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Date : 20240105


Dossier : IMM-7825-22

Référence : 2024 CF 21

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 5 janvier 2024

En présence de monsieur le juge Ahmed

ENTRE :

MOHAMMAD ZEINALY

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le demandeur, Mohammad Zeinaly, sollicite le contrôle judiciaire de la décision du 14 juillet 2022 par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) portant que le demandeur n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[2] La SAR a conclu que la question déterminante était celle de la crédibilité, et que le demandeur n’avait pas établi qu’il était un véritable adepte de la foi chrétienne ni que les événements en Iran s’étaient produits comme il l’avait raconté.

[3] Le demandeur soutient que la SAR a déraisonnablement rejeté ses nouveaux éléments de preuve et qu’elle a tiré plusieurs conclusions déraisonnables en matière de crédibilité, surtout en ce qui concerne sa foi chrétienne.

[4] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de la SAR est raisonnable. La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Faits

A. Le demandeur

[5] Le demandeur est un citoyen de l’Iran âgé de 25 ans.

[6] Le demandeur a déclaré que, lorsqu’il était enfant, il a été forcé de participer à des cérémonies et à des événements religieux islamiques. Il a raconté que, à l’école secondaire, un ami avait critiqué l’islam. Ils avaient discuté ensemble du mariage du prophète Mahomet avec une enfant de sept ans.

[7] Le demandeur a affirmé que, lorsqu’il en avait parlé à son père, ce dernier l’avait giflé et lui avait dit qu’il s’agissait d’une question hérétique et blasphématoire. Le demandeur avait donc révélé à son père qu’il avait eu cette discussion avec un ami.

[8] Le demandeur a déclaré que, le lendemain, il avait dû se rendre au bureau du directeur de son école secondaire, où l’attendaient son ami, son père et deux agents de police. Le demandeur a indiqué dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (le formulaire FDA) que son ami avait été agressé et que les agents l’avaient emmené, après quoi il ne l’a plus jamais revu.

[9] En 2017, le demandeur est arrivé au Canada muni d’un permis d’études. Il a déclaré qu’une ex-petite amie l’avait emmené dans une église de Toronto en avril 2018 et qu’il avait commencé à fréquenter l’église de façon irrégulière. Avec le temps, le demandeur s’est intéressé de plus en plus au christianisme.

[10] Le demandeur a déclaré qu’il avait fait découvrir une église à Téhéran à un membre de sa famille en Iran, mais que ce dernier avait été arrêté le 29 avril 2019. Selon les dires du demandeur, son père l’avait appelé deux jours plus tard et l’avait informé que les autorités s’étaient présentées au domicile familial en Iran pour s’enquérir à son sujet.

[11] Le demandeur a mentionné que son permis d’études est expiré et qu’il n’a plus de statut d’immigration au Canada depuis avril 2019. Il a déclaré que, pour renouveler ce permis, il devait s’inscrire dans un nouveau collège et payer de nouveaux frais de scolarité, mais qu’il ne pouvait pas téléphoner à son père pour lui demander des fonds. Il a ajouté que, lorsque son père a pris connaissance de ses activités chrétiennes, il a commencé à lui envoyer des messages menaçants. Le demandeur a affirmé qu’il assistait néanmoins à des services régulièrement et qu’il suivait des cours d’étude biblique.

B. La décision de la SPR

[12] Dans sa décision du 25 octobre 2021, la SPR a conclu que le demandeur n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la LIPR. La question déterminante était la crédibilité du demandeur.

[13] La SPR n’était pas convaincue que le demandeur était un véritable adepte du christianisme. Elle a conclu que le demandeur n’avait pas raisonnablement expliqué pourquoi il avait omis de modifier l’exposé circonstancié de son formulaire FDA ou de fournir un addenda, et pourquoi il n’avait pas fourni de preuve documentaire ou de preuve de ses communications au sujet de son appartenance à une église, de son assiduité et de son baptême.

[14] La SPR a également conclu que le demandeur n’avait pas établi que l’incident avec son père et son ami d’enfance s’était produit comme il le prétend. Elle a rejeté les explications du demandeur concernant les incohérences entre son témoignage et l’exposé circonstancié de son formulaire FDA, et a accordé peu de poids au témoignage et aux éléments de preuve prétendument corroborants.

[15] La SPR a également conclu que le demandeur n’avait pas réussi à établir qu’un membre de sa famille avait été arrêté dans une maison-église et que son domicile familial avait fait l’objet d’une descente en conséquence. Elle a jugé qu’il y avait plusieurs incohérences entre l’exposé circonstancié de son formulaire FDA et son témoignage au sujet de ses communications avec ce membre de la famille, et que le demandeur n’était pas en mesure d’expliquer raisonnablement pourquoi la lettre de soutien ne parlait pas de ce membre de la famille. De plus, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas raisonnablement expliqué en quoi le fait que sa mère, avec qui il communiquait régulièrement, lui fournisse une lettre de soutien la mettrait en danger par rapport à son père ou à la police. La SPR a donc tiré d’autres conclusions défavorables quant à la crédibilité.

[16] Pour ces motifs, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas établi l’existence d’une possibilité sérieuse de persécution en raison de sa religion et a rejeté sa demande d’asile.

C. La décision faisant l’objet du contrôle

[17] Dans une décision datée du 14 juillet 2022, la SAR a rejeté l’appel du demandeur et confirmé la décision de la SPR selon laquelle le demandeur n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger au titre de l’article 96 ou du paragraphe 97(1) de la LIPR.

1) Nouveaux éléments de preuve

[18] Le demandeur a déposé de nouveaux éléments de preuve devant la SAR. Le paragraphe 110(3) de la LIPR prévoit qu’en règle générale, la SAR « procède sans tenir d’audience en se fondant sur le dossier de la [SPR] ». Le paragraphe 110(4) énonce les exceptions à cette règle générale en vertu desquelles le demandeur peut présenter à la SAR des éléments de preuve dont la SPR ne disposait pas :

Éléments de preuve admissibles

(4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

Evidence that may be presented

(4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

[19] Si la SAR juge que les nouveaux éléments de preuve présentés satisfont aux exigences prévues au paragraphe 110(4) de la LIPR, elle doit ensuite se demander s’ils sont crédibles, pertinents et substantiels (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 96 (Singh) aux para 38-49, citant Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385 (Raza) aux para 13-15). On appelle ces exigences d’admissibilité les « facteurs énoncés dans l’arrêt Raza ».

[20] En vertu du paragraphe 110(6) de la LIPR, la SAR peut tenir une audience si elle admet de nouveaux éléments de preuve qui soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité du demandeur d’asile et qui sont essentiels et déterminants.

[21] Après avoir évalué tous les éléments de preuve à la lumière de ces facteurs, la SAR a conclu que cinq des sept documents déposés par le demandeur en appel satisfaisaient aux exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR et en a admis quatre à titre de nouveaux éléments de preuve en appel, notamment deux lettres de différentes églises, des photos de la cérémonie de baptême du demandeur et des photos de lui à l’église.

[22] La SAR a rejeté le certificat de baptême du demandeur, car il comportait deux dates contradictoires, lesquelles contredisaient le témoignage du demandeur. Elle a également rejeté un document contenant deux pages Google non datées de l’église où le demandeur a été baptisé ainsi qu’une lettre d’un conseiller qui contenait de l’information sur les problèmes de santé mentale et de mémoire du demandeur. La SAR n’était pas convaincue que la lettre était antérieure au rejet de la demande d’asile du demandeur, qu’elle n’était alors pas normalement accessible ou qu’elle n’aurait pas normalement pu être présentée à la SPR avant le rejet de la demande d’asile.

[23] La SAR a conclu qu’aucun des éléments de preuve admis ne justifiait d’accueillir ou de rejeter la demande et, par conséquent, elle n’a pas tenu d’audience en vertu du paragraphe 110(6) de la LIPR.

2) Crédibilité

[24] La SAR a commencé son analyse de la crédibilité en tirant une conclusion défavorable de l’incapacité du demandeur à se souvenir de la date de son baptême. Elle a rejeté l’allégation du demandeur selon laquelle il souffre de graves problèmes de santé mentale qui nuisent à sa capacité de se souvenir de cet événement important.

[25] La SAR a conclu que la SPR avait eu raison de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité vu les déclarations incohérentes du demandeur concernant l’histoire du prophète Mahomet dont il avait parlé avec son père, et elle a rejeté l’argument du demandeur selon lequel ces incohérences pouvaient s’expliquer par ses problèmes de santé mentale.

[26] La SAR a également jugé que la SPR avait eu raison de tirer une conclusion défavorable en matière de crédibilité du témoignage du demandeur concernant l’incident survenu dans le bureau du directeur. Elle a jugé que le témoignage du demandeur était « déroutant, évolutif, intrinsèquement incompatible avec son témoignage précédent et incompatible avec l’exposé circonstancié contenu dans son formulaire FDA ». La SAR a souligné les éléments du témoignage qui se contredisaient au sujet de la présence de l’ami d’enfance dans le bureau du directeur et les contradictions entre le témoignage et l’exposé circonstancié du formulaire FDA au sujet des personnes présentes dans le bureau. Elle a rejeté une fois de plus l’argument voulant que des obstacles d’ordre psychologique aient empêché le demandeur de présenter un témoignage cohérent devant la SPR.

[27] La SAR a jugé que la SPR avait eu raison de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité concernant les modes de communication entre le demandeur et le membre de sa famille qui aurait été arrêté en Iran. La SAR a fait remarquer que le témoignage du demandeur était précis lorsqu’il s’est initialement fait demander comment les autorités auraient découvert son lien avec ce membre de la famille (c.-à-d. il a dit qu’il communiquait avec lui seulement sur FaceTime ou WhatsApp [appel vocal] alors que l’exposé circonstancié de son formulaire FDA parlait de photos et de messages textes). Elle a cependant rejeté la conclusion que la SPR avait tirée quant à la vraisemblance. Cette dernière avait jugé qu’il serait contradictoire pour quelqu’un qui craint d’être repéré de communiquer uniquement par appel vocal, mais d’envoyer des messages textes aussi incriminants que des messages qui contiennent l’adresse d’une maison-église, puis de supprimer les messages au Canada pour des raisons de sécurité.

[28] La SAR a souscrit en partie aux conclusions de la SPR au sujet des omissions du demandeur dans son exposé circonstancié du formulaire FDA ou de l’absence d’une mise à jour de celui-ci. Elle n’était pas d’accord avec la SPR pour dire que le fait que le demandeur ait omis de mentionner son baptême dans l’exposé circonstancié de son formulaire FDA justifiait de tirer une conclusion défavorable. Elle estimait qu’il avait été franc au sujet de son baptême. De plus, la SAR n’était pas d’accord avec la SPR pour dire que le demandeur avait eu de la difficulté à se souvenir d’une parabole biblique commune. Elle a tenu compte du fait que le demandeur avait témoigné au sujet de divers aspects de la Bible.

[29] Cependant, la SAR a jugé que la SPR avait eu raison de tirer une conclusion défavorable du fait que le demandeur avait omis de préciser dans son exposé circonstancié du formulaire FDA qu’il avait fréquenté une église. Elle a estimé que son formulaire était trompeur parce que le demandeur avait déclaré qu’il participait activement à des cours sur la Bible et qu’il assistait régulièrement aux services du dimanche, alors qu’il avait mis fin à toutes ses activités religieuses chrétiennes six mois avant l’audience de la SPR. La SAR a noté que le demandeur était représenté par un conseil et qu’il avait confirmé à la SPR que les renseignements fournis étaient complets, vrais et exacts.

[30] La SAR a conclu que la SPR n’aurait pas abouti à une conclusion favorable si elle avait « passé plus de temps » à examiner la connaissance de la foi chrétienne du demandeur. Elle a pris acte du fait qu’à l’audience, le conseil du demandeur avait eu l’occasion de l’interroger davantage sur ses connaissances religieuses. La SAR a évalué que les explications données par le demandeur pour justifier son manque d’assiduité à l’église, soit son manque de temps, les conflits avec son horaire de travail, les problèmes liés à sa location et à son accident de voiture, démontrent un manque d’engagement envers la foi chrétienne et nuisent à sa crédibilité et à la sincérité de ses croyances.

[31] La SAR a conclu que la présence insuffisante du demandeur à l’Église baptiste Immanuel, qui a fait en sorte que l’église n’a pas pu fournir une confirmation de sa présence et de son baptême, et son témoignage concernant le manque de temps appuient une conclusion selon laquelle le demandeur manquait d’engagement envers la foi chrétienne. Elle a jugé que son incapacité à obtenir des documents importants en raison de sa faible assiduité et du refus de l’église de fournir de tels documents était « au cœur de son dévouement envers la foi ». La SAR a donc tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité. Elle a conclu que le demandeur n’avait pas droit au bénéfice du doute dans les circonstances, car il n’était généralement pas un témoin crédible à l’égard des aspects centraux de sa demande d’asile.

[32] La SAR n’était pas d’accord avec la SPR au sujet de l’absence d’une lettre de soutien de la mère et des sœurs du demandeur en Iran, et a conclu qu’il n’était pas invraisemblable que les membres de la famille du demandeur qui résident en Iran craignent de lui fournir une lettre.

[33] La SAR a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve démontrant que les autorités iraniennes s’intéressaient au demandeur et que le bien‑fondé d’une demande d’asile sur place n’avait pas été établi. Elle a examiné les nouveaux éléments de preuve sous forme de photos et de lettres attestant de la foi chrétienne du demandeur, mais les a jugés insuffisants pour surmonter les conclusions défavorables cumulatives quant à la crédibilité et leur a donc accordé peu de poids. Elle a jugé que le demandeur n’était pas un véritable adepte du christianisme et que ses connaissances du christianisme avaient été acquises aux fins de sa demande d’asile.

[34] Enfin, la SAR a conclu qu’il n’y avait pas suffisamment d’éléments de preuve pour établir que les activités chrétiennes du demandeur au Canada ont attiré ou attireraient l’attention des autorités iraniennes de sorte qu’il serait en danger à son retour dans son pays.

[35] Pour ces motifs, la SAR a rejeté l’appel du demandeur et a confirmé la décision de la SPR selon laquelle le demandeur n’a pas qualité de réfugié au sens de la Convention ni qualité de personne à protéger au titre de l’article 96 ou du paragraphe 97(1) de la LIPR.

III. Question en litige et norme de contrôle applicable

[36] La seule question que soulève la présente demande est celle de savoir si la décision de la SAR est raisonnable.

[37] Nul ne conteste que la norme de contrôle applicable à la décision de la SPR est celle de la décision raisonnable (Baig c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 FC 673 au para 18; Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 (Vavilov) aux para 16, 17, 23‑25). Je suis d’accord.

[38] La norme de la décision raisonnable est une norme de contrôle fondée sur la déférence, mais rigoureuse (Vavilov, aux para 12 et 13). La cour de révision doit établir si la décision faisant l’objet du contrôle, notamment son résultat et le raisonnement suivi, est transparente, intelligible et justifiée (Vavilov, au para 15). Une décision raisonnable doit être fondée sur une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle et est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov, au para 85). La question de savoir si une décision est raisonnable dépend du contexte administratif, du dossier dont le décideur est saisi et de l’incidence de la décision sur les personnes qui en subissent les conséquences (Vavilov, aux para 88‑90, 94, 133‑135).

[39] Pour qu’une décision soit jugée déraisonnable, le demandeur doit démontrer que la décision comporte une lacune suffisamment capitale ou importante (Vavilov, au para 100). Les erreurs que comporte une décision ou les préoccupations qu’elle soulève ne justifient pas toutes une intervention. La cour de révision doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, elle ne doit pas modifier les conclusions de fait tirées par celui-ci (Vavilov, au para 125). Les lacunes ou insuffisances reprochées ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision ni constituer une « erreur mineure » (Vavilov, au para 100). Bien qu’un décideur ne soit pas tenu de répondre à tous les arguments ou de mentionner chaque élément de preuve, le caractère raisonnable d’une décision peut être remis en question lorsque la décision n’a « pas réussi à s’attaquer de façon significative aux questions clés ou aux arguments principaux » (Vavilov, au para 128).

IV. Analyse

[40] Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en refusant d’admettre sa lettre médicale, de même que dans son évaluation de la crédibilité de sa foi chrétienne. Je ne suis pas d’accord. À mon avis, la décision de la SAR est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes (Vavilov, aux para 99‑101).

1) Nouveaux éléments de preuve

[41] Le demandeur soutient que la SAR n’aurait pas dû rejeter la lettre confirmant ses problèmes de santé mentale à titre de nouvel élément de preuve. Il affirme que cette lettre était antérieure à l’audience de la SPR, qu’elle ne lui était pas raisonnablement accessible dans les circonstances en raison de sa santé mentale et qu’elle aurait répondu à bon nombre des doutes que la SPR entretenait au sujet de sa crédibilité. Le demandeur fait valoir que la lettre satisfait aux facteurs énoncés dans l’arrêt Raza. Il ajoute que la décision de la SAR ne tenait pas compte de l’incidence que sa décision aurait sur lui.

[42] Le défendeur soutient que la SAR a raisonnablement appliqué le paragraphe 110(4) de la LIPR et les facteurs énoncés dans l’arrêt Raza pour exclure certains éléments de preuve du demandeur, y compris la lettre du conseiller. Selon lui, la SAR a examiné et appliqué les critères établis par la loi qui régissent l’admission de nouveaux éléments de preuve ainsi que la jurisprudence pertinente sur l’application de ces critères. Le défendeur soutient en outre que le demandeur demande à la Cour d’assujettir la décision rendue au titre du paragraphe 110(4) à une norme de contrôle plus rigoureuse que celle de la décision raisonnable, ce qui n’est pas permis.

[43] Je suis d’accord avec le défendeur. La SAR a raisonnablement refusé d’admettre la lettre du conseiller, car le témoignage du demandeur démontrait que les renseignements contenus dans cette lettre existaient au moment de l’audience de la SPR et n’étaient donc pas nouveaux (Ilias c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 661 au para 35, renvoyant à Jadallah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1240 au para 34). Comme ce document ne satisfaisait pas aux critères du paragraphe 110(4) de la LIPR, la SAR n’a pas commis d’erreur en ne procédant pas à une analyse de la lettre au regard des facteurs énoncés dans l’arrêt Raza. La décision de la SAR est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes (Vavilov, aux para 99‑101).

2) Crédibilité

[44] Le demandeur soutient que la SAR a déraisonnablement conclu qu’il n’était pas chrétien. Il prétend que certaines des conclusions en matière de crédibilité ont été tirées à la suite d’un examen à la loupe de questions accessoires et qu’il était déraisonnable pour la SAR de s’attendre à ce qu’il obtienne tous les éléments de preuve pertinents et qu’il inclue des addenda à l’exposé circonstancié de son formulaire FDA, compte tenu des problèmes liés à son logement et à sa santé mentale. Le demandeur fait également valoir que la SAR n’aurait pas dû mettre en doute sa foi chrétienne et qu’elle aurait dû l’accepter, vu l’ensemble de la preuve et la présomption de véracité de son témoignage. De plus, il affirme que bon nombre des doutes quant à sa crédibilité auraient pu être dissipés par l’admission de la lettre confirmant ses problèmes de mémoire.

[45] Le défendeur soutient que le demandeur n’a pas démontré que la SAR a tiré des conclusions déraisonnables en matière de crédibilité. Il fait valoir qu’il était loisible à la SAR de tenir compte des omissions dans l’exposé circonstancié du formulaire FDA et qu’elle a raisonnablement conclu que le refus de l’église de fournir une lettre d’appui touchait au cœur de l’engagement du demandeur envers le christianisme. Il affirme que la SAR était en droit de remettre en question la prétendue foi chrétienne du demandeur et que les arguments de ce dernier concernant la présomption de vérité doivent être rejetés, puisqu’ils concernent la décision de la SPR et non celle de la SAR.

[46] Je suis d’accord avec le défendeur. Je suis conscient de la situation du demandeur, surtout en ce qui concerne son logement et sa santé mentale. Néanmoins, la SAR n’a commis aucune erreur susceptible de contrôle.

[47] La SAR était en droit de contredire la déclaration du demandeur selon laquelle il participait activement à des cours sur la Bible et assistait régulièrement aux services du dimanche. Comme ma collègue la juge Pallotta l’a déclaré, « [d]es omissions importantes, dans le formulaire FDA, qui concernent des aspects centraux d’une demande peuvent justifier des conclusions défavorables en matière de crédibilité » (Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 956 au para 24). L’omission dans l’exposé circonstancié du formulaire FDA du demandeur au sujet de la dernière église qu’il a fréquentée – l’Église baptiste Immanuel – concerne un aspect central de sa demande, soit sa foi chrétienne.

[48] Je rejette l’argument du demandeur selon lequel ses conditions de vie et son état mental étaient tels qu’il n’aurait pas pu produire de documents à l’appui. Le demandeur était représenté par un conseil devant la SPR. Il lui incombait de s’assurer que l’exposé circonstancié de son formulaire FDA était complet, vrai et exact avant de faire un serment ou une affirmation solennelle à ce sujet. Compte tenu du fait qu’un membre de l’église a refusé de fournir une lettre confirmant que le demandeur fréquentait bien l’église à l’audience de la SPR, la SAR était fondée à conclure que cette omission et son manque d’assiduité à l’église minaient la crédibilité du demandeur et touchaient au cœur de son engagement envers le christianisme. L’élément de preuve accepté en appel (c.-à-d. la lettre de l’Église baptiste Immanuel) corrobore le fait que le demandeur ne fréquentait pas l’église régulièrement bien avant l’audience de la SPR ou au moment de celle-ci.

[49] De plus, je ne suis pas d’accord avec le demandeur pour dire que la SAR ne pouvait pas mettre en doute sa foi chrétienne et aurait dû accepter son témoignage comme étant vrai. L’enquête sur les croyances religieuses doit être menée avec précaution, mais la sincérité de la conviction est néanmoins une question de fait (Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1002 (Huang) aux para 9, 12). Le demandeur s’est appuyé sur des éléments de preuve démontrant qu’il assistait à des services religieux. Il était donc loisible à la SAR de mettre en doute les explications présentées par le demandeur pour justifier son manque d’assiduité. Je conclus que la SAR a adéquatement joué son rôle dans l’évaluation de la sincérité de la croyance du demandeur (Huang, au para 9). La SAR était en droit d’accorder peu de poids à la preuve du demandeur vu cette conclusion défavorable en matière de crédibilité et d’autres conclusions (Chen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 969 au para 8). La décision de la SAR est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes (Vavilov, aux para 99‑101).

[50] Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que le reste des observations du demandeur concernant la conversation avec son ami d’enfance, la date de son baptême, l’incident dans le bureau du directeur d’école et les communications avec un membre de sa famille en Iran revient à demander à la Cour d’apprécier à nouveau la preuve, de se mettre à la place du décideur et de trancher la question elle-même. Tel n’est pas le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire (Vavilov, au para 125).

V. Conclusion

[51] La présente demande de contrôle judiciaire sera rejetée. La décision de la SAR est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles pertinentes. Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM-7825-22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Il n’y a aucune question à certifier.

« Shirzad A. »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7825-22

 

INTITULÉ :

MOHAMMAD ZEINALY c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 novembre 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE AHMED

 

DATE DES MOTIFS :

LE 5 janvier 2024

 

COMPARUTIONS :

Tina Hlimi

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Lorne McClenaghan

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Law Office of Tina Hlimi

Avocate

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

PouR LE DÉFENDEUR

 

 

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