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Date : 20240229

Dossier : IMM-7539-23

Référence : 2024 CF 337

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 29 février 2024

En présence de madame la juge Azmudeh

ENTRE :

RAJANDEEP KAUR

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Rajandeep Kaur [la demanderesse] sollicite le contrôle judiciaire du rejet de sa demande de permis de séjour temporaire au titre du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [la LIPR]. La demande de contrôle judiciaire sera rejetée pour les motifs qui suivent.

[2] La demanderesse est une citoyenne indienne âgée de 24 ans qui est initialement arrivée au Canada munie d’un permis d’études, valide de juin 2018 à juillet 2021. Elle prévoyait étudier les sciences de la santé au Langara College, en Colombie-Britannique. Elle est tombée enceinte vers décembre 2020. Après avoir tenté sans succès de renouveler son permis d’études, elle a présenté, en mai 2022, une demande de permis de séjour temporaire afin de pouvoir suivre un nouveau programme d’études de deux ans dans un autre collège. Elle a demandé ce permis de séjour temporaire au motif qu’en raison de sa grossesse difficile, elle n’était pas en mesure de terminer ses études et de conserver son statut au Canada et que l’obtention de ce permis serait dans l’intérêt supérieur de son enfant, une fille née au Canada le 24 août 2021. Elle n’a fourni aucune information sur son époux, à l’exception du fait qu’il est né en Inde et qu’il n’est ni un citoyen canadien ni un résident permanent.

[3] Un agent d’immigration (l’agent) a refusé la demande de permis de séjour temporaire. Il a renvoyé à tous les documents qu’il avait examinés et noté qu’il y avait peu d’informations concernant les études antérieures de la demanderesse et peu d’éléments de preuve concernant la situation de son époux. L’agent a estimé que rien n’indiquait que la demanderesse et son époux ne pouvaient pas retourner en Inde avec leur enfant et a ajouté qu’elle devait présenter une demande de permis d’études à partir de l’étranger. Il a également mentionné que le bébé était né trois ans après que la demanderesse est entrée pour la première fois au Canada en vue d’y étudier, mais qu’aucun élément de preuve ne démontrait que celle-ci avait bien fait des études. En fin de compte, l’agent a conclu ceci : [traduction] « J’estime qu’il n’existe pas de raisons exceptionnelles ou impérieuses justifiant un séjour temporaire ou la délivrance d’un permis de séjour temporaire en application du paragraphe 24(1) de la LIPR. »

[4] En outre, dans la décision relative au permis de séjour temporaire, l’agent a justifié son refus ainsi :

• La demanderesse voulait obtenir un permis de séjour temporaire afin de pouvoir étudier au Coquitlam College; toutefois, rien ne prouvait qu’elle avait bien étudié au Langara College et qu’elle avait respecté les conditions de son permis d’études antérieur et suivi son programme;

• En ce qui concerne l’intérêt supérieur de l’enfant, aucun élément de preuve n’a été présenté sur la situation de l’époux au Canada. Rien n’indiquait que la demanderesse et sa famille ne pouvaient pas retourner en Inde ensemble, et il serait dans l’intérêt supérieur de l’enfant que la famille retourne en Inde, où les deux parents sont autorisés à vivre.

II. Questions en litige et norme de contrôle applicable

[5] La présente demande de contrôle judiciaire soulève deux questions principales :

  • a)La décision de l’agent était-elle raisonnable?

  • b)Y a-t-il eu manquement à l’équité procédurale?

[6] Un contrôle selon la norme de la décision raisonnable consiste en une évaluation respectueuse et rigoureuse de la question de savoir si la décision administrative est transparente, intelligible et justifiée : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 653 [Vavilov] aux para 12-13 et 15; Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 [Mason] aux para 8 et 63.

[7] J’ai d’abord lu les motifs du décideur, en conjonction avec le dossier dont il disposait, de manière globale et contextuelle. Conformément à l’orientation donnée aux paragraphes 83, 84 et 87 de l’arrêt Vavilov, en tant que juge de la cour de révision, je me suis concentrée sur le raisonnement suivi par le décideur. Je ne me suis pas demandé si la décision du décideur était correcte ni quelle décision j’aurais rendue à sa place : Vavilov, au para 83; Canada (Justice) c D.V., 2022 CAF 181 aux para 15, 23.

[8] Une décision raisonnable est fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur était assujetti : Vavilov, en particulier aux para 85, 91-97, 103, 105-106 et 194; Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, [2019] 4 RCS 900 aux para 2, 28-33 et 61; Mason, aux para 8, 59-61, 66. Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit établir qu’elle comporte des lacunes suffisamment capitales ou importantes (Vavilov, au para 100). Les erreurs que comporte une décision, ou les préoccupations qu’elle soulève, ne justifient pas toutes une intervention de la Cour.

[9] La question de l’équité procédurale doit être examinée selon la norme de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée] aux para 37-56; Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35). La cour appelée à statuer sur des questions d’équité procédurale doit essentiellement se demander si la procédure était équitable eu égard à l’ensemble des circonstances, y compris les facteurs énoncés aux paragraphes 21 à 28 de l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CanLII 699 (CSC), [1999] 2 RCS 817 (Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée, au para 54).

III. Aperçu du droit applicable

[10] Les articles suivants de la LIPR s’appliquent en l’espèce :

 

Permis de séjour temporaire

24 (1) Devient résident temporaire l’étranger, dont l’agent estime qu’il est interdit de territoire ou ne se conforme pas à la présente loi, à qui il délivre, s’il estime que les circonstances le justifient, un permis de séjour temporaire — titre révocable en tout temps.

 

 

Temporary resident permit

24 (1) A foreign national who, in the opinion of an officer, is inadmissible or does not meet the requirements of this Act becomes a temporary resident if an officer is of the opinion that it is justified in the circumstances and issues a temporary resident permit, which may be cancelled at any time.

IV. Analyse

A. La décision de l’agent était-elle raisonnable?

[11] Le paragraphe 24(1) de la LIPR vise à faire du permis de séjour temporaire une exception à la règle. Les permis de séjour temporaire sont conçus pour rendre moins sévères les conséquences qu’entraîne la stricte application de la LIPR, lorsqu’il existe des raisons impérieuses; ils ne servent pas de solution de rechange permettant aux étrangers de demander un permis d’études (Farhat c Canada (MCI), 2006 CF 1275 au para 2).

[12] Il incombe au demandeur de fournir des éléments de preuve suffisants pour démontrer qu’il est justifié d’appliquer une exception à la règle. Ces éléments de preuve doivent montrer que des raisons impérieuses justifient la présence du demandeur au Canada et que ces raisons l’emportent sur les risques pour la santé et la sécurité des Canadiens. Même l’interprétation la plus généreuse de cette disposition par notre Cour exige davantage qu’un simple inconvénient (Ju c Canada (MCI), 2021 CF 669 aux para 21-22; Bhamra c Canada (MCI), 2020 CF 482 au para 22).

[13] Les permis de séjour temporaire permettent à des étrangers qui seraient par ailleurs interdits de territoire d’entrer ou de rester au Canada s’ils sont en mesure de convaincre l’agent que leur présence au Canada est justifiée. Le régime des permis de séjour temporaire relève donc de l’exception. Sous ce régime, les permis de séjour temporaire doivent être « délivrés avec circonspection, car ils accordent à leurs détenteurs davantage de privilèges que les autres statuts temporaires ». Par conséquent, la décision de délivrer un tel permis est hautement discrétionnaire et il faut faire preuve d’une grande retenue envers le jugement de l’agent. La décision de délivrer un permis de séjour temporaire doit être « hautement irrégulière » pour justifier une intervention par contrôle judiciaire (Friesen Letkeman c Canada (MCI), 2022 CF 1396 au para 38; Vaguedano Alvarez c Canada (MCI), 2011 CF 667 aux para 16-18; Arora c Canada (MCI), 2018 CF 448 au para 4).

[14] Il faut donc examiner le caractère raisonnable de la décision de l’agent en tenant compte du contexte juridique et de la nature temporaire et exceptionnelle des permis de séjour temporaire. Voici un résumé des faits pertinents et des omissions sur lesquels l’agent a fondé sa décision de refuser d’accorder un permis de séjour temporaire :

  • La demanderesse avait un permis d’études depuis juin 2018, et il était valide jusqu’en juillet 2021. En tant qu’étudiante, elle devait étudier au Langara College durant cette période. Sa fille est née en août 2021, ce qui signifie que la demanderesse n’était pas enceinte avant la fin de l’automne 2020. Pourtant, elle n’a déposé aucun document pour corroborer ses études, même avant le début de sa grossesse difficile.

  • La demanderesse avait fourni un certificat de mariage démontrant qu’elle était mariée à son époux, également né en Inde, ainsi que le certificat de naissance de leur fille.

  • La demanderesse avait fourni des factures médicales de l’Abbotsford Maternity Group, datées du 6, 13, 23 et 24 août 2021 et du 1er septembre 2021. Elle avait également fourni des éléments de preuve démontrant que des médicaments lui avaient été prescrits.

  • La demanderesse avait déposé un certificat médical pour l’assurance-emploi indiquant qu’elle souffrait de spasmes au dos dus à sa grossesse et qu’elle ne pouvait pas travailler du 1er janvier au 15 juin 2021. Aucune information ne permettait de savoir si elle avait demandé des mesures d’accommodement au Langara College en raison de son état de santé.

  • La demanderesse avait déposé un document montrant qu’elle avait été acceptée au Coquitlam College et qu’elle avait payé les droits de scolarité pour le premier semestre.

  • En ce qui concerne son époux, la demanderesse avait seulement indiqué qu’il était lui aussi un étranger né en Inde. La demanderesse avait aussi fourni une note du docteur Grover indiquant qu’elle ne bénéficiait que d’un soutien minime au Canada et que le médecin craignait pour sa santé si elle n’avait pas beaucoup d’aide dans les six mois suivant l’accouchement.

  • En ce qui concerne l’intérêt supérieur de l’enfant, le seul élément de preuve que la demanderesse avait fourni était les déclarations suivantes, qui devaient être évaluées dans le contexte d’une demande de permis de séjour temporaire pour la période du 10 mai 2022 au 10 novembre 2022 :

  • Dans la lettre de son représentant : [TRADUCTION]« Pour l’instant, nous vous demandons de faire preuve de compassion et d’envisager de fournir à notre cliente un permis de séjour temporaire et un permis d’études afin qu’elle puisse rester au Canada avec sa fille, qui est citoyenne canadienne. »

[15] Dans sa lettre : [TRADUCTION] « De plus, dans l’intérêt de notre fille, qui est citoyenne canadienne, il est indispensable qu’elle soit avec ses deux parents. » La demanderesse fait valoir que l’agent qui a refusé de lui accorder un permis de séjour temporaire a appliqué la norme déraisonnablement élevée des « raisons impérieuses » au lieu d’évaluer s’il serait « raisonnablement justifié » de lui accorder le permis. Je juge qu’il s’agit là d’une interprétation erronée des motifs de l’agent, qui a clairement déclaré : [traduction] « J’estime qu’il n’existe pas de raisons exceptionnelles ou impérieuses justifiant un séjour temporaire ou la délivrance d’un permis de séjour temporaire, en application du paragraphe 24(1) de la LIPR » [non souligné dans l’original].

[16] De plus, en l’espèce, peu d’éléments justifient que l’on applique l’exception à la règle, même si on applique la norme la moins élevée. L’agent a soigneusement examiné l’ensemble de la preuve et a bien décrit et justifié son raisonnement. Il a pris en compte les éléments de preuve de la demanderesse, notamment sa grossesse difficile, et les a évalués par rapport à l’absence d’éléments de preuve sur ses études, y compris pour la période bien antérieure à sa grossesse. Il a évalué l’intérêt supérieur de l’enfant en fonction du manque de soutien au Canada et du fait que les deux parents sont originaires de l’Inde. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’il aurait été déraisonnable de la part de l’agent d’appliquer la jurisprudence sur l’intérêt supérieur de l’enfant dans le contexte des demandes de résidence permanente.

[17] L’agent a fourni des motifs transparents, justifiables et intelligibles. La décision était donc raisonnable.

B. L’agent a-t-il pris sa décision dans le respect de l’équité procédurale?

[18] La demanderesse soutient que l’agent aurait dû lui envoyer une lettre d’équité procédurale après avoir mentionné qu’il n’avait pas d’information sur le statut de son époux au Canada, car elle avait répondu à toutes les questions pertinentes dans sa demande de permis de séjour temporaire. Je ne peux admettre cet argument. Il n’est pas contesté que l’époux est un étranger et que l’agent s’est questionné sur son statut lorsqu’il a évalué si des circonstances exceptionnelles justifiaient l’octroi d’un permis de séjour temporaire. Dans ce contexte, il incombait à la demanderesse de fournir les éléments de preuve pertinents, et l’agent n’était pas tenu de lui demander des renseignements supplémentaires.

[19] La demanderesse avance également que l’agent n’a pas tenu compte de la preuve de son acceptation au Coquitlam College et du fait qu’elle avait payé les droits de scolarité pour le premier semestre. En fait, l’agent mentionne explicitement le Coquitlam College, mais n’y accorde pas beaucoup d’importance. Il n’appartient pas à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve. Quoi qu’il en soit, compte tenu de l’absence d’éléments de preuve concernant les études antérieures de la demanderesse, il n’était ni déraisonnable ni injuste d’un point de vue procédural de ne pas accorder beaucoup de poids à cet élément.

[20] La demanderesse affirme également que le délai de plus d’un an pour rendre une décision concernant la demande de permis de séjour temporaire constitue une violation de l’équité procédurale. En réalité, la demanderesse a profité de ce retard et n’a pas démontré qu’elle avait subi un préjudice.

[21] J’estime donc que l’agent a pris sa décision dans le respect de l’équité procédurale.

V. Conclusion

[22] La décision de l’agent est raisonnable et a été prise dans le respect de l’équité procédurale. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[23] Aucune des parties n’a proposé de question à certifier, et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT DANS LE DOSSIER IMM-7539-23

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a pas de question à certifier.

Blanc

« Negar Azmudeh »

Blanc

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

IMM-7539-23

INTITULÉ :

RAJANDEEP KAUR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 février 2024

 

MOTIFS DU JUGEMENT et jugement :

LA JUGE AZMUDEH

 

DATE DES MOTIFS ET DU JUGEMENT :

LE 29 février 2024

 

COMPARUTIONS :

Manoj Goyal

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

 

Erica Louie

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Radiant Law Corp

Abbotsford (Colombie-Britannique)

 

POUR LA DEMANDERESSE

Ministère de la Justice du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 

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