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     T-1919-95

ENTRE:

     SERG. J.E.J.M. TOUPIN,

     Requérant,

     - et -

     SA MAJESTÉ DU CHEF DU CANADA,

     Intimée,

     - et -

     A.B. HARVIE, Arbitre niveau II,

     Mis en cause.

     MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE JOYAL

     La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision d'un arbitre, A.B. Harvie, aux termes d'un système de grief pour les membres de la Gendarmerie royale du Canada (ci-après "la GRC").

     L'affaire connut ses débuts le 9 juillet 1992, alors que le requérant, sergent dans la GRC et sous le joug de certaines accusations pénales, était suspendu de ses fonctions avec solde. La cessation de solde et indemnités suivait le 2 septembre 1992. Immédiatement, soit le 11 septembre suivant, le requérant contestait cette décision par voie de grief.

     Le 10 mai 1993, suite à son acquittement des accusations criminelles, le requérant recevait des autorités la révocation de la décision antérieure et un engagement de lui verser son salaire et ses indemnités rétroactivement au 2 septembre 1992. L'ordonnance de suspension, cependant, était maintenue.

     Le 24 août 1993, le requérant produisait une demande d'intérêts, au montant de 124,89$, en compensation des délais à lui remettre son salaire. Le 27 août 1992, la GRC lui refusait sa demande, en se basant sur l'article 36 de la Loi sur la Cour fédérale.

     Le 8 septembre 1993, le requérant lançait un nouveau grief réclamant les intérêts au montant de 124,89$. Entre temps, son salaire accumulé entre le 2 septembre 1992 et le 10 mai 1993 lui était versé, et le dossier indique qu'en date de l'audition de sa requête devant cette Cour, il continuait à recevoir son salaire.

     Suite à ce nouveau grief, une foule de pièces furent déposées au dossier touchant la question des intérêts. Le tout aboutit le 22 août 1994, lorsque le requérant soumit une nouvelle demande, cette fois pour la somme de 790,98$, couvrant le 124,89$ réclamé originalement, et en plus 637,50$ qu'il aurait payé en intérêts sur un emprunt fait à la suite de la cessation de son salaire et 28,59$ représentant les intérêts sur les intérêts.

     Pour compliquer les affaires, le requérant soumit le 12 octobre 1994 une fiche de service prétendant que l'ordonnance originale imposant la suspension sans solde était illégale et la décision prise sans autorité statutaire.

     Le 2 novembre 1994, un note de service d'un comité formé de trois gendarmes recommandait que l'on s'accorde à verser au requérant le montant de 637,50$, représentant les intérêts sur l'emprunt que ce dernier aurait fait entre septembre 1992 et mai 1993.

     Le 5 décembre 1994, le grief du requérant était rejeté pour le motif qu'en raison des délais à produire le grief, celui-ci était irrecevable.

     Le dossier révèle plusieurs appels et nouvelles plaidoiries au cours des mois suivants, le tout culminant le 4 mai 1995 en une décision au Niveau II de l'arbitre Harvie, rejetant le grief. Cette décision, d'ailleurs, était confirmée en révision le 22 août 1995, et fait maintenant l'objet d'une demande de contrôle judiciaire auprès de cette Cour.

     Dans sa contestation, le requérant souligne qu'il s'était parfaitement plié aux règles du jeu, que sa demande d'intérêts était bien fondée, qu'elle fut déposée lorsque les chiffres furent connus et que dans leur ensemble, la politique et les procédures suivies par la GRC étaient illégales, inconstitutionnelles, déraisonnables et à l'encontre de tout principe de justice naturelle. Le requérant demande donc que la décision de l'arbitre soit cassée et que la Cour ordonne à la GRC de verser au requérant les intérêts demandés.

     De son côté, l'avouée de l'intimée soumet que la décision de l'arbitre n'est entachée d'aucune erreur de droit. De plus, le dossier indique clairement que la loi n'accordait au réquérant aucun droit aux intérêts. L'avouée prétend donc que la requête en contrôle judiciaire est mal fondée en faits et en droit, et doit être rejetée.

     Afin de tirer l'affaire au clair, la Cour se permet d'examiner encore une fois les faits au dossier, et de formuler les constatations suivantes:

1.      La décision du 10 mai 1993 permettait au requérant de toucher son salaire et ses indemnités réguliers, mais il demeurait tout de même suspendu avec solde de ses fonctions.
2.      La demande d'intérêts en date du 24 août 1993 semble être une affaire après coup, le requérant ayant accepté le règlement de ses arrérages plusieurs semaines plus tôt, sans mention des intérêts.
3.      Il m'apparaît clair que la GRC a étudié avec beaucoup de sérieux les prétentions du requérant concernant la question de droit aux intérêts, et elle a même produit les précédents les plus pertinents à ce sujet.
4.      La GRC a étudié chacune des représentations écrites du requérant, mais ce n'est qu'un an plus tard, soit le 22 août 1994, que le requérant formulait une nouvelle demande d'intérêts, portant le montant de 124,89$ à 790,98$.

     Sur les erreurs de droit soulevées par le requérant, je n'offre que quelques commentaires:

1.      Le principe de justice naturelle a été, en tout et partout, fidèlement respecté par la GRC.
2.      Le requérant avait raison de savoir dès le début que sa réclamation ne semblait pas être recevable. Il n'a pas été induit en erreur dans ses efforts à promouvoir sa cause.
3.      Les prétentions du requérant à l'effet que les délais de 30 jours pour lancer un grief doivent être calculés à partir du 27 août 1993, date du refus de l'inspecteur Brazeau, n'est pas soutenable. Les délais de 30 jours, comme le précise le système de griefs, est à compter de la date où le préjudice aurait été subi ou que l'employé s'estimant lésé l'a connu ou aurait normalement dû le connaître.
4.      Appuyé par la décision de cette Cour dans l'affaire Eaton c. La Reine1, et les décisions de l'arbitre dans les affaires Dahl et le Conseil du Trésor2 et Puxley et le Conseil du Trésor3, je dois conclure qu'en l'absence d'une disposition contractuelle ou statutaire, le requérant n'avait pas droit à un montant d'intérêts.

Conclusions:

     Une analyse des faits contenus dans le dossier, une étude des prétentions du requérant ainsi que des répliques de la Couronne, et enfin un examen de la loi et de la jurisprudence pertinente, me portent à conclure que la décision arbitrale du mis en cause est bien fondée en faits et en droit. Je ne vois aucun motif pouvant justifier mon intervention.

     La demande de contrôle judiciaire présentée par le requérant doit donc être rejetée.

     L. Marcel Joyal

     ______________________

     Juge

O T T A W A (Ontario)

le 24 janvier 1997.

__________________

1      [1972] R.C.F. 185.

2      CRTFP No 166-2-25535, 21 juin 1995.

3      CRTFP No 166-2-22284, 5 juillet 1994.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N º DE LA COUR: T-1919-95

INTITULÉ : Serg. J.E.J.M. Toupin,

Requérant,

et

Sa Majesté du Chef du Canada,

Intimée,

et

A.B. Harvie, Arbitre niveau II,

Mis en cause.

LIEU DE L'AUDIENCE : Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE : le 19 novembre 1996

MOTIFS D'ORDONNANCE DE L'HONORABLE JUGE JOYAL EN DATE DU 24 JANVIER 1996

COMPARUTIONS

M. Jean-Maurice Toupin LE REQUÉRANT QUI SE REPRÉSENTE LUI-MÊME

Me Marie-Claude Couture POUR L'INTIMÉ Me Raymond Piché

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

George Thomson POUR L'INTIMÉ Sous-procureur général du Canada

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