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Date : 20240124


Dossier : IMM-12652-22

Référence : 2024 CF 114

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 24 janvier 2024

En présence de monsieur le juge Henry S. Brown

ENTRE :

JAMEEL KHALAF ALMUSTAFA, KHAWLA HMOUD ALKHALF ET ABDULKAREM JAMEEL ALMUSTAFA, ABDULHADI JAMEEL ALMUSTAFA, ALEEN JAMEEL ALMUSTAFA ET WALEED JAMEEL ALMUSTAFA (REPRÉSENTÉS PAR LEUR TUTEUR À L’INSTANCE JAMEEL KHALAF ALMUSTAFA)

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS


I. Nature de l’affaire

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire visant une décision, en date du 19 avril 2022 [la décision], par laquelle un agent de migration [l’agent] à l’ambassade du Canada à Amman, en Jordanie, a rejeté la demande de résidence permanente que les demandeurs avaient présentée en tant que membres de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières ou des personnes protégées à titre humanitaire outre-frontières. L’agent a conclu que le demandeur principal ne satisfaisait pas aux exigences du paragraphe 11(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], et de l’article 139 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 [le RIPR], pour immigrer au Canada. Il a jugé que, selon la prépondérance des probabilités, les déclarations faites par le demandeur principal lors de son entrevue n’étaient pas crédibles, notamment en ce qui concerne son rôle lors d’une mission militaire de l’armée syrienne en 2011, sa désertion de l’armée syrienne et le fait qu’il n’aurait eu aucun contact avec des membres ou des associés de l’armée syrienne libre [l’ASL] et de l’État islamique ou du Daech de 2011 à 2016. L’agent n’était pas convaincu que le demandeur principal « n’est pas interdit de territoire » et a donc rejeté sa demande.

II. Contexte

[2] Le demandeur principal, son épouse et leurs deux enfants ont fui la Syrie en 2016 en raison du conflit et de la guerre civile qui y faisaient rage. Le demandeur principal avait déserté l’armée syrienne en 2011, car il craignait cette organisation et il ne voulait pas être impliqué dans la guerre ni tuer de civils. Depuis, lui et son épouse ont eu deux autres enfants. Les demandeurs sont des réfugiés inscrits auprès du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés et vivent dans un camp de réfugiés.

[3] Le demandeur principal a été enrôlé de force dans l’armée syrienne en 2010, pour une période de deux ans. La guerre civile a commencé au début de 2011. Le demandeur principal a été affecté à une mission militaire en septembre 2011. En octobre 2011, il a demandé la permission de laisser sa tenue à [supprimé] et a déserté. Il est retourné dans sa région d’origine, s’est marié en 2014 et s’est enfui en 2016.

[4] À l’automne 2018, les demandeurs ont présenté une demande de résidence permanente à titre de réfugiés parrainés par le secteur privé par une communauté religieuse au Canada. Ils ont été interrogés par un agent de migration en Jordanie en 2019. Le premier agent a demandé que le demandeur principal soit interrogé par un deuxième agent. Par conséquent, une deuxième entrevue a été menée par un autre agent en 2022. La demande de résidence permanente des demandeurs a été rejetée en 2022.

III. Question en litige

[5] Les demandeurs font valoir les points suivants :

  • 1.Les conclusions en matière de crédibilité tirées par l’agent étaient déraisonnables pour diverses raisons :

  • ·L’agent n’a pas examiné si les éléments de preuve étaient raisonnables et plausibles à la lumière des conditions réelles en Syrie.

  • ·L’agent a mal interprété les éléments de preuve fournis ou n’en a pas tenu compte.

  • 2.Les motifs de l’agent étaient insuffisants.

  • 3.Compte tenu de la situation particulière en Syrie, soit le conflit et la guerre civile qui y font rage, l’agent a également omis de prendre en considération à la fois la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières et la catégorie de personnes de pays d’accueil.

[6] Le défendeur soutient que les demandeurs n’ont pas établi l’existence d’une question sérieuse qui permettrait de faire droit à la présente demande de contrôle judiciaire.

[7] Avec égards, la seule question en litige consiste à savoir si la décision de l’agent est raisonnable.

IV. Décision faisant l’objet du contrôle

[8] L’agent a énoncé ses conclusions dans la lettre de refus :

[traduction]

Après avoir examiné l’ensemble de la preuve dont je dispose, j’estime que, selon la prépondérance des probabilités, les déclarations que vous avez faites lors de votre entrevue ne sont pas crédibles, notamment en ce qui concerne le rôle que vous avez joué dans la mission militaire à [supprimé] en 2011, votre désertion de l’armée syrienne et le fait que vous n’avez eu aucun contact avec des membres ou des associés de l’ASL et de l’État islamique ou du Daech de 2011 à 2016. Ces doutes vous ont été exprimés au cours de l’entrevue, et j’ai pris en considération votre réponse.

Vos déclarations se rapportent directement à votre admissibilité au Canada. En l’absence d’un témoignage véridique et crédible, je ne suis pas convaincu que vous n’êtes pas interdit de territoire au Canada.

[9] Les notes du Système mondial de gestion des cas (le SMGC) font état des éléments suivants, tirés de la première entrevue :

[traduction]

DÉTAILS DE LA DEMANDE D’ASILE. J’étais dans l’armée et j’ai déserté (le 1er octobre 2011). Je suis retourné dans mon village à [supprimé]. Je pensais que c’était un endroit sûr, mais il y avait des membres de l’ASL et des gangs. Je me suis déplacé de village en village pendant six ans avec ma famille et je me suis marié en 2014. La région où je me trouvais n’était pas sûre; l’armée du régime approchait et, si elle m’arrêtait, elle me forcerait à revenir dans l’armée. J’ai su qu’elle se rapprochait parce que j’entendais les frappes aériennes et les gens du coin en parler. J’avais peur des deux parties qui s’affrontaient. Je resterais à la maison la plupart du temps parce que j’avais peur des deux protagonistes. Quand la voie était libre, nous sortions travailler à la ferme. L’État islamique était dans la région, mais je n’avais d’interactions avec personne. J’avais peur de tout. Je n’ai jamais eu affaire à eux – c’est une zone agricole – je ne travaillais que lorsque c’était sécuritaire de le faire.

[…]

IMPLICATION POLITIQUE. Q : Êtes-vous ou avez-vous déjà été inscrit auprès du parti Baas, y compris en tant que simple membre? R : Non. Q : Si oui, à quel niveau/si non, comment avez-vous évité l’inscription (qui est obligatoire pendant le service militaire selon la compréhension commune) et quelles ont été les conséquences? R : non. Q : Êtes-vous membre d’un autre groupe ou d’une autre organisation? R : non.

[…]

SERVICE MILITAIRE. Q : À quel âge êtes-vous entré dans l’armée? R : Je suis entré en 2010. Q : Durée du service? R : De 2010 au 1er octobre 2011 – J’ai déserté. Je leur ai dit que j’allais à [supprimé], mais je ne suis jamais revenu. Ils m’ont demandé d’ouvrir le feu sur des civils – nous avions terminé l’entraînement. Ils nous ont demandé d’aller en mission à [supprimé] et nous ont dit que nous devions ouvrir le feu sur tous les civils qui s’y trouvaient. Si nous voyions un mouvement anormal ou quoi que ce soit d’inhabituel, nous devions tirer – beaucoup de soldats ont déserté. Ils se sont enfuis.

[…]

CONNAISSANCE DES ÉVÉNEMENTS …. Q : Avez-vous participé, directement ou indirectement, au conflit syrien? R : non. Q : Étiez-vous au courant des manifestations et y avez-vous déjà participé? R : Non, l’ASL était dans notre région – après, l’État islamique est arrivé. Je n’ai jamais participé à une manifestation et je n’en ai vu aucune. Q : Avez-vous déjà été témoin de violence lors de manifestations, ou avez-vous déjà été victime de violence lors d’une manifestation? R : non. Q : Quels groupes armés d’opposition ou de résistance étaient actifs dans votre région? R : L’ASL et l’État islamique. Lorsque j’ai déserté l’armée, ma région était sous le contrôle de l’ASL. Je n’ai jamais interagi avec ses membres, j’étais à la maison et je travaillais parfois à la ferme ... Q : Quels groupes se battaient entre eux et qui était en voie de l’emporter? R : L’armée syrienne lançait des bombes lors de frappes aériennes. L’ASL ripostait de toutes les manières possibles avec tout ce qu’elle avait. Lorsque j’ai réalisé que l’armée syrienne se rapprochait de notre secteur, je suis parti … Q : Votre ville ou votre quartier a-t-il déjà été attaqué(e)? R : Plusieurs fois. Q : Avez‑vous déjà interagi avec des groupes, si oui, lesquels? R : Je travaillais à la ferme, avec ma famille. On subvenait à nos besoins grâce à l’agriculture. Q : Quels groupes vous ont demandé de vous joindre à eux? R : Je n’ai jamais été approché par un groupe. J’ai eu peur lorsque l’armée syrienne s’est rapprochée …

[…]

CONCLUSION. Le demandeur a donné des réponses très limitées. Le demandeur principal a toujours déclaré qu’il travaillait sur la ferme lorsque la situation était calme. Lorsque des groupes comme l’État islamique, l’armée syrienne et l’ASL se mettaient à s’agiter, ses enfants et lui restaient à la maison et ne s’en mêlaient pas. Il déclare qu’il n’a pas quitté la ferme et que c’est pourquoi il n’a jamais eu de problèmes ou d’interactions avec les groupes de la région. Il affirme qu’ils subvenaient à leurs besoins grâce aux produits de la ferme et qu’ils n’avaient pas besoin de quitter la maison. Le demandeur sera interrogé par un autre agent.

[10] Les notes consignées dans le SMGC indiquent ce qui suit au sujet de la deuxième entrevue du demandeur principal :

[traduction]

Veuillez décrire le combat qui a eu lieu au poste de contrôle. [Supprimé]

Des coups de feu ont été tirés à partir du bâtiment entourant le poste de contrôle. Il y a eu des répliques et un échange de coups de feu.

Qui vous tirait dessus? Juste des groupes armés, il ne le sait pas exactement.

Quand était-ce? Du 5 septembre au 1er octobre 2011.

Le combat a duré près d’un mois, est-ce exact? Oui

Des victimes de votre côté? Oui

Des victimes de l’autre côté ? Il ne sait pas.

Avez-vous utilisé vos armes pendant ce combat? Il tirait en l’air. S’il n’avait pas tiré, il aurait été puni.

Pourquoi avez-vous tiré en l’air? Il ne voulait pas être impliqué dans la guerre ni tuer qui que ce soit.

Que s’est-il passé après le 1er octobre? Il s’est enfui de l’armée.

Je croyais que c’était en novembre? Oui, en novembre, non le 1er octobre 2011.

Pourquoi avez-vous dit novembre au début de l’entrevue? Il a peut‑être fait une erreur. C’était en 2011. Le 1er octobre.

Pourquoi avez-vous décidé de partir le 1er octobre? S’il était resté, il se serait fait tuer ou aurait tué quelqu’un, alors il a décidé de partir.

[…]

Où êtes-vous allé le 1er octobre? Il est retourné dans son village.

Qui contrôlait votre village à ce moment-là? À ce moment-là, c’était l’ASL qui avait le contrôle.

Avez-vous rejoint cette armée? Non

Pourquoi? Parce qu’il avait déserté; il ne voulait pas s’impliquer à nouveau dans la guerre.

[…]

[Rédigé à la troisième personne par l’agent.]

[11] Les notes versées au SMGC après la deuxième entrevue du demandeur principal comprennent des mises en garde de l’agent et indiquent que le demandeur principal a été avisé des doutes de l’agent et qu’il a eu la possibilité d’y répondre. Les réponses du demandeur principal sont également consignées :

[traduction]

CONCLUSION. J’ai dit au demandeur principal que je ne rendrais pas de décision définitive aujourd’hui, mais que je lui ferai part de mes doutes concernant sa demande et que je lui donnerai le temps d’y répondre. – J’ai du mal à comprendre comment vous avez pu tirer en l’air pendant trois semaines durant les combats lorsque vous étiez dans l’armée syrienne. Le demandeur principal a déclaré que, honnêtement, il avait levé ses armes et tiré en l’air. Et votre superviseur militaire n’a rien fait à ce sujet? Pendant le combat, personne ne savait ce qu’il faisait. – J’ai de la difficulté à comprendre comment vous avez réussi à quitter l’armée avec l’aide de votre père. Le demandeur principal a dit que pour lui, c’était facile. Son père l’a aidé à fabriquer une autre pièce d’identité. Pour d’autres, c’était difficile. J’ai du mal à comprendre pourquoi l’ASL ne vous a pas approché pour vous convaincre de vous enrôler lorsque vous êtes retourné dans votre village. Le demandeur principal a déclaré qu’aucun membre de l’armée ne lui avait demandé de s’enrôler. Il ne voulait pas s’impliquer là-dedans. Il voulait rester loin de la guerre, des combats et du sang. Compte tenu de votre expérience et de vos connaissances dans l’armée, j’ai de la difficulté à croire qu’ils ne vous ont pas approché? Ils ne lui ont pas demandé de se joindre à eux et il ne voulait pas le faire. – J’ai de la difficulté à comprendre comment vous avez pu éviter l’ASL pendant un an. Le demandeur principal a déclaré qu’il n’avait jamais de contact avec qui que ce soit. – J’ai également du mal à comprendre pourquoi vous n’avez pas été en contact avec l’État islamique, alors qu’il a contrôlé votre ville pendant de nombreuses années. Le demandeur principal a déclaré qu’il se déplaçait peu. Il restait à la maison ou à la ferme. – J’aimerais mieux comprendre pourquoi vous êtes resté si longtemps sous le contrôle de l’État islamique. Le demandeur principal a déclaré qu’ils se déplaçaient d’un endroit à l’autre en campagne...

V. Dispositions applicables

[12] Les articles suivants de la LIPR s’appliquent en l’espèce :

Visa et documents

Application before entering Canada

11 (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

11 (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

Obligation du demandeur

Obligation – answer truthfully

16 (1) L’auteur d’une demande au titre de la présente loi doit répondre véridiquement aux questions qui lui sont posées lors du contrôle, donner les renseignements et tous éléments de preuve pertinents et présenter les visa et documents requis.

16 (1) A person who makes an application must answer truthfully all questions put to them for the purpose of the examination and must produce a visa and all relevant evidence and documents that the officer reasonably requires.

[13] Les articles suivants du RIPR sont également pertinents :

Qualité

Member of Convention refugees abroad class

145 Est un réfugié au sens de la Convention outre-frontières et appartient à la catégorie des réfugiés au sens de cette convention l’étranger à qui un agent a reconnu la qualité de réfugié alors qu’il se trouvait hors du Canada.

145 A foreign national is a Convention refugee abroad and a member of the Convention refugees abroad class if the foreign national has been determined, outside Canada, by an officer to be a Convention refugee.

Catégorie de personnes de pays d’accueil

Member of country of asylum class

147 Appartient à la catégorie de personnes de pays d’accueil l’étranger considéré par un agent comme ayant besoin de se réinstaller en raison des circonstances suivantes :

147 A foreign national is a member of the country of asylum class if they have been determined by an officer to be in need of resettlement because

a) il se trouve hors de tout pays dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle;

(a) they are outside all of their countries of nationality and habitual residence; and

b) une guerre civile, un conflit armé ou une violation massive des droits de la personne dans chacun des pays en cause ont eu et continuent d’avoir des conséquences graves et personnelles pour lui.

(b) they have been, and continue to be, seriously and personally affected by civil war, armed conflict or massive violation of human rights in each of those countries.

VI. Analyse

A. La norme de contrôle

[14] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, et je suis d’accord. En ce qui concerne le caractère raisonnable, dans l’arrêt Société canadienne des postes c Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, 2019 CSC 67, rendu en même temps que l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 S.C.R. 653 [Vavilov], le juge Rowe, s’exprimant au nom des juges majoritaires de la Cour suprême du Canada, a expliqué les attributs que doit présenter une décision raisonnable et les exigences imposées à la cour de révision qui contrôle une décision selon la norme de la décision raisonnable :

[31] La décision raisonnable « doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Vavilov, par. 85). Par conséquent, lorsqu’elle procède au contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, « une cour de révision doit d’abord examiner les motifs donnés avec “une attention respectueuse”, et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à [l]a conclusion » (Vavilov, par. 84, citant Dunsmuir, par. 48). Les motifs devraient être interprétés de façon globale et contextuelle afin de comprendre « le fondement sur lequel repose la décision » (Vavilov, par. 97, citant Newfoundland Nurses).

[32] La cour de révision devrait se demander si la décision dans son ensemble est raisonnable : « ce qui est raisonnable dans un cas donné dépend toujours des contraintes juridiques et factuelles propres au contexte de la décision particulière sous examen » (Vavilov, par. 90). Elle doit se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci » (Vavilov, par. 99, citant Dunsmuir, par. 47 et 74, et Catalyst Paper Corp. c. North Cowichan (District), 2012 CSC 2, [2012] 1 R.C.S. 5, par. 13).

[33] Lors d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, « [i]l incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable » (Vavilov, par. 100). La partie qui conteste la décision doit convaincre la cour de justice que « la lacune ou la déficience [invoquée] [. . .] est suffisamment capitale ou importante pour rendre [la décision] déraisonnable » (Vavilov, par. 100).

[Non souligné dans l’original.]

[15] Pour reprendre les mots de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Vavilov, une cour de révision doit être convaincue que le raisonnement du décideur « se tient » :

[104] De même, la logique interne d’une décision peut également être remise en question lorsque les motifs sont entachés d’erreurs manifestes sur le plan rationnel — comme lorsque le décideur a suivi un raisonnement tautologique ou a recouru à de faux dilemmes, à des généralisations non fondées ou à une prémisse absurde. Il ne s’agit pas d’inviter la cour de révision à assujettir les décideurs administratifs à des contraintes formalistes ou aux normes auxquelles sont astreints des logiciens érudits. Toutefois, la cour de révision doit être convaincue que le raisonnement du décideur « se tient ».

[105] En plus de la nécessité qu’elle soit fondée sur un raisonnement intrinsèquement cohérent, une décision raisonnable doit être justifiée au regard de l’ensemble du droit et des faits pertinents : Dunsmuir, par. 47; Catalyst, par. 13; Nor‑Man Regional Health Authority, par. 6. Les éléments du contexte juridique et factuel d’une décision constituent des contraintes qui ont une influence sur le décideur dans l’exercice des pouvoirs qui lui sont délégués.

[Non souligné dans l’original.]

[16] Au paragraphe 86 de l’arrêt Vavilov, la Cour suprême du Canada précise qu’« il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur doit également, au moyen de ceux‑ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique. » Elle ajoute que la cour de révision doit trancher l’affaire sur le fondement du dossier dont elle dispose :

[126] Cela dit, une décision raisonnable en est une qui se justifie au regard des faits : Dunsmuir, par. 47. Le décideur doit prendre en considération la preuve versée au dossier et la trame factuelle générale qui a une incidence sur sa décision et celle-ci doit être raisonnable au regard de ces éléments : voir Southam, par. 56. Le caractère raisonnable d’une décision peut être compromis si le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte. Dans l’arrêt Baker, par exemple, le décideur s’était fondé sur des stéréotypes dénués de pertinence et n’avait pas pris en compte une preuve pertinente, ce qui a mené à la conclusion qu’il existait une crainte raisonnable de partialité : par. 48. En outre, la démarche adoptée par le décideur permettait également de conclure au caractère déraisonnable de sa décision, car il avait démontré que ses conclusions ne reposaient pas sur la preuve dont il disposait en réalité : ibid.

[Non souligné dans l’original.]

[17] De plus, l’arrêt Vavilov indique très clairement que le rôle de la Cour n’est pas d’apprécier à nouveau la preuve, à moins de « circonstances exceptionnelles ». Selon la Cour suprême du Canada :

[125] Il est acquis que le décideur administratif peut apprécier et évaluer la preuve qui lui est soumise et qu’à moins de circonstances exceptionnelles, les cours de révision ne modifient pas ses conclusions de fait. Les cours de révision doivent également s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur » : CCDP, par. 55; voir également Khosa, par. 64; Dr Q, par. 41-42. D’ailleurs, bon nombre des mêmes raisons qui justifient la déférence d’une cour d’appel à l’égard des conclusions de fait tirées par une juridiction inférieure, dont la nécessité d’assurer l’efficacité judiciaire, l’importance de préserver la certitude et la confiance du public et la position avantageuse qu’occupe le décideur de première instance, s’appliquent également dans le contexte du contrôle judiciaire : voir Housen, par. 15-18; Dr Q, par. 38; Dunsmuir, par. 53.

[Non souligné dans l’original.]

[18] En outre, suivant l’arrêt Vavilov, la cour de révision doit évaluer si le décideur qui a rendu la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire s’est attaqué de façon significative aux questions clés :

[128] Les cours de révision ne peuvent s’attendre à ce que les décideurs administratifs « répondent à tous les arguments ou modes possibles d’analyse » (Newfoundland Nurses, par. 25) ou « tire[nt] une conclusion explicite sur chaque élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à [leur] conclusion finale » (par. 16). Une telle exigence aurait un effet paralysant sur le bon fonctionnement des organismes administratifs et compromettrait inutilement des valeurs importantes telles que l’efficacité et l’accès à la justice. Toutefois, le fait qu’un décideur n’ait pas réussi à s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux formulés par les parties permet de se demander s’il était effectivement attentif et sensible à la question qui lui était soumise. En plus d’assurer aux parties que leurs préoccupations ont été prises en considération, le simple fait de rédiger des motifs avec soin et attention permet au décideur d’éviter que son raisonnement soit entaché de lacunes et d’autres failles involontaires : Baker, par. 39.

[Non souligné dans l’original.]

B. Les conclusions d’invraisemblance tirées par l’agent sont raisonnables

[19] Les demandeurs soutiennent que l’agent a tiré des conclusions d’invraisemblance déraisonnables, qu’il n’a pas examiné si la preuve fournie par le demandeur principal était plausible à la lumière de la situation générale et culturelle en Syrie et qu’il s’est fondé sur des conjectures et des hypothèses erronées pour déterminer ce qui était raisonnable dans la situation du demandeur principal. Ils invoquent le paragraphe 34 de l’arrêt Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c Satiacum, [1989] ACF no 505, où la Cour d’appel fédérale a expliqué la différence entre une déduction justifiée et une simple hypothèse :

La différence entre une déduction justifiée et une simple hypothèse est reconnue depuis longtemps en common law. Lord Macmillan fait la distinction suivante dans l’arrêt Jones v. Great Western Railway Co. (1930), 47 T.L.R. 39, à la p. 45, 144 L.T. 194, à la p. 202 (H.L.) :

[traduction] Il est souvent très difficile de faire la distinction entre une hypothèse et une déduction. Une hypothèse peut être plausible mais elle n’a aucune valeur en droit puisqu’il s’agit d’une simple supposition. Par contre, une déduction au sens juridique est une déduction tirée de la preuve et si elle est justifiée, elle pourra avoir une valeur probante. J’estime que le lien établi entre un fait et une cause relève toujours de la déduction.

[20] Les demandeurs se fondent également sur les décisions Ghirmatsion c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 519, et Amanuel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 662, pour alléguer que l’agent a commis une erreur en ne se fondant pas sur la preuve pour conclure que le récit du demandeur principal n’était pas crédible.

[21] Les demandeurs s’appuient également sur des éléments de preuve relatifs à la situation dans le pays qu’ils n’avaient pas présentés à l’agent. Ils affirment que ce dernier aurait dû en tenir compte. Essentiellement, selon ces nouveaux éléments de preuve, des dizaines de milliers de soldats et d’officiers ont déserté l’armée syrienne durant les premières années de la guerre civile; les déserteurs sont traités de la même façon que les autres militants de l’opposition et ils risquent d’être tués ou emprisonnés et torturés s’ils se font arrêter; le conflit en Syrie est très complexe en raison des nombreux acteurs différents impliqués, de sorte qu’il est difficile de donner des renseignements détaillés et précis sur la situation; le recrutement de combattants dans les groupes armés d’opposition se fait généralement sur une base volontaire et il est difficile de confirmer leur nombre; de nombreux hommes qui sont restés dans les régions en guerre n’ont pas participé activement au conflit armé; certaines communautés agricoles sont [traduction] « difficiles d’accès »; et des violations des droits de la personne ont été commises sous le régime syrien. Bien que le défendeur ne me demande pas de radier ces éléments de preuve, il me semble que tous ces renseignements sont connus des agents des visas de la région qui traitent les nombreuses demandes de visa présentées par les réfugiés qui vivent dans des camps.

[22] Les demandeurs soutiennent que, conformément au guide opérationnel OP 5 de Citoyenneté et Immigration Canada [le guide], le décideur doit accorder le bénéfice du doute au demandeur et, s’il ne le fait pas, il doit expliquer pourquoi. La section 13.1 du guide énonce ce qui suit au sujet de l’évaluation de la crédibilité :

Le demandeur a droit au bénéfice du doute;

Il faut considérer l’histoire dans l’ensemble des circonstances afin d’établir une norme de plausibilité;

L’agent devrait être bien informé lorsqu’il évalue la crédibilité – En particulier, la crédibilité du demandeur « doit être évaluée à la lumière de ce qui est généralement connu au sujet des conditions et des lois dans le pays d’origine »;

Ne pas mettre trop d’ardeur à trouver des contradictions – L’agent ne devrait pas « être vigilant à outrance en examinant l’histoire du demandeur à la loupe », particulièrement lorsqu’on a recours à un interprète. L’agent « ne devrait pas scruter le témoignage à la recherche de divergences ou d’éléments de preuve non crédibles dans le but de s’attaquer à la crédibilité du demandeur ».

[23] Invoquant l’arrêt Maldonado c Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1980] 2 CF 302 (CAF) [Maldonado], de la Cour d’appel fédérale, les demandeurs affirment également que le décideur agit de manière arbitraire en choisissant de ne pas croire le témoignage du demandeur lorsqu’il n’existe aucune raison valable de douter de la véracité de ce témoignage. Je souligne que, par cette affirmation, les demandeurs ne remettent pas en question l’existence des conclusions relatives à la vraisemblance comme celles qui ont été tirées en l’espèce.

[24] Le défendeur soutient que les demandeurs sont simplement en désaccord avec l’agent au sujet de ses conclusions, lesquelles sont raisonnables. Selon lui, les nouveaux éléments de preuve sont essentiellement des renseignements généraux. Il n’a donc pas demandé leur radiation. Sur ce point, je suis prêt à admettre les nouveaux éléments de preuve relatifs à la situation dans le pays. Cela dit, en tout respect, ils ne sont pas déterminants. À mon avis, ils confirment simplement ce qu’un agent de migration bien formé dans le domaine sait déjà.

[25] De plus, le défendeur affirme que l’agent a conclu non pas que la désertion du demandeur principal était impossible, mais que l’exposé du demandeur principal sur la façon dont cela s’est produit, soit grâce à une fausse pièce d’identité fabriquée par son père, n’était pas crédible.

[26] Étant donné que la présente affaire porte sur des conclusions en matière de crédibilité et d’invraisemblance, en tout respect, j’estime qu’il vaut la peine de résumer les principes applicables.

[27] Premièrement, le demandeur est présumé dire la vérité : voir Maldonado. Cette présomption est toutefois réfutable, notamment lorsque les éléments de preuve ne concordent pas avec son témoignage sous serment : Su c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 666 au para 11 [le juge Fothergill], renvoyant à Adu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] ACF no 114 (CAF).

[28] En effet, aux paragraphes 23 et 24 de la décision Ibikunle c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 391, le juge en chef Crampton a conclu – et je suis d’accord avec lui – que la présomption peut être réfutée lorsqu’il existe une raison quelconque de douter de la sincérité du demandeur. À mon avis, l’invraisemblance à laquelle a conclu l’agent en l’espèce peut constituer une telle raison :

[23] Invoquant le paragraphe 5 de la décision Maldonado c Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1980] 2 CF 302 [Maldonado], Mme Ibikunle affirme qu’une présomption de véracité s’applique à sa déclaration selon laquelle son époux était originaire de l’État d’Ogun.

[24] Je ne suis pas de cet avis. La présomption découlant de la décision Maldonado peut être réfutée lorsqu’il existe une raison quelconque « de douter de la sincérité » des allégations du demandeur d’asile : Maldonado, précitée. Par conséquent, s’il existe des doutes quant à la crédibilité d’autres aspects des éléments de preuve du demandeur, la présomption de véracité ne s’appliquera plus. Cette présomption ne s’appliquera pas non plus quand le demandeur n’explique pas de manière raisonnable son défaut de fournir des éléments de preuve corroborant des allégations difficiles à croire, lorsqu’elles sont examinées en corrélation avec les autres éléments de preuve dont dispose le décideur : Association canadienne des avocats et avocates en droit des réfugiés c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2019 CF 1126, au par. 184.

[Non souligné dans l’original.]

[29] Avec respect là encore, comme l’a déclaré la juge Strickland dans la décision Kabran c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2018 CF 115 [Kabran], il faut faire preuve de retenue à l’égard des conclusions défavorables en matière de crédibilité tirées par les agents de visas après une audience (comme en l’espèce) : « […] la décision reposait sur l’appréciation de la crédibilité, et il faut faire preuve de retenue à l’égard des conclusions négatives de l’agente quant à la crédibilité du demandeur (Mezbani c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1115, au paragraphe 26 » [citant le juge Boivin, alors juge de la Cour fédérale].

[30] À cet égard, je prends note des conclusions de la juge Rochester au paragraphe 10 de la décision Onwuasoanya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1765, en ce qui concerne les conclusions tirées quant à la crédibilité à l’issue d’une audience devant la Section de la protection des réfugiés :

[10] Les conclusions quant à la crédibilité font partie du processus de recherche des faits, et leur contrôle commande une grande retenue (Fageir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 966 au para 29 [Fageir]; Tran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 721 [Tran] au para 35; Azenabor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1160 au para 6). De telles conclusions tirées par la SAR et la SPR requièrent un degré élevé de retenue judiciaire et il n’y a lieu de les infirmer que dans « les cas les plus évidents » (Liang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 720 au para 12). Les décisions quant à la crédibilité ont été décrites comme constituant « l’essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits, […] et elles ne sauraient être infirmées à moins qu’elles ne soient abusives, arbitraires ou rendues sans tenir compte des éléments de preuve » (Fageir, au para 29; Tran, au para 35; Edmond c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 644 au para 22, citant Gong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 165 au para 9).

[31] À mon humble avis, il est loisible à l’agent des visas qui a écouté le témoignage du demandeur d’asile de tirer des conclusions sur la crédibilité en tenant compte des invraisemblances, du bon sens et de la raison, mais il ne doit pas faire des inférences négatives quant à la crédibilité « par suite d’un examen à la loupe de questions secondaires ou non pertinentes à une affaire » : Haramichael c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 1197 au para 15, renvoyant à Lubana c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 116 [Lubana] aux para 10-11; Attakora c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) [1989] ACF no 444.

[32] En termes simples, comme la Cour d’appel fédérale l’a décidé il y a de nombreuses années, les conclusions en matière de crédibilité sont au cœur même de l’expertise des décideurs qui entendent et tranchent les affaires en se fondant sur des témoignages (plutôt que sur un examen du dossier). La Cour d’appel fédérale a notamment conclu que les conclusions de fait et les décisions quant à la crédibilité constituaient « l’essentiel » de l’expertise de la Section de la protection des réfugiés : Giron c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] ACF no 481 (FCA).

[33] Après avoir examiné la décision de l’agent dans son ensemble, je conclus que les conclusions défavorables en matière de crédibilité tirées à l’égard du demandeur principal sont transparentes, intelligibles et justifiées. L’agent a exprimé ses doutes et a donné la possibilité au demandeur principal, à plusieurs reprises lors de l’entrevue, d’expliquer plus en détail les éléments qu’il voulait mieux comprendre. Les conclusions de l’agent quant à la vraisemblance sont donc fondées sur le bon sens et la raison.

[34] Comme l’avocat du défendeur l’a fait valoir à l’audience, il est inconcevable qu’aucun supérieur dans l’armée syrienne n’ait remarqué que le demandeur principal désobéissait aux ordres depuis trois semaines et tirait en l’air durant les combats. De même, il serait loisible à un agent des visas formé et de la région de conclure, selon le bon sens et la raison, que le demandeur principal n’était pas crédible lorsqu’il affirmait qu’il était [traduction] « facile » de déserter l’armée syrienne simplement « avec l’aide de son père » et une fausse pièce d’identité, d’autant plus qu’il a également déclaré qu’il était difficile pour d’autres de le faire. Avec égards, aucune des conclusions tirées n’a quoi que ce soit à voir avec des normes culturelles différentes. Je ne suis pas convaincu que l’une ou l’autre de ces conclusions justifie une intervention de la Cour.

[35] En outre, et encore une fois avec tout mon respect, la Cour ne peut pas modifier la conclusion d’invraisemblance tirée par l’agent relativement à l’affirmation du demandeur principal selon laquelle en aucun moment au cours d’une période de cinq ans il n’a été approché par l’ASL (une milice de résistance opposée au régime d’Al-Assad) ou par l’État islamique ou Daech, qui contrôlait la région où il disait exploiter une ferme. Le demandeur principal affirme n’avoir jamais été approché par l’un ou l’autre des protagonistes du conflit et invité à se joindre à l’un d’entre eux pendant cinq ans. Il y a lieu de noter qu’il travaillait dans une ferme et se rendait au marché pour vendre les produits qu’il cultivait lorsque la situation était calme, mais il affirme n’avoir jamais été contacté ou approché par qui que ce soit. À cet égard, comme pour les deux autres questions, le demandeur principal a témoigné de vive voix à deux reprises et a reçu une mise en garde concernant ces points. L’agent a raisonnablement conclu que les réponses du demandeur principal ne dissipaient pas ses doutes.

[36] Comme je le mentionne plus haut, les conditions pertinentes dans le pays d’origine relèvent des connaissances professionnelles d’un agent des visas de la région, comme en l’espèce. Il est également important de noter que le demandeur principal a donné des [traduction] « réponses limitées », comme l’a fait remarquer l’agent et l’avait relevé le premier agent. Honnêtement, il est tout aussi évident que les réponses qu’il a données au deuxième agent étaient aussi très limitées.

[37] Le témoignage du demandeur principal a été apprécié par les deux agents, lesquels ont tous deux eu l’avantage d’observer le demandeur principal tout au long de l’entrevue, un avantage indéniable que la Cour n’a pas.

[38] À mon humble avis, compte tenu de toutes les circonstances, il était loisible à l’agent des visas de tirer ces conclusions en se fondant sur l’entrevue, le dossier et ses connaissances professionnelles. Dans ses motifs, l’agent explique qu’il a tiré ses conclusions défavorables quant à la crédibilité en se fondant directement sur les réponses du demandeur principal.

[39] Le fardeau de la preuve incombe au demandeur principal et, en tout respect, je ne suis pas convaincu qu’il y a lieu d’accueillir sa contestation des conclusions relatives à la crédibilité qui ont été tirées contre lui. À mon humble avis, les conclusions de l’agent des visas possèdent les caractéristiques d’une décision raisonnable.

C. Les motifs de l’agent sont suffisants.

[40] Les demandeurs font également valoir que les motifs de l’agent sont insuffisants, car ils sont fondés sur des [traduction] « généralisations non fondées », de sorte que la décision est déraisonnable. Ils soutiennent que l’agent a déclaré à trois reprises que les explications du demandeur principal n’étaient [traduction] « pas crédibles », sans toutefois fournir d’analyse.

[41] En tout respect, je ne suis pas convaincu. L’agent a conclu que le demandeur principal n’était pas crédible. Il a expliqué pourquoi. J’ai examiné les trois conclusions en matière de crédibilité et je les ai jugées raisonnables. La décision rendue dans le dossier est justifiée par des motifs suffisants, et elle tient compte de la transcription de la première entrevue, de la deuxième entrevue, de la mise en garde expresse sur les points que l’agent voulait mieux comprendre et de la nouvelle entrevue menée après cette mise en garde. Ces motifs sont transparents, intelligibles et justifiés, selon les critères établis dans l’arrêt Vavilov.

D. Le demandeur n’a pas démontré qu’il n’était « pas interdit de territoire ».

[42] Les demandeurs affirment que l’agent n’a pas tenu compte des éléments de preuve objectifs et de la situation en Syrie, et qu’il n’a pas évalué la demande d’asile selon la catégorie de personnes de pays d’accueil. L’article 147 du RIPR est ainsi libellé :

147 Appartient à la catégorie de personnes de pays d’accueil l’étranger considéré par un agent comme ayant besoin de se réinstaller en raison des circonstances suivantes :

a) il se trouve hors de tout pays dont il a la nationalité ou dans lequel il avait sa résidence habituelle;

b) une guerre civile, un conflit armé ou une violation massive des droits de la personne dans chacun des pays en cause ont eu et continuent d’avoir des conséquences graves et personnelles pour lui.

[43] Avec égards, il incombait au demandeur principal d’établir, à la satisfaction de l’agent, qu’il n’était « pas interdit de territoire » aux termes du paragraphe 11(1) de la LIPR. La preuve qu’il a présentée pour démontrer qu’il n’était « pas interdit de territoire » n’était pas crédible. Cela a amené l’agent à conclure qu’il n’était pas convaincu que le demandeur principal n’était « pas interdit de territoire » comme l’exige la loi. À mon avis, un agent d’immigration peut rejeter une demande sans expressément conclure que le demandeur est interdit de territoire; il lui suffit de conclure qu’il n’est pas convaincu que le demandeur n’est « pas interdit de territoire ». Il s’agit de la conclusion qui a été tirée en l’espèce. Elle est conforme à la jurisprudence et met fin à la demande d’asile du demandeur principal, présentée au titre de la catégorie des réfugiés au sens de la Convention outre-frontières.

[44] Lorsqu’il n’y a pas de conclusion d’interdiction de territoire et que l’agent n’est pas convaincu que le demandeur n’est « pas interdit de territoire » (le critère prévu par la loi), il n’est pas nécessaire d’évaluer si le demandeur appartient à la catégorie visée à l’article 147 du RIPR étant donné que, quel que soit le résultat de cette évaluation, le demandeur ne peut avoir gain de cause, car l’agent doit être convaincu qu’il n’est ou n’était « pas interdit de territoire ». Dans la décision Kabran, la juge Strickland analyse et confirme ce principe dans des circonstances semblables à celles de l’espèce :

[39] Le demandeur affirme que l’agente était tenue de fournir des motifs d’interdiction de territoire, renvoyant à l’article 34 de la LIPR qui établit les fondements de l’interdiction de territoire pour raison de sécurité. Toutefois, l’article qui s’applique en l’espèce est le paragraphe 11(1) qui stipule qu’un agent peut délivrer un visa ou un document sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger « n’est pas interdit de territoire » et se conforme aux exigences de la LIPR. En outre, un argument semblable quant à la nécessité de tirer une conclusion précise d’interdiction de territoire a été abordé par le juge Southcott dans Noori c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 1095, aux paragraphes 17 et 18 [Noori] :

[17] Enfin, les demandeurs soutiennent que la décision est déraisonnable parce que l’agente n’a posé aucune question au demandeur principal quant à son admissibilité au Canada et n’a effectué aucune analyse de son admissibilité. En ce qui concerne cette thèse, le défendeur soutient que les incohérences dans le témoignage du demandeur principal ont suscité suffisamment de préoccupations chez l’agente quant à la véracité de son témoignage au point qu’il n’était pas nécessaire de poursuivre l’examen et que l’agente n’était pas en mesure de mener une évaluation de l’admissibilité.

[18] Je souscris à la description du défendeur de cet aspect de la décision. Les notes du SMGC indiquent explicitement que les incohérences cernées par l’agente dans le témoignage du demandeur principal et son manque de franchise en répondant aux mêmes questions posées à plusieurs reprises ont suscité des préoccupations quant à la véracité du reste de son témoignage pendant l’entrevue. Les notes indiquent que, en conséquence, l’agente n’a pas été convaincue que le demandeur principal avait la qualité de réfugié et qu’il n’était pas interdit de territoire. Un agent d’immigration peut rejeter une demande sans avoir à conclure expressément que le demandeur est interdit de territoire, au motif qu’il ou elle n’est pas en mesure de conclure que le demandeur n’est pas interdit de territoire (voir Ramalingam c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 278, au paragraphe 37). Si un demandeur ne dit pas la vérité, cela peut miner la fiabilité de l’ensemble de son témoignage et un agent pourrait ne pas être en mesure de conclure que le demandeur n’est pas interdit de territoire (Muthui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 105, au paragraphe 33).

[Non souligné dans l’original.]

VII. Conclusion

[45] La décision est transparente, intelligible et justifiée et, de l’avis de la Cour, s’attaque de manière significative aux questions en litige. Elle se tient, compte tenu des motifs, du dossier et des principes de droit contraignants. Elle satisfait au critère de la décision raisonnable établi dans l’arrêt Vavilov. Par conséquent, la présente demande sera rejetée.

VIII. Question à certifier

[46] Les parties n’ont pas proposé de question d’importance générale à certifier et je conviens que l’affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-12652-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question de portée générale n’est certifiée.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Henry S. Brown »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-12652-22

 

INTITULÉ :

JAMEEL KHALAF ALMUSTAFA, KHAWLA HMOUD ALKHALF ET ABDULKAREM JAMEEL ALMUSTAFA, ABDULHADI JAMEEL ALMUSTAFA, ALEEN JAMEEL ALMUSTAFA ET WALEED JAMEEL ALMUSTAFA (REPRÉSENTÉS PAR LEUR TUTEUR À L’INSTANCE JAMEEL KHALAF ALMUSTAFA) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ZOOM

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 18 JANVIER 2024

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BROWN

DATE DES MOTIFS :

LE 24 JANVIER 2024

COMPARUTIONS :

Timothy Wichert

POUR LES DEMANDEURS

Bernard Assan

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Timothy Wichert

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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