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Date : 20231218


Dossier : 23-T-102

Référence : 2023 CF 1721

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 décembre 2023

En présence de monsieur le juge Régimbald

ENTRE :

CITIZENS FOR MY SEA TO SKY

demanderesse

et

LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, WOODFIBRE LNG

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Citizens for my Sea to Sky, sollicite une prorogation du délai pour présenter une demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre de l’Environnement et du Changement climatique [le ministre] de modifier une déclaration [la déclaration modifiée] concernant la construction et l’exploitation d’une installation de gaz naturel liquéfié située à sept kilomètres au sud‑ouest de Squamish, en Colombie-Britannique, sur la rive nord-ouest de la baie Howe [le projet].

[2] Pour les motifs exposés ci-dessous, je ne suis pas convaincu qu’il est dans l’intérêt de la justice d’accorder une prorogation de délai. La requête en prorogation du délai de présentation de la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Contexte factuel

[3] Woodfibre Management Ltd. [Woodfibre] est une entreprise canadienne responsable de la gestion du projet. Woodfibre a obtenu les approbations aux niveaux fédéral, provincial et municipal, ainsi que l’approbation de la Nation Squamish, pour l’élaboration du projet.

[4] La demanderesse est une organisation environnementale. Elle a participé à plusieurs aspects de l’évaluation environnementale du projet et du processus de modification connexe.

[5] Le processus de délivrance de permis pour le projet a été entamé en 2012. Le 17 mars 2016, le ministre fédéral de l’Environnement de l’époque a fait une déclaration énonçant les conditions environnementales que devait respecter le projet. Le 7 mars 2018, la déclaration a été modifiée afin de tenir compte des modifications apportées au système de refroidissement du projet.

[6] Le 7 juin 2022, Woodfibre a présenté une demande visant à faire apporter d’autres modifications à la déclaration. En novembre 2022, l’Agence d’évaluation d’impact du Canada [l’AEIC] a publié une analyse préliminaire des changements à apporter au projet proposés, en réponse à la proposition formulée dans la demande [les changements proposés]. Une consultation publique s’en est suivie.

[7] La demanderesse a été informée des changements proposés le 18 novembre 2022. Le 30 janvier 2023, la demanderesse, qui s’intéresse au projet depuis 2013, a transmis au ministre des observations détaillées dans lesquelles elle répondait aux changements proposés et recommandait de les rejeter.

[8] Le 4 août 2023, le ministre a fait la déclaration modifiée, qui apportait des modifications aux conditions de la déclaration établies au préalable, notamment aux conditions 3.8, concernant la protection des mammifères marins et de la qualité de l’eau, et 6.4, concernant les sédiments. Les modifications approuvées constituent la déclaration modifiée qui fait l’objet de la demande de contrôle judiciaire projetée.

[9] La date limite de présentation d’une demande de contrôle judiciaire aux termes du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F-7, était le 5 septembre 2023.

[10] Après avoir tenté pendant des semaines de trouver un avocat pour la représenter, la demanderesse a, par l’entremise de l’avocat dont elle a finalement retenu les services, communiqué avec le procureur général du Canada le 28 août 2023, pour l’informer qu’elle avait l’intention de déposer une demande de contrôle judiciaire de la déclaration modifiée du 4 août 2023 et qu’elle aurait, pour ce faire, besoin que le délai soit prorogé jusqu’au 18 septembre 2023. Toujours par l’entremise de son avocat, la demanderesse a aussi envoyé un courriel à l’adresse courriel publique de Woodfibre pour l’informer qu’elle avait l’intention de déposer une demande de contrôle judiciaire.

[11] Le 12 octobre 2023, la demanderesse a déposé son dossier de requête en prorogation du délai pour déposer un avis de demande de contrôle judiciaire.

[12] Le dossier de requête a été signifié au procureur général du Canada le 13 octobre 2023 et à Woodfibre le 16 octobre 2023.

III. Questions en litige

[13] La Cour doit trancher la question de savoir si la demanderesse satisfait au critère d’octroi d’une prorogation du délai pour déposer son avis de demande de contrôle judiciaire.

IV. Analyse

A. Les principes applicables à une prorogation de délai

[14] Au paragraphe 5 de l’arrêt Thompson c Canada (Procureur général), 2018 CAF 212 [Thompson] (voir aussi Canada (Procureur général) c Larkman, 2012 CAF 204 au para 62 [Larkman]; Grenier c Canada (Procureur général), 2023 CAF 186; Gagnon c Association canadienne des employés professionnels, 2023 CAF 59), la Cour d’appel fédérale a énoncé quatre facteurs dont il faut tenir compte pour déterminer s’il convient d’accorder une prorogation de délai :

a) Le requérant a-t-il manifesté une intention constante de poursuivre sa demande de contrôle judiciaire?

b) Le requérant a-t-il une explication raisonnable pour justifier le retard?

c) La demande de contrôle judiciaire a-t-elle un certain fondement?

d) L’autre partie a-t-elle subi un préjudice en raison du retard?

[15] Il n’est pas nécessaire qu’il soit satisfait à chacun des quatre facteurs, et ces facteurs ne constituent pas une liste exhaustive des questions pouvant être pertinentes dans une affaire donnée. La Cour doit plutôt examiner chacun d’eux et décider si, tout bien considéré, il serait dans l’intérêt de la justice d’accorder la prorogation de délai (Thompson, au para 6; Larkman, au para 62; Heddle Marine Service (NL) Inc v Kydy Sea (Ship), 2019 FC 1140; Canada (Procureur général) c Hennelly, 1999 CanLII 8190 (CAF)).

[16] Comme il a été souligné dans l’arrêt Larkman, « [l]a date limite de trente jours se justifie par le principe du caractère définitif des décisions. Lorsque le délai de trente jours expire et qu’aucune demande de contrôle judiciaire n’a été introduite pour contester la décision […] en question, les parties devraient pouvoir agir en partant du principe que la décision […] qui a été rendue s’appliquera ». En outre, la Cour d’appel fédérale a déclaré qu’il « faut tenir compte du principe du caractère définitif des décisions lorsqu’on cherche à déterminer en quoi consiste l’intérêt de la justice dans un cas déterminé » (au para 87).

[17] De même, au paragraphe 60 de l’arrêt Canada c Berhad, 2005 CAF 267, la Cour d’appel fédérale a souligné que le délai de 30 jours accordé pour contester une décision administrative n’est « pas capricieux ». Au contraire, « [i]l existe dans l’intérêt public, afin que les décisions administratives acquièrent leur caractère définitif et puissent aussi être exécutées sans délai, apportant la tranquillité d’esprit à ceux qui observent la décision ou qui veillent à ce qu’elle soit observée […] ».

[18] En fin de compte, la considération primordiale est toutefois que justice soit rendue pour les parties (Alberta c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CAF 83 au para 45; voir aussi Larkman, au para 85; Peters v Peters First Nation, 2023 FC 399 au para 50).

a) La demanderesse a-t-elle manifesté une intention constante de poursuivre sa demande de contrôle judiciaire?

[19] Les parties ne s’entendent pas sur la preuve déposée par la demanderesse en ce qui concerne son intention constante de poursuivre sa demande de contrôle judiciaire. Après avoir présenté à la Cour une requête en autorisation de déposer une contre-preuve, la demanderesse a déposé la totalité de la correspondance des parties.

[20] Dans l’affidavit qu’elle a souscrit, la directrice générale de la demanderesse [la directrice générale], Mme Saxby, déclare que la demanderesse est une organisation fondée en 2014 par et pour la population en réponse au projet de Woodfibre ainsi qu’aux pipelines et pétroliers qui y sont associés. La demanderesse s’intéresse à ce projet depuis 2013 et ses actions comprennent la recherche, des prises de position, la sensibilisation du public, la mobilisation du gouvernement et sa participation au processus d’examen environnemental.

[21] La directrice générale reconnaît avoir appris l’existence de la déclaration modifiée le 4 août 2023. Cependant, elle était en congé de maladie et a demandé, le 9 juin 2023, au conseiller régional du ministre de lui confirmer que la déclaration modifiée était susceptible d’être faite seulement en septembre ou en octobre 2023. La directrice générale affirme aussi qu’elle a tenté de trouver un avocat pour déposer un avis de demande de contrôle judiciaire le plus rapidement possible. Après avoir consacré beaucoup d’efforts à la recherche d’un avocat pour la représenter, elle a fini par en trouver un le 25 août 2023.

[22] La preuve que la demanderesse a déposée à l’appui de sa requête démontre son intention constante de poursuivre sa demande.

[23] Par conséquent, ce facteur milite en faveur de l’accueil de la requête en prorogation de délai.

b) La demanderesse a-t-elle une explication raisonnable pour justifier le retard?

[24] Comme je l’ai mentionné plus haut, la demanderesse a communiqué le 28 août 2023 avec le procureur général du Canada [le PGC] et Woodfibre pour les informer qu’elle avait l’intention de déposer un avis de demande de contrôle judiciaire de la déclaration modifiée du 4 août 2023. La demanderesse a aussi précisé au PGC, et seulement à lui, qu’elle aurait besoin, pour pouvoir déposer sa demande, que le délai soit prorogé jusqu’au 18 septembre 2023.

[25] Le dossier de la requête en prorogation de délai a finalement été déposé le 12 octobre 2023, puis a été signifié au PGC le 13 octobre et à Woodfibre le 16 octobre 2023.

[26] Ainsi, la demanderesse a déposé son dossier de requête 45 jours après sa communication initiale, faite le 28 août, et 37 jours après la date limite de présentation d’une demande de contrôle judiciaire, qui était le 5 septembre 2023.

[27] Dans son dossier de requête, la demanderesse affirme que, le 4 août 2023, après le prononcé de la décision, elle a entamé des recherches afin de trouver un avocat pour déposer la demande. Le 25 août 2023, elle a retenu les services d’un avocat. Comme je l’ai mentionné plus haut, l’avocat de la demanderesse a communiqué avec les défendeurs le 28 août 2023.

[28] La correspondance qui a suivi, qui figure non seulement dans la contre‑preuve de la demanderesse, mais aussi dans le dossier de requête du PGC défendeur, démontre que la demanderesse a communiqué avec l’avocat du PGC et a envoyé des copies des messages à l’adresse courriel publique de Woodfibre entre le 31 août et le 4 septembre 2023. Dans ces messages, l’avocat de la demanderesse informe les défendeurs que sa cliente a l’intention de présenter à la Cour une requête en prorogation de délai ex parte, mais décide finalement de ne pas le faire. Entre‑temps, soit le 1er septembre 2023, l’avocat du PGC a envoyé à l’avocat de la demanderesse une lettre dans laquelle il exposait les préoccupations du PGC.

[29] Le 8 septembre 2023, l’avocat de la demanderesse a envoyé aux défendeurs un courriel, auquel il a joint une lettre répondant à la lettre du PGC du 1er septembre 2023. Dans ce courriel, il écrit qu’il a [traduction] « placé en pièce jointe une réponse complète exposant le fondement non seulement de la demande de contrôle judiciaire, mais aussi de la demande de prorogation du délai pour déposer les documents relatifs à la demande de contrôle judiciaire ».

[30] Le 13 septembre 2023, l’avocat du PGC a répondu à la lettre du 8 septembre 2023 de l’avocat de la demanderesse.

[31] Le 29 septembre 2023, l’avocat de la demanderesse a envoyé un courriel au PGC (une adresse courriel erronée a été utilisée pour Woodfibre) dans lequel il déclarait qu’ils étaient [traduction] « en train de préparer un dossier pour la demande de prorogation de délai ». Le 3 octobre, les avocats du PGC et de la demanderesse ont échangé des courriels concernant la procédure que la demanderesse entendait suivre pour signifier et déposer son dossier de requête. Dans un de ces courriels, l’avocat de la demanderesse déclare ceci : [traduction] « Quelle que soit la procédure qu’il convient de suivre, le fait est que nous aurons probablement déposé des copies d’ici demain. » Le 5 octobre, l’avocat du PGC a informé l’avocat de la demanderesse que celui-ci devait déposer une requête conformément à l’article 369 des Règles des Cours fédérales, et qu’il pourrait en accepter la signification.

[32] Comme je l’ai précisé plus haut, le dossier de requête a été signifié au PGC le 13 octobre 2023 et à Woodfibre le 16 octobre 2023.

[33] La Cour est d’avis que la preuve présentée par la demanderesse pour expliquer le retard comporte des lacunes importantes. Premièrement, cette preuve ne permet pas de savoir pourquoi l’avocat de la demanderesse n’a pas déposé la requête avant le 10 septembre 2023. Dans un courriel daté du 8 septembre adressé aux défendeurs, la demanderesse affirme avoir placé en pièce jointe [traduction] « une réponse complète exposant le fondement non seulement de la demande de contrôle judiciaire, mais aussi de la demande de prorogation du délai pour déposer les documents relatifs à la demande de contrôle judiciaire » [non souligné dans l’original]. La preuve démontre que la demanderesse avait préparé l’argumentation à l’appui de la requête avant le 10 septembre, mais a attendu 32 jours de plus avant de déposer les documents de la requête. Peu d’éléments de preuve expliquent ce retard.

[34] La preuve montre que l’avocat du PGC et l’avocat de la demanderesse ont échangé des lettres entre le 8 et le 13 septembre. Cependant, aucune preuve n’a été présentée concernant des mesures que la demanderesse aurait prises entre le 8 et le 13 septembre, ou entre le 13 et le 29 septembre (jour où l’avocat de la demanderesse a envoyé un autre courriel à l’avocat du PGC), qui auraient pu justifier ces retards.

[35] Il existe une preuve de démarches et de tentatives de signifier les documents de la requête à Woodfibre le 29 septembre et le 6 octobre 2023, mais cette preuve n’est pas concluante. Parallèlement, la demanderesse échangeait avec l’avocat du PGC au sujet des règles de procédure applicables à la requête. Ce n’est que le 5 octobre 2023 que l’avocat de la demanderesse a confirmé avec l’avocat du PGC qu’il fallait, selon la procédure qu’il convenait de suivre, déposer une requête conformément à l’article 369 des Règles des Cours fédérales. La demanderesse a pris huit jours de plus pour signifier ses documents au PGC, et onze jours pour les signifier à Woodfibre.

[36] Par conséquent, la demanderesse n’a pas fourni une justification adéquate pour le retard.

[37] Plus précisément, je souligne que l’avocat de la demanderesse a eu besoin, pour déposer et signifier la requête en prorogation de délai, de plus que le délai de 30 jours prévu pour déposer la demande de contrôle judiciaire. Si les services de l’avocat avaient été retenus le 4 août, date à laquelle la déclaration modifiée a été faite, on se serait attendu à ce que l’avis de demande soit déposé dans un délai de 30 jours. En l’espèce, après avoir retenu les services d’un avocat (le 25 août 2023), la demanderesse a pris plus de 30 jours pour déposer la requête en prorogation de délai.

[38] La Cour a précédemment statué qu’une partie doit être en mesure de fournir une explication raisonnable à l’égard de toute la durée du retard, « y compris le temps écoulé entre le moment où la partie a réalisé que l’échéance prévue ne pouvait ou n’a pas été rencontrée et le moment où la requête est déposée » (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 380 [Singh] au para 36; voir aussi Lesly c Le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration, 2018 CF 272 aux para 20-21; Canada (Procureur général) c Hennelly, 1999 CanLII 8190 (CAF) au para 6). La Cour a aussi précédemment rejeté des demandes de prorogation de délai parce que la partie qui demandait la prorogation avait omis d’expliquer chaque étape qui avait mené au retard global, y compris tout retard initial observé du côté de son avocat (McLean c Canada (Gendarmerie royale), 2021 CF 1148; Singh, au para 36).

[39] En l’espèce, ce facteur milite dans l’ensemble contre l’accueil de la requête en prorogation de délai. En fait, on comprend mal pourquoi il était impossible de déposer la requête avant le 10 septembre 2023. La preuve démontre que les documents de la requête étaient prêts ou presque prêts. Il y a très peu d’éléments de preuve expliquant pourquoi il a fallu 32 jours de plus pour déposer la requête en prorogation de délai, soit plus de temps que le délai prévu par la loi pour déposer un avis de demande de contrôle judiciaire. La preuve déposée comprend seulement quelques échanges entre les avocats et atteste peut-être d’une certaine confusion quant aux règles de procédure applicables, mais ne comprend aucun motif valable justifiant pourquoi il a fallu 32 jours, à compter du 10 septembre, pour signifier et déposer la requête en prorogation de délai.

c) La demande de contrôle judiciaire a-t-elle un certain fondement?

[40] La partie requérante n’est pas tenue de prouver que sa demande sera nécessairement accueillie, mais elle doit démontrer que sa demande « est bien fondée et présente une chance raisonnable de succès » (MacDonald c Canada (Procureur général), 2017 CF 2 au para 17).

[41] En l’espèce, l’avis de demande de contrôle judiciaire de la demanderesse mentionne trois principaux sujets de préoccupation en ce qui concerne la déclaration modifiée :

1) Le premier sujet de préoccupation concerne la compétence du ministre, la demanderesse faisant valoir qu’il n’avait pas compétence pour modifier la déclaration faite en vertu de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, LC 2012, c 19 [la LCEE].

2) Le deuxième sujet de préoccupation concerne le caractère illégal et déraisonnable de la décision du ministre, car, selon la demanderesse, la déclaration modifiée ne tient pas compte de la totalité des effets négatifs sur les mammifères marins, n’est pas fondée sur des données scientifiques récentes et à jour, restreint de manière déraisonnable la portée de la surveillance de la qualité de l’eau et des sédiments, et est fondée sur des considérations juridiques, politiques et économiques dépassant la portée de l’article 68 de la Loi sur l’évaluation d’impact, LC 2019, c 28, art 1 [la LEI].

3) Le troisième sujet de préoccupation concerne le fait que la déclaration modifiée semble désormais permettre à Woodfibre de réviser sa propre déclaration modifiée et d’apporter des modifications à ses conditions.

[42] À cette étape-ci de l’analyse, la Cour doit décider si la demande de contrôle judiciaire projetée a un certain fondement et une chance raisonnable de succès. Le rôle du juge des requêtes consiste à évaluer la solidité préliminaire de la demande et à soupeser ce facteur et les autres mentionnés dans le critère énoncé plus haut. Si une demande est manifestement sans fondement, il n’est pas dans l’intérêt de la justice de la laisser aller de l’avant. Cependant, il peut être dans l’intérêt de la justice de permettre qu’une demande fondée soit déposée malgré un manque de diligence dans la présentation de l’affaire. Dans le cadre d’une requête en prorogation de délai, il n’appartient pas au juge des requêtes de décider si la demande sera finalement accueillie ou rejetée (Luutkudziiwus c Canada (Procureur général), 2023 CF 1133 [Luutkudziiwus] au para 25; Kemp c Canada (Finances), 2022 CAF 198 au para 17).

[43] À mon avis, les sujets de préoccupation soulevés par la demanderesse ne semblent pas, dans l’ensemble, avoir un fondement suffisant et une chance raisonnable de succès.

1. Le ministre avait-il compétence pour modifier la déclaration faite aux termes de la Loi canadienne sur l’évaluation environnementale, LC 2012, c 19 [la LCEE]?

[44] En ce qui concerne le premier sujet de préoccupation, la demanderesse soutient que la LCEE a été abrogée en 2019 et remplacée par la LEI et que le ministre n’a donc pas le pouvoir de modifier la déclaration. Cependant, l’article 184 de la LEI dispose qu’une déclaration faite par le ministre au titre du paragraphe 54(1) de la LCEE est réputée être une déclaration faite au titre du paragraphe 65(1) de la LEI, c’est-à-dire qu’il est possible d’apporter des modifications en application de l’article 68 de la LEI. Par conséquent, le premier argument de la demanderesse paraît faible.

[45] En outre, la demanderesse a eu l’occasion de présenter au ministre des observations sur les changements proposés à la déclaration. Cependant, dans ses observations du 30 janvier 2023, elle n’a pas fait valoir que le ministre n’avait pas compétence pour apporter des changements à la déclaration. Comme l’a déclaré la Cour suprême du Canada aux paragraphes 22 à 28 de l’arrêt Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers’ Association, 2011 CSC 61, la cour de révision jouit du pouvoir discrétionnaire de ne pas se saisir d’une question soulevée pour la première fois dans le cadre du contrôle judiciaire parce qu’il est préférable de laisser au décideur initial la possibilité de se pencher le premier sur la question et de fournir des motifs sur la question. À mon avis, la demanderesse a eu la possibilité de faire valoir dans ses observations du 30 janvier 2023 que le ministre n’avait pas le pouvoir de faire la déclaration modifiée demandée par Woodfibre. Il peut être inapproprié de soulever cet argument pour la première fois lors du contrôle judiciaire. Quoi qu’il en soit, comme je l’ai dit plus haut, le fondement de cet argument est faible.

2. La décision du ministre est-elle illégale et déraisonnable?

[46] En ce qui concerne son deuxième sujet de préoccupation, la demanderesse soutient que la décision du ministre est déraisonnable pour différentes raisons, dont la plupart se rapportent aux effets négatifs sur les pinnipèdes et la qualité de l’eau.

[47] Premièrement, selon le paragraphe 68(2) de la LEI, il n’est possible de modifier une déclaration que si la modification « n’aura pas pour effet d’accroître » les effets négatifs identifiés dans l’évaluation d’impact du projet désigné. La demanderesse fait également valoir que les nouvelles conditions autorisent un niveau sonore pouvant atteindre 190 décibels dans un rayon de 150 mètres, tandis que les conditions antérieures limitaient le niveau sonore à 160 décibels dans un rayon de 7 322 mètres. À son avis, cela a pour effet « d’accroître » l’impact et le ministre n’a par conséquent pas le pouvoir de modifier la déclaration de cette façon.

[48] Deuxièmement, la demanderesse soutient que la décision du ministre est déraisonnable, car elle ne s’appuie pas sur des données scientifiques récentes et à jour.

[49] Troisièmement, la demanderesse affirme que la décision du ministre restreint de manière déraisonnable la portée de la surveillance de la qualité de l’eau et des sédiments aux effets [traduction] « attribuables au projet », excluant ainsi les autres effets négatifs pris en compte sous le régime de l’ancien permis. La demanderesse ajoute que la décision va à l’encontre des recommandations formulées par Environnement et Changement climatique Canada [ECCC], dans lesquelles [traduction] « ECCC a recommandé que la condition 6.4 précise clairement que la surveillance doit être effectuée à toutes les phases du projet, et non seulement aux phases de construction et d’exploitation ». Selon la demanderesse, le ministre a ainsi fait fi de l’avis de ses propres experts.

[50] Quatrièmement, la demanderesse fait valoir que la décision a été prise pour des motifs économiques en vertu de l’article 22 de la LEI, soit une considération outrepassant la portée de l’article 68 de la LEI.

[51] À mon avis, seul le premier des quatre moyens invoqués à l’appui du deuxième sujet de préoccupation soulevé par la demanderesse a un certain fondement et une chance raisonnable de succès. Selon moi, les autres moyens ont un fondement faible, voire sont dénués de tout fondement.

[52] En ce qui a trait au premier moyen, la demanderesse affirme que le ministère des Pêches et des Océans [le MPO] justifie les nouvelles conditions par le fait que les mammifères marins ne subiront pas de [traduction] « préjudice physique grave ». Elle soutient qu’il ne s’agit pas de la norme juridique applicable et qu’en fait la déclaration modifiée a pour effet d’accroître le [traduction] « seuil de perturbation comportementale », ce qui constitue un « effet négatif ». La demanderesse affirme également que l’AEIC est d’avis qu’il n’y a aucun « effet négatif », car les effets ne sont pas « importants », ce qui, selon la demanderesse, signifie qu’il y aura en fait des « effets négatifs » et que le ministre ne peut donc pas les autoriser aux termes de l’article 68 de la LEI.

[53] L’argument de la demanderesse s’appuie sur ce qui semble être l’analyse préliminaire des changements proposés aux conditions de la déclaration du projet de Woodfibre LNG, datée de novembre 2022 [l’analyse préliminaire des changements proposés] (qui ne fait pas partie du dossier de requête de la demanderesse, mais qui est jointe comme pièce B à l’affidavit de Janzel Renaud dans le dossier de requête de Woodfibre à la p 17). Cependant, la demanderesse ne semble pas s’appuyer sur la totalité de l’analyse préliminaire des changements proposés. Dans ce document, l’AEIC conclut, après avoir examiné une multitude d’observations, dont celles du MPO, que la modification de la condition 3.8 [traduction] « n’aurait pas pour effet d’accroître l’ampleur des effets négatifs du projet, évalués au cours de l’évaluation environnementale » (voir le dossier de requête de Woodfibre à la p 23). Par conséquent, l’argument selon lequel la décision du ministre est déraisonnable, car l’impact des changements proposés aura pour effet d’« accroître » les effets négatifs a certes un certain fondement et une chance raisonnable de succès, mais l’argument formulé par la demanderesse dans son avis de demande n’est pas aussi convaincant qu’elle le soutient.

[54] En ce qui a trait au deuxième moyen, pour prouver que le ministre ne s’est pas appuyé sur les données scientifiques les plus à jour, la demanderesse avait initialement l’intention de déposer une nouvelle preuve d’expert (comme le précise l’avis de demande). Dans sa réponse, la demanderesse déclare maintenant qu’elle n’a plus l’intention de présenter de preuve d’expert et qu’elle s’appuiera sur le dossier. Premièrement, la Cour a statué il y a déjà longtemps qu’il est inapproprié de la part d’un demandeur de présenter, dans le cadre d’un contrôle judiciaire, des éléments de preuve dont ne disposait pas le décideur pour discréditer la décision de ce dernier (Alberta Wilderness Association c Canada (Ministre de l’Environnement), 2009 CF 710 aux para 30, 34). Les éléments de preuve qui visent à compléter ou à corriger les éléments de preuve soumis au ministre ne sont pas admissibles dans un contrôle judiciaire (Laboratoires Abbott Limitée c Canada (Procureur général), 2008 CF 700 aux para 14, 37). L’admission d’éléments de preuve extrinsèques ne peut pas viser à transformer le contrôle judiciaire en un nouveau procès sur le bien-fondé des éléments scientifiques, ce qui éloignerait la Cour du rôle qu’elle est censée jouer (Morton c Canada (Pêches et Océans), 2019 CF 143 au para 265; Société Canadian Tire Ltée c Canadian Bicycle Manufacturers Association, 2006 CAF 56 aux para 11-13). Deuxièmement, on ne sait pas trop comment la demanderesse pourrait démontrer, relativement à ce moyen, que le ministre ne s’est pas appuyé sur des données à jour si elle ne s’appuie pas sur des éléments de preuve supplémentaires. Troisièmement, comme je l’ai mentionné plus haut, la demanderesse a eu l’occasion de porter à l’attention du ministre ces données scientifiques, qu’elle qualifie d’[traduction]« à jour », dans ses observations du 30 janvier 2023, mais elle ne semble pas l’avoir fait. Bien que ce moyen ne soit pas totalement dénué de fondement, sa chance de succès est faible.

[55] En ce qui a trait au troisième moyen, la demanderesse ne s’est pas acquittée du fardeau qui lui incombait de démontrer le fondement de son allégation. L’analyse préliminaire des changements proposés traite bel et bien de la position d’ECCC et souligne que, bien qu’il ait déclaré antérieurement que la surveillance dont il est question à la condition 6.4 devrait [traduction] « être effectuée à toutes les phases du projet, et non seulement aux phases de construction et d’exploitation », ECCC est maintenant d’accord avec Woodfibre pour dire que la [traduction] « surveillance des seuls effets du projet sur la qualité de l’eau et des sédiments pendant les phases de construction et d’exploitation n’entraînerait pas d’effets négatifs supplémentaires » (dossier de requête en réponse de Woodfibre, aux p 25-26). La décision du ministre ne semble donc pas [traduction] « aller directement à l’encontre » des recommandations des experts ni les [traduction] « contredire », comme le soutient la demanderesse. Par conséquent, ce moyen formulé par la demanderesse, selon lequel la décision du ministre est déraisonnable parce qu’elle ne tient pas compte de l’avis des propres experts de ce dernier, est dénué de fondement.

[56] En ce qui a trait au quatrième moyen invoqué, à savoir que le ministre a tenu compte de considérations économiques, la demanderesse affirme dans son avis de demande que [traduction] « [ses] experts en matière de pinnipèdes témoigneront au sujet de la faisabilité des anciennes conditions » pour étayer son argument selon lequel les « considérations économiques » prises en compte par le ministre pour accepter les changements proposés n’étaient pas requises, mais ont simplement pour effet de rendre l’exploitation plus coûteuse. La demanderesse soutient également que les éléments énumérés à l’article 22 de la LEI dépassent la portée de l’article 68 de la LEI.

[57] À mon avis, ce moyen a un fondement faible. Premièrement, là encore, il se peut que la demanderesse cherche à faire admettre une preuve d’expert dans le cadre du contrôle judiciaire, ce qui n’est généralement pas permis comme on l’a vu. En ce qui concerne la question de fond de savoir si les éléments énumérés à l’article 22 peuvent s’appliquer à une modification apportée en vertu de l’article 68, ces éléments sont importants pour le processus de prise de décision prévu par la LEI. L’article 68 de la LEI prévoit également que le ministre peut ajouter, supprimer ou modifier une condition d’une décision antérieure. Une évaluation préliminaire du contexte de la LEI donne à penser que le ministre ne devrait pas être lié par des conclusions antérieures tirées au titre de l’article 22, car l’article 68 autorise les modifications sur demande, probablement en raison de changements de circonstances. Cela dit, la demanderesse semble là encore s’appuyer sur l’analyse préliminaire des changements proposés pour étayer ce moyen. Comme je l’ai dit plus haut, et comme c’était le cas pour le moyen se rapportant à la compétence, la demanderesse aurait dû porter cet argument à l’attention du ministre en temps et lieu, soit dans ses observations du 30 janvier 2023. Quoi qu’il en soit, ce moyen a un fondement faible ou peu de chance de succès.

3. La déclaration semble désormais permettre à Woodfibre de réviser sa propre déclaration modifiée et d’apporter des modifications à ses conditions

[58] Enfin, le troisième moyen soulevé par la demanderesse, à savoir que la modification apportée à la condition 2.10 semble désormais permettre à Woodfibre de réviser sa propre déclaration modifiée, n’est tout simplement pas fondé. La condition 2.10 stipule simplement que Woodfibre peut [traduction] « proposer » d’autres modifications à apporter à la déclaration modifiée, qui seraient examinées en temps et lieu, y compris tout renseignement supplémentaire pouvant être exigé au titre de la condition 2.11. Le ministre doit ensuite les approuver aux termes de l’article 68 de la LEI. Comme les autres questions et moyens que j’ai examinés, la demanderesse aurait dû porter cet argument à l’attention du ministre en temps et lieu, soit dans ses observations du 30 janvier 2023. Quoi qu’il en soit, cet argument est dénué de fondement.

4. Conclusion sur le bien-fondé de la demande proposée

[59] Dans l’ensemble, le bien-fondé de la demande de contrôle judiciaire projetée est limité. La demanderesse souhaite soulever de nouvelles questions (et peut-être présenter de nouveaux éléments de preuve) dans le cadre du contrôle judiciaire, alors qu’elle avait la possibilité de présenter ces mêmes arguments dans les observations qu’elle a fournies au ministre le 30 janvier 2023. En outre, sur le fond, les arguments ont globalement un fondement faible, bien qu’ils ne soient pas totalement dénués de chance de succès.

[60] Par conséquent, dans l’ensemble, le facteur se rapportant au bien-fondé éventuel de la demande projetée ne milite pas fortement en faveur d’une prorogation du délai.

[61] Il convient de souligner que, bien que la demanderesse ait été encouragée à obtenir davantage de soutien pour sa cause, notamment en mobilisant le public, aucune autre procédure de contrôle judiciaire n’a été entamée pour contester la déclaration modifiée. Par soutien, j’entends notamment la participation des onze groupes autochtones qui ont été consultés.

d) L’autre partie a-t-elle subi un préjudice en raison du retard?

[62] Woodfibre a présenté des éléments de preuve donnant à penser qu’elle subirait un préjudice si la requête en prorogation de délai était accueillie. Elle soutient qu’elle a pris des mesures en fonction de la déclaration modifiée, après l’expiration du délai de 30 jours. Par conséquent, la prorogation du délai créerait nécessairement de l’incertitude. Woodfibre affirme s’être engagée à dépenser plus de 100 millions de dollars d’ici février 2024 en prévision de la construction, y compris pour respecter les exigences relatives aux autorisations réglementaires et pour conclure une convention de vente et d’achat et d’autres ententes contractuelles.

[63] En outre, Woodfibre soutient qu’elle pourrait subir d’autres préjudices en raison de travaux qui doivent être effectués d’ici février 2024, comme ceux se rapportant au battage de pieux et aux fondations, avant l’arrivée du « bateau-hôtel », et ajoute que si le « bateau-hôtel » n’est pas en place et en activité d’ici février 2024, elle aura de la difficulté à respecter ses obligations réglementaires. Il serait aussi nécessaire de reporter d’autres travaux de construction, ce qui finirait par retarder des activités essentielles. En fin de compte, cela aurait des conséquences économiques pour Woodfibre, y compris des répercussions sur ses relations avec des intervenants et des parties contractantes.

[64] Aux paragraphes 23 et 24 de sa réponse, la demanderesse fait valoir que Woodfibre a omis de divulguer que le « bateau-hôtel » n’est pas encore approuvé et fait actuellement l’objet de demandes de permis aux niveaux fédéral et provincial. Cependant, il n’y a aucune preuve à l’appui de l’affirmation de la demanderesse selon laquelle le « bateau-hôtel » n’est pas encore approuvé, ou encore de celle selon laquelle le processus d’obtention des autorisations nécessaires ne sera pas terminé avant février 2024. Woodfibre a aussi déclaré en réplique qu’aucune autre autorisation n’était nécessaire au niveau fédéral ou provincial.

[65] À mon avis, bien que le préjudice allégué par Woodfibre puisse être défini trop largement, je suis convaincu que Woodfibre subirait un préjudice important si la prorogation de délai était accordée.

[66] Comme la Cour d’appel fédérale l’a déclaré au paragraphe 86 de l’arrêt Larkman, « [o]n trouve bon nombre de précédents suivant lesquels des retards inexpliqués, même courts, peuvent justifier le refus d’une prorogation de délai ». Au paragraphe 87, la Cour d’appel fédérale a ajouté ceci :

[87] La date limite de trente jours se justifie par le principe du caractère définitif des décisions. Lorsque le délai de trente jours expire et qu’aucune demande de contrôle judiciaire n’a été introduite pour contester la décision ou l’ordonnance en question, les parties devraient pouvoir agir en partant du principe que la décision ou l’ordonnance qui a été rendue s’appliquera. Il faut tenir compte du principe du caractère définitif des décisions lorsqu’on cherche à déterminer en quoi consiste l’intérêt de la justice dans un cas déterminé.

[67] En outre, je suis d’avis que Woodfibre s’appuie à bon droit sur le paragraphe 41 de la décision Luutkudziiwus, où la Cour a déclaré ceci : « […] le fait que permettre que la demande de contrôle judiciaire aille de l’avant maintenant constituerait un changement important dans les circonstances dans lesquelles l’APPR et Vopak ont pris et doivent continuer de prendre des mesures pour que le projet soit terminé en temps opportun. À tout le moins, cela créerait un doute quant à savoir si le projet peut aller de l’avant selon son calendrier actuel. Permettre que la demande de contrôle judiciaire aille de l’avant à cette étape tardive […] irait à l’encontre des principes de certitude et de caractère définitif que la période de 30 jours vise à protéger, des principes sur lesquels l’APPR et Vopak se sont raisonnablement fondées pour procéder à la mise en œuvre du projet. Par conséquent, ce facteur milite contre une prorogation du délai. » Le même raisonnement s’applique en l’espèce.

[68] Comme l’a expliqué la Cour au paragraphe 40 de la décision Luutkudziiwus, la question qui se pose dans la requête ne concerne pas un retard causé par la demande de contrôle judiciaire en soi, mais vise plutôt la question plus étroite du préjudice découlant de la prorogation du délai de dépôt d’un avis de demande de contrôle judiciaire.

[69] En l’espèce, Woodfibre a présenté des éléments de preuve sur les mesures qu’elle a prises depuis l’expiration de la période de 30 jours pour satisfaire aux exigences auxquelles elle doit satisfaire jusqu’en février 2024. Je suis convaincu que ces éléments de preuve démontrent qu’elle subirait un préjudice important compte tenu des mesures qu’elle a prises après l’expiration du délai de 30 jours pour le dépôt d’un avis de demande de contrôle judiciaire.

[70] Par conséquent, ce facteur milite fortement contre une prorogation de délai.

e) Évaluation globale

[71] Premièrement, je prends acte de l’élément de preuve que la demanderesse a obtenu par l’entremise d’un courriel le 1er novembre 2023, selon lequel, en raison de l’arrêt de la Cour suprême du Canada Renvoi relatif à la Loi sur l’évaluation d’impact, 2023 CSC 23, l’AEIC examine actuellement toutes les modifications possibles aux déclarations afin de déterminer les prochaines étapes. À mon avis, ce courriel a peu d’importance pour la présente requête en prorogation de délai. Si elle conclut que l’arrêt de la Cour suprême du Canada a une incidence en l’espèce, l’AEIC prendra des mesures pouvant entraîner l’annulation de la déclaration modifiée ou le recommencement du processus, ce qui rendrait théorique la demande de contrôle judiciaire projetée. Si l’AEIC conclut que cet arrêt n’a aucune incidence en l’espèce, cet élément de preuve n’est pas pertinent pour la présente requête en prorogation de délai.

[72] Après avoir soupesé et pondéré les facteurs mentionnés plus haut, je conclus qu’il ne serait pas dans l’intérêt de la justice d’accorder une prorogation du délai pour présenter la demande de contrôle judiciaire projetée.

[73] Je reconnais que la demanderesse a eu l’intention constante de déposer une demande de contrôle judiciaire de la déclaration modifiée du ministre. Cependant, je ne suis pas convaincu qu’elle a fourni une explication raisonnable à l’égard de la totalité du temps dont elle a eu besoin, y compris le temps écoulé entre le moment où elle a retenu les services d’un avocat et celui du dépôt de la requête en prorogation de délai, plus de 45 jours plus tard. Je ne suis pas non plus convaincu que la demande projetée a un fondement suffisant et une chance raisonnable de succès. Plus important encore, comme je l’ai expliqué, je suis convaincu que la défenderesse Woodfibre a établi, au moyen de la preuve qu’elle a présentée, qu’elle subirait un préjudice important si la demande était autorisée maintenant.

[74] Tout bien considéré, les facteurs soupesés ne militent pas en faveur d’une prorogation du délai. La requête sera donc rejetée.

V. Dépens

[75] La demanderesse, en tant que partie représentant l’intérêt public, demande à la Cour de n’adjuger de dépens à aucune des parties, quelle que soit l’issue de la requête.

[76] Les défendeurs n’ont pas demandé de dépens.

[77] Je conviens avec les parties qu’aucuns dépens ne devraient être adjugés.

VI. Conclusion

[78] La demanderesse ne s’est pas acquittée du fardeau de prouver que le retard était raisonnable et qu’il serait dans l’intérêt de la justice d’accorder une prorogation du délai pour présenter la demande de contrôle judiciaire. Pour les motifs exposés plus haut, la requête sera rejetée, sans dépens.


ORDONNANCE dans le dossier 23-T-102

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête en prorogation de délai est rejetée.

  2. Chaque partie assume ses propres dépens.

« Guy Régimbald »

Juge

 

Traduction certifiée conforme

Sandra de Azevedo


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

23-T-102

INTITULÉ :

CITIZENS FOR MY SEA TO SKY c LE MINISTRE DE L’ENVIRONNEMENT ET DU CHANGEMENT CLIMATIQUE, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, WOODFIBRE LNG

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO) CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE RÉGIMBALD

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :



LE 18 DÉCEMBRE 2023

COMPARUTIONS :

Richard B. Pearce

Patrick C. Canning

POUR LA DEMANDERESSE

Rick Williams

Yomi Wong

POUR LA DÉFENDERESSE WOODFIBRE LNG

Jordan Marks

POUR LE DÉFENDEUR

Procureur général du Canada,

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Webster Hudson & Coombe LLP

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LA DEMANDERESSE

Borden Ladner Gervais LLP

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LA DÉFENDERESSE WOODFIBRE LNG

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

Procureur général du Canada,

 

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