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Date : 20240129

Dossiers : T-306-22

T-316-22

T-347-22

T-382-22

Référence : 2024 CF 42

Ottawa (Ontario), le 29 janvier 2024

En présence de monsieur le juge Mosley

Dossier : T-306-22

ENTRE :

CANADIAN FRONTLINE NURSES et KRISTEN NAGLE

demanderesses

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

Dossier : T-316-22

ET ENTRE :

ASSOCIATION CANADIENNE DES LIBERTÉS CIVILES

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

Dossier : T-347-22

ET ENTRE :

CANADIAN CONSTITUTION FOUNDATION

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DE L’ALBERTA

intervenant

Dossier : T-382-22

ET ENTRE :

JEREMIAH JOST, EDWARD CORNELL, VINCENT GIRCYS ET HAROLD RISTAU

demandeurs

et

LE GOUVERNEUR EN CONSEIL, SA MAJESTÉ DU CHEF DU CANADA, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeurs

MOTIFS DU JUGEMENT MODIFIÉS

TABLE DES MATIÈRES

I. Introduction 5

II. Aperçu 5

III. Les parties 7

A. Les demandeurs 7

(1) Kristen Nagle et Canadian Frontline Nurses 7

(2) Les demandeurs dans l’affaire Jost 9

(3) L’Association canadienne des libertés civiles 10

(4) La Canadian Constitution Foundation 11

B. Le défendeur (le requérant dans les requêtes en radiation) 11

C. L’intervenant 12

IV. Le contexte 12

(1) Les ordonnances de santé publique 13

(2) Les manifestations à Ottawa et les blocages à la frontière 14

(a) Ottawa 14

(b) Les blocages à la frontière 18

(3) Le recours à la Loi sur les mesures d’urgence 20

V. La décision faisant l’objet du contrôle 23

A. La Proclamation 23

B. Les motifs de la décision 25

C. L’historique des procédures 26

VI. La preuve 30

(1) Mme Nagle et CFN 31

(2) L’ACLC 32

(3) La CCF 33

(4) Les demandeurs dans l’affaire Jost 33

(5) Le défendeur 34

VII. Le cadre juridique 36

VIII. Les questions en litige 37

A. Les questions préliminaires 37

B. Les questions de fond 39

IX. Arguments et analyse 44

A. Les questions préliminaires 44

(1) Le critère applicable à une requête en radiation 44

(2) Le critère pour déterminer si l’affaire est théorique 45

(3) La thèse du défendeur 46

(4) La thèse des demandeurs 48

(a) Analyse 49

(i) La présence d’un débat contradictoire 49

(ii) L’économie des ressources judiciaires 52

(iii) La sensibilité de la Cour à son rôle par rapport à celui du législateur 55

(5) Conclusion sur le caractère théorique 57

(6) Le critère relatif à la qualité pour agir 58

(a) La thèse du défendeur 59

(b) La thèse des demandeurs 61

(i) Mme Nagle et CFN 61

(ii) MM. Jost et Ristau 62

(iii) L’ACLC et la CCF 63

(c) Conclusion sur la qualité pour agir 64

B. Les questions de fond 70

(1) La norme de contrôle 71

(2) La Proclamation était‐elle déraisonnable et « ultra vires » de la Loi? 78

(a) La Cour ne tire aucune inférence négative du fait que des privilèges ont été invoqués 79

(b) Y avait-il une crise nationale? 81

(i) Argument 82

(ii) Analyse et conclusion quant à l’existence d’une crise nationale 89

(c) La condition applicable, c’est-à-dire l’existence de « menaces envers la sécurité du Canada », était-elle remplie? 95

(d) L’usage de la violence grave ou de menaces de violence a-t-il été établi? 98

(i) Argument 98

(ii) Analyse et conclusion relatives au respect de la condition minimale 103

C. Les pouvoirs créés par le Règlement et le Décret économique contrevenaient-ils aux alinéas 2b), c) ou d) ou aux articles 7 ou 8 de la Charte et, dans l’affirmative, cette atteinte pouvait-elle être justifiée au regard de l’article premier? 112

(a) L’article 2 113

(i) La liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression 113

(ii) La liberté de réunion pacifique 116

(iii) La liberté d’association 117

(b) L’article 7 118

(c) L’article 8 121

(d) L’article premier 127

(i) Conclusion relative à la justification au regard de l’article premier 131

D. Le Règlement et le Décret économique contrevenaient-ils à la Déclaration canadienne des droits? 133

X. Conclusion 137

(1) Les réparations demandées 139

(2) Les dépens 139

ANNEXE A / ANNEX A 141

ANNEXE B 172

 

I. Introduction

[1] Voici les motifs du jugement rendu dans le cadre de quatre demandes de contrôle judiciaire présentées au titre des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, visant la décision du gouverneur en conseil (le GEC) de déclarer l’état d’urgence [DEU] et d’approuver des mesures supplémentaires pour mettre un terme aux manifestations perturbatrices qui ont eu lieu à Ottawa et dans d’autres régions du Canada.

[2] Puisque l’issue des quatre demandes diffèrent en certains aspect, des jugements distincts seront publiés pour chacune. Les motifs qui suivent s’appliquent aux éléments communs et expliquent les différentes issues.

II. Aperçu

[3] Les demandeurs dans les quatre demandes dont la Cour est saisie contestent le décret CP 2022-106, la Proclamation déclarant une urgence d’ordre public, DORS/2022-20 [la Proclamation], prise conformément au paragraphe 17(1) de la Loi sur les mesures d’urgence, LRC 1985, c 22 (4e supp) le 14 février 2022 [la Loi sur les mesures d’urgence ou la Loi]. Font également l’objet du présent contrôle le décret CP 2022-107, le Règlement sur les mesures d’urgence, DORS/2022-21 [le Règlement] et le décret CP 2022-108, le Décret sur les mesures économiques d’urgence, DORS/2022-22, [le Décret économique], pris le 15 février 2022 conformément au paragraphe 19(1) de la Loi.

[4] Le procureur général de l’Alberta a répondu à un avis de question constitutionnelle dans le cadre d’une des demandes et a également sollicité et obtenu l’autorisation d’intervenir pour formuler des observations sur plusieurs questions de nature non constitutionnelle.

[5] Le procureur général du Canada a présenté des requêtes en radiation des demandes au motif qu’elles étaient théoriques et que la plupart des demandeurs n’avaient pas la qualité pour agir.

[6] Comme je l’expliquerai dans les présents motifs, j’ai conclu que les demandeurs Kristen Nagle, Canadian Frontline Nurses, Jeremiah Jost et Harold Ristau n’ont pas qualité pour contester la Proclamation, le Règlement et le Décret économique. Pour ce motif, leurs demandes seront rejetées. Je conviens qu’Edward Cornell et Vincent Gircys ont directement qualité pour contester la Proclamation, le Règlement et le Décret économique, car ils ont été directement touchés par ceux-ci. J’accorde à l’Association canadienne des libertés civiles [l’ACLC] et à la Canadian Constitution Foundation [la CCF] la qualité pour agir dans l’intérêt public. J’ai conclu que les demandes des demandeurs ayant la qualité pour agir devraient être instruites, peu importe qu’elles soient devenues théoriques par suite de l’abrogation de la Proclamation et des textes réglementaires connexes.

[7] En ce qui concerne les questions de fond, j’ai conclu que les demandes d’Edward Cornell et de Vincent Gircys, de l’ACLC et de la CCF doivent être accueillies en partie pour les motifs exposés ci-dessous. En bref, je conclus que les motifs invoqués pour justifier la décision de déclarer l’état d’urgence ne satisfont pas aux exigences de la Loi sur les mesures d’urgence et que certaines mesures temporaires adoptées pour faire face aux manifestations contrevenaient aux dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982, constituant l’annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c 11 (R-U) [la Charte] et n’étaient pas justifiées au regard de l’article premier de la Charte.

[8] Je conclus que les mesures temporaires n’étaient pas incompatibles avec la Déclaration canadienne des droits, SC 1960, c 44 [Déclaration canadienne des droits], contrairement à ce qu’affirmaient MM. Jost, Ristau, Cornell et Gircys, collectivement les demandeurs dans l’affaire Jost.

III. Les parties

A. Les demandeurs

[9] Les deux premières des quatre demandes de contrôle judiciaire ont été déposées à la Cour fédérale par Mme Kristen Nagle et Canadian Frontline Nurses [CFN] et par l’Association canadienne des libertés civiles [l’ACLC] les 17 et 18 février 2022, respectivement. Les deux autres demandes ont été déposées les 22 et 23 février 2022 par la CCF et par les demandeurs dans l’affaire Jost.

(1) Kristen Nagle et Canadian Frontline Nurses

[10] Kristen Nagle est citoyenne canadienne et réside en Ontario. Elle est une ancienne infirmière autorisée et est membre et directrice de CFN. Son autorisation a été suspendue par l’Ordre des infirmières et infirmiers de l’Ontario à la suite de plaintes concernant ses interventions à d’autres manifestations, notamment dans les hôpitaux qui appliquaient les obligations vaccinales et traitaient les patients atteints de la COVID-19 durant la pandémie.

[11] CFN est constituée sous le régime de la Loi canadienne sur les organisations à but non lucratif, LC 2009, c 23. Cette organisation se décrit comme un [traduction] « fier défenseur de la liberté médicale », et sa mission consiste « à unir les infirmières et infirmiers de partout au Canada, à sensibiliser le public et à veiller à ce que les soins de santé de la population canadienne reflètent les plus hautes normes éthiques ». Les arguments formulés au nom de CFN en l’espèce sont les mêmes que ceux formulés par Mme Nagle. Il est clair qu’elle est l’âme dirigeante et la volonté de l’organisation.

[12] Mme Nagle et, par l’entremise de cette dernière, CFN affirment [traduction] « s’opposer aux obligations et aux restrictions déraisonnables liées à la COVID-19 qui ont été mises en œuvre par divers ordres de gouvernement au Canada » durant la pandémie.

[13] Dans leur demande, Mme Nagle et CFN affirment avoir un intérêt direct dans l’affaire en raison de leur participation au « convoi de la liberté de 2022 ». La preuve n’établit pas clairement comment CFN a participé autrement que par l’intermédiaire de Mme Nagle. Rien ne démontre que les observations formulées au nom de CFN en l’espèce découlent de résolutions des membres ou du conseil d’administration de l’organisation ou qu’elles sont autre chose que l’expression des vues personnelles de Mme Nagle.

[14] Mme Nagle est arrivée à Ottawa le 28 janvier 2022 et s’est installée dans un hôtel près des sites de manifestation avec son mari et ses enfants. Elle prétend avoir apporté un soutien matériel à d’autres participants durant les manifestations, par exemple en distribuant des fonds remis à CFN et en donnant accès à sa chambre d’hôtel aux personnes qui voulaient prendre une douche. Elle affirme avoir été décrite comme une participante majeure à la manifestation par un député, mais il n’y a aucune preuve à l’appui de cette affirmation. Le logo de CFN n’apparaît pas parmi ceux qui figurent dans les documents promotionnels du « convoi de la liberté de 2022 ».

[15] Ni Mme Nagle ni CFN n’ont été identifiées par la Gendarmerie royale du Canada (la GRC) auprès des fournisseurs de services financiers comme des personnes ou entités auxquelles s’appliquaient le Règlement et le Décret économique. Leurs comptes bancaires et autres ressources n’ont pas été gelés. Toutefois, Mme Nagle a déclaré que les dons à CFN avaient diminué à la suite de la Proclamation et de la mise en œuvre du Règlement et du Décret économique. Pour cette raison, sa famille et elle ont choisi de quitter Ottawa.

(2) Les demandeurs dans l’affaire Jost

[16] Les quatre demandeurs dans l’affaire Jost sont citoyens canadiens et affirment avoir un intérêt direct dans l’affaire en raison de leur participation aux manifestations d’Ottawa.

[17] Jeremiah Jost a participé aux manifestations autour de la colline parlementaire à partir du 29 janvier 2022. Il prétend aussi avoir soutenu financièrement d’autres participants aux manifestations à Ottawa.

[18] Edward Cornell est un ancien combattant de l’armée canadienne et a également participé aux manifestations à Ottawa. Son compte bancaire et ses cartes de crédit ont été gelés par suite de la Proclamation et de la prise du Décret économique.

[19] Vincent Gircys est un policier à la retraite. Il a participé aux manifestations à Ottawa et son compte bancaire et ses cartes de crédits ont également été gelés à la suite du recours à la Loi.

[20] Harold Ristau, pasteur et ancien combattant de l’armée canadienne, a brièvement participé aux manifestations à Ottawa et a dirigé des prières, prononçant une bénédiction et se recueillant devant le monument commémoratif de guerre. Il affirme qu’à son retour chez lui, il a subi de la discrimination sur son lieu de travail et d’autres effets préjudiciables en raison de sa participation aux manifestations, ce qui a limité sa capacité à jouir de sa liberté de religion.

(3) L’Association canadienne des libertés civiles

[21] Fondée en 1974, l’ACLC se décrit comme une organisation non gouvernementale indépendante et sans but lucratif visant à défendre les droits fondamentaux et les libertés civiles ainsi qu’à en faire la promotion. Elle a présenté sa demande sur le fondement de la qualité pour agir dans l’intérêt public.

[22] L’ACLC affirme que, depuis sa création, elle demande des comptes aux gouvernements en s’assurant que les droits et libertés fondamentaux soient exercés et respectés puis en veillant au respect de la primauté du droit. Elle affirme défendre les intérêts de toute la population canadienne afin de garantir le maintien d’un juste équilibre entre les libertés civiles et les intérêts publics et privés opposés. Elle a été autorisée à intervenir devant de nombreuses instances judiciaires et affirme avoir contribué à l’évolution de la jurisprudence en matière de libertés civiles et à l’application de la Charte.

(4) La Canadian Constitution Foundation

[23] Fondée en 2002, la CCF se décrit comme un organisme de bienfaisance indépendant national et non partisan qui vise à protéger les libertés constitutionnelles au moyen de la sensibilisation, de la communication et de procédures judiciaires. Elle a aussi présenté sa demande sur le fondement de la qualité pour agir dans l’intérêt public.

[24] La CCF a comparu devant tous les paliers de tribunaux au Canada et soutient qu’elle a contribué à l’évolution de la jurisprudence en droit constitutionnel. La Cour suprême du Canada lui a accordé le statut d’intervenant dans 13 affaires.

[25] Le défendeur n’a pas contesté le fait que l’ACLC et la CCF avaient un intérêt public valide dans la présente instance, mais a fait valoir que leur participation n’était pas nécessaire puisqu’au moins deux des demandeurs dans l’affaire Jost avaient un intérêt direct.

B. Le défendeur (le requérant dans les requêtes en radiation)

[26] Le procureur général du Canada est désigné comme seul défendeur dans trois des quatre demandes. Dans la quatrième demande, dossier T-382-22, les demandeurs dans l’affaire Jost ont désigné le gouverneur en conseil, Sa Majesté du chef du Canada et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile en plus du procureur général du Canada.

[27] La Couronne n’est pas un office fédéral pour l’application des articles 18 et 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales et ne peut donc être désignée comme défenderesse en l’espèce. Les décisions du gouverneur en conseil et du ministre dans l’exercice de leur charge publique sont assujetties au contrôle judiciaire. Ces derniers sont représentés en l’espèce par le procureur général du Canada à titre de défendeur.

C. L’intervenant

[28] Le 14 mars 2022, les demandeurs dans l’affaire Jost ont déposé et signifié un avis de question constitutionnelle modifié sur le fondement de l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales à chacun des procureurs généraux provinciaux. Seul le procureur général de l’Alberta a répondu à l’avis. Le 5 mai 2022, le procureur général de l’Alberta a également sollicité et reçu l’autorisation d’intervenir dans les dossiers de l’ACLC et de la CCF pour formuler des observations sur plusieurs questions non constitutionnelles.

IV. Le contexte

[29] Dans la présente partie de mes motifs, je résumerai le contexte entourant les demandes et la prise de la Proclamation, du Règlement et du Décret économique. Je ne propose pas de passer en revue l’historique détaillé des événements, qui ont été examinés en profondeur dans le rapport en cinq volumes de la Commission sur l’état d’urgence [la CEDU] publié le 17 février 2023. Toutefois, j’estime qu’il est nécessaire de situer les présents motifs dans le contexte de ces événements tels que je les comprends.

[30] Les faits exposés ci-dessous sont tirés des dossiers des parties déposés relativement à chaque demande, y compris les dossiers complémentaires qui contiennent des informations transmises ultérieurement. En l’espèce, les faits ont été moins contestés que la façon de définir les événements pour l’application de la loi. Dans le cas où les faits étaient contestés, j’ai examiné attentivement la preuve pertinente pour déterminer « si, selon toute vraisemblance, le fait allégué [avait] eu lieu » : FH c McDougall, 2008 CSC 53 au para 49.

(1) Les ordonnances de santé publique

[31] Le 19 novembre 2021, l’Agence de la santé publique du Canada a annoncé que, à compter du 15 janvier 2022, certains groupes de ressortissants étrangers qui étaient jusqu’alors soustraits aux exigences de vaccination pour entrer au Canada seraient maintenant obligés d’être pleinement vaccinés, y compris les fournisseurs de services essentiels comme les camionneurs. Des mesures semblables ont été mises en place par le gouvernement des États-Unis à la frontière avec le Canada.

[32] Le 13 janvier 2022, le ministre de la Santé a précisé qu’un camionneur canadien non vacciné ne pouvait se voir refuser l’entrée au Canada, mais devait se conformer aux exigences relatives aux tests de dépistage avant l’entrée, à l’arrivée et au huitième jour, ainsi qu’aux exigences de quarantaine.

(2) Les manifestations à Ottawa et les blocages à la frontière

[33] En raison de ces restrictions sur les déplacements, un groupe de personnes s’est préparé à traverser le Canada en camion afin de manifester à Ottawa sous le nom de « convoi de la liberté de 2022 ». Le 22 janvier 2022, le convoi est parti de Prince Rupert, en Colombie-Britannique, pour se rendre à une manifestation prévue à Ottawa le 29 janvier 2022. L’itinéraire du convoi vers Ottawa a été largement annoncé dans les médias, et d’autres véhicules et personnes se sont joints en cours de route.

(a) Ottawa

[34] Le convoi est arrivé à Ottawa le 28 janvier 2022. À ce moment-là, il était formé de centaines de véhicules de différents types, y compris des camions gros porteurs, et de centaines de personnes qui avaient l’intention de manifester contre la réponse de la santé publique du Canada à la pandémie de COVID-19 et les nouvelles exigences de vaccination pour les camionneurs transfrontaliers. Les manifestants et les véhicules ont occupé une grande partie du centre-ville d’Ottawa, dont des rues à proximité de la Cité parlementaire, de la Cour suprême du Canada et des cours fédérales. Entre autres, ces manifestations ont eu pour effet de bloquer la circulation automobile et l’accès des piétons aux bureaux, entreprises, églises et résidences dans la zone touchée.

[35] Au cours des jours suivants, les manifestants ont bloqué le quartier central du gouvernement, le quartier des affaires ainsi que des quartiers résidentiels et se sont mis à faire du bruit sans interruption avec des klaxons de camions, des sifflets de trains et des feux d’artifice, et en faisant la fête tard dans la nuit en poussant des cris au nom de la « liberté », amplifiés par des mégaphones. Les gaz d’échappement des moteurs diesel et à essence imprégnaient l’air et s’infiltraient dans les locaux voisins. Les manifestants apportaient sans arrêt des bidons de carburant pour faire rouler leurs véhicules et se réchauffer. Des incidents de harcèlement et d’intimidation ainsi que des voies de fait mineures ont été signalés. Cette situation a créé des conditions intolérables pour de nombreux résidents et travailleurs du quartier.

[36] Entre le 30 janvier et le 2 février 2022, les manifestants ont commencé à ériger des structures et à organiser une occupation prolongée du centre de la capitale nationale. Le Service de police d’Ottawa [le SPO] semblait incapable de faire face à la situation. Le chef du SPO a déclaré qu’il [traduction] « n’y avait peut-être pas de solution pour maintenir l’ordre » et qu’il fallait « faire appel à d’autres éléments pour mettre fin de manière sûre, rapide et durable à cette manifestation qui se déroule [dans la ville] et dans tout le pays ».

[37] Le 3 février 2022, le maire d’Ottawa a demandé des ressources supplémentaires aux autorités fédérales et provinciales pour faire face à la manifestation. Le même jour, les organisateurs du convoi ont tenu une conférence de presse au cours de laquelle ils ont affirmé qu’ils resteraient dans la ville jusqu’à ce que l’ensemble des obligations vaccinales liées à la COVID-19 soient levées. Le 6 février 2022, le maire a déclaré l’état d’urgence.

[38] Le 7 février 2022, le Bureau des renseignements criminels − Opérations provinciales, une division de la Police provinciale de l’Ontario [la PPO], a indiqué que le convoi était une « menace envers la sécurité nationale », et le SPO a demandé l’aide de 1 800 policiers supplémentaires auprès d’autres agences. Le même jour, le juge McLean de la Cour supérieure de justice de l’Ontario a accordé une injonction provisoire de dix jours pour [traduction] « faire taire les klaxons » et pour empêcher les camionneurs garés dans les rues du centre-ville d’Ottawa de commettre d’autres infractions aux règlements municipaux.

[39] Entre le 8 et le 10 février 2022, le convoi comptait environ 418 véhicules, et d’autres manifestants arrivaient en voiture et en camion. On estime que des enfants étaient présents dans 25 % des véhicules. Une contre-manifestation a eu lieu le 13 février 2022, au cours de laquelle des centaines de résidents ont bloqué les rues de banlieue pour empêcher les véhicules de se rendre au centre-ville d’Ottawa. Les participants au convoi ou leurs partisans se seraient concertés pour inonder d’appels les services d’urgence d’Ottawa dans le but de réduire leur capacité d’intervention. Les dons destinés à financer la manifestation ont été reçus sur une plateforme de sociofinancement, GiveSendGo. Les informations publiées par la suite indiquaient que 55,7 % des fonds reçus, soit un total de 3,6 millions de dollars américains, ont été versés par des donateurs basés aux États-Unis.

[40] Le 10 février 2022, le premier ministre a convoqué le Groupe d’intervention en cas d’incident [le GII], un comité d’urgence et organe de coordination formé du Cabinet et de hauts fonctionnaires, dont le rôle est de conseiller le premier ministre en cas de crise nationale. Le premier ministre et le président des États-Unis ont discuté de la crise le 11 février 2022. D’autres réunions du GII ont eu lieu les 12 et 13 février 2022. Le gouvernement de l’Ontario a déclaré l’état d’urgence et, le 12 février 2022, il a édicté un règlement visant à protéger les infrastructures essentielles.

[41] Les renseignements examinés par le GII, selon le procès-verbal de ses réunions, indiquaient que des militants extrémistes prenaient part à la manifestation. Il s’agissait notamment de membres d’une organisation connue sous le nom de « Diagolon », qui, d’après certaines informations, proposerait d’établir un pays allant « en diagonale » de l’Alaska à la Floride sous le slogan « le fusil ou la corde » (« gun or rope »). Le fondateur, Jeremy MacKenzie, a été arrêté en janvier 2022, avant de venir manifester à Ottawa, après que la police a trouvé à son domicile des armes à feu, des chargeurs interdits, des munitions et des gilets pare-balles. En outre, l’un des associés de MacKenzie, Derek Harrison, a fait une vidéo dans laquelle il aurait exprimé son désir de faire de la manifestation du convoi de la liberté leur propre 6 janvier (« our own January 6th »), faisant allusion à la prise d’assaut du Capitole américain. La demanderesse Mme Nagle était en contact avec MacKenzie lorsqu’elle était à Ottawa.

[42] Je ne mentionne pas ces renseignements dans le but de déterminer si les craintes au sujet de Diagolon ou les accusations portées contre MacKenzie étaient fondées. Il s’agit toutefois de renseignements dont disposait le Cabinet lorsque la décision d’invoquer la Loi a été prise.

[43] Sur des photos de l’occupation diffusées par les médias, on pouvait voir des manifestants tenir ou porter des symboles visibles de haine. Les demandeurs M. Jost et Mme Nagle ont reconnu en contre-interrogatoire avoir vu des manifestants porter des emblèmes jaunes en forme d’étoile de David avec les mots « non vaxx », en lien avec les symboles que les victimes de l’Holocauste ont été forcées de porter. Divers journaux ont rapporté que des manifestants portaient des drapeaux avec des croix gammées et des pancartes arborant le symbole nazi « SS », ainsi que des drapeaux confédérés.

[44] Certains manifestants impliqués dans l’organisation de la manifestation avaient apporté avec eux un document censé être un protocole d’entente entre un groupe appelé « Canada Unity », le Sénat du Canada et le gouverneur général. Le protocole d’entente proposait de former un comité mixte chargé d’assumer les fonctions gouvernementales. En contrepartie, le convoi cesserait d’occuper Ottawa. Lorsqu’on leur a fait remarquer que cette proposition était dénuée de toute réalité constitutionnelle, cette réserve semble avoir été ignorée par les autres manifestants sur les lieux. La proposition en question illustre toutefois les efforts déployés par certains participants à la manifestation pour s’ingérer dans le processus démocratique et nuire au gouvernement.

[45] Durant les événements à Ottawa, des manifestations plus modestes ont été organisées dans d’autres villes du pays, mais elles ont pour la plupart été gérées et résolues en moins d’un jour ou deux par les forces de l’ordre locales.

(b) Les blocages à la frontière

[46] Le 29 janvier 2022, le blocage au poste frontalier de Sweetgrass-Coutts, en Alberta, a commencé. Le 5 février 2022, le ministre des Affaires municipales de l’Alberta a écrit aux ministres fédéraux chargés de la sécurité publique et de la protection civile pour leur demander une aide fédérale, notamment du matériel et du personnel, pour déplacer environ 70 camions et semi-remorques ainsi qu’environ 75 véhicules personnels et de loisirs. Le ministre de l’Alberta a indiqué que la GRC avait épuisé toutes les options locales et régionales pour atténuer les perturbations. Le 11 février 2022, entre 200 et 250 véhicules supplémentaires du convoi s’étaient rassemblés à Milk River, à 18 km de Coutts, où la police avait mis en place un point de contrôle pour limiter l’accès à Coutts. Il ne restait qu’une quarantaine de véhicules à Coutts même.

[47] Le 6 février 2022, un deuxième blocage a commencé au pont Ambassador à Windsor, en Ontario, le poste frontalier le plus fréquenté au pays. Le 11 février 2022, la Cour supérieure de justice a accordé une injonction visant à mettre fin à ce blocage. Le 13 février 2022, la police a évacué les participants, et environ 44 accusations ont été portées. Le lendemain, la circulation a repris, mais la ville de Windsor a néanmoins déclaré l’état d’urgence. Les échanges commerciaux entre le Canada et les États-Unis ont été affectés à hauteur de plus de 390 millions de dollars chaque jour du blocage.

[48] Le 8 février 2022, un troisième blocage a été mis en place sur la route provinciale menant au pont Blue Water de Sarnia, en Ontario; le deuxième poste frontalier le plus fréquenté au Canada. L’accès a été rétabli le 14 février 2022.

[49] Le 10 février 2022, un quatrième blocage a été érigé au nord d’Emerson, au Manitoba. Jusqu’à 75 véhicules ont participé à ce blocage, où le passage de marchandises telles que des fournitures médicales et du bétail était autorisé. Le 11 février 2022, le premier ministre du Manitoba a envoyé une lettre au premier ministre pour demander au gouvernement fédéral de prendre des mesures immédiates et efficaces concernant le blocage. Un cinquième blocage a été érigé le 12 février 2022 près du point d’entrée du pont Peace à Fort Erie, en Ontario, le troisième poste frontalier terrestre le plus fréquenté au Canada. Le 14 février 2022, la PPO et la police régionale de Niagara ont pu rétablir la circulation.

[50] De même, le 12 février 2022, des véhicules de manifestants ont franchi un barrage de la GRC à South Surrey, en Colombie-Britannique, en direction du point d’entrée de l’autoroute du Pacifique, ce qui a entraîné la fermeture de l’autoroute à la frontière entre le Canada et les États-Unis. À la fin de la journée du 14 février 2022, 16 personnes avaient été arrêtées en lien avec ce blocage. Le matin du 15 février 2022, les routes étaient dégagées.

[51] Tôt le 14 février 2022, des agents de la GRC ont exécuté un mandat délivré en vertu du Code criminel, LRC 1985, c C-46 [le Code criminel ou le Code] et perquisitionné deux tentes‐roulottes et une maison mobile à Coutts, et ils ont arrêté 11 personnes et saisi une cache d’armes, dont 14 armes à feu, une grande quantité de munitions ainsi que des gilets pare-balles. Quatre personnes ont été accusées de complot en vue de commettre un meurtre et d’autres infractions. Certains des gilets pare-balles saisis arboraient l’emblème de Diagolon.

(3) Le recours à la Loi sur les mesures d’urgence

[52] Tous les membres du Cabinet se sont réunis le 13 février 2022 pour discuter de la situation. La question du recours à la Loi sur les mesures d’urgence a alors été déléguée au premier ministre, sous réserve de l’approbation des autorités supérieures. Pour prendre sa décision, le premier ministre disposait d’un mémoire de la greffière suppléante du Conseil privé recommandant le recours à la Loi (le mémoire recommandant le recours à la Loi).

[53] Le 14 février 2022, le GEC a déclaré l’état d’urgence en vertu de la Loi sur les mesures d’urgence, au moyen de la Proclamation, afin de mettre un terme aux perturbations et aux blocages qui se produisaient dans tout le pays. On estimait à 500 le nombre de camions et autres véhicules encore présents dans le centre-ville d’Ottawa à ce moment-là.

[54] Le 15 février 2022, le GEC a pris le Règlement et le Décret économique. Le même jour, la GRC a rétabli complètement l’accès au poste frontalier de Coutts et a conclu une entente avec les manifestants du blocage à Emerson.

[55] Entre les 15 et 23 février 2022, la GRC a communiqué à des fournisseurs de services financiers des renseignements provenant de la PPO, du SPO et de ses propres enquêtes sur environ 57 entités et personnes désignées, ce qui a entraîné le gel temporaire d’environ 257 comptes en vertu du Décret économique.

[56] Le 16 février 2022, le ministre de la Sécurité publique a présenté une motion à la Chambre des communes conformément à l’article 58 de la Loi afin de confirmer la déclaration d’une urgence d’ordre public proclamée le 14 février 2022. Le blocage à Emerson, au Manitoba, a été entièrement levé ce jour-là.

[57] Le paragraphe 58(1) de la Loi exige qu’un exposé des motifs de la déclaration [l’exposé visé à l’article 58] ainsi qu’un compte-rendu des consultations avec les lieutenant-gouverneurs en conseil [LGEC] des provinces au sujet de la déclaration [le compte-rendu des consultations] soient déposés devant chaque chambre du Parlement dans les sept jours de séance suivant la déclaration. L’exposé visé à l’article 58 et le compte-rendu des consultations ont été déposés devant chaque chambre le 16 février 2022.

[58] À la suite de la Proclamation et de l’adoption du Règlement et du Décret économique, plusieurs manifestants ont quitté les sites de blocage à Ottawa. Du 17 au 21 février 2022, la police d’Ottawa a arrêté 196 personnes, dont 110 ont été inculpées, a déplacé 115 véhicules et a démantelé les barricades dans les rues.

[59] La motion visant à confirmer la Proclamation a été adoptée à la Chambre des communes le 21 février 2022. Cette motion a ensuite été déposée au Sénat et le débat a commencé dans cette chambre le 22 février 2022. À cette date, la GRC avait contacté les fournisseurs de services financiers pour les informer que, d’après elle, les personnes et entités désignées précédemment ne se livraient plus à des activités interdites visées par le Règlement et le Décret économique.

[60] Le 23 février 2022, la déclaration d’une urgence d’ordre public a été abrogée par l’adoption de la Proclamation abrogeant la déclaration d’état d’urgence, DORS/2022-26 [la Proclamation d’abrogation]. La prise de la Proclamation d’abrogation a eu pour effet d’abroger le Règlement et le Décret économique pris sous le régime de la Loi. Le gouvernement de l’Ontario a également levé l’état d’urgence ce jour-là.

[61] En vertu du paragraphe 62(1) de la Loi sur les mesures d’urgence, un comité d’examen parlementaire doit examiner l’« exercice des attributions découlant d’une déclaration de situation de crise ». En conséquence, le Comité mixte spécial sur la déclaration de situation de crise a été créé par motion du Sénat et de la Chambre des communes le 3 mars 2022.

[62] Le 25 avril 2022, le décret CP 2022-392 a été pris en vertu du paragraphe 63(1) de la Loi afin d’ordonner la tenue d’une enquête sur les circonstances qui ont donné lieu à la déclaration et les mesures prises pour faire face à la crise. La commission d’enquête devait faire rapport aux deux chambres du Parlement au plus tard le 20 février 2023.

V. La décision faisant l’objet du contrôle

A. La Proclamation

[63] La déclaration d’une urgence d’ordre public du 14 février 2022 était un acte du gouverneur en conseil. La décision finale d’invoquer la Loi et de déclarer l’état d’urgence appartenait au premier ministre, avec l’approbation et le soutien du Cabinet. Les documents officiels transmettant la recommandation du Cabinet ont été présentés au GEC par le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile.

[64] La Proclamation indiquait que le gouverneur en conseil croyait, pour des motifs raisonnables, qu’il se produisait un état d’urgence justifiant en l’occurrence des mesures extraordinaires.

[65] La Proclamation précisait que l’état d’urgence prenait la forme suivante :

a) les blocages continus mis en place par des personnes et véhicules à différents endroits au Canada et les menaces continues proférées en opposition aux mesures visant à mettre fin aux blocages, notamment par l’utilisation de la force, lesquels blocages ont un lien avec des activités qui visent à favoriser l’usage de la violence grave ou de menaces de violence contre des personnes ou des biens, notamment les infrastructures essentielles, dans le but d’atteindre un objectif politique ou idéologique au Canada,

b) les effets néfastes sur l’économie canadienne — qui se relève des effets de la pandémie de la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) — et les menaces envers la sécurité économique du Canada découlant des blocages d’infrastructures essentielles, notamment les axes commerciaux et les postes frontaliers internationaux,

c) les effets néfastes découlant des blocages sur les relations qu’entretient le Canada avec ses partenaires commerciaux, notamment les États-Unis, lesquels effets sont préjudiciables aux intérêts du Canada,

d) la rupture des chaînes de distribution et de la mise à disposition de ressources, de services et de denrées essentiels causée par les blocages existants et le risque que cette rupture se perpétue si les blocages continuent et augmentent en nombre,

e) le potentiel d’augmentation du niveau d’agitation et de violence qui menaceraient davantage la sécurité des Canadiens;

[66] La Proclamation précisait également que le gouverneur en conseil jugeait nécessaires les mesures extraordinaires temporaires suivantes :

a) des mesures pour réglementer ou interdire les assemblées publiques — autre que les activités licites de défense d’une cause, de protestation ou de manifestation d’un désaccord — dont il est raisonnable de penser qu’elles auraient pour effet de troubler la paix, ou les déplacements à destination, en provenance ou à l’intérieur d’une zone désignée, pour réglementer ou interdire l’utilisation de biens désignés, notamment les biens utilisés dans le cadre d’un blocage, et pour désigner et aménager des lieux protégés, notamment les infrastructures essentielles,

b) des mesures pour habiliter toute personne compétente à fournir des services essentiels ou lui ordonner de fournir de tels services, notamment l’enlèvement, le remorquage et l’entreposage de véhicules, d’équipement, de structures ou de tout autre objet qui font partie d’un blocage n’importe où au Canada, afin de pallier les effets des blocages sur la sécurité publique et économique du Canada, notamment des mesures pour cerner ces services essentiels et les personnes compétentes à les fournir, ainsi que le versement d’une indemnité raisonnable pour ces services,

c) des mesures pour habiliter toute personne à fournir des services essentiels ou lui ordonner de fournir de tels services afin de pallier les effets des blocages, notamment des mesures pour réglementer ou interdire l’usage de biens en vue de financer ou d’appuyer les blocages, pour exiger de toute plateforme de sociofinancement et de tout fournisseur de traitement de paiement qu’il déclare certaines opérations au Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada et pour exiger de tout fournisseur de services financiers qu’il vérifie si des biens qui sont en sa possession ou sous son contrôle appartiennent à une personne qui participe à un blocage,

d) des mesures pour habiliter la Gendarmerie royale du Canada à appliquer les lois municipales et provinciales au moyen de l’incorporation par renvoi,

e) en cas de contravention aux décrets ou règlements pris au titre de l’article 19 de la Loi sur les mesures d’urgence, l’imposition d’amendes ou de peines d’emprisonnement,

f) toute autre mesure d’intervention autorisée par l’article 19 de la Loi sur les mesures d’urgence qui est encore inconnue.

B. Les motifs de la décision

[67] Lorsqu’un décideur administratif est tenu par le régime législatif d’exposer les motifs de sa décision, ceux-ci constituent « le mécanisme principal par lequel [il démontre] le caractère raisonnable » de sa décision; ils ont pour objet « d’établir “la justification de la décision [ainsi que] la transparence et [...] l’intelligibilité du processus décisionnel” » : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] au para 81. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur administratif « doit également, au moyen de ceux-ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique » (Vavilov au para 86).

[68] En l’espèce, l’exposé visé à l’article 58 constitue les motifs de la décision.

[69] De plus, par suite de demandes de transmission présentées au titre de l’article 317 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles], les ordres du jour et procès-verbaux annotés des diverses réunions du GII et du Cabinet menant à la décision, avec caviardages, ont été communiqués à la Cour et aux demandeurs tels qu’ils avaient été présentés à la CEDU. Ces procès-verbaux et ordres du jour, ainsi que le mémoire recommandant le recours à la Loi et le compte-rendu des consultations, donnent le contexte nécessaire pour comprendre comment la décision a été prise.

C. L’historique des procédures

[70] La présente instance a été traitée comme une instance à gestion spéciale dès le départ, c’est-à-dire qu’un juge et un juge adjoint présidaient les conférences avec les avocats des parties et géraient les requêtes et questions procédurales à mesure qu’elles se présentaient.

[71] Une requête sollicitant une ordonnance interlocutoire temporaire en vue de suspendre la Proclamation pendant qu’elle était en vigueur a été rejetée en raison de son caractère devenu théorique lorsque la Proclamation a été abrogée : Canadian Frontline Nurses c Canada (Procureur général), 2022 CF 284.

[72] À la suite de requêtes en transmission de documents se rapportant à la prise de la Proclamation présentées au titre de l’article 317 des Règles, le défendeur a répondu le 15 mars 2022 par une lettre du greffier adjoint du Conseil privé dans laquelle ce dernier s’opposait à la divulgation des documents sur le fondement de la confidentialité des délibérations du Cabinet.

[73] Le 1er avril 2022 ou vers cette date, les demandeurs ont reçu signification d’une attestation signée par le greffier suppléant du Conseil privé de l’époque concernant l’application de l’article 39 de la Loi sur la preuve au Canada, LRC 1985, c C-5 [la LPC] aux documents suivants :

  • 1)Le mémoire du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile adressé au GEC, daté de février 2022, concernant le décret proposé ordonnant qu’une proclamation soit prise conformément au paragraphe 17(1) de la Loi sur les mesures d’urgence, y compris la recommandation ministérielle signée, l’ébauche du décret concernant la proclamation proposée, l’ébauche de la proclamation ainsi que les documents connexes;

  • 2)Le procès-verbal de la décision du GEC concernant la Proclamation de l’état d’urgence, daté de février 2022;

  • 3)Le mémoire du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile adressé au GEC, daté de février 2022, concernant le décret proposé conformément au paragraphe 19(1) de la Loi sur les mesures d’urgence et concernant le Règlement sur les mesures d’urgence, y compris la recommandation ministérielle signée, l’ébauche du décret concernant le projet de Règlement sur les mesures d’urgence, l’ébauche du Règlement ainsi que les documents connexes;

  • 4)Le procès-verbal de la décision du GEC concernant le Règlement sur les mesures d’urgence, daté de février 2022;

  • 5)Le mémoire du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile adressé au GEC, daté de février 2022, concernant le décret proposé conformément au paragraphe 19(1) de la Loi sur les mesures d’urgence et concernant le Décret sur les mesures économiques d’urgence, y compris la recommandation ministérielle signée, l’ébauche du décret concernant le projet de Décret sur les mesures économiques d’urgence, l’ébauche du Décret ainsi que les documents connexes;

  • 6)Le procès-verbal de la décision du GEC concernant le Décret sur les mesures économiques d’urgence, daté de février 2022.

[74] Une requête présentée par la CCF au titre de l’article 75 des Règles en vue d’élargir la portée de sa demande a été instruite dans la décision Canadian Constitution Foundation c Canada (Procureur général), 2022 CF 1232. La Cour a rejeté la requête au motif que le GEC ne disposait pas des documents relatifs à la Proclamation d’abrogation lorsque la décision faisant l’objet du contrôle a été rendue.

[75] Le 19 juillet 2022, le défendeur a transmis à la Cour et aux demandeurs les procès-verbaux caviardés des rencontres du GII des 10, 12 et 13 février 2022 et de celle du Cabinet du 13 février 2022. Les ordres du jour annotés et caviardés du président en lien avec les rencontres du GII ont été transmis aux parties le 22 juillet 2022. Les documents contenaient des annotations indiquant que certains renseignements avaient été caviardés au motif qu’ils étaient assujettis aux privilèges énoncés aux articles 37, 38 et 39 de la LPC ainsi qu’au secret professionnel de l’avocat, et parce qu’ils n’étaient pas pertinents.

[76] Une deuxième attestation visée à l’article 39 de la LPC a été transmise le 4 août 2022.

[77] Le 26 août 2022, la Cour a rejeté la requête présentée par la CCF en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant au défendeur de transmettre les documents pour lesquels la confidentialité des délibérations du Cabinet avait été invoquée dans une forme non caviardée qui pourrait être consultée uniquement par les avocats, sous réserve de promesses de confidentialité : Canadian Constitution Foundation c Canada (Procureur général), 2022 CF 1233 [CCF c Canada].

[78] La requête présentée par les demandeurs dans l’affaire Jost en vue d’obtenir une ordonnance exigeant la communication des dossiers et documents énumérés dans l’attestation du 31 mars 2022 a été rejetée : Jost v Canada (Governor in Council), 2022 FC 1514 [Jost v Canada].

[79] Le 9 novembre 2022, après discussion avec les parties, le défendeur a abandonné la majorité de ses revendications fondées sur les articles 37 et 38. Les demandeurs n’ont pas contesté les revendications du secret professionnel de l’avocat ni les autres revendications fondées sur la LPC. La Cour les a examinées dans une ordonnance rendue le 9 janvier 2023 à l’issue d’une audience ex parte et à huis clos avec l’assistance d’un ami de la Cour indépendant et ayant une autorisation de sécurité.

[80] Le 12 décembre 2022, la CCF et l’ACLC ont déposé une requête conjointe par écrit au titre de l’article 369 des Règles en vue d’obtenir une ordonnance autorisant l’ACLC à déposer un autre affidavit comportant des éléments de preuve provenant de la CEDU, conformément à l’article 312 des Règles. Quelques jours plus tard, les demandeurs dans l’affaire Jost ont déposé une requête semblable en vue d’obtenir l’autorisation de déposer un dossier complémentaire contenant des éléments de preuve qui provenaient de la CEDU et d’autres documents.

[81] Le 27 janvier 2023, la Cour a accueilli la requête conjointe de la CCF et de l’ACLC dans la décision Canadian Civil Liberties Association v Canada (Attorney General), 2023 FC 118, et a rejeté la requête dans la décision Jost v Canada (Governor in Council), 2023 FC 120. Le 3 février 2023, le défendeur a déposé un avis d’appel interlocutoire visant la décision d’accueillir la requête de CCF et de l’ACLC et sollicitant la suspension de l’appel dans l’attente de l’ordonnance définitive sur le fond des demandes principales.

[82] Le 6 février 2023, le défendeur a déposé une requête au titre de l’article 312 des Règles visant à faire admettre un affidavit complémentaire comportant des éléments de preuve provenant de la CEDU. Le 1er mars 2023, la Cour a rendu une ordonnance accueillant la requête en partie. Cette décision a mis fin aux étapes procédurales avant l’audience, qui a eu lieu du 3 au 5 avril 2023.

VI. La preuve

[83] Les parties ont déposé de nombreux éléments de preuve, y compris des affidavits, des réponses aux demandes présentées au titre de l’article 317 des Règles, des extraits de débats à la Chambre des communes, des témoignages provenant des audiences devant la CEDU, des communications internes et externes provenant des trois ordres de gouvernement, des informations diffusées par les médias, ainsi que des communiqués de presse. Plus de 150 pièces étaient jointes à l’affidavit du parajuriste du gouvernement à lui seul. Au total, le dossier comptait plus de 11 000 pages en format PDF. Par conséquent, je n’examinerai pas la preuve en détail, mais je mentionnerai uniquement les éléments que je considère importants.

(1) Mme Nagle et CFN

[84] Kristen Nagle a présenté deux affidavits pour décrire sa participation à la manifestation d’Ottawa, auquel elle a joint des pièces pour appuyer ses affirmations, dont des vidéos et des publications sur Facebook et Twitter. Elle a participé à la manifestation du 28 janvier 2022 au 19 février 2022. Elle a subi un contre-interrogatoire serré au sujet de ses affidavits et de ses pièces, y compris les vidéos qu’elle avait tournées durant la manifestation, et au sujet de sa participation à d’autres manifestations anti-vaccination, qui ont mené à des accusations portées sous le régime de la loi ontarienne sur la santé publique.

[85] Mme Nagle et CFN ont également présenté l’affidavit de Tom Marazzo, un participant aux manifestations à Ottawa et porte-parole bénévole et collecteur de fonds. Son compte bancaire et ses cartes de crédit ont été gelés le 18 février 2022.

[86] L’affidavit d’un membre du cabinet d’avocats représentant Mme Nagle et CFN a été déposé pour introduire en preuve des témoignages vidéo du premier ministre, de la vice-première ministre et du ministre de la Justice dans lesquels ces derniers décrivaient les répercussions du Règlement et du Décret économique. Des informations diffusées dans les médias nationaux et internationaux, des sondages, des extraits des débats de la Chambre des communes et un gazouillis rédigé par le président du Salvador étaient également joints à l’affidavit. Je ne ferai aucun commentaire à cet égard.

(2) L’ACLC

[87] L’ACLC a déposé l’affidavit de la directrice du programme de justice pénale, Abigail Deshman. Elle décrit l’origine de l’ACLC, son expertise en matière de droits constitutionnels, sa participation de longue date aux affaires visant les libertés civiles et sa contribution aux débats sur la première version de la Loi en 1988. Elle décrit également d’autres litiges en lien avec la pandémie de COVID-19 auxquels l’association a pris part. Cet élément de preuve était pertinent pour déterminer si la Cour devait accorder à l’association la qualité pour agir dans l’intérêt public.

[88] Dans son affidavit, Mme Deshman décrit également les événements qui ont précédé et suivi le recours à la Loi en se fondant essentiellement sur des informations diffusées dans les médias. Les réactions diffusées des premiers ministres provinciaux sont également jointes comme pièces.

[89] D’autres documents ont été introduits en preuve au moyen de l’affidavit de Cara Zwibel à l’appui de la requête conjointe présentée par l’ACLC et la CCF en vue de déposer un dossier complémentaire, que la Cour a accueillie. Les plus importants d’entre eux sont les documents liés à la recommandation du greffier du Conseil privé au premier ministre, le mémoire recommandant le recours à la Loi ainsi que des extraits de témoignages provenant des audiences devant la CEDU, y compris celui du premier ministre et du greffier.

(3) La CCF

[90] La CCF s’est appuyée sur les affidavits d’un avocat associé pour introduire environ 58 documents, qui faisaient également partie du dossier de l’ACLC. Elle a introduit en preuve des copies des règlements de l’Ontario et de la Nouvelle‐Écosse qui avaient été pris en réponse aux manifestations. L’affidavit introduisait également en preuve de nombreuses informations diffusées dans les médias, des communiqués de presse de la police, des déclarations des premiers ministres de l’Ontario et du Manitoba, des ordonnances de la Cour supérieure de justice de l’Ontario ainsi que des dossiers du gouvernement fédéral en lien avec les délibérations ayant mené à la déclaration de l’état d’urgence.

(4) Les demandeurs dans l’affaire Jost

[91] Les quatre demandeurs ont chacun déposé un affidavit dans lequel ils décrivaient leurs parcours personnels et leur participation aux manifestations à Ottawa. Une photo du révérend Ristau portant son ancien uniforme militaire était annexée comme pièce à son affidavit. M. Gircys a joint à son affidavit une copie du rapport de divulgation rédigé par la GRC en lien avec sa participation aux manifestations. Le rapport a mené au gel de ses comptes. Les demandeurs dans l’affaire Jost se sont également appuyés sur les pièces jointes aux affidavits de Rebecca Coleman, une parajuriste au ministère de la Justice, qui font partie du dossier du défendeur.

[92] Les demandeurs dans l’affaire Jost ont tous été contre‐interrogés par le défendeur, ce qui a donné lieu à plusieurs nouvelles pièces.

(5) Le défendeur

[93] Le défendeur a déposé les affidavits de Steven Shragge, du surintendant Denis Beaudoin et de Rebecca Coleman.

[94] M. Shragge est conseiller principal en matière de politique au sein du Secrétariat de la sécurité et du renseignement du Bureau du Conseil privé. Il appuie le conseiller à la sécurité nationale et au renseignement auprès du premier ministre et du Cabinet sur toute question relevant de ses responsabilités. Il se décrit comme ayant une connaissance opérationnelle des mandats, des membres et des pratiques de prise de décision et des structures de coordination au sein du Cabinet, mais reconnaît qu’il n’a aucune connaissance directe des délibérations et des discussions sur la prise de décision qui ont eu lieu les jours précédant immédiatement la déclaration de l’état d’urgence le 14 février 2022.

[95] M. Shragge a décrit la préparation et le dépôt de l’exposé visé à l’article 58 et du compte-rendu des consultations joints comme pièces à son premier affidavit. Il renvoie au contenu de l’exposé visé à l’article 58 et affirme que la décision de déclarer l’état d’urgence était fondée sur les [traduction] « discussions animées » qui ont eu lieu durant les réunions du GII. Toutefois, comme M. Shragge l’a affirmé en contre-interrogatoire, il n’avait aucune [traduction] « visibilité » lors de ces réunions et ne pourrait personnellement dire ce que signifie [traduction] « animées » dans les circonstances. Il n’a pas participé à la rédaction de l’exposé visé à l’article 58, pas plus qu’il n’a été d’une plus grande aide pour faire la lumière sur les discussions parce qu’il ne connaissait pas la réponse ou parce que les avocats du défendeur s’opposaient aux questions au motif de la confidentialité des délibérations du Cabinet.

[96] Le surintendant Beaudoin a joué un rôle opérationnel dans la mise en œuvre des mesures d’urgence. Il était chargé de superviser l’application du Décret économique et a mis en place le mécanisme utilisé par la GRC pour communiquer des renseignements aux institutions financières. Le Décret économique ne précisait pas la procédure à suivre par les fournisseurs de services financiers pour identifier les personnes ou les entités qui répondaient à la définition de « personne désignée ». S’adaptant au fur et à mesure à la situation, la GRC a donc mis au point un modèle pour communiquer les renseignements aux fournisseurs de services financiers à propos des personnes que l’on croyait impliquées, directement ou indirectement, dans des activités interdites au titre du Règlement. Un exemple de ce modèle est joint à son affidavit. M. Gircys a également joint à son affidavit un modèle qui le concernait directement. La GRC ne générait pas les renseignements, mais les recevait de la PPO et du SPO et facilitait sa diffusion aux institutions financières. Les banques et autres fournisseurs de services communiquaient avec la GRC conformément à l’article 5 du Décret économique pour lui faire part des mesures prises concernant les renseignements.

[97] Le surintendant Beaudoin a déclaré qu’au total, la GRC a dévoilé des renseignements sur environ 57 entités et personnes à des fournisseurs de services financiers, et environ 257 comptes ont été gelés.

[98] En contre-interrogatoire, le surintendant Beaudoin a reconnu que les agents de la GRC chargés de recevoir les renseignements n’avaient pas appliqué de norme, comme celle des motifs raisonnables, avant de les communiquer aux institutions financières.

[99] Les affidavits de Mme Colman ont servi à introduire en preuve un nombre important d’articles de presse, de communiqués de presse et de déclarations de la police, ainsi que des documents judiciaires en lien avec les manifestations.

VII. Le cadre juridique

[100] La Loi sur les mesures d’urgence a été adoptée à la suite de la controverse sur le recours à l’ancienne Loi sur les mesures de guerre, SRC 1927, c 206, pour répondre aux actes terroristes qui avaient eu lieu en 1970 au Québec. La Loi contient plusieurs exigences et mécanismes de contrôle délibérés. La « crise nationale » y est définit comme une situation résultant d’un « concours de circonstances critiques à caractère d’urgence et de nature temporaire » qui « met gravement en danger la vie, la santé ou la sécurité des Canadiens et échappe à la capacité ou aux pouvoirs d’intervention des provinces » ou « menace gravement la capacité du gouvernement du Canada de garantir la souveraineté, la sécurité et l’intégrité territoriale du pays ».

[101] De plus, une crise nationale ne peut exister que s’il « n’est pas possible de faire face [à la situation] adéquatement sous le régime des lois du Canada ».

[102] Selon la Loi, pour que l’état d’urgence puisse être déclaré, il doit également y avoir des « menaces envers la sécurité du Canada », dont la définition s’inspire de celle prévue à l’article 2 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, LRC 1985, c C-23 [la Loi sur le SCRS]. Le passage précis de cette définition sur lequel s’est fondé le gouverneur en conseil pour prendre la Proclamation en février 2022 concerne « les activités qui [...] visent à favoriser l’usage de la violence grave ou des menaces de violence contre des personnes ou des biens dans le but d’atteindre un objectif politique, religieux ou idéologique [...] » [non souligné dans l’original].

[103] Les présents motifs devront non seulement renvoyer aux dispositions de la Loi, de la Proclamation ainsi que du Règlement et Décret économique connexes, mais également aux dispositions applicables de la Charte, de la Déclaration canadienne des droits et de la Loi sur le SCRS, qui sont énoncées à l’annexe A ci‐jointe. Le mémoire recommandant le recours à la Loi présenté au premier ministre ainsi que l’exposé visé à l’article 58 et le compte-rendu des consultations déposés devant les deux chambres du Parlement à titre de justification sont joints à l’annexe B.

VIII. Les questions en litige

A. Les questions préliminaires

[104] Comme je l’ai mentionné ci-dessus, le 12 avril 2022, le défendeur a présenté une requête et une requête incidente en radiation des quatre demandes au motif qu’elles étaient toutes théoriques et qu’aucun des demandeurs, hormis MM. Cornell et Gircys, n’avait la qualité pour contester la Proclamation et les textes réglementaires connexes. Il a été décidé tôt dans le processus de gestion de l’instance que les requêtes ne seraient pas examinées avant que l’audience sur le fond ne soit mise au rôle et qu’elles le seraient alors au début de l’audience.

[105] Les requêtes du défendeur soulèvent les questions suivantes :

  1. Les demandes sont-elles théoriques et, dans l’affirmative, la Cour devrait-elle néanmoins exercer son pouvoir discrétionnaire de les instruire?

  2. Les demandes devraient-elles être radiées au motif que les demandeurs n’ont pas qualité pour agir, hormis deux des demandeurs dans l’affaire Jost qui, comme le reconnaît le défendeur, ont un intérêt direct?

[106] Les parties ont présenté de nombreux arguments écrits sur les questions préliminaires. Par conséquent, j’ai limité le temps accordé à la présentation des arguments oraux relativement aux requêtes au début de l’audience du 3 avril 2023. De plus, j’ai indiqué dès le début de l’audience que je convenais avec le défendeur que MM. Jost et Ristau n’avaient pas la qualité pour agir pour les motifs que j’exposerai plus loin. J’ai pris acte du fait que le défendeur avait reconnu que MM. Cornell et Gircys avaient un intérêt direct dans l’affaire. Par conséquent, ils seraient entendus sur le fond sous réserve de mes conclusions sur la question du caractère théorique.

[107] Mise à part la question de la qualité pour agir de MM. Jost et Ristau, j’ai avisé les parties que j’attendrais avant de me prononcer sur les requêtes.

B. Les questions de fond

[108] Mme Nagle et CFN ont fait valoir que leur demande soulevait la question de savoir si la Proclamation était « ultra vires » parce qu’il n’existait aucun « état d’urgence » au sens de la Loi et celle savoir si le Règlement et le Décret économique contreviennent à la Charte et à la Déclaration canadienne des droits.

[109] L’ACLC a fait valoir que sa demande soulevait les questions suivantes :

  • -La décision de prendre la Proclamation était-elle déraisonnable et « ultra vires »?

  • -Dans la négative, les interdictions visées aux articles 2, 4, 5 et 10 du Règlement contreviennent-elles aux alinéas 2b), c) et d) et à l’article 7 de la Charte? Et les articles 2 ou 5 du Décret économique contreviennent-ils à l’article 8 de la Charte?

  • -Dans l’affirmative, l’atteinte aux droits, s’il y a lieu, peut-elle se justifier au regard de l’article premier de la Charte?

[110] De même, la CCF a fait valoir que sa demande soulevait les questions suivantes :

  • -Le Cabinet avait-il des motifs raisonnables de conclure que les manifestations équivalaient à des menaces envers la sécurité nationale du Canada?

  • -Le Cabinet avait-il des motifs raisonnables de conclure qu’il était impossible de faire face aux manifestations adéquatement sous le régime des lois existantes?

  • -Les pouvoirs créés par le Règlement et le Décret économique contreviennent-ils aux alinéas 2b) et c) et à l’article 8 de la Charte et, dans l’affirmative, cette atteinte peut-elle être justifiée au regard de l’article premier?

[111] Dans leurs observations écrites, les demandeurs dans l’affaire Jost ont fait valoir que la présente instance soulève les questions suivantes :

  • -Quel est le critère applicable pour avoir recours à la Loi et, en fonction de ce critère, le recours à la Loi en l’espèce était‐il légal et constitutionnel?

  • -L’expression « mesures extraordinaires à titre temporaire » utilisée dans la Loi est-elle nulle pour cause d’imprécision au regard de l’article 7 de la Charte, injustifiable au regard de l’article premier et donc commande l’octroi d’une mesure de réparation au titre du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982?

  • -Dans la négative, les « mesures extraordinaires à titre temporaire » prises en vertu de l’article 19 de la Loi excèdent-elles les limites des pouvoirs conférés à l’article 19 ou, subsidiairement, les dispositions du Décret économique contreviennent-elles à l’article 8 de la Charte et, dans l’affirmative, cette atteinte est-elle injustifiée au regard de l’article premier, commandant ainsi l’octroi d’un jugement déclaratoire à cet effet au titre du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982?

[112] De plus, les demandeurs dans l’affaire Jost allèguent qu’il y a eu atteinte aux droits de propriété garantis par l’alinéa 1a) de la Déclaration canadienne des droits. Cette allégation a également été soulevée dans leur avis de question constitutionnelle modifié déposé le 14 mars 2022.

[113] À l’audience, les avocats des demandeurs dans l’affaire Jost ont choisi de se concentrer sur leurs arguments fondés sur la Charte et n’ont que brièvement invoqué la violation de la Déclaration canadienne des droits. Ils n’ont pas soulevé les autres questions énoncées dans leur mémoire et leur avis de question constitutionnelle modifié.

[114] Toutefois, dans leurs observations de vive voix, les demandeurs dans l’affaire Jost ont soulevé de nouvelles questions concernant l’application de plusieurs conventions internationales, la Convention de Vienne sur le droit des traités et les principes de droit international coutumier. Ces questions ont été mentionnées, mais n’ont pas été examinées dans leur avis de demande et n’ont pas été soulevées comme questions en litige ni abordées dans leur mémoire des faits et du droit. Par conséquent, le défendeur ne s’est pas penché sur ces questions dans ses observations écrites et n’était pas disposé à en parler à l’audience. Il s’est donc opposé à ce que ces arguments soient examinés.

[115] En règle générale, à moins d’une situation exceptionnelle, des arguments nouveaux qui n’ont pas été formulés dans le mémoire des faits et du droit d’une partie ne devraient pas être examinés, puisque le contraire aurait pour effet de porter préjudice à la partie adverse et que la Cour ne pourrait pas être en mesure d’apprécier comme il se doit le bien-fondé des nouveaux arguments. La Cour conserve le pouvoir discrétionnaire d’accepter les arguments nouveaux qui n’ont pas été soulevés dans le mémoire d’une partie. Toutefois, comme les demandeurs n’ont pas invoqué de situation exceptionnelle ni de sources leur permettant de présenter pour la première fois ces arguments à l’audience, la Cour ne les examinera pas : Rouleau-Halpin c Bell Solutions Techniques, 2021 CF 177 aux para 33-34.

[116] Si j’avais accepté de les examiner, les arguments fondés sur le droit international auraient été très peu utiles en l’espèce, compte tenu des principes analysés dans l’arrêt Entertainment Software Association c Société canadienne des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique, 2020 CAF 100 aux para 76 à 92 [Entertainment Software]. En bref, comme l’a affirmé le juge Stratas dans cette affaire, le droit national prévaut, et la Constitution du Canada est la loi suprême (Entertainment Software, au para 79).

[117] Je constate que le préambule de la Loi sur les mesures d’urgence prévoit que le gouverneur en conseil, en appliquant à titre temporaire des mesures extraordinaires autorisées par la Loi, doit tenir compte du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (le Pacte). Dans l’arrêt Québec (PG) c Moses, 2010 CSC 17, la Cour suprême du Canada a affirmé ce qui suit au paragraphe 101 :

L’étude du texte du préambule d’une loi joue un rôle utile à son interprétation, car il permet souvent de saisir le but ou les objectifs de la mesure législative. L’article 13 de la Loi d’interprétation, LRC 1985, ch. I-21, dispose que « [l]e préambule fait partie du texte et en constitue l’exposé des motifs. » [...] Si le préambule ne joue jamais un rôle décisif pour déterminer l’intention du législateur — car la loi doit toujours être interprétée dans son ensemble —, il peut néanmoins contribuer à saisir cette intention [...]

[118] Par conséquent, le renvoi au Pacte dans le préambule peut servir d’outil pour interpréter l’intention du législateur quant à la Loi. Cependant, il ressort clairement de l’historique législatif et du libellé de la Loi que son intention et son objet étaient de préserver et de protéger les droits fondamentaux, même dans des situations de crise où des mesures temporaires spéciales peuvent être nécessaires. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de se référer au Pacte pour interpréter les dispositions de la Loi. Le principe d’interprétation moderne énoncé au paragraphe 21 de l’arrêt Rizzo & Rizzo Shoes Ltd (Re), [1998] 1 RCS 27 [Rizzo & Rizzo] prévaut. Selon ce principe, « il faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’économie de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur ».

[119] Le défendeur soutient que les questions en litige consistent simplement à savoir si la décision d’invoquer la Loi et de prendre le Règlement et le Décret économique est raisonnable et constitutionnelle.

[120] L’intervenant, le procureur général de l’Alberta, a présenté des observations au sujet de cinq questions :

  1. Quelle est la teneur de l’exigence applicable à une « crise nationale », telle qu’elle est définie à l’alinéa 3a), selon laquelle elle doit « échappe[r] à la capacité ou aux pouvoirs d’intervention des provinces »?

  2. Quelle est l’interprétation à donner au passage « auquel il n’est pas possible de faire face adéquatement sous le régime des lois du Canada » figurant à l’article 3 de la Loi?

  3. Quelles sont les conséquences de l’exigence figurant à l’alinéa 17(2)c) de la Loi selon laquelle la déclaration d’état d’urgence doit comporter la désignation de la zone touchée?

  4. Quelle est l’interprétation à donner à l’exigence de consulter les provinces prévue au paragraphe 25(1) de la Loi?

  5. Quelle est la relation entre les paragraphes 19(1) et 19(3) de la Loi?

[121] À mon sens, en plus des questions préliminaires ayant trait au caractère théorique et à la qualité pour agir, les questions soulevées par les parties et l’intervenant peuvent se résumer en trois questions générales :

  1. La Proclamation était-elle déraisonnable et « ultra vires » de la Loi?

  2. Les pouvoirs créés par le Règlement et le Décret économique contrevenaient-ils aux alinéas 2b), c) ou d) ou aux articles 7 ou 8 de la Charte, et, dans l’affirmative, cette atteinte peut-elle être justifiée au regard de l’article premier?

  3. Le Règlement et le Décret économique contrevenaient-ils à la Déclaration canadienne des droits?

IX. Arguments et analyse

A. Les questions préliminaires

(1) Le critère applicable à une requête en radiation

[122] La compétence de notre Cour pour radier un acte de procédure découle de sa compétence inhérente de contrôler sa propre procédure : Lukas c Canada (Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie), 2015 CF 267 au para 24, cité avec approbation dans 1397280 Ontario Ltd c Canada (Emploi et Développement social), 2020 CF 20 au para 11; voir aussi Rebel News Network Ltd c Canada (Commission des débats des chefs), 2020 CF 1181 au para 32 [Rebel News]. Le critère applicable à une requête en radiation est celui de savoir si la demande n’a « aucune chance d’être accueillie ». Comme il en a été question dans l’arrêt Wenham c Canada (Procureur général), 2018 CAF 199 au paragraphe 33 [Wenham], la Cour applique le critère « manifeste et évident » ou la norme du caractère « voué à l’échec ». En tenant pour avérés les faits allégués, la Cour examine si l’avis de demande est :

[...] « manifestement irrégulier au point de n’avoir aucun [sic] chance d’être accueilli » : David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588 (C.A.), à la page 600. [La Cour] doit être en présence d’une demande d’une efficacité assez radicale, un vice fondamental et manifeste qui se classe parmi les moyens exceptionnels qui infirmeraient à la base sa capacité à instruire la demande : Rahman c. Commission des relations de travail dans la fonction publique, 2013 CAF 117, au paragraphe 7; Donaldson c. Western Grain Storage By‐Products, 2012 CAF 286, au paragraphe 6; Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959.

Citant Canada (Revenu national) c JP Morgan Asset Management (Canada) Inc., 2013 CAF 250 au para 47.

[123] La Cour doit lire l’avis de demande de manière à en trouver « la véritable nature » ou la « nature essentielle » en « s’employant à en faire une lecture globale et pratique, sans s’attacher aux questions de forme » : Wenham, au para 34. Une demande peut être vouée à l’échec à l’étape de l’objection préliminaire, comme en l’espèce, en raison de son caractère théorique : Wenham, au para 36.

(2) Le critère pour déterminer si l’affaire est théorique

[124] L’affaire est théorique lorsqu’il n’y a plus de litige actuel entre les parties et qu’une ordonnance n’aura aucun effet pratique : Borowski c Canada (Procureur général), [1989] 1 RCS 342 à la p 353 [Borowski]. Le défendeur a présenté sa requête en radiation des quatre demandes de contrôle judiciaire au motif qu’elles sont toutes théoriques, car elles sollicitent des mesures de réparation relativement à des textes législatifs qui ne sont plus en vigueur, puisque l’état d’urgence a pris fin et que la Proclamation, le Règlement et le Décret économique ont été abrogés le 23 février 2022. Par conséquent, le défendeur soutient qu’il n’y a plus de litige actuel entre les parties ni aucun différend concret et tangible sur lequel la Cour pourrait se prononcer et qui aurait un effet sur les droits et intérêts des parties.

[125] La Cour peut néanmoins décider d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’instruire une demande devenue théorique après avoir examiné : (1) la présence d’un débat contradictoire; (2) la pertinence d’utiliser des ressources judiciaires limitées; (3) la sensibilité de la Cour à son rôle par rapport à celui du législateur : Borowski, aux pp 358-362.

[126] La Cour peut également refuser d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’instruire une demande théorique lorsque la partie qui présente la demande n’est pas sans reproche : Merck Frosst Canada Inc c Canada, 1999 CanLII 7859 (CAF) au para 6; Narte c Gladstone, 2021 CF 433 aux para 33-34.

[127] En l’espèce, tous les demandeurs, à l’exception de Mme Nagle et CFN, ont admis qu’il n’y avait plus de litige actuel entre les parties en raison de la Proclamation d’abrogation et que l’affaire était désormais théorique. Ils sont tous d’accord pour dire que si la Cour conclut que l’affaire est théorique, elle devrait néanmoins exercer son pouvoir discrétionnaire d’instruire les demandes.

(3) La thèse du défendeur

[128] Essentiellement, le défendeur soutient que les quatre demandes sont des requêtes en jugement déclaratoire qui ne règlent aucun litige actuel, car elles ne peuvent soutenir une affaire théorique en soi : Rebel News, au para 64. La conclusion selon laquelle la demande est devenue théorique ne peut être évitée simplement parce qu’un jugement déclaratoire est demandé : Fogal c Canada, 1999 CanLII 7932 (CF) aux para 24-27, Rahman c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 137 aux para 17-21. Un jugement déclaratoire ne peut être rendu que s’il a une utilité pratique et règle un litige actuel entre les parties : Centre d’action pour la sécurité du revenu c Mette, 2016 CAF 167 au para 6, citant Daniels c Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 CSC 12 au para 11, Solosky c La Reine, [1980] 1 RCS 821 et Borowski. En l’espèce, le défendeur soutient qu’il n’y a aucune utilité pratique.

[129] De plus, le défendeur soutient que la Cour devrait éviter de se prononcer sur une question de droit lorsqu’il n’est pas nécessaire de le faire pour trancher le litige, car toute déclaration abstraite sur un point de droit constitutionnel risque de causer un préjudice aux affaires à venir : Phillips c Nouvelle-Écosse (Commission d’enquête sur la tragédie de la mine Westray), [1995] 2 RCS 97 aux para 9-12; Mackay c Manitoba, [1989] 2 RCS 357 aux pp 361-362; Danson c Ontario (Procureur général), [1990] 2 RCS 1086 aux pp 1099-1101. Le défendeur soutient que si la procédure n’aura aucun effet réel sur les droits des parties, elle a perdu son principal objectif, et la Cour ne devrait plus y consacrer des ressources limitées : Amgen Canada Inc c Apotex Inc, 2016 CAF 196 au para 16 [Amgen]. L’« intérêt purement jurisprudentiel » ne répond pas au critère du différend concret et tangible : Syndicat canadien de la fonction publique (Composante Air Canada) c Air Canada, 2021 CAF 67 au para 7 [SCFP c Air Canada].

[130] En l’espèce, le défendeur affirme que les demandeurs ont déjà obtenu la réparation demandée puisque les mesures ne sont plus en vigueur; le jugement déclarant que les mesures d’urgence étaient invalides ou non conformes à la Charte n’aura aucune utilité pratique, et aucune réparation tangible ne peut être accordée qui justifie l’intervention de notre Cour. Il ne s’agit pas d’un cas où il est nécessaire de clarifier une jurisprudence incertaine : Amgen, au para 16. La Loi n’échappe pas non plus à l’examen, puisqu’elle prévoit des mécanismes de surveillance et d’examen adéquats dans ses dispositions concernant l’enquête publique et l’examen parlementaire.

(4) La thèse des demandeurs

[131] L’ACLC, la CCF et les demandeurs dans l’affaire Jost conviennent que leurs demandes sont théoriques, mais font valoir que la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire de les instruire puisque les facteurs énoncés dans l’arrêt Borowski jouent en leur faveur. Ils affirment qu’au cours de la dernière année, les parties ont présenté et continuent de présenter le débat contradictoire nécessaire, que l’économie des ressources judiciaires favorise l’instruction de l’affaire – qui soulève des questions uniques susceptibles de ne jamais être soumises aux tribunaux – et que le rôle de la Cour consiste à expliquer si les mesures prises par le gouvernement étaient raisonnables et conformes à la Charte. Ils soutiennent que si la Cour en juge autrement, cette décision aura pour effet que toute proclamation de l’état d’urgence et toute imposition de mesures extraordinaires de brève durée ne feront jamais l’objet d’un contrôle judiciaire. Selon eux, le pouvoir exécutif ne devrait pas être à l’abri d’un contrôle judiciaire simplement parce que la Proclamation a été abrogée en vertu de la Loi.

[132] MM. Cornell et Gircys ajoutent que dans leur cas, l’instance devrait se poursuivre puisque le défendeur convient qu’ils ont un intérêt direct. Selon eux, la Cour devrait donc exercer son pouvoir discrétionnaire d’instruire leur demande même si elle est devenue théorique.

[133] Les demandeurs Mme Nagle et CFN soutiennent qu’en ce qui les concerne, l’affaire n’est pas théorique et il existe un litige actuel entre les parties, car malgré l’abrogation de la Proclamation et l’annulation du Règlement et du Décret économique, il y a eu ou il pourrait y avoir atteinte à leurs droits et responsabilités par application de l’article 43 de la Loi d’interprétation.

(a) Analyse

(i) La présence d’un débat contradictoire

[134] L’exigence du débat contradictoire est de veiller à ce que « les parties ayant un intérêt dans l’issue du litige en débattent complètement tous les aspects » : Borowski, à la p 359. Le débat contradictoire nécessaire existe lorsque « les deux parties, représentées par des avocats, adoptent des thèses opposées » (SCFP c Air Canada, au para 10), lorsque les parties continuent de défendre des positions opposées sur la question en litige (Administration de pilotage des Laurentides c Corporation des Pilotes de Saint-Laurent Central Inc, 2019 CAF 83 au para 27 [Administration de pilotage des Laurentides]), et lorsque le procureur général du Canada et une organisation d’intérêt public « ont débattu pleinement de la demande au fond » (Démocratie en surveillance c Canada (Procureur général), 2018 CAF 195 au para 15 [Démocratie en surveillance]).

[135] Puisqu’il a été décidé il y a environ un an que les requêtes du défendeur ne seraient pas instruites et tranchées avant la date fixée pour l’audition sur le fond, les parties ont continué de défendre vigoureusement leurs positions respectives. À mon avis, les quelques requêtes contestées dans la dernière année suffisent à démontrer l’existence d’un débat contradictoire. Toutes les parties ont investi beaucoup de temps, d’énergie et de ressources dans cette affaire. Les questions ont été contestées avec vigueur et débattues avec zèle tout au long du processus.

[136] Je conviens avec MM. Cornell et Gircys qu’il existe toujours un litige « tangible et concret » entre les parties. Les questions ne sont pas simplement abstraites pour eux, puisqu’ils ont été directement touchés par le recours à la Loi qui, comme nous en discuterons plus loin, aurait eu des conséquences sur les droits qui leur sont garantis par la Charte.

[137] Il se peut que ces demandes n’aient aucune « conséquence accessoire » immédiate qui pourrait permettre de trancher des instances connexes entre les parties, un facteur qui doit être pris en considération, comme l’affirme le défendeur. Toutefois, l’existence de conséquences accessoires n’est pas toujours essentielle pour déterminer si la Cour devrait exercer son pouvoir discrétionnaire d’instruire l’affaire malgré son caractère théorique, surtout lorsque l’objet peut autrement échapper à l’examen judiciaire : N.B. (Ministre de la Santé) c G.(J.), [1999] 3 RCS 46 au para 45 [G.(J.)].

[138] Mme Nagle et CFN affirment qu’elles demeurent sujettes à des poursuites pour violation du Règlement. Je ne souscris pas à cet argument. Comme je l’expliquerai plus loin, en ce qui concerne la qualité pour agir, la possibilité que des poursuites soient intentées contre Mme Nagle ou CFN est entièrement hypothétique compte tenu des événements subséquents et du temps qui s’est écoulé. De plus, leur affirmation selon laquelle elles pourraient réclamer des dommages‐intérêts fondés sur la Charte ou solliciter une indemnité au titre du paragraphe 48(1) de la Loi est basée sur des suppositions étant donné que rien ne prouve qu’elles ont subi un préjudice. Par conséquent, je suis convaincu qu’il n’existe aucun litige actuel entre elles et le défendeur.

[139] Il convient d’établir une distinction entre ces demandes et celles dont il était question dans la décision Ben Naoum c Canada, 2022 CF 1463 [Ben Naoum], invoquée par le défendeur. Dans cette décision, quatre demandes de contrôle judiciaire dans lesquelles les demandeurs contestaient les obligations vaccinales du Canada imposées aux voyageurs aériens et ferroviaires ont été radiées. La juge en chef adjointe Gagné a refusé de les instruire notamment parce que les obligations avaient été levées et qu’un jugement déclaratoire n’aurait eu aucune utilité pratique. Toutefois, lorsque la Cour a été saisie de ces demandes, la constitutionnalité des mesures sanitaires fédérales et provinciales, prises dans le contexte de la pandémie, avait déjà été contestée dans tout le pays alors qu’elles étaient en vigueur. Par conséquent, il n’y avait aucune incertitude au niveau de la jurisprudence : Ben Naoum, au para 42. De même, dans la décision Lavergne-Poitras c Canada, 2022 CF 1391, la Cour a conclu que la constitutionnalité de l’obligation vaccinale n’échappait pas à l’examen judiciaire, en partie parce qu’elle avait déjà été contestée devant d’autres tribunaux.

[140] Dans d’autres affaires citées par le défendeur à l’appui de sa requête en radiation, les décisions en cause avaient déjà été examinées en première instance : Spencer c Canada, 2023 CAF 8; Right to Life Association of Toronto c Canada, 2022 CAF 220; Fibrogen, Inc c Akebia Therapeutics, Inc, 2022 CAF 135; Canada c Nation crie Ermineskin, 2022 CAF 123; Wojdan c Canada, 2022 CAF 120. Ce n’est pas le cas en l’espèce, puisque les tribunaux n’ont pas déjà statué sur la validité de la décision en cause.

[141] À mon sens, les demandeurs ont démontré qu’il existe encore un débat contradictoire et ont constitué un dossier permettant de procéder à un véritable contrôle judiciaire de la décision d’invoquer la Loi et de prendre la Proclamation et les textes réglementaires connexes.

(ii) L’économie des ressources judiciaires

[142] Dans l’analyse de l’économie des ressources judiciaires, les tribunaux peuvent examiner si la question risque de se présenter de nouveau et échappe à l’examen judiciaire, et si elle est d’importance publique ou nationale : Borowski, à la p 353. Le défendeur ne conteste pas que la question est d’importance nationale et publique, mais affirme que cette importance à elle seule est insuffisante en l’absence de l’élément additionnel que constitue « le coût social de laisser une question sans réponse » : Borowski, à la p 362. Selon le défendeur, la probabilité que la question se présente de nouveau est incertaine étant donné les circonstances exceptionnelles dans lesquelles la Loi a été invoquée et il soutient que les futures déclarations n’échapperont pas à l’examen judiciaire à l’avenir puisqu’elles devront être examinées par une commission d’enquête et un comité parlementaire.

[143] Je ne suis pas de cet avis. Le risque qu’un désordre public de la nature de celui qui s’est produit en février 2022 survienne de nouveau ne peut être écarté. S’il est vrai que la situation était exceptionnelle jusqu’à ce moment-là, rien ne garantit que des événements similaires, et même pires, ne se reproduiront pas, compte tenu de la montée des militants extrémistes au sein de notre société, qui sont prêts à aller encore plus loin dans leur opposition aux politiques gouvernementales et qui peuvent gagner des appuis grâce à la portée extraordinaire des médias sociaux.

[144] Je conviens avec les demandeurs que ni la commission d’enquête ni le comité mixte spécial de la Chambre des communes et du Sénat, qui sont tenus par la Loi d’examiner la déclaration d’état d’urgence, ne sauraient remplacer le contrôle judiciaire. Sans vouloir d’une quelconque façon diminuer l’importance de ces entités, celles-ci n’ont pas pour rôle de se prononcer sur la légalité et la constitutionnalité des mesures prises en vertu de la Loi. Leurs rôles consistent plutôt à examiner les événements qui se sont produits et à faire des recommandations qui, sans mesures législatives ou autres, n’ont aucun effet juridique. Bien qu’il s’agisse de deux importants mécanismes de reddition de comptes, ils sont, d’un point de vue juridique et pratique, distincts de la fonction juridictionnelle de la Cour : Association canadienne des libertés civiles c Canada (Procureur général), 2023 FC 118 aux para 56-57. La présente instance ne fait donc pas double emploi avec le travail fait par la CEDU ou avec celui entrepris dans le cadre du processus parlementaire, contrairement à ce qu’affirme le défendeur.

[145] Je suis conscient du fait que, en tant que juge puîné siégeant seul, je pourrais commettre des erreurs dans les conclusions auxquelles je parviens dans les présents motifs. Or, ces erreurs pourront être corrigées en appel. Ni le processus de la commission ni celui du comité parlementaire ne sont susceptibles d’appel.

[146] Le défendeur soutient que le recours à la Loi sur les mesures d’urgence n’échappe pas au contrôle judiciaire, car la Cour fédérale est accessible nuit et jour et 365 jours par année pour toute demande urgente. Il affirme que, si nécessaire, des ordonnances de suspension provisoire pourraient être rendues et des délais pourraient être abrogés. Il est vrai qu’une injonction provisoire peut être rapidement obtenue auprès de la Cour, mais cette mesure de réparation est généralement demandée dans le contexte d’un litige qui dure depuis longtemps entre les parties et dans le cadre duquel la preuve est suffisante pour rendre une décision rapidement.

[147] Comme le démontre l’historique des procédures, il peut être difficile d’obtenir la preuve nécessaire pour présenter une demande d’injonction contre des mesures prises par le gouvernement lorsque l’exécutif a le contrôle des renseignements à l’origine de la décision et n’est pas disposé à les divulguer. En l’espèce, très peu de renseignements sur les motifs du recours à la Loi ont été communiqués au début, hormis l’exposé visé à l’article 58. Le défendeur a invoqué plusieurs privilèges pour contester vigoureusement les requêtes en transmission de documents qui ont été présentées au titre de l’article 317 des Règles, dont la confidentialité des délibérations du Cabinet.

[148] Comme le soutient la CCF, l’état d’urgence est un exemple classique d’une situation qui ne sera jamais soumise aux tribunaux, car elle sera presque toujours terminée et sans objet au moment où la contestation pourra être instruite sur le fond. Pour des exemples comparables, voir Tremblay c Daigle, [1989] 2 RCS 530 à la p 539; G.(J.) au para 47; Doucet-Boudreau c Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), 2003 CSC 62 au para 20; Mazzei c Colombie-Britannique (Directeur des Adult Forensic Psychiatric Services), 2006 CSC 7 au para 15; A.C. c Manitoba (Directeur des services à l’enfant et à la famille), 2009 CSC 30 au para 174; Établissement Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 14; Canada (Sécurité publique et Protection civile) c Chhina, 2019 CSC 29 au para 15; et R c Penunsi, 2019 CSC 39 au para 11.

[149] Selon la définition d’« état d’urgence » figurant dans la Loi, celle-ci doit être temporaire, ce qui signifie que la situation aura vraisemblablement pris fin bien avant qu’une contestation de la proclamation de l’état d’urgence soit instruite par les tribunaux. La chronologie de la présente affaire illustre ce point. Si la Cour refuse d’instruire les demandes, cela pourrait créer un précédent selon lequel, tant que le gouvernement peut révoquer la déclaration d’état d’urgence avant qu’une demande de contrôle judiciaire puisse être instruite, les tribunaux n’auront aucun rôle à jouer dans le contrôle de la légalité d’une telle décision.

[150] Laisser sans réponse les questions soulevées dans la présente instance aurait un « coût social », puisque la Loi confère des pouvoirs extraordinaires à l’exécutif, notamment le pouvoir de créer de nouvelles infractions sans consulter le Parlement, ou sans débat public, ainsi que le pouvoir d’agir dans des domaines de compétence provinciale sans consulter les provinces ni obtenir leur consentement.

[151] L’incertitude quant au moment où la Loi peut être invoquée et à la façon dont elle peut l’être crée nécessairement un « coût social » en ce que, lors de la prochaine crise, le gouvernement pourra prendre des mesures semblables sans bénéficier des directives des tribunaux quant à leur caractère raisonnable ou à leur compatibilité avec la Charte. Par conséquent, les intérêts de l’économie des ressources judiciaires n’empêchent pas l’instruction des demandes en l’espèce.

(iii) La sensibilité de la Cour à son rôle par rapport à celui du législateur

[152] Les tribunaux doivent être sensibles à leur fonction juridictionnelle dans notre cadre politique, puisque rendre un jugement dans une affaire théorique peut être perçu comme légiférer dans l’abstrait, une tâche réservée au pouvoir législatif : Borowski, à la p 362; Amgen, au para 16. Le tribunal peut refuser d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’instruire une demande théorique si le Parlement joue également un rôle dans l’examen des mêmes questions : Démocratie en surveillance, aux para 20-22.

[153] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que l’exigence qu’il y ait un processus d’examen parlementaire et une enquête publique commande une mesure de précaution supplémentaire. Toutefois, après examen de l’historique législatif de la Loi, je constate que le législateur lui‐même a envisagé le contrôle judiciaire des déclarations d’état d’urgence.

[154] Le projet de loi mettant en œuvre la Loi en 1984 a été amendé pour laisser tomber l’exigence vague selon laquelle le Cabinet devait seulement « estime[r] » qu’il y avait une situation de crise, au profit de l’exigence qu’il y ait des « motifs raisonnables » de croire. L’objectif expressément exprimé de ce libellé était de conférer aux tribunaux le pouvoir de procéder au contrôle judiciaire des déclarations d’état d’urgence : projet de loi C-77, Loi visant à autoriser à titre temporaire des mesures extraordinaires de sécurité en situation de crise nationale et à modifier d’autres lois en conséquence (première lecture) (26 juin 1987) [projet de loi C-77]; Procès-verbaux et témoignages du Comité législatif, 33e lég, 2e sess, vol 1, no 1 (23 février 1988), aux pp 15‐16.

[155] La cour de révision peut se reporter à l’historique législatif d’un texte de loi pour situer le contexte, mais cet élément de preuve doit être examiné avec prudence. Le sens véritable d’un texte de loi doit être interprété en fonction des règles d’interprétation modernes énoncées dans l’arrêt Rizzo & Rizzo. Mais les « informations fournies par les débats parlementaires révèlent surtout leur utilité lorsqu’elles “confirm[ent] la justesse de l’interprétation donnée” » : MédiaQMI c Kamel, 2021 CSC 23 aux para 37-38.

[156] En l’espèce, il ne fait aucun doute que la modification au projet de loi qui a donné lieu au libellé actuel a été apportée afin de permettre le contrôle judiciaire. Le législateur a apporté cette modification tout en sachant que la Loi, telle qu’elle était rédigée, prévoyait à la fois une enquête publique et un examen parlementaire, comme l’indiquent clairement les débats. Il a été reconnu que cette modification visait à garantir que la population canadienne soit en mesure de contester devant les tribunaux toute proclamation et tout texte législatif connexe adopté par l’exécutif. Comme l’a affirmé la Cour suprême du Canada au paragraphe 10 de l’arrêt Catalyst Paper Corporation c North Cowichan (District), 2012 CSC 2 :

La primauté du droit pose comme principe fondamental que le pouvoir de l’État doit être exercé en conformité avec la loi. Ce principe protégé par la Constitution a pour corollaire que les cours supérieures peuvent être appelées à examiner si un exercice particulier du pouvoir de l’État est conforme à la loi ou non. C’est ce que nous appelons le « contrôle judiciaire ».

[157] Je suis convaincu que l’historique législatif de la Loi milite fortement en faveur de l’exercice du pouvoir discrétionnaire de notre Cour d’instruire les demandes.

(5) Conclusion sur le caractère théorique

[158] Compte tenu de l’importance publique et nationale de l’affaire, qui n’est pas contestée par le défendeur, et de mes conclusions sur les facteurs de l’économie des ressources judiciaires et du respect du processus législatif, et sous réserve de mes remarques ci-après concernant la qualité pour agir, je suis convaincu que les demandes devraient être instruites même si elles sont théoriques.

(6) Le critère relatif à la qualité pour agir

[159] Pour présenter une demande de contrôle judiciaire devant notre Cour, le demandeur doit généralement démontrer qu’il « est directement touché par l’objet de la demande » : art 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales. Bien que la Cour ait conclu qu’il ne faut pas donner un sens strict à l’expression « directement touché », la preuve doit démontrer davantage qu’un simple intérêt dans l’affaire : Unifor c Administration portuaire Vancouver Fraser, 2017 CF 110 au para 29.

[160] Le demandeur qui affirme avoir un intérêt direct doit démontrer que la décision contestée : a) touche directement ses droits; b) lui impose des obligations en droit; c) lui a porté préjudice : Friends of the Canadian Wheat Board c Canada, 2011 CAF 101 au para 21; Ligue des droits de la personne de B’Nai Brith Canada c Odynsky, 2010 CAF 307 au para 58.

[161] Le critère relatif à la qualité pour agir dans l’intérêt public a été énoncé dans l’arrêt Canada (Procureur général) c Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, 2012 CSC 45, au paragraphe 37 [DESW]; voir aussi l’arrêt Colombie‐Britannique (Procureur général) c Conseil des Canadiens avec déficiences, 2022 CSC 27 [Conseil des Canadiens avec déficiences], qui a confirmé le critère énoncé dans l’arrêt DESW. Lorsqu’il exerce son pouvoir discrétionnaire d’accorder la qualité pour agir dans l’intérêt public, le tribunal doit tenir compte de trois facteurs : 1) si l’affaire soulève une question justiciable sérieuse; 2) si le demandeur a un intérêt réel ou véritable dans l’issue de cette question; 3) si, compte tenu de l’ensemble des circonstances, la poursuite proposée constitue une manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la cour.

(a) La thèse du défendeur

[162] Le défendeur soutient que Mme Nagle et CFN et les demandeurs dans l’affaire Jost, à l’exception de MM. Cornell et Gircys, n’ont pas un intérêt direct dans l’affaire puisqu’ils ne sont pas « directement touché[s] par l’objet de la demande », comme l’exige le paragraphe 18.1(1) de la Loi sur les Cours fédérales.

[163] Le défendeur ajoute également que Mme Nagle et MM. Gircys, Jost et Ristau n’ont pas eu une conduite irréprochable puisqu’ils ont fait des déclarations inexactes, non fondées et exagérées dans leur témoignage et qu’ils ont fait preuve d’un manque de franchise. Le défendeur soutient que, pour cette raison, la Cour devrait refuser d’exercer son pouvoir discrétionnaire de leur accorder la qualité pour agir.

[164] Le défendeur soutient que ni Kristen Nagle ni CFN n’ont été touchées par la déclaration d’état d’urgence et l’adoption des textes réglementaires connexes. Selon son propre témoignage, Mme Nagle a continué de contrevenir sciemment aux mesures, notamment en sollicitant des dons, en distribuant des fonds et en fournissant des documents aux manifestants. Toutefois, elle n’a pas été visée par des divulgations aux institutions financières, elle n’a pas autrement été décrite comme une « personne désignée », ses comptes bancaires et ses ressources financières n’ont pas été gelés, et personne ne l’a forcé à quitter le convoi. Elle a choisi de partir le 19 février 2022, de son plein gré. Mme Nagle a continué d’exprimer son opinion et de collecter des fonds après le recours à la Loi; elle n’a jamais été accusée et n’a jamais été la cible de mesures prises en vertu de la Loi.

[165] En ce qui concerne CFN, le défendeur soutient que rien ne démontre qu’une personne autre que Mme Nagle a agi pour le compte de l’organisation, qu’un administrateur, un membre ou un employé de CFN autre que Mme Nagle a participé au convoi, que CFN a pris des mesures distinctes de celles de Mme Nagle, ou que les mesures d’urgence n’ont pas eu les mêmes répercussions pour CFN et pour Mme Nagle. CFN n’a pas été identifiée comme entité désignée et ses comptes bancaires n’ont pas été gelés. Toute poursuite à laquelle Mme Nagle et CFN pourraient s’exposer en raison de leur participation est entièrement spéculative. De plus, le défendeur soutient que même si les mesures d’urgence avaient causé une réduction temporaire des contributions financières à CFN, le contrôle judiciaire ne peut servir à protéger des intérêts qui sont purement commerciaux : Island Timberlands LP c Canada (Affaires étrangères et Commerce international), 2009 CAF 353 au para 7 [Island Timberlands].

[166] De même, le défendeur fait valoir que les comptes bancaires de Jeremiah Jost et d’Harold Ristau n’ont pas été gelés et que ces derniers n’ont pas été plus affectés par les mesures d’urgence que n’importe quel autre membre du public. Les restrictions imposées par le Règlement sur la participation aux manifestations dans le centre‐ville d’Ottawa s’appliquaient également à tous les membres du public. MM. Jost et Ristau n’ont pas été contraints par la force de quitter le centre‐ville d’Ottawa et non pas non plus été la cible des forces de l’ordre. Ils sont partis de leur plein gré.

[167] En ce qui concerne l’ACLC et la CCF, le défendeur soutient que la Cour ne devrait pas leur accorder la qualité pour agir dans l’intérêt public, car leurs arguments sont théoriques et font double emploi avec ceux des demandeurs ayant un intérêt direct, MM. Cornell et Gircys.

(b) La thèse des demandeurs

(i) Mme Nagle et CFN

[168] Mme Nagle et, par l’entremise de cette dernière, CFN revendiquent un intérêt direct dans l’affaire compte tenu de leur participation aux manifestations d’Ottawa. Ni l’une ni l’autre ne revendique la qualité pour agir dans l’intérêt public. Elles nient avoir sollicité et distribué des fonds pour des raisons « purement commerciales »; elles affirment plutôt que leur objectif était de veiller à ce que les participants au convoi à Ottawa se rassemblent de manière pacifique et expriment leur mécontentement envers les politiques gouvernementales de manière non violente.

[169] Mme Nagle reconnaît ouvertement avoir enfreint le Règlement et le Décret économique pendant les jours qui ont suivi leur mise en œuvre. Elle affirme que l’entrée en vigueur de ces textes réglementaires l’a exposée à des poursuites et au gel des fonds de CFN pour avoir exprimé son désaccord et apporté un soutien financier au convoi. Elle affirme que cela a eu un effet dissuasif sur ses activités et qu’elle s’est donc abstenue de distribuer des fonds aussi ouvertement qu’elle l’avait fait avant la Proclamation. De plus, elle indique dans son affidavit que les dons à CFN ont sensiblement diminué et que, par conséquent, elle s’est sentie obligée de cesser de participer aux manifestations, à titre personnel et au nom de CFN.

[170] Mme Nagle soutient que l’organisation et elle continuent de s’exposer à des poursuites en raison de l’application de l’article 43 de la Loi d’interprétation, malgré l’abrogation de la Proclamation et l’annulation du Règlement et du Décret économique. Elle affirme que l’article 43 dans ce contexte a pour effet de préserver le droit des autorités d’enquêter et de les poursuivre, elle et CFN, pour avoir participé aux manifestations, et ce, bien longtemps après l’abrogation : Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 608 au para 7 [Chen]; R. v Ferkul, 2019 ONCJ 893 [Ferkul] au para 4. Elle affirme qu’un jugement de notre Cour déclarant que le Règlement et le Décret économique ont porté atteinte aux droits qui leur sont garantis par la Déclaration canadienne des droits ou la Charte, ou déclarant que la Proclamation était « ultra vires », les exonérerait de toute responsabilité.

(ii) MM. Jost et Ristau

[171] Comme je l’ai déjà dit, le défendeur reconnaît que MM. Cornell et Gircys ont la qualité pour agir à titre de personnes directement touchées par la décision faisant l’objet du contrôle. Jeremiah Jost fait également valoir que la Loi lui a causé un préjudice direct et important lorsqu’il exerçait son droit de manifester à Ottawa, qui lui est garanti par la Charte. Il affirme qu’il a été informé des menaces de la police d’inculper les manifestants, qu’il a été témoin de brutalités policières, qu’il a été bousculé par la police et que ses vêtements ont été déchirés, le tout en raison de l’application du Règlement. Par conséquent, M. Jost affirme qu’il y a eu atteinte à ses droits à la liberté, à la liberté de circulation et d’établissement et à la liberté d’expression et que la Cour devrait donc lui reconnaître la qualité pour contester la Proclamation et les textes réglementaires connexes.

[172] Harold Ristau a participé une seule journée aux manifestations à Ottawa, le 12 février 2022, avant l’entrée en vigueur du Règlement et du Décret économique. Il a confirmé dans son affidavit et en contre‐interrogatoire que les mesures n’ont pas nui à sa capacité de participer à quoi que ce soit ce jour‐là. Ses comptes bancaires n’ont pas été subséquemment gelés, et aucune autre mesure n’a été prise contre lui par la police ou par toute autre autorité. M. Ristau affirme qu’à son retour chez lui, il a subi des conséquences négatives en raison de la Proclamation. Celles-ci, comme il l’a décrit dans son affidavit et reconnu en contre‐interrogatoire, semblent être attribuables aux réactions d’autres personnes au sein de sa communauté religieuse et sur son lieu de travail qui n’étaient pas d’accord avec ses opinions, et non à une quelconque mesure du gouvernement ou de la police.

(iii) L’ACLC et la CCF

[173] Bien que l’ACLC et la CCF aient présenté des demandes de contrôle séparées, elles ont collaboré étroitement dans le cadre de la présente instance. L’ACLC protège les droits de la personne et les libertés civiles depuis longtemps. La CCF se concentre davantage sur les questions constitutionnelles, comme son nom l’indique. Elles affirment que la qualité pour agir dans l’intérêt public est une question de pouvoir discrétionnaire, qui doit être exercé d’une manière téléologique, souple et libérale. L’objectif est de veiller à ce que les actes de l’État soient conformes à la Constitution et au pouvoir conféré par la loi et à ce qu’il existe des manières pratiques et efficaces de contester la légalité de ces actes : DESW, au para 31.

(c) Conclusion sur la qualité pour agir

[174] Comme je l’ai déjà dit, à l’ouverture de l’audience le 3 avril 2023, j’ai avisé les avocats des demandeurs dans l’affaire Jost que, sur la foi du dossier et des transcriptions du contre-interrogatoire de MM. Jost et Ristau, je convenais avec le défendeur que ni l’un ni l’autre n’avait la qualité pour agir, mais que MM. Cornell et Gircys avaient la qualité pour être entendus sur le fond. Après un examen plus approfondi de la question, je ne vois aucune raison de modifier cette conclusion.

[175] Parmi les quatre demandeurs dans l’affaire Jost, M. Ristau est celui qui est le moins justifié à revendiquer la qualité pour agir, car rien de ce qu’il dit avoir vécu ne peut être directement lié à la Proclamation et aux mesures d’urgence. Sa visite à Ottawa était brève et les conséquences négatives qu’il aurait subies se sont produites à son lieu de travail et dans sa communauté religieuse. Ce lien entre les mesures d’urgence et le préjudice qu’il aurait subi de la part de personnes privées est spéculatif et non fondé. À mon sens, M. Ristau n’a pas été touché de façon significative par la décision d’adopter la Proclamation.

[176] Bien que M. Jost affirme avoir subi des effets néfastes à la suite de l’intervention visant à évacuer les manifestants du centre‐ville d’Ottawa, ces effets étaient tous passagers. Aucune mesure n’a été prise pour geler ses ressources. M. Jost a choisi de rester dans la zone malgré les instructions claires de partir et était présent lorsque la police a commencé à évacuer. Il a admis en contre‐interrogatoire que les mesures d’urgence n’avaient pas nui à sa capacité de participer aux manifestations. Il a continué à recevoir des fonds et à les distribuer aux autres manifestants. Bien qu’il puisse y avoir eu une brève atteinte à son droit d’exprimer son désaccord, cette atteinte n’était que dans les limites physiques de la zone visée par le Règlement. Il était libre de quitter cette zone et de continuer à exprimer son désaccord ailleurs. En contre‐interrogatoire, le témoignage de M. Jost manquait de franchise, était évasif et portait à confusion. Par exemple, il a nié que des camions klaxonnaient bruyamment la nuit, alors que des éléments de preuve irréfutables en attestent, notamment son propre enregistrement vidéo.

[177] Edward Cornell et Vincent Gircys ont été directement touchés par les mesures d’urgence du fait que leurs comptes ont été gelés. M. Gircys a formulé des déclarations exagérées et portant à confusion dans son témoignage au sujet des effets du recours à la Loi sur lui, et elles ne sont pas étayées par une preuve médicale ou psychologique, mais j’estime qu’elles ne sont pas un motif pour lui refuser la qualité. Le défendeur n’a pas affirmé que M. Cornell « n’était pas sans reproche ». Par conséquent, je suis d’avis que les demandes des deux hommes devraient être instruites.

[178] Comme je l’ai déjà dit, Mme Nagle et CFN revendiquent la qualité pour agir en se fondant principalement sur l’article 43 de la Loi d’interprétation. Cette disposition traite des effets de l’abrogation d’une loi ou d’un règlement. Par conséquent, elles affirment que l’abrogation de la Proclamation n’empêche pas qu’elles puissent être exposées à des poursuites au titre du Règlement et du Décret économique comme elles l’étaient pendant que la Proclamation était en vigueur. Elles soutiennent que Mme Nagle, à titre personnel, et l’organisation, à titre d’« entité », étaient toutes deux visées par la définition du terme « personne désignée » énoncée dans le Décret économique lorsque ces textes réglementaires étaient en vigueur en raison de leurs activités pour soutenir le convoi. Par conséquent, elles pourraient être poursuivies en application de ces dispositions, soutiennent-ils, et sont donc des personnes touchées aux termes de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales.

[179] Au début de l’audience, j’ai examiné si cet argument avait une certaine vraisemblance qui justifierait de reconnaître à Mme Nagle et CFN la qualité pour agir. Le défendeur est essentiellement d’avis que cet argument est fondé sur des suppositions et que la Cour ne devrait pas envisager la possibilité qu’il ait un certain fondement. Je me suis rallié à la position du défendeur en grande partie parce qu’il est inconcevable à ce stade, au lendemain des événements de février 2022, qu’un organisme public ayant le pouvoir d’enquêter et d’intenter des poursuites porterait maintenant des accusations contre CFN ou Mme Nagle pour des infractions hypothétiques qu’elles auraient pu commettre. Dans le cas improbable où cela se produirait, Mme Nagle et CFN pourraient alors solliciter une décision sur la constitutionnalité des dispositions contestées si elles le souhaitaient.

[180] Il ne s’agit pas d’un cas de crime découvert longtemps après la modification de la loi, ce qui, à mon avis, est l’objet visé par l’article 43 de la Loi d’interprétation. La participation de Mme Nagle et de CFN aux événements de février 2022 pouvait être mise au jour par les autorités au moment des faits. Ni la décision Chen ni la décision Ferkul ne leur sont utiles. La décision Chen portait sur l’application d’une loi étrangère et ne traitait pas de la question de l’application tardive d’une loi fédérale abrogée. La décision Ferkul concernait un changement apporté au cadre législatif entourant la vente de cannabis et la contestation fondée sur la Charte d’une loi abrogée.

[181] Bien que les dons à CFN puissent avoir diminué après le recours à la Loi, il s’agit, comme l’affirme le défendeur, d’un facteur purement financier qui ne permet pas de conclure que Mme Nagle et l’organisation devraient obtenir la qualité pour agir : Island Timberlands, au para 7.

[182] Je suis également d’avis que Mme Nagle, lorsqu’elle a présenté sa demande de contrôle judiciaire, n’était pas sans reproche. La décision d’accorder la qualité pour agir ou d’instruire une demande théorique par souci d’équité constitue une mesure de réparation discrétionnaire en equity. Selon le principe de la conduite irréprochable, un tribunal peut refuser d’accorder une mesure de réparation à une partie qui a agi illégalement, a fait preuve de mauvaise foi ou a manqué de transparence : Trial Lawyers Association of British Columbia c Royal & Sun Alliance du Canada, société d’assurances, 2021 CSC 47 au para 37; Administration de pilotage des Laurentides, au para 41.

[183] Le défendeur souligne la conduite inappropriée de Mme Nagle par le passé, mais la théorie de la conduite irréprochable s’applique au comportement d’une partie durant l’instance. Mme Nagle a fait preuve de mauvaise foi en l’espèce. D’emblée, en février 2022, elle a contourné les instructions de notre Cour interdisant la diffusion d’une audience virtuelle à laquelle elle avait obtenu un accès à distance. Qui plus est, la transcription du contre‐interrogatoire de Mme Nagle est remplie d’exemples démontrant qu’elle a tenté d’éviter de répondre aux questions. Ses réponses manquaient de transparence et de franchise.

[184] Au cours de l’audience en avril 2023, la Cour a été choquée par le comportement de l’avocat principal de Mme Nagle et CFN. Malgré que la Cour lui ait ordonné à maintes reprises de se concentrer sur les questions en litige, l’avocat a fait plusieurs fois des déclarations politiques inappropriées et offensantes. Par ces remarques grandiloquentes, il cherchait manifestement à se donner en spectacle devant le public qui observait l’audience à distance. Je tiens à souligner que l’avocat adjoint de Mme Nagle et CFN, qui a présenté ses observations en réponse au défendeur plus tard au cours de l’audience, n’a pas eu la même conduite répréhensible.

[185] Hormis ces préoccupations, après avoir relu leur mémoire des faits et du droit et la transcription de leurs observations orales, je suis convaincu que Mme Nagle et CFN n’apportent rien d’utile à la présente instance. Par conséquent, je conclus qu’elles n’ont pas qualité pour agir. Leur demande de contrôle judiciaire est rejetée et ne sera pas examinée davantage dans les présents motifs.

[186] En ce qui concerne l’ACLC et la CCF, je n’ai aucun doute que leur participation à la présente instance répond aux critères énoncés dans l’arrêt DESW relativement à la qualité pour agir dans l’intérêt public. Comme l’a affirmé la Cour suprême du Canada aux paragraphes 35 et 36 de l’arrêt DESW :

[35] Depuis les premières décisions modernes concernant la qualité pour agir dans l’intérêt public, la question de la qualité pour agir a été considérée comme une question dont la solution est tributaire de l’exercice avisé du pouvoir discrétionnaire judiciaire. Comme l’a affirmé le juge Laskin dans Thorson, la qualité pour agir dans l’intérêt public « est une matière qui relève particulièrement de l’exercice du pouvoir discrétionnaire des cours de justice, puisqu’elle se rapporte à l’efficacité du recours » (p. 161); voir aussi p. 147 et 163; Nova Scotia Board of Censors c McNeil, [1976] 2 RCS 265, aux p 269 et 271; Borowski, p. 593; Finlay, p. 631- 632 et 635. La décision de reconnaître ou non la qualité pour agir nécessite l’exercice minutieux du pouvoir discrétionnaire judiciaire par la mise en balance des trois facteurs (une question justiciable sérieuse, la nature de l’intérêt du demandeur et les autres manières raisonnables et efficaces). Le juge Cory a insisté sur ce point dans Conseil canadien des Églises où il a souligné que les facteurs à prendre en compte dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire ne devaient pas être considérés comme des exigences techniques et que les principes qui s’y appliquent devraient être interprétés d’une façon libérale et souple (p. 256 et 253).

[36] En conséquence, les trois facteurs ne doivent pas être perçus comme des points figurant sur une liste de contrôle ou comme des exigences techniques. Ils doivent plutôt être vus comme des considérations connexes devant être appréciées ensemble, plutôt que séparément, et de manière téléologique.

[187] Les questions juridiques soulevées en l’espèce sont justiciables, et tant l’ACLC que la CCF ont un intérêt véritable dans l’affaire, ce que le défendeur ne nie pas. Les deux organisations disposent également de solides capacités en matière de droit public pour compléter les arguments de fond plus limités soulevés par MM. Cornell et Gircys. Dans les circonstances, leurs demandes sont à mon avis un moyen raisonnable et efficace de soumettre ces questions à la Cour. Tant l’ACLC que la CCF ont la capacité de présenter les éléments de preuve et les arguments requis pour aider la Cour à tirer une conclusion juste sur les questions en litige, ce qui maintient le principe de la légalité.

[188] La participation de personnes physiques ayant un intérêt direct dans l’affaire, c’est‐à‐dire MM. Cornell et Gircys, n’empêche pas de reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public. Je ne crois pas non plus que limiter la procédure aux deux parties privées soit un moyen raisonnable et efficace de soumettre les questions à la Cour. Bien que, comme il est indiqué au paragraphe 37 de l’arrêt DESW, un demandeur qui possède de plein droit la qualité pour agir sera généralement préféré lorsque toutes les autres considérations sont égales, ce n’est pas le cas en l’espèce. Ni la preuve présentée ni les arguments avancés par les parties privées n’auraient été suffisants pour examiner les questions dans la présente instance. L’ACLC et la CCF ont présenté des observations organisées et efficaces au sujet des questions soumises à la Cour. De plus, l’affaire transcende les intérêts des parties qui sont les plus directement touchées par la Proclamation et les mesures connexes : DESW, au para 51.

[189] Contrairement à ce qu’affirme le défendeur, il a été certainement avantageux que les avocats des deux organisations d’intérêt public travaillent aux côtés des parties privées, et les guident dans une certaine mesure, pour faire avancer l’instance jusqu’à l’étape où les questions ont pu être débattues sur le fond. Et rien n’indique que M. Cornell ou M. Gircys souhaite exclure l’ACLC ou la CCF de l’instance.

[190] Comme l’a affirmé la Cour suprême du Canada au paragraphe 40 de l’arrêt Conseil des Canadiens avec déficiences, la qualité pour agir dans l’intérêt public a pour objet « d’empêcher que la loi ou les actes publics soient à l’abri des contestations ». Dans les circonstances, je suis convaincu que reconnaître à l’ACLC et à la CCF la qualité pour agir dans l’intérêt public satisfera à cet objet.

B. Les questions de fond

(1) La norme de contrôle

[191] La Proclamation, le Règlement et le Décret économique en cause en l’espèce sont des formes de textes réglementaires dont la prise est déléguée au gouverneur en conseil par le législateur : Loi sur les mesures d’urgence, art 17(1); Loi d’interprétation, art 18. Les proclamations, les règlements et les décrets pris dans l’exercice d’un pouvoir conféré sous le régime d’une loi fédérale sont des textes réglementaires au sens de l’article 2 de la Loi sur les textes réglementaires, LRC 1985, c S-22. Conférer au gouverneur en conseil le pouvoir de prendre des textes réglementaires de cette nature sous le régime d’une loi fédérale, plutôt que dans l’exercice de la prérogative royale, signifie effectivement que ces textes sont pris par le Cabinet fédéral. Bien que cela puisse sembler évident, en l’espèce, le défendeur a fait valoir qu’une distinction devait être établie entre les décisions prises par le Cabinet, qui sont assujetties au privilège visé à l’article 39 de la LPC, et la publication officielle des résultats de ces décisions par le gouverneur en conseil. Je ne suis pas de cet avis, pour les motifs que j’ai énoncés dans la décision CCF c Canada.

[192] Le gouverneur en conseil avait le pouvoir de prendre ces textes réglementaires sur la recommandation du Cabinet. C’est la légalité de la Proclamation et des textes réglementaires connexes qui sont en litige. Par conséquent, il faudra décider s’ils ont été pris conformément au cadre législatif applicable, y compris la loi par laquelle le pouvoir a été délégué à l’exécutif et qui a prescrit la manière dont il devait être exercé. Il appartient à la Cour de rendre cette décision dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[193] Comme l’a expliqué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau‐Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 27 [Dunsmuir], le contrôle judiciaire est intimement lié au maintien de la primauté du droit, un principe constitutionnel que les tribunaux doivent appliquer. Le titulaire d’un pouvoir public, y compris dans les plus hautes sphères de l’exécutif, doit être soumis à un processus dans le cadre duquel ses décisions sont susceptibles de contrôle et il doit rendre compte de ses actes devant la loi. Pour ce faire, la cour de révision doit d’abord déterminer la norme de contrôle à appliquer. L’arrêt de principe en la matière est désormais l’arrêt Vavilov de la Cour suprême du Canada.

[194] En l’absence d’une norme établie par voie législative, ou d’un contrôle portant sur un manquement à la justice naturelle ou à l’obligation d’équité procédurale, il est présumé que la cour procède au contrôle selon la norme de la décision raisonnable : Vavilov, au para 23. Il existe trois exceptions principales à cette présomption : les questions constitutionnelles, les questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et les questions de compétence. Pour ces questions, la cour doit procéder au contrôle selon la norme de la décision correcte : Vavilov, aux para 17, 53.

[195] Le défendeur, l’ACLC et la CCF conviennent que la norme de la décision raisonnable s’applique à la décision du Cabinet d’invoquer la Loi et de prendre la Proclamation et les mesures connexes. Ils ne s’entendent pas sur les exigences de cette norme dans le présent contexte.

[196] Le défendeur fait valoir que la norme de la décision correcte s’applique à la question de savoir si le Décret économique et le Règlement sont conformes à la Charte ou à la Déclaration canadienne des droits, invoquant l’arrêt Vavilov au paragraphe 17.

[197] Les demandeurs dans l’affaire Jost ont affirmé dans leur mémoire des faits et du droit que la norme de la décision correcte devrait s’appliquer à la décision de prendre la Proclamation, car celle‐ci a soulevé une question de droit d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble, qui commande une seule réponse précise. Ils ont également fait valoir dans leurs observations écrites que la Loi sur les mesures d’urgence était contraire à la Loi constitutionnelle de 1867 sur le partage des compétences, mais cet argument n’a pas été soulevé à l’audience. Dans leurs observations écrites en réponse, ils ont également affirmé que l’application de la Déclaration canadienne des droits est assujettie à la norme de la décision correcte.

[198] La Cour n’est pas liée par le point de vue des parties quant à la norme de contrôle applicable et doit mener sa propre analyse : Delios Canada (Procureur général), 2015 CAF 117 au para 17. En l’espèce, à part pour les questions constitutionnelles, la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable pourrait être réfutée si les demandes soulèvent des questions de droit générales d’importance capitale pour le système juridique dans son ensemble. Ces questions sont notamment celles qui sont susceptibles d’avoir des conséquences juridiques sur une vaste gamme d’autres lois ou sur le bon fonctionnement du système de justice dans son ensemble. Il ne suffit pas que la question soulève une question « d’intérêt public général » : Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 au para 47 [Mason].

[199] Même si la décision d’invoquer la Loi sur les mesures d’urgence était extraordinaire et autorisait le gouvernement du Canada à s’immiscer dans le partage des compétences constitutionnelles et à adopter toute mesure nécessaire pour lutter contre la crise, elle n’a pas eu pour effet de perturber l’ordre juridique fondamental du pays autrement que d’une manière temporaire et limitée. Elle n’était pas non plus susceptible d’avoir des conséquences juridiques sur une vaste gamme d’autres lois ou sur le bon fonctionnement du système de justice dans son ensemble. Pour ces motifs, la présomption d’application de la norme de la décision raisonnable n’est pas réfutée.

[200] En l’espèce, les demandeurs se fondent sur la Charte pour contester les mesures adoptées pour mettre en œuvre la Proclamation, et non pour contester la loi habilitante elle‐même. Comme il est indiqué au paragraphe 57 de l’arrêt Vavilov, il importe d’établir une distinction entre les cas où il est allégué que la décision administrative faisant l’objet du contrôle a pour effet de restreindre de façon injustifiable les droits garantis par la Charte, d’une part, et les cas où le contrôle judiciaire porte sur la question de savoir si l’une des dispositions de la loi habilitante viole la Charte, d’autre part. L’interprétation de la loi donnée par le décideur administratif dans le dernier cas sera assujettie à la norme de la décision correcte.

[201] En l’espèce, les dispositions de la Loi qui autorisent la prise des mesures spéciales énoncées dans le Règlement et le Décret économique ne sont pas contestées. Par conséquent, la norme de contrôle demeure celle de la décision raisonnable et commande la déférence envers le décideur et son expertise spécialisée.

[202] En ce qui concerne la Proclamation, la Cour doit déterminer si le gouverneur en conseil, agissant sur recommandation du Cabinet, croyait, pour des motifs raisonnables, qu’il fallait déclarer l’état d’urgence conformément à l’article 17 de la Loi. Comme le définit la jurisprudence, la norme de preuve fondée sur les « motifs raisonnables de croire » requiert davantage qu’un simple soupçon et reste moins stricte que celle de la prépondérance des probabilités : Mugesera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CSC 40 au para 114 [Mugesera]. Il y a croyance raisonnable « lorsque les soupçons font place à la probabilité fondée sur la crédibilité » : Hunter c Southam Inc, [1984] 2 RCS 145 à la p 168 [Hunter]. Il s’agit d’une norme fondée sur la probabilité, plutôt que sur la possibilité : R c Chehil, 2013 CSC 49 au para 27. La question de savoir si le Cabinet disposait d’une preuve suffisante pour satisfaire à la norme lorsque la décision d’invoquer la Loi a été prise est une question clé en l’espèce.

[203] Dans l’examen de la légalité ou de la validité du Décret économique et du Règlement, la norme de la décision raisonnable s’appliquera également : Portnov c Canada (Procureur général), 2021 CAF 171 au para 10 [Portnov]; Médicaments novateurs Canada c Canada (Procureur général), 2022 CAF 210 aux para 26‐44; International Air Transport Association c Office des transports du Canada, 2022 CAF 211 aux para 186‐190.

[204] Lorsqu’elle procède au contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la Cour doit faire preuve de déférence, et il ne lui appartient pas d’apprécier à nouveau la preuve ni de réévaluer l’importance relative accordée par le décideur aux facteurs pertinents : Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [Kanthasamy] au para 112; Vavilov, au para 13.

Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est une approche visant à faire en sorte que les cours de justice interviennent dans les affaires administratives uniquement lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif. Il tire son origine du principe de la retenue judiciaire et témoigne d’un respect envers le rôle distinct des décideurs administratifs. Toutefois, il ne s’agit pas d’une « simple formalité » ni d’un moyen visant à soustraire les décideurs administratifs à leur obligation de rendre des comptes. Ce type de contrôle demeure rigoureux.

[205] La norme de la décision raisonnable ne permet pas aux décideurs administratifs d’interpréter la loi habilitante à leur gré et ne les autorise pas à élargir la portée de leurs pouvoirs au-delà de ce que souhaitait le législateur : Vavilov, au para 68. La Cour doit respecter les choix de rédaction du législateur et ne peut modifier la loi comme elle le juge indiqué : Renvoi relatif à la Loi sur l’évaluation d’impact, 2023 CSC 23 au para 193.

[206] Les parties ne s’entendent pas sur le degré de « rigueur » qui devrait s’appliquer au contrôle d’une décision du Cabinet. Le défendeur soutient qu’il faut faire preuve d’une très grande déférence envers le Cabinet puisqu’il est [traduction] « au sommet de l’exécutif canadien qui élabore des politiques dans de nombreux domaines disparates » et parce que ses décisions sont « fondées sur de vastes considérations de politique et d’intérêt public évaluées selon des critères polycentriques ». Ces décisions « fondamentalement exécutives » devraient être « sans contrainte et très difficiles à infirmer » : Vavilov, aux para 108, 110; Entertainment Software, aux para 28-32; Nation Gitxaala c Canada, 2016 CAF 187 au para 150 [Nation Gitxaala]; Raincoast Conservation Foundation c Canada (Procureur général), 2019 CAF 224 aux para 18‐19; Portnov, au para 44.

[207] L’ACLC soutient que, si la décision du Cabinet d’invoquer la Loi commande la retenue, le défendeur va trop loin en affirmant qu’elle est « sans contrainte et très difficile à infirmer ». Selon l’ACLC, le défendeur fait abstraction de l’importante distinction entre la décision objective de savoir si les conditions de l’article 17 de la Loi ont été remplies et la décision discrétionnaire de savoir s’il convient d’invoquer la Loi. Bien que cette dernière décision commande une grande retenue, la marge d’appréciation à accorder à la première est étroite : Nation Gitxaala, au para 153.

[208] La CCF soutient que le Cabinet est certes l’autorité qui prend les décisions définitives, mais ses pouvoirs se limitent à ceux qui lui sont conférés par la Constitution, la loi et la common law. Dans l’arrêt Vavilov, citant l’arrêt Roncarelli v Duplessis, [1959] SCR 121 à la page 140, la Cour suprême du Canada a affirmé qu’il n’y a rien de tel qu’une discrétion absolue et sans entraves et que tout exercice d’un pouvoir discrétionnaire doit être conforme aux fins pour lesquelles il a été accordé : Vavilov, au para 108.

[209] Certaines lois confèrent au Cabinet le pouvoir discrétionnaire « sans contrainte » de prendre des décisions « fondées sur de vastes considérations de politique générale et d’intérêt public, évaluées selon des critères polycentriques », comme il en est question dans les arrêts de la Cour d’appel fédérale invoqués par le défendeur. Or, les dispositions applicables de ces lois sont rédigées en termes très généraux et ne prévoient pas de conditions objectives qui limitent l’exercice du pouvoir discrétionnaire administratif comme celles que l’on retrouve dans la Loi sur les mesures d’urgence, notamment l’exigence qu’il y ait des « motifs raisonnables de croire ».

[210] Je conviens avec l’ACLC et la CCF que la question de savoir si une décision du Cabinet est sans contrainte, de la façon invoquée par le défendeur, repose sur le texte et le contexte législatifs des dispositions en cause. La Loi sur les mesures d’urgence contient des conditions objectives qui doivent être remplies avant qu’une proclamation puisse être prise. Ces conditions « s’apparentent davantage aux décisions des tribunaux judiciaires et sont régies par le droit et non par des questions de politique générale » : Entertainment Software, au para 34. Ainsi, bien que la décision ultime de savoir s’il convient d’invoquer la Loi soit hautement discrétionnaire, celle de savoir si les conditions objectives prévues par la loi ont été remplies ne l’est pas et ne commande aucune retenue particulière au-delà de celle énoncée dans l’arrêt Vavilov.

[211] Dans ce cas, comme il est expliqué dans l’arrêt Vavilov au paragraphe 124 et dans l’arrêt Mason au paragraphe 71, la Cour peut conclure que « l’interaction du texte, du contexte et de l’objet ouvrent la porte à une seule interprétation raisonnable de la disposition législative en cause ou de l’aspect contesté de celle‐ci ».

(2) La Proclamation était‐elle déraisonnable et « ultra vires » de la Loi?

[212] La question principale qui sous-tend les trois demandes est celle de savoir si la décision de prendre la Proclamation « possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle-ci » : Vavilov, au para 99.

[213] En ce qui concerne les contraintes factuelles, la Cour doit examiner la preuve versée au dossier et la trame factuelle générale qui a une incidence sur sa décision, et les contraintes juridiques principales sont notamment le régime législatif applicable et les principes d’interprétation des lois : Vavilov, aux para 108, 110, 120 et 126.

[214] Comme je l’ai déjà dit, à l’audience, les avocats de MM. Cornell et Gircys ont choisi de ne pas soulever la plupart des arguments de fond mentionnés dans leur mémoire des faits et du droit, hormis ceux concernant la Charte et la Déclaration canadienne des droits. C’est tout à leur honneur, car la majeure partie du contenu du mémoire n’était pas pertinente à mon avis. Ils ont indiqué qu’ils se fonderaient sur les observations formulées par l’ACLC et la CCF concernant le caractère raisonnable de la décision. Par conséquent, la discussion suivante portera principalement sur ces arguments. Lorsque cela est pertinent, je discuterai également des arguments de l’intervenant.

(a) La Cour ne tire aucune inférence négative du fait que des privilèges ont été invoqués

[215] L’ACLC et la CCF demandent à la Cour de tirer une inférence négative à l’égard du défendeur pour des motifs relevant du droit administratif et fondés sur la Charte, car il a caviardé une grande partie du contenu des documents clés en invoquant l’article 39 de la LPC, en particulier des parties du procès-verbal de la rencontre du Cabinet du 13 février 2022. Elles n’ont pas soulevé cet argument relativement aux privilèges invoqués au titre des articles 37 et 38 de la LPC ni aux communications protégées par le secret professionnel de l’avocat.

[216] Les demandeurs affirment que le défendeur a rejeté la proposition que les documents divulgués soient examinés par les avocats seulement et a [traduction] « sélectionné minutieusement » les renseignements qu’il divulguerait, et ce, malgré leur « opposition ferme et constante » à la non-divulgation du contenu. Pour appuyer leur argument, ils renvoient à des décisions où il a été a conclu que le tribunal peut tirer une inférence négative à l’égard d’une partie qui insiste sur l’application d’un privilège malgré « l’opposition ferme et constante » à la non‐divulgation : Canada (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Conseil canadien pour les réfugiés, 2021 CAF 72 au para 111, citant RJR-MacDonald Inc. c Canada (Procureur général), [1995] 3 RCS 199 aux para 165-166 [RJR-MacDonald]; Tsleil-Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 128 au para 54. Je fais remarquer que, dans ces arrêts, aucune inférence négative n’a été tirée, hormis dans l’arrêt RJR-MacDonald où la Cour a affirmé, au paragraphe 166, qu’il serait difficile de ne pas inférer que les résultats de ces études non divulguées font échec à la prétention du gouvernement.

[217] Dans un jugement sur une requête en production de documents, j’ai refusé d’aller au‐delà de l’attestation transmise en application de l’article 39 dans la présente affaire. Pour les motifs exposés dans la décision Jost v Canada, j’ai conclu qu’il n’y avait aucune raison de mettre en doute la validité de l’attestation.

[218] Je suis convaincu que même s’il est possible de tirer une inférence négative à l’égard du gouvernement dans les circonstances, il n’est pas nécessaire que la Cour le fasse pour trancher les questions de fond en l’espèce. L’exposé visé à l’article 58 fait état des raisons sous-tendant la décision d’invoquer la Loi, peu importe que son contenu soit largement caviardé en vertu de l’article 39 de la LPC. Qui plus est, à l’issue des étapes préparatoires, les documents connexes avaient été divulgués dans une plus grande mesure et la Cour disposait d’éléments de preuve suffisants, à mon avis, pour déterminer si la norme de la décision raisonnable avait été respectée ou s’il y avait eu violation de la Charte et de la Déclaration canadienne des droits. À mon avis, la preuve ne permet pas de conclure que les renseignements caviardés révéleraient que le GEC ne disposait pas des renseignements requis pour prendre la décision ou que les renseignements caviardés allaient à l’encontre de sa croyance selon laquelle le recours à la Loi était nécessaire. Quoi qu’il en soit, compte tenu des conclusions auxquelles je suis parvenu, une inférence négative ne changerait rien à l’issue.

(b) Y avait-il une crise nationale?

[219] L’alinéa 3a) de la Loi est ainsi rédigé :

3 Pour l’application de la présente loi, une situation de crise nationale résulte d’un concours de circonstances critiques à caractère d’urgence et de nature temporaire, auquel il n’est pas possible de faire face adéquatement sous le régime des lois du Canada et qui, selon le cas :

a) met gravement en danger la vie, la santé ou la sécurité des Canadiens et échappe à la capacité ou aux pouvoirs d’intervention des provinces [...]

[220] Comme l’indique l’article 16 de la Loi, l’état d’urgence est une situation de crise causée par des menaces envers la sécurité du Canada d’une gravité telle qu’elle constitue une situation de crise nationale.

[221] Le paragraphe 17(1) autorise le GEC à déclarer l’état d’urgence lorsqu’il croit, pour des motifs raisonnables, qu’il se produisait un état d’urgence justifiant en l’occurrence des mesures extraordinaires à titre temporaire. L’alinéa 17(2)c) exige que si l’état d’urgence ne touche pas tout le Canada, la zone touchée doit être précisée. Lorsque la déclaration indique que l’état d’urgence ne touche qu’une zone précise du Canada, le paragraphe 19(1) prévoit que le pouvoir de prendre des décrets et des règlements se limite à cette zone.

(i) Argument

[222] Les demandeurs, et le procureur général de l’Alberta, affirment qu’en l’espèce, il ne s’agit pas simplement de savoir s’il était [TRADUCTION] « judicieux » pour le GEC d’invoquer la Loi. Il faut avant tout se demander si cette option pouvait être exercée en droit au vu de la preuve dont le GEC disposait. Selon eux, avant de prendre cette mesure, le GEC devait d’abord conclure de manière raisonnable que les conditions minimales énoncées par le législateur étaient réunies.

[223] Les demandeurs font valoir que la preuve ne permettait pas de conclure que la vie, la santé ou la sécurité de la population canadienne était gravement menacée au point où la situation échappait à la capacité ou aux pouvoirs d’intervention des provinces ou qu’il était impossible d’y faire face adéquatement sous le régime des lois du Canada. L’intervenant, le procureur général de l’Alberta, est du même avis.

[224] Le procureur général de l’Alberta affirme qu’une des questions pertinentes auxquelles le GEC devait répondre avant d’invoquer la Loi était de savoir si l’ampleur de la situation était telle qu’elle échappait à la capacité des provinces. De plus, pour évaluer si la situation échappait aux pouvoirs des provinces, le GEC devait se demander si la situation était telle qu’elle échappait aux pouvoirs d’intervention des provinces. Lorsqu’une province a la capacité ou le pouvoir de faire face à la crise, comme l’avait l’Alberta selon l’intervenant, il n’est pas judicieux pour le gouvernement fédéral d’exercer le pouvoir d’urgence fondé sur « la paix, l’ordre et le bon gouvernement » parce qu’il craint que la crise ne soit pas réglée aussi rapidement qu’il le voudrait, ou d’intervenir au moyen d’une autre approche qui n’implique pas les pouvoirs existants.

[225] Les demandeurs et le procureur général de l’Alberta soutiennent que le GEC a déclaré qu’il se produisait un état d’urgence partout au pays, mais sans préciser les zones touchées comme l’y oblige l’alinéa 17(2)c) de la Loi.

[226] Le défendeur soutient pour sa part qu’il était raisonnable pour le GEC de croire, pour des motifs objectifs, que les conditions justifiant de déclarer l’état d’urgence étaient réunies, au vu des renseignements concluants et dignes de foi dont disposait le Cabinet : Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Harkat, 2014 CSC 37 au para 30. La Cour devrait éviter de procéder à une analyse rétrospective et évaluer les actions du GEC dans le contexte qui existait au moment des faits. Selon la Loi, il n’était pas nécessaire que l’exposé visé à l’article 58 présente une analyse détaillée des faits; une présentation générale suffisait.

[227] En ce qui concerne la capacité des provinces, le procureur général de l’Alberta affirme que pour conclure à l’existence d’une crise nationale, le GEC devait se demander si l’ampleur de la situation était telle qu’elle échappait à la capacité des provinces. De même, en ce qui concerne le pouvoir des provinces, le GEC devait examiner si la situation excédait les pouvoirs d’intervention de la province. Pour ce faire, il devait tenir compte des lois provinciales actuelles, du pouvoir de la province de mettre en œuvre de nouvelles mesures, ainsi que de sa capacité à appliquer des lois fédérales comme le Code criminel. Le procureur général de l’Alberta affirme que pour répondre au critère énoncé à l’alinéa 3a), le GEC doit respecter les principes du fédéralisme et se demander si la province a une telle capacité ou de tels pouvoirs.

[228] Le procureur général de l’Alberta soutient que, dans l’exposé visé à l’article 58, le critère pour déclarer l’état d’urgence est erroné, car il renvoie à une situation à laquelle [traduction] « les provinces ou les territoires ne peuvent faire face adéquatement ». Le critère consiste plutôt à savoir s’il est impossible de faire face adéquatement à la crise sous le régime des lois fédérales ou si la situation échappe à la capacité ou aux pouvoirs d’intervention des provinces. De même, dans le mémoire recommandant le recours à la Loi, le critère est erroné, car la question qui y est posée est de savoir si les provinces ou les territoires à eux seuls pouvaient ou non faire face à la situation.

[229] Le procureur général de l’Alberta affirme que pour cette raison, le GEC s’est attardé à tort sur la question de savoir si les provinces [traduction] « faisaient adéquatement face » à la situation. Selon lui, les dossiers de preuve démontrent que la preuve dont disposait le GEC ne permettrait pas de conclure que le critère aurait été respecté s’il avait été adéquatement appliqué. Il affirme également qu’il est trompeur de prétendre, comme le fait le défendeur, que l’alinéa 3a) n’a pas pour but d’examiner les pouvoirs des provinces, mais qu’il concerne plutôt [traduction] « la question de savoir si la crise va au‐delà des frontières provinciales, ce qui empêche l’une ou l’autre des provinces de régler la crise tout entière ». Le procureur général de l’Alberta fait observer que les provinces ne peuvent agir à l’extérieur de leur territoire. Or, dans le cas qui nous occupe, en appliquant le Code criminel et avec l’aide de la GRC, à titre d’organisme provincial d’application de la loi, l’Alberta a été en mesure de faire face à la crise à Coutts sans recourir aux mesures spéciales de la Loi et avant même qu’elles soient adoptées et appliquées.

[230] Les demandeurs et le procureur général de l’Alberta s’entendent pour dire que l’intention du législateur lorsqu’il a édicté la Loi était de veiller à ce qu’elle demeure une mesure de dernier ressort et, en particulier, à ce qu’elle soit invoquée uniquement s’il est impossible de faire face à la situation sous le régime des lois fédérales en vigueur, comme ce fut finalement le cas à Coutts. Pour gérer les menaces de violence dans cette ville, la GRC a agi en vertu de mandats de perquisition délivrés conformément au Code criminel. De l’avis des demandeurs et du procureur général de l’Alberta, cet incident n’équivalait pas à une menace réellement « nationale ». Il n’y avait pas non plus de véritable problème en ce qui concerne la capacité : s’il y avait eu un danger, il aurait été possible d’y faire face sous le régime des lois fédérales en vigueur, puisque la province avait la capacité et les pouvoirs nécessaires.

[231] L’exposé visé à l’article 58 indique que la police d’Ottawa était incapable de faire appliquer la loi au centre‐ville en raison du nombre écrasant de manifestants. Toutefois, il n’apparaît pas clairement en quoi la Proclamation pouvait régler ce problème puisque le Règlement et le Décret économique n’ont pas eu pour effet d’augmenter la capacité opérationnelle de la police; selon les demandeurs, si le problème était que la police ne pouvait appliquer la loi, de nouvelles dispositions étaient inutiles.

[232] L’exposé visé à l’article 58 indique également qu’il était impossible d’obliger les remorqueuses à retirer les véhicules en Ontario. Les demandeurs soutiennent que ce problème aurait pu être réglé par des ressources militaires, car ces dernières auraient pu venir en aide à la police d’Ottawa et aider au remorquage. Toutefois, cette option a été examinée et écartée par le GII pour une raison qui est caviardée dans le procès-verbal, à la suite d’une demande fondée sur l’article 38 de la LPC qui a été accueillie par la Cour. Cette raison était valable.

[233] Selon l’exposé visé à l’article 58, un des problèmes était que, à l’extérieur de l’Ontario, la police ne pouvait contraindre les compagnies d’assurance à annuler ou à suspendre les polices d’assurance des véhicules ou des personnes désignés. Les demandeurs et le procureur général de l’Alberta soutiennent que les provinces auraient pu obtenir ce pouvoir en appliquant leur loi respective en matière d’urgence, par exemple l’Emergency Management Act, RSA 2000 c E-6.8, de l’Alberta. Selon eux, le fait que les provinces n’ont pas exercé ces pouvoirs ne signifie pas qu’elles ne pouvaient pas le faire et ne peut justifier le recours à la Loi.

[234] Le procureur général de l’Alberta affirme que les décisions des provinces de ne pas exercer les pouvoirs relevant de leur compétence n’équivalent pas à une incapacité. Le désaccord du fédéral avec les décisions des provinces de ne pas exercer ces pouvoirs ne permet pas de conclure que la situation échappait à la capacité ou aux pouvoirs des provinces ou qu’il était impossible d’y faire face adéquatement sous le régime des lois en vigueur. Les demandeurs affirment que l’existence même des pouvoirs en place porte un coup fatal à l’argument d’incapacité invoqué par le GEC. Le passage « auquel il n’est pas possible de faire face adéquatement » figurant à l’article 3 de la Loi ne peut être interprété comme signifiant « auquel nous ne ferons pas face adéquatement ».

[235] Les demandeurs et le procureur général de l’Alberta font valoir que la Loi ne permet pas au gouvernement fédéral de passer outre la décision d’un gouvernement provincial de ne pas exercer ses pouvoirs, puisque les pouvoirs d’urgence fédéraux reposent sur un fondement constitutionnel fragile. La définition de « crise nationale » prévue dans la Loi exige que les crises « transcendent » les pouvoirs provinciaux avant qu’il soit justifié de recourir aux pouvoirs d’urgence prévus par la Constitution pour maintenir la paix, l’ordre et le bon gouvernement. Par conséquent, ils soutiennent que les pouvoirs d’urgence ne peuvent être exercés qu’en cas d’incapacité véritable des provinces, et non simplement en cas d’inaction de la part des provinces. Il était déraisonnable pour le GEC de conclure que les conditions requises dans la Loi étaient réunies compte tenu de l’abondance des pouvoirs subsidiaires qui pouvaient être exercés.

[236] Le défendeur nie que le gouvernement pouvait recourir à d’autres outils législatifs pour mettre fin adéquatement aux manifestations et aux occupations qui avaient lieu partout au pays. Aucun outil législatif permettant concrètement de le faire n’a été relevé. Il était raisonnable pour le GEC de croire qu’il n’était pas possible de faire face à la situation adéquatement sous le régime d’une autre loi fédérale, comme l’exige l’article 3 de la Loi. Même si d’autres lois pouvaient s’appliquer, il était loisible au GEC de déterminer qu’elles ne permettaient pas [traduction] « de mettre fin adéquatement à la crise d’une manière sûre et en temps opportun ».

[237] Le défendeur fait valoir que la Loi n’exige pas qu’une loi soit mise à l’essai puis qu’elle se soit avérée inefficace avant que l’état d’urgence puisse être déclaré. Cela va à l’encontre de l’objet de la loi et de la condition selon laquelle la croyance doit être fondée sur des motifs raisonnables. La situation était complexe et ne cessait d’évoluer dans les jours précédant l’invocation. Le GEC doit être en mesure d’agir avant qu’il soit trop tard. Le prix de l’erreur peut être très élevé : Suresh c Canada, 2002 CSC 1, [2002] 1 RCS 3 au para 85 [Suresh].

[238] Le défendeur renvoie aux commentaires du ministre de la Justice lors de l’examen du projet de loi C-77 (la Loi) par le Comité législatif de la Chambre des communes :

Lorsque le pays fait face à une grave situation de crise, la décision d’invoquer ou non les pouvoirs d’urgence est nécessairement un exercice de jugement, ou plutôt une série d’exercices de jugement. Celle-ci dépend non seulement de l’évaluation de la situation, mais encore et surtout du jugement que l’on porte sur l’évolution possible de la situation et sur la vitesse avec laquelle elle pourrait se détériorer. Il faut porter un jugement non seulement sur ce qui s’est passé, mais aussi sur ce qui est susceptible de se produire.

De plus, au moment de prendre cette décision, il faut porter un jugement sur ce que le gouvernement est capable de faire sans pouvoirs exceptionnels et évaluer si les moyens dont il dispose sont suffisants et s’ils sont susceptibles d’être efficaces.

[239] Dans le cas qui nous occupe, le défendeur affirme que le GEC croyait pour des motifs raisonnables qu’il existait un état d’urgence et que la Cour ne devrait pas apprécier à nouveau la preuve dont disposait le Cabinet au moment des faits. Les éléments textuels, contextuels et téléologiques de la Loi appellent une grande retenue fondée sur ce qui était connu au moment des faits et raisonnablement prévisible.

[240] En ce qui concerne la question de savoir si la déclaration aurait dû préciser seulement certaines zones du Canada, le défendeur soutient que les effets des manifestations se faisaient sentir partout au Canada et qu’il n’était pas raisonnable de limiter l’application de la Loi. Par exemple, il était raisonnable pour le GEC de croire, au vu de ce qui avait été découvert à Coutts, que des acteurs semblables pouvaient se trouver sur d’autres sites de blocage ou faire partie de l’occupation à Ottawa. Lorsque la décision de recourir à la Loi a été prise, rien ne garantissait que les événements étaient isolés ou s’étaient résorbés.

(ii) Analyse et conclusion quant à l’existence d’une crise nationale

[241] Il peut être considéré irréaliste de croire que le gouvernement fédéral devrait attendre, alors que le pays est [traduction] « menacé par des situations graves et dangereuses », comme le défendeur qualifie les événements de janvier et de février 2022, que les provinces ou les territoires déterminent s’ils ont la capacité ou le pouvoir de faire face à la menace ou, dans la négative, s’ils pourraient adopter tout texte de loi qui manque à leurs régimes législatifs ou réglementaires respectifs. C’est pourtant ce que semble exiger la Loi sur les mesures d’urgence.

[242] Il n’est pas contesté que la découverte d’armes, de munitions et d’autre matériel à Coutts ait été profondément troublante et ait eu une grande influence sur le Cabinet quand est venu le moment de recommander le recours à la Loi. Tout comme la possibilité de faire des découvertes semblables ailleurs dans les autres blocages au pays.

[243] Même si les images largement diffusées de gens en train de se prélasser dans le bain tourbillon et des jeux gonflables installés à proximité de la colline parlementaire et du monument aux morts dénotent une intention inoffensive, il y avait certainement des manifestants sur place et dans les autres blocages au pays dont les desseins étaient plus malveillants. Il y avait aussi les menaces exprimées dans les médias sociaux et d’autres moyens de communication en ligne faisant état d’une volonté de résister aux efforts des policiers de démanteler les blocages existants et d’empêcher l’installation de nouveaux blocages à d’autres endroits. Il reste que les forces policières provinciales et locales à l’extérieur d’Ottawa s’occupaient d’éliminer ces menaces.

[244] Dès le début de la crise, à la fin de janvier 2022, les ministres et les représentants fédéraux et provinciaux se sont fréquemment consultés pour évaluer la situation à l’échelle du pays, comme le décrit le compte-rendu des consultations déposé devant les deux chambres du Parlement, conformément à l’article 25 de la Loi. Le premier ministre a convoqué une rencontre avec ses homologues le 14 février 2022 afin de connaître leur avis au sujet d’une éventuelle déclaration de l’état d’urgence. Tous les premiers ministres étaient présents, mais ils ne s’entendaient pas sur l’opportunité de recourir à la Loi ou de l’appliquer à l’ensemble du pays. Plusieurs appuyaient la déclaration de l’état d’urgence, tandis que d’autres estimaient qu’elle n’était pas nécessaire sur leur territoire. À mon avis, contrairement au point de vue exprimé par l’Alberta, cette rencontre a permis de satisfaire à la condition énoncée au paragraphe 25(1) de la Loi, soit que le LGEC de chaque province touchée par l’état d’urgence doit être consulté avant que soit faite une déclaration d’état d’urgence.

[245] Je conviens avec l’intimé que la Loi n’exige pas un accord unanime des provinces avant que le gouvernement fédéral puisse déclarer l’état d’urgence. La plupart des premiers ministres ont toutefois avisé le premier ministre qu’il n’était pas nécessaire de recourir à la Loi sur leur territoire puisque leurs lois et leurs forces de l’ordre suffisaient pour faire face à la situation, comme l’avait démontré, par exemple, le Québec. Parmi les provinces qui s’opposaient à la déclaration de l’état d’urgence figurait l’Alberta, où l’application des mesures pénales fédérales en vigueur et de la loi albertaine intitulée Critical Infrastructure Defence Act, SA 2020, c C-32.7, par la GRC et les autorités provinciales avait désamorcé la situation à Coutts lorsque la Loi a été invoquée.

[246] Il y a lieu de souligner que le ministre des Affaires municipales de l’Alberta avait écrit auparavant aux ministres fédéraux pour leur demander un prêt d’équipement et de personnel pour faire face au blocage frontalier à Coutts. Par ailleurs, l’ancien premier ministre du Manitoba, qui était un des opposants au recours à la Loi, a décrit officiellement la situation comme étant [traduction] « urgente ».

[247] La lettre envoyée par le premier ministre à tous ses homologues des provinces le 15 février 2022 afin d’énoncer les raisons pour lesquelles le GEC avait décidé de déclarer une urgence d’ordre public répondait à la question au sujet de l’opportunité d’appliquer la déclaration à l’échelle nationale. Cette lettre soulignait que les mesures seraient appliquées dans des zones ciblées et s’ajouteraient à l’exercice des pouvoirs provinciaux et municipaux mais ne le remplaceraient pas.

[248] Selon l’alinéa 17(2)c) de la Loi, si l’état d’urgence ne touche pas tout le Canada, la déclaration d’état d’urgence doit comporter la désignation de la zone touchée. Même si le terme « zone » figure au singulier dans le texte législatif, il s’applique, conformément au paragraphe 33(2) de la Loi d’interprétation, à la pluralité. Il était donc loisible au GEC de préciser les zones, nombreuses ou pas, qui étaient touchées par l’état d’urgence à l’exclusion d’autres zones où la situation d’urgence ne s’était pas produite ou était maîtrisée. Cependant, la Proclamation précise que l’état d’urgence « se produit dans tout le pays ». Il s’agit, à mon point de vue, d’une exagération de la situation dont le gouvernement avait connaissance à l’époque. De plus, dans la première raison avancée pour justifier la Proclamation, qui mentionnait les menaces de violence ou l’usage de la violence grave – termes repris de l’article 2 de la Loi sur SCRS –, il est mentionné sans grande précision que l’urgence existe « à différents endroits au Canada ».

[249] Je comprends que les autorités s’inquiétaient du risque que de nouveaux blocages soient mis en place à des endroits sensibles partout au pays; toutefois, selon la preuve présentée au Cabinet, ces nouveaux blocages étaient pris en charge par les autorités locales et provinciales au moyen d’arrestations et d’injonctions délivrées par les cours supérieures, sauf pour ce qui était de l’impasse à Ottawa.

[250] La lettre du premier ministre n’a pas directement abordé le critère énoncé à l’alinéa 3a) de la Loi, selon lequel la situation doit « échappe[r] à la capacité ou aux pouvoirs d’intervention des provinces ». Le 15 février 2022, ce genre de situation existait seulement en Ontario, à cause des événements qui se déroulaient à Ottawa et étaient attribuables en partie à l’incapacité des autorités provinciales et municipales à contraindre les conducteurs de remorqueuses de les aider à déplacer les véhicules ayant formé le blocage. On ne sait pas exactement pourquoi les lois provinciales n’avaient pas permis de faire face à cette situation. L’utilisation de matériel militaire lourd a été envisagée puis rejetée pour des raisons qui demeurent confidentielles, mais que j’estime valables. Il semble que rien n’ait empêché de réunir le grand nombre de policiers provenant de divers autres corps de police qui s’est avéré nécessaire finalement pour aider le SPO à déplacer les participants au blocage.

[251] L’exposé visé à l’article 58 montre que le GEC se préoccupait grandement des conséquences économiques sur le fonctionnement des postes frontaliers et sur les intérêts commerciaux internationaux. Il y est souligné que le commerce entre le Canada et les États-Unis est essentiel à l’économie ainsi qu’à la vie et au bien-être de tous les Canadiens. Les blocages et les manifestations à divers endroits le long de la frontière canado-américaine avaient déjà eu des répercussions profondes sur l’économie canadienne. L’exposé décrit en détail ces répercussions et les effets néfastes en découlant sur les relations qu’entretient le Canada avec ses partenaires commerciaux, notamment les États-Unis, lesquels effets sont préjudiciables aux intérêts du Canada.

[252] Le potentiel d’augmentation du niveau d’agitation et de violence qui menacerait davantage la sécurité des Canadiens est souligné dans l’exposé visé à l’article 58. Il est précisé dans ce document que « [l]e convoi de la liberté pourrait aussi faire monter les appuis à l’égard de l’extrémisme violent à caractère idéologique (EVCI) de même que le risque de violences graves ». L’exposé mentionne aussi l’augmentation marquée, depuis le début du convoi, du nombre et de la durée des incidents comportant des menaces de violence dont la motivation était de nature politique et idéologique. On peut y lire que le SPO a été incapable de faire appliquer la loi au centre-ville en raison du nombre écrasant de manifestants. Cette conclusion est discutable, puisqu’il semble y avoir eu d’autres raisons plus convaincantes expliquant l’incapacité du SPO de prévenir l’occupation de la ville, notamment le manque de leadership et de détermination ainsi que la conviction, erronée, que la manifestation serait de courte durée.

[253] En raison de sa nature même et des vastes pouvoirs qu’elle accorde à l’exécutif fédéral, la Loi sur les mesures d’urgence constitue une solution de dernier ressort. Le GEC ne peut recourir à cette loi parce que c’est commode de le faire ou que ce texte peut être plus efficace que les autres outils dont disposaient les provinces. Il ne s’ensuit pas qu’il est nécessaire pour les autorités d’utiliser et de mettre à l’essai chaque outil qui existe avant de conclure qu’une situation échappe à la capacité ou aux pouvoirs d’intervention des provinces. D’ailleurs, dans le cas présent, la preuve est claire que la majorité des provinces étaient en mesure de faire face à la situation en appliquant d’autres lois fédérales, comme le Code criminel, et leurs propres lois.

[254] L’exposé visé à l’article 58 conclut que les manifestations en cours ont « créé une situation critique, urgente et temporaire de portée nationale à laquelle aucune autre loi du Canada ne permet de faire face efficacement ». Je suis d’accord pour dire qu’il est évident, selon la preuve, que la situation était critique et nécessitait une solution de toute urgence de la part des gouvernements, mais les éléments de preuve ne permettent pas d’affirmer qu’il était impossible d’y faire face en recourant à d’autres lois canadiennes, comme l’avait fait l’Alberta, ni qu’elle échappait à la capacité ou aux pouvoirs d’intervention des provinces. Ce qui s’est passé au Québec et dans d’autres provinces et territoires, dont l’Ontario, hormis la situation à Ottawa, démontre le contraire.

[255] Pour ces motifs, je conclus qu’il n’y avait pas d’urgence nationale justifiant le recours à la Loi sur les mesures d’urgence et que la décision d’invoquer cette loi était donc déraisonnable et « ultra vires » de la Loi. Au cas où cette conclusion serait erronée, j’examinerai maintenant la question de la condition minimale à respecter, soit le fait qu’une déclaration d’état d’urgence doit respecter la définition énoncée à l’article 16 de la Loi.

(c) La condition applicable, c’est-à-dire l’existence de « menaces envers la sécurité du Canada », était-elle remplie?

[256] De manière générale, il était raisonnable pour le GEC de s’inquiéter des répercussions des blocages ainsi que des effets qu’avaient ces derniers sur le commerce transfrontalier et qui pourraient être considérés comme des « menaces envers la sécurité du Canada » au sens large ou, plus généralement, entrer dans la notion de « sécurité nationale ».

[257] Cette notion de « sécurité nationale » n’est pas définie en droit canadien. Dans l’arrêt Suresh, la Cour suprême du Canada a reconnu que l’expression était difficile à définir parce qu’elle repose en grande partie sur les faits et ressortit à la politique, au sens large. La Cour suprême a conclu au paragraphe 85 qu’il fallait donc favoriser une approche large et souple dans l’interprétation de cette notion et recourir à une norme de contrôle judiciaire caractérisée par la retenue.

[258] Du côté de notre Cour, après un examen rigoureux de la jurisprudence et de la doctrine, le juge Simon Noël a déclaré que la sécurité nationale « s’entend au minimum de la préservation du mode de vie canadien, notamment de la protection des personnes, des institutions et des libertés au Canada » : Canada (Procureur général) c Canada (Commission d’enquête sur les actions des responsables canadiens relativement à Maher Arar) 2007 CF 766 au para 68 [Arar].

[259] Selon une interprétation large et souple, l’expression « menaces envers la sécurité du Canada » pourrait englober les préoccupations ayant amené le GEC à déclarer une urgence d’ordre public. Si ces mots n’avaient pas été limités par renvoi à un autre texte législatif, et en appliquant une norme de contrôle judiciaire caractérisée par la retenue, j’aurais conclu que la condition minimale était remplie. Cependant, l’expression « menaces envers la sécurité du Canada » n’existe pas isolément dans la Loi et doit être interprétée en fonction de la définition de ces termes figurant à l’article 2 de la Loi sur le SCRS et intégrée à l’article 16 de la Loi.

[260] Ainsi, les « menaces envers la sécurité du Canada » définies à l’article 2 de la Loi sur le SCRS désignent quatre types d’activités, dont une seule est pertinente en l’espèce. Suivant l’alinéa 2 c), les menaces envers la sécurité du Canada sont notamment :

c) les activités qui touchent le Canada ou s’y déroulent et visent à favoriser l’usage de la violence grave ou de menaces de violence contre des personnes ou des biens dans le but d’atteindre un objectif politique, religieux ou idéologique au Canada ou dans un État étranger [...]


[Non souligné dans l’original.]

[261] La définition exclut les activités licites de défense d’une cause, de protestation ou de manifestation d’un désaccord qui n’ont aucun lien avec les activités mentionnées aux quatre alinéas, y compris l’alinéa c).

[262] La Proclamation faisait état de cinq raisons justifiant la déclaration d’une urgence d’ordre public. La première s’inspire directement du libellé de la Loi sur le SCRS. Les deuxième, troisième et quatrième se rattachent aux effets néfastes sur l’économie, les relations avec les partenaires commerciaux du Canada de même qu’à la rupture des chaînes de distribution et de la mise à disposition de ressources, de services et de denrées essentiels. La cinquième raison est liée au « potentiel d’augmentation du niveau d’agitation et de violence qui menaceraient davantage la sécurité des Canadiens ».

[263] La première raison donnée dans la Proclamation mentionne l’usage de la violence grave ou de menaces de violence contre des personnes ou des biens :

[L]es blocages continus mis en place par des personnes et véhicules à différents endroits au Canada et les menaces continues proférées en opposition aux mesures visant à mettre fin aux blocages, notamment par l’utilisation de la force, lesquels blocages ont un lien avec des activités qui visent à favoriser l’usage de la violence grave ou de menaces de violence contre des personnes ou des biens, notamment les infrastructures essentielles, dans le but d’atteindre un objectif politique ou idéologique au Canada.

[264] Selon l’exposé visé à l’article 58, « [l]es menaces envers la sécurité du Canada comprennent la menace ou le recours à des actes de violence grave à l’égard de personnes ou de biens dans le but d’atteindre un objectif politique ou idéologique ». L’exposé énonce ensuite les cinq raisons précises pour lesquelles la Proclamation est prise et explique pourquoi chacune justifie l’adoption des mesures temporaires pour faire face à la crise. En ce qui concerne la première raison :

Des incidents violents, des menaces de violence et des arrestations liées aux manifestations ont été signalés dans l’ensemble du Canada. La récente perquisition de la Gendarmerie royale du Canada dans une cache d’armes à feu comprenant une grande quantité de munitions à Coutts, en Alberta, indique que certains membres des manifestations ont l’intention de recourir à la violence. Les personnes qui adhèrent à l’extrémisme violent à caractère idéologique peuvent se sentir motivées par le niveau de désordre qu’engendrent les manifestations. Les discours violents en ligne, l’augmentation des menaces à l’égard des fonctionnaires et la présence d’extrémistes motivés par une idéologie lors des manifestations indiquent également qu’il existe un risque de violence grave et que des acteurs solitaires peuvent mener des attaques terroristes.

[265] Nul ne conteste que les activités dont il est question en l’espèce ont été menées dans le but d’atteindre un objectif politique ou idéologique au Canada. Les participants aux manifestations à Ottawa et ailleurs exigeaient clairement des changements à la politique gouvernementale. Certains sont allés plus loin en exigeant un changement de gouvernement. La question consiste à savoir si ces activités visaient à favoriser l’usage de la violence grave ou de menaces de violence, comme le requiert la définition.

(d) L’usage de la violence grave ou de menaces de violence a-t-il été établi?

(i) Argument

[266] Les demandeurs affirment que la mention de la « violence grave » dans la définition impose une condition minimale élevée. Selon eux, les actes et leurs conséquences dont il est question dans la Proclamation et qui sont décrits dans l’exposé visé à l’article 58 ne satisfont pas à la norme requise. Ils soulignent que les pertes commerciales transfrontières, par exemple, bien qu’il s’agisse d’un motif valide de préoccupation pour le gouvernement, ne peuvent raisonnablement être interprétées comme de la « violence grave ».

[267] Les demandeurs soutiennent que, au vu du dossier, le GEC ne disposait pas de renseignements concluants et dignes de foi démontrant qu’il y avait des motifs raisonnables de croire à l’existence de menaces envers la sécurité du Canada au sens de la Loi sur le SCRS lorsque la décision d’adopter la Proclamation a été prise.

[268] En fait, ils estiment que des éléments de preuve contraires ont été présentés au Cabinet : le directeur du SCRS a ainsi confirmé dans son avis au Cabinet que, selon l’organisation, les manifestations ne constituaient pas des menaces envers la sécurité du Canada. Le Cabinet, même s’il n’était pas lié par cet avis, étant donné qu’il devait examiner d’autres facteurs, aurait dû lui accorder une grande importance, d’après les demandeurs. Le procès-verbal de la rencontre du Cabinet qui s’est tenue le 13 février 2022 démontre que le conseiller à la sécurité nationale et au renseignement était davantage préoccupé par les blocages aux différents points d’entrée, par le rôle actif des médias sociaux dans la promotion des manifestations ainsi que par l’efficacité de la tactique du « déplacement lent » des véhicules. Il y était également précisé que le recours à la Loi [traduction] « galvaniserait vraisemblablement le discours anti-gouvernement » et pourrait [traduction] « entraîner une augmentation du nombre de Canadiens adhérant à une idéologie anti-gouvernementale extrême ». Selon les demandeurs, il s’agit d’une conséquence du recours à la Loi et non d’une raison pour invoquer cette dernière.

[269] La preuve au dossier montre que le conseiller à la sécurité nationale et au renseignement était censé transmettre une autre évaluation de la menace, peut-être différente de celle qu’avait préparée le SCRS, mais qu’il ne l’a jamais fait. En fait, le dernier conseil qui a été donné était le mémoire recommandant le recours à la Loi signé par le greffier du Conseil privé, que le premier ministre a décrit dans son témoignage devant la CEDU comme étant « essentiel » pour lui dans le processus décisionnel.

[270] Une grande partie du mémoire recommandant le recours à la Loi est caviardée en vertu de l’article 39 de la LPC et du secret professionnel de l’avocat. Les parties non caviardées du document décrivent la Loi, la nature de l’état d’urgence qui peut constituer une crise nationale, les mesures qui peuvent être adoptées pour faire face à la crise, sous réserve des limites imposées par la Charte, le contexte factuel ainsi que le processus menant à la décision. Il y était souligné que toutes les mesures prises en application de la Loi devaient être soigneusement circonscrites pour ne pas avoir une portée excessivement large.

[271] Le mémoire recommandant le recours à la Loi énonce le critère permettant de déclarer l’état d’urgence, y compris la définition des menaces envers la sécurité du Canada au sens de la Loi sur le SCRS. Le premier ministre y est avisé que, selon le Bureau du Conseil privé, la preuve recueillie à la date de rédaction du mémoire confirmait que les critères requis pour déclarer une urgence d’ordre public en vertu de la Loi étaient remplis. Le mémoire précise également, toutefois, que cette conclusion [traduction] « est susceptible d’être contestée ».

[272] Les demandeurs reconnaissent que la découverte d’armes et de munitions à Coutts entrait dans la définition de menaces de « violence grave ». Cependant, ils soutiennent qu’il s’agissait d’un incident unique et isolé qui ne justifiait pas le recours à la Loi à l’échelle du pays puisque, en l’absence d’événements semblables se produisant ailleurs, rien ne permettait de croire à une menace plus large envers la « sécurité du Canada »; qui plus est, de toute manière, l’incident à Coutts avait en grande partie été réglé avant l’adoption des mesures spéciales au moyen de lois fédérales en vigueur.

[273] Les demandeurs font valoir que, hormis l’incident à Coutts, il n’y avait aucune menace de violence grave. Par exemple, au 12 février 2022, la police à Ottawa n’avait procédé qu’à 26 arrestations, et aucune d’entre elles ne concernait des crimes d’une violence grave. Selon les demandeurs, il était déraisonnable de conclure dans le mémoire recommandant le recours à la Loi, sur la seule foi des événements qui s’étaient produits à Coutts, qu’il y avait [traduction] « certainement des militants au sein de ce mouvement qui [avaient] l’intention de se livrer à des actes de violence » et que la présence d’extrémistes motivés par une idéologie lors des manifestations laissait présager un risque de violence grave et la possibilité que des attaquants solitaires mènent des attaques terroristes.

[274] Les demandeurs font valoir que la norme des « motifs raisonnables de croire » exige que la croyance ait « un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi » qui supposent une probabilité raisonnable, et non simplement une possibilité, de violence : R c Beaver, 2022 CSC 54 au para 72(6) [Beaver]. Ils soutiennent que cette exigence n’a pas été respectée, puisque l’exposé visé à l’article 58 ne faisait que vaguement référence au potentiel d’augmentation du niveau d’agitation et de violence et à des « menaces [non définies] proférées en opposition aux mesures visant à mettre fin aux blocages ».

[275] Le défendeur conteste la pertinence de précédents qui, comme l’arrêt Beaver, appartiennent au droit pénal, et il soutient qu’une norme fondée sur la probabilité raisonnable ne s’applique pas en l’espèce. Il faut plutôt se demander s’il était raisonnable pour le GEC de croire qu’il possédait un fondement objectif l’amenant à conclure que les exigences préalables à la déclaration de l’état d’urgence étaient remplies : Spencer c Canada (Santé), 2021 CF 621 au para 250 [Spencer CF].

[276] Le défendeur reconnaît que l’« usage de la violence grave ou de menaces de violence contre des personnes ou des biens », qui est le critère applicable, signifie qu’il doit y avoir plus qu’une menace d’actes de violence mineurs. À son avis, il n’est pas nécessaire cependant de prouver qu’il y a eu des actes de violence concrets ou des tentatives d’user de la violence mettant en danger la vie ou la sécurité d’autrui ou encore infligeant des dommages psychologiques graves, comme l’affirment les demandeurs. La Loi, d’après le défendeur, n’exige pas une telle probabilité de risque et l’interprétation des demandeurs découlerait de la définition des « sévices graves à la personne » figurant à l’article 752 du Code criminel, qui ne s’applique pas dans le contexte en l’espèce.

[277] Le défendeur soutient également que, pour comprendre le sens des termes « violence grave » employés dans la Loi, il faut tenir compte de l’historique législatif non seulement de la Loi, mais aussi de l’alinéa 2c) de la Loi sur le SCRS. L’adjectif « grave » a été ajouté à la définition dans la Loi sur le SCRS afin d’exclure les actes mineurs de violence politique, comme le fait de lancer des tomates à des politiciens. Le défendeur soutient qu’il y a eu en l’espèce de nombreuses menaces de violence grave contre des personnes, notamment des menaces de violence mortelle à l’endroit de membres des forces de l’ordre et d’élus, sans oublier l’atmosphère générale marquée par l’intimidation, le harcèlement et l’anarchie. Selon le défendeur, la rupture des principaux réseaux d’approvisionnement en biens essentiels, en nourriture, en carburant et en médicaments dans toutes les régions du pays constituait également une menace qui aurait pu conduire à des troubles et à des actes de violence graves.

(ii) Analyse et conclusion relatives au respect de la condition minimale

[278] Il est vrai, comme le soutient le défendeur, que l’adjectif « grave » a été ajouté à la définition figurant dans la Loi sur le SCRS pour écarter les actes de violence mineurs ou les dommages matériels peu importants. Le Parlement souhaitait que la même condition minimale s’applique à la déclaration de l’état d’urgence face aux menaces ou aux actes de violence contre des personnes ou des biens.

[279] L’arrêt Suresh précise le sens de l’adjectif « grave » dans le contexte de la sécurité nationale, au paragraphe 90 :

[...] La menace doit être « grave », en ce sens qu’elle doit reposer sur des soupçons objectivement raisonnables et étayés par la preuve, et en ce sens que le danger appréhendé doit être sérieux, et non pas négligeable.

[Non souligné dans l’original.]

[280] Les préjudices réels dans le contexte de la violence ou des menaces de violence contre des personnes doivent atteindre un degré de gravité correspondant, selon moi, au moins à celui qui est envisagé dans l’expression « lésions corporelles » utilisée dans le Code criminel, où ces termes sont définis à l’article 2 comme s’entendant d’une « blessure qui nuit à la santé ou au bien-être d’une personne et qui n’est pas de nature passagère ou sans importance ». La Cour suprême a interprété cette définition de manière à ce qu’elle englobe « toute blessure physique ou psychologique qui nuit d’une manière importante à l’intégrité, à la santé ou au bien‐être physique ou psychologique du plaignant » : R c CDK, [2005] 3 RCS 668 au para 20. Je conviens avec le défendeur que la définition de la « violence grave » à l’alinéa 2c) de la Loi sur le SCRS, intégrée dans la Loi, n’exige pas les menaces de violence ou des actes de violence qui vont jusqu’à causer la mort ou à mettre en danger la vie de personnes.

[281] La violence grave contre des biens pourrait comprendre plusieurs infractions prévues au Code criminel relativement à la destruction de biens ou à des dommages matériels, visant notamment des infrastructures essentielles, infractions qui sont punissables par mise en accusation. Plus particulièrement, la destruction d’infrastructures essentielles ou des dommages causés à ces infrastructures pourraient constituer de la violence grave contre des biens s’ils entraînent la mise hors service de systèmes comme le réseau de distribution d’électricité ou l’approvisionnement en gaz naturel qui sont essentiels pour chauffer les maisons et permettre aux industries de fonctionner partout au pays. Étant donné l’absence de décisions judiciaires à l’appui de cet argument, je ne peux conclure que l’expression englobe le genre de perturbation économique causée par les blocages à la frontière, aussi préoccupants que l’étaient ces derniers. Il se peut que le Parlement envisage de réexaminer la définition donnée dans la Loi sur le SCRS, qui répond aux divers objectifs énoncés par le législateur, afin de savoir si elle vise comme il se doit les différents préjudices qui peuvent découler d’une situation d’urgence mais ne constituent pas de la « violence grave » contre des biens. Notre Cour a le devoir d’appliquer la loi comme elle est faite et non à discrétion : R c Osborn, [1971] RCS 184 à la p 190; Reyes c Canada, 2019 CAF 7 au para 9.

[282] Il y a souvent de la confusion quant à la signification de la norme des « motifs raisonnables de croire », car les tribunaux ont fréquemment utilisé l’expression « motifs raisonnables et probables » dont il est question dans l’arrêt Hunter. Cette expression était employée dans les lois pénales jusqu’à ce qu’on commence à laisser tomber les mots « et probables » dans le cadre des révisions qui ont eu lieu au milieu des années 1980 à cause de leur redondance. Elle figure encore toutefois dans certaines décisions, comme dans l’arrêt Beaver. Au paragraphe 114 de l’arrêt Mugesera, la Cour suprême du Canada a affirmé clairement que la norme des « motifs raisonnables » de croire exige davantage qu’un simple soupçon mais reste moins stricte que la norme de la prépondérance des probabilités applicable en matière civile. La croyance sera raisonnable si elle possède un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi.

[283] La décision Spencer CF, sur laquelle s’appuie le défendeur, n’apporte aucune aide dans l’analyse ici, car la disposition législative contestée dans cette décision, soit l’article 58 de la Loi sur la mise en quarantaine, LC 2005, c 20, accordait au GEC le pouvoir de prendre un décret d’interdiction s’il était d’avis que certaines conditions sont remplies, notamment le fait qu’il n’existe aucune autre solution raisonnable. La condition à remplir aux fins du contrôle judiciaire, selon le jugement de notre Cour dans la décision Spencer CF, est que l’avis du GEC, y compris le critère de l’absence d’autres solutions, doit être raisonnablement étayé par la preuve, au vu d’une norme de contrôle caractérisée par la retenue. À mon sens, c’est une norme moins stricte qu’un fondement objectif reposant sur des renseignements concluants et dignes de foi.

[284] Je conviens avec les demandeurs que l’évaluation du SCRS, selon laquelle il n’y avait aucune menace envers la sécurité du Canada au sens de l’alinéa c), mérite qu’on lui accorde un certain poids. Les parties s’entendaient pour dire que cette évaluation ne permet pas de trancher si le GEC était justifié ou non d’invoquer la Loi. Le fait que le directeur du SCRS a ultimement souscrit à la décision de recourir à la Loi n’est pas non plus déterminant. Le Cabinet pouvait consulter d’autres sources d’information pour savoir si la définition des « menaces envers la sécurité nationale » était respectée. Lorsqu’il s’est acquitté de ses obligations, le GEC n’était pas tenu de se limiter au renseignement colligé par le SCRS et n’était pas non plus lié par l’analyse qui en avait été faite par l’organisation.

[285] Quel poids aurait dû recevoir l’évaluation du SCRS? J’ai exprimé mon doute à l’audience quant à l’opportunité de lui accorder un poids important. La définition des « menaces envers la sécurité du Canada » dans la Loi sur le SCRS a été élaborée à des fins différentes : elle visait à limiter les activités du nouveau service de sécurité et devait servir de condition préalable à l’exercice de ses pouvoirs d’enquête non intrusifs et à sa capacité d’obtenir un mandat pour prendre des mesures plus intrusives. Elle n’a pas été conçue pour l’application de la Loi sur les mesures d’urgence.

[286] Durant l’étude du projet de loi C-77 édictant la Loi, la définition donnée dans la Loi sur le SCRS présentait l’avantage d’avoir été examinée et adoptée par le Parlement peu de temps auparavant, puis elle avait été écartée du projet de loi en réponse aux préoccupations liées à sa portée trop large et au risque qu’elle englobe des menaces ou des actes de violence mineurs. Ce choix a eu pour effet de hausser le critère que doit respecter le GEC avant de pouvoir déclarer l’état d’urgence. Le GEC devait ainsi avoir des motifs raisonnables de croire que les menaces à la sécurité du Canada décrites à l’article 2 de la Loi sur le SCRS existaient.

[287] Notre Cour souscrit probablement au point de vue que ceux qui estiment qu’une définition conçue pour limiter les mesures d’enquête du service de sécurité ne peut adéquatement servir de critère au GEC justifiant le recours à des pouvoirs d’urgence. Surtout dans les cas où il peut y avoir d’autres motifs valables de déclarer l’état d’urgence, notamment les raisons qui sont décrites dans la Proclamation et l’exposé visé à l’article 58. Or la Cour ne peut réécrire la loi et doit interpréter la définition telle qu’elle est rédigée.

[288] Le Cabinet se trouvait dans cette même position lorsqu’il examinait les moyens de faire face aux événements qui se déroulaient en février 2022. Il devait se demander si le critère établi par le législateur était rempli. Existait-il des motifs raisonnables de croire que les gens qui manifestaient à Ottawa et ailleurs au Canada s’étaient livrés à des activités visant à favoriser l’usage de la violence grave ou de menaces de violence contre des personnes ou des biens ? Ces motifs, comme je l’ai précisé plus haut, constituent une norme objective qui « [s’apparente] davantage aux décisions des tribunaux judiciaires et [est régie] par le droit et non par des questions de politique générale » : Entertainment Software, au para 34. Bien que la décision finale d’invoquer la Loi soit hautement discrétionnaire, celle de savoir si les conditions objectives prévues par la loi ont été remplies ne l’est pas et ne commande aucune retenue particulière; elle ouvre la porte à une seule interprétation raisonnable de la disposition législative en cause : Mason, au para 71.

[289] Le greffier avait mis en garde le premier ministre en précisant que la conclusion tirée par le BCP, soit que les critères permettant la déclaration d’état d’urgence avaient été remplis, était [traduction] « susceptible d’être contestée ». Cette mise en garde était appropriée, à mon avis, puisque l’analyse faite par le BCP ne s’appuyait pas sur une preuve abondante. Elle reposait principalement sur ce qui avait été mis au jour à Coutts, en Alberta, dans le cadre de l’exécution de mandats de perquisition par la GRC ayant permis de découvrir des armes à feu, des munitions et des indices de la présence d’extrémistes de droite.

[290] L’exposé visé à l’article 58 fait état « des incidents violents, des menaces de violence et des arrestations liées aux manifestations [qui] ont été signalés dans l’ensemble du Canada ». Ces événements étaient cependant vagues et indéterminés, sauf pour ce qui est des menaces proférées contre les conducteurs de remorqueuses qui apporteraient leur aide à la police. La teneur des menaces en question n’est pas claire. Le seul exemple précis de menaces de violence grave s’est produit à Coutts. Les arrestations effectuées en lien avec les manifestations peuvent sans doute constituer la preuve d’activités visant à favoriser l’usage de la violence grave ou de menaces de violence contre des personnes ou des biens, mais ces arrestations – sauf celles qui concernent Coutts – semblent toutes se rattacher à des infractions mineures. Il n’y avait pas encore eu d’usage réel de violence grave ou de menaces de violence concrètes ailleurs qu’à Coutts quand la décision a été prise. Le premier ministre l’a reconnu dans son témoignage devant la CEDU :

[traduction]
[...] et jusque-là il n’y avait pas eu d’actes graves de violence, c’était une très bonne chose, mais on ne pouvait pas dire qu’il n’y avait pas de potentiel pour une telle violence grave [...]

(Dossier du défendeur, à la p 90, citant la transcription de la CEDU à la p 53.)

[291] Un grand nombre d’hypothèses étaient formulées quant à ce qui se produirait si on ne mettait pas fin aux manifestations. Cette incertitude a été mentionnée à plusieurs reprises par le ministre de la Sécurité publique durant son témoignage à la CEDU. C’est ce qu’il exprime, par exemple, aux pages 77-78 de la transcription, en ce qui concerne la situation à Coutts :

[traduction]
Alors, ma crainte, ma plus grande crainte, c’est que si cette opération ne s’était pas déroulée de façon pacifique, elle aurait pu déclencher d’autres actes de violence avec des armes à feu ailleurs au pays.

[...]

Ce qui m’inquiétait, c’est que cette information était très sensible. Elle impliquait une cellule formée d’éléments radicalisés. Des armes à feu étaient en jeu. Elle pouvait comporter un symbolisme idéologique. En plus, si cette opération visant à arrêter les personnes en cause ne se déroulait pas rondement, sans accrochage et de manière pacifique, elle pouvait provoquer une réaction en chaîne ailleurs au pays, parce qu’on nous avait signalé la présence d’armes à feu.

[292] Le risque de violence grave, ou l’incapacité d’affirmer que ce risque n’existait pas, constituait, de toute évidence, une source valable de préoccupation. À mon avis, toutefois, il ne répond pas au critère nécessaire pour justifier le recours à la Loi, particulièrement en l’absence de toute preuve de la présence [traduction] « d’éléments radicalisés » ailleurs au pays, ce qui était alors seulement hypothétique, et du fait que la situation à Coutts s’était résolue sans violence.

[293] Une bonne partie de l’exposé visé à l’article 58 est consacrée aux effets néfastes des blocages sur l’économie canadienne. Le lien le plus solide avec des activités qui visent à favoriser l’usage de la violence grave ou de menaces de violence contre des personnes ou des biens est établi dans la section où est expliquée la cinquième raison énoncée dans la Proclamation – soit le potentiel d’augmentation du niveau d’agitation et de violence qui menacerait davantage la sécurité des Canadiens. Cette section mentionne que le convoi de la liberté pourrait aussi faire monter les appuis à l’égard de l’extrémisme violent à caractère idéologique. Elle décrit d’autres événements de protestation contre les mesures de santé publique et d’autres manifestations au Québec et dans la région atlantique ainsi que la situation à Ottawa.

[294] Il est vrai que tous ces événements sont préoccupants, mais la preuve en dossier ne permet pas de conclure que le convoi avait créé une situation découlant d’un concours de circonstances critiques à caractère d’urgence et de nature temporaire à laquelle il n’était pas possible de faire face adéquatement sous le régime des lois du Canada. Les événements qui se sont déroulés à Coutts avaient été résolus par la GRC au moyen des dispositions du Code criminel. La Sûreté du Québec avait fait face aux manifestations sur le territoire québécois, et le premier ministre de la province avait exprimé son opposition au recours à la Loi au Québec. Sauf pour ce qui est de la situation à Ottawa, la preuve ne montre pas que les forces policières locales n’étaient pas en mesure de faire face aux manifestations.

[295] La ville d’Ottawa se trouvait dans une position unique, parce qu’il était clair que le SPO avait été incapable de faire appliquer la loi au centre-ville en raison, en partie au moins, du nombre de manifestants et de véhicules. Le harcèlement à l’endroit des résidants, des travailleurs ainsi que des propriétaires d’entreprises au centre-ville d’Ottawa de même que l’atteinte en général au droit de jouir paisiblement des espaces publics dans le secteur, même s’ils étaient hautement répréhensibles, ne constituaient pas des actes ou des menaces de violence grave.

[296] Il ne s’ensuit pas que les autres raisons justifiant le recours à la Loi qui sont précisées dans la Proclamation ne sont pas valables. De fait, je suis persuadé que ces raisons auraient permis de satisfaire au critère des « menaces envers la sécurité du Canada » si cette expression n’avait pas été définie par le législateur. Comme il est énoncé dans l’arrêt Suresh et la décision Arar, ces mots peuvent être interprétés suivant une approche large et souple qui pouvait englober les préjudices causés au Canada par les actes des participants aux blocages. En revanche, le critère justifiant de déclarer l’état d’urgence en vertu de la Loi exige que chaque condition soit remplie, y compris la définition importée de la Loi sur le SCRS. Les préjudices causés à l’économie et aux échanges commerciaux du Canada étaient très concrets et préoccupants, mais ils ne constituaient pas des menaces ou l’usage de la violence grave contre des personnes ou des biens.

[297] Pour ces raisons, je suis également convaincu que le GEC n’avait pas de motifs raisonnables de croire qu’il existait une menace à la sécurité nationale au sens de la Loi, et sa décision est donc « ultra vires ».

C. Les pouvoirs créés par le Règlement et le Décret économique contrevenaient-ils aux alinéas 2b), c) ou d) ou aux articles 7 ou 8 de la Charte et, dans l’affirmative, cette atteinte pouvait-elle être justifiée au regard de l’article premier?

[298] Les demandeurs soutiennent que, indépendamment du caractère raisonnable de la Proclamation, le Règlement et le Décret économique ont porté atteinte aux droits et libertés qui leur sont garantis par la Charte, aux articles 2, 7 et 8, et ne pouvaient se justifier au regard de l’article premier.

[299] Le défendeur leur oppose que la Charte n’a pas été violée et que les mesures extraordinaires étaient de toute façon justifiées.

[300] Comme je l’ai indiqué plus haut, la norme de contrôle visant la décision du GEC d’adopter des mesures extraordinaires est celle de la décision raisonnable : Vavilov, au para 57. En l’espèce, le législateur a énoncé au paragraphe 19(1) de la Loi, disposition qui autorise l’adoption des mesures extraordinaires contestées, un critère hybride qui est à la fois subjectif et objectif, soit le fait de « [croire], pour des motifs raisonnables [...] ». En autorisant la prise de décrets ou de règlements concernant les assemblées publiques, la Loi fixe une condition objective supplémentaire en ajoutant les termes « dont il est raisonnable de penser qu’elles auraient pour effet de troubler la paix [...] »

[301] Il est clair à la lumière du compte rendu des délibérations au Cabinet et du mémoire recommandant le recours à la Loi que le GEC savait que la Loi cherchait à préserver et à protéger les droits fondamentaux énoncés dans la Charte, même dans les situations très difficiles.

(a) L’article 2

[302] Selon les demandeurs, le Règlement a violé les libertés fondamentales garanties à l’article 2 de la Charte. Plus précisément, ils estiment que l’interdiction de participer à une assemblée publique énoncée à l’article 2 du Règlement, celle de se déplacer à destination d’une zone où se tient une assemblée publique et celle de fournir des biens, qui figurent respectivement aux articles 4 et 5, ont pour effet de restreindre des formes fondamentales et essentielles de participation démocratique et portent atteinte aux libertés d’expression, de réunion pacifique et d’association.

(i) La liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression

[303] Les demandeurs font valoir que les articles 2, 4 et 5 du Règlement briment leur liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, liberté qui leur est garantie à l’alinéa 2b) de la Charte, de plusieurs façons correspondant à ce qui est décrit dans l’arrêt Irwin Toy Ltd c Québec (Procureur général), [1989] 1 RCS 927 à la p 978 :

  1. Toutes les activités visées par le Règlement sont expressives d’une manière qui touche à l’essence de la liberté en question, soit le droit de protester contre l’action gouvernementale (Figueiras v Toronto (Police Services Board), 2015 ONCA 208 au para 69);

  2. La méthode ou le lieu qui sont choisis pour l’activité expressive n’écartent pas celle-ci du champ d’application de la liberté garantie, car les manifestations étaient principalement de nature pacifique et se déroulaient souvent dans des rues publiques;

  3. Les interdictions énoncées dans le Règlement avaient pour objectif et ont eu pour effet de restreindre la liberté d’expression, et elles avaient été conçues pour empêcher toute manifestation.

[304] Le défendeur prétend qu’il n’y a pas eu d’atteinte aux libertés garanties à l’alinéa 2b) de la Charte, parce que des activités néfastes comme la violence, les menaces de recourir à la violence et les réunions non pacifiques ne sont pas protégées : R c Khawaja, 2012 CSC 69 aux para 67, 70. Le Règlement n’interdit que les assemblées publiques dont il est raisonnable de penser qu’elles auraient pour effet de troubler la paix en entravant la circulation des personnes ou des biens, en entravant gravement le commerce ou le fonctionnement d’infrastructures essentielles ou bien en favorisant l’usage de la violence grave ou de menaces de violence. Ces actes ne bénéficient d’aucune protection constitutionnelle et peuvent être l’objet de restrictions raisonnables.

[305] En réponse, les demandeurs font valoir que l’argument selon lequel les manifestations ne sont pas protégées parce qu’il est raisonnable de penser qu’elles auraient pour effet de troubler la paix apporte une restriction inédite aux droits énoncés à l’alinéa 2b) puisque la seule limite découlant du texte même, à ce jour, se rattache à la violence : R c Keegstra, 3 RCS 697 au para 731. En outre, selon les demandeurs, le champ d’application du Règlement dépasse la menace ou des actes de violence grave puisqu’il comprend la simple entrave.

[306] Les manifestations sont fondamentalement perturbatrices et bénéficient de la protection constitutionnelle en tant qu’expression politique protégée qui représente un aspect fondamental de la garantie de liberté d’expression : Harper c Canada (Procureur général), 2004 CSC 33 aux para 47 et 66 [Harper 2004].

[307] Les demandeurs affirment aussi que le Règlement a eu pour effet de criminaliser la présence aux manifestations quelle qu’elle soit, peu importe que la personne ait participé ou non à l’acte qui a troublé la paix. En criminalisant ainsi l’ensemble des manifestations, le Règlement a limité la liberté d’expression des manifestants qui souhaitaient exprimer leur insatisfaction face aux politiques gouvernementales mais qui n’avaient pas l’intention de participer aux blocages.

[308] Je conviens avec les demandeurs que la portée du Règlement est trop large puisque les dispositions pouvaient s’appliquer à quiconque voulait simplement se joindre à la manifestation en brandissant des affiches sur la colline parlementaire. Nul ne laisse entendre que toute personne serait visée par les mesures d’application de la loi prises par les forces policières. Cependant, il reste que n’importe quel manifestant pouvait être l’objet de mesures d’application de la loi, à l’instar de ceux qui avaient immobilisé leurs camions sur la rue Wellington et qui se comportaient d’une manière dont il était raisonnable de penser qu’elle troublerait la paix.

[309] Un des aspects de la liberté d’expression est le droit de s’exprimer dans certains endroits publics, lesquels sont devenus, par tradition, des lieux où l’expression est protégée : Montréal (Ville) c 2952-1366 Québec Inc, 2005 CSC 62 au para 61. Les manifestants pacifiques qui ne participaient pas aux actes de ceux qui troublaient la paix ont donc subi une atteinte à leur liberté d’expression.

(ii) La liberté de réunion pacifique

[310] Similairement, les demandeurs soutiennent que l’interdiction de participer à une assemblée publique et celle de se rendre à destination d’une zone où se tenait une assemblée publique violaient l’alinéa 2c) de la Charte, qui protège la liberté de réunion pacifique. L’interdiction de participer à une assemblée publique s’applique à n’importe quelle réunion susceptible de troubler la paix, aux yeux des demandeurs, de sorte qu’elle empêche toute assemblée avant qu’elle se produise et avant qu’elle devienne une assemblée non protégée par l’alinéa 2c).

[311] Le défendeur fait valoir que l’alinéa 2c) n’a pas été violé parce que le Règlement [traduction] « n’interdisait pas toutes les manifestations antigouvernementales, seulement celles qui étaient susceptibles de troubler la paix ». En outre, le Règlement a été soigneusement adapté et comporte des exceptions, de sorte qu’il ne s’appliquait pas à la personne qui réside ou travaille dans la zone de l’assemblée pour des motifs autres que de prendre part ou de faciliter une réunion non pacifique. La décision d’adopter les mesures extraordinaires nécessite une intervention judiciaire caractérisée par la retenue, particulièrement lorsque l’enjeu est complexe, et les mesures en question doivent faire partie des solutions raisonnables.

[312] Je constate que le sous-alinéa 19(1)a)(i) de la Loi autorise expressément la prise de décrets ou de règlements qui interdisent « des assemblées publiques dont il est raisonnable de penser qu’elles auraient pour effet de troubler la paix ». Il s’agit d’un libellé anticipatoire Le législateur permet clairement l’adoption de mesures extraordinaires pour empêcher les assemblées publiques susceptibles de troubler la paix. La preuve amène effectivement à conclure que la décision d’installer des blocages et d’immobiliser d’énormes camions pour occuper le centre-ville de la capitale nationale et d’autres grands centres, dont les points d’entrée transfrontaliers, tombe sous le coup du texte habilitant.

[313] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que [traduction] « les assemblées impliquant le recours à la force physique qui prennent la forme d’occupations de longue durée ou sans issue de l’espace public et qui entravent la capacité des résidents locaux de vaquer à leurs occupations quotidiennes dans le but d’obtenir par la contrainte l’adhésion aux objectifs des manifestants ne bénéficient pas de la protection constitutionnelle ».

[314] Il n’y a donc pas eu, selon moi, d’atteinte au droit de réunion pacifique protégé par la Charte.

(iii) La liberté d’association

[315] Pour ce qui est de l’alinéa 2 d) de la Charte, les demandeurs soutiennent que l’interdiction de participer à une assemblée publique et celle de se rendre dans une zone où se déroule une assemblée violent leur liberté d’association, qui sert à protéger les gens « s’unissant pour réaliser des objectifs communs » et à « leur permettre de réaliser collectivement ce qu’ils ne pourraient pas accomplir seuls » : Association de la police montée de l’Ontario c Canada (Procureur général), 2015 CSC 1 aux para 58 et 62. En interdisant à des personnes de se rencontrer et de s’unir afin de protester puis en décourageant la poursuite collective d’objectifs communs, le Règlement attaque un aspect fondamental de cette liberté.

[316] Le défendeur soutient que les demandeurs interprètent mal la nature de la protection constitutionnelle. En effet, la liberté d’association protège seulement la nature associative des activités, comme la liberté de former et de maintenir une association, non pas l’activité elle-même : Harper 2004, au para 125.

[317] À mon avis, les mesures extraordinaires adoptées pour faire face à l’occupation du centre-ville d’Ottawa et aux blocages érigés à d’autres endroits n’ont pas porté atteinte à la liberté d’association des participants. Ceux-ci étaient libres de communiquer afin de poursuivre la réalisation collective de leurs objectifs et de former l’organisation qu’ils jugeaient nécessaire à cette fin ailleurs. Je conclus qu’il n’y a pas eu violation de l’alinéa 2 d) de la Charte.

(b) L’article 7

[318] L’article 7 de la Charte garantit le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il dispose également qu’il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

[319] Le paragraphe 10(2) du Règlement a créé des pénalités pour tout manquement aux mesures extraordinaires. La déclaration de culpabilité par procédure sommaire peut entraîner une amende maximale de 500 $ et un emprisonnement maximal de six mois, tandis que la déclaration de culpabilité par mise en accusation s’assortit d’une amende maximale de 5 000 $ et d’un emprisonnement maximal de cinq ans.

[320] Les demandeurs se reportent à l’arrêt R c Heywood, [1994] 3 RCS 761 à la p 794 [Heywood] pour affirmer que cette disposition énonçant une infraction punissable par un emprisonnement fait entrer en jeu le droit à la liberté protégé par l’article 7 de la Charte et qu’elle avait une portée excessive en raison des lieux qu’elle vise. Le paragraphe 10(2) exposait n’importe qui au Canada à une peine pour avoir contrevenu au Règlement, peu importe que la personne se soit trouvée présente ou non à l’endroit où se déroulaient les manifestations. Il y a portée excessive « lorsqu’une disposition s’applique si largement qu’elle vise certains actes qui n’ont aucun lien avec son objet » : Canada (Procureur général) c Bedford, 2013 CSC 72 au para 112.

[321] Les demandeurs estiment que le fait que personne n’ait été vraiment inculpé n’est pas pertinent : c’est la portée excessive de la disposition attaquée qui met en jeu l’article 7 et non pas sa mise en œuvre. L’atteinte au droit à la liberté qui est garanti à l’article 7 peut se fonder sur des hypothèses raisonnables qui ne se sont pas encore matérialisées : R c Hills, 2023 CSC 2 au para 70. Les demandeurs soutiennent que le problème au regard de l’article 7 n’est pas atténué du fait que le Règlement a été en vigueur pendant seulement neuf jours et qu’il n’a jamais été appliqué en dehors des « zones rouges ». Durant ces neuf jours, il s’est appliqué à des endroits où aucune manifestation liée au convoi ne s’était déroulée ou n’était prévue. En conséquence, la portée du Règlement était excessive.

[322] Le défendeur estime que la portée du Règlement n’est pas excessive et soutient qu’il n’est pas approprié de citer l’arrêt Heywood puisque la disposition du Code criminel en cause dans cette affaire visait de nombreux endroits où la conduite interdite ne pouvait pas se produire. En l’espèce, il y avait des blocages et des occupations à l’échelle du Canada. Qui plus est, le Règlement n’interdisait qu’une gamme étroite et définie d’activités, et l’interdiction a été en vigueur pendant seulement neuf jours. Le Règlement a donc été conçu de manière à restreindre les droits constitutionnels dans la seule mesure raisonnablement nécessaire pour régler les problèmes.

[323] Il est probable que le Cabinet et le GEC, lorsqu’ils ont dû déterminer la portée appropriée du Règlement, s’inquiétaient du risque d’être confrontés à ce qui pourrait devenir un jeu de chaises musicales où, dès qu’une situation de blocage ou d’occupation prenait fin, il en surgirait une autre à un endroit différent. La preuve montre qu’il y a eu des tentatives de causer des entraves semblables à celles du convoi dans d’autres lieux, comme au centre-ville de Toronto, à d’autres postes frontaliers et au Québec.

[324] À première vue, l’application de mesures temporaires dans tout le pays, même dans les endroits où il n’y avait eu aucune entrave, peut sembler excessive. Toutefois, une partie qui invoque une violation de l’article 7 doit prouver non seulement que la loi attaquée porte atteinte à sa vie, à sa liberté ou à la sécurité de sa personne, ou l’en prive, ce que les lois font tout le temps, mais aussi que la privation en cause n’est pas conforme aux principes de justice fondamentale : Carter c Canada (Procureur général) 2015 CSC 5 au para 55. En l’espèce, la privation a été de nature temporaire et pouvait être soumise à un contrôle judiciaire, comme le démontre la présente instance. Par conséquent, je ne suis pas prêt à conclure que l’article 7 a été violé.

(c) L’article 8

[325] L’article 8 dispose que « [c]hacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives ». Pour ne pas être abusive, une fouille ou une perquisition doit être autorisée par la loi, la loi elle‐même doit n’avoir rien d’abusif, et la fouille ou la perquisition ne doit pas être effectuée d’une manière abusive : R c Caslake, [1998] 1 RCS 51 au para 10 citant R c Collins, [1987] 1 RCS 265 et Hunter.

[326] La question à trancher en l’espèce, selon les demandeurs, est celle de savoir si la loi autorisant la fouille ou la perquisition, c’est-à-dire le Décret économique, était raisonnable ou abusive. À leur avis, une loi ne sera pas abusive si elle met en balance de façon raisonnable l’importance de l’objectif de l’État et l’incidence de la mesure sur le droit à la vie privée : R c Rodgers, 2006 CSC 15 au para 27.

[327] Une disposition raisonnable autorisant une fouille ou une perquisition doit créer un système 1) d’autorisation préalable 2) accordée par un tiers neutre extérieur à l’enquête qui 3) détermine selon la norme des « motifs raisonnables et probables de croire » qu’une infraction a été commise et que des éléments de preuve se trouvent à l’endroit de la fouille ou de la perquisition : Hunter, aux pp 160 à 168. Comme je l’ai précisé plus haut, les termes « et probables » ont été supprimés de la plupart des dispositions pertinentes du Code criminel, mais la norme reste la même.

[328] Les demandeurs font valoir que deux dispositions du Décret économique contreviennent à l’article 8 de la Charte. Premièrement, le paragraphe 2(1) autorisait les institutions financières à geler les actifs de toute personne désignée, ce qui constitue une saisie au sens de l’article 8 de la Charte. Deuxièmement, l’article 5 obligeait les institutions financières à communiquer des données privées à la GRC et au SCRC, notamment les sommes que possédaient les personnes désignées et la manière dont l’argent était dépensé, ce qui équivaut à une fouille ou à une perquisition d’après les demandeurs.

[329] Les demandeurs soutiennent que la recherche de données privées auprès d’entités non étatiques par les autorités gouvernementales constitue une fouille ou une perquisition par l’État visée à l’article 8 de la Charte : R c Spencer, 2014 CSC 43 au para 6 [Spencer CSC]; R c Marakah, 2017 CSC 59 au para 19, [Marakah]. Les « personnes désignées » dont les renseignements personnels ont été fournis par la GRC aux institutions financières avaient une attente raisonnable au respect de leur vie privée à l’égard de l’objet de la fouille ou de la perquisition, savoir leurs données financières privées et leurs relevés d’opérations. Les tribunaux ont jugé que des attentes raisonnables en matière de vie privée se rattachaient aux documents détenus par des fournisseurs de services Internet, même si ces derniers n’exercent pas de contrôle direct sur les documents en question : Spencer CSC au para 66. Une recherche peut aussi révéler des détails sur les choix ou le mode de vie personnels d’une personne : Marakah, aux para 31-32; R c Patrick 2009 CSC 17 au para 32.

[330] En l’espèce, selon les demandeurs, le Décret économique obligeait les banques à communiquer une grande quantité de renseignements sur la situation financière d’une personne désignée et sur l’utilisation que celle-ci faisait de son argent, et ces renseignements étaient susceptibles de révéler des détails les plus intimes sur la vie d’une personne.

[331] Le défendeur affirme que le Décret économique n’autorisait aucune activité assimilable à une « saisie » au sens de l’article 8 de la Charte. Au soutien de cet argument, il a cité l’arrêt Québec (Procureur général) c Laroche, 2002 CSC 72 aux para 52-53 [Laroche].

[332] Cet arrêt portait sur une ordonnance de blocage et des mandats de saisie de véhicules qui avaient été décernés en vertu du Code criminel à la suite d’irrégularités dans les dossiers d’assurance relatifs aux véhicules. La validité de l’ordonnance de blocage et des mandats a été confirmée par la Cour suprême. Au paragraphe 52 de l’arrêt Laroche, le juge LeBel, au nom de la majorité, a défini la saisie visée à l’article 8 de la Charte en se reportant à des arrêts antérieurs. Selon l’arrêt R c Dyment, [1988] 2 RCS 417 à la p 431 [Dyment], « il y a saisie au sens de l’art. 8 lorsque les autorités prennent quelque chose appartenant à une personne sans son consentement ». De même, dans l’arrêt Thomson Newspapers Ltd c Canada (Directeur des enquêtes et recherches, commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 RCS 425 à la p 493 [Thomson Newspapers], la Cour suprême a déclaré qu’une saisie « s’entend de l’appropriation par un pouvoir public d’un objet appartenant à une personne contre le gré de cette personne ».

[333] Au paragraphe 53 de l’arrêt Laroche, le juge LeBel a analysé les limites à la portée du mot « saisie », qui se rattachent au contexte dans lequel le procédé (l’appropriation d’un objet appartenant à une personne sans son consentement) est exécuté. Ces limites étaient nécessaires, aux yeux du juge LeBel, pour éviter d’élargir la portée de la protection constitutionnelle à des droits de propriété qui ne sont pas garantis par la Charte. Afin d’appuyer cette interprétation, le juge LeBel cite un texte qui énonce ce qui suit :

[traduction]

En particulier, lorsqu’un bien est confisqué par l’État autrement que dans le cadre d’une enquête administrative ou criminelle, il n’y a pas « saisie » au sens de la Charte.

SC Hutchison, JC Morton et MP Bury, Search and Seizure Law in Canada, aux pp 2-5.

[334] Il s’agit là du fondement de la thèse du défendeur suivant laquelle il n’y a pas eu de « saisie » des comptes bancaires gelés. J’éprouve énormément de difficultés à adhérer à cette thèse, comme je l’ai précisé à l’audience. Même si l’article 8 de la Charte a pour but de protéger les droits à la vie privée et non pas le droit de propriété, l’action de l’État qui empêche le titulaire d’un compte bancaire de pouvoir disposer de son argent constituerait, pour la plupart des gens, une « saisie » de ce compte bancaire au sens défini dans les arrêts précités Dyment et Thomson Newspapers. Par ailleurs, je suis convaincu que la communication de renseignements à la GRC par les institutions bancaires au sujet des comptes bancaires et des cartes de crédit de « personnes désignées » équivaut à une « saisie » de ces renseignements par l’État. Les documents financiers font partie d’un « ensemble de renseignements biographiques d’ordre personnel que les particuliers pourraient, dans une société libre et démocratique, vouloir constituer et soustraire à la connaissance de l’État » : R c Plant, [1993] 3 RCS 281 à la p 293; voir également Schreiber c Canada (Procureur général), [1998] 1 RCS 841 au para 22 [Schreiber]. Les renseignements relatifs aux comptes bancaires et aux cartes de crédit peuvent révéler des détails personnels sur la situation financière et les choix de la personne concernant son mode de vie : Schreiber, au para 55. Par conséquent, MM. Cornell et Gircys possédaient de grandes attentes quant au respect de leur vie privée à l’égard de leurs documents financiers et bénéficiaient à cet égard de la protection de l’article 8 de la Charte.

[335] Les demandeurs font valoir également que l’article 5 du Décret économique ne satisfaisait pas aux critères d’une fouille ou perquisition raisonnable en l’absence d’une autorisation préalable ou de l’intervention d’un tiers neutre, comme un juge. L’existence de motifs raisonnables justifiant la fouille ou la perquisition n’était pas exigée non plus.

[336] Les institutions financières étaient tenues de communiquer l’information « sans délai » dès qu’elles croyaient qu’une personne était une personne désignée. Le Décret économique n’a pas défini la norme régissant cette croyance et ne donne aucune directive à ce sujet. Il s’ensuit qu’il n’existait pas, suivant l’argument des demandeurs, de fondement suffisant pour empiéter sur une attente en matière de vie privée : R c MacKenzie, 2013 CSC 50 au para 41.

[337] Selon la preuve, des noms ont été transmis aux institutions financières par la GRC et cette information a été jugée suffisante pour exiger la communication des renseignements à la police. L’absence de toute norme objective a été confirmée par le surintendant Beaudoin, qui supervisait la mise en œuvre du Décret économique. M. Beaudoin a en effet reconnu en contre-interrogatoire que la GRC n’avait pas appliqué de norme fondée sur des motifs raisonnables de croire ou de soupçonner, étant donné qu’il lui suffisait d’avoir une [traduction] « simple croyance ».

[338] Les demandeurs soutiennent que le procédé choisi n’est pas comparable au régime établi dans la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, LC 2000, c 17, qui oblige des entités à déclarer toute opération douteuse au Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (le CANAFE), organisme indépendant servant d’intermédiaire entre les institutions financières et les organismes chargés de l’application de la loi. En retour, le CANAFE transmet l’information à la police seulement dans des situations précises et s’il a « des motifs raisonnables de soupçonner ». D’après les demandeurs, les institutions financières jouaient en réalité le rôle de représentants de la police et pouvaient dès lors être considérées « comme faisant partie du gouvernement » : R c Buhay, 2003 CSC 30 au para 25. Par conséquent, soutiennent-ils, le Décret économique était abusif et contraire à l’article 8.

[339] Le défendeur concède que les fouilles et perquisitions autorisées par les articles 5 et 6 du Décret économique mettaient en jeu l’article 8 de la Charte. Par contre, les fouilles et perquisitions envisagées étaient raisonnables à cause de leur portée limitée, de leur durée et de leurs objectifs précis. En outre, comme elles n’étaient pas de nature pénale, les normes applicables au regard de l’article 8 sont plus souples, de sorte que la Cour doit axer son analyse sur l’objet visé par la fouille ou la perquisition en cause. L’incidence des fouilles et perquisitions réalisées en vertu des articles 5 et 6 sur le droit à la vie privée des personnes touchées était proportionnelle à l’objectif important qui était visé, soit faire face à une urgence d’ordre public, et ces fouilles et perquisitions étaient donc compatibles avec la Charte.

[340] En obligeant les institutions financières à agir suivant les instructions de la GRC, le Décret économique en avaient fait concrètement des autorités subordonnées de l’État, ce qui emportait l’application de l’article 8 de la Charte : Godbout c Longueuil (City), [1997] 3 RCS 844 au para 53. Même si les institutions financières étaient des entités privées et, en conséquence, qu’elles étaient exclues du champ d’application de la Charte, l’activité en question peut être attribuée au gouvernement. L’acte était vraiment « de nature gouvernementale » : il s’agissait de mettre en œuvre les mesures temporaires adoptées par le GEC, de sorte que les banques et les autres fournisseurs de services financiers devenaient assujettis à l’article 8 de la Charte en ce qui a trait à cet acte : Eldridge c Colombie-Britannique (Procureur général), [1997] 3 RCS 624 au para 44.

[341] À mon avis, l’omission d’appliquer une norme objective quelconque au gel des comptes portait atteinte au droit protégé à l’article 8. Je dois analyser cette atteinte au regard de l’article premier pour savoir si elle était justifiée dans les circonstances.

(d) L’article premier

[342] Il incombe à la partie qui cherche à apporter une restriction aux droits et libertés énoncés dans la Charte de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que cette restriction est justifiée : R c Oakes, [1986] 1 RCS 103 aux para 66-67. À cette fin, elle doit satisfaire à deux critères fondamentaux. En premier lieu, l’objectif « doit être suffisamment important pour justifier la suppression d’un droit ou d’une liberté garantis par la Constitution » : Oakes, au para 69. C’est ce qui est désigné habituellement comme « un objectif réel et urgent ». En deuxième lieu, il faut démontrer que les moyens choisis sont raisonnables, que leur justification peut se démontrer et qu’ils sont proportionnels à l’objectif visé : Oakes, au para 70. Les mesures attentatoires doivent être justifiées d’après « une inférence rationnelle [tirée] de la preuve ou des faits » : RJR-MacDonald, au para 128. De simples assertions ne suffiront pas, puisqu’il faut présenter une preuve complétée par le bon sens et le raisonnement par déduction : R c Sharpe, 2001 RCS 2 au para 78.

[343] Selon les demandeurs, le gouvernement a présenté peu d’éléments de preuve appuyant son assertion que la justification de toute atteinte aux droits garantis par la Charte a été démontrée, même en tenant compte de l’obligation de déférence. La question consiste à savoir si la mesure choisie restreint le droit « aussi peu qu’il est raisonnablement possible de le faire », à l’intérieur d’une gamme de solutions raisonnables : Alberta c Hutterian Brethren of Wilson Colony, 2009 CSC 37 au para 194.

[344] Afin de déterminer si une violation de l’alinéa 2b) peut se justifier au regard de l’article premier, selon les demandeurs, la Cour doit évaluer le degré de protection dont peut bénéficier l’expression visée : R c Lucas, [1998] 1 RCS 439 au para 34 [Lucas]. Plus l’expression se rapprochera des valeurs centrales sous-tendant l’alinéa 2b), plus il sera difficile de justifier l’action restrictive : Lucas au para 34; Thomson Newspapers au para 91;

[345] Le discours politique bénéficie du degré le plus élevé de protection parce qu’il est essentiel à la vie démocratique : voir R c Guignard, 2002 CSC 14 au para 20; Harper 2004, au para 66; Harper c Canada, 2000 CSC 57 au para 20. Puisque le Règlement vise directement une manifestation politique et la liberté d’expression des manifestants, les demandeurs estiment qu’il est justifié d’appliquer le plus haut niveau de protection en l’espèce. Même si le fait que des camions bloquent les routes et font retentir leurs klaxons ne constitue pas un discours de « grande valeur », le Règlement ne se limitait pas à interdire cette conduite, qui était déjà contraire aux lois provinciales et aux règlements municipaux, car il a criminalisé le simple fait pour quiconque d’assister aux manifestations, peu importe la façon dont la personne se comportait.

[346] Selon les demandeurs, étant donné son application pancanadienne, le Règlement exposait tous les membres de la population au pays : le fait qu’il n’a pas été appliqué dans des zones particulières n’a aucune incidence, parce que ses dispositions étaient quand même applicables d’un océan à l’autre. Le Règlement a brimé la liberté d’expression plus que nécessaire. Il s’appliquait aux passants qui n’étaient pas d’accord avec les blocages, qui n’avaient pas participé à leur érection et qui manifestaient sans causer de perturbations. Le Règlement a aussi criminalisé les déplacements vers toute zone où se déroulait une manifestation où il pouvait y avoir un blocage, indépendamment de l’objectif de la personne qui s’y rendait ou du fait que la paix avait été troublée ou pas. Les demandeurs font valoir que ce n’est pas là une atteinte minimale.

[347] Le défendeur soutient quant à lui que les mesures ont été soigneusement adaptées aux objectifs, soit de mettre fin rapidement à une urgence nationale à laquelle il n’était pas possible de faire face adéquatement sous le régime des lois du Canada. Qui plus est, les mesures énoncées dans la Loi entraînaient une atteinte minimale en raison de leur durée d’application (du 14 au 23 février 2022), ce qui correspondait à la période la plus courte permettant de gérer la situation d’urgence. Les mesures en question ont été révoquées sans délai dès que la situation a été stabilisée. Le Décret économique n’a eu aucun effet durable sur les personnes désignées en dehors de sa durée d’application.

[348] Il était nécessaire que les mesures soient applicables à l’échelle du pays, soutient le défendeur, et non pas de façon limitée à certaines provinces et municipalités, étant donné que les manifestations continuaient de se former à différents endroits et qu’il était impossible de savoir où surgirait la suivante.

[349] En ce qui concerne l’atteinte à l’article 8, comme j’ai conclu que le pouvoir d’effectuer une fouille, une perquisition ou une saisie était abusif en l’espèce, il devient vraiment difficile de déclarer la loi valide parce qu’elle serait raisonnable au regard de l’article premier. Par conséquent, les demandeurs soutiennent que le Décret économique ne répond pas non plus au critère de l’atteinte minimale et ne peut être justifié au titre de l’article premier. Le pouvoir de fouille et de perquisition énoncé à l’article 5 du Décret économique ne constitue pas une atteinte minimale au droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives, car il nécessitait la communication de renseignements financiers détaillés aux forces policières sur la foi d’un critère inconstitutionnel, c’est-à-dire l’existence de vagues « raisons de croire », qui n’était assorti d’aucun système d’autorisation préalable.

[350] D’après le défendeur, l’avantage pour la collectivité de mettre fin aux blocages, rapidement et pacifiquement, l’emportait sur d’éventuels effets néfastes. Les mesures énoncées dans la Loi offraient une approche équilibrée, bien dosée et proportionnelle pour faire face à une urgence nationale. Les inconvénients du Décret économique étaient inévitables, mais l’effet dissuasif et fructueux de celui-ci l’emportait sur d’éventuelles conséquences négatives. Les mesures étaient d’une durée adaptée à l’objectif et énonçaient des restrictions limitées. Elles n’interdisaient pas la tenue de toutes les formes de protestation ou de manifestation, seulement celles qui étaient susceptibles de troubler la paix.

(i) Conclusion relative à la justification au regard de l’article premier

[351] Il n’y avait pas de différend en tant que tel entre les parties quant au fait que le gouvernement visait un objectif réel et urgent quand il a adopté les mesures : éliminer les blocages qui avaient été mis en place dans le cadre de la manifestation. Seuls les demandeurs dans l’affaire Jost ont allégué dans leur mémoire que l’objectif n’était ni urgent ni réel, mais ils n’ont pas présenté d’argument à l’appui de cette position, qu’il n’ont d’ailleurs pas fait valoir non plus à l’audience. La CCF et l’ACLC reconnaissent que le Règlement et le Décret économique possédaient un lien rationnel avec l’objectif de mettre fin aux blocages.

[352] Je conviens avec le défendeur que l’objectif était urgent et réel puis qu’il y avait un lien rationnel entre le gel des comptes et l’objectif de mettre fin aux blocages. Cependant, l’atteinte aux droits découlant des mesures n’était pas minimale.

[353] Selon le principe de l’atteinte minimale, une mesure doit en effet restreindre le droit aussi peu que cela est raisonnablement possible et aussi être « soigneusement adaptée » : Frank c Canada (Procureur général), 2019 CSC 1 au para 66. Le Règlement et le Décret économique n’obéissent pas à ce principe pour deux raisons : 1) ils ont été appliqués partout au Canada et 2) il existait d’autres solutions qui restreignaient moins les droits.

[354] Le champ d’application de la déclaration d’état d’urgence et des mesures aurait pu être limité à l’Ontario, où la situation était la plus inextricable, et englober peut-être l’Alberta, quoique la situation à Coutts avait été résolue quand la Loi a été invoquée. Ailleurs, les autorités ont pu utiliser les lois en vigueur, comme le Code criminel et les dispositions provinciales en matière de sécurité publique, afin de démanteler les blocages et d’empêcher l’installation de nouveaux blocages sans avoir à invoquer la menace ou l’usage de violence grave de la part des manifestants.

[355] Selon le défendeur, il était nécessaire d’appliquer les mesures partout au Canada parce que les participants présents aux blocages provenaient de différentes régions, tout comme l’aide financière qu’ils recevaient. Cet argument aurait pu être déterminant si des éléments de preuve avaient été présentés pour démontrer que les mesures n’auraient pas atteint leur objectif en n’ayant pas une portée nationale. Sauf que le dossier du défendeur ne contient pas d’éléments de preuve à cet égard.

[356] Les personnes qui étaient ciblées par le Décret économique semblent toutes avoir été présentes aux principaux blocages, notamment à Ottawa. Il n’y avait non plus aucune preuve que les institutions financières auraient refusé de coopérer à la mise en œuvre des mesures si, par exemple, les titulaires de comptes résidaient à l’Île-du-Prince-Édouard ou dans les territoires, où il n’y avait aucune manifestation illégale, et qu’ils s’étaient rendus à Ottawa pour y participer au blocage.

[357] Le défendeur reconnaît que la suspension des comptes bancaires et des cartes de crédit a eu une incidence sur les titulaires conjoints, mais il affirme que cette conséquence était inévitable. De fait, les demandeurs dans l’affaire Jost ont présenté des éléments de preuve indiquant qu’ils s’étaient retrouvés dans cette situation. Par conséquent, il était possible qu’une personne n’ayant rien à voir avec les manifestations n’ait plus les moyens de se procurer le nécessaire pour subvenir aux besoins de son ménage ou de sa famille pendant que les comptes étaient suspendus. Il semble n’y avoir eu aucune mesure visant à régler ce problème durant la période de validité des mesures.

[358] Un aspect reste particulièrement préoccupant pour ce qui est de la justification des mesures au regard de l’article premier, et c’est l’absence de norme destinée à établir qui devait être visé ou de processus qui aurait permis à une personne de contester l’application des mesures. Comme l’a décrit le surintendant Beaudoin en contre-interrogatoire, tout s’est déroulé de manière informelle et ponctuelle.

[359] Après avoir conclu que les atteintes aux droits garantis à l’alinéa 2b) et à l’article 8 de la Charte n’étaient pas minimales, je suis d’avis qu’elles n’étaient pas justifiées au regard de l’article premier.

D. Le Règlement et le Décret économique contrevenaient-ils à la Déclaration canadienne des droits?

[360] Le préambule de la Loi sur les mesures d’urgence précise que les « mesures extraordinaires » sont assujetties à la Déclaration canadienne des droits.

[361] L’alinéa 1a) de la Déclaration canadienne des droits dispose ce qui suit : « [i]l est par les présentes reconnu et déclaré que les droits de l’homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés ont existé et continueront à exister pour tout individu au Canada [dont] le droit de l’individu [...] à la jouissance de ses biens, et le droit de ne s’en voir privé que par l’application régulière de la loi ». Il est énoncé à l’article 2 que « [t]oute loi du Canada, à moins qu’une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu’elle s’appliquera nonobstant la Déclaration canadienne des droits, doit s’interpréter et s’appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l’un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes [...] » La Loi ne renferme aucune disposition de dérogation.

[362] Selon la partie II de la loi créant la Déclaration canadienne des droits, celle-ci vise toute loi qui relève de la compétence législative du Parlement du Canada, y compris tout règlement établi sous son régime, édictée avant ou après la mise en vigueur de la Déclaration. Il ne fait donc aucun doute que cette dernière s’applique à la Loi sur les mesures d’urgence, au Règlement et au Décret économique. Or toute disposition incompatible avec la Déclaration canadienne des droits doit être déclarée inopérante : La Reine c Drybones, [1970] RCS 282.

[363] Bien que bon nombre des dispositions de la Déclaration canadienne des droits aient été mises de côté avec l’adoption de la Charte en 1982, elles continuent de s’appliquer : Singh c Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) [1985] 1 RCS 177 à la p 224. La Déclaration canadienne des droits a également été décrite comme « une loi quasi constitutionnelle » dans l’arrêt Bell Canada c Association canadienne des employés de téléphone, 2003 CSC 36 au para 28.

[364] La Déclaration canadienne des droits offre deux protections qui ne sont pas expressément énoncées dans la Charte. La première concerne le droit d’une personne à la jouissance de ses biens, dont il est question à l’alinéa 1a), et le droit de toute personne ne s’en voir privée que par l’application régulière de la loi. La deuxième figure à l’alinéa 2e), qui garantit le droit d’une personne à une audition impartiale de sa cause, selon les principes de justice fondamentale, pour la définition de ses droits et obligations : Authorson c Canada (Procureur général), 2003 CSC 39 au para 34 [Authorson].

[365] Comme je l’ai indiqué plus haut, les comptes de MM. Cornell et Gircys ont été gelés par suite de la déclaration de l’urgence d’ordre public et de l’application du Décret économique. Par conséquent, ils ont la qualité pour agir et demander un jugement déclaratoire en raison du conflit allégué entre les mesures énoncées dans la Loi et la Déclaration canadienne des droits : Smith, Kline & French v Attorney General of Canada, [1986] 1 FC 274 à la p 298 [Smith].

[366] Dans leurs plaidoiries écrites et leur avis de question constitutionnelle modifié, les demandeurs dans l’affaire Jost, dont MM. Cornell et Gircys faisaient alors partie, ont souligné que le Décret économique était contraire aux articles 1 et 2 de la Déclaration canadienne des droits, qui portent sur l’équité procédurale et les droits de propriété. Ils ont formulé une assertion semblable dans leurs observations de vive voix. Ils n’ont invoqué aucune jurisprudence ni aucun argument à l’appui de leur thèse autre que les dispositions de la Déclaration canadienne des droits elle-même. En réponse aux plaidoiries écrites du défendeur, les demandeurs dans l’affaire Jost ont soutenu que le Décret économique était clairement incompatible avec les droits de propriété et le principe de l’application régulière de la loi procédurale énoncés dans la common law et la Déclaration canadienne des droits, encore une fois sans avancer de doctrine ni de jurisprudence à l’appui.

[367] Dans le cadre de vastes plaidoiries présentées de vive voix à l’audience au sujet de l’article 8 de la Charte et des inquiétudes relatives à l’application régulière de la loi, les avocats ont soutenu que MM. Cornell et Gircys avaient le droit de se faire entendre par un tribunal avant que leurs comptes soient gelés. Ils envisageaient une petite armée de poursuivants, d’avocats de la défense et de juges mobilisés pour trancher les dossiers avant qu’une quelconque mesure puisse être prise contre les biens des participants. Les avocats ont comparé un tel processus aux rôles achalandés des tribunaux de nature pénale dans tout le pays.

[368] Le défendeur n’a pas répondu aux arguments fondés sur la Déclaration canadienne des droits qui avaient été soulevés par les demandeurs dans l’affaire Jost dans leurs plaidoiries écrites. Par contre, dans sa réponse aux observations similaires présentées par Mme Nagle et CFN, le défendeur a fait valoir que le processus suivi par la GRC satisfaisait aux exigences relatives à l’application régulière de la loi. La teneur de ces exigences est « éminemment variable, intrinsèquement souple et tributaire du contexte » : Vavilov au para 77. De plus, en situation d’urgence, les exigences à ce titre ne sont pas toujours remplies au moment où la décision initiale est prise, mais peuvent l’être par la suite s’il est remédié à la situation d’urgence : Ross c Mohawk Council of Kanesatake, 2003 CFPI 531 au para 79.

[369] La présente affaire ne met pas directement en jeu, à mon avis, le droit d’une personne à la jouissance de ses biens qui est garanti à l’alinéa 1a) de la Déclaration canadienne des droits. Le gel des comptes bancaires de MM. Cornell et Gircys a été de courte durée. Même s’il a sans aucun doute engendré des inconvénients, il n’a pas causé de préjudice important, et les deux hommes ont pu se débrouiller sans avoir accès facilement à leurs liquidités ni utiliser leurs cartes de crédit. Je conviens avec le défendeur que, dans ce contexte, l’application régulière de la loi n’exigeait pas que les mesures extraordinaires soient suspendues pendant que les avocats débattaient devant les tribunaux, ce qui aurait été contraire à l’objectif même de la Loi sur les mesures d’urgence et aurait imposé un fardeau inutile au système de justice étant donné la nature temporaire des mesures en cause.

X. Conclusion

[370] Au début de l’instance, même si je n’avais encore statué sur aucune des quatre demandes, j’étais porté à conclure que la décision de recourir à la Loi était raisonnable. À mon avis, les événements qui se sont produits à Ottawa et ailleurs, en janvier et en février 2022, dépassaient la manifestation légitime et dénotaient une rupture inacceptable de l’ordre public. J’éprouvais et je continue d’éprouver énormément de sympathie pour ceux et celles qui, au sein du gouvernement, ont dû faire face à cette situation. Si j’avais été à leur place à ce moment-là, j’aurais peut-être convenu moi aussi qu’il était nécessaire de recourir à la Loi. J’admets par ailleurs que, dans le cadre du contrôle judiciaire de cette décision, je réexamine les événements avec le recul et sur la base d’un dossier des faits et du droit plus complet que celui dont avait disposé le GEC.

[371] Mon opinion préliminaire quant au caractère raisonnable de la décision aurait pu prévaloir à la suite de l’audience, en raison de l’excellent travail des avocats du procureur général du Canada, si je n’avais pas pris le temps d’analyser soigneusement la preuve et les observations, particulièrement celles de l’ACLC et de la CCF. Leur participation à l’instance confirme le bien-fondé d’entendre les parties qui défendent l’intérêt public, surtout lorsqu’il s’agit de présenter des arguments juridiques éclairés. La présente instance ne se serait peut-être pas déroulée de la même manière sans ces organisations, car les parties qui défendaient des intérêts privés n’étaient pas aussi habiles pour ce qui était de présenter des éléments de preuve et des arguments à l’appui de leurs demandes.

[372] J’arrive donc à la conclusion que la décision d’émettre la Proclamation ne possède pas les caractéristiques d’une décision raisonnable – soit la justification, la transparence et l’intelligibilité – et ne se justifiait pas au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui devaient être prises en considération. À mon avis, il ne peut y avoir qu’une interprétation raisonnable des articles 3 et 17 de la Loi sur les mesures d’urgence et de l’alinéa 2c) de la Loi sur le SCRS. Les demandeurs ont établi que les contraintes juridiques applicables à l’exercice du pouvoir discrétionnaire du GEC de déclarer une urgence d’ordre public n’ont pas été respectées.

[373] Comme je l’ai indiqué plus haut, je conclus que Kristen Nagle, l’organisme Canadian Frontline Nurses, Jeremiah Jost et Harold Ristau n’ont pas qualité pour agir et demander le contrôle judiciaire de la décision, et leurs demandes seront rejetées pour cette raison. Je reconnais qu’Edward Cornell et Vincent Gircys ont directement qualité pour agir et contester la décision; j’accorde aussi la qualité pour agir dans l’intérêt public à l’ACLC et à la CCF. J’estime que ces demandeurs ont établi que la décision d’émettre la Proclamation était déraisonnable et a mené à une violation de la Charte qui n’est pas justifiée au regard de l’article 1. Leurs demandes sont accueillies à cet égard. Je ne vois aucune raison d’appliquer la Déclaration canadienne des droits.

(1) Les réparations demandées

[374] Les demandeurs ont tous réclamé un jugement déclaratoire de la Cour advenant qu’une des dispositions législatives contestées soit déclarée déraisonnable ou inconstitutionnelle. MM. Gircys et Cornell sont allés plus loin dans leur mémoire des faits et du droit, où ils sollicitent un jugement déclaratoire portant que la Loi sur les mesures d’urgence est incompatible avec les articles 91, 92 et 96 de la Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict, c 3, et, le cas échéant, qu’elle est inopérante conformément au paragraphe 52(1) de cette loi. Étant donné qu’ils n’ont pas présenté cet argument à l’audience, j’ai considéré qu’ils l’avaient abandonné. Quoi qu’il en soit, je suis d’avis qu’il est sans fondement. La présente affaire ne concernait pas la constitutionnalité de la Loi mais plutôt celle de son application.

[375] Des jugements seront rendus à l’égard de chaque demande compte tenu des conclusions auxquelles je suis parvenu.

(2) Les dépens

[376] Les parties qui défendaient l’intérêt public n’ont sollicité aucuns dépens, et aucuns ne leur seront donc adjugés. MM. Gircys et Cornell ont demandé des dépens dans leur avis de demande, et comme ils ont eu gain de cause sur des éléments clés, ils ont droit à une indemnité, au moins pour l’audience. Je ne leur accorderai aucuns dépens au titre des étapes préliminaires de l’instance, puisque je considère que leurs interventions ont souvent été mal avisées, ni pour la préparation du mémoire des faits et du droit qu’ils ont déposé et qui était essentiellement impertinent. Ils peuvent consulter le défendeur pour déterminer ce qui serait un montant raisonnable relativement à l’audience, y compris les frais et débours. Si les parties ne s’entendent pas à ce sujet, elles disposent d’un délai de trente jours suivant la réception des présents motifs pour transmettre des observations écrites d’au plus cinq pages afin que la Cour puisse adjuger des dépens appropriés.

« Richard G. Mosley »

Loi sur les mesures d'urgence, LRC 1985, c 22 (4e suppl)

Emergencies Act, RSC 1985, c 22 (4th Supp)

Préambule

Preamble

Attendu :

que l’État a pour obligations primordiales d’assurer la sécurité des individus, de protéger les valeurs du corps politique et de garantir la souveraineté, la sécurité et l’intégrité territoriale du pays;

WHEREAS the safety and security of the individual, the protection of the values of the body politic and the preservation of the sovereignty, security and territorial integrity of the state are fundamental obligations of government;

que l’exécution de ces obligations au Canada risque d’être gravement compromise en situation de crise nationale et que, pour assurer la sécurité en une telle situation, le gouverneur en conseil devrait être habilité, sous le contrôle du Parlement, à prendre à titre temporaire des mesures extraordinaires peut-être injustifiables en temps normal;

AND WHEREAS the fulfilment of those obligations in Canada may be seriously threatened by a national emergency and, in order to ensure safety and security during such an emergency, the Governor in Council should be authorized, subject to the supervision of Parliament, to take special temporary measures that may not be appropriate in normal times;

qu’en appliquant de pareilles mesures, le gouverneur en conseil serait assujetti à la Charte canadienne des droits et libertés ainsi qu’à la Déclaration canadienne des droits et aurait à tenir compte du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, notamment en ce qui concerne ceux des droits fondamentaux auxquels il ne saurait être porté atteinte même dans les situations de crise nationale,

AND WHEREAS the Governor in Council, in taking such special temporary measures, would be subject to the Canadian Charter of Rights and Freedoms and the Canadian Bill of Rights and must have regard to the International Covenant on Civil and Political Rights, particularly with respect to those fundamental rights that are not to be limited or abridged even in a national emergency;

Sa Majesté, sur l’avis et avec le consentement du Sénat et de la Chambre des communes du Canada, édicte :

(...)

NOW THEREFORE, Her Majesty, by and with the advice and consent of the Senate and House of Commons of Canada, enacts as follows:

(...)

Crise nationale

National Emergency

3 Pour l’application de la présente loi, une situation de crise nationale résulte d’un concours de circonstances critiques à caractère d’urgence et de nature temporaire, auquel il n’est pas possible de faire face adéquatement sous le régime des lois du Canada et qui, selon le cas :

3 For the purposes of this Act, a national emergency is an urgent and critical situation of a temporary nature that

a) met gravement en danger la vie, la santé ou la sécurité des Canadiens et échappe à la capacité ou aux pouvoirs d’intervention des provinces;

(a) seriously endangers the lives, health or safety of Canadians and is of such proportions or nature as to exceed the capacity or authority of a province to deal with it, or

b) menace gravement la capacité du gouvernement du Canada de garantir la souveraineté, la sécurité et l’intégrité territoriale du pays.

(b) seriously threatens the ability of the Government of Canada to preserve the sovereignty, security and territorial integrity of Canada

[...]...](

 

PARTIE II

État d’urgence

and that cannot be effectively dealt with under any other law of Canada.

(...)

PART II

Public Order Emergency

Définitions

Definitions

16 Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente partie.

16 In this Part,

déclaration d’état d’urgence Proclamation prise en application du paragraphe 17(1). (declaration of a public order emergency)

declaration of a public order emergency means a proclamation issued pursuant to subsection 17(1); (déclaration d’état d’urgence)

état d’urgence Situation de crise causée par des menaces envers la sécurité du Canada d’une gravité telle qu’elle constitue une situation de crise nationale. (public order emergency)

public order emergency means an emergency that arises from threats to the security of Canada and that is so serious as to be a national emergency; (état d’urgence)

menaces envers la sécurité du Canada S’entend au sens de l’article 2 de la Loi sur le service canadien du renseignement de sécurité. (threats to the security of Canada)

threats to the security of Canada has the meaning assigned by section 2 of the Canadian Security Intelligence Service Act. (menaces envers la sécurité du Canada)

Proclamation

Declaration of a public order emergency

17 (1) Le gouverneur en conseil peut par proclamation, s’il croit, pour des motifs raisonnables, qu’il se produit un état d’urgence justifiant en l’occurrence des mesures extraordinaires à titre temporaire et après avoir procédé aux consultations prévues par l’article 25, faire une déclaration à cet effet.

c) si l’état d’urgence ne touche pas tout le Canada, la désignation de la zone touchée.

17 (1) When the Governor in Council believes, on reasonable grounds, that a public order emergency exists and necessitates the taking of special temporary measures for dealing with the emergency, the Governor in Council, after such consultation as is required by section 25, may, by proclamation, so declare.

Contenu

Contents

(2) La déclaration d’état d’urgence comporte :

(2) A declaration of a public order emergency shall specify

a) une description sommaire de l’état d’urgence;

(a) concisely the state of affairs constituting the emergency;

b) l’indication des mesures d’intervention que le gouverneur en conseil juge nécessaires pour faire face à l’état d’urgence;

(b) the special temporary measures that the Governor in Council anticipates may be necessary for dealing with the emergency; and

c) si l’état d’urgence ne touche pas tout le Canada, la désignation de la zone touchée.

(c) if the effects of the emergency do not extend to the whole of Canada, the area of Canada to which the effects of the emergency extend.

Prise d’effet

Effective date

18 (1) La déclaration d’état d’urgence prend effet à la date de la proclamation, sous réserve du dépôt d’une motion de ratification devant chaque chambre du Parlement pour étude conformément à l’article 58.

18 (1) A declaration of a public order emergency is effective on the day on which it is issued, but a motion for confirmation of the declaration shall be laid before each House of Parliament and be considered in accordance with section 58.

Cessation d’effet

Expiration of declaration

(2) La déclaration cesse d’avoir effet après trente jours, sauf abrogation ou prorogation antérieure en conformité avec la présente loi.

(2) A declaration of a public order emergency expires at the end of thirty days unless the declaration is previously revoked or continued in accordance with this Act.

Gouverneur en conseil

Orders and Regulations

19 (1) Pendant la durée de validité de la déclaration d’état d’urgence, le gouverneur en conseil peut, par décret ou règlement, prendre dans les domaines suivants toute mesure qu’il croit, pour des motifs raisonnables, fondée en l’occurrence :

19 (1) While a declaration of a public order emergency is in effect, the Governor in Council may make such orders or Regulations with respect to the following matters as the Governor in Council believes, on reasonable grounds, are necessary for dealing with the emergency:

a) la réglementation ou l’interdiction :

(a) the regulation or prohibition of

(i) des assemblées publiques dont il est raisonnable de penser qu’elles auraient pour effet de troubler la paix,

(i) any public assembly that may reasonably be expected to lead to a breach of the peace,

(ii) des déplacements à destination, en provenance ou à l’intérieur d’une zone désignée,

(ii) travel to, from or within any specified area, or

(iii) de l’utilisation de biens désignés;

(iii) the use of specified property;

b) la désignation et l’aménagement de lieux protégés;

(b) the designation and securing of protected places;

c) la prise de contrôle ainsi que la restauration et l’entretien de services publics;

(c) the assumption of the control, and the restoration and maintenance, of public utilities and services;

d) l’habilitation ou l’ordre donnés à une personne ou à une personne d’une catégorie de personnes compétentes en l’espèce de fournir des services essentiels, ainsi que le versement d’une indemnité raisonnable pour ces services;

(d) the authorization of or direction to any person, or any person of a class of persons, to render essential services of a type that that person, or a person of that class, is competent to provide and the provision of reasonable compensation in respect of services so rendered; and

e) en cas de contravention aux décrets ou règlements d’application du présent article, l’imposition, sur déclaration de culpabilité :

(e) the imposition

(i) par procédure sommaire, d’une amende maximale de cinq cents dollars et d’un emprisonnement maximal de six mois ou de l’une de ces peines,

(i) on summary conviction, of a fine not exceeding five hundred dollars or imprisonment not exceeding six months or both that fine and imprisonment, or

(ii) par mise en accusation, d’une amende maximale de cinq mille dollars et d’un emprisonnement maximal de cinq ans ou de l’une de ces peines.

(ii) on indictment, of a fine not exceeding five thousand dollars or imprisonment not exceeding five years or both that fine and imprisonment,

[EN B[LANC]

for contravention of any order or regulation made under this section.

Limitation

Restriction

(2) Dans les cas où la déclaration ne concerne qu’une zone désignée du Canada, les décrets et règlements d’application du paragraphe (1) et les pouvoirs et fonctions qui en découlent n’ont d’application qu’à l’égard de cette zone.

(2) Where a declaration of a public order emergency specifies that the effects of the emergency extend only to a specified area of Canada, the power under subsection (1) to make orders and Regulations, and any powers, duties or functions conferred or imposed by or pursuant to any such order or regulation, may be exercised or performed only with respect to that area.

Idem

Idem

(3) Les décrets et règlements d’application du paragraphe (1) et les pouvoirs et fonctions qui en découlent sont appliqués ou exercés :

(3) The power under subsection (1) to make orders and Regulations, and any powers, duties or functions conferred or imposed by or pursuant to any such order or regulation, shall be exercised or performed

a) sans que soit entravée la capacité d’une province de prendre des mesures en vertu d’une de ses lois pour faire face à un état d’urgence sur son territoire;

(a) in a manner that will not unduly impair the ability of any province to take measures, under an Act of the legislature of the province, for dealing with an emergency in the province; and

b) de façon à viser à une concertation aussi poussée que possible avec chaque province concernée.

[...]

(b) with the view of achieving, to the extent possible, concerted action with each province with respect to which the power, duty or function is exercised or performed

(...)

Abrogation par le gouverneur en conseil

Revocation by Governor in Council

22 Le gouverneur en conseil peut, par proclamation, abroger une déclaration d’état d’urgence soit de façon générale, soit pour une zone du Canada, à compter de la date fixée par la proclamation.

[...]

22 The Governor in Council may, by proclamation, revoke a declaration of a public order emergency either generally or with respect to any area of Canada effective on such day as is specified in the proclamation.

(...)

Consultation

Consultation

25 (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), le gouverneur en conseil, avant de faire, de proroger ou de modifier une déclaration d’état d’urgence, consulte le lieutenant-gouverneur en conseil de chaque province touchée par l’état d’urgence.

25 (1) Subject to subsections (2) and (3), before the Governor in Council issues, continues or amends a declaration of a public order emergency, the lieutenant governor in council of each province in which the effects of the emergency occur shall be consulted with respect to the proposed action.

Idem

Idem

(2) Lorsque plus d’une province est touchée par un état d’urgence et que le gouverneur en conseil est d’avis que le lieutenant-gouverneur en conseil d’une province touchée ne peut être convenablement consulté, avant la déclaration ou sa modification, sans que soit compromise l’efficacité des mesures envisagées, la consultation peut avoir lieu après la prise des mesures mais avant le dépôt de la motion de ratification devant le Parlement.

(2) Where the effects of a public order emergency extend to more than one province and the Governor in Council is of the opinion that the lieutenant governor in council of a province in which the effects of the emergency occur cannot, before the issue

Pouvoirs ou capacité de la province

Indication

(3) Le gouverneur en conseil ne peut faire de déclaration en cas d’état d’urgence se limitant principalement à une province que si le lieutenant-gouverneur en conseil de la province lui signale que l’état d’urgence échappe à la capacité ou aux pouvoirs d’intervention de la province.

(3) The Governor in Council may not issue a declaration of a public order emergency where the effects of the emergency are confined to one province, unless the lieutenant governor in council of the province has indicated to the Governor in Council that the emergency exceeds the capacity or authority of the province to deal with it.

Cessation d’effet

Effect of expiration of declaration

26 (1) Dans les cas où, en application de la présente loi, une déclaration d’état d’urgence cesse d’avoir effet soit de façon générale, soit à l’égard d’une zone du Canada, ses décrets ou règlements d’application, ainsi que les dispositions des autres décrets ou règlements qui concernent cette zone, cessent d’avoir effet en même temps.

26 (1) Where, pursuant to this Act, a declaration of a public order emergency expires either generally or with respect to any area of Canada, all orders and Regulations made pursuant to the declaration or all orders and Regulations so made, to the extent that they apply with respect to that area, as the case may be, expire on the day on which the declaration expires.

Abrogation

Effect of revocation of declaration

(2) Dans les cas où, en application de la présente loi, la déclaration est abrogée soit de façon générale, soit à l’égard d’une zone du Canada, ses décrets ou règlements d’application, ainsi que les dispositions des autres décrets ou règlements qui concernent cette zone, sont abrogés en même temps.

(2) Where, pursuant to this Act, a declaration of a public order emergency is revoked either generally or with respect to any area of Canada, all orders and Regulations made pursuant to the declaration or all orders and Regulations so made, to the extent that they apply with respect to that area, as the case may be, are revoked effective on the revocation of the declaration.

Cas de prorogation

Effect of revocation of continuation

(3) Dans les cas où une proclamation de prorogation de la déclaration soit de façon générale, soit à l’égard d’une zone du Canada est abrogée après la date prévue à l’origine pour la cessation d’effet, générale ou pour la zone, de la déclaration, celle-ci, ses décrets ou règlements d’application, ainsi que les dispositions des autres décrets ou règlements qui concernent la zone, sont abrogés en même temps.

(3) Where, pursuant to this Act, a proclamation continuing a declaration of a public order emergency either generally or with respect to any area of Canada is revoked after the time the declaration would, but for the proclamation, have otherwise expired either generally or with respect to that area,

[EN BLANC]

(a) the declaration and all orders and Regulations made pursuant to the declaration, or

[EN BLANC]

(b) the declaration and all orders and Regulations made pursuant to the declaration to the extent that the declaration, orders and Regulations apply with respect to that area,

[EN BLANC]

as the case may be, are revoked effective on the revocation of the proclamation.

Cas de modification

Effect of revocation of amendment

(4) Dans les cas où, en application de la présente loi, une proclamation de modification de la déclaration est abrogée, les décrets ou règlements consécutifs à la modification, ainsi que les dispositions des autres décrets et règlements qui lui sont consécutifs, sont abrogés en même temps.

[...]

(4) Where, pursuant to this Act, a proclamation amending a declaration of a public order emergency is revoked, all orders and Regulations made pursuant to the amendment and all orders and Regulations to the extent that they apply pursuant to the amendment are revoked effective on the revocation of the proclamation.

(...)

 

58 (1) Sous réserve du paragraphe (4), il est déposé devant chaque chambre du Parlement, dans les sept jours de séance suivant une déclaration de situation de crise, une motion de ratification de la déclaration signée par un ministre et accompagnée d’un exposé des motifs de la déclaration ainsi que d’un compte rendu des consultations avec les lieutenants-gouverneurs en conseil des provinces au sujet de celle-ci.

58 (1) Subject to subsection (4), a motion for confirmation of a declaration of emergency, signed by a minister of the Crown, together with an explanation of the reasons for issuing the declaration and a report on any consultation with the lieutenant governors in council of the provinces with respect to the declaration, shall be laid before each House of Parliament within seven sitting days after the declaration is issued.

Convocation du Parlement ou d’une chambre

Summoning Parliament or House

(2) Si la déclaration est faite pendant une prorogation du Parlement ou un ajournement d’une de ses chambres, le Parlement, ou cette chambre, selon le cas, est immédiatement convoqué en vue de siéger dans les sept jours suivant la déclaration.

(2) If a declaration of emergency is issued during a prorogation of Parliament or when either House of Parliament stands adjourned, Parliament or that House, as the case may be, shall be summoned forthwith to sit within seven days after the declaration is issued.

Dissolution de la Chambre des communes

Summoning Parliament

(3) Si la déclaration est faite alors que la Chambre des communes est dissoute, le Parlement est convoqué en vue de siéger le plus tôt possible après la déclaration.

(3) If a declaration of emergency is issued at a time when the House of Commons is dissolved, Parliament shall be summoned to sit at the earliest opportunity after the declaration is issued.

Dépôt devant le Parlement après convocation

Tabling in Parliament after summoned

(4) Dans les cas où le Parlement, ou une de ses chambres, est convoqué conformément aux paragraphes (2) ou (3), la motion, l’exposé et le compte rendu visés au paragraphe (1) sont déposés devant chaque chambre du Parlement ou devant cette chambre, selon le cas, le premier jour de séance suivant la convocation.

(4) Where Parliament or a House of Parliament is summoned to sit in accordance with subsection (2) or (3), the motion, explanation and report described in subsection (1) shall be laid before each House of Parliament or that House of Parliament, as the case may be, on the first sitting day after Parliament or that House is summoned.

Étude

Consideration

(5) La chambre du Parlement saisie d’une motion en application des paragraphes (1) ou (4) étudie celle-ci dès le jour de séance suivant celui de son dépôt.

(5) Where a motion is laid before a House of Parliament as provided in subsection (1) or (4), that House shall, on the sitting day next following the sitting day on which the motion was so laid, take up and consider the motion.

Mise aux voix

Vote

(6) La motion mise à l’étude conformément au paragraphe (5) fait l’objet d’un débat ininterrompu; le débat terminé, le président de la chambre met immédiatement aux voix toute question nécessaire pour décider de la motion.

(6) A motion taken up and considered in accordance with subsection (5) shall be debated without interruption and, at such time as the House is ready for the question, the Speaker shall forthwith, without further debate or amendment, put every question necessary for the disposition of the motion.

Abrogation de la déclaration

Revocation of declaration

(7) En cas de rejet de la motion de ratification de la déclaration par une des chambres du Parlement, la déclaration, sous réserve de sa cessation d’effet ou de son abrogation antérieure, est abrogée à compter de la date du vote de rejet et l’autre chambre n’a pas à intervenir sur la motion.

[...]

(7) If a motion for confirmation of a declaration of emergency is negatived by either House of Parliament, the declaration, to the extent that it has not previously expired or been revoked, is revoked effective on the day of the negative vote and no further action under this section need be taken in the other House with respect to the motion.

(...)

Examen

Review by Parliamentary Review Committee

62 (1) L’exercice des attributions découlant d’une déclaration de situation de crise est examiné par un comité mixte de la Chambre des communes et du Sénat désigné ou constitué à cette fin.

62 (1) The exercise of powers and the performance of duties and functions pursuant to a declaration of emergency shall be reviewed by a committee of both Houses of Parliament designated or established for that purpose.

Composition du comité

Membership

(2) Siègent au comité d’examen parlementaire au moins un député de chaque parti dont l’effectif reconnu à la Chambre des communes comprend au moins douze personnes, et au moins le leader ou représentant du gouvernement au Sénat, ou son délégué, le leader de l’opposition au Sénat, ou son délégué, et le leader ou facilitateur visé à l’un ou l’autre des alinéas 62.4(1)c) à e) de la Loi sur le Parlement du Canada, ou son délégué.

(2) The Parliamentary Review Committee shall include at least one member of the House of Commons from each party that has a recognized membership of 12 or more persons in that House and at least the Leader of the Government in the Senate or Government Representative in the Senate, or his or her nominee, the Leader of the Opposition in the Senate, or his or her nominee, and the Leader or Facilitator who is referred to in any of paragraphs 62.4(1)(c) to (e) of the Parliament of Canada Act, or his or her nominee.

Serment du secret

Oath of secrecy

(3) Les membres du comité d’examen parlementaire et son personnel prêtent le serment de secret figurant à l’annexe.

(3) Every member of the Parliamentary Review Committee and every person employed in the work of the Committee shall take the oath of secrecy set out in the schedule.

Réunions à huis clos

Meetings in private

(4) Les réunions du comité d’examen parlementaire en vue de l’étude des décrets ou règlements qui lui sont renvoyés en application du paragraphe 61(2) se tiennent à huis clos.

(4) Every meeting of the Parliamentary Review Committee held to consider an order or regulation referred to it pursuant to subsection 61(2) shall be held in private.

Abrogation ou modification

Revocation or amendment of order or regulation

(5) Si, dans les trente jours suivant le renvoi prévu par le paragraphe 61(2), le comité d’examen parlementaire adopte une motion d’abrogation ou de modification d’un décret ou d’un règlement ayant fait l’objet du renvoi, cette mesure s’applique dès la date prévue par la motion; cette date ne peut toutefois pas être antérieure à celle de l’adoption de la motion.

(5) If, within thirty days after an order or regulation is referred to the Parliamentary Review Committee pursuant to subsection 61(2), the Committee adopts a motion to the effect that the order or regulation be revoked or amended, the order or regulation is revoked or amended in accordance with the motion, effective on the day specified in the motion, which day may not be earlier than the day on which the motion is adopted.

Rapport au Parlement

Report to Parliament

(6) Le comité d’examen parlementaire dépose ou fait déposer devant chaque chambre du Parlement un rapport des résultats de son examen au moins tous les soixante jours pendant la durée de validité d’une déclaration de situation de crise, et, en outre, dans les cas suivants :

(6) The Parliamentary Review Committee shall report or cause to be reported the results of its review under subsection (1) to each House of Parliament at least once every sixty days while the declaration of emergency is in effect and, in any case,

a) dans les trois jours de séance qui suivent le dépôt d’une motion demandant l’abrogation d’une déclaration de situation de crise en conformité avec le paragraphe 59(1);

(a) within three sitting days after a motion for revocation of the declaration is filed under subsection 59(1);

b) dans les sept jours de séance qui suivent une proclamation de prorogation d’une situation de crise;

(b) within seven sitting days after a proclamation continuing the declaration is issued; and

c) dans les sept jours de séance qui suivent la cessation d’effet d’une déclaration ou son abrogation par le gouverneur en conseil.

(c) within seven sitting days after the expiration of the declaration or the revocation of the declaration by the Governor in Council.

Enquête

Inquiry

63 (1) Dans les soixante jours qui suivent la cessation d’effet ou l’abrogation d’une déclaration de situation de crise, le gouverneur en conseil est tenu de faire faire une enquête sur les circonstances qui ont donné lieu à la déclaration et les mesures prises pour faire face à la crise.

63 (1) The Governor in Council shall, within sixty days after the expiration or revocation of a declaration of emergency, cause an inquiry to be held into the circumstances that led to the declaration being issued and the measures taken for dealing with the emergency.

63 (1) Dépôt devant le Parlement

Report to Parliament

(2) Le rapport de l’enquête faite en conformité avec le présent article est déposé devant chaque chambre du Parlement dans un délai de trois cent soixante jours suivant la cessation d’effet ou l’abrogation de la déclaration de situation de crise.

(2) A report of an inquiry held pursuant to this section shall be laid before each House of Parliament within three hundred and sixty days after the expiration or revocation of the declaration of emergency.

Règlement sur les mesures d'urgences, DORS/2022-21

Emergency Measures Regulations, SOR/2022-21

Interdiction – assemblée publique

Prohibition — public assembly

2 (1) Il est interdit de participer à une assemblée publique dont il est raisonnable de penser qu’elle aurait pour effet de troubler la paix par l’un des moyens suivants:

2 (1) A person must not participate in a public assembly that may reasonably be expected to lead to a breach of the peace by:

a) en entravant gravement le commerce ou la circulation des personnes et des biens;

(a) the serious disruption of the movement of persons or goods or the serious interference with trade;

b) en entravant le fonctionnement d’infrastructures essentielles;

(b) the interference with the functioning of critical infrastructure; or

c) en favorisant l’usage de la violence grave ou de menaces de violence contre des personnes ou des biens.

(c) the support of the threat or use of acts of serious violence against persons or property.

Mineur

Minor

(2) Il est interdit de faire participer une personne âgée de moins de dix-huit ans à une assemblée visée au paragraphe (1).

(2) A person must not cause a person under the age of eighteen years to participate in an assembly referred to in subsection (1).

Interdiction – entrée au Canada – étranger

Prohibition — entry to Canada — foreign national

3 (1) Il est interdit à l’étranger d’entrer au Canada avec l’intention de participer à une assemblée visée au paragraphe 2(1) ou de faciliter une telle assemblée.

3 (1) A foreign national must not enter Canada with the intent to participate in or facilitate an assembly referred to in subsection 2(1).

Exemption

Exemption

(2) Le paragraphe (1) ne s’applique pas aux personnes suivantes :

(2) Subsection (1) does not apply to

a) une personne inscrite à titre d’Indien sous le régime de la Loi sur les Indiens;

(a) a person registered as an Indian under the Indian Act;

b) la personne reconnue comme réfugié au sens de la Convention, ou la personne dans une situation semblable à celui-ci au sens du paragraphe 146(1) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, qui est titulaire d’un visa de résident permanent délivré aux termes du paragraphe 139(1) de ce règlement;

(b) a person who has been recognized as a Convention refugee or a person in similar circumstances to those of a Convention refugee within the meaning of subsection 146(1) of the Immigration and Refugee Protection Regulations who is issued a permanent resident visa under subsection 139(1) of those Regulations;

c) la personne qui est titulaire d’un permis de séjour temporaire au sens du paragraphe 24(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés et qui cherche à entrer au Canada à titre de résident temporaire protégé aux termes du paragraphe 151.1(2) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés;

(c) a person who has been issued a temporary resident permit within the meaning of subsection 24(1) of the Immigration and Refugee Protection Act and who seeks to enter Canada as a protected temporary resident under subsection 151.1(2) of the Immigration and Refugee Protection Regulations;

d) la personne qui cherche à entrer au Canada afin de faire une demande d’asile;

(d) a person who seeks to enter Canada for the purpose of making a claim for refugee protection;

e) la personne protégée;

(e) a protected person;

f) sa présence au Canada est, individuellement ou au titre de son appartenance à une catégorie de personnes, selon ce que conclut le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration ou le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, dans l’intérêt national.

(f) a person or any person in a class of persons whose presence in Canada, as determined by the Minister of Citizenship and Immigration or the Minister of Public Safety and Emergency Preparedness, is in the national interest.

Déplacements

Travel

4 (1) Il est interdit de se déplacer à destination ou à l’intérieur d’une zone où se tient une assemblée visée au paragraphe 2(1).

4 (1) A person must not travel to or within an area where an assembly referred to in subsection 2(1) is taking place.

Déplacements à proximité d’une assemblée publique – mineur

Minor– travel near public assembly

(2) Il est interdit de faire déplacer une personne âgée de moins de dix-huit ans, à destination ou à moins de 500 mètres de la zone où se tient une assemblée visée au paragraphe 2(1).

(2) A person must not cause a person under the age of eighteen years to travel to or within 500 metres of an area where an assembly referred to in subsection 2(1) is taking place.

Exemptions

Exemptions

(3) Ne contrevient pas aux paragraphes (1) et (2) :

(3) A person is not in contravention of subsections (1) and (2) if they are

a) la personne qui réside, travaille ou circule dans la zone de l’assemblée, pour des motifs autres que de prendre part à l’assemblée ou la faciliter;

(a) a person who, within of the assembly area, resides, works or is moving through that area for reasons other than to participate in or facilitate the assembly;

b) la personne qui, relativement à la zone d’assemblée, agit avec la permission d’un agent de la paix ou du ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile;

(b) a person who, within the assembly area, is acting with the permission of a peace officer or the Minister of Public Safety and Emergency Preparedness;

c) l’agent de la paix;

(c) a peace officer; or

d) l’employé ou le mandataire du gouvernement du Canada ou d’une province qui agit dans l’exercice de ses fonctions.

(d) an employee or agent of the government of Canada or a province who is acting in the execution of their duties.

Utilisation de biens – assemblée interdite

Use of property — prohibited assembly

5 Il est interdit, directement ou non, d’utiliser, de réunir, de rendre disponibles ou de fournir des biens — ou d’inviter une autre personne à le faire — pour participer à toute assemblée visée au paragraphe 2(1) ou faciliter une telle assemblée ou pour en faire bénéficier une personne qui participe à une telle assemblée ou la facilite.

5 A person must not, directly or indirectly, use, collect, provide make available or invite a person to provide property to facilitate or participate in any assembly referred to in subsection 2(1) or for the purpose of benefiting any person who is facilitating or participating in such an activity.

Désignation de lieux protégés

Designation of protected places

6 Les lieux suivants sont protégés et peuvent être aménagés :

6 The following places are designated as protected and may be secured:

a) les infrastructures essentielles;

(a) critical infrastructures;

b) la cité parlementaire et la Colline parlementaire au sens de l’article 79.51 de la Loi sur le Parlement du Canada;

(b) Parliament Hill and the parliamentary precinct as they are defined in section 79.51 of the Parliament of Canada Act;

c) les résidences officielles;

(c) official residences;

d) les immeubles gouvernementaux et les immeubles de la défense;

(d) government buildings and defence buildings

e) tout ou partie d’un bâtiment ou d’une structure servant principalement de monument érigé en l’honneur des personnes tuées ou décédées en raison d’une guerre — notamment un monument commémoratif de guerre ou un cénotaphe —, d’un objet servant à honorer ces personnes ou à en rappeler le souvenir et se trouvant dans un tel bâtiment ou une telle structure ou sur le terrain où ceux-ci sont situés, ou d’un cimetière;

(e) any property that is a building, structure or part thereof that primarily serves as a monument to honour persons who were killed or died as a consequence of a war, including a war memorial or cenotaph, or an object associated with honouring or remembering those persons that is located in or on the grounds of such a building or structure, or a cemetery;

f) tout autre lieu désigné par le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile.

(f) any other place as designated by the Minister of Public Safety and Emergency Preparedness.

Ordre de fournir des biens et services essentiels

Direction to render essential goods and services

7 (1) Toute personne doit rendre disponibles et fournir les biens et services essentiels demandés par le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, du commissaire de la Gendarmerie royale du Canada, ou la personne agissant en leur nom pour l’enlèvement, le remorquage et l’entreposage de véhicules, d’équipement, des structures ou de tout autre objet qui composent un blocage.

7 (1) Any person must make available and render the essential goods and services requested by the Minister of Public Safety and Emergency Preparedness, the Commissioner of the Royal Canadian Mounted Police or a person acting on their behalf for the removal, towing and storage of any vehicle, equipment, structure or other object that is part of a blockade.

Modalités

Method of request

(2) La demande faite au titre du paragraphe (1) peut être faite par écrit ou communiquée verbalement ou la personne agissant en son nom.

(2) Any request made under subsection (1) may be made in writing or given verbally by a person acting on their behalf.

Demande verbale

Verbal request

(3) La demande verbale est confirmée par écrit dès que possible.

(3) Any verbal request must be confirmed in writing as soon as possible.

Période de validité

Period of request

8 Quiconque fait l’objet d’une demande au titre de l’article 7 pour la fourniture de biens et de services essentiels est tenu de s’y conformer dans les plus brefs délais jusqu’à la première des dates suivantes :

8 A person who, in accordance with these Regulations, is subject to a request under section 7 to render essential goods and services must comply immediately with that request until the earlier of any of the following:

a) la date indiqué à la demande;

(a) the day referred to in the request;

b) la date de l’abrogation ou la cessation d’effet de la déclaration d’état d’urgence;

(b) the day on which the declaration of the public order emergency expires or is revoked; or

c) la date de l’abrogation du présent règlement

(c) the day on which these Regulations are repealed.

Indemnisation pour les biens et services essentiels

Compensation for essential goods and services

9 (1) Sa Majesté du chef du Canada accorde une indemnité raisonnable à la personne pour les biens fournis et les services rendus à sa demande aux termes de l’article 7 dont le montant équivaut au taux courant du marché pour les biens et services de même type, dans la région où les biens ont été fournis ou où les services ont été rendus.

9 (1) Her Majesty in right of Canada is to provide reasonable compensation to a person for any goods or services that they have rendered at their request under section 7, which amount must be equal to the current market price for those goods or services of that same type, in the area in which the goods or services are rendered.

Indemnisation

Compensation

(2) Toute personne qui subit des dommages corporels ou matériels entraînés par des actes accomplis, ou censés l’avoir été, en application du présent règlement peut, à cet égard, présenter une demande d’indemnisation conformément à la partie V de la Loi sur les mesures d’urgence et à ses règlements d’application, le cas échéant.

(2) Any person who suffers loss, injury or damage as a result of anything done or purported to be done under these Regulations may make an application for compensation in accordance with Part V of the Emergencies Act and any Regulations made under that Part, as the case may be.

Application des lois

Compliance — peace officer

10 (1) En cas de contravention au présent règlement, tout agent de la paix peut prendre les mesures nécessaires pour faire observer le présent règlement ou toutes lois provinciales ou municipales et permettre l’engagement de poursuites pour cette contravention.

10 (1) In the case of a failure to comply with these Regulations, any peace officer may take the necessary measures to ensure the compliance with these Regulations and with any provincial or municipal laws and allow for the prosecution for that failure to comply.

Pénalités

Contravention of Regulations

(2) Quiconque contrevient au présent règlement est coupable d’une infraction passible, sur déclaration de culpabilité :

(2) In the case of a failure to comply with these Regulations, any peace officer may take the necessary measures to ensure the compliance and allow for the prosecution for that failure to comply

a) par procédure sommaire, d’une amende maximale de 500 $ et d’un d’emprisonnement maximal de six mois, ou de l’une de ces peines;

(a) on summary conviction, to a fine not exceeding five hundred dollars or to imprisonment for a term not exceeding six months or to both; or

b) par mise en accusation, d’une amende maximale de 5 000 $ et d’un emprisonnement maximal de cinq ans, ou de l’une de ces peines.

(b) on indictment, to a fine not exceeding five thousand dollars or to imprisonment for a term not exceeding five years or to both.

Décret sur les mesures économiques d'urgence, DORS/2022-22

Emergency Economic Measures Order, SOR/2022-22

Définitions

Definitions

1 Les définitions qui suivent s’appliquent au présent décret :

1 The following definitions apply to this Order:

personne désignée Toute personne physique ou entité qui participe, même indirectement, à l’une ou l’autre des activités interdites au titre des articles 2 à 5 du Règlement sur les mesures d’urgence. (designated person)

designated person means any individual or entity that is engaged, directly or indirectly, in an activity prohibited by sections 2 to 5 of the Emergency Measures Regulations. (personne désignée)

entité S’entend notamment d’une personne morale, d’une fiducie, d’une société de personne, d’un fonds, d’une organisation ou d’une association dotée de la personnalité morale ou d’un État étranger. (entity)

entity includes a corporation, trust, partnership, fund, unincorporated association or organization or foreign state. (entité)

Obligations de cesser les opérations

Duty to cease dealings

2 (1) Dès l’entrée en vigueur du présent décret, les entités visées à l’article 3 doivent cesser :

2 (1) Any entity set out in section 3 must, upon the coming into force of this Order, cease

a) toute opération portant sur un bien, où qu’il se trouve, appartenant à une personne désignée ou détenu ou contrôlé par elle ou pour son compte ou suivant ses instructions;

(a) dealing in any property, wherever situated, that is owned, held or controlled, directly or indirectly, by a designated person or by a person acting on behalf of or at the direction of that designated person;

b) toute transaction liée à une opération visée à l’alinéa a) ou d’en faciliter la conclusion;

(b) facilitating any transaction related to a dealing referred to in paragraph (a);

c) de rendre disponible des biens — notamment des fonds ou de la monnaie virtuelle — à une personne désignée ou à une personne agissant pour son compte ou suivant ses instructions, ou au profit de l’une ou l’autre de ces personnes;

(c) making available any property, including funds or virtual currency, to or for the benefit of a designated person or to a person acting on behalf of or at the direction of a designated person; or

d) de fournir des services financiers ou connexes à une personne désignée ou à son profit ou acquérir de tels services auprès d’elle ou à son profit.

(d) providing any financial or related services to or for the benefit of any designated person or acquire any such services from or for the benefit of any such person or entity.

Police d’assurance

Insurance policy

(2) Toutefois, l’alinéa 2(1)d) ne s’applique pas à l’égard d’une police d’assurance effective — au moment de l’entrée en vigueur du présent décret — portant sur un véhicule autre que celui utilisé lors d’une assemblée publique visée au paragraphe 2(1) du Règlement sur les mesures d’urgence.

(2) Paragraph 2(1)(d) does not apply in respect of any insurance policy which was valid prior to the coming in force of this Order other than an insurance policy for any vehicle being used in a public assembly referred to in subsection 2(1) of the Emergency Measures Regulations.

Vérification

Duty to determine

3 Il incombe aux entités mentionnées ci-après de vérifier de façon continue si des biens qui sont en leur possession ou sous leur contrôle appartiennent à une personne désignée ou sont détenus ou contrôlés par elle ou pour son compte :

3 The following entities must determine on a continuing basis whether they are in possession or control of property that is owned, held or controlled by or on behalf of a designated person:

a) les banques étrangères autorisées, au sens de l’article 2 de la Loi sur les banques, dans le cadre de leurs activités au Canada, et les banques régies par cette loi;

(a) authorized foreign banks, as defined in section 2 of the Bank Act, in respect of their business in Canada, and banks regulated by that Act;

b) les coopératives de crédit, caisses d’épargne et de crédit et caisses populaires régies par une loi provinciale et les associations régies par la Loi sur les associations coopératives de crédit;

(b) cooperative credit societies, savings and credit unions and caisses populaires regulated by a provincial Act and associations regulated by the Cooperative Credit Associations Act;

c) les sociétés étrangères, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les sociétés d’assurances, dans le cadre de leurs activités d’assurance au Canada;

(c) foreign companies, as defined in subsection 2(1) of the Insurance Companies Act, in respect of their insurance business in Canada;

d) les sociétés, les sociétés de secours et les sociétés provinciales, au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur les sociétés d’assurances;

(d) companies, provincial companies and societies, as those terms are defined in subsection 2(1) of the Insurance Companies Act;

e) les sociétés de secours mutuel régies par une loi provinciale, dans le cadre de leurs activités d’assurance, et autres entités régies par une loi provinciale qui exercent le commerce de l’assurance;

(e) fraternal benefit societies regulated by a provincial Act in respect of their insurance activities and insurance companies and other entities regulated by a provincial Act that are engaged in the business of insuring risks;

f) les sociétés régies par la Loi sur les sociétés de fiducie et de prêt;

(f) companies regulated by the Trust and Loan Companies Act;

g) les sociétés de fiducie régies par une loi provinciale;

(g) trust companies regulated by a provincial Act;

h) les sociétés de prêt régies par une loi provinciale;

(h) loan companies regulated by a provincial Act;

i) les entités qui se livrent à une activité visée aux alinéas 5h) et h.1) de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes;

(i) entities that engage in any activity described in paragraphs 5(h) and (h.1) of the Proceeds of Crime (Money Laundering) and Terrorist Financing Act;

j) les entités autorisées en vertu de la législation provinciale à se livrer au commerce des valeurs mobilières ou à fournir des services de gestion de portefeuille ou des conseils en placement;

(j) entities authorized under provincial legislation to engage in the business of dealing in securities or to provide portfolio management or investment counselling services;

k) les plateformes collaboratives et celles de monnaie virtuelle qui sollicitent des dons;

(k) entities that provide a platform to raise funds or virtual currency through donations; and

l) toute entité qui exécute l’une ou l’autre de fonctions suivantes :

(l) entities that perform any of the following payment functions:

(i) la fourniture ou la tenue d’un compte détenu au nom d’un ou de plusieurs utilisateurs finaux en vue d’un transfert électronique de fonds,

(i) the provision or maintenance of an account that, in relation to an electronic funds transfer, is held on behalf of one or more end users,

(ii) la détention de fonds au nom d’un utilisateur final jusqu’à ce qu’ils soient retirés par celui-ci ou transférés à une personne physique ou à une entité,

(ii) the holding of funds on behalf of an end user until they are withdrawn by the end user or transferred to another individual or entity,

(iii) l’initiation d’un transfert électronique de fonds à la demande d’un utilisateur final,

(iii) the initiation of an electronic funds transfer at the request of an end user,

(iv) l’autorisation de transfert électronique de fonds ou la transmission, la réception ou la facilitation d’une instruction en vue d’un transfert électronique de fonds,

(iv) the authorization of an electronic funds transfer or the transmission, reception or facilitation of an instruction in relation to an electronic funds transfer, or

(v) la prestation de services de compensation ou de règlement.

(v) the provision of clearing or settlement services.

Inscription obligatoire — Centre

Registration requirement — FINTRAC

4 (1) Les entités visées aux alinéas 3k) et l) doivent s’inscrire auprès du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada constitué par l’article 41 de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes s’ils ont en leur possession un bien appartenant à une personne désignée ou détenu ou contrôlé par elle ou pour son compte ou suivant ses instructions.

4 (1) The entities referred to in paragraphs 3(k) and (l) must register with the Financial Transactions and Reports Analysis Centre of Canada established by section 41 of the Proceeds of Crime (Money Laundering) and Terrorist Financing Act if they are in possession or control of property that is owned, held or controlled by or on behalf of a designated person.

Opérations douteuses

Reporting obligation — suspicious transactions

(2) Elles doivent également déclarer au Centre toute opération financière effectuée ou tentée dans le cours de ses activités et à l’égard de laquelle il y a des motifs raisonnables de soupçonner qu’elle est liée à la perpétration — réelle ou tentée — par à une personne désignée :

(2) Those entities must also report to the Centre every financial transaction that occurs or that is attempted in the course of their activities and in respect of which there are reasonable grounds to suspect that

a) soit d’une infraction de recyclage des produits de la criminalité;

(a) the transaction is related to the commission or the attempted commission of a money laundering offence by a designated person; or

b) soit d’une infraction de financement des activités terroristes.

(b) the transaction is related to the commission or the attempted commission of a terrorist activity financing offence by a designated person.

Autres opérations

Reporting obligation — other transactions

(3) Elles doivent également déclarer au Centre les opérations visées aux paragraphes 30(1) ou 33(1) du Règlement sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes.

(3) Those entities must also report to the Centre the transactions and information set out in subsections 30(1) and 33(1) of the Proceeds of Crime (Money Laundering) and Terrorist Financing Regulations.

Obligation de communication à la GRC et au SCRC

Duty to disclose — RCMP or CSIS

5 Toute entité visée à l’article 3 est tenue de communiquer, sans délai, au commissaire de la Gendarmerie royale du Canada ou au directeur du Service canadien du renseignement de sécurité :

5 Every entity set out in section 3 must disclose without delay to the Commissioner of the Royal Canadian Mounted Police or to the Director of the Canadian Security Intelligence Service

a) le fait qu’elle croit que des biens qui sont en sa possession ou sous son contrôle appartiennent à une personne désignée ou sont détenus ou contrôlés par elle ou pour son compte;

(a) the existence of property in their possession or control that they have reason to believe is owned, held or controlled by or on behalf of a designated person; and

b) tout renseignement portant sur une transaction, réelle ou projetée, mettant en cause des biens visés à l’alinéa a).

(b) any information about a transaction or proposed transaction in respect of property referred to in paragraph (a).

Communication

Disclosure of information

6 Toute institution fédérale, provinciale ou territoriale peut communiquer des renseignements au responsable d’une entité visée à l’article 3, si elle est convaincue que les renseignements aideront à l’application du présent décret.

6 A Government of Canada, provincial or territorial institution may disclose information to any entity set out in section 3, if the disclosing institution is satisfied that the disclosure will contribute to the application of this Order.

Proclamation déclarant une urgence d'ordre public, DORS/2022-20

Proclamation Declaring a Public Order Emergency, SOR/2022-20

Proclamation

A Proclamation

Attendu que la gouverneure en conseil croit, pour des motifs raisonnables, qu’il se produit un état d’urgence justifiant en l’occurrence des mesures extraordinaires à titre temporaire;

Whereas the Governor in Council believes, on reasonable grounds, that a public order emergency exists and necessitates the taking of special temporary measures for dealing with the emergency;

Attendu que la gouverneure en conseil a, conformément au paragraphe 25(1) de la Loi sur les mesures d’urgence, consulté le lieutenant-gouverneur en conseil de chaque province, les commissaires du Yukon et des Territoires du Nord-Ouest agissant avec l’agrément de leur conseil exécutif respectif et le commissaire du Nunavut avant de faire la déclaration de l’état d’urgence,

Whereas the Governor in Council has, before declaring a public order emergency and in accordance with subsection 25(1) of the Emergencies Act, consulted the Lieutenant Governor in Council of each province, the Commissioners of Yukon and the Northwest Territories, acting with consent of their respective Executive Councils, and the Commissioner of Nunavut;

Sachez que, sur et avec l’avis de Notre Conseil privé pour le Canada, Nous, en vertu du paragraphe 17(1) de la Loi sur les mesures d’urgence, par Notre présente proclamation, déclarons qu’il se produit dans tout le pays un état d’urgence justifiant en l’occurrence des mesures extraordinaires à titre temporaire;

Now Know You that We, by and with the advice of Our Privy Council for Canada, pursuant to subsection 17(1) of the Emergencies Act, do by this Our Proclamation declare that a public order emergency exists throughout Canada and necessitates the taking of special temporary measures for dealing with the emergency;

Sachez que Nous décrivons l’état d’urgence comme prenant la forme suivante :

And We do specify the emergency as constituted of

a) les blocages continus mis en place par des personnes et véhicules à différents endroits au Canada et les menaces continues proférées en opposition aux mesures visant à mettre fin aux blocages, notamment par l’utilisation de la force, lesquels blocages ont un lien avec des activités qui visent à favoriser l’usage de la violence grave ou de menaces de violence contre des personnes ou des biens, notamment les infrastructures essentielles, dans le but d’atteindre un objectif politique ou idéologique au Canada,

(a) the continuing blockades by both persons and motor vehicles that is occurring at various locations throughout Canada and the continuing threats to oppose measures to remove the blockades, including by force, which blockades are being carried on in conjunction with activities that are directed toward or in support of the threat or use of acts of serious violence against persons or property, including critical infrastructure, for the purpose of achieving a political or ideological objective within Canada,

b) les effets néfastes sur l’économie canadienne — qui se relève des effets de la pandémie de la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) — et les menaces envers la sécurité économique du Canada découlant des blocages d’infrastructures essentielles, notamment les axes commerciaux et les postes frontaliers internationaux,

(b) the adverse effects on the Canadian economy — recovering from the impact of the pandemic known as the coronavirus disease 2019 (COVID-19) — and threats to its economic security resulting from the impacts of blockades of critical infrastructure, including trade corridors and international border crossings,

c) les effets néfastes découlant des blocages sur les relations qu’entretient le Canada avec ses partenaires commerciaux, notamment les États-Unis, lesquels effets sont préjudiciables aux intérêts du Canada,

(c) the adverse effects resulting from the impacts of the blockades on Canada’s relationship with its trading partners, including the United States, that are detrimental to the interests of Canada,

d) la rupture des chaînes de distribution et de la mise à disposition de ressources, de services et de denrées essentiels causée par les blocages existants et le risque que cette rupture se perpétue si les blocages continuent et augmentent en nombre,

(d) the breakdown in the distribution chain and availability of essential goods, services and resources caused by the existing blockades and the risk that this breakdown will continue as blockades continue and increase in number, and

e) le potentiel d’augmentation du niveau d’agitation et de violence qui menaceraient davantage la sécurité des Canadiens;

(e) the potential for an increase in the level of unrest and violence that would further threaten the safety and security of Canadians;

Sachez que Nous jugeons les mesures d’intervention ci-après nécessaires pour faire face à l’état d’urgence :

And We do further specify that the special temporary measures that may be necessary for dealing with the emergency, as anticipated by the Governor in Council, are

a) des mesures pour réglementer ou interdire les assemblées publiques — autre que les activités licites de défense d’une cause, de protestation ou de manifestation d’un désaccord — dont il est raisonnable de penser qu’elles auraient pour effet de troubler la paix, ou les déplacements à destination, en provenance ou à l’intérieur d’une zone désignée, pour réglementer ou interdire l’utilisation de biens désignés, notamment les biens utilisés dans le cadre d’un blocage, et pour désigner et aménager des lieux protégés, notamment les infrastructures essentielles,

(a) measures to regulate or prohibit any public assembly — other than lawful advocacy, protest or dissent — that may reasonably be expected to lead to a breach of the peace, or the travel to, from or within any specified area, to regulate or prohibit the use of specified property, including goods to be used with respect to a blockade, and to designate and secure protected places, including critical infrastructure,

b) des mesures pour habiliter toute personne compétente à fournir des services essentiels ou lui ordonner de fournir de tels services, notamment l’enlèvement, le remorquage et l’entreposage de véhicules, d’équipement, de structures ou de tout autre objet qui font partie d’un blocage n’importe où au Canada, afin de pallier les effets des blocages sur la sécurité publique et économique du Canada, notamment des mesures pour cerner ces services essentiels et les personnes compétentes à les fournir, ainsi que le versement d’une indemnité raisonnable pour ces services,

(b) measures to authorize or direct any person to render essential services of a type that the person is competent to provide, including services related to removal, towing and storage of any vehicle, equipment, structure or other object that is part of a blockade anywhere in Canada, to relieve the impacts of the blockades on Canada’s public and economic safety, including measures to identify those essential services and the persons competent to render them and the provision of reasonable compensation in respect of services so rendered,

c) des mesures pour habiliter toute personne à fournir des services essentiels ou lui ordonner de fournir de tels services afin de pallier les effets des blocages, notamment des mesures pour réglementer ou interdire l’usage de biens en vue de financer ou d’appuyer les blocages, pour exiger de toute plateforme de sociofinancement et de tout fournisseur de traitement de paiement qu’il déclare certaines opérations au Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada et pour exiger de tout fournisseur de services financiers qu’il vérifie si des biens qui sont en sa possession ou sous son contrôle appartiennent à une personne qui participe à un blocage,

(c) measures to authorize or direct any person to render essential services to relieve the impacts of the blockade, including to regulate or prohibit the use of property to fund or support the blockade, to require any crowdfunding platform and payment processor to report certain transactions to the Financial Transactions and Reports Analysis Centre of Canada and to require any financial service provider to determine whether they have in their possession or control property that belongs to a person who participates in the blockade,

d) des mesures pour habiliter la Gendarmerie royale du Canada à appliquer les lois municipales et provinciales au moyen de l’incorporation par renvoi,

(d) measures to authorize the Royal Canadian Mounted Police to enforce municipal and provincial laws by means of incorporation by reference,

e) en cas de contravention aux décrets ou règlements pris au titre de l’article 19 de la Loi sur les mesures d’urgence, l’imposition d’amendes ou de peines d’emprisonnement,

(e) the imposition of fines or imprisonment for contravention of any order or regulation made under section 19 of the Emergencies Act; and

f) toute autre mesure d’intervention autorisée par l’article 19 de la Loi sur les mesures d’urgence qui est encore inconnue.

f) other temporary measures authorized under section 19 of the Emergencies Act that are not yet known.

En foi de quoi, Nous avons pris et fait publier Notre présente Proclamation et y avons fait apposer le grand sceau du Canada.

In testimony whereof, We have caused this Our Proclamation to be published and the Great Seal of Canada to be affixed to it.

TÉMOIN :

WITNESS:

Notre très fidèle et bien-aimée Mary May Simon, chancelière et compagnon principal de Notre Ordre du Canada, chancelière et commandeure de Notre Ordre du mérite militaire, chancelière et commandeure de Notre Ordre du mérite des corps policiers, gouverneure générale et commandante en chef du Canada.

Our Right Trusty and Well-beloved Mary May Simon, Chancellor and Principal Companion of Our Order of Canada, Chancellor and Commander of Our Order of Military Merit, Chancellor and Commander of Our Order of Merit of the Police Forces, Governor General and Commander-in-Chief of Canada.

À Notre hôtel du gouvernement, en Notre ville d’Ottawa, ce quatorzième jour de février de l’an de grâce deux mille vingt-deux, soixante et onzième de Notre règne.

At Our Government House, in Our City of Ottawa, this fourteenth day of February in the year of Our Lord two thousand and twenty-two and in the seventy-first year of Our Reign.

PAR ORDRE,

Le sous-registraire général du Canada,

Simon Kennedy

BY COMMAND,

Deputy Registrar General of Canada

Simon Kennedy

Loi sur le service canadien du renseignement de sécurité, LRC 1985, c C-23

Canadian Security Intelligence Service Act, RSC 1985, c C-23

Définitions

Definitions

2 Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

2 In this Act,

[...]

(...)

menaces envers la sécurité du Canada Constituent des menaces envers la sécurité du Canada les activités suivantes :

threats to the security of Canada means

a) l’espionnage ou le sabotage visant le Canada ou préjudiciables à ses intérêts, ainsi que les activités tendant à favoriser ce genre d’espionnage ou de sabotage;

(a) espionage or sabotage that is against Canada or is detrimental to the interests of Canada or activities directed toward or in support of such espionage or sabotage,

b) les activités influencées par l’étranger qui touchent le Canada ou s’y déroulent et sont préjudiciables à ses intérêts, et qui sont d’une nature clandestine ou trompeuse ou comportent des menaces envers quiconque;

(b) foreign influenced activities within or relating to Canada that are detrimental to the interests of Canada and are clandestine or deceptive or involve a threat to any person,

c) les activités qui touchent le Canada ou s’y déroulent et visent à favoriser l’usage de la violence grave ou de menaces de violence contre des personnes ou des biens dans le but d’atteindre un objectif politique, religieux ou idéologique au Canada ou dans un État étranger;

(c) activities within or relating to Canada directed toward or in support of the threat or use of acts of serious violence against persons or property for the purpose of achieving a political, religious or ideological objective within Canada or a foreign state, and

d) les activités qui, par des actions cachées et illicites, visent à saper le régime de gouvernement constitutionnellement établi au Canada ou dont le but immédiat ou ultime est sa destruction ou son renversement, par la violence.

(d) activities directed toward undermining by covert unlawful acts, or directed toward or intended ultimately to lead to the destruction or overthrow by violence of, the constitutionally established system of government in Canada,

La présente définition ne vise toutefois pas les activités licites de défense d’une cause, de protestation ou de manifestation d’un désaccord qui n’ont aucun lien avec les activités mentionnées aux alinéas a) à d). (threats to the security of Canada)

but does not include lawful advocacy, protest or dissent, unless carried on in conjunction with any of the activities referred to in paragraphs (a) to (d). (menaces envers la sécurité du Canada)

Loi constitutionnelle de 1982, Annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (R-U), 1982, c 11

The Constitution Act, 1982, Schedule B to the Canada Act 1982 (UK), 1982, c 11 [BLANK]

Charte canadienne des droits et libertés

Attendu que le Canada est fondé sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu et la primauté du droit :

Garantie des droits et libertés

Droits et libertés au Canada

1 La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.

Libertés fondamentales

2 Chacun a les libertés fondamentales suivantes :

[...]

b) liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication;

c) liberté de réunion pacifique;

d) liberté d’association.

[...]

Garanties juridiques

Vie, liberté et sécurité

7 Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

Fouilles, perquisitions ou saisies

8 Chacun a droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives.

[...]

Primauté de la Constitution du Canada

52 (1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.

[...]

Canadian Charter of Rights and Freedoms

Whereas Canada is founded upon principles that recognize the supremacy of God and the rule of law:

Guarantee of Rights and Freedoms

Rights and freedoms in Canada

1 The Canadian Charter of Rights and Freedoms guarantees the rights and freedoms set out in it subject only to such reasonable limits prescribed by law as can be demonstrably justified in a free and democratic society.

Fundamental Freedoms

2 Everyone has the following fundamental freedoms:

(...)

(b) freedom of thought, opinion and expression, including freedom of the press and other media of communication;

(c) freedom of peaceful assembly; and

(d) freedom of association

(...)

Legal Rights

Life, liberty and security of person

7 Everyone has the right to life, liberty and security of the person and the right not to be deprived thereof except in accordance with the principles of fundamental justice.

Search or seizure

8 Everyone has the right to be secure against unreasonable search or seizure.

(...)

Primacy of Constitution of Canada

52 (1) The Constitution of Canada is the supreme law of Canada, and any law that is inconsistent with the provisions of the Constitution is, to the extent of the inconsistency, of no force or effect.

(...)

 

Déclaration canadienne des droits, SC 1960, c 44

 

Canadian Bill of Rights, SC 1960, c 44

 

Préambule

Le Parlement du Canada proclame que la nation canadienne repose sur des principes qui reconnaissent la suprématie de Dieu, la dignité et la valeur de la personne humaine ainsi que le rôle de la famille dans une société d’hommes libres et d’institutions libres;

Il proclame en outre que les hommes et les institutions ne demeurent libres que dans la mesure où la liberté s’inspire du respect des valeurs morales et spirituelles et du règne du droit;

Et afin d’expliciter ces principes ainsi que les droits de l’homme et les libertés fondamentales qui en découlent, dans une Déclaration de droits qui respecte la compétence législative du Parlement du Canada et qui assure à sa population la protection de ces droits et de ces libertés,

En conséquence, Sa Majesté, sur l’avis et du consentement du Sénat et de la Chambre des communes du Canada, décrète :

Reconnaissance et déclaration des droits et libertés

1 Il est par les présentes reconnu et déclaré que les droits de l’homme et les libertés fondamentales ci-après énoncés ont existé et continueront à exister pour tout individu au Canada quels que soient sa race, son origine nationale, sa couleur, sa religion ou son sexe :

a) le droit de l’individu à la vie, à la liberté, à la sécurité de la personne ainsi qu’à la jouissance de ses biens, et le droit de ne s’en voir privé que par l’application régulière de la loi;

[...]

Interprétation de la législation

2 Toute loi du Canada, à moins qu’une loi du Parlement du Canada ne déclare expressément qu’elle s’appliquera nonobstant la Déclaration canadienne des droits, doit s’interpréter et s’appliquer de manière à ne pas supprimer, restreindre ou enfreindre l’un quelconque des droits ou des libertés reconnus et déclarés aux présentes, ni à en autoriser la suppression, la diminution ou la transgression, et en particulier, nulle loi du Canada ne doit s’interpréter ni s’appliquer comme [...]

Preamble

The Parliament of Canada, affirming that the Canadian Nation is founded upon principles that acknowledge the supremacy of God, the dignity and worth of the human person and the position of the family in a society of free men and free institutions;

Affirming also that men and institutions remain free only when freedom is founded upon respect for moral and spiritual values and the rule of law;

And being desirous of enshrining these principles and the human rights and fundamental freedoms derived from them, in a Bill of Rights which shall reflect the respect of Parliament for its constitutional authority and which shall ensure the protection of these rights and freedoms in Canada:

Therefore Her Majesty, by and with the advice and consent of the Senate and House of Commons of Canada, enacts as follows:

Recognition and declaration of rights and freedoms

1 It is hereby recognized and declared that in Canada there have existed and shall continue to exist without discrimination by reason of race, national origin, colour, religion or sex, the following human rights and fundamental freedoms, namely,

(a) the right of the individual to life, liberty, security of the person and enjoyment of property, and the right not to be deprived thereof except by due process of law;

(...)

Construction of law

2 Every law of Canada shall, unless it is expressly declared by an Act of the Parliament of Canada that it shall operate notwithstanding the Canadian Bill of Rights, be so construed and applied as not to abrogate, abridge or infringe or to authorize the abrogation, abridgment or infringement of any of the rights or freedoms herein recognized and declared, and in particular, no law of Canada shall be construed or applied so as to (...)


ANNEXE B

MÉMOIRE RECOMMANDANT LE RECOURS À LA LOI

Déclaration d’état d’urgence du 14 février 2022; Explication conformément au paragraphe 58(1) de la Loi sur les mesures d’urgence

Déclaration d’état d’urgence

Le 14 février 2022, la gouverneure en conseil a ordonné la prise d’une proclamation en application du paragraphe 17(1) de la Loi sur les mesures d’urgence déclarant qu’il existe un état d’urgence dans l’ensemble du Canada qui nécessite l’adoption de mesures temporaires spéciales pour faire face à la situation.

Selon la Loi sur les mesures d’urgence, pour déclarer l’état d’urgence, il doit y avoir une situation de crise découlant de menaces envers la sécurité du Canada d’une gravité telle qu’elle constitue une situation de crise nationale. Les menaces envers la sécurité du Canada comprennent la menace ou le recours à des actes de violence grave à l’égard de personnes ou de biens dans le but d’atteindre un objectif politique ou idéologique. Une situation de crise nationale résulte d’un concours de circonstances qui met gravement en danger la santé et la sécurité des Canadiens et qui ne peut être traitée efficacement par les provinces ou les territoires, ou qui menace gravement la capacité du gouvernement du Canada de garantir la souveraineté, la sécurité et l’intégrité territoriale du Canada. Il doit s’agir d’une situation qui ne peut être réglée efficacement par aucune autre loi du Canada. Les mesures prises en vertu de la Loi doivent être appliquées conformément à la Charte canadienne des droits et libertés et devraient être soigneusement adaptées de façon à limiter toute incidence sur les droits visés par la Charte à ce qui est raisonnable et proportionnel dans les circonstances.

La Proclamation déclarant l’état d’urgence du 14 février 2022 précise que la déclaration d’état d’urgence prend la forme suivante :

  • (i)les blocages continus mis en place par des personnes et véhicules à différents endroits au Canada et les menaces continues proférées en opposition aux mesures visant à mettre fin aux blocages, notamment par l’utilisation de la force, lesquels blocages ont un lien avec des activités qui visent à favoriser l’usage de la violence grave ou de menaces de violence contre des personnes ou des biens, notamment les infrastructures essentielles, dans le but d’atteindre un objectif politique ou idéologique au Canada,

  • (ii)les effets néfastes sur l’économie canadienne — qui se relève des effets de la pandémie de la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) — et les menaces envers la sécurité économique du Canada découlant des blocages d’infrastructures essentielles, notamment les axes commerciaux et les postes frontaliers internationaux,

  • (iii)les effets néfastes découlant des blocages sur les relations qu’entretient le Canada avec ses partenaires commerciaux, notamment les États-Unis, lesquels effets sont préjudiciables aux intérêts du Canada,

  • (iv)la rupture des chaînes de distribution et de la mise à disposition de ressources, de services et de denrées essentiels causée par les blocages existants et le risque que cette rupture se perpétue si les blocages continuent et augmentent en nombre,

  • (v)le potentiel d’augmentation du niveau d’agitation et de violence qui menaceraient davantage la sécurité des Canadiens.

La proclamation prévoit six mesures temporaires qui pourraient être nécessaires pour faire face à l’état d’urgence :

  • (i)des mesures pour réglementer ou interdire les assemblées publiques — autre que les activités licites de défense d’une cause, de protestation ou de manifestation d’un désaccord — dont il est raisonnable de penser qu’elles auraient pour effet de troubler la paix, les déplacements à destination, en provenance ou à l’intérieur d’une zone désignée, pour réglementer ou interdire l’utilisation de biens désignés, notamment les biens utilisés dans le cadre d’un blocage, et pour désigner et aménager des lieux protégés, notamment les infrastructures essentielles,

  • (ii)des mesures pour habiliter toute personne compétente à fournir des services essentiels ou lui ordonner de fournir de tels services, notamment l’enlèvement, le remorquage et l’entreposage de véhicules, d’équipement, de structures ou de tout autre objet qui font partie d’un blocage n’importe où au Canada, afin de pallier les effets des blocages sur la sécurité publique et économique du Canada, notamment des mesures pour cerner ces services essentiels et les personnes compétentes à les fournir, ainsi que le versement d’une indemnité raisonnable pour ces services,

  • (iii)des mesures pour habiliter toute personne à fournir des services essentiels ou lui ordonner de fournir de tels services afin de pallier les effets des blocages, notamment des mesures pour réglementer ou interdire l’usage de biens en vue de financer et d’appuyer les blocages, pour exiger de toute plateforme de sociofinancement et de tout fournisseur de traitement de paiement qu’il déclare certaines opérations au Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada et pour exiger de tout fournisseur de services financiers qu’il vérifie si des biens qui sont en sa possession ou sous son contrôle appartiennent à une personne qui participe à un blocage,

  • (iv)des mesures pour habiliter la Gendarmerie royale du Canada à appliquer les lois municipales et provinciales au moyen de l’incorporation par renvoi,

  • (v)en cas de contravention aux décrets ou règlements d’application de l’article 19 de la Loi sur les mesures d’urgence, l’imposition d’amendes ou de peines d’emprisonnement,

  • (vi)toute autre mesure d’intervention autorisée par l’article 19 de la Loi sur les mesures d’urgence qui est encore inconnue.

Ces mesures ont été établies par le Règlement sur les mesures d’urgence et le Décret sur les mesures économiques d’urgence.

Le paragraphe 58(1) de la Loi sur les mesures d’urgence exige qu’une motion de ratification de la déclaration de situation de crise, signée par un ministre, accompagnée d’un exposé des motifs de la déclaration et d’un compte rendu des consultations avec les lieutenants-gouverneurs en conseil des provinces au sujet de celle-ci, soit déposée devant chaque chambre du Parlement dans les sept jours de séance suivant l’émission de la déclaration.

Contexte menant à la déclaration de situation de crise

Le « convoi de la liberté 2022 » est la première manifestation de ce mouvement en plein essor axé sur les sentiments anti-gouvernementaux liés à la réponse de la santé publique à la pandémie de COVID-19. Des convois de camionneurs ont commencé leur voyage à partir de divers points du pays, et ils sont arrivés à Ottawa, le vendredi 28 janvier 2022. Depuis, le mouvement n’a fait que prendre de l’ampleur partout au pays, avec une augmentation significative du nombre de participants à Ottawa ainsi que des manifestations et des blocages se multipliant au pays, par exemple, à des points d’entrée stratégiques (pont Ambassador, en Ontario; Coutts, en Alberta; et Emerson, au Manitoba).

Les participants à ces activités ont employé un certain nombre de tactiques qui sont menaçantes, qui suscitent la crainte, qui perturbent la paix, qui ont des répercussions sur l’économie canadienne et qui alimentent un sentiment général d’agitation publique – en faveur ou contre le mouvement. Ces tactiques comprennent le harcèlement et les reproches adressés à des citoyens et à des membres des médias, le ralentissement intentionnel de la circulation en roulant lentement, le ralentissement de la circulation et la création d’embouteillages, en particulier près des ports d’entrée; on dit aussi que de manifestants ont amené des enfants sur les sites de afin [sic] de limiter le niveau et les types d’intervention des forces de l’ordre. Le mouvement a dépassé le stade de la manifestation pacifique, et il existe des preuves solides d’activités illégales en cours. De simples citoyens, des municipalités et la province de l’Ontario ont tous participé à des procédures judiciaires visant à obtenir des injonctions pour gérer les menaces et les répercussions causées par les activités du convoi, et un recours collectif a été déposé au nom des résidents d’Ottawa.

Les rapports anecdotiques de dons provenant de l’extérieur du Canada versés pour soutenir les manifestants ont été corroborés lorsque, le 13 février 2022, les pirates informatiques s’étant attaqués au site de sociofinancement GiveSendGo.com ont publié les données piratées contenant des renseignements sur les donateurs et le montant des dons destinés aux manifestants. Selon l’analyse des données faite par la Canadian Broadcasting Corporation le 14 février 2002, 55,7 % des 92 844 dons publiés ont été faits par des donateurs se trouvant aux États-Unis, comparativement à 39 % de donateurs au Canada. Le reste des donateurs se trouvaient dans d’autres pays, le plus fréquent étant le Royaume-Uni. Les dons versés par des donateurs des États-Unis totalisaient 3,6 millions de dollars américains. Nombre des dons ont été faits de manière anonyme.

Demandes d’assistance et de consultation

Le gouvernement fédéral est en contact avec les provinces depuis le début des événements. Certaines des demandes d’aide fédérale pour gérer les blocages provenaient des entités suivantes :

  • la Ville d’Ottawa, pour les services de police;

  • la province de l’Ontario, concernant le pont Ambassador à Windsor, en Ontario;

  • la province de l’Alberta, concernant la capacité des dépanneuses au point d’entrée de Coutts.

Pour connaître les détails concernant la consultation, veuillez consulter le rapport aux chambres du Parlement : Consultation sur la Loi sur les mesures d’urgences.

Mesures d’urgence prises par l’Ontario et d’autres provinces

Le 11 février 2022, la province de l’Ontario a déclaré l’état d’urgence en vertu de la Loi sur la protection civile et la gestion des situations d’urgence en réponse à l’interférence des événements avec le transport et d’autres infrastructures essentielles dans l’ensemble de la province, qui empêche la circulation des personnes et la livraison des biens essentiels.

Les mesures d’urgence qui ont été mises en œuvre depuis comprennent les suivantes : amendes et possibles peines d’emprisonnement pour les manifestants qui refusent de partir (100 000 $ et jusqu’à un an d’emprisonnement en cas de non-respect des mesures).

Le 12 février 2022, le gouvernement de l’Ontario a également adopté une disposition législative en vertu de la Loi sur la protection civile et la gestion des situations d’urgence (Règlement de l’Ontario 71/22) rendant illégal et punissable le fait de bloquer et d’entraver la circulation des biens, des personnes et des services le long des infrastructures essentielles. Le Nouveau-Brunswick a annoncé qu’il mettra à jour sa loi sur les mesures d’urgence afin d’interdire tout arrêt et tout stationnement d’un véhicule sur une route ou une autoroute et toute contribution, de toute autre manière, à l’interruption de la circulation normale des véhicules sur une route ou une autoroute. La Nouvelle-Écosse a également publié une directive en vertu de sa loi sur la gestion des urgences afin d’interdire aux manifestants de bloquer une autoroute près de la limite entre la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick.

Aucune autre province n’a signalé son intention de prendre des mesures similaires.

Comme le précise la section ci-dessous, les activités du convoi ont donné lieu à une situation d’urgence qui découle de menaces à la sécurité du Canada et dont la gravité est telle qu’elle constitue une urgence nationale.

Raisons de l’instauration de l’état d’urgence

La situation à l’échelle du pays demeure préoccupante, volatile et imprévisible. La décision d’émettre la déclaration s’est appuyée sur une évaluation de la situation nationale globale et par sur des discussions approfondies pendant trois réunions du groupe d’intervention les 10, 12 et 13 février 2022. Les mesures visent à aider les autorités provinciales et territoriales à mettre fin aux blocages et à l’occupation ainsi qu’à rétablir l’ordre public, la primauté du droit et la confiance de la population envers les institutions du Canada. Ces mesures limitées dans le temps seront utilisées seulement au besoin en fonction de la nature de la menace et de son évolution et ne supplantera pas ni ne remplacera les pouvoirs provinciaux et territoriaux, pas plus qu’elles ne diminueront le pouvoir des provinces et des territoires de diriger leurs forces policières. Les activités du convoi et l’incidence de celles-ci qui justifient l’instauration de l’état d’urgence, tel qu’il est décrit dans la Proclamation déclarant l’état d’urgence, sont détaillées ci-dessous :

  1. les blocages continus mis en place par des personnes et véhicules à différents endroits au Canada et les menaces continues proférées en opposition aux mesures visant à mettre fin aux blocages, notamment par l’utilisation de la force, lesquels blocages ont un lien avec des activités qui visent à favoriser l’usage de la violence grave ou de menaces de violence contre des personnes ou des biens, notamment les infrastructures essentielles, dans le but d’atteindre un objectif politique ou idéologique au Canada;

Les manifestations sont devenues un moyen de ralliement pour les groupes du Canada et d’autres pays occidentaux qui s’opposent aux gouvernements, aux autorités et à la vaccination, qui adhèrent aux théories du complot et qui militent pour la suprématie blanche. Les manifestants ont des doléances idéologiques diverses, leurs revendications pouvant aller de la levée des restrictions en matière de santé publique au renversement du gouvernement élu. Par exemple, les organisateurs de la manifestation ont suggéré de former un gouvernement de coalition avec les partis d’opposition avec le concours de la gouverneure générale Mary Simon. Cette suggestion d’une coalition semble découler d’une proposition antérieure issue d’un « protocole d’entente » largement diffusé par un groupe appelé « Canada Unity » qui prend part au convoi. Le « protocole d’entente » proposait que le Sénat et la gouverneure générale acceptent de se joindre aux protestataires pour former un comité chargé d’ordonner la révocation des restrictions liées à la COVID‐19 et des obligations vaccinales.

Les tactiques qu’adoptent les manifestants pour atteindre leurs objectifs comprennent le ralentissement de la circulation et la création d’embouteillages, en particulier près des points d’entrée. Des manifestants amèneraient également des enfants sur les lieux des manifestations dans le but de limiter le niveau et les types d’intervention des forces de l’ordre. L’intention des manifestants aux points d’entrée était d’entraver l’importation et l’exportation de marchandises à la frontière canado-américaine pour obtenir la modification des mesures sanitaires contre la COVID prises par le gouvernement du Canada ainsi que celle d’autres politiques gouvernementales.

Dans la région de la capitale nationale, des camions et des véhicules personnels continuent de perturber le quotidien à Ottawa et ont provoqué la fermeture de commerces de détail et d’autres entreprises. Des exploitants de dépanneuses ont refusé de collaborer avec les gouvernements pour retirer les camions des blocages. Le chef du Service de police d’Ottawa a remis sa démission le 15 février 2022 en réponse aux critiques relativement à l’intervention de la police pendant les manifestations.

Des partisans du convoi ayant travaillé par le passé au sein des forces de l’ordre et de l’armée ont été aperçus aux côtés des organisateurs et pourraient fournir des conseils en matière de logistique et de sécurité, ce qui pose des problèmes opérationnels pour les forces de l’ordre, car des techniques et tactiques policières pourraient être révélées aux membres du convoi. Il y a des signes de coordination entre les divers convois et blocages.

Des incidents violents, des menaces de violence et des arrestations liées aux manifestations ont été signalés dans l’ensemble du Canada. La récente perquisition de la Gendarmerie royale du Canada dans une cache d’armes à feu comprenant une grande quantité de munitions à Coutts, en Alberta, indique que certains membres des manifestations ont l’intention de recourir à la violence. Les personnes qui adhèrent à l’extrémisme violent à caractère idéologique peuvent se sentir motivées par le niveau de désordre qu’engendrent les manifestations. Les discours violents en ligne, l’augmentation des menaces à l’égard des fonctionnaires et la présence d’extrémistes motivés par une idéologie lors des manifestations indiquent également qu’il existe un risque de violence grave et que des acteurs solitaires peuvent mener des attaques terroristes.

Pour aider à gérer ces blocages et leurs importantes répercussions négatives, le Règlement sur les mesures d’urgence interdit certains types d’assemblées publiques (« assemblées interdites »), où l’assemblée publique : (i) pourrait entraver gravement le commerce ou la circulation des personnes et des biens; (ii) entrave le fonctionnement d’infrastructures essentielles; ou (iii) favorise l’usage de la violence grave ou de menaces de violence contre des personnes ou des biens. Le Règlement interdit aussi quiconque (i) de participer à une assemblée interdite ou d’y faire participer une personne mineure; (ii) de se déplacer, ou de faire déplacer une personne mineure, à destination ou à moins de 500 m d’une zone où se tient une assemblée interdite, sous réserve de certaines exceptions; et (iii) directement ou non, d’utiliser, de réunir, de rendre disponibles ou de fournir des biens pour participer à une assemblée interdite ou faciliter une telle assemblée ou pour en faire bénéficier une personne qui participe à une telle assemblée ou la facilite. De plus, il est interdit à l’étranger d’entrer avec l’intention de participer à une assemblée interdite ou de faciliter une telle assemblée, sous réserve de certaines exceptions.

Le Règlement sur les mesures d’urgence désigne par ailleurs certains lieux comme étant protégés et prévoit qu’ils peuvent être aménagés, notamment la cité parlementaire et la Colline parlementaire, les infrastructures essentielles, les résidences officielles, les immeubles gouvernementaux et les immeubles de la défense, et les monuments commémoratifs de guerre.

  1. les effets néfastes sur l’économie canadienne — qui se relève des effets de la pandémie de la maladie à coronavirus 2019 (COVID-19) — et les menaces envers la sécurité économique du Canada découlant des blocages d’infrastructures essentielles, notamment les axes commerciaux et les postes frontaliers internationaux.

Le commerce et le transport au Canada et entre le Canada et les États-Unis sont fortement intégrés. Les postes frontaliers, les lignes de chemin de fer, les aéroports et les points d’entrée sont intégrés et subissent des répercussions négatives lorsqu’un ou plusieurs d’entre eux sont bloqués ou empêchés de fonctionner à leur capacité normale.

Le commerce entre le Canada et les États-Unis est essentiel à l’économie ainsi qu’à la vie et au bien-être de tous les Canadiens. Quelque 75 % des exportations canadiennes sont destinées aux États-Unis; elles génèrent environ 2 milliards de dollars d’importations/exportations par jour, et les échanges commerciaux totaux entre les deux pays se chiffraient à 774 milliards de dollars en 2021.

Les blocages et les manifestations organisés en de nombreux endroits le long de la frontière canado-américaine ont déjà eu de graves conséquences sur l’économie du Canada. Les manifestations aux grands points d’entrée du pont Ambassador à Windsor (Ontario), d’Emerson (Manitoba), de Coutts (Alberta) et de Pacific Highway (Colombie-Britannique), tous des lieux essentiels qui jouent un rôle de premier plan dans les déplacements internationaux de gens et de marchandises, ont obligé l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) à suspendre ses services.

En tant que corridor commercial essentiel, le pont Ambassador est le poste frontière le plus fréquenté du Canada, avec des échanges de marchandises de plus de 140 milliards de dollars en 2021. Il a vu passer 26 % des exportations par route du pays en 2021 (63 milliards de dollars sur 242 milliards de dollars) et 33 % des importations du pays (80 milliards de dollars sur 240 milliards de dollars). Depuis qu’il a commencé, le blocage du pont Ambassador interrompt des échanges commerciaux d’une valeur de 390 millions de dollars par jour entre le Canada et son principal partenaire commercial, les États-Unis, causant ainsi des pertes de salaires chez les employés, une réduction de la capacité de transformation dans le secteur automobile et des pertes générales de production dans une industrie déjà durement touchée par la pénurie de pièces électroniques essentielles. C’est par ce pont que transitent 30 % de toutes les marchandises passant d’un pays à l’autre par la route. Les blocages de Coutts (Alberta) et d’Emerson (Manitoba) ont quant à eux empêché le transport de marchandises d’une valeur de 48 et 73 millions de dollars par jour, respectivement. Les événements récents ciblant les points d’entrée commerciaux achalandés du Canaada ont miné de manière irréparable la confiance de nos partenaires commerciaux envers la capacité du Canada à contribuer efficacement à l’économie mondiale, et ils mèneront les fabricants à réévaluer leurs investissements dans le secteur manufacturier au Canada, ce qui aura des répercussions sur la santé et le bien-être de milliers de Canadiens.

De plus, tout au long de la semaine précédant le 14 février 2022, 12 autres manifestations ont entraîné des répercussions directes sur les opérations aux points d’entrée. À deux postes, ceux de Pacific Highway et de Fort Erie, les manifestants ont franchi les limites de l’aire de service de l’ASFC. Les agents de l’ASFC ont donc dû fermer le bureau pour éviter que d’autres manifestants y accèdent.

Plus précisément, mentionnons les perturbations ci-dessous à des points d’entrée stratégiques en Alberta, en Colombie-Britannique, au Manitoba et en Ontario avant la déclaration de l’état d’urgence :

  • Pont Ambassador, Windsor (Ontario) : Le poste frontalier le plus achalandé de toute la frontière canado-américaine faisait l’objet d’un blocage depuis le 7 février 2022. Après le dépôt d’une injonction le 11 février 2022, les forces de l’ordre ont commencé à disperser les manifestants. Le 13 février 2022, les mesures d’intervention policières se sont poursuivies; on a procédé à des arrestations et remorqué des véhicules. Dans la soirée du 13 février 2022, le pont Ambassador a été entièrement rouvert. Il n’y a plus de retard signalé au poste frontalier, mais les efforts se poursuivent pour que le pont puisse demeurer ouvert.
  • Sarnia (Ontario) : Le 8 février 2022, deux groupes importants de manifestants ont procédé à un blocage de la route provinciale en direction et en provenance du pont Blue Water de Sarnia. Ce point d’entrée est le deuxième poste frontalier le plus fréquenté du Canada, où transitent des importations et des exportations des secteurs du pétrole et du gaz, des aliments périssables, de l’élevage et de l’automobile. La manifestation a paralysé tous les mouvements des véhicules commerciaux et de voyageurs à destination des États-Unis, en plus de réduire la capacité d’accueil des moyens de transport arrivant au pays. La Police provinciale de l’Ontario (PPO) a été en mesure de rétablir l’ordre à proximité du point d’entrée après dix heures de perturbation frontalière. Le 9 février 2022, des membres de l’un des groupes de manifestants ont bloqué la route provinciale à environ 30 kilomètres à l’est de Sarnia, ce qui a entraîné la déviation de la circulation internationale vers des détours d’urgence permettant l’accès à la frontière. Ces perturbations se sont poursuivies jusqu’au 14 février 2022, alors que l’accès à une partie de la route a été rétabli.
  • Fort Erie (Ontario) : Le 12 février 2022, une importante manifestation a eu lieu au point d’entrée du pont Peace de l’ASFC à Fort Erie, en Ontario. Il s’agit du troisième poste frontalier le plus fréquenté du Canada, où transitent chaque jour des millions de dollars en échanges commerciaux internationaux : importations et exportations de denrées périssables, de composantes de fabrication et d’envois par messagerie de biens personnels et commerciaux. Les manifestants ont perturbé le trafic entrant une partie de la journée, le 12 février 2022, et ont bloqué le trafic sortant jusqu’au 14 février 2022, lorsque la PPO et la police régionale de Niagara ont été en mesure de rétablir la sécurité du corridor commercial qui relie la route provinciale et le poste frontalier.
  • Emerson (Manitoba) : Le 13 février 2022, il restait des véhicules participant au blocage du côté nord du poste frontalier. Une partie des voyageurs locaux ont pu entrer au Canada, mais les véhicules d’envois commerciaux ne sont pas en mesure d’emprunter la route au nord d’Emerson, ce qui perturbe les exportations aux États-Unis et les expéditions au Canada d’animaux vivants, de denrées périssables et de marchandises fabriquées. Les manifestants ont laissé passer des envois d’animaux vivants à destination des États-Unis.
  • Coutts (Alberta) : Le blocage a débuté le 29 janvier 2022, ce qui a perturbé la circulation à la frontière entre le Canada et les États-Unis. Ce bureau d’entrée est un point commercial essentiel pour le transport d’animaux vivants, de pétrole et de gaz, de denrées périssables et de marchandises fabriquées à destination de l’Alberta et de l’ouest de la Saskatchewan. Au 14 février 2022, la GRC, service de police responsable en vertu d’une entente sur les services de police provinciaux, avait arrêté 11 personnes et saisi une cache d’armes et de munitions. Quatre de ces individus ont été accusés de complot en vue de commettre un meurtre et d’autres infractions. La GRC a rétabli l’accès à la route provinciale au nord de Coutts le 15 février 2022. Les services frontaliers ont été entièrement restaurés, mais les efforts se poursuivent pour que le poste demeure ouvert.
  • Région métropolitaine de Vancouver (Colombie-Britannique) : Le 12 février 2022, plusieurs véhicules, dont un de style militaire, ont franchi une barricade de la GRC dans le quartier South Surrey, en Colombie-Britannique, pour se rendre au poste frontalier Pacific Highway. Les manifestants ont entraîné la fermeture de la route à la frontière canado-américaine à Surrey.

En outre, le 12 février 2022, la police de Cornwall, en Ontario, a émis une mise-en-garde de la possibilité de retards et de blocages à la frontière en raison de manifestations.

Ces blocages et manifestations menacent directement la sécurité des frontières du Canada. Ils risquent également de compromettre la capacité du Canada à gérer la circulation des personnes et des marchandises à la frontière et la sécurité des agents de l’ASFC, en plus de miner la relation de confiance et de collaboration entre les responsables de l’ASFC et leurs homologues des États-Unis. D’autres blocages sont prévus. La Loi sur la protection civile et la gestion des situations d’urgence de l’Ontario autorise des personnes à offrir de l’aide, mais elle ne les contraint pas à le faire. Les conducteurs de dépanneuse ont le droit de rejeter les demandes de remorquage de véhicules utilisés dans les blocages et ils ont refusé de prêter assistance au gouvernement. La Province n’avait pas la capacité de s’assurer en temps opportun que des dépanneuses pourraient être utilisées pour le déplacement de véhicules. Les mesures d’urgence autorisent maintenant le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile ou toute autre personne qui agit en son nom d’obliger immédiatement des personnes à rendre disponibles et fournir les biens et services essentiels pour l’enlèvement, le remorquage et l’entreposage de véhicules ou de tout autre objet qui composent un blocage. Les mesures prévoient qu’une indemnité raisonnable sera accordée dans un tel cas. Les personnes qui subissent des pertes ou des dommages entraînés par des actes accomplis dans le cadre de ce règlement peuvent présenter une demande d’indemnisation.

On a également menacé de bloquer les voies ferrées, ce qui causerait de graves perturbations. L’industrie canadienne du transport ferroviaire de marchandises assure le transit de marchandises d’une valeur de plus de 310 milliards de dollars par année sur un réseau qui s’étend d’un océan à l’autre. Elle dessert des clients de presque chaque secteur de l’économie canadienne, de la fabrication à l’agriculture en passant par les ressources naturelles, le commerce de gros et le commerce de détail. De plus, l’industrie canadienne du transport ferroviaire de marchandises génère des recettes d’exploitation de plus de 16 milliards de dollars par année.

Les perturbations ont une incidence sur d’importants axes commerciaux, et si elles se poursuivent, elles risquent de miner la réputation du Canada en tant que pays stable, prévisible et fiable où investir. Le système financier fédéral et provincial actuel n’a pas les outils nécessaires pour atténuer les effets négatifs de l’impact économique; il lui faut des mesures supplémentaires. Le Décret sur les mesures économiques d’urgence exige que les fournisseurs de services financiers, selon une liste exhaustive, déterminent si des biens en leur possession ou sous leur contrôle appartiennent à des manifestants qui participent aux barrages illégaux et cessent de traiter avec ces manifestants. Les fournisseurs de services financiers qui, autrement, ne relèveraient pas de la compétence fédérale, sont visés par le décret. Puisque les fournisseurs de services financiers peuvent transférer entre eux des ressources financières peu importe leur emplacement géographique ou qu’ils soient réglementés par le gouvernement provincial ou fédéral, il est essentiel que tous les fournisseurs de services financiers soient visés par le décret si l’on veut empêcher les manifestants d’avoir accès aux services financiers.

Avant les nouvelles mesures, en matière d’assurance, les provinces ne pouvaient annuler ou suspendre les polices que pour les véhicules immatriculés dans leur province. Le gouvernement de l’Ontario ne peut pas, par exemple, en vertu de sa déclaration de l’état d’urgence, annuler les permis des véhicules des manifestants qui participent à des barrages ou à des rassemblements illégaux. Les mesures exigent maintenant que les compagnies d’assurance annulent ou suspendent l’assurance de tout véhicule ou de toute personne lorsque cette personne ou ce véhicule participe à un rassemblement illégal au sens du nouveau Règlement sur les mesures d’urgence.

  1. les effets néfastes découlant des blocages sur les relations qu’entretient le Canada avec ses partenaires commerciaux, notamment les États-Unis, lesquels effets sont préjudiciables aux intérêts du Canada

Les États-Unis ont exprimé leurs préoccupations quant aux répercussions économiques des blocages à la frontière, de même qu’à leurs incidences possibles sur les mouvements extrémistes violents. Durant un appel avec le président Joe Biden le 11 février 2022, il a été question de l’énorme importance de rétablir l’accès au pont Ambassador et à d’autres points d’entrée aussi rapidement que possible. En effet, ces lieux constituent des axes commerciaux bilatéraux primordiaux et sont essentiels aux vastes interrelations entre nos deux pays.

Les perturbations aux points d’entrée ont de graves répercussions sur le commerce avec nos partenaires américains et sur la chaîne d’approvisionnement, déjà fragilisée. Elles ont entraîné la fermeture temporaire d’établissements de production, des mises à pied et des pertes de revenus. On estime que le blocage du pont Ambassadeur pendant une semaine a causé, à lui seul, des pertes économiques totales de 51 millions de dollars pour les entreprises et les travailleurs américains des industries de l’automobile et du transport. Les manifestations ont donc suscité des critiques et des préoccupations importantes de la part de politiciens, de chefs d’industrie et de dirigeants syndicaux américains.

La gouverneure du Michigan a publié plusieurs déclarations exprimant sa frustration quant aux manifestations et blocages en cours ainsi qu’aux dommages causés à son État et à ses électeurs. Des frustrations semblables ont été exprimées par le président général de la Fraternité internationale des teamsters et par la Canada-US Business Association. Les blocages et les manifestations préoccupent à un point tel le gouvernement des États-Unis que le secrétaire du département de la Sécurité intérieure a offert son aide pour y mettre fin.

De manière plus générale, les manifestations et les blocages minent la confiance des investisseurs et des gens d’affaires envers le Canada. Des politiciens du Michigan ont déjà mentionné que les perturbations du commerce transfrontalier pourraient les inciter à trouver des fournisseurs de pièces pour véhicules automobiles américains plutôt que canadiens.

  1. rupture des chaînes de distribution et de la mise à disposition de ressources, de services et de denrées essentiels causée par les blocages existants et le risque que cette rupture se perpétue si les blocages continuent et augmentent en nombre

Le système de commerce et de transport du Canada a certaines vulnérabilités particulières. Comparativement aux produits des concurrents du Canada sur le marché mondial, les produits canadiens voyagent beaucoup plus loin, et ils le font dans des conditions géographiques et météorologiques difficiles. Qui plus est, le commerce et le transport intérieurs, de même qu’entre le Canada et les États-Unis, sont étroitement intégrés.

Chaque minute, des biens essentiels, des fournitures médicales, de la nourriture et du carburant traversent la frontière entre les États-Unis et le Canada. Une perturbation ou un retard dans ces échanges a des effets très néfastes sur l’économie canadienne et la vie des Canadiens.

La fermeture de points d’entrée cruciaux le long de la frontière canado-américaine et les menaces contre ces points d’entrée ont eu des répercussions négatives sur l’économie du Canada et ont mis en péril le bien-être des Canadiens en perturbant le transport de denrées essentielles, de fournitures médicales, d’aliments et de carburant transitant par la frontière canado-américaine. L’incapacité de maintenir ouverts les postes aux frontières internationales pourrait entraîner une pénurie de médicaments essentiels, de nourriture et de carburant

En plus de bloquer la frontière, des manifestants ont tenté d’empêcher l’accès à l’Aéroport international Macdonald-Cartier d’Ottawa et menacé d’établir des barrages sur des chemins de fer. Le barrage d’un chemin de fer aurait des conséquences considérables. Comme nous l’avons déjà mentionné, l’industrie canadienne du transport ferroviaire de marchandises transporte chaque année des marchandises d’une valeur supérieure à 310 milliards de dollars sur un réseau qui s’étend d’un océan à l’autre. Les chemins de fer de marchandises du Canada servent des clients de presque tous les secteurs de l’économie canadienne, de la fabrication à l’agriculture, en passant par les ressources naturelles et la vente de gros et de détail.

  1. le potentiel d’augmentation du niveau d’agitation et de violence qui menacerait davantage la sécurité des Canadiens

Les manifestations et les blocages représentent de graves risques pour la sécurité publique. Les autorités municipales et provinciales ont pris des mesures énergiques dans les principaux endroits touchés, comme le pont Ambassador, à Windsor. Cependant, le rétablissement de l’accès au pont a exigé beaucoup de ressources, et il en faudra encore autant pour garder le pont ouvert.

Nous avons vu jusqu’ici de nombreuses activités illégales, et la situation dans tout le pays demeure préoccupante, instable et imprévisible. Le convoi de la liberté pourrait aussi faire monter les appuis à l’égard de l’extrémisme violent à caractère idéologique (EVCI) de même que le risque de violences graves.

Les partisans de l’EVCI sont motivés par une série d’influences plutôt que par un système de croyances unique. La radicalisation de l’EVCI est souvent causée par une combinaison d’idées et de griefs aboutissant à une vision du monde personnalisée. La vision du monde qui en résulte est souvent centrée sur la disposition à inciter à la violence, à la permettre ou à mobiliser à des fins violentes.

Le 14 février 2022, la GRC a arrêté à Coutts, en Alberta, de nombreux individus associés à un groupe de l’EVCI connu qui avaient participé aux manifestations et a saisi une cache d’armes à feu et une grande quantité de munitions, ce qui indique que certains éléments de ce mouvement ont l’intention de se livrer à la violence. Quatre de ces individus ont été accusés de complot en vue de commettre un meurtre, en plus d’autres infractions.

Depuis le début du convoi, le nombre et la durée des actes criminels associés à des perturbations de l’ordre public pour protester contre les mesures de santé publique ont augmenté de manière appréciable et il y a eu des menaces sérieuses de violence dont la motivation, a-t-on évalué, est de nature politique ou idéologique. Des menaces de bombe ont été proférées à deux reprises contre des hôpitaux de Vancouver et de nombreux colis suspects contenant des substances potentiellement nocives et des références à la pendaison de responsables politiques ont été envoyés aux bureaux de députés en Nouvelle-Écosse. Bien que, dans ces deux cas, un lien avec le convoi n’ait pas encore été établi, ces menaces s’inscrivent dans le cadre d’une augmentation générale des menaces proférées à l’encontre d’agents de la fonction publique et de travailleurs de la santé. Des menaces ont été relevées en relation avec la manifestation à la limite entre la Nouvelle-Écosse et le Nouveau-Brunswick prévue pour le 12 février 2022, notamment un appel à apporter « des armes » pour répliquer à la police au besoin. Le conducteur d’une dépanneuse d’Ottawa a déclaré avoir reçu des menaces de mort de la part de partisans de la manifestation qui croyaient à tort qu’il prêtait assistance à la police.

La sûreté du Québec (SQ) a dû gérer de nombreuses menaces découlant des manifestations. Au début de février 2022, on lui a demandé de protéger l’Assemblée nationale d’un convoi de manifestants à Québec. Certains participants aux manifestations avaient menacé de prendre les armes et de s’attaquer au bâtiment. Cela a incité tous les partis, à l’Assemblée nationale, à dénoncer sans équivoque les menaces de violence. Si cette manifestation n’a pas été accompagnée de gestes violents, ce ne fut pas la fin des menaces; les manifestants ont affirmé qu’ils comptaient retourner sur place le 19 février 2022. La SQ doit en même temps gérer les risques de manifestations et de blocages le long de la frontière entre le Québec et l’État de New York. Pour ce faire, elle doit déployer des ressources afin d’établir des points de contrôle de la circulation et de s’assurer que des points d’entrée essentiels puissent rester ouverts.

D’autres incidents qui se sont produits durant les blocages semblent indiquer que des sympathisants américains de l’extrémisme violent à caractère idéologique ont tenté de se joindre aux manifestations au Canada ou d’effectuer des blocages perturbateurs par solidarité du côté américain des postes frontaliers. Certains manifestants portaient ouvertement des armes. Des participants vivant aux États-Unis, dont certains soutiennent haut et fort des thèses extrémistes violentes, ont utilisé divers médias sociaux et d’autres méthodes pour exprimer leur soutien envers les blocages en cours, encourager d’autres perturbations et menacer de violences graves les forces de l’ordre canadiennes et le gouvernement du Canada.

Plusieurs personnes ayant un statut légal aux États-Unis ont tenté d’entrer au Canada dans le but avoué de se joindre aux blocages. Une d’entre elles, personnalité connue, clame haut et fort son opposition aux mesures sanitaires liées à la COVID-19, y compris la vaccination obligatoire, et a tenté d’importer au Canada du matériel dans le but avoué de venir en aide aux participants aux blocages.

En date du 14 février, environ 500 véhicules, pour la plupart des camions commerciaux, étaient garés au cœur du centre-ville d’Ottawa. On a vu des manifestants commettre des crimes haineux, entrer par effraction dans des commerces et des résidences, et menacer les forces de l’ordre et les résidents d’Ottawa.

Les manifestants ont refusé de se plier aux injonctions concernant le centre-ville d’Ottawa et le pont Ambassador ainsi qu’aux lois récemment édictées par le gouvernement de l’Ontario en application de la Loi sur la protection civile et la gestion des situations d’urgence (Règlement de l’Ontario 71/22) rendant illégale et punissable l’action de bloquer et d’empêcher le mouvement des marchandises, des personnes et des services sur des infrastructures essentielles. À Ottawa, le service de police local a été incapable de faire appliquer la loi au centre-ville en raison du nombre écrasant de manifestants. De plus, sa capacité d’intervenir dans d’autres urgences a été compromise par l’engorgement volontaire de la ligne téléphonique d’urgence d’Ottawa (911), y compris par des personnes se trouvant hors du Canada. L’occupation du centre-ville a également nui à la capacité des intervenants médicaux d’urgence de se rendre rapidement auprès des gens ayant besoin d’une aide médicale, en plus de causer l’annulation de nombreux rendez-vous médicaux.

L’incapacité des autorités municipales et provinciales à faire respecter la loi ou à endiguer les manifestations risque d’entraîner une plus forte érosion de la confiance du public dans les services policiers et d’autres institutions canadiennes.

La situation au centre-ville d’Ottawa nuit en outre au bon fonctionnement de l’appareil fédéral et à la capacité des représentants du gouvernement fédéral de se rendre au travail au centre-ville en toute sécurité.

Par ailleurs, ces manifestations compromettent la capacité du Canada à jouer son rôle d’hôte du corps diplomatique conformément aux obligations que lui impose la Convention de Vienne sur les relations diplomatiques. Elles mettent également en danger les ambassades étrangères et leur personnel, et nuit à l’accès aux locaux diplomatiques.

Conclusion

Le convoi de la liberté 2022 a créé une situation critique, urgente et temporaire de portée nationale à laquelle aucune autre loi du Canada ne permet de faire face efficacement. Les blocages des points d’entrée ont perturbé le transport des médicaments essentiels, des marchandises, du carburant et de la nourriture destinés à la population canadienne, et ont des effets délétères marqués sur l’économie du Canada, ses relations avec ses partenaires commerciaux et ses chaînes d’approvisionnement. Avec les autres raisons détaillées plus haut, ces perturbations des échanges commerciaux, l’augmentation de la criminalité, l’occupation du centre-ville d’Ottawa ainsi que les menaces de violence et la présence d’armes à feu lors des manifestations constituent un état d’urgence. Cette situation, causée par les menaces qui pèsent sur la sécurité du Canada, est d’une gravité telle qu’elle constitue une urgence nationale. Les types de mesures décrits dans la proclamation du 14 février sont nécessaires pour aider les autorités provinciales et territoriales à mettre un terme aux blocages et à l’occupation ainsi qu’à rétablir l’ordre public, la primauté de la loi et la confiance dans les institutions canadiennes. Les mesures ont été choisies prudemment afin que tout effet possible sur les droits protégés par la Charte canadienne des droits et libertés soit raisonnable et proportionnel aux circonstances.


Compte rendu présenté aux deux chambres du Parlement : Consultations prévues par la Loi sur les mesures d’urgence

16 février 2022

Contexte et obligation de consulter

Le 14 février 2022, le gouverneur en conseil a déclaré l’état d’urgence aux termes de la Loi sur les mesures d’urgence. Selon l’article 25 de la Loi, le gouverneur en conseil est tenu de consulter le lieutenant- gouverneur en conseil de chaque province avant de faire une déclaration d’état d’urgence. Un compte rendu de ces consultations doit être déposé devant les deux chambres du Parlement dans les sept jours de séance suivant la déclaration, conformément à l’article 58 de la Loi.

Consultations

Depuis le début de la crise fin janvier, les ministres et hauts fonctionnaires du gouvernement fédéral n’ont pas cessé de consulter les provinces et les territoires, les municipalités, et les organismes d’application de la loi pour évaluer la situation et leur offrir le soutien et l’aide du gouvernement du Canada. Le personnel du Cabinet du premier ministre et de divers cabinets de ministres fédéraux est en communication continue avec les cabinets des premiers ministres et des ministres provinciaux concernés. Voici quelques exemples de la façon dont nous avons consulté les partenaires provinciaux, municipaux et internationaux :

  • -Nous avons régulièrement consulté la Ville d’Ottawa au sujet des demandes d’aide qu’elle a présentée au gouvernement fédéral, notamment en ce qui concerne les services policiers (le 7 février, le maire d’Ottawa et la présidente de la Commission de services policiers d’Ottawa ont envoyé une lettre au premier ministre).

  • -Le premier ministre a discuté avec le maire d’Ottawa le 31 janvier et le 8 février au sujet de l’occupation illégale à Ottawa.

  • -Des réunions trilatérales ont eu lieu le 7, le 8 et le 10 février entre le président du Conseil privé de la Reine pour le Canada et ministre de la Protection civile, le ministre de la Sécurité publique, le maire d’Ottawa, le directeur municipal, et le chef du Service de police d’Ottawa. Le ministre a également consulté le solliciteur général de l’Ontario le 7 février pour discuter du travail de la table tripartite.

  • -Le personnel du cabinet du président du Conseil privé de la Reine pour le Canada et ministre de la Protection civile a communiqué régulièrement avec le cabinet du premier ministre de l’Ontario et le cabinet de la mairesse suppléante d’Ottawa.

  • -Le président du Conseil privé de la Reine pour le Canada et ministre de la Protection civile a également discuté avec le président de l’Association canadienne des chefs de police le 3 et le 13 février pour se pencher sur la question du soutien au Service de police d’Ottawa.

  • -Le président du Conseil privé de la Reine pour le Canada et ministre de la Protection civile a également discuté avec la présidente de la Fédération canadienne des municipalités le 3 février au sujet de la situation à Ottawa.

  • -Nous avons également régulièrement consulté les autorités municipales et provinciales au sujet du pont Ambassador, notamment en ce qui concerne la demande d’aide reçue par la Ville de Windsor le 9 février.

  • -Le premier ministre a discuté avec le premier ministre de l’Ontario le 9 février. Le ministre des Affaires intergouvernementales, de l’Infrastructure et des Collectivités a également discuté avec le premier ministre de l’Ontario (le 10 et le 11 février) au sujet des mesures prises par la province en ce qui concerne le pont Ambassador.

  • -Le premier ministre a discuté avec le maire de Windsor le 10 février au sujet du blocage du pont Ambassador.

  • -Le premier ministre a discuté avec le président des États-Unis le 11 février. Les dirigeants ont discuté de l’importance capitale de libérer l’accès au pont Ambassador et à d’autres points d’entrée le plus rapidement possible.

  • -Le ministre des Transports du Canada a discuté avec la ministre des Transports de l’Ontario le 9 février au sujet des blocages aux postes frontaliers. Le ministre a également discuté avec le maire de Windsor le 11 février concernant le pont Ambassador.

  • -Le personnel des cabinets du président du Conseil privé de la Reine pour le Canada et ministre de la Protection civile et du ministre des Affaires intergouvernementales, de l’Infrastructure et des Collectivités a également communiqué régulièrement avec la Ville de Windsor.

  • -Le ministre de la Sécurité publique a communiqué avec le premier ministre de l’Ontario le 9 février. Il a aussi maintenu des contacts réguliers avec le maire d’Ottawa et celui de Windsor, avec qui il a notamment tenu des discussions tripartites. Son cabinet a aussi été en contact avec le cabinet des deux maires. Le cabinet du ministre des Affaires intergouvernementales, de l’Infrastructure et des Collectivités a échangé avec le cabinet de la ministre des Transports de l’Ontario le 7 février et a été en contact régulier avec le cabinet du premier ministre de l’Ontario.

  • Dans les semaines qui ont précédé la déclaration, le cabinet du premier ministre a également eu des discussions continues avec le cabinet du premier ministre de l’Ontario à propos des blocages d’Ottawa, de Windsor et de Sarnia. Il en est ressorti clairement qu’un soutien accru du gouvernement fédéral était nécessaire.

  • Il y a eu des contacts réguliers avec des représentants provinciaux au sujet du point d’entrée de Coutts. La province a notamment présenté une demande d’assistance pour accroître le nombre de dépanneuses à sa disposition (lettre du ministre des Affaires municipales de l’Alberta adressée le 5 février aux ministres de la Sécurité publique et de la Protection civile).

  • -Le ministre de la Sécurité publique a communiqué avec le premier ministre de l’Alberta le 2 et le 9 février, ainsi qu’avec le premier ministre et la ministre de la Justice et solliciteuse générale par intérim de l’Alberta le 7 février. Il a également été en contact avec la ministre de la Justice et solliciteuse générale par intérim de l’Alberta le 1er, le 5 et le 9 février.

  • -Le ministre des Transports a parlé à la ministre des Transports de l’Alberta le 5 et le 9 février.

  • -Le ministre des Affaires intergouvernementales, de l’Infrastructure et des Collectivités a communiqué avec le premier ministre de l’Alberta les 10 et 11 février.

  • -Les ministres ont aussi échangé avec leurs homologues d’autres provinces :

  • -Le ministre des Transports a parlé au ministre du Transport et de l’Infrastructure du Manitoba le 12 février à propos du point d’entrée d’Emerson.

  • -Le président du Conseil privé de la Reine pour le Canada et ministre de la Protection civile a discuté avec le ministre de la Sécurité publique et solliciteur général et le vice-premier ministre de la Colombie-Britannique le 5 et le 13 février au sujet des manifestations à Victoria. Il a demandé comment le gouvernement fédéral pourrait prêter main-forte si les circonstances l’exigent, ce qui comprend d’éventuelles lois sur les situations d’urgence.

  • -À l’appui de ses collègues du Cabinet et au nom du premier ministre, le ministre des Affaires intergouvernementales, de l’Infrastructure et des Collectivités a aussi communiqué avec les premiers ministres de la Nouvelle-Écosse (le 12 février), du Nouveau-Brunswick (le 12 février), de Terre-Neuve-et-Labrador (le 12 février) et de la Colombie-Britannique (le 13 février) afin de discuter de l’état des lieux et de leur offrir le soutien du gouvernement fédéral pour intervenir en vue de limiter les perturbations et de lever les blocages.

  • -Des représentants du gouvernement fédéral et des gouvernements provinciaux et territoriaux ont aussi tenu des réunions multilatérales et bilatérales :

  • -Des fonctionnaires de Sécurité publique Canada ont communiqué de l’information sur la situation actuelle et le recours aux pouvoirs. Mentionnons les réunions suivantes :

  • -Le Comité fédéral-provincial-territorial sur la prévention du crime et la police (CPCP) a tenu une réunion spéciale le 7 février au niveau des sous-ministres.

  • -Le CPCP a aussi organisé des réunions du niveau des sous-ministres adjoints le 1er et le 11 février.

  • -Des discussions ont eu lieu avec des sous-ministres adjoints de l’Ontario, du Manitoba et de l’Alberta le 13 février, et avec des sous-ministres adjoints de l’Ontario et du Manitoba le 14 février.

  • -Des fonctionnaires de Transports Canada ont échangé de l’information avec les ministères des transports provinciaux et territoriaux à propos des outils et des mesures de ressort provincial et territorial qui étaient envisagés pour composer avec les convois, y compris les infractions et régimes d’application de la loi prévus par les lois des provinces et des territoires sur la sécurité automobile. Mentionnons par exemple :

  • -La table du niveau des sous-ministres adjoints du Conseil des ministres responsables des transports et de la sécurité routière s’est rassemblée deux fois, soit le 4 et le 8 février.

  • -Des conversations téléphoniques ont eu lieu avec l’Alberta et l’Ontario le 5 février, avec l’Ontario le 6 et le 7 février, et de nouveau avec l’Alberta le 7 février.

Le gouvernement du Canada a également engagé des discussions avec les dirigeants autochtones au sujet des blocages. Par exemple, le ministre des Relations Couronne-Autochtones s’est entretenu avec le chef national de l’Assemblée des Premières Nations, le président de l’Inuit Tapiriit Kanatami, le président du Ralliement national des Métis, le grand chef d’Akwesasne et le grand chef de la Manitoba Southern Chief’s Organization.

Les décisions sur les prochaines étapes et sur consulter les premiers ministres et premières ministres au sujet de la Loi sur les mesures d’urgence ont été prises à la lumière de tous les échanges que les ministres et hauts fonctionnaires du gouvernement fédéral ont eus avec les provinces depuis le début de la crise.

Consultation des premiers ministres au sujet de la Loi sur les mesures d’urgence

Le premier ministre a convoqué une réunion des premiers ministres le 14 février pour consulter ces derniers sur la nécessité de déclarer l’état d’urgence en application de la Loi sur les mesures d’urgence. Il était accompagné du ministre des Affaires intergouvernementales, de l’Infrastructure et des Collectivités, du ministre de la Justice et solliciteur général du Canada et du ministre de la Sécurité publique. Tous les premiers ministres ont participé à cette réunion.

Le premier ministre a expliqué les raisons pour lesquelles la déclaration d’état d’urgence pourrait être nécessaire et a officiellement consulté les premiers ministres. Le ministre de la Justice a exposé les mesures que le gouvernement du Canada envisageait de prendre en vertu de la Loi sur les mesuresd’urgence pour compléter les mesures relevant de la compétence des provinces et réagir à la situation, qui est urgente et sans précédent. Le premier ministre a demandé quelles mesures additionnelles pouvaient être prises par l’entremise de la Loi sur les mesures d’urgence en utilisant des pouvoirs proportionnels et limités dans le temps.

Chaque premier ministre a eu l’occasion de donner son point de vue sur la situation actuelle – au pays et dans sa province ou son territoire – et sur la déclaration d’état d’urgence. Des points de vue et des perspectives variés ont été présentés lors de la réunion. Certains premiers ministres se sont montrés favorables aux mesures proposées, qu’ils considéraient comme nécessaires pour régler la situation actuelle, soulignant qu’elles seraient axées sur des secteurs précis, assorties d’échéances et assujetties à des échanges continus. D’autres premiers ministres estimaient que la Loi sur les mesures d’urgence n’était pas nécessaire pour le moment, soutenant que les gouvernements provinciaux et les administrations municipales disposaient de suffisamment de pouvoirs pour faire face à la situation dans leurs territoires respectifs. Certains premiers ministres ont indiqué craindre que la Loi sur les mesures d’urgence aggrave la situation.

Bien que les points de vue aient été exprimés de façon confidentielle lors de la réunion des premiers ministres, ces derniers ont présenté leurs perspectives dans des déclarations publiques à la suite de la réunion.

  • Le premier ministre de l’Ontario a indiqué qu’il appuyait la décision du gouvernement fédéral de fournir des outils supplémentaires à la police pour l’aider à régler la situation dans la capitale nationale. Il a affirmé avoir mentionné au premier ministre que ces mesures devraient être ciblées et assorties d’échéances.

  • Le premier ministre de Terre-Neuve-et-Labrador a déclaré qu’il était favorable à l’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence pour une durée limitée afin de renforcer les interventions relatives aux comportements inacceptables dans les blocages, qui portent atteinte aux droits des Canadiens respectueux des lois.

  • Le ministre de la Sécurité publique et solliciteur général et le vice-premier ministre de la Colombie- Britannique ont également affirmé que la province était favorable au recours à la Loi sur les mesures d’urgence, selon ce qui a été rapporté dans les médias.

  • Le premier ministre du Québec a indiqué qu’il s’opposait à l’application de la Loi sur les mesures d’urgence au Québec, affirmant que les services de police municipaux et la Sûreté du Québec maîtrisaient la situation et soutenant que le recours à cette loi serait source de division.

  • Le premier ministre de l’Alberta a déclaré sur Twitter que le gouvernement albertain s’opposait à l’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence, soutenant que l’Alberta disposait de tous les outils juridiques et de toutes les ressources opérationnelles nécessaires pour maintenir l’ordre. Il a également indiqué craindre que l’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence aggrave la situation, qui est déjà tendue.

  • Le premier ministre de la Saskatchewan a publié le gazouillis suivant : [traduction] « Les blocages illégaux doivent être levés, mais la police dispose déjà de suffisamment d’outils pour faire respecter la loi et mettre fin aux blocages, comme elle l’a fait au cours de la fin de semaine à Windsor. Par conséquent, la Saskatchewan n’est pas favorable à l’invocation de la Loi sur les mesures d’urgence par le gouvernement Trudeau. J’espère que, si le gouvernement fédéral y a recours, cette loi ne sera appliquée que dans les provinces qui le demandent, comme elle le permet ».

  • La première ministre du Manitoba a déclaré que la situation varie considérablement selon la province et le territoire. Elle a indiqué, dans cette déclaration, qu’elle n’est pas convaincue pour le moment que la Loi sur les mesures d’urgence devrait être appliquée au Manitoba. Vu la vaste portée de cette loi – encore jamais invoquée – et le signal que donne son utilisation, elle est d’avis qu’il n’est pas constructif d’y avoir recours au Manitoba, car il faut plutôt faire preuve de prudence pour éviter les mesures exagérées et les conséquences imprévues qu’elles risqueraient d’avoir.

  • Le premier ministre du Nouveau-Brunswick, le premier ministre de la Nouvelle-Écosse et le premier ministre de l’Île-du-Prince-Édouard ont eux aussi affirmé qu’ils n’estimaient pas l’application de la Loi sur les mesures d’urgence nécessaire dans leur province, étant donné que les forces de l’ordre ont la situation bien en main.

  • Les premiers ministres du Yukon, des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut ont également fourni de la rétroaction durant la rencontre des premiers ministres, sans toutefois émettre de commentaires publics.

Au cours de la réunion des premiers ministres, le premier ministre du Canada a insisté sur le fait qu’il n’était pas encore parvenu à une décision définitive et que l’apport des premiers ministres provinciaux et territoriaux éclairerait la décision du gouvernement fédéral.

D’autres échanges avec les provinces ont eu lieu après la rencontre des premiers ministres et avant que le gouvernement fédéral annonce sa décision de déclarer l’état d’urgence le 14 février :

  • Le cabinet du premier ministre a discuté avec le cabinet du premier ministre de la Colombie-Britannique, ce dernier étant président du Conseil de la fédération, avant que la décision du gouvernement soit prise le 14 février, afin d’offrir des informations aux cabinets des premiers ministreset d’expliquer le rôle des provinces et territoires au titre de la Loi sur les mesuresd’urgence.

  • Le ministre des Affaires intergouvernementales, de l’Infrastructure et des Collectivités a communiqué avec son homologue du Québec concernant la Loi sur les mesures d’urgence. Le ministre du Patrimoine canadien et lieutenant du Québec a également communiqué avec la vice- première ministre du Québec et ministre de la Sécurité publique ainsi qu’avec le ministre des Finances du Québec, et des représentants du Cabinet du Premier ministre ont noué le dialogue avec le cabinet du premier ministre du Québec.

  • Le ministre des Affaires intergouvernementales, de l’Infrastructure et des Collectivités a également pris contact avec le premier ministre de l’Ontario et a reçu de la rétroaction du premier ministre de la Saskatchewan.

  • Le 14 février, le Cabinet du Premier ministre a parlé avec le cabinet du premier ministre de l’Ontario et le cabinet du premier ministre de Terre-Neuve-et-Labrador pour expliquer le principe et la mise en œuvre de la Loi sur les mesures d’urgence.

Le premier ministre a pris en considération tous les commentaires formulés lors de la réunion des premiers ministres, ainsi que les nombreuses autres sources d’informations et de renseignements. Le 14 février en fin de journée, il a annoncé son intention de mettre en œuvre la Loi sur les mesuresd’urgence et de prendre des mesures temporaires ciblées pour compléter les pouvoirs provinciaux et municipaux.

Le 15 février, le premier ministre a écrit à tous les premiers ministres provinciaux et territoriaux pour exposer les raisons pour lesquelles le gouvernement du Canada a décidé de déclarer l’état d’urgence et pour préciser les types de mesures qui pourront être prises en vertu de la Loi. Cette lettre répondait aux questions soulevées au cours de la discussion, notamment sur la question de savoir si la déclaration de l’état d’urgence devait s’appliquer partout au pays. Par exemple, la lettre soulignait que les mesures seraient appliquées à des secteurs ciblés; que les mesures viseraient à compléter, et non à remplacer, les pouvoirs provinciaux et municipaux; que ces outils pourraient être utilisés par les services de police locaux, à leur discrétion; et que la Gendarmerie royale du Canada ne serait mobilisée qu’à la demande des autorités locales. La lettre insistait également sur la volonté du gouvernement du Canada de collaborer avec les provinces et les territoires à l’égard de ces questions.

Prochaines étapes

Conformément aux exigences de la Loi sur les mesures d’urgence, le gouvernement du Canada est déterminé à travailler en consultation et en collaboration avec les provinces et les territoires pour veiller à ce que la réponse du gouvernement fédéral complète les efforts des gouvernements provinciaux et territoriaux. Des consultations continues seront également nécessaires s’il faut modifier ou prolonger les décrets pris en application de la Loi sur les mesures d’urgence.

Appuyés par leurs fonctionnaires, les ministres ont communiqué avec leurs homologues à la suite de la rencontre des premiers ministres, et ils continueront de mobiliser les provinces et les territoires de façon continue. Ils seront ainsi en mesure de réagir rapidement aux problèmes et aux situations qui se présentent. Voici les activités de mobilisation les plus récentes :

  • Le 14 février, le ministre de la Justice et procureur général du Canada a parlé avec son homologue du Québec de la Loi sur les mesures d’urgence.

  • Le 14 février, le ministre des Transports a parlé des barricades aux postes frontaliers avec le ministre des Transports et de l’Infrastructure de la Colombie-Britannique. Les ministres ont discuté de la façon dont la Loi sur les mesures d’urgence peut aider les organismes responsables de l’application de la loi.

  • Le 15 février, le ministre des Transports a parlé avec la ministre des Travaux publics de la Nouvelle- Écosse et lui a donné un aperçu des mesures d’urgence prises en vertu de la Loi sur les mesures d’urgence.

  • Le 15 février, des représentants du cabinet du ministre de la Justice ont parlé avec le maire de Winnipeg au sujet de la Loi sur les mesures d’urgence. Dans une déclaration qu’iI a faite le 15 février, le maire a exprimé sa reconnaissance à l’égard du gouvernement fédéral, qui « prend des mesures pour offrir des outils supplémentaires afin de mettre fin rapidement et pacifiquement aux situations d’occupation illégale ».
  • Une réunion destinée aux sous-ministres PT des Affaires intergouvernementales a eu lieu le 15 février. Une rencontre de suivi est prévue pour le 17 février. Les sous-ministres FPT des Affaires intergouvernementales poursuivront leur collaboration dans le cadre de communications régulières et continues.
  • Une rencontre doit avoir lieu le 16 février pour les sous-ministres adjoints des ministères provinciaux et territoriaux de la Sécurité publique, des Transports, du Solliciteur général et des Affaires intergouvernementales.
  • La collaboration se poursuivra également par l’entremise des services de police. Le 15 février, le chef intérimaire du Service de police d’Ottawa a déclaré qu’avec les nouvelles ressources des services de police partenaires et les outils des gouvernements fédéral et provinciaux, le Service de police d’Ottawa estime maintenant avoir les ressources et les pouvoirs nécessaires pour mettre fin de manière sécuritaire à cette occupation. Le chef de police adjoint a ajouté que l’application de la Loi sur les mesures d’urgence à Ottawa fait l’objet d’une collaboration continue.
  • Le ministre de la Sécurité publique communiquera chaque semaine avec ses homologues provinciaux et territoriaux.

Le gouvernement du Canada continuera à recueillir et à examiner la rétroaction reçue dans le cadre de ces communications continues afin d’évaluer les décrets et les règlements pris en vertu de la Loi sur les mesures d’urgence et d’assurer une réponse coordonnée et efficace au nom des Canadiens.

Annexe

  • Lettre du premier ministre du Canada aux premiers ministres des provinces et territoires

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

T-306-22

T-316-22

T-347-22

T-382-22

INTITULÉ DE LA CAUSE :

ET ENTRE :

ET ENTRE :

ET ENTRE :

Canadian Frontline Nurses et Kristin Nagle c Le procureur général du Canada

Association canadienne des libertés civiles c Le procureur général du Canada

Canadian Constitution Foundation c Le procureur général du Canada et le procureur général de l’Alberta

Jeremiah Jost, Edward Cornell, Vincent Gircys et Harold Ristau c Le gouverneur en conseil, Sa Majesté du Chef du Canada, le procureur général du Canada et le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile

LIEU DE L’AUDIENCE :

OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

DU 3 AU 5 AVRIL 2023

MOTIFS du jugment :

LE JUGE MOSLEY

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 23 janvier 2024

MODIFIÉS :

le 29 janvier 2024

COMPARUTIONS :

David G. Cowling

Alexander Boissonneau-Lehner

POUR LES DEMANDERESSES

(Canadian Frontline Nurses, Kristin Nagle)

Brandon Chung

Ewa Krajewska

Ewa Krajewska

Brandon Chung

POUR LA DEMANDERESSE

(Association canadienne des libertés civiles)

Sujit Choudhry

Janani Shanmuganathan

POUR LA DEMANDERESSE

(Canadian Constitution Foundation)

Mandy England

Shaheer Meenai

POUR L’INTERVENANT

(Procureur général de l’Alberta)

Blair D Ector

Bath-Sheba van den Berg

POUR LES DEMANDEURS

(Jeremiah Jost, Edward Cornell,

Vincent Gircys, Harold Ristau)

Christopher Rupar

Jeff Anderson

John Provart

David Aaron

Kathleen Kohlman

POUR LES DÉFENDEURS

(Procureur général du Canada

et gouverneur en conseil,

Sa Majesté du chef du Canada)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Johnstone & Cowling LLP

Toronto (Ontario)

POUR LES DEMANDERESSES

Henein Hutchinson LLP

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Choudry Law

Haki Chambers Global

Goddard & Shanmuganathan LLP

Toronto (Ontario)

POUR LA DEMANDERESSE

Loberg Ector LLP

Calgary (Alberta)

Justice Alberta

Edmonton, Alberta

POUR L’INTERVENANT

Ministère de la Justice du Canada

Toronto (Ontario)

Ministère de la Justice du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LES DÉFENDEURS

 

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