère plus plausible l'opinion de M. Juteau selon laquelle tous les lots auraient été vendus en décembre 1989 et elle partage entièrement son avis.

     L'autre motif pour lequel la Cour ne peut souscrire à l'opinion de M. Roy, c'est qu'en fait les lots n'ont pas été vendus. D'après le libellé de la Loi, il importe peu de savoir pourquoi les lots n'ont pas été vendus. Ce que la Cour doit faire, et donc aussi les experts, c'est établir la valeur marchande des cinquante lots à la date de l'expropriation. C'est ce que M. Juteau a fait, mais pas M. Roy. Par conséquent, il est impossible de concilier la méthode adoptée par M. Roy avec les dispositions applicables de la Loi. La lecture des articles 25 et 26 de la Loi, qui traitent de l'indemnité payable à une partie expropriée, ne peut conduire à une autre conclusion.

     Comme il a déjà été indiqué, M. Juteau a conclu que les meilleurs immeubles comparables étaient ceux qui avaient fait l'objet de onze ventes dans le lotissement entre le 3 octobre et le 19 décembre 1988. Ayant trouvé ses immeubles comparables, il a ensuite comparé chaque lot invendu à sept de ceux-ci afin d'établir la valeur marchande des lots invendus à la date du 2 mai 1989. Il a obtenu les valeurs marchandes suivantes pour les lots invendus :


Lot 15

Lot 18

Lot 23

Lot 28

Lot 31

Lot 36

Lot 42

Lot 47

Lot 50

Lot 57

Lot 62

Lot 66

Lot 70

Lot 76

Lot 81

Lot 86

Lot 90

67 500

70 000

69 500*

72 500

71 000

58 500

56 500

9 000

63 000

5 000

74 000*

66 500

64 500

53 500

59 000

60 500

59 500

Lot 16

Lot 20

Lot 24

Lot 29

Lot 33

Lot 38

Lot 43

Lot 48

Lot 51

Lot 58

Lot 63

Lot 67

Lot 72

Lot 78

Lot 84

Lot 87

Lot 91

65 500 $*

71 000

71 500

11 000

73 000

57 000

58 000

9 000

64 000

10 500

69 000

10 000

62 000

49 000*

57 000

60 000

59 000

Lot 17

Lot 21

Lot 25

Lot 30

Lot 34

Lot 39

Lot 46

Lot 49

Lot 52

Lot 60

Lot 65

Lot 69

Lot 75

Lot 80

Lot 85

Lot 89

70 000 $

71 000

71 000

11 000

72 500

54 000

43 500*

60 000

66 000

63 000

68 000

63 500

50 000

60 000

57 000

60 000

*lots pour lesquels le contrat de vente n'était pas encore signé le 2 mai 1989.

ESTIMATION TOTALE DE LA VALEUR MARCHANDE

2 777 000 $

     Il ressort nettement du tableau ci-dessus que sept lots se distinguent par leur valeur peu élevée. Il s'agit du lot 14-57 et des lots 14-29, 14-30, 14-47, 14-48, 14-58 et 14-67. Rappelons que le lot 14-57 n'a aucune façade en bordure d'un chemin et est physiquement séparé des autres lots du lotissement par un étang situé au coin sud-est de celui-ci. En ce qui concerne les six autres lots, il s'agit de ceux que l'ingénieur Michel Charron jugeait non aménageables. À la page 37 de son rapport, M. Juteau fait les observations suivantes au sujet de ces lots :

         [TRADUCTION] Pour établir la valeur marchande des sept lots qui restent et que l'on juge non aménageables, j'ai tenu compte de la valeur estimative qu'ils auraient eue s'il avait été possible de les aménager. Le marché pour ce genre de lots est très limité. Leur valeur est théorique parce qu'elle présume qu'il est possible de trouver un acheteur pour chacun d'eux et que cet acheteur acquerra le lot en sachant qu'il ne peut rien construire dessus. La valeur du lot 57 est encore plus théorique étant donné qu'il est dépourvu de façade en bordure d'un chemin et qu'il est physiquement séparé des autres lots du lotissement par un étang qui se trouve au coin sud-est de ce dernier.                 
         Ces sept lots non aménageables ne sont, en général, d'une quelconque utilité que pour un propriétaire adjacent ou, dans le cas du lot 57, pour les propriétaires qui ont une vue sur ce lot. Il est aléatoire même de prédire qu'on trouvera un acheteur pour l'un de ces lots parce que, s'il est impossible d'obtenir un permis de construction, le lot restera dans son état naturel qu'il appartienne au propriétaire d'un lot adjacent ou au promoteur du lotissement.                 
         J'ai quand même estimé la valeur marchande des six lots ayant une façade en bordure d'un chemin à 15 % de la valeur qu'ils auraient eue s'ils avaient été exploitables et, pour le lot 57, étant donné son accès limité, j'ai estimé qu'il avait une valeur symbolique de 5 000 $.                 

     La Cour tient à préciser qu'elle accepte l'opinion de M. Juteau quant à la valeur marchande des cinquante lots, sous réserve d'un certain nombre de corrections à apporter.

     Me Burrows, pour les demanderesses, a critiqué les conclusions de M. Juteau à certains égards et il y a lieu d'examiner maintenant ces critiques.

     La première critique formulée vise la décision de M. Juteau de rajuster ses comparables en fonction du temps jusqu'au 2 mars 1989. Le paragraphe 26(2) de la Loi prévoit que la valeur du droit exproprié est sa valeur marchande à la date de la prise de possession. C'est ce qu'un acheteur consentant aurait été disposé à payer à un vendeur consentant pour les lots invendus le 2 mai 1989. La Loi ne fait pas de distinction entre la date de l'offre d'achat et la date de la clôture de la vente. La Cour estime que, dans le contexte de la Loi, une telle distinction n'est pas pertinente. Le rajustement en fonction du temps doit se faire jusqu'à la date de la prise de possession. Le raisonnement de M. Juteau voulant qu'il soit erroné d'appliquer l'augmentation mensuelle de 1,5 % jusqu'à la date de l'expropriation présente un défaut. Il peut certes arriver qu'à la date de clôture d'une offre acceptée, la valeur du bien ait augmenté, mais le vendeur est quand même obligé de conclure la vente au prix convenu.

     Le pourcentage d'augmentation mensuelle a été calculé à partir de la valeur marchande du bien à la hausse. Tout ce qui est pris en considération, c'est la différence des valeurs marchandes avec le temps. On ne peut obtenir ces valeurs qu'à la date de clôture des ventes. Lorsqu'on examine les prix de vente finaux des lots, c'est le montant des offres qui ont été faites et acceptées à une date inconnue avant la clôture réelle de la transaction que l'on étudie. Ainsi, affirmer que la valeur marchande d'un bien reflète toujours sa valeur marchande à la date de la clôture de la vente est une fiction. Toutefois, comme ce que l'on calcule en l'espèce est seulement la différence en pourcentage entre des valeurs, il est inutile d'examiner autre chose que le prix au moment de la clôture de la vente. Ce serait une erreur que de calculer le pourcentage d'augmentation mensuelle à partir des valeurs à la clôture des ventes et de l'appliquer ensuite à une date d'offre d'achat fictive. Il faut appliquer le pourcentage obtenu à la situation d"où il est tiré si l'on veut que ce pourcentage soit exact. Si M. Juteau était parvenu à calculer le pourcentage d'augmentation entre diverses dates d'offre, il aurait pu, alors, en être autrement. Le marché aura déjà tenu compte d'un décalage entre la date de l'offre et la date de clôture. Il ne fait aucun doute que le rajustement en fonction du temps doit être appliqué jusqu'au 2 mai 1989. Procéder autrement reviendrait à créer une fiction que la Loi ne permet pas.

     Passons maintenant à la deuxième critique formulée à l'endroit du rapport et du témoignage de M. Juteau. Celle-ci porte sur la valeur des lots 14-16, 14-23, 14-46, 14-62 et 14-78. À la page 38 de son rapport initial, M. Juteau attribue à ces lots les valeurs suivantes :

         Lot 14-16      69 000 $                 
         Lot 14-23      71 000 $                 
         Lot 14-46      56 500 $                 
         Lot 14-62      74 500 $                 
         Lot 14-78      64 000 $                      

     Au cours du procès, cependant, il a modifié la valeur à laquelle il avait estimé ces cinq lots. Il justifie sa modification dans une lettre datée du 2 juin 1996, qu'il a fait parvenir à l'avocat de la défenderesse. Il a changé d'avis par suite d'une opinion juridique fournie par ce dernier et qui indiquait, doit-on présumer, que les offres d'achat faites à l'égard des cinq lots liaient les acheteurs et les venderesses. Ainsi, les venderesses, c'est-à-dire les demanderesses, et leurs successeurs, pouvaient légalement forcer la conclusion de la vente. C'est pourquoi, dans sa lettre du 2 juin 1996, M. Juteau expose ses valeurs estimatives, les prix offerts par les acquéreurs éventuels et les dates prévues pour la signature des actes de vente. Ensuite, il remplace ses valeurs estimatives initiales par le prix des offres faites pour les cinq lots, ce qui donne un total de 301 500,00 $. Selon l'hypothèse de M. Juteau, même si la CCN a exproprié les demanderesses, l'acheteur consentant aurait forcé la conclusion de la vente. Le seul changement aurait été que les offrants auraient versé le prix d'achat au promoteur qui aurait acheté le 2 mai. Toutefois, comme l'acheteur consentant aurait payé les montants des offres respectives au vendeur consentant le 2 mai, celui-ci aurait tiré un profit net de la situation parce qu'il aurait reçu l'argent plusieurs mois à l'avance. D'un autre côté, l'acheteur consentant aurait dû prendre à sa charge le loyer de l'argent parce que ces sommes ne lui auraient pas été remboursées avant les dates de clôture des ventes. C'est pourquoi M. Juteau a conclu qu'un acheteur consentant, le 2 mai 1989, aurait réduit la somme de 301 500,00 $ d'au moins 1 % par mois pour la période comprise entre la date d'achat, le 2 mai 1989, et les dates respectives de clôture des ventes, qui vont du 10 juillet au 31 août 1989.

     L'utilisation de son pourcentage mensuel de 1 % a amené M. Juteau à réduire de 10 850,00 $ la somme de 301 500,00 $. Il a ensuite diminué la valeur marchande brute des cinquante lots, la faisant passer de 2 810 500,00 $ à 2 766 150,00 $, soit une réduction de 44 350,00 $7.

     Me Burrows prétend que M. Juteau a eu tort d'utiliser les prix offerts par les acquéreurs éventuels. Il estime que les valeurs dont il faut tenir compte sont les valeurs estimatives. La Cour partage cette opinion.

     La Cour doit admettre qu'elle ne comprend pas la logique qui sous-tend la décision de M. Juteau d'abandonner les valeurs estimatives pour ce qu'il appelle les prix prévus au contrat. Il semble que, dans les présentes circonstances, les demanderesses et les acquéreurs éventuels se sont libérés mutuellement des engagements qu'ils avaient pris les uns envers les autres. Comme l'expropriation est survenue avant la date de clôture des ventes, ni les demanderesses, ni les acquéreurs éventuels n'ont estimé que les offres acceptées étaient exécutoires et qu'il fallait conclure les ventes. Toutes les parties se sont retirées du marché. En conséquence, les seules parties ayant un droit réel sur ces cinq lots sont les demanderesses. Jamais la défenderesse n'a contesté le droit des demanderesses d'intenter la présente poursuite relativement à ces cinq lots. Par conséquent, elle ne peut prétendre maintenant que les offres faites pour ces lots liaient ces dernières. Il ne fait pas de doute que les demanderesses, si elles avaient décidé de s'engager dans cette voie, auraient pu faire valoir leurs droits à l'égard des acquéreurs éventuels. Toutefois, elles ont décidé de ne pas suivre cette ligne de conduite et la défenderesse n'a pas contesté cette décision.

     La valeur marchande des cinq lots ne dépend pas de la question de savoir qui, des demanderesses ou des acquéreurs éventuels, étaient les propriétaires ou qui avaient des droits sur le bien le 2 mai 1989. La seule question à trancher est celle de savoir ce qu'un acheteur consentant aurait payé à un vendeur consentant à cette date. La valeur marchande des cinq lots, le 2 mai 1989, n'est pas égale à la somme des offres faites par les acquéreurs éventuels. La seule conséquence juridique de ces offres est que les acquéreurs éventuels et les demanderesses auraient pu forcer la conclusion d'une vente selon les clauses et les conditions des offres acceptées. Si les acquéreurs éventuels avaient réclamé un droit sur les cinq lots, la défenderesse n'aurait pu, avec succès, prétendre qu'ils avaient seulement droit au montant de leurs offres respectives. Les acquéreurs éventuels auraient eu droit à la valeur marchande de leurs lots à la date du 2 mai 1989. De la même manière, les demanderesses, qui n'ont pas réellement transféré le titre de ces lots, ont droit à leur valeur marchande, au 2 mai 1989.

     Si les demanderesses avaient un droit sur les cinq lots, comme c'était effectivement le cas, et qu'elles pouvaient par conséquent les vendre à un acheteur consentant le 2 mai 1989, la seule solution que l'on puisse avancer est d'établir la valeur de ces lots conformément au paragraphe 26(2) de la Loi, lequel prévoit que la valeur d'un droit exproprié est la valeur marchande de ce droit.

     La Cour estime donc que M. Juteau a eu tort de modifier la page 38 de son rapport. Les valeurs applicables aux lots 14-16, 14-23, 14-46, 14-62 et 14-78 sont ses "valeurs estimatives", lesquelles se montent à 335 000,00 $8.

     La Cour considère en outre qu'il était erroné de la part de M. Juteau de croire qu'un acheteur consentant, le promoteur, aurait réduit le prix d'achat parce les paiements à l'égard des cinq lots n'auraient pas été faits avant juillet et août 1989. La Loi n'admet pas un tel point de vue. Elle prévoit un seul scénario imaginaire : à la date de la prise de possession, l'acheteur consentant fait une offre, le vendeur consentant accepte l'offre, l'acheteur consentant paie le prix convenu et le vendeur consentant signe les documents propres à transférer le titre de propriété à l'acheteur consentant.

     Me Burrows s'en prend à un autre rajustement apporté par M. Juteau pour obtenir la valeur marchande des lots invendus. Ce rajustement comporte deux volets. Premièrement, un rajustement a été apporté pour tenir compte du long délai précédant la clôture des ventes des lots 23, 46 et 62 ainsi que du financement élevé du vendeur pour la vente du lot 79. Dans son tableau, M. Juteau mentionne ces rajustements sous la rubrique "autres facteurs". Deuxièmement, un rajustement a été apporté aux lots 19 et 79 pour tenir compte du financement.

     M. Juteau a considéré que les longs délais précédant la clôture des ventes étaient avantageux pour les acheteurs parce qu'ils bénéficiaient de la hausse du marché survenue entre la date d'acceptation de leur offre d'achat et la date de signature de l'acte de vente, sans avoir à payer le solde dû. En ce qui concerne le lot 79, Mme Smith, avec un versement initial de 5 000 $ seulement, aurait pu bénéficier d'une hausse des prix supérieure aux frais de remboursement de sa dette. On suppose que l'acheteuse, se calculant un profit net, aurait accepté de payer un prix un peu gonflé. Ces rajustements, à l'égard des lots 19, 79, 23, 46 et 62, ont eu pour effet de réduire la valeur de ces lots aux fins de comparaison avec les cinquante lots invendus. La réduction de la valeur des comparables a entraîné la réduction de la valeur marchande des cinquante lots invendus. Me Burrows soutient que, dans les circonstances, il n'y avait pas lieu d'apporter ces rajustements.

     La Cour ne partage pas l'avis de Me Burrows selon lequel ce rajustement n'était pas indiqué dans les circonstances. M. Juteau a examiné les transactions pertinentes et, à partir de son expérience d'évaluateur immobilier, il a conclu que les longs délais avant la clôture de la vente étaient avantageux pour les acheteurs. La Cour a soigneusement examiné les motifs de M. Juteau sur ce point et elle n'est pas disposée à les écarter. Elle n'est pas convaincue que le point de vue de M. Juteau est erroné.

     Passons maintenant au rajustement que M. Juteau a apporté aux lots 19 et 79 pour tenir compte du financement. Le lot 14-19 a été acheté par Paul Whitney pour la somme de 62 500,00 $. M. Whitney a aussi acheté le lot 14-55 pour 46 500,00 $. Dans son témoignage, il a indiqué que, lorsqu'il a envisagé d'acheter le lot 14-55, les venderesses lui ont dit que le prix n'était pas négociable. Il a offert 62 500,00 $ pour le lot 14-19 et les demanderesses ont accepté son offre le 19 octobre 1988. La convention d'achat-vente prévoit le dépôt de 2 000,00 $ au moment de l'offre et le paiement du solde au moment de la signature de la vente, le 29 avril 1989. Toutefois, il y a eu modification des conditions et M. Whitney a signé l'acte de vente le 5 décembre 1988.

     D'après les clauses de l'acte de vente, les demanderesses ont reconnu avoir reçu 14 500,00 $ de M. Whitney, ce qui laisse un solde de 49 000,00 $ payable au plus tard le 1er septembre 1989, le tout sans intérêt. Faute de paiement du solde à cette date, M. Whitney devait payer des intérêts au taux de 13 %. C'est en raison de la modification de ces modalités que M. Juteau a conclu que M. Whitney avait profité d'un financement de presque neuf mois sans intérêt, ce qui représentait une économie de 4 777,50 $. Il a soustrait ce montant du prix d'achat et a donc utilisé, aux fins de comparaison, une valeur de 57 723,00 $ pour le lot 14-19.

     M. Whitney a affirmé qu'il [TRADUCTION] "s'est forcé" pour conclure la vente rapidement. Il semble que, parce que les lots se vendaient très vite, il ait eu peur qu'il n'arrive quelque chose. Il a déclaré que le vendeur des demanderesses, M. Dan Lafleur, n'a exercé aucune pression sur lui pour l'amener à conclure la vente rapidement. En fait, le 5 décembre 1988, M. Whitney a non seulement conclu la vente du lot 14-19, mais aussi celle du lot 14-55. À l'égard de ce dernier lot, il a versé le solde du prix d'achat de 42 500,00 $.

     Il faut se demander si la somme de 62 500,00 $ représente la valeur marchande du lot 14-19 ou si ce prix doit être réduit comme le propose M. Juteau. Lorsqu'il a fait son offre d'achat, M. Whitney a promis de payer au complet le solde du prix d'achat à la date de la signature de l'acte, le 29 avril 1989. Son offre n'était pas conditionnelle à un financement quelconque de la part des demanderesses. Il semble à la Cour que c'est ce dont il faut tenir compte pour établir la valeur marchande de ce lot à cette époque.

     Me Noël laisse entendre que cette transaction cache autre chose. C'est fort possible puisqu'il est probable que les demanderesses se sont aperçues au mois de novembre que l'expropriation de leur lotissement était imminente. Dans ces circonstances, il n'est pas surprenant qu'elles aient été prêtes à accorder à M. Whitney un délai de paiement plus avantageux en échange d'une conclusion rapide de la vente. Si M. Whitney acceptait, il devenait propriétaire du lot et les demanderesses obtenaient leur argent à l'expiration du délai de paiement. Toutefois, la Cour estime que cela ne change rien au fait qu'en octobre 1988 M. Whitney était prêt à offrir 62 500,00 $ pour le lot 14-19 et que ce montant représente la valeur marchande applicable à ce lot. Par conséquent, la Cour ne partage pas l'opinion de M. Juteau sur la nécessité d'apporter un rajustement en fonction du financement pour le lot 14-19. Il s'ensuit que la valeur du lot 14-19 sera rajustée en fonction du temps au 2 mai 1989, sans le rajustement à la baisse de 4 777,00 $.

     Passons maintenant au lot 14-79, le second lot auquel M. Juteau a jugé nécessaire d'apporter un rajustement à la baisse. L'offre d'achat de ce lot, comme celle du lot 14-19, n'était pas conditionnelle à une entente de financement quelconque. M. Barton a négocié cet achat avec M. Dan Lafleur. Bien que M. Barton ait entendu des rumeurs d'expropriation, quelqu'un de la municipalité lui avait dit que la CCN n'exproprierait pas le lotissement. Il ne se rappelle pas qui, exactement, lui a donné ce renseignement. Les Barton ont offert d'acheter le lot pour la somme de 78 500,00 $, avec un versement initial de 5 000 $, le solde étant exigible à la signature de la vente le 1er avril 1989. Les demanderesses ont accepté cette offre le 10 novembre 1988. D'après le témoignage de M. Barton, il ressort qu'il avait conclu avec M. Lafleur une entente verbale selon laquelle, s'il le désirait, les demanderesses étaient disposées à lui accorder un prêt hypothécaire d'un an à partir du 1er avril 1989. En contrepartie de son acceptation de signer l'acte de vente le 23 décembre 1988, on lui a offert de reporter l'échéance du paiement du prix d'achat au 1er mai 1989 au lieu du 1er avril 1989. De plus, s'il le souhaitait, les demanderesses acceptaient de lui fournir un prêt hypothécaire d'un an à partir du 1er mai 1989, pour le solde du prix d'achat de 73 500,00 $, à un taux d'intérêt de 12 % par année. Les Barton auraient ensuite fait leurs paiements mensuels d'intérêts aux demanderesses.

     La Cour estime que M. Juteau a eu tort de soustraire une somme de 3 000 $ pour rajuster le prix d'achat à la baisse. Le prêt hypothécaire d'un an accordé par les demanderesses à un taux d'intérêt de 12 % ne change rien au prix que M. et Mme Barton ont offert pour acheter le lot 14-79. Rien n'indique que le taux d'intérêt de 12 % offert par les demanderesses était inférieur aux taux d'intérêt que les banques pratiquaient à l'époque pour un prêt hypothécaire. M. et Mme Barton n'ont bénéficié d'aucun avantage réel; plutôt que d'obtenir un prêt hypothécaire au taux de 12 % d'une banque, ils en ont obtenu un des demanderesses. Par conséquent, la Cour estime que le prix du lot 14-79 devrait être rajusté en fonction du temps jusqu'au 2 mai 1989, sans le rajustement à la baisse de 3 000,00 $.

     Me Burrows a également contesté l'augmentation mensuelle de seulement 1,5 % utilisée par M. Juteau pour rajuster les valeurs en fonction du temps. M. Roy a conclu que le taux d'augmentation applicable était 2 % par mois. M. Roy a examiné l'augmentation de valeur de ses ventes dans Kingsmere et s'est aperçu qu'en 1979 la CCN avait acheté, pour un prix moyen de 23 750,00 $, quatre lots résidentiels situés sur le chemin Barnes (vente no 2). Il a aussi constaté qu'en 1988 un lot également situé sur le chemin Barnes avait été vendu 80 500,00 $ (vente no 8). Il a ensuite calculé qu'en neuf ans la valeur avait augmenté de 2,1 % par mois, pourcentage qu'il a arrondi à 2 % par mois. Pour étayer son pourcentage, il a également trouvé des données pertinentes provenant de la vente de lots à Hull-Ouest, qui montraient une augmentation de 1,6 % par mois.

     Pour sa part, M. Juteau a examiné les ventes résidentielles dans la municipalité de Hull-Ouest. Il s'est intéressé plus particulièrement à trois ventes dans Pineridge Estates, à une vente dans Linkridge Estates et, finalement, à trois ventes dans Golden Maples. Ces ventes ont eu lieu entre juillet 1987 et mai 1989. S'appuyant sur ces données, il a conclu que le taux d'augmentation mensuelle applicable était de 1,5 %. La Cour est d'accord avec lui.

     L'étude de M. Juteau porte sur une époque assez récente tandis que celle de M. Roy couvre une période qui remonte à 1979. Des statistiques tirées d'une époque relativement récente risquent moins de déformer la vérité. En outre, la Cour ne croit pas que les données concernant Kingsmere soient applicables.

     Me Burrows a reproché à M. Juteau de ne pas avoir tenu compte des deux ventes du lot 13A-24 de Pineridge Estates qui ont eu lieu le 8 juillet 1986 et le 20 décembre 1989, respectivement. La première vente a été conclue pour la somme de 25 000,00 $ et la seconde pour 40 000,00 $. Ainsi, en quarante-deux mois, la valeur de ce lot a augmenté de 60 % ou de 1,47 % par mois. Selon Me Burrows, si ce pourcentage avait été inclus dans le tableau 12 du rapport de M. Juteau, il aurait fait passer la moyenne à 2 %. M. Juteau a précisé, dans son témoignage, qu'il avait écarté ces ventes parce que la première avait eu lieu en dehors de la période de deux ans.

     Au cours du contre-interrogatoire de M. Juteau, Me Burrows a signalé que le lot 14C-26 de Linkridge Estate faisait l'objet d'un bref de saisie avant jugement lorsqu'il a été vendu. Il a laissé entendre à M. Juteau qu'un tel bref aurait pu avoir un effet négatif sur le prix offert et éventuellement payé pour ce lot. M. Juteau a répondu que, s'il avait eu ce renseignement, il n'aurait peut-être pas tenu compte de la vente du lot 14C-26. Me Burrows lui a aussi signalé que son augmentation mensuelle de 0,31 % pour le lot 13A-23 de Pineridge Estate était [TRADUCTION] "inconciliable" avec celle des autres ventes.

     M. Juteau a répondu que s'il avait accepté les observations de Me Burrows et écarté l'augmentation de 1,57 % relativement au lot 14C-26 ainsi que celle de 0,31 % relativement au lot 13A-23, mais tenu compte de l'augmentation de 1,47 % relativement au lot 13A-24, il aurait obtenu une augmentation mensuelle moyenne de 1,564 %. Aussi, il a maintenu que le taux d'augmentation mensuelle applicable était de 1,5 %. La Cour ne voit aucune raison de rejeter l'opinion de M. Juteau sur ce point et, par conséquent, elle accepte le pourcentage de 1,5 % à titre d'augmentation mensuelle applicable.

La possibilité d'aménager les lots 29, 30, 47, 48, 58 et 67

     L'une des principales questions en litige dans la présente espèce porte sur la possibilité d'aménager les lots susmentionnés. Les demanderesses soutiennent qu'on pouvait doter ces lots d'installations septiques et, donc, qu'on pouvait les aménager et les vendre. En revanche, la défenderesse soutient qu'il était impossible d'aménager les six lots parce qu'il était impossible de les équiper d"une installation septique. Ces six lots représentent une valeur d'environ 450 000,00 $ pour les demanderesses, si elles ont gain de cause sur ce point.

     La thèse de la défenderesse selon laquelle il était impossible d'aménager les six lots s'appuie sur l'opinion de son expert, l'ingénieur Michel Charron, qui, le 15 août 1994, a écrit à M. Juteau au sujet de la possibilité d'aménager chacun des cinquante lots invendus9. Les lettres de M. Charron constituent l'assise de ses "fiche[s] individuelle[s] de pointage" sur lesquelles M. Juteau s'est en partie fié pour apprécier la valeur des lots. Dans les lettres du 15 août 1994, M. Charron faisait part à M. Juteau de ses doutes quant à la possibilité d'aménager les lots 29, 30, 47, 48, 58 et 67 et lui demandait des instructions afin d"examiner plus en profondeur le cas de ces six lots.

     M. Charron a obtenu de M. Juteau le mandat d"étudier les six lots. Le 19 août 1994, il lui a écrit pour lui donner des précisions sur la possibilité d'aménager ces six lots. En préambule, il lui indique les "paramètres principaux de la réglementation de 1989". Ce préambule est ainsi rédigé :

     2- Paramètres principaux de la réglementation de 1989:         
         A- Pente de terrain récepteur:         
             i)      un élément épurateur de type classique, modifié ou surélevé ne peut être construit que sur un terrain récepteur ayant moins de 10 % de pente.         
             ii)      si le terrain récepteur a une pente de 10 % à 25 %, les branches de l'élément épurateur doivent être placées transversalement par rapport à la pente, en autant que l'on s'assure que l'élément épurateur, qui devra forcément être du type en tranchées puisse être construit en respectant l'espacement de 1,22 mètres (4 pieds) entre le fond des tranchées et la roche, ou la couche imperméable ou le plus haut niveau atteint par la nappe phréatique.         
             iii)      si le terrain récepteur a une pente de plus de 25 %, il est interdit d'y construire un élément épurateur.         
         B - Marges de recul:         
             i)      par rapport aux limites de propriété: l'installation septique ne doit pas être située à moins de 3,04 mètres (10 pieds) de toute limite de propriété.         
             ii)      par rapport aux cours d'eau: l'installation septique ne doit pas être située à moins de 30,48 mètres (100 pieds) de tout lac, rivière, ruisseau, cours d'eau, étang, source ou réservoir.         
         C- Conditions minimales de sol:                 
             l'élément épurateur ne peut être construit que sur un terrain qui permette d'installer le fond des tranchées d'absorption au moins à 1,22 mètres (4 pieds) au-dessus de la roche ou de la couche imperméable ou du plus haut niveau atteint par la nappe phréatique au cours de l'année.         

     La Cour tient à signaler que, selon l'interprétation qu"il semblait donner aux règlements applicables dans la partie A-i) de ses "paramètres principaux de réglementation en 1989", M. Charron estimait qu'une installation septique de type conventionnel, y compris sa version de type surélevé, ne pouvait être construite dans un secteur où la pente dépassait 10 %. M. Gravelle et lui ont des opinions divergentes sur ce point et la Cour reviendra sur cette question sous peu.

     M. Charron a conclu qu'il était impossible d'aménager les lots 29 et 30 parce que la plus grande partie des endroits où il aurait été possible de mettre une installation septique se trouvaient dans un secteur où la pente dépassait 10 %. Quant aux endroits situés dans un secteur où la pente était inférieure à 10 %, ils se trouvaient à moins de 30,48 mètres d'un cours d'eau qui traverse ces lots.

     En ce qui concerne les lots 47 et 48, M. Charron a estimé que la majorité des endroits où il était possible de mettre une installation septique se trouvaient dans un secteur où la pente était supérieure à 10 %. Quant aux endroits possibles situés dans un secteur où les pentes étaient inférieures à 10 %, il les a écartés parce que ces zones ont été "jugées trop restreint[sic ] d'y [sic] construire un élément épurateur conventionnel". Il a ajouté que deux lots étaient "très rocheux" et qu'ils ne possédaient pas, par conséquent, "les caractéristiques essentielles répondant à la définition d'un terrain récepteur réglementaire".

     Les observations de M. Charron sur les lots 58 et 67 sont pratiquement identiques à celles qu'il a faites à propos des lots 47 et 48.

     La thèse des demanderesses selon laquelle il était possible de doter les six lots d'installations septiques s'appuie surtout sur le témoignage de M. Pierre Gravelle. M. Gravelle est un ancien employé de la firme Boileau. À l'époque où il travaillait pour cette firme, il était chargé de la conception des installations septiques. Avant les événements qui ont donné naissance au présent litige, il avait participé à plusieurs projets de Carl McInnis dans Hull-Ouest, en sa qualité d'ingénieur au service de la firme Boileau. C'est lui qui a conçu les routes et établi les plans des installations septiques de ces projets. Dans son témoignage, il a précisé qu'au cours de sa carrière il avait fait les plans d'installations septiques de plus de mille lots. Il ne lui est arrivé qu'à une seule reprise de ne pas pouvoir trouver d"endroit où mettre une installation septique.

     À l'été de 1988, Carl McInnis a communiqué avec Pierre Gravelle pour lui demander de procéder à une étude afin de déterminer s'il était possible de doter son lotissement d'installations septiques. M. Gravelle a commencé par une vérification sommaire d'endroits situés sur plusieurs lots, mesurant la profondeur du roc avec une barre de fer. Il a examiné environ 20 % des lots et a ensuite fait parvenir un rapport préliminaire à la municipalité. Par la suite, il a examiné chacun des lots du lotissement.

     M. Gravelle a indiqué qu'il avait pris un véhicule à quatre roues motrices, dans lequel il avait chargé deux barils d'eau, et qu'il s'était rendu sur la colline où devait passer le chemin d'accès afin d'effectuer les essais de percolation requis par le règlement 124 de la C.R.O. L'article 9 de ce règlement prévoit :

         La surface d'absorption doit être calculée en fonction des résultats des essais de percolation dans le sol naturel et du nombre de chambres à coucher. Les essais de percolation doivent être faits suivant la procédure décrite dans l'annexe I de ce règlement.                 
         Dans un élément épurateur où la surface d'absorption est composée d'un remblai, le facteur de percolation "t" doit convenir aux matériaux rapportés mais il ne doit pas être inférieur à 6 minutes, ni inférieur au facteur de percolation du sol naturel sur lequel le lit est construit. Pour un filtre de sable, le facteur de percolation ne doit pas être inférieur à 25 minutes.                 

     Le premier paragraphe de l'article 9 prévoit que les essais de percolation doivent être faits suivant la procédure décrite dans l'annexe 1 du règlement. M. Gravelle a expliqué qu'il avait creusé des trous d'au moins 600 mm de profondeur. Selon lui, il était inutile de faire des essais de percolation sur chaque lot. Il a procédé à de tels essais sur environ un lot sur cinq. Toutefois, sur chaque lot, il a vérifié la présence d'un sol suffisant pour loger une installation septique et l'absence d'obstacles empêchant de le faire. Après avoir mené les essais requis par le règlement 124, il a conclu qu'il était possible de mettre des installations septiques sur tous les lots.

     Le 21 octobre 1988, M. Gravelle a écrit à la C.R.O., joignant à sa lettre une demande d'approbation de son "plan d'ensemble d'installations septiques". Dans sa lettre, il signalait que les essais d'absorption auxquels il avait procédé indiquaient que la percolation du lotissement était excellente. Il ajoutait aussi que chaque lot avait été "sondé" et était constructible. Les résultats de ses essais de percolation accompagnaient sa lettre.

     Le jour où il a écrit à la C.R.O., M. Gravelle a également adressé une lettre à la municipalité de Hull-Ouest, aux soins de Bernard Benoit, inspecteur municipal, en y joignant le "plan d'ensemble d'installations septiques" transmis à la C.R.O. Dans cette lettre, il répétait que la percolation du lotissement était excellente et qu'il ne voyait pas de problème pour construire sur les lots.

     M. Gravelle a établi le "plan d'ensemble d'installations septiques" qu'il a fait parvenir à la C.R.O. et à la municipalité le 28 septembre 1988. Sur ce plan, qui porte le numéro C-1, il est indiqué qu'il a examiné et conduit des essais sur les lots 1 à 60 de La Grande Corniche du Parc10.

     Voici la version intégrale de la lettre que M. Gravelle a fait parvenir à M. Benoit :

         Nous vous soumettons ci-joint, pour approbation, copie du plan C-1 du projet mentionné en rubrique. Ce plan constitue le plan d'ensemble d'installations septiques.                 
             Peu après notre lettre du 26 septembre, nous avons complété nos études sur ce terrain (lot 14A partie, rang 7, canton de Hull) et préparé ce plan. À noter qu'à cette date, nous n'avions envoyé que le préléminaire [sic] comme nous avons toujours fait pour les projets similaires du promoteur, M. McInnis. Le préléminaire [sic], dont nous vous envoyons copies de d'autres projets pour exemple, a toujours été suffisant pour obtenir une approbation de principe du projet jusqu'à ce que le plan d'installations septiques soit soumis, quelques fois six mois plus tard.                 
             Vous constaterez que les essais d'absorption montrent que la percolation est excellente. De même, chaque lot a été sondé et il est possible, selon la nature du sol et la profondeur du roc, de construire sur chacun des lots. Évidemment, le propriétaire éventuel d'un lot peut vouloir construire à un autre endroit et celui-ci devra être vérifié à ce moment.                 
             Évidemment, à la municipalité de Hull-Ouest, un rapport individuel doit être préparé lors de chaque demande de permis de construction résidentielle. Nous retrouverons alors la dimension du champ, l'élevation, la localisation exacte etc.                 
             Si toute autre information vous était nécessaire n'hésitez pas à communiquer avec le soussigné.                 
             Veuillez agréer, Monsieur, l'expression de nos salutations distingués.                 

     Comme il a été mentionné précédemment, le 7 novembre 1988, la municipalité de Hull-Ouest a approuvé le plan de lotissement des demanderesses. À ce moment-là, le conseil avait à sa disposition le plan C-1 de M. Gravelle et son opinion confirmant la possibilité de mettre des installations septiques sur les lots et, donc, de construire dessus. La Cour n'a pas d'autre choix que de conclure que l'opinion et les rapports de M. Gravelle ont convaincu la municipalité.

     Après avoir reçu le rapport de M. Charron du 19 août 1994 selon lequel il était impossible d'aménager six lots, les demanderesses ont demandé à M. Gravelle d'y répondre. C'est ce qu'il a fait dans une lettre du 18 mai 1995, qu'il a adressée aux avocats des demanderesses. Les observations de M. Gravelle sur les lots peuvent être résumées de la manière suivante.

     Lots 29 et 30

     M. Gravelle ne répond pas à l'argument de M. Charron voulant que la présence d'un cours d'eau à trente mètres aurait rendu impossible la mise en place d'installations septiques sur ces deux lots, parce qu'il a trouvé sur ceux-ci d'autres endroits qui, à son avis, convenaient et auraient satisfait aux exigences du règlement 124, c'est-à-dire qui avaient au moins 600 mm de sol naturel, possédaient une percolation suffisante, étaient situés à plus de 30,48 mètres d'un cours d'eau et dont une superficie d'au moins 26 mètres carrés a une pente inférieure à 10 %.

     Les lots 47, 48, 58 et 67

     M. Gravelle a déclaré qu'il s'était rendu au lotissement le 18 mai 1995 et qu'à son avis il était possible de mettre une installation septique aux endroits qu'il avait d'abord proposés sur son plan C-1, mais aussi à au moins un autre endroit qui répondait aux exigences du règlement applicable.

     En plus du témoignage de M. Gravelle, les demanderesses s'appuient sur le témoignage de Joseph B. Mangione. Ingénieur depuis 1964, M. Mangione a une grande expérience dans le domaine des installations septiques. Après avoir reçu les rapports du 19 août 1994 de M. Charron, les demanderesses ont sollicité l'avis de M. Mangione sur la possibilité de mettre des installations septiques sur les six lots susmentionnés. Selon M. Mangione, tous les lots pouvaient être aménagés.

     Le 11 mai 1995, M. Mangione s'est rendu sur les lots. Il n'a aperçu ni source, ni cours d'eau sur les lots 29 et 30. Tout ce qu'il a vu, c'est une rigole temporaire qui serpentait à travers le coin sud-ouest du lot 29 et la partie avant du lot 30. Selon lui, cette rigole pouvait être déplacée [TRADUCTION] "à la limite de la propriété pour déboucher dans le fossé prévu". Il a estimé qu'il n'y avait aucun problème pour trouver un endroit où construire une installation septique, que ce soit sur le lot 29 ou sur le lot 30.

     Dans le cas des lots 47, 48, 58 et 67, M. Mangione était encore une fois convaincu qu'on pouvait y mettre des installations septiques. Voici comment il a formulé son opinion à propos du lot 48 :

         [TRADUCTION] Une inspection de ce lot a révélé une profondeur du sol et une pente suffisantes. Il y avait aussi une superficie de plus de mille mètres carrés, sur laquelle il serait possible d'installer un système d'évacuation des eaux usées répondant aux normes du règlement 124 de la Communauté régionale de l'Outaouais à l'endroit indiqué sur le plan Boileau, appelé "Plan d'Ensembles, Installations Septiques", plan no C-1.                 

     Afin de ne rien laisser dans l"ombre, la Cour signale que les services de M. Mangione avaient d'abord été retenus, en septembre 1989, par Me Burrows, avocat des demanderesses, qui représentait alors les personnes ayant acheté les lots aux demanderesses. Il y a lieu de rappeler que ces lots ne font pas l'objet du présent litige.

     Pour les motifs qui suivent, la Cour estime qu'il était possible de construire des installations septiques sur les six lots et, par conséquent, que les demanderesses pouvaient les aménager. Pour commencer, la Cour doit reconnaître qu'elle ne voit aucune raison justifiant de rejeter le témoignage clair de M. Gravelle, lequel a été corroboré par M. Mangione. M. Gravelle a affirmé s'être rendu au lotissement, être allé sur tous les lots et plus particulièrement sur les six lots litigieux. Après avoir procédé aux essais requis par le règlement 124 et s'être assuré de la profondeur du sol, il a conclu qu'il était possible de mettre des installations septiques sur ces lots. De plus, après avoir été informé de l'opinion donnée à la défenderesse par M. Charron, il est retourné au lotissement et a examiné les lots en question en fonction des observations contenues dans les rapports d'août 1994 de ce dernier. Son opinion sur la possibilité de mettre des installations septiques sur ces lots n'a pas changé. M. Mangione est de son avis.

     Selon M. Charron, lorsque la pente d'un lot dépassait 10 %, mais n'excédait pas 25 %, il était possible de placer une installation septique de type conventionnel répondant aux exigences du sous-alinéa 8j)i) du règlement 124. Dans le préambule de ses rapports du 19 août 1994 adressés à M. Juteau et que la Cour a précédemment cité, M. Charron donne son interprétation du règlement.

     L'opinion de M. Charron se heurte à celle de M. Gravelle, qui estimait que, lorsque la pente se situait entre 10 et 25 %, il était possible de mettre une installation septique de type surélevé, au sens du sous-alinéa 8j)iv) du règlement 124. Selon lui, il faut interpréter le sous-alinéa 8j)iv) comme renvoyant au schéma "F" du règlement. Le sous-alinéa 8j )iii) renvoie expressément au schéma "E" et le sous-alinéa 8j )v), au schéma "G". S'il ne faut pas interpréter le schéma "F" comme renvoyant au sous-alinéa 8j )iv), alors ce schéma ne sert à rien. Selon la Cour, le règlement 124 prévoit la mise en place d'une installation septique de type surélevé sur un lot dont la pente se situe entre 10 et 25 %, à la condition qu'il y ait au moins 600 mm de couverture. La Cour peut seulement conclure que le rédacteur du règlement a involontairement omis de faire un renvoi au schéma "F" en rédigeant le sous-alinéa 8j )iv).

     En ce qui concerne la couverture des lots litigieux, la Cour accepte l'opinion de M. Gravelle qui estime qu"il y avait au moins 600 mm de sol naturel au-dessus du roc sur chacun de ces lots et, par conséquent, qu"il était possible d"y mettre une installation septique de type surélevé, comme le prévoit le règlement 124.

     Les calculs de M. Gravelle quant à la dimension des fosses septiques ont également été contestés. La Cour estime que ces critiques ne sont pas fondées.

     Il convient d'ajouter quelques mots à propos de l'opinion de M. Charron concernant les lots 29 et 30. M. Charron a considéré qu'on ne pouvait placer une installation septique à moins de 30,48 mètres du cours d'eau qui traversait les lots 29 et 30. Les ingénieurs Gravelle et Mangione n'étaient pas de son avis. D'abord, M. Gravelle a souligné qu'il existait d'autres endroits convenables en dehors des 30,48 mètres. Deuxièmement, et sur ce point M. Mangione partageait son opinion, M. Gravelle estimait que ce que M. Charron avait jugé être un cours d'eau, n'en était pas vraiment un, mais constituait plutôt un cours d'eau temporaire. Les ingénieurs Gravelle et Mangione ont tous deux considéré qu'il ne s'agissait que d'un problème de drainage auxquels les ingénieurs ont souvent à faire face. Dans son rapport du 18 mai 1995, relativement au lot 29, M. Mangione expose ainsi son opinion :

         [TRADUCTION] Il y a une rigole temporaire qui serpente à travers le coin sud-ouest du lot. Cette rigole serait déplacée à la limite de la propriété pour déboucher dans le fossé prévu.                 

     M. Mangione et M. Gravelle se sont tous deux montrés catégoriques en affirmant qu'il n'y avait pas de cours d'eau sur les lots 29 et 30. Au cours de son témoignage, M. Gravelle a précisé que pour que l'on considère qu'il a un cours d'eau, il faut que l'eau coule de façon continue. En l'espèce, la défenderesse ne conteste pas le fait que l'eau qui traverse les lots 29 et 30 ne coule pas de manière "continue". Dans l'arrêt McNab v. Robertson, [1897] A.C. 129, lord Shand donne, à la page 138, la définition suivante du terme "cours d'eau" :

         [TRADUCTION] [...] La Cour estime que le terme "cours d'eau" s'entend nécessairement d'une eau courante, et non d'une eau qui suinte d'un terrain marécageux, et que, si cette eau ne coule pas plus ou moins dans un chenal et de façon continue, on ne peut parler d'eau qui coule dans des "cours d'eau" qui mènent aux étangs.                 

     La Cour estime que les demanderesses ont raison sur ce point. De l'eau qui s'écoule de manière intermittente ne forme pas un cours d'eau. Pour pouvoir qualifier de l'eau de "cours d'eau" ou d'"eau courante", celle-ci doit couler toute l'année, sinon, elle n'est pas visée par le règlement municipal.

     Il y a lieu d'examiner un dernier point. La défenderesse a appelé à témoigner un certain Eric Domingue, expert en hydrogéologie. Selon le témoignage de cet expert, alors qu'il cherchait le cours d'eau coulant entre les lots 29 et 30, il a découvert une source à environ quarante-six mètres du ponceau du lot 30. Un autre témoin appelé par la défenderesse, M. Paul Proulx, a également affirmé avoir vu une source dans le secteur des lots 29 et 30. Selon lui, la source couvrait une superficie de 30 pieds sur 30 pieds. Il a déclaré que l'eau jaillissait du sous-sol et finissait par couler jusqu'à un ponceau. M. Proulx s'est rendu sur les lieux le 22 juin 1994. Toutefois, lorsqu'il y est retourné par la suite, le 4 juillet 1995, il n'est pas parvenu à trouver de l'eau jaillissant du sol. En fait, il n'a pas vu d'eau du tout. Il a attribué cela à "la sécheresse de l'été". Il n'est pas retourné sur les lieux après le 4 juillet 1995.

     Comme il a été mentionné précédemment, M. Gravelle et M. Mangione estimaient qu'un cours d'eau non pérenne est une question de drainage à laquelle ils pouvaient faire face. La Cour estime également que, s'il y a une source sur les lots 29 et 30, c'est aussi un problème que les ingénieurs peuvent régler. Aussi, pour éviter tout malentendu, la Cour précise qu'elle considère que, même s'il y avait effectivement eu une source sur le lot 29 ou sur le lot 30, ou sur les deux, la présence de celle-ci n'aurait pas, en fin de compte, empêché les demanderesses de construire sur les lots. Il est fort probable qu'il y aurait eu des discussions avec le ministère québécois de l'Environnement, mais la Cour est convaincue que, finalement, les lots auraient été aménagés et vendus.

     Par conséquent, la Cour est convaincue que les six lots pouvaient être aménagés. Elle ne voit aucun motif justifiant de rejeter le témoignage de M. Gravelle et de M. Mangione quant à la possibilité de doter ces lots d'installations septiques. La Cour tient à bien faire comprendre qu"elle accepte le témoignage de ces ingénieurs parce que les explications qu'ils ont données pour justifier leurs conclusions l'a convaincue. Elle préfère leur témoignage à celui de Michel Charron qui est, sans doute, un ingénieur averti et compétent, mais qui, selon la Cour, a mal interprété le rôle qu'il avait à jouer dans la présente instance. Il a donné l'impression de croire que son rôle consistait à faire obstacle à la preuve présentée par les ingénieurs des demanderesses. À différentes reprises, ses réponses ont paru des plus surprenantes de la part d'un ingénieur manifestement très compétent. Par exemple, il a indiqué, à un certain moment, qu'il était impossible d'installer une fosse septique à l'endroit choisi par M. Gravelle sur certains lots parce que cet endroit était situé à l'arrière du lot et que le camion de vidange des eaux usées aurait de la difficulté à la vider. Il semblait dire que le camion ne pourrait pas vidanger les fosses de ces endroits parce que la distance qui les séparait du chemin entraînerait des problèmes de "succion". Il a déclaré que la distance entre le camion et l'endroit où était installée la fosse ne devait pas dépasser trente pieds. Je lui ai alors indiqué que j'avais déjà vu un camion vidanger des eaux usées sans problème, même si la fosse se trouvait à environ 150 pieds du chemin, en apportant simplement le tuyau jusqu'à la fosse. À cette observation, il a répondu qu'après tout il n'y avait pas de problème à vidanger une fosse septique se trouvant à une distance supérieure à trente pieds.

     Tout compte fait, la Cour n'a guère été impressionnée par le témoignage de M. Charron parce qu'il semblait constamment chercher à marquer des points contre les demanderesses, plutôt qu'à présenter une évaluation des faits impartiale et exacte. Il a manifestement cru que sa mission était de trouver des moyens d"augmenter les coûts qu'auraient dû engager les demanderesses pour aménager le lotissement ou, dans le cas des six lots litigieux, de trouver des façons d'en diminuer la valeur.

     M. McInnis a témoigné que, s'il avait été informé par ses ingénieurs de l'impossibilité d'aménager certains lots parce qu'on ne pouvait y construire d'installation septique, il aurait, sans aucun doute, revu la conception de son lotissement de manière à maximiser ses prix. La Cour n'a aucune difficulté à accepter ce témoignage.

     Au cours de son témoignage, M. Juteau a affirmé que, s'il avait conclu que les six lots litigieux pouvaient être aménagés, il leur aurait attribué la valeur suivante :

         Lot 29 :      72 500,00 $                 
         Lot 30 :      72 500,00 $                 
         Lot 46 :      56 500,00 $                 
         Lot 48 :      56 500,00 $                 
         Lot 58 :      64 500,00 $                 
         Lot 67 :      66 500,00 $11                 

Le lot 57

     M. Juteau a estimé que le lot 57 valait 5 000,00 $ et M. Roy, 20 000,00 $. M. Roy expose le raisonnement qu'il a suivi pour attribuer cette valeur à ce lot à la page 29 de son rapport :

         [TRADUCTION] Quant au lot 57, il n'a pas de façade en bordure d'un chemin public, mais on peut s'y rendre à pied en empruntant la servitude de passage qui passe entre les lots 60 et 62 ou en longeant la limite arrière du lot 62 et le côté est de l'étang, plus ou moins à la limite du lotissement. Ce lot représente aussi une plus-value pour le lot 56 qui pourrait avoir un accès direct le long de la limite sud de l'étang. On y trouve de beaux pins et de beaux peupliers rendus à maturité, et, adjacent à l'est, il y a un autre bel étang qui est situé sur les biens-fonds de la CCN.                 

     En plus de ne pas avoir de façade en bordure d'un chemin, le lot 57 est physiquement séparé des autres terrains lotis par un étang situé au coin sud-est du lotissement. Il ne fait aucun doute que la demande pour le lot 57 se limite aux lots adjacents à l'étang, c'est-à-dire les lots 56, 58, 59 et 62. Quelle offre, s'il en est, les propriétaires de ces lots auraient-ils été prêts à faire pour obtenir le lot 57? Il est difficile de répondre à cette question. Dans ces circonstances, la Cour estime que toute somme supérieure à 5 000,00 $ est purement spéculative et, par conséquent, elle accepte l'évaluation de M. Juteau.

Coûts d'aménagement des terrains

     Les parties ne s'entendent pas sur l'importance des coûts qu'aurait engagés le promoteur/acheteur consentant pour mener à terme l'aménagement du lotissement des demanderesses. Comme il a déjà été indiqué, M. Roy a conclu que ces dépenses auraient atteint 472 521,00 $ et M. Juteau, 1 265 626,00 $. La différence entre les conclusions de ces deux experts est de 793 000,00 $ environ.

     Par souci de clarté, il y a lieu de reproduire la ventilation que M. Roy et M. Juteau ont donné de ces dépenses.

     M.Juteau         
     Dépenses         
         Arpentage                      25 000 $
         Ingénierie
             Plans et devis                  25 000
             Supervision du travail              19 000
         Déboisement         
             8,3 acres H 3 500 $/acre              29 050
         Construction routière                  548 826         
         Aléas de construction (10 %)              54 883
         Électricité                      néant         
         Taxes aux fins de parcs et de terrains de jeux néant                 
             Permis de construction routière          300         
         Droits de mutation                  8 850         
         Frais juridiques :                 
             Achat du lotissement              6 442
             Acquittement de l'hypothèque de premier rang
         sur la vente de 19 lots
             19 lots H 200 $/lot              3 800
             Cession des routes à la municipalité      800
             Création d'une emprise et
             examen de documents juridiques          3 000
         Frais de vente (5 % )                  123 775
         Taxes foncières                      2 000
         Frais de financement/de crédit              néant
         Profit et frais généraux du promoteur (15 %)      414 900
                                     1 265 626,00 $

     M. Roy :


     Payé

     Impayé

     Total

1)      Arpentage

     33 900,00 $

     4 000,00 $

     37 900,00 $

2)      Plans

     10 000,00 $

     10 000,00 $

3)      Ingénierie

     13 600,00 $

     13 600,00 $

4)      Construction routière
     a) Déboisement
     b) Dynamitage
     c) Chemin d'accès
     et chemin principal
     d) Infrastructure

     4 865,00 $

     10 600,00 $

     37 500,00 $

     200 562,00 $

     25 160,00 $

     15 465,00 $

     37 500,00 $

     200 562,00 $

     25 160,00 $

5)      Droits de mutation

     2 710,00 $

     2 710,00 $

6)      Cautionnement

     450,00 $

     450,00 $

7)      Taxes pour fins de parcs et de terrains de jeux

     4 720,00 $

     4 720,00 $

8)      Permis de lotissement

     800,00 $

     800,00 $

9)      Taxes municipales

     495,00 $

     495,00 $

10)      Notaire

     4 625,00 $

     4 625,00 $

11)      Frais de vente (5 %)

     55 725,00 $

     186 263,00 $

     241 988,00 $

12)      Électricité et téléphone

     s/o

     7 800,00 $

     7 800,00 $

13)      Imprévus

     5 000,00 $

     5 000,00 $

14)      Financement provisoire

     s/o

     41 709,00 $

     s/o

15)      Frais généraux

     17 600,00 $

     17 600,00 $

16)      Profit (inclus dans le prix de vente)

     s/o

     s/o

     s/o

     Total

     131 890,00 $

     506 879,00 $

     738 769,00 $

     Pour comprendre les chiffres de M. Roy, il faut se rappeler qu'il croyait que les cinquante lots seraient vendus le 2 mai 1989. Cette opinion l'a amené à attribuer une partie des dépenses aux lots que les demanderesses avaient vendus avant l'expropriation. Il a calculé le total des dépenses et l'a divisé par soixante-douze (lots). Il a ensuite calculé les coûts par lot et multiplié ce résultat par quarante-neuf (cinquante lots moins le lot 14-57), ce qui lui a donné le total attribuable aux demanderesses. À la page 73 de son rapport, il explique son raisonnement :
         [TRADUCTION] Puisque vingt-trois lots ont déjà été vendus, il faut imputer une partie des coûts d'aménagement à ces lots et faire supporter le reste aux lots invendus.               
         Pour calculer les coûts d'aménagement par lot, il faut exclure le lot 57 et procéder en fonction de soixante-douze lots. Étant donné la diversité des prix de vente, il faut exclure les frais de vente des coûts d'aménagement par lot.               
         Compte tenu de ce qui précède, le total des coûts d'aménagement (soixante-douze lots), exclusion faite des frais de vente, se monte à 496 781,00 $ (738 769,00 $ - 241 988,00 $), ce qui donne des frais d'aménagement de 6 900,00 $ par lot et des coûts d'aménagement de 338 100,00 $ attribuables aux quarante-neuf lots invendus. (Le lot 57 est exclu). Chiffre arrondi à : 338 000,00 $.               
         Toutefois, les promoteurs ont déjà versé 76 165,00 $ à ce chapitre (exclusion faite des frais de vente) et ces débours représentent une moyenne de 1 058,00 $ par lot (76 165,00 $ divisés par soixante-douze lots).               
         Il y a donc lieu de réduire en conséquence les coûts d'aménagement estimatifs par lot pour les soixante-douze lots, qui sont de 6 900,00 $, ce qui nous donne : 5 842,00 $ (6 900,00 $ - 1 058,00 $). On obtient donc, au total, des coûts d'aménagement de 286 258,00 $ attribuables aux quarante-neuf lots invendus. Chiffre arrondi à : 286 000,00 $.               
     Il s'ensuit que M. Roy a conclu que la valeur nette du bien-fonds, au 2 mai 1989, était de 3 383 980,00 $. Les calculs qu'il a faits pour obtenir ce résultat sont exposés à la page 74 de son rapport :
         VALEUR NETTE DU BIEN-FONDS - LE 2 MAI 1989         
         Valeur brute des lots               
         (50 lots invendus)               = 3 725 269,00 $               
         Excédent des intérêts sur les               
         frais de financement provisoires      = 131 232,00 $               
                             3 856 501,00 $
                 Arrondi à:          3 800 000,00 $
     Dépenses
         Frais de vente (50 lots invendus)      = 186 263,00 $               
         Autres frais d'aménagement               
         (aucun frais attribuable au lot 57)      286 258,00 $               
                             472 521,00 $
                 Arrondi à :          472 500,00 $               
         Valeur nette du bien-fonds          = 3 383 980,00 $               
             Arrondie à :              3 400 000,00 $               
     Comme la Cour ne peut accepter l'opinion de M. Roy, elle suivra la ventilation des dépenses faite par M. Juteau pour trancher la question. Les dépenses inscrites dans la ventilation de M. Juteau sont des dépenses qui n'ont pas encore été engagées ou payées, ou les deux, par les demanderesses, mais qui, selon lui, auraient été engagées ou payées, ou les deux, par le promoteur/acheteur consentant. Par conséquent, en comparant les dépenses de M. Juteau à celles de M. Roy, il faut se rappeler que M. Juteau n'a pas tenu compte des dépenses déjà payées par les demanderesses, tandis que M. Roy indique toutes les dépenses qui, à son avis, auraient été engagées, qu"elles aient déjà été payées ou non. L'analyse qui suit a pour objet de déterminer si l'opinion de M. Juteau sur les dépenses futures est bien fondée.
     La controverse entre les parties porte surtout sur les frais d'ingénierie, les coûts de construction des rues et du chemin d'accès du lotissement et, finalement, sur le profit et les frais généraux du promoteur.
Frais d'ingénierie
     M. Roy a prévu 13 600,00 $ à ce titre. Ce chiffre vient de trois factures que la firme Boileau a envoyées aux demanderesses. La première (numéro 5779), datée du 31 octobre 1988, se monte à 4 000,00 $ et vise les services professionnels rendus pour l'étude relative aux installations septiques. La deuxième (numéro 5964), datée du 23 janvier 1989, se monte à 3 150,00 $ et couvre les services professionnels rendus pour établir le profil provisoire du chemin d'accès. La troisième (numéro 6759), datée du 22 février 1990, se monte à 7 450,00 $ (cette facture a finalement été réduite de 1 000 $) et vise les services professionnels rendus pour les études préliminaires et la préparation des plans et devis pour les rues du lotissement. Au total, ces factures se montent à 13 600,00 $ et ont été réglées par les demanderesses.
     M. Juteau, se fondant sur l'avis donné par l'ingénieur Michel Charron, a prévu 44 000,00 $ pour couvrir les frais d'ingénierie futurs. Selon M. Charron, le promoteur/acheteur consentant aurait supporté des coûts de 25 000,00 $ pour la préparation des plans et devis et 19 000,00 $ de plus pour la supervision de la construction des rues du lotissement et du chemin d'accès.
     En ce qui concerne la supervision du travail requis pour la construction du chemin d'accès et des rues du lotissement, il appert, selon la preuve produite devant la Cour, que, à Hull-Ouest, c'est l'inspecteur municipal qui supervise les travaux exécutés par les entrepreneurs, et ce, sans qu'il en coûte un sou au promoteur. Pierre Gravelle et Edgar Prud'homme, ingénieurs pour la firme Boileau, ont tous deux indiqué dans leur témoignage que, selon l'usage à Hull-Ouest, la supervision des travaux de construction routière était assurée par l'inspecteur municipal. J'accepte le témoignage de ces ingénieurs, qui ont souvent eu affaire à la ville de Hull-Ouest. Selon Edgar Prud'homme, les ingénieurs ne se rendent sur les chantiers de construction qu'en cas de problèmes.
     James Nuggent, président de R.H. Nuggent Equipment Rentals Ltée, a également affirmé dans son témoignage qu'à Hull-Ouest c'est l'inspecteur municipal qui supervise la construction des routes. L'entreprise de M. Nuggent a été fondée par son père, il y a plus de quarante ans. Elle se spécialise dans la construction routière de tous genres, l'excavation et l'approvisionnement en gravier et en terre des travaux de construction de leurs propres projets et de ceux d'autres entrepreneurs. Il y a plus de vingt ans que M. Nuggent travaille pour l'entreprise. La majorité des routes construites par l'entreprise de M. Nuggent se trouvent dans la région de Hull et de Gatineau. Lorsqu'il a été contre-interrogé par Me Noël, M. Nuggent a déclaré ne pas même se rappeler avoir déjà vu un ingénieur accompagner l'inspecteur municipal.
     En indiquant qu'à son avis le promoteur aurait engagé des frais de supervision de 19 000,00 $, Michel Charron a expliqué que ce chiffre était basé sur son évaluation, en tant qu'expert, du temps qu'un ingénieur aurait dû consacrer à l'exécution de cette tâche. M. Charron s'est également fié à un document rédigé par la firme Boileau et qui s'intitule "Cahier des charges générales - applicables à toutes les entreprises et formant partie de tous les contrats". On a prétendu que ce document avait été rédigé par la firme Boileau pour l'aménagement du lotissement des demanderesses. Il contient les clauses et conditions qui, a-t-on allégué, feraient partie intégrante de tous les contrats conclus entre un entrepreneur et les demanderesses relativement au lotissement.
     Selon la Cour, ce document n'a pas été rédigé spécialement pour le lotissement des demanderesses. En effet, le terme "propriétaire" est défini de la manière suivante à l'article 1.1 du "Cahier des charges générales" :
         Le mot "PROPRIÉTAIRE" ou les pronoms qui en tiennent lieu, signifie la personne, la société, la municipalité ou autre corps public demandant les soumissions, leurs représentants dûment autorisés à agir en leur nom, ainsi que leurs successeurs, conformément aux pouvoirs et aux devoirs de leur charge.               
     Ainsi, il ressort que la firme Boileau a préparé ce document non pas spécialement à l'intention des demanderesses, mais à l'intention de tous ses clients susceptibles de vouloir inclure les clauses et conditions de celui-ci dans leurs dossiers d'appel d'offres. En l'espèce, il n'y a absolument aucune preuve que l'on entendait inclure le "Cahier des charges générales" dans un appel d'offres que les demanderesses envisageaient de lancer. M. Charron s'est basé sur plusieurs dispositions du "Cahier des charges générales" pour conclure que des ingénieurs auraient supervisé la construction des rues et du chemin d'accès. Selon la Cour, la preuve n'étaye pas cette conclusion.
     Par conséquent, la Cour estime que le promoteur n'aurait pas dépensé ces 19 000,00 $.
     Passons maintenant à la question des frais d'ingénierie que le promoteur aurait supportés pour les plans et devis. Comme il a été mentionné précédemment, le chiffre avancé par M. Roy représente le total des montants figurant sur les trois factures de la firme Boileau. Le montant de 25 000 $ avancé par M. Juteau est basé sur l'opinion de M. Charron, que Me Burrows a qualifiée d'exercice théorique; selon lui, cet ingénieur voulait construire une route sans tenir compte des coûts. Il en a conclu que personne ne l'aurait engagé pour construire les rues et le chemin d'accès. Pour étayer son argument, il a signalé que M. Charron n'a jamais consulté les représentants de Hull-Ouest, ni ne leur a parlé, pour savoir quels étaient les usages de la municipalité relativement à certaines questions comme la supervision de la construction routière sur son territoire. Selon lui, M. Charron n'a pas agi comme un ingénieur sérieux l'aurait fait si un client avait retenu ses services pour établir les plans et devis de la construction des rues d'un lotissement. Il ne fait aucun doute pour lui qu'un tel ingénieur aurait tenu compte des coûts que comportait la construction des rues envisagées. Il a énergiquement affirmé que M. Charron avait complètement négligé le fait que son "employeur" se serait préoccupé des coûts.
     Ainsi, d'une part, il y a des factures d'un total de 13 600,00 $ qui viennent de la firme Boileau et que M. Gravelle et M. Prud'homme considèrent justes et raisonnables dans les circonstances. D'autre part, M. Charron estime que 13 600,00 $ est un montant insuffisant. En fait, dans l'avis qu'il a donné à M. Juteau le 7 août 1994, le dernier chiffre qu'il a avancé pour les frais d'ingénierie est de 62 500,00 $. Outre les 44 000,00 $ déjà mentionnés, M. Charron estimait que le promoteur aurait engagé respectivement 10 000,00 $ et 8 500,00 $ pour un "plan d'ensemble pour les installations septiques" et pour le "concept" et les "relevés typographiques".
     Dans son résumé des frais d'aménagement, M. Juteau n'a retenu que les sommes de 25 000,00 $ et 19 000,00 $. Il est intéressant de noter que M. Charron était prêt à prévoir une somme de 10 000,00 $ pour le plan des installations septiques, tandis que M. Gravelle a facturé 4 000,00 $ aux demanderesses et qu'il a effectivement établi ce plan.
     Le témoignage de M. Charron sur cette question et relativement aux coûts de construction routière est que bon nombre des témoins appelés par la demanderesses n'ont pas dit la vérité. Il ne pouvait croire que la firme Boileau et les entrepreneurs dont les services ont été retenus par les demanderesses pour donner des devis pouvaient effectuer les travaux aux prix qu'ils avaient faits. Ainsi, à son avis, ils n'ont pas été francs en cour. D'après la preuve présentée, la Cour n'entend pas tirer une telle conclusion.
     La Cour accepte les frais de 4 000,00 $ pour le plan des installations septiques. M. Gravelle a exécuté le travail et, selon ce qui avait été convenu entre la firme Boileau et les demanderesses, un montant de 4 000,00 $ a été facturé et payé.
     En ce qui concerne les autres factures, de 3 150,00 $ et de 7 450,00 $, pour les profils préliminaires du chemin d'accès ainsi que pour l'étude préliminaire et la préparation des plans et devis pour les rues du lotissement, la Cour n'est pas totalement convaincue que les ingénieurs n'auraient rien eu d'autre à faire. Par conséquent, ces frais seront augmentés de 30 % (3,150,00 $ + 7 450,00 $ + 30 % = 13 780,00 $). De plus, comme Edgar Prud'homme l'a expliqué, on aurait appelé les ingénieurs s'il y avait eu des problèmes sur le chantier de construction. Par conséquent, la Cour accordera une somme additionnelle de 3 000,00 $ pour les frais d'ingénierie. Ainsi, les frais qu'il convient de prévoir pour les services d'ingénieurs se montent, selon la Cour, à 20 780,00 $ (4 000,00 $ + 13 780,00 $ + 3 000,00 $). Comme les demanderesses ont déjà versé 13 600,00 $ à la firme Boileau, le solde impayé se monte à 7 180,00 $. Ce montant devra être déduit de la valeur marchande brute.
Déboisement
     M. Charron a indiqué à M. Juteau qu'il devait prévoir 33 600,00 $ pour le déboisement du chemin d'accès et des rues du lotissement. Compte tenu du fait que le chemin d'accès avait été déboisé en septembre 1988 et que les demanderesses avaient déjà payé pour ce travail, M. Juteau a estimé le coût du déboisement à 29 050,00 $, c'est-à-dire 8,3 acres, à 3 500,00 $ l'acre.
     M. Roy a prévu 10 600,00 $ pour le déboisement des rues du lotissement. Ce chiffre est basé sur un devis que M. Jean-Pierre Larocque a donné aux demanderesses le 1er octobre 1988. M. Larocque, qui est bûcheron depuis plus de vingt-cinq ans, avait dit aux demanderesses qu'il était disposé à accepter de déboiser les rues du lotissement pour la somme forfaitaire de 1 300,00 $ l'acre. Ainsi, selon le devis de M. Larocque, il en aurait coûté 10 790,00 $ pour déboiser 8,3 acres de terrain. À l'instruction, M. Larocque a précisé que la proposition qu'il avait faite aux demanderesses prévoyait qu'il aurait pu conserver le bois coupé par ses employés.
     M. Charron a affirmé avoir déjà retenu les services de M. Larocque dans le passé. Plus précisément, il l'a fait pour le lotissement Chanteclerc, où 4 600 mètres linéaires ont été déboisés. Selon M. Charron, M. Larocque lui a demandé 3 500,00 $ l'acre. La Cour ne sait pas pourquoi M. Larocque a demandé 3 500,00 $ l'acre pour le travail exécuté sur le lotissement Chanteclerc, tandis qu'il demandait 1 300,00 $ l'acre pour le travail à faire à la Grande Corniche du Parc pour la bonne raison que cette question ne lui a pas été posée en contre-interrogatoire.
     En l'espèce, la Cour ne voit pas pourquoi elle rejetterait le devis de 1 300,00 $ l'acre fait par M. Larocque comme de base de calcul des coûts qui auraient été engagés pour le déboisement des rues du lotissement. Par conséquent, le montant à prévoir sous la rubrique "déboisement" sera de 10 790,00 $.
Arpentage
     Sous cette rubrique, M. Juteau a prévu des frais de 25 000,00 $. Il a expliqué que l'arpenteur Hugues St-Pierre, de l'entreprise Alary, St-Pierre, Durocher & Germain, lui avait dit qu'il aurait demandé environ 25 000,00 $ pour terminer travaux d'arpentage du lotissement en novembre 1988.
     M. St-Pierre a expliqué que les demanderesses avaient retenu ses services pour arpenter le lotissement afin d'en déterminer les limites et d'établir le plan de lotissement. Comme il ressort d'une facture envoyée par son bureau aux demanderesses le 14 novembre 1988, les honoraires pour le travail à exécuter étaient de 36 000,00 $ ou 500,00 $ par lot (500,00 $ H 72). M. St-Pierre a expliqué que ce chiffre comprenait la pose de quatre piquets par lot.
     Le prix de 25 000,00 $ proposé par M. St-Pierre représente, selon M. Juteau, le coût des travaux additionnels que l'arpenteur aurait dû effectuer pour terminer l'arpentage du lotissement. En d'autres termes, M. Juteau soutient que le promoteur/acheteur consentant aurait dû dépenser encore 25 000,00 $.
     Il y a lieu de mentionner qu'en novembre 1988 les demanderesses ont versé 32 000,00 $ à l'entreprise de M. St-Pierre, cette dernière leur ayant consenti une réduction de 4 000,00 $. Sur le document constatant cette réduction, on trouve la mention suivante : [TRADUCTION] "Réduction pour piquetage incomplet". Il est admis que M. St-Pierre n'a pas posé quatre piquets par lot. Par contre, les parties ne s'entendent pas quant à savoir pourquoi le travail n'a pas été terminé. M. St-Pierre prétend que M. McInnis lui a donné des instructions en ce sens, ce que ce dernier a vigoureusement nié. En contre-interrogatoire, M. St-Pierre a expliqué que le prix de 25 000,00 $ qu'il a proposé à M. Juteau incluait une somme de 5 000,00 $ pour les travaux d'arpentage concernant le chemin d'accès. Le solde de 20 000,00 $ venait de l'hypothèse qu'il aurait dû retourner terminer ses travaux de novembre 1988, un ou deux mois après qu'on lui eut demandé d'arrêter. Il a indiqué clairement que si on lui avait permis de terminer les travaux commencés en septembre 1988, et qu'il avait proposé aux demanderesses de faire pour 36 000,00 $, il n'y aurait pas eu de frais additionnels.
     Pour des motifs qui ne sont pas entièrement clairs, M. St-Pierre n"a pas terminé les travaux qu"il a entrepris. Comme il a été mentionné précédemment, il soutient les avoir interrompus à la demande de M. McInnis. Toutefois, au cours de son témoignage, il a déclaré qu'on devait lui avoir dit d'arrêter les travaux, plutôt que de se prononcer sans équivoque sur ce point très important. En revanche, M. McInnis a catégoriquement nié lui avoir jamais donné instruction d'arrêter les travaux. La Cour a beaucoup de mal à croire que M. McInnis, après avoir accepté de payer 36 000,00 $ à M. St-Pierre, lui ait demandé d'arrêter les travaux avant la fin. En contre-interrogatoire, M. St-Pierre a admis que la pose des quatre piquets sur chaque lot aurait demandé beaucoup de travail de la part de son équipe. Il aurait fallu poser au moins cent cinquante piquets pour accomplir le travail sur les soixante-treize lots et, au moment où il prétend qu'on lui a demandé d'interrompre le travail, son équipe n'en avait installés que cinquante et un, après quatre à six jours de travail environ. M. St-Pierre a ajouté que, lorsque la CCN lui a demandé de retourner sur les lieux en janvier 1994, il n'a retrouvé que cinq ou six des cinquante et un piquets posés à l'automne de 1988. Il se souvient que certains employés lui avaient signalé que, lorsqu'ils s'étaient rendus au lotissement à l'automne 1988, ils avaient rencontré des personnes que leur présence sur les lieux pour exécuter des travaux d'arpentage contrariait.
     Dans les présentes circonstances, la Cour considère que les travaux d'arpentage auraient dû être complétés par M. St-Pierre. Ce dernier a demandé 36 000,00 $ aux demanderesses et il n'a pas exécuté le travail pour lequel il a été payé. La Cour estime qu'il ne convient pas de soustraire une somme additionnelle de 25 000,00 $ du compte du promoteur/acheteur consentant. Il reste, cependant, que M. St-Pierre a expliqué qu'il aurait fallu engager une somme de 5 000,00 $ pour effectuer les travaux d'arpentage relatifs au chemin d'accès. Ainsi, comme les demanderesses ont versé 32 000,00 $, la Cour estime que l'acheteur consentant aurait engagé une dépense additionnelle de 9 000,00 $ (36 000,00 $ + 5 000,00 $ - 32 000.00 $).
Frais juridiques
     M. Roy n'a rien prévu pour le paiement de frais juridiques futurs. Comme il supposait que tous les terrains du lotissement auraient été vendus le 2 mai 1989, les seuls frais juridiques dont il a tenu compte sont ceux que les demanderesses ont supportés à l'achat du lotissement en juillet 1988, c'est-à-dire les honoraires de 4 625,00 $ qu'elles ont versés au notaire. Selon M. Roy, c'était les seuls frais juridiques payables par les demanderesses puisque, dans la province de Québec, les frais rattachés à l'achat de lots sont à la charge des acheteurs individuels. Toutefois, la Cour a déjà indiqué clairement qu'elle n'accepte pas la prémisse de M. Roy selon laquelle, le 2 mai 1989, plus un seul des cinquante lots n'auraient été à vendre.
     Comme les lots invendus auraient été acquis par un acheteur consentant, un promoteur, celui-ci aurait nécessairement engagé des frais juridiques. M. Juteau, s'appuyant sur l'opinion que lui a donnée Me Philippe DesRosiers, un notaire de la ville de Hull, a conclu que l'acheteur consentant aurait dépensé à ce titre la somme de 14 042,00 $, répartie comme suit :
     -      Achat du lotissement      6 442,00 $         
     -      Acquittement de l'hypothèque de         
         premier rang sur la vente de 19 lots         
         (19 lots H 200,00 $ par lot)          3 800,00 $               
     -      Cession de routes à la municipalité      800,00 $         
     -      Création d'une emprise et examen         
         des documents juridiques      3 000,00 $               
     La somme de 6 442,00 $ représente les frais juridiques que l'acheteur consentant aurait engagés pour acquérir le lotissement des demanderesses. Ce chiffre est basé sur la valeur que M. Juteau a attribuée au lotissement à la date du 2 mai 1989, soit 1 500 524,00 $. Comme la décision de la Cour a pour effet d'augmenter cette valeur, les frais juridiques payables par l'acheteur consentant pour l'acquérir auraient dépassé 6 442,00 $. Ainsi qu'il ressortira de l'ordonnance de la Cour, il incombera aux avocats de calculer la valeur exacte des lots et, par conséquent, le montant précis des frais juridiques à payer. En ce qui concerne les autres dépenses qu'aurait supportées l'acheteur consentant à ce titre, c'est-à-dire les sommes de 3 800,00 $, 800,00 $ et 3 000,00 $, la Cour accepte ces chiffres comme représentant les frais juridiques qu'il aurait fallu payer.
Frais de vente
     Encore une fois, puisque la Cour rejette la prémisse de M. Roy voulant qu'aucun des lots n'aurait été encore à vendre le 2 mai 1989, elle souscrit à l'opinion de M. Juteau et convient que des frais de vente représentant 5 % de la valeur marchande brute sont raisonnables. Le chiffre inscrit dans le résumé de M. Juteau est 123 775,00 $12 et est basé sur la valeur marchande brute de 2 766 150,00 $.
     Comme la décision de la présente Cour a pour effet d'augmenter la valeur marchande brute du lotissement, les frais de vente qu'aurait supportés un acheteur consentant auraient dépassé le montant prévu par M. Juteau.
Taxes foncières
     M. Juteau a prévu 2 000,00 $ pour les taxes foncières et la Cour accepte ce montant.
Droits de mutation
     La Cour convient avec M. Juteau que les droits de mutation doivent être calculés comme le propose Me DesRosiers dans sa lettre du 12 août 1994, c"est-à-dire 0,3 % pour une valeur allant jusqu'à 50 000,00 $ et 0,6 % pour l'excédent. Comme M. Juteau a conclu que les cinquante terrains invendus valaient 1 500 524,00 $, il a calculé qu'il faudrait payer des droits de mutation de 8 850,00 $. La décision de la Cour ayant pour effet d'augmenter la valeur des cinquante lots, le montant payable sous cette rubrique s"en trouvera également majoré.
Permis de construction routière
     La Cour accepte le témoignage de M. Juteau selon lequel le promoteur aurait payé 300,00 $ pour obtenir un permis de construction routière de la ville de Hull-Ouest.
Coûts de construction routière     
     Le principal désaccord entre les parties porte sur les coûts de construction du chemin d'accès et des rues du lotissement. Dans son résumé des dépenses, M. Roy prévoit 263 222,00 $ à ce titre, somme ventilée de la manière suivante :
         Dynamitage      37 500,00 $               
         Chemin d'accès et chemin principal      200 562,00 $               
         Infrastructure      25 160,00 $               
     Les chiffres de M. Juteau sont beaucoup plus élevés que ceux qui sont inscrits dans le rapport de M. Roy. En effet, M. Juteau a prévu qu'il en coûterait 548 826,00 $ pour la construction des rues du lotissement et du chemin d'accès. Il a prévu aussi une somme additionnelle de 54 883,00 $ représentant 10 % des coûts pour les aléas de la construction, ce qui donne un total de 603 709,00 $. Les chiffres de M. Juteau sont basés sur l'opinion suivante, que lui a donnée l'ingénieur Michel Charron en date du 7 août 1994 :
             Opinion sur le coût probable de construction               
     basé sur des renseignements fournis en avril 1989

Item

Désignation des ouvrages

Quantité

Unité

$Unitaire

Produit

1,0      Rues de la subdivision et chemin d"accès

1,1

1,2

1,3

1,4

1,5

1,6

1,7

1,8

1,9

2,0

Déboisement

Excavation, terrassement préparation et mise en forme

Déblai de première classe

Coussin de sable classe A - 150 mm

Pierre concassée 0-63, épaisseur 25mm

Pierre concassée 19-0, épaisseur 150mm

Fossés

Ponceau 450 dia., épaisseur 2,0 mm, x 13 mm. (jauge 14)

Ponceau 600 dia., épaisseur 2,0 mm, x 13 mm. (jauge 14)

Alimentation éléctrique [sic]

9,60

23250,00

8000,00

26000,00

26000,00

23250,00

4600,00

100,00

15,24

1,0

acres

m.cu.

m.cu.

m.car.

m.car.

m.car.

m.

m.

m.

globale

3 500,00 $

2,80 $

25,00 $

2,25 $

4,25 $

3,40 $

5,00 $

110,00 $

110,00 $

65 000,00 $

33 600,00 $

65 100,00 $

200 000,00 $

58 500,00 $

110 500,00 $

79 050,00 $

23 000,00 $

11 000,00 $

1 676,40 $

65 000,00 $

     Total      647 426,40 $
     Les postes 1,1 et 2,0 de l'opinion susmentionnée ne font pas partie des coûts de construction des routes de M. Juteau. Ainsi, il faut déduire 33 600,00 $ et 65 000,00 $ (98 600,00 $) du total de 647 426,40 $. Il reste donc 548 826,40 $.
     La Cour commencera par examiner la preuve produite par les demanderesses. M. Roy fonde ses chiffres sur plusieurs devis fournis aux demanderesses. Premièrement, le montant de 25 160,00 $ vient d'un devis en date du 19 avril 1990 fourni aux demanderesses par Lavell Construction pour la "préparation de l'infrastructure de 34 000 m.car. - déboisement exclus". Le prix que propose M. Lavell ne vise que les rues du lotissement. Deuxièmement, le montant de 200 562,00 $ repose sur deux devis, tous deux en date du 13 février 1990, fournis aux demanderesses par R.H. Nuggent Equipment Rentals Ltée. Le premier devis de 34 586,60 $ s'applique à la construction du chemin d'accès, à partir du chemin de la Mine jusqu'à l'entrée du lotissement. Le deuxième devis, de 165 975,50 $, se rapporte à la construction des rues du lotissement. Le dernier prix de 37 500,00 $, en date du 10 avril 1990, a été proposé par Castonguay et Frères Ltée. Ce prix vise les travaux suivants :
         Le prix pour les travaux de dynamitage est de $12.50 du mètre cube, pour 3 000 m3 dans environ 80 m linéaire [sic] et environ 10 m de large. Castonguay et Frères s'engage à fournir l'équipement nécessaire pour ce projet.               
     Procédons à un examen rapide du témoignage des entrepreneurs qui ont comparu pour appuyer les demanderesses. M. Edward Lavell est entrepreneur de travaux routiers depuis à peu près vingt ans. Il a construit une centaine de routes environ pour différents lotissements, tant au Québec qu'en Ontario. Il met la couche de base, mais ne termine pas la route. Lorsque les demanderesses lui ont demandé de leur faire un prix, il est allé inspecter leur lotissement. Il n'y a [TRADUCTION] "rien remarqué d'inhabituel". En avril 1990, lorsqu'il a parcouru le lotissement avec M. McInnis, il avait à sa disposition le profil de l'ingénieur établi par Edgar Prud'homme. Il a expliqué que, normalement, il demande 80,00 $ l'heure pour son travail, mais que, dans ce cas-là, M. McInnis lui avait demandé de lui proposer un prix fixe. Après avoir examiné le lotissement, il a fait ses calculs et, le 19 avril 1990, il a fait parvenir aux demanderesses une proposition de 25 160,00 $ (34 000 mètres carrés, à 0,74 $ le mètre carré). Il a précisé qu'à Hull-Ouest, la largeur de la plate-forme était de vingt-quatre pieds, mais qu'il aurait eu à dégager un parcours d'une largeur de quarante pieds afin de prévoir les fossés. Il a estimé qu'il lui faudrait trois ou quatre semaines environ, à dix heures par jours, cinq jours par semaine, pour exécuter ce travail. Lorsqu'il est allé au lotissement avec M. McInnis et qu'il a proposé un prix aux demanderesses, il pensait sincèrement construire la plate-forme des rues du lotissement, ignorant que ce lotissement avait été exproprié par la défenderesse.
     M. Lavell a ajouté qu'il était sous-entendu qu'il travaillerait avec le matériau qu'il trouverait sur le lotissement, quel qu'il soit. Le prix proposé ne s'appliquait qu'à la construction de la plate-forme des rues du lotissement et ne couvrait aucunement le chemin d'accès. Il a indiqué à la Cour qu'il avait travaillé au lotissement Golden Maples I qui, selon lui, était plus rocheux que La Grande Corniche du Parc.
     En contre-interrogatoire, M. Lavell a mentionné qu'il avait déjà participé à cinq autres lotissements de M. McInnis. Il a répété que, lorsqu'il a établi son prix, il ignorait que le lotissement des demanderesses avait été exproprié. Toutefois, M. McInnis le lui a dit après qu'il a fait sa proposition. Avant avril 1990, il n'avait jamais vu le lotissement des demanderesses. Il a précisé que son prix ne comprenait pas l'enlèvement des matériaux ni l'enlèvement des arbustes du chantier. Il ignorait l'importance du remplissage qu'il aurait fallu effectuer. Si un remplissage appréciable s'était avéré nécessaire, il est évident que ses prix auraient été plus élevés. Lorsqu'il a établi son prix, il savait que la pente moyenne des rues, telles que prévues par les ingénieurs, était de 12 %. D'après son expérience, [TRADUCTION]"la pente des rues de Hull-Ouest en 1988-1989 se situait entre 7 et 12 %". Il ignorait que certaines rues avaient des pentes pouvant atteindre 15 %, mais il estimait qu'une telle pente jouait [TRADUCTION] "en sa faveur". Il a répété que La Grande Corniche du Parc était moins rocheuse que Golden Maples I.
     En réinterrogatoire, M. Lavell a dit qu'il ne faisait aucun doute que les travaux qu'il avait exécutés à d'autres lotissements de M. McInnis étaient plus difficiles que ceux qu'il aurait eu à faire à La Grande Corniche du Parc.
     M. Nuggent, de R.H. Nuggent Equipment Rentals Ltée., a témoigné qu'il était "estimateur" des marchés sollicités par sa société. Selon lui, les quantités nécessaires pour l'exécution d'un travail en particulier sont déterminées à partir des plans et profils des ingénieurs. Il a indiqué à la Cour que sa société avait participé à la construction d'une cinquantaine de routes à Hull-Ouest, entre 1980 et 1988. Parmi les clients qu"a eus son entreprise au cours de cette période, on retrouve la municipalité de Hull-Ouest, la CCN, le ministère des Transports et des particuliers procédant à l'aménagement de lotissements. Interrogé sur les pentes des routes, il a répondu qu'il construisait les routes suivant les pentes prévues aux plans et devis établis par les ingénieurs. Il ne se souvenait pas exactement des exigences de la municipalité de Hull-Ouest. Avant d'entreprendre la construction, il a affirmé qu'il se procurait toujours les profils établis par les ingénieurs.
     M. Nuggent a expliqué en outre qu'il avait construit plusieurs routes pour M. McInnis dans Golden Maples I et dans d'autres lotissements. Il avait l'habitude de demander à M. McInnis les plans et devis avant de lui faire un prix. Il ne se rappelait pas avoir jamais été supervisé par un ingénieur sur les chantiers de M. McInnis.
     En ce qui concerne La Grande Corniche du Parc, on a demandé à M. Nuggent de proposer un prix pour la construction de la plate-forme des rues et du chemin d'accès et pour l'enlèvement des matériaux du chemin d'accès. Avant de faire son prix, il est allé parcourir le bien avec M. McInnis. Le chemin d'accès avait déjà été déboisé. Il n'est pas resté longtemps sur les lieux, parce qu'il se fiait surtout aux plans et devis établis par les ingénieurs. On lui a montré le profil des rues du lotissement établi par l'ingénieur Edgar Prud'homme (P-19) et il a indiqué qu'il s'agissait du genre de document dont il se serait servi pour préparer son devis. Il aurait aussi examiné attentivement un document intitulé "Bordereau des quantités" (D-5, onglet 28, voir p. 3 de 3) préparé par la firme Boileau.
     M. Nuggent a ensuite indiqué en détail la procédure qu'il aurait suivie pour construire les routes sur un lotissement de ce genre. Ce faisant, il a expliqué les postes 1 à 10 inscrits sur ses deux devis du 13 février 1990. Par exemple, il a précisé qu'il n'était pas nécessaire de prévoir une fondation de sable sur ce lotissement, parce que cette précaution n'est requise que lorsqu'il y a de l'argile ou une assise instable. M. Nuggent a été interrogé à ce sujet parce que M. Charron a indiqué, dans son opinion à M. Juteau et dans son témoignage devant la Cour, qu'il fallait un "coussin de sable, classe A-150 mm" (voir le poste 1,4 de l'opinion de M. Charron). À ce poste, M. Charron a estimé qu'il fallait prévoir une dépense de 58 500,00 $.
     Après avoir fourni ces explications, M. Nuggent a affirmé, de façon catégorique, que les prix de 165 975,50 $ et de 34 586,60 $ qu'il avait proposés ne lui posaient pas de problème de conscience. Quant à lui, il n'y avait rien d'inhabituel dans les travaux qu'il aurait eu à exécuter sur le lotissement McInnis. Il avait récemment construit des routes dans le lotissement Juniper, situé près du chemin Scott, et ces rues ressemblaient beaucoup à celles qu'il aurait eu à construire dans le lotissement McInnis parce que, entre autres, les pentes étaient aussi prononcées. Il ne voyait pas non plus de "véritable" différence entre les rues de Golden Maples I et celles du lotissement en question. Il a précisé que toutes ses rues ont été acceptées par les différentes municipalités où il les a construites, y compris les rues de Juniper et de Golden Maples, dans Hull-Ouest. En contre-interrogatoire, il a admis que, lorsqu'il a établi son prix pour le chemin d'accès, il savait qu'il ne ferait pas ces travaux. En outre, si le client de La Grande Corniche du Parc n'avait pas été M. McInnis, il aurait probablement demandé 10 % plus cher. Il ne faisait aucun doute à ses yeux que le profil de l'ingénieur Edgar Prud'homme était suffisant pour lui permettre de construire les rues. Il a ajouté qu'il arrivait souvent qu'on utilise de la poussière de pierre pour les routes de Hull-Ouest, ce matériau étant moins cher que la pierre concassée : 1,50 $ à 2,00 $ la tonne métrique environ. Il ne se rappelait pas avoir jamais vu un ingénieur accompagner l'inspecteur de Hull-Ouest, M. Gervais, au cours d'une de ses inspections.
     M. André Prud'homme qui travaille pour Castonguay et Frères Ltée depuis quinze ans a été le témoin suivant. L'entreprise de son employeur s'occupe surtout de travaux de "forage et dynamitage" pour le compte d'entrepreneurs ou de promoteurs ou les deux. M. Prud'homme a participé au lotissement Golden Maples I réalisé par M. McInnis. En avril 1990, on lui a fourni des renseignements sur La Grande Corniche du Parc et demandé de proposer un prix. Sa proposition a déjà été exposée en détail.
     M. Prud'homme a indiqué très clairement que le prix qu'il avait proposé à M. McInnis était le même que celui qu'il aurait fait à toute autre personne, à Hull-Ouest, qui lui aurait présenté la même demande. Ainsi, il n'a accordé aucune réduction parce que les travaux devaient être exécutés pour M. McInnis.
     En contre-interrogatoire, M. Prud'homme a mentionné qu'il ne s'était pas rendu au lotissement avant de faire son prix. M. McInnis lui a plutôt donné un plan et des "chiffres". Il n'a pas discuté avec M. Gravelle ou M. Edgar Prud'homme du travail qu'il y avait à faire. Il a admis que, normalement, il serait allé sur les lieux. Il s'est contenté de faire un prix à partir des quantités qu'on lui avait indiquées.
     Le témoin suivant des demanderesses a été l'ingénieur Edgar Prud'homme. M. Prud'homme s'est joint à la firme Boileau en 1972, où il s'occupe, depuis, de la conception et de la construction des routes. Il dirige la section de génie civil de cette entreprise depuis 1976. Avant La Grande Corniche du Parc, M. Prud'homme avait participé à l'aménagement de lotissements comparables pour le compte de M. McInnis, plus précisément celui de Golden Maples I, de Golden Malples II et de Chelsea Gardens. En 1988, M. McInnis a pris contact avec lui et lui a demandé d'aller au lotissement afin d'étudier la faisabilité de son projet. Après s'être rendu sur les lieux avec M. McInnis, M. Prud'homme a conclu que le projet était réalisable et, en conséquence, a demandé à Pierre Gravelle de commencer à travailler sur le plan des installations septiques. M. Prud'homme a expliqué que c'était lui qui avait calculé les quantités de matériaux mentionnées au devis de M. Nuggent au sujet des rues du lotissement. Par la suite, en février 1990, il a préparé le profil de ces rues, mais il savait, à cette époque, qu'elles ne seraient jamais construites. Il a décrit le lotissement comme un [TRADUCTION] "lotissement normal" en région montagneuse, ajoutant qu'un ingénieur devait adapter son plan à la réalité qui s'offre à lui, afin de tenir compte d'éléments comme des montagnes et de se servir des particularités du terrain plutôt que de lutter contre elles.
     M. Prud'homme a également précisé que M. Gravelle avait établi le profil du chemin d'accès sous sa supervision. Il a ajouté que les pentes devaient, idéalement, être d'au plus 10 %, mais que ce n'était pas toujours possible. On peut voir sur son profil que plusieurs pentes ont plus de 10 %, et ce, parce qu'il y a des collines sur le lotissement. M. Prud'homme a expliqué que le travail qui a conduit à la réalisation de son profil avait été commencé à l'automne de 1989, mais que les données dont il s'était servi avaient été recueillies sur les lieux à l'automne de 1988. Pendant son témoignage, il a dit qu'il connaissait bien M. Nuggent, car ils avaient travaillé ensemble à plusieurs reprises.
     L'autre ingénieur que les demanderesses ont appelé à témoigner est M. Pierre Gravelle, qui, à l'époque en cause, était lui aussi ingénieur pour la firme Boileau. M. Gravelle s'occupait presque exclusivement des routes rurales. À l'automne de 1988, M. Prud'homme lui a demandé de préparer un profil pour la construction du chemin d'accès. M. Gravelle est parvenu à le faire sans arpentage parce que le déboisement avait déjà été fait lorqu'il a commencé son travail. Il a précisé qu'un profil d'ingénieur sert à déterminer des quantités de matériaux requises pour construire la route. Il a déclaré qu'il était convaincu d'avoir assez de renseignements pour faire le travail. À son avis, la situation n"était pas compliquée. Il a signalé que son profil devait être envoyé au client, mais non à la municipalité de Hull-Ouest.
     Au cours de son témoignage, M. Gravelle a mentionné que les normes municipales exigeaient que le chemin d'accès soit d'une largeur de vingt-quatre pieds. Il estimait qu'il n'était pas nécessaire de prévoir une fondation de sable parce que le sol n'était pas argileux. Les matériaux indiqués sur son plan étaient identiques à ceux qu'il avait prévus dans les plans d'autres projets acceptés par la municipalité de Hull-Ouest. Il a examiné la proposition faite par M. Nuggent pour le chemin d'accès et a déclaré qu'elle lui semblait raisonnable. Il a précisé qu'il faisait entièrement confiance à M. Nuggent, qui est un [TRADUCTION] "excellent homme". Il a ajouté que les entrepreneurs apportaient les adaptations nécessaires sur le terrain au fur et à mesure que le besoin s'en faisait sentir. Les matériaux et les quantités figurant dans la proposition de M. Nuggent pour le chemin d'accès étaient ceux qu'il avait prescrits.
     Les demanderesses ont appelé à témoigner M. Alcide Cloutier, secrétaire-trésorier de Chelsea. M. Cloutier a identifié un extrait du procès-verbal d'une séance du conseil municipal de Hull-Ouest tenue le 5 avril 1983, au cours de laquelle le conseil a adopté les normes applicables aux routes de la municipalité, un document qui s'intitule : "La Corporation Municipale du Canton de Hull, Partie Ouest - Normes des Chemins municipaux, mars 1983". Ces normes devaient être [TRADUCTION] "utilisées tant par le Comité des Chemins que par le contremaître aux fins de la présentation de recommandations au conseil conformément au règlement 290".
     L'article 1.2 du règlement 290 contient l'extrait suivant :
         Le Comité des Chemins sera convoqué par le Président dudit Comité, tel que requis, pour étudier et déterminer s'il est propice et, si nécessaire, le degré de préparation [sic] à être effectué sur les chemins privés existants qui doivent être pris en charge par la Municipalité. De plus, le Comité fera la revue des propositions soumises par les propriétaires pour la construction de nouveaux chemins dans la Municipalité.               
         Le Comité fera une évaluation des nouveaux chemins et des chemins existants en vertu des considérations suivantes et fera rapport de ses recommandations au conseil.               
         -      Normes des Chemins Municipaux               
         -      sécurité publique et prévisions de la vitesse et du volume de la circulation               
         -      dépenses présentes ou futures aux [sic] contribuables de la municipalité[.]               
     M. Cloutier a expliqué à la Cour que les normes applicables aux routes susmentionnées sont celles qui étaient en vigueur à Hull-Ouest en 1988. Il a ajouté que, dans sa lettre du 4 juillet 1995, il avait commis une erreur en affirmant qu'un document appelé "guide de construction routière", préparé par la firme Boileau en juin 1981, s'appliquait en 1988. Il a raconté qu'une personne lui avait téléphoné pour obtenir une copie de la législation applicable à Hull-Ouest en 1988 et qu'il avait demandé à quelqu'un de son bureau de la lui fournir. Toutefois, il a catégoriquement soutenu que le contenu de sa lettre était erroné, puisque les normes applicables étaient celles qui avaient été approuvées par le conseil à sa séance du 5 avril 1983. L'extrait du procès-verbal du conseil et les normes applicables ont été déposés en preuve respectivement comme pièce P-44 et P-45. Passons maintenant au témoignage de M. Charron.
     Comme il a déjà été mentionné, les chiffres de M. Juteau s'appuient sur l'opinion de M. Charron. Ce dernier a nettement soutenu, au cours de son témoignage, qu'il croyait qu'Edgar Prud'homme, Pierre Gravelle, Edward Lavell, James Nuggent et André Prud'homme n'avaient pas dit la vérité. Il en était persuadé parce qu'il était convaincu que les ingénieurs et les entrepreneurs n'auraient pas fait les travaux décrits dans leurs devis aux prix qu'ils y avaient indiqués.
     M. Charron a expliqué qu'il avait établi ses coûts de construction routière pour une route dont la largeur aurait été de vingt-huit pieds, incluant la surface de roulement et les accotements. M. Gravelle et Edgar Prud'homme ont tous deux affirmé qu'il se trompait en utilisant une largeur de vingt-huit pieds, puisque les normes alors applicables aux chemins à Hull-Ouest prescrivaient une largeur de vingt-quatre pieds. La Cour partage cette opinion. L'article 1.2 des normes en question prévoit [TRADUCTION] :
         1.2      Largeur des chaussées               
             La largeur de la chaussée (surface de roulement et accotements) pour un chemin rural local est d'au moins 7,32 mètres (24 pieds) comme le montre la planche no 1.               
     En contre-interrogatoire, M. Charron a reconnu que, si la Cour concluait que la largeur de la route devait être de vingt-quatre pieds au lieu de vingt-huit, alors ses quantités et ses chiffres seraient trop élevés. Par ailleurs, une telle conclusion ne modifierait pas le poste 1,7, sur les fossés, mais elle réduirait les coûts des postes 1,8 et 1,9, c'est-à-dire les ponceaux. Selon lui, cette erreur n'aurait pas d'incidence sur les coûts prévus pour les travaux de dynamitage nécessaires à la construction du chemin d'accès et des rues.
     M. Charron a formulé des critiques à l'endroit du profil des rues du lotissement établi par Edgar Prud'homme et qu'il a vu pour la première fois en juin 1995. Selon lui, ce profil n'était pas assez complet pour permettre au client d'évaluer l'importance des coûts occasionnés par la construction routière, puisqu"il n"aurait pas su quelles quantités de matériaux étaient requises. Bref, M. Charron considérait que le profil de M. Prud'homme ne permettait pas d'établir un devis exact des coûts de construction. Lorsqu'on lui a demandé pourquoi MM. Castonguay, Nuggent et Lavell avaient préparé des devis et avaient affirmé qu'ils auraient réellement pu exécuter leur travail en se basant sur ce profil, M. Charron a répondu que ces témoins n"avaient pas été francs.
     En contre-interrogatoire, lorsqu'on a signalé à M. Charron que M. Edgar Prud'homme avait mentionné, dans son témoignage, que son plan des rues était identique à celui de rues réalisées dans d'autres projets de M. McInnis, M. Charron a répliqué que cela signifiait que les autres plans étaient eux aussi "mal faits".
     M. Charron s"est ensuite attaqué aux matériaux et aux prix mentionnés dans les devis de MM. Nuggent et Lavell.
     Il s'en est pris plus particulièrement aux prix proposés par MM. Lavell et Nuggent sous la rubrique "préparation de l'infrastructure". Il y a lieu de répéter que la proposition de M. Lavell se limitait aux rues du lotissement. Quant à la proposition de M. Nuggent pour les rues du lotissement, elle n'inclut pas de "préparation de l'infrastructure". Ce dernier renvoie plutôt précisément à la proposition faite par M. Lavell à cet égard. Pour ce qui est du chemin d'accès, la proposition de M. Nuggent n'inclut pas de "préparation d'infrastructure".
     M. Charron a critiqué le prix proposé par M. Lavell, de 0,74 $ le mètre carré, et celui de M. Nuggent, de 1,00 $ le mètre carré. Son chiffre à lui est de 2,80 $ le mètre carré. Si on additionne les prix faits par MM. Lavell et Nuggent, on obtient 30 360,00 $. De son côté, M. Charron avance un chiffre de 65 100,00 $. Selon lui, le prix de 5 200,00 $ proposé par M. Nuggent était [TRADUCTION] "très, très bon marché" voire [TRADUCTION] "insuffisant". Il a ensuite critiqué le prix fait par André Prud'homme de Castonguay et Frères Ltée pour les "travaux de dynamitage". M. Prud'homme a proposé un prix de 12,50 $ le mètre cube, ce qui donne un total de 37 500,00 $ pour le dynamitage ( 3 000 mètres carrés H 12,50 $ = 37 500,00 $).
     M. Charron estime que 25,00 $ le mètre cube est un prix beaucoup plus réaliste et, à son avis, ce n"est pas de 3 000 mètres cubes dont il s'agit, mais plutôt de 8 000 mètres cubes. C'est pourquoi son chiffre à ce titre est de 200 000,00 $.
     M. Charron a signalé ensuite que le "bordereau des quantités" fourni par la firme Boileau ne prévoyait pas ce qu'il a appelé un "coussin de sable classe A". Pour sa part, il a estimé qu"il aurait fallu dépenser 58 500,00 $ sous cette rubrique pour couvrir une superficie de 26 000 mètres carrés (26 000 H 2,25 $). Il a précisé que le poste numéro 9 du devis de M. Nuggent qui porte sur les rues du lotissement, c"est-à-dire l'"emprunt classe A", ne correspondait pas aux prescriptions de la législation applicable. Il a ajouté, cependant, que les chiffres du poste 5 du devis soumis par M. Nuggent pour le chemin d'accès, soit l'"emprunt classe A", étaient comparables aux siens. À ce poste de son devis pour le chemin d'accès, M. Nuggent a proposé le prix de 3 750,00 $ pour 500 tonnes d'un "emprunt classe A", à 7,50 $ la tonne métrique.
     M. Charron a ensuite examiné le poste 1,5 de son propre devis, dans lequel il prescrit l'utilisation de pierre concassée à un coût de 110 500,00 $. Il a signalé que le "bordereau des quantités" de la firme Boileau, sur lequel sont basés les prix faits par M. Nuggent, remplace la pierre concassée par du gravier tout-venant. Selon M. Charron, la législation applicable ne permettait pas d'utiliser ce genre de matériau auquel, en outre, la pierre concassée est bien supérieure.
     Au poste 1,6, M. Charron obtient 79 050,00 $ en se basant sur le prix de 3,40 $ le mètre carré (3,40 $ H 23 250). Il a relevé que les devis de M. Nuggent ne prévoyaient pas l'utilisation de pierre concassée, mais plutôt celle de gravier concassé moins cher.
     M. Charron a ensuite abordé la question des fossés. Les chiffres qu'il a utilisés pour ses calculs sont 4 600 mètres, à 5,00 $ le mètre, ce qui donne 23 000,00 $. Les chiffres dont s"est servi M. Nuggent (pour les rues et pour le chemin d'accès) sont 4 360 mètres linéaires, à 3,65 $ le mètre, ce qui donne un total de 15 914,00 $.
     Finalement, M. Charron est passé aux postes 1,8 et 1,9 de son opinion, lesquels visent les ponceaux. Il a signalé que la législation applicable exige des ponceaux dont la jauge est d'au moins 14 et d'un diamètre minimal de 450 mm (18 pouces). Ses chiffres à ce titre sont 11 000,00 $ et 1 676,40 $, pour un total de 12 676,40 $. Les chiffres mentionnés sous cette rubrique dans les devis de M. Nuggent sont 1 066,00 $, 3 031,20 $ et 2 357,60 $, pour un total de 6 454,80 $.
     M. Charron reproche à M. Nuggent, et donc à la firme Boileau, d'avoir prévu l'installation de ponceaux qui n'étaient pas conformes aux normes de la municipalité. Premièrement, ces ponceaux n'étaient pas de tôle d'acier galvanisée et ondulée comme l'exigeaient ces normes et, deuxièmement, leur jauge n'était pas d'au moins 14.
     L'addition des postes 1,2 à 1,9 de M. Charron donne un total de 548 826,40 $. Par ailleurs, M. Charron a indiqué à M. Juteau qu'il aurait prévu un montant correspondant à 10 % des coûts pour les aléas de la construction. Ainsi le total prévu par M. Charron pour la construction des rues et du chemin d'accès se monte à 603 709,04 $. D'un autre côté, le total des devis donnés par MM. Nuggent, Prud'homme et Lavell est de 263 222,10 $. Il ressort donc que 340 486,94 $ séparent l'estimation des coûts de construction des rues et du chemin d'accès fournie par la défenderesse de celle donnée par les demanderesses.
     Après avoir examiné les normes de la municipalité, la Cour conclut que les critiques formulées par M. Charron au sujet des ponceaux recommandés par la firme Boileau sont fondés. L'article 3.3 des normes municipales prévoit clairement que ceux-ci doivent être faits de tôle d'acier galvanisée et ondulée, avoir une jauge minimale de 14 et un diamètre d'au moins 450 mm (18 pouces). Les ponceaux décrits dans le devis de M. Nuggent ne satisfont pas aux exigences de l'article 3.3.
     La Cour partage aussi l'opinion de M. Charron lorsqu'il affirme que les normes municipales ne permettent pas l'usage de gravier tout-venant. L'article 2.3 de ces normes prescrit l'utilisation de pierre ou de gravier concassés comme fondation inférieure ou fondation supérieure, non celle de gravier tout-venant. Il n"est possible d"utiliser ce matériau que pour servir de fondation inférieure aux chemins privés existants qui sont des chemins ruraux locaux et auxquels s"appliquent la partie II des normes municipales (voir l'article 2.0 de celle-ci).
     Pour ce qui est de fondation supérieure de la route, les normes municipales prévoient l'utilisation de pierre concassée. Les devis de M. Nuggent, faits à partir du "bordereau de quantités" préparé par la firme Boileau, prévoient l'utilisation de pierre concassée comme fondation supérieure des rues du lotissement et du chemin d'accès.
     L'une des principales critiques formulées par M. Charron à l'endroit du profil établi par Edgar Prud'homme est que les pentes des rues prévues sont trop raides. M. Charron a expliqué que, selon les normes municipales, les pentes ne devaient pas dépasser 10 %, sauf dans des cas spéciaux, où la municipalité pouvait autoriser des pentes pouvant atteindre 15 %. L'article 1.1 de la partie I des Normes des Chemins Municipaux prévoit ce qui suit :
         Les pentes auront un maximum de 10 %. Cependant, dans des cas spéciaux, des pentes jusqu'à 15 % pourront être autorisées par la municipalité. Les pentes ne pourront toutefois dépasser 10 % à l'intérieur d'un rayon de 30,5 mètres (100 pieds) d'une intersection.               
     Pour M. Charron, les rues du lotissement ne constituaient tout simplement pas des "cas spéciaux"; les pentes devaient donc être ramenées à 10 % ou moins.
     MM. Mangione, Prud'homme et Gravelle sont encore une fois d'un avis différent de celui de M. Charron. Selon eux, il était tout à fait normal d'avoir des pentes pouvant atteindre 15 % dans une municipalité montagneuse comme Hull-Ouest. D'après Edgar Prud'homme, il arrivait souvent que, dans cette municipalité, des pentes pouvant atteindre 15 % soient acceptées. Il a ajouté que, si les ingénieurs ne pouvaient adapter leurs profils à la réalité, il serait extrêmement difficile de construire des rues. Selon M. Mangione, il n'était pas rare de voir des pentes de 15 % et cela [TRADUCTION] "fonctionnait très bien". Le seul représentant de la municipalité de Hull-Ouest qui ait témoigné est M. Alcide Cloutier, le secrétaire-trésorier qui, en 1988, était directeur des services techniques. M. Cloutier a déclaré qu'il était nécessaire d'apporter des exceptions à la règle puisque Chelsea (l'ancienne Hull-Ouest) était [TRADUCTION] "très montagneuse". Aucun autre représentant de la municipalité n'a été appelé à témoigner.
     Ainsi, la Cour ne dispose que du témoignage de trois ingénieurs fort expérimentés, dont deux possèdent une expérience considérable dans la construction de rues dans la municipalité de Hull-Ouest, qui soutiennent que la municipalité aurait autorisé des pentes dépassant 10 %. La Cour accepte cette preuve et conclut que Hull-Ouest aurait autorisé les demanderesses ou l'acheteur consentant à construire des rues dont la pente pouvait atteindre 15 %. M. Charron semble être d'avis que les "cas spéciaux" ne s'entendent que des cas où les ingénieurs sont incapables de réduire la pente à 10 % ou moins. Si c'était vrai, il aurait été inutile de prévoir les "cas spéciaux" à l'article 1.1 des normes municipales, puisqu"il est impossible à la Cour de concevoir de tels cas.
     Il semble à la Cour qu'il aurait été facile pour M. Charron de communiquer avec le Comité des chemins ou l'inspecteur concerné de Hull-Ouest pour savoir quel était l'usage à la municipalité en 1988-1989. À ce sujet, la défenderesse aurait pu aussi appeler quelqu'un de la municipalité à témoigner. Dans ces circonstances, la Cour n'a d'autre choix que de conclure que la preuve qu'aurait produite un représentant de la municipalité n'aurait pas étayé les propos de M. Charron. Il ne faut pas oublier qu'il ne peut faire aucun doute que la municipalité aurait démontré et qu'elle a effectivement démontré un vif intérêt pour l'aménagement et la vente des lots de ce lotissement. Par conséquent, il ne peut être contesté qu'elle aurait très probablement fait tout en son pouvoir pour répondre aux besoins des demanderesses et de leurs ingénieurs. Il importe aussi de se rappeler que M. McInnis a aménagé sept autres lotissements à Hull-Ouest qui ont des pentes comparables à celles du lotissement qui nous occupe.
     Pierre Gravelle a témoigné qu'il avait récemment conçu, à Hull-Ouest, une route dont la pente était de 14,5 % et que la municipalité l'avait acceptée. D'après certains éléments de preuve, il ressort aussi que la pente du chemin d'accès à Golden Maples I est de 13,5 %.
     Il est révélateur aussi que la défenderesse n'ait appelé aucun entrepreneur à témoigner au sujet des quantités suggérées par M. Charron et sur les chiffres qui s"appliquaient selon lui. Ses chiffres venaient de "son bureau". En d'autres termes, ce sont les chiffres qu'il considérait pertinents d'après son expérience et sa formation. Me Burrows a fait remarquer que les chiffres et les quantités de M. Charron constituaient un exercice théorique de la part de ce dernier en vue de construire une route parfaite.
     M. Charron a signalé que ses quantités étaient supérieures d'environ 30 % à celles de la firme Boileau. En contre-interrogatoire, il a déclaré que, si l'on prenait le profil préparé par M. Prud'homme au pied de la lettre et que la municipalité de Hull-Ouest acceptait ce profil, et donc des pentes pouvant atteindre 15 %, alors ses calculs des quantités seraient à 10 % près de ceux de la firme Boileau.
     En ce qui concerne les coûts qui auraient été engagés pour l"exécution des travaux, M. Charron n"a pas demandé à des entrepreneurs de lui faire des prix comme les demanderesses l'ont fait. La Cour ne peut souscrire à l'opinion de M. Charron selon laquelle les entrepreneurs et les ingénieurs de Boileau n'ont pas témoigné avec franchise.
     Comme il a été indiqué précédemment, M. Charron s'est servi d'une largeur de route de vingt-huit pieds plutôt que de vingt-quatre. Par conséquent, il faut réduire de 17 % les chiffres de ses postes 1,2, 1,5, 1,6, 1,8 et 1,9. Cette correction se traduit par une diminution de 44 545,42 $. Par ailleurs, en ce qui concerne son poste 4, soit le "coussin de sable A - 150 mm", où M. Charron obtient 58 500,00 $, la Cour estime qu'il n'aurait pas été nécessaire d'engager cette dépense. MM. Mangione, Gravelle et Edgar Prud'homme ont tous convenu qu'une fondation de sable n'était pas nécessaire si le sol ne contenait pas d'argile. Ces ingénieurs ont jugé que le sol "rocheux" de La Grande Corniche du Parc rendait le sable inutile.
     La Cour considère également, que le chiffre de 200 000,00 $ figurant au poste 1,3 de l'opinion de M. Charron, le "déblai de première classe", est trop élevé. En effet, la Cour ne souscrit pas à l'opinion de M. Charron selon laquelle la municipalité n'aurait pas permis aux demanderesses ni à un acheteur consentant de construire des rues dont la pente se serait située entre 10 et 15 %. Ainsi, le montant qui aurait dû être consacré aux travaux de dynamitage s'en serait trouvé grandement réduit. Toutefois, bien qu'elle juge trop élevé le montant avancé par M. Charron, la Cour considère que le montant de 37 500,00 $ de M. Castonguay est trop bas. Il faut se rappeler que M. Prud'homme a indiqué qu'il ne s'était pas rendu au lotissement avant de faire son prix. M. McInnis lui a simplement donné un plan et des "chiffres". Jamais M. Castonguay n'a parlé avec les ingénieurs Gravelle et Edgar Prud'homme du travail à exécuter. Dans ces circonstances, la Cour estime qu"un montant de 75 000,00 $ est plus réaliste et peut raisonnablement permettre de parer aux imprévus.
     Ainsi, jusque là, la Cour a réduit les coûts de M. Charron, et donc ceux de M. Juteau, de 228 045,00 $. Mis à part le montant de 10 % que M. Charron a prévu pour les aléas, ses coûts de construction routière passent ainsi à 320 781,00 $. La différence entre ce montant et celui de 263 222,00 $ de M. Roy est de 57 559,00 $. Aux dépenses indiquées par M. Roy, il faut ajouter encore 37 500,00 $ qui, selon la Cour, doivent être prévus pour le dynamitage. La différence entre les parties est maintenant de seulement 20 059,00 $.
     En contre-preuve, les demanderesses ont appelé à témoigner l'ingénieur Edgar Prud'homme. M. Prud'homme a déclaré que, par suite du témoignage de M. Charron, il s"est rendu compte que la rue 14-95 aurait nécessité des travaux supplémentaires. Plus précisément, il aurait fallu construire des murs de soutènement au coût de 14 475,00 $. Si ce montant est ajouté aux coûts de construction routière avancés par M. Roy, la différence entre les parties est ramenée à moins de 6 000,00 $. Avec les 263 222,00 $ prévus par M. Roy, majorés de 37 500,00 $ et de 14 475,00 $, la Cour obtient des dépenses totales de 315 197,00 $.
     Par conséquent, la Cour estime que la somme de 320 000,00 $ représente des coûts de construction réalistes pour le chemin d'accès et les rues du lotissement. De plus, il est raisonnable et indiqué de prévoir 10 % de ce montant pour les aléas de la construction. Ainsi, selon la Cour, il faut compter 352 000,00 $ pour les coûts de construction des routes sur le lotissement et non 603 709,00 $, comme l"indiquait le résumé des coûts de M. Juteau.
     Il ne sera donc pas nécessaire de poursuivre la comparaison en détail des quantités et des prix de M. Charron avec ceux des demanderesses. La Cour a déjà souligné ce qui semblait être les principaux points de désaccord. Si cela s'était avéré nécessaire, toutefois, la Cour aurait préféré les "bordereaux des quantités" de MM. Gravelle et Prud'homme aux quantités de M. Charron. Pour reprendre ce qu"elle a déjà dit, la Cour estime que la preuve n'étaye pas les prétentions de M. Charron qui soutient que les ingénieurs de Boileau et les entrepreneurs retenus par les demanderesses pour présenter des devis n'ont pas été francs.
Profit et frais généraux du promoteur
     Dans son résumé des coûts d'aménagement, M. Juteau a prévu 414 900,00 $ pour le profit et les frais généraux du promoteur, calculés à 15 %. Aux pages 42 et 43 de son rapport, il explique pourquoi il est arrivé à cette conclusion :
         [TRADUCTION] En mai 1989, tout acheteur du lotissement en question aurait dû engager des frais pour aménager les lots et pour s'exposer aux risques liés à l'absorption de ceux-ci et à leur prix de vente. De plus, la vente des lots non aménageables présentait des risques certains pour le nouvel acquéreur.               
         Normalement, dans les lotissements, il n'est pas rare qu'un promoteur prévoie un profit et des frais généraux représentant de 15 à 20 % de la valeur marchande brute. Le lotissement qui nous occupe a déjà une histoire qui démontre l"existence d"une forte demande pour les lots et, par conséquent, des risques réduits pour le promoteur. Encore lui faut-il vendre ces cinquante lots et obtenir des prix correspondant aux valeurs estimées par son évaluateur. De plus, le promoteur doit investir des capitaux dans l'aménagement effectif du lotissement et surveiller l'installation de l'infrastructure, la mise en marché des lots et les négociations avec des professionnels et des organismes gouvernementaux.               
         Eu égard à ces facteurs, j'estime qu'à ce titre un pourcentage se situant à la partie inférieure de la fourchette est raisonnable. Le montant indiqué pour le profit et les frais généraux du promoteur correspondant à 15 % de la valeur brute est donc de 421 575,00 $. Cette somme représente environ 8 431,00 $ par lot. Compte tenu du prix estimatif des lots du lotissement ainsi que des dépenses d'aménagement, ce chiffre semble raisonnable.               
     M. Juteau a calculé ses 15 % en se basant sur sa valeur marchande brute de 2 766 150,00 $. Il va sans dire que, compte tenu de la décision de la Cour, cette valeur sera considérablement plus élevée.
     M. Juteau a conclu qu'un profit et des frais généraux du promoteur calculés à 15 % étaient raisonnables dans les circonstances de l'espèce. Les demanderesses contestent ses conclusions et soutiennent que la Cour devrait attribuer un profit et des frais généraux du promoteur de 5 à 7,5 % seulement.
     Me Noël a prétendu que, le 2 mai 1989, un acheteur consentant aurait pris en considération un certain nombre de risques. Selon lui, l'acheteur consentant est un acheteur averti et il a renvoyé la Cour à la décision rendue par le juge Walsh de la présente Cour dans l'affaire Benmar Development Corp. c. La Reine, [1971], 3 L.C.R. 134. À la page 151, le juge Walsh déclare :
         Il convient de ne pas oublier que c'est la valeur des biens dans leur ensemble qui doit être prise en considération et que cette valeur ne peut être déterminée par les prix que la requérante pourrait obtenir en vendant quelques lots individuels à la fois. La valeur marchande correspond à ce qu'un acheteur averti, qui connaît tous les faits et n'est pas obligé d'acheter, paierait s'il traitait à distance avec un vendeur pareillement avisé qui n'est pas obligé de vendre. Si un tel acheteur a l'intention d'acheter les biens en bloc à titre de projet immobilier spéculatif, c'est qu'il escompte tirer un bénéfice de la vente future de ses biens; c'est lui et non le vendeur qui bénéficiera de ces profits spéculatifs futurs et cela paraîtra dans le prix qu'il est prêt à payer.               
     Me Noël soutient que l'acheteur consentant qui aurait acheté le 2 mai 1989 aurait été conscient des six risques suivants :
     1.      le chemin d'accès;
     2.      le fait que le lotissement n"en était qu"au stade préliminaire;
     3.      le fait que les plans du chemin d'accès et des rues n'étaient pas définitifs;
     4.      les coûts importants liés aux travaux de dynamitage;
     5.      les sept lots qui ne pouvaient être aménagés ;
     6.      la question environnementale.
     En ce qui concerne le risque lié au chemin d'accès, la Cour partage entièrement l'avis de Me Burrows qui affirme que ce risque n'existait pas. L'avocat a fait valoir qu'en expropriant l'emprise des demanderesses la CCN a reconnu, de fait, l'existence de leur droit. Jamais avant le 2 mai 1989 cet organisme n'avait contesté le droit des demanderesses. Selon Me Burrows, il ne pouvait faire aucun doute que les demanderesses avaient l'intention de construire le chemin d'accès à leur lotissement sur l'emprise. Il a évoqué l'acte de vente de 1915 dans lequel Catherine Blake vend à sa soeur la moitié nord du lot 14, et a attiré plus particulièrement l'attention de la Cour sur la description de l'emprise contenu dans cet acte de vente. La Cour a déjà cité les extraits pertinents de cet acte à la page 5 des présents motifs. Me Burrows a également répondu à l'argument de Me Noël selon lequel le droit en question serait éteint en raison de son non-usage pendant trente ans. Selon lui, aucun élément de preuve n'appuie une telle prétention. La Cour est également de cet avis et convient aussi qu'il ne fait pas de doute que le chemin d'accès des demanderesses allait être construit sur le bien-fonds sur lequel les demanderesses avaient un droit de passage. Donc, la Cour convient avec Me Burrows qu'il n'y avait aucun risque.
     Le deuxième risque mentionné par Me Noël porte sur le fait que le lotissement n'en était qu'à un stade préliminaire. La preuve indique que la municipalité de Hull-Ouest avait approuvé le plan de lotissement des demanderesses le 7 novembre 1988. Par conséquent, celles-ci pouvaient vendre leurs lots. Lorsqu"elle a donné son accord, la municipalité avait à sa disposition le plan des installations septiques établi par M. Gravelle, mais pas les profils du chemin d'accès et des rues du lotissement. Selon les ingénieurs Pierre Gravelle et Edgar Prud'homme, pour obtenir l'approbation du plan de lotissement, le promoteur n'était pas tenu de fournir à la municipalité les profils des rues projetées. Il est évident que, le 2 mai 1989, l'aménagement du lotissement en était au même point qu'en novembre 1988. Il ne pouvait en être autrement puisque l"avis d'intention d'exproprier de la CCN n"avait été enregistré que peu de temps après l"approbation du plan de lotissement des demanderesses. En fait, la CCN a brandi le spectre de l'expropriation dès novembre 1988.
     Le troisième risque couru, selon Me Noël, tient à l"état non définitif des plans des rues et du chemin d'accès. Les éléments de preuve à ce sujet ont déjà été examinés et on ne peut affirmer que ces plans étaient définitifs. En revanche, les entrepreneurs sollicités par les demanderesses pour présenter des devis ont tous affirmé que les profils de la firme Boileau étaient suffisamment détaillés pour leur permettre de soumettre des devis et, donc, d'exécuter les travaux.
     Me Noël a aussi fait valoir que le Comité des Chemins de Hull-Ouest n'avait pas approuvé les rues du lotissement et que les demanderesses n'avaient rien fait pour obtenir cette approbation après le milieu de septembre de 1988.
     Me Noël était également d"avis que l'acheteur consentant se serait préoccupé du fait que 27 % des rues du lotissement auraient eu des pentes supérieures à 10 %, selon les plans de M. Prud'homme. Par conséquent, la défenderesse prétend qu'il aurait fallu réduire ces pentes, et donc que les rues auraient empiété sur plusieurs lots, ce qui aurait entraîné des coûts considérables. Un autre risque dont l'acheteur consentant aurait tenu compte est le fait que sept lots ne pouvaient être aménagés. La Cour a déjà conclu qu'il était possible d"aménager six de ces lots.
     Finalement, Me Noël signale un risque qu'il a appelé la question environnementale. Il a mentionné la Loi sur la qualité de l'environnement, L.R.Q., ch. Q-2, et l'alinéa 3(2)c) du Règlement relatif à l'application de la Loi sur la qualité de l'environnement, qui interdit la construction de route à 60 mètres d'un cours d'eau "à débit régulier". Selon lui, ce règlement pose un problème relativement à la construction du chemin d'accès. Il a ajouté qu'il y a aussi un cours d'eau à l'arrière des lots 78 et 79 et que, par conséquent, les rues sont à moins de 60 mètres de ce cours d'eau. L'article 22 de la Loi sur la qualité de l'environnement interdit de construire une route ou des rues sans avoir obtenu un certificat d'autorisation du ministre de l'Environnement.
     Bref, Me Noël soutient simplement que, le 2 mai 1989, l'acheteur consentant aurait été conscient de ces risques et que, par conséquent, il en aurait tenu compte dans le prix qu'il aurait offert. Selon lui, il est plus que raisonnable de prévoir une réduction de 15 % à cet égard.
     La Cour a déjà fait des observations sur les arguments de Me Noël concernant le droit de passage des demanderesses sur le bien-fonds où elles envisageaient de construire le chemin d'accès et elle juge inutile d'y ajouter quoi que ce soit. En ce qui concerne le risque que le chemin d'accès ou les rues du lotissement n'aient pas pu être construits, la Cour estime qu'il était minime. Il ne fait pas de doute que la municipalité aurait approuvé leur construction. La Cour ne voit aucune raison qui aurait pu justifier cette dernière de refuser son approbation. Quant à la question environnementale relative à la construction des routes, ce problème aurait pu entraîner des délais, mais la Cour est convaincue que, finalement, les ingénieurs auraient trouvé les solutions qui s"imposaient.
     La Cour a commencé la présente partie de ses motifs en exposant le raisonnement suivi par M. Juteau pour conclure qu'il était raisonnable de prévoir à cet égard une réduction de 15 % . Il va sans dire que l'acheteur/promoteur consentant n'achète pas le bien pour le plaisir de le faire. Il le fait pour tirer un profit raisonnable de son investissement. Aussi, plus les risques auxquels il s'expose diminuent, plus il faut réduire le pourcentage prévu à ce titre.
     M. Juteau était persuadé que tous les lots de La Grande Corniche du Parc auraient été vendus à la fin de 1989. Il était sûr aussi que les routes auraient été construites à l'été de 1989. Il indique ce qui suit à la page 40 de son rapport :
         [TRADUCTION] Comme les routes ne sont pas revêtues et qu"elle sont construites selon les normes applicables en milieu rural, leur construction au cours de l"été 1989 ne pose pas de problème.               
     En prévoyant un profit et des frais généraux du promoteur de 15 %, M. Juteau considérait que l'impossibilité d"aménager sept lots constituait un risque certain. La Cour a conclu qu'en réalité six de ces lots pouvaient être aménagés et qu'ils ne représentaient qu'un risque minime ou inexistant.
     Cela ne signifie pas que la Cour estime qu'un acheteur consentant ne s'exposait à aucun risque le 2 mai 1989, mais bien qu"elle considère que ceux-ci étaient de peu d"importance. Il était véritablement possible que, dès la fin de 1989 ou le début de 1990, tous les lots aient été vendus et le lotissement, terminé. Par conséquent, l'acheteur consentant aurait récupéré toutes ses dépenses et aurait fait un profit suffisant dans un délai d'environ huit mois. Dans les présentes circonstances, il est donc raisonnable, selon la Cour, de prévoir une réduction de 10 % pour le profit et les frais généraux du promoteur.
CONCLUSION
     Pour les motifs qui précèdent, la Cour accueille l'action des demanderesses et leur accorde des intérêts et l'indemnité additionnelle prévue par l'article 1619 du Code civil du Québec (C.C.Q.). Les parties calculeront, conformément aux présents motifs du jugement, le montant précis de l'indemnité à laquelle les demanderesses ont droit. Si elles sont incapables de s'entendre sur le montant de l'indemnité, les parties devront en avertir la Cour au plus tard le 1er mai 1997. Si elles parviennent à s'entendre, elles en aviseront la Cour immédiatement et un jugement sera inscrit pour le montant convenu. Comme le montant de l'indemnité payable dépasse le montant des offres que leur a faites la défenderesse, les demanderesses ont droit aux frais extrajudiciaires comme le prévoit le paragraphe 39(2) de la Loi.
    
                                 MARC NADON
                    
                                     Juge
Ottawa (Ontario)
le 26 mars
Traduction certifiée conforme     
                             C. Bélanger, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                  T-1160-90
INTITULÉ DE LA CAUSE :          C & B Vacation Properties et Corporation Drovelle Ltée,
                             - et -
                             Sa Majesté la Reine,
LIEU DE L'AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)
DATES DE L'AUDIENCE :              du 5 au 8 juin, du 31 juillet au 4 août, du 8 au 11 août, du 14 au 16 août, du 21 au 25 août, du 29 août au 1er septembre, le 27 septembre, du 14 au 17 novembre, du 20 au 24 novembre, du 13 au 15 décembre, du 18 au 21 décembre 1995, du 3 au 7 juin, du 10 au 13 juin, du 18 au 20 juin et du 24 au 26 juin 1996.

MOTIFS DU JUGEMENT DU JUGE NADON,

en date du 26 mars 1997

ONT COMPARU :

Me William F. Burrows, c.r.              pour les demanderesses

Me Siobhan Devlin

Me Pierre Champagne

Me Ben Bierbrier                  pour la défenderesse

Me René Leblanc

Me Claude Marcotte

Me Simon Noël

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling, Strathy and Henderson          pour les demanderesses

Ottawa (Ontario)

George Thompson                  pour la défenderesse

Sous-procureur général du Canada

Noël Berthiaume

Hull (Québec)


__________________

1 Bien que ce lotissement ait compté soixante-treize lots, le présent litige ne porte que sur cinquante, parce qu'au moment de l'expropriation les demanderesses en avaient déjà vendu vingt-trois à des acquéreurs individuels. Ces lots font l'objet d'un litige distinct. De plus, les parties conviennent que le lot 14-57, un des cinquante lots appartenant encore aux demanderesses, ne pouvait être aménagé. En conséquence, M. Juteau et M. Roy, les experts en évaluation qui ont témoigné respectivement pour le compte de la défenderesse et des demanderesses, l'ont traité à part.

2 Les soixante-treize lots moins le lot 14-57.

3 Les dates précises des ventes considérées sont les suivantes :          1.      le 3 octobre 1977          2.      le 10 octobre 1979          3.      le 7 novembre 1985          4.      le 18 décembre 1985          5.      le 13 juin 1986          6.      le 18 août 1986          7.      le 7 décembre 1982          8.      le 26 août 1988          9.      le 29 août 1988 et          10.      le 8 mars 1989
     Dans son rapport, M. Roy désigne ces ventes par le numéro qu'il leur a attribué. Par exemple, lorsqu'il parle de la vente du 3 octobre 1977, il l'appelle la vente no 1.

4 Comme M. Roy l'indique à la p. 54 de son rapport, [TRADUCTION]"La vente no 10 n'est pas une vente ferme, mais elle fournit un bon indice des activités foncières dans le secteur de Kingsmere et le parc de la Gatineau".

5 Ces ventes sont les suivantes :

VENTES COMPARABLES - LA GRANDE CORNICHE DU PARC
Lot #      Date d'acceptation Date de conclusion de la vente
14-23 3 octobre 1988 15 août 1989
14-53 4 octobre 1988 28 février 1989
14-16 4 octobre 1988 31 août 1989
14-50 13 octobre 1988 27 mars 1989
14-38 13 octobre 1988 1er mai 1989
14-22 13 octobre 1988 14 février 1989
14-46 17 octobre 1988 10 juillet 1989
14-28 17 octobre 1988 1er mai 1989
14-19 20 octobre 1988 5 décembre 1988
14-79 14 novembre 1988 23 décembre 1988
14-62 19 décembre 1988 31 août 1989

6 Ce montant est maintenant de 414 900,00 $.

7 M. Juteau avait évalué les cinq lots à 335 000,00 $. Par suite de l'avis juridique reçu, il a réduit cette valeur à 301 500,00 $ d'où il a soustrait 10 850,00 $. La diminution totale est donc de 44 350,00 $.

8 Ce chiffre devra manifestement être modifié en fonction des présents motifs, c'est-à-dire rajusté en fonction du temps jusqu'au 2 mai 1989, etc.

9 M. Charron a rédigé une lettre pour chacun des cinquante lots.

10 En contre-interrogatoire, Me Noël a demandé à M. Gravelle pourquoi son plan C-1 ne portait pas sur les 72 lots. Bien qu'il y ait eu 73 lots, les parties ont convenu que le lot 14-57 ne pouvait être aménagé. Lorsqu'il a témoigné, M. Gravelle était certain d'avoir examiné tous les lots, mais il ne pouvait expliquer pourquoi son plan ne portait que sur 60 lots. La question a été réglée le 13 juin 1996 lorsque, sur consentement des parties, le plan de M. Gravelle pour les douze lots "manquants" a été admis en preuve comme pièce P-46. Ainsi, M. Gravelle a effectivement examiné tous les lots.

11 Il est évident que ces valeurs devront être rajustées en fonction des présents motifs de jugement.

12 Ce chiffre semble être erroné. La valeur marchande brute révisée (voir D-31) est de 2 766 150,00 $. Donc, selon la Cour, 5 % de ce montant donne 138 307,50 $.

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