Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                                                                                                                               Date :    20050726

                                                                                                                  Dossier :    IMM-8627-04

                                                                                                                Référence : 2005 CF 1025

ENTRE :

                                               ANATOLY AIDARUK SKODTAEV

                                                                                                                                         Demandeur

                                                                          - et -

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETE

                                                       ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                          Défendeur

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

BLANCHARD J.

INTRODUCTION

[1]                Le demandeur, Anatoly Aidaruk Skodtaev, se porte en contrôle judiciaire d'une décision de la Section de protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), rendue le 2 septembre 2004 par la commissaire Diane Fecteau, rejetant sa demande d'asile.


[2]                À titre de remède, le demandeur prie cette cour de casser la décision, d'ordonner une nouvelle audience devant un autre panel et de suspendre durant l'instance toute mesure de renvoi.

CONTEXTE FACTUEL

[3]                Citoyen russe de religion chrétienne orthodoxe, le demandeur est marié et père de deux enfants. Il habite à Vladikavkaz, la capitale de l'Ossétie du Nord, une république faisant partie de la Fédération russe. De 1983 à 2002, il travaille comme médecin. En 2002, il est congédié en raison, allègue-t-il, de sa nationalité mixte.

[4]                Le demandeur soutient avoir été victime de discrimination et de persécution par des Ingouches et des nationalistes ossètes. Il raconte avoir été humilié, battu et harcelé par des Ossètes et avoir subi des représailles de la part d'Ingouches, qui l'ont battu lui et sa famille, et qui ont jeté une bombe incendiaire et lancé des pierres à la fenêtre de son appartement. Il dit avoir été attaqué par des Ingouches pendant qu'il répondait à un appel d'urgence, avoir été attaché à un arbre et s'être fait voler son ambulance.

[5]                En outre, sa participation à une organisation communautaire venant en aide aux invalides a également contribué à le rendre victime de discrimination et de mauvais traitements. Lorsqu'il s'occupait de trois familles ingouches dont les membres avaient été mutilés par des nationalistes ossètes, le demandeur a été attaqué par des individus de ce même groupe.


[6]                Le demandeur allègue de plus que l'église qu'il fréquente a été attaquée par des Ingouches de religion musulmane et par des nationalistes ossètes qui entretiennent une querelle au sujet de l'interprétation que fait son Église du Nouveau Testament.

[7]                En mars 2003, le demandeur, qui est cinq fois champion international de lutte à main plate, participe à une compétition internationale en Pologne. Des Ossètes auraient menacé le demandeur et sa famille de mort s'il ne perdait pas la compétition.

[8]                En avril 2003, le demandeur aurait été détenu durant quatre heures et battu par des officiers de la milice en raison de son opposition à la participation de jeunes à la guerre de Tchéchénie.

[9]                En novembre 2003, des Ingouches auraient fait un « pogrom » dans l'appartement du demandeur parce qu'il avait participé à une autre compétition en tant que juge durant laquelle un jeune Ingouche a été éliminé.

[10]            Le demandeur allègue enfin être devenu membre du parti « United Russia » après y avoir été forcé par le Comité des sports à qui il a demandé, sans succès, de l'aide et de la protection. Le demandeur est d'avis que l'on s'est servi de lui parce qu'il est cinq fois champion international.

[11]            La Commission entend la demande le 20 août 2004 et la rejette dans une décision qu'elle rend le 2 septembre 2004. L'autorisation pour entamer le présent contrôle judiciaire a été accordée le 27 janvier 2005.


DÉCISION CONTESTÉE

[12]            Le demandeur fait une demande d'asile en fonction de l'article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001 c. 27, (la « LIPR » . Il fonde sa crainte de persécution sur sa nationalité ou son origine ethnique mixte ingouche-ossète, sa religion chrétienne orthodoxe, son appartenance à un groupe social particulier et ses opinions politiques.

[13]            La preuve présentée devant la Commission est composée notamment du témoignage du demandeur, de son Formulaire de renseignements personnels (FRP), de son passeport, de ses diplômes, de ses certificats de championnat, des notes de l'entrevue avec un agent d'immigration, du formulaire Annexe 1 - Renseignements de base, et de documents sur les conditions socio-politiques de l'endroit d'origine du demandeur.

[14]            En ce qui concerne la question de l'identité du demandeur, la Commission est convaincu que le demandeur a la double nationalité ingouche-ossète, mais elle juge non crédible son témoignage à l'effet qu'il était connu comme tel.

[15]            La Commission reconnaît que la preuve documentaire révèle qu'il existe un problème très sérieux entre les Ingouches et les Ossètes en Ossétie du Nord. Cette preuve établit également que la situation des Ingouches demeure très précaire et qu'ils ne jouissent pas des mêmes droits que les Ossètes.


[16]            La Commission souligne que le demandeur a continué de résider à Vladikavkaz, en Ossétie du Nord, à la même adresse, jusqu'en novembre 2003. Ceci porte la Commission à douter que l'origine ingouche du demandeur ait été un handicap majeur.

[17]            Dans son FRP, le demandeur déclare qu'on l'envoyait prononcer des conférences. Lors de l'audience, le demandeur témoigne qu'en 1998, dans le contexte d'une émission de radio, il avait publiquement remercié sa mère et précisé qu'elle était Ingouche. Il soutient qu'il était reconnu publiquement qu'il avait une double nationalité. Sur ce point que la Commission juge très important, celle-ci a examiné l'argument de l'avocat du demandeur voulant que cet ajout n'apportait que des précisions à l'information figurant dans son FRP, qu'il a pourtant, en début d'audience, déclaré être complet. La Commission se dit d'avis qu'il s'agit plutôt d'un ajout ayant pour but de renforcer les allégations de persécution. La Commission note que cette information n'a pas été mentionnée dans le FRP ni dans aucun autre document ou durant l'entrevue du demandeur avec l'agent d'immigration. La Commission juge que, compte tenu des conflits inter ethniques, il n'est pas plausible que le demandeur ait mis ainsi en danger sa vie et celles de sa mère et de sa famille.

[18]            En ce qui a trait au reste du témoignage du demandeur, la Commission le juge également non crédible. La Commission conclut que le récit du demandeur comportait des divergences importantes pour lesquelles il n'a pas présenté d'explications satisfaisantes :

-           le type de discrimination subie par le reste de sa famille qui ne concorde pas avec ses déclarations lors de l'entrevue avec l'agent d'immigration et avec ses déclarations figurant dans son FRP et dans le formulaire Annexe 1 - Renseignements de base;


-           le fait qu'il n'allègue être en danger en raison de son travail et de ses performances sportives que deux mois après son arrivée au Canada, soit lors de l'entrevue avec l'agent d'immigration;

-           le fait qu'il a soutenu à un moment donné être le seul membre de sa famille à être en danger en raison de son statut professionnel et qu'il a allégué par la suite que sa famille est également menacée;

-           les contradictions quant au nombre de fois et aux moments où il a été battu par des Ingouches et des Ossètes et détenu par les autorités.

[19]            La Commission souligne également qu'elle n'accorde pas de force probante aux certificats médicaux présentés par le demandeur puisque les problèmes médicaux dont ils font état ne sont pas liés aux incidents allégués.

[20]            En somme, la Commission rejette ainsi la demande d'asile du demandeur :

En l'occurrence, le tribunal conclut que la base de toutes les divergences ci-haut mentionnées soit la description du danger au sujet de sa famille demeurée en Russie, les incidents entourant le nombre de fois où il fut battu et par qui et la période de détention et le peu d'explications sur les actes de discrimination dont ses frères et soeurs auraient été victimes, sont centrales à sa demande et démontrent qu'il s'agit d'un récit inventé. De ce fait, ces divergences sont fatales à sa demande d'asile.

QUESTIONS EN LITIGE

[21]            À mon avis les questions en litige suivantes ressortent du présent dossier :


1)         Une violation des principes de justice naturelle et d'équité procédurale est-elle survenue en l'espèce relativement à l'envoi de documents?

2)         La Commission a-t-elle erré en rejetant la demande d'asile en raison de son appréciation négative de la crédibilité du demandeur?

ANALYSE

1)         Une violation des principes de justice naturelle et d'équité procédurale est-elle survenue en l'espèce relativement à l'envoi de documents?

[22]            Une question préliminaire d'ordre procédural est soulevée par le demandeur en l'espèce. Il allègue que la Commission a commis une erreur en interprétant ses propres règles de procédure, plus précisément celles portant sur l'envoi de documents.

[23]            La Commission note que, lors de l'audience, l'avocat du demandeur l'a informée qu'il n'avait pas reçu les documents de l'immigration. La Commission note qu'une lettre datée du 29 juin 2004 indique que les documents lui avaient été acheminés, soit plus de 21 jours avant la date de l'audience. Une copie supplémentaire a donc été remise à l'avocat du demandeur et un ajournement lui a été accordé pour qu'il puisse consulter les documents. Ni le demandeur ni son avocat ne se sont objectés à la poursuite de l'audience.


[24]            Le demandeur fait valoir que la Commission a mal interprété ses propres règles de procédures. Il soutient que la paragraphe 29(4) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2002-228 (les « Règles » ) dispose que tout document doit être reçu par son destinataire au moins vingt jours avant l'audience. Le demandeur note que c'est le moment de réception qui importe et non le moment de l'expédition. Le demandeur argumente enfin que la Commission n'a pas correctement appliqué les critères pour tenir compte de la preuve tardive en vertu de la règle 30.

[25]            À ceci, le défendeur répond que la Commission a effectué une interprétation adéquate des règles. Il souligne que l'audience a eu lieu le 20 août 2004, soit plus de 21 jours après l'envoi des documents d'immigration, effectué le 29 juin 2004. J'accepte l'argument du défendeur à l'effet qu'il s'est écoulé 52 jours entre l'envoi par courrier des documents et le jour de l'audience, ce qui dépasse largement la présomption de réception de 7 jours prévue par le paragraphe 35(2) des Règles. De plus, le demandeur ne s'est pas objecté à ce que l'audience se poursuive. Je ne peux conclure que la Commission s'est, en l'espèce, trompée dans l'application de ses propres règles relativement à ces questions. En l'occurrence, il n'y a pas eu violation des principes de justice naturelle et d'équité procédurale.

2)         La Commission a-t-elle erré en rejetant la demande d'asile en raison de son appréciation négative de la crédibilité du demandeur?


[26]            La Commission a rejeté la demande d'asile du demandeur en raison du fait qu'elle ne le juge pas crédible. Ce type de détermination fait l'objet d'une grande déférence de la part de cette cour. La Commission est en effet mieux placée pour apprécier la preuve, lui attribuer la valeur probante qu'elle juge adéquate selon les faits au dossier et déterminer la crédibilité des témoins : Bula c. Canada (Secrétaire d'État), A-329-94, 19 juin 1996, [1996] A.C.F. no 876 (QL). Par conséquent, la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable : Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), A-1116-91, 16 juillet 1993, [1993] A.C.F. no 732 (QL), (1993) 160 N.R. 315; R.K.L. c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CFPI 116; [2003] A.C.F. no 162 (QL); (2003) 228 F.T.R. 43, (2003) 26 IMM L.R. (3d) 292.

[27]            Le demandeur soutient que la Commission a erré en concluant que ses frères et soeurs sont victimes de discrimination et non de persécution. Le demandeur s'objecte également à la conclusion de la Commission que son origine mixte ingouche-ossète n'est pas connue. Selon le demandeur, la Commission a omis de tenir compte du fait qu'il subissait de la persécution due à son origine ingouche puisqu'elle n'a pas relaté d'événements où il a été persécuté par des Ossètes. Il soutient que c'est le fait d'être visé par des Ingouches et des Ossètes qui le fait fuir au Canada. Il fait valoir que la Commission a aussi erré en n'examinant pas son allégation qu'il est à risque de persécution en raison de son travail et de ses performances sportives.

[28]            Le défendeur réplique que la Commission s'est correctement appuyée sur la preuve au dossier pour tirer ses conclusions. La Commission n'était pas satisfaite des explications données par le demandeur. En ce qui a trait à la profession du demandeur et à ses performances sportives, le défendeur note qu'il n'en a pas parlé lors de l'entrevue et qu'il ne les a faites valoir que plus tard dans le processus. Également, la Commission a rejeté l'affirmation du demandeur qu'il a révélé son identité ethnique sur les ondes de la radio en 1998. Ces déterminations de faits ne sont pas manifestement déraisonnables.


[29]            À mon avis, il était raisonnable que la Commission se questionne sur la soi-disant « persécution » ou « discrimination » que subit la famille du demandeur puisqu'il est de la même origine que les membres de sa famille et habite la même région. Le demandeur a lui-même qualifié le type de problème auquel est confrontée sa famille de « discrimination » . Puisque le demandeur a allégué à un certain moment que sa famille est en danger, alors qu'à un autre moment, il a raconté que sa famille fait face à de la discrimination, mais que lui seul fait face à un réel danger dû à son travail et ses performances sportives, il n'est pas déraisonnable que la Commission s'interroge sur sa crédibilité.

[30]            Le demandeur soutient également que la Commission n'a pas nié l'authenticité des certificats médicaux qu'il a présentés mais qu'elle n'en a pas tenu compte en prenant sa décision. À mon avis, la Commission ne leur a pas accordé de valeur probante parce qu'elle pouvait raisonnablement jugé que ces documents n'étaient pas liés aux événements relatés dans la demande d'asile et qu'ils n'attestent pas des incidents qu'aurait vécu le demandeur.

[31]            Le demandeur fait enfin valoir que la Commission a erré en ne se prononçant pas sur tous les motifs invoqués au soutien de sa demande, soit sa religion, son appartenance à un groupe social, ses opinions politiques, et le fait qu'il dit être une « personne à protéger » au sens du paragraphe 97(1) de la LIPR.


[32]            La décision de la Commission est fondée, entre autres, sur des contradictions fondamentales entre le témoignage du demandeur à l'audience, son FRP et les déclarations contenues dans le formulaire Annexe 1 - Renseignements de base, en ce qui a trait au nombre de fois et aux moments où il aurait été battu par des Ingouches et des Ossètes ainsi que par des officiers de la milice. Également, le demandeur n'a pas fait état, lors de l'interrogatoire par l'agent d'immigration, de ses problèmes liés à son travail et à son statut sportif.

[33]            Il ressort, à mon avis, de la décision de la Commission qu'elle juge le demandeur non crédible relativement à l'ensemble de son récit. Elle ne pouvait donc pas fonder sa détermination sur un autre motif. Si elle juge le demandeur non crédible quant à son récit, il s'agit de la raison pour laquelle la demande d'asile du demandeur a été rejetée dans son ensemble. La Commission précise d'ailleurs qu'elle rejette la demande d'asile tant en fonction des motifs fondés sur l'article 96 que des motifs fondés sur le paragraphe 97(1) de la LIPR.

[34]            La valeur probante accordée par la Commission à des éléments de preuve est, tel que précédemment mentionné, assujettie à la norme de la décision manifestement déraisonnable, tout comme le sont ses déterminations relatives à la crédibilité. Je ne peux, en l'espèce, conclure que la décision de la Commission est manifestement déraisonnable. Elle a tenu compte de contradictions dans la preuve du demandeur sur des éléments importants de sa demande d'asile. Leur effet cumulatif appuie la décision de la Commission et j'estime qu'il n'y a pas matière à intervention par cette cour dans le contexte de ce contrôle judiciaire.


CONCLUSION

[35]            En somme, je suis convaincu que la Commission n'a pas erré en fondant sa conclusion sur la non crédibilité du demandeur. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[36]            Le demandeur a demandé un délai après le dépôt de ces motifs pour proposer une question importante pour certification. Le délai de 10 jours sera accordé au demandeur à compter de la date de ces motifs pour signifier et déposer sa question. Le défendeur, ayant indiqué qu'il ne déposera pas de question, aura 5 jours à compter de la date de réception de la question du demandeur pour déposer sa réplique. Après examen des soumissions, une ordonnance sera rendue rejetant la demande de contrôle judiciaire et disposant de la question à certifier.

                                                                                                                     « Edmond P. Blanchard »        

                                                                                                                                                     Juge                     

Ottawa (Ontario)

le 26 juillet 2005


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-8627-04

INTITULÉ :                                        Anatoly Aidaruk Skodtaev c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                le 27 avril 2004

MOTIFS de l'ordonnance : Monsieur le juge Blanchard

DATE DES MOTIFS :                       le 26 juillet 2005

COMPARUTIONS:

Me Michel Le Brun                                                                   POUR LE DEMANDEUR

Me Lucie St-Pierre                                                                    POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Me Michel Le Brun                                                                   POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

John H. Sims, c.r.                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.