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Date : 20240103

Dossier : IMM-8074-21

Référence : 2024 CF 5

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 3 janvier 2024

En présence de monsieur le juge Andrew D. Little

ENTRE :

NIKOLOZ CHAKHNASHVILI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] La présente demande de contrôle judiciaire vise à faire annuler la décision par laquelle l’agent a rejeté la demande de résidence permanente que le demandeur avait présentée au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada prévue par le Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le « RIPR »).

[2] L’agent a conclu que le demandeur avait faussement déclaré qu’il avait un enfant biologique avec sa répondante (l’épouse). L’agent a conclu, en application du paragraphe 4(1) du RIPR, que le demandeur n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que son mariage est authentique et qu’il ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège au Canada.

[3] Pour les motifs qui suivent, je conclus que la décision de l’agent est raisonnable. La demande doit donc être rejetée.

[4] La chronologie des événements qui suit, tirée du dossier, notamment des notes que l’agent a consignées dans le Système mondial de gestion des cas (le « SMGC »), vise à mettre la décision de l’agent en contexte.

[5] Le demandeur est un citoyen de la Géorgie arrivé au Canada en avril 2015. Il a demandé l’asile au titre de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la « LIPR »), mais sa demande a été rejetée. Comme il ne s’est pas présenté aux fins de son renvoi qui était prévu le 1er mars 2016, un mandat d’arrêt a été lancé contre lui la même année. Le demandeur s’est livré aux autorités le 4 octobre 2021 et a été arrêté.

[6] Entre-temps, en 2018, le demandeur a rencontré sa future épouse, une citoyenne canadienne également originaire de la Géorgie. Elle était séparée de son ex-époux, de qui elle a divorcé en novembre 2019.

[7] Le demandeur et son épouse ont commencé à cohabiter en janvier 2020 et se sont mariés le 1er mars 2020.

[8] Le 20 mai 2020, le demandeur a présenté une demande de résidence permanente, son épouse agissant à titre de répondante. Le demandeur a déposé le billet d’un médecin indiquant que le couple attendait un enfant dont l’arrivée était prévue au début du mois de septembre 2020. L’enfant, D, est né en août 2020. Sur un des formulaires de parrainage, l’épouse du demandeur a ajouté une note manuscrite pour indiquer qu’elle avait fourni un [traduction] « élément de preuve supplémentaire » démontrant que le couple attendait un enfant.

[9] Le 4 octobre 2021, après avoir examiné la demande de résidence permanente, l’agent a envoyé au demandeur, par courriel, une lettre d’« équité procédurale » lui demandant de fournir des renseignements supplémentaires, dont une copie du certificat de naissance (format détaillé) de tout enfant issu de sa relation avec son épouse ou de toute autre relation. Dans son courriel, l’agent a indiqué qu’il n’estimait pas que le demandeur et son épouse avaient cohabité dans le cadre d’une relation conjugale. Il a également indiqué que le demandeur ne l’avait pas convaincu, à l’aide de renseignements et d’éléments de preuve suffisamment crédibles et importants, que son mariage est authentique et qu’il ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège au Canada. L’agent a ajouté qu’il n’estimait pas que le demandeur satisfaisait aux exigences de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada. Il a également demandé des éléments de preuve et des documents supplémentaires attestant de la cohabitation et de la relation du couple.

[10] Le 14 octobre 2021, l’avocat du demandeur a présenté des renseignements supplémentaires, dont le certificat de naissance de D, délivré le 27 septembre 2020, sur lequel les noms des parents (biologiques) de l’enfant ne figuraient pas.

[11] Le 20 octobre 2021, l’agent a adressé un autre courriel au demandeur pour de nouveau lui demander de fournir une copie du certificat de naissance (format détaillé) de tout enfant issu de sa relation avec son épouse ou de toute autre relation. Dans ce courriel, l’agent a expressément demandé une copie du format détaillé du certificat de naissance de D, et a indiqué que les noms des parents ne figuraient pas sur le certificat de naissance fourni précédemment pour l’enfant du couple. Il a ajouté que le nom de famille de l’enfant du couple semblait être celui du premier époux de l’épouse du demandeur.

[12] En réponse, le demandeur a fourni la Déclaration de naissance vivante pour D, délivrée le 27 septembre 2020 (la même date de délivrance que le certificat de naissance). Selon la Déclaration de naissance vivante, le père (biologique) de D serait l’ex-époux de l’épouse du demandeur. Le demandeur a également fourni une lettre dactylographiée de son épouse datée du 21 octobre 2021. Dans sa lettre, l’épouse du demandeur a confirmé que ce dernier n’est pas le père biologique de D. Elle a indiqué qu’elle avait commis une grave erreur en passant une nuit avec son ex-époux alors qu’elle était déjà en relation avec le demandeur.

[13] Deux principales conclusions sont énoncées dans la lettre du 28 octobre 2021 que l’agent a envoyée au demandeur pour lui faire part de sa décision ainsi que dans les notes qu’il a consignées dans le SMGC le même jour. Premièrement, le demandeur et son épouse ont faussement déclaré que D était l’enfant biologique du couple, une fausse déclaration qui aurait pu entraîner une erreur dans l’application de la LIPR. Deuxièmement, l’agent a examiné les renseignements fournis en réponse à la lettre d’équité procédurale et a conclu qu’il n’y avait pas de renseignements ni d’éléments de preuve suffisamment crédibles et importants démontrant que le mariage est authentique et qu’il ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège au Canada. La demande de résidence permanente du demandeur au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada a été rejetée.

[14] Le 8 novembre 2021, le demandeur a déposé la présente demande de contrôle judiciaire.

[15] La Cour a sursis au renvoi du demandeur par ordonnance le 11 mai 2022 : Chakhnashvili v Canada (Citizenship and Immigration), 2022 CanLII 41572 (CF).

I. Question préliminaire

[16] Le demandeur a déposé deux affidavits à l’appui de la présente demande, l’un de lui et l’autre de son épouse. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire que les principaux éléments des affidavits ne sont pas admissibles en lien avec la présente demande. Ces éléments de preuve ont essentiellement trait au bien-fondé de la décision de l’agent, à savoir si le mariage était et est authentique. Ces éléments ne tombent sous le coup d’aucune des exceptions au principe général selon lequel le dossier qui est soumis à la Cour se limite au dossier dont disposait le décideur : Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 aux para 19-20; Brink’s Canada Limitée c Unifor, 2020 CAF 56 au para 13.

[17] Le défendeur a soutenu que la demande devrait être rejetée parce que le demandeur n’a pas agi de manière irréprochable – il s’est rendu coupable d’inconduite en ne se présentant pas aux fins de son renvoi en 2015 et en restant dans la clandestinité jusqu’en 2021. Je refuse de rejeter la demande pour ce motif. À mon avis, la présente demande devrait être tranchée à l’issue d’un examen du caractère raisonnable de la décision de l’agent sur le fond.

II. Analyse

[18] S’appuyant sur les principes énoncés dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 653 [Vavilov], le demandeur soutient que la décision de l’agent est déraisonnable. Selon l’arrêt Vavilov, la cour de révision peut infirmer la décision administrative si le demandeur démontre qu’elle est déraisonnable parce qu’elle n’était pas transparente, intelligible et justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti : Vavilov, plus particulièrement aux para 12-15, 83-85, 99-106, 125-128.

[19] Selon le paragraphe 4(1) du RIPR, il incombe au demandeur de démontrer à la fois que le mariage est authentique et qu’il ne visait pas principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR : Ferraro c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 22 au para 12; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Moise, 2017 CF 1004 au para 15. Le défaut de prouver l’un ou l’autre de ces éléments entraînera l’inadmissibilité du demandeur : Joseph c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1067 [Joseph] au para 17.

[20] Le demandeur ne conteste pas ces principes juridiques ni ne soutient que la décision de l’agent est entachée d’une erreur de droit.

[21] Les observations du demandeur portent principalement sur la preuve qui aurait dû amener l’agent à conclure que le mariage du couple est, en fait, authentique et qu’il ne visait pas à appuyer la demande de résidence permanente du demandeur. Cependant, je dois appliquer les principes énoncés dans l’arrêt Vavilov, selon lesquels la cour de révision doit s’abstenir de tirer sa propre conclusion sur le fond ou d’apprécier de nouveau la preuve. Le demandeur doit démontrer que la décision de l’agent ne tient pas compte des contraintes juridiques auxquelles l’agent était assujetti, ou que ce dernier s’est fondamentalement mépris sur la preuve au dossier qui lui a été soumise ou n’en a pas tenu compte. Voir Vavilov, aux para 83 et 126-126; et, plus récemment, Joseph, aux para 22-23, 26.

[22] Les notes que l’agent a consignées dans le SMGC montrent la chronologie des événements en plus d’énoncer les circonstances qui ont mené à la conclusion selon laquelle le demandeur a faussement déclaré qu’il était le père biologique de D. À mon avis, la conclusion de l’agent sur cette question est raisonnable et il lui était loisible de tirer cette conclusion au vu du dossier conformément au paragraphe 4(1) du RIPR (l’agent n’a tiré aucune conclusion en matière d’interdiction de territoire).

[23] Je ne souscris pas à l’avis du demandeur selon lequel l’agent n’a pas tenu compte du contenu de la lettre d’explication de l’épouse du demandeur datée du 21 octobre 2021 ni du certificat de divorce concernant le précédent mariage de cette dernière. Les notes consignées dans le SMGC montrent que l’agent savait que le demandeur et son épouse étaient légalement mariés. Ainsi qu’il est mentionné à la fois dans la lettre de décision de l’agent et dans les notes qu’il a consignées dans le SMGC, l’épouse a confirmé dans sa lettre que D n’était pas l’enfant biologique du demandeur et qu’elle en avait informé ce dernier immédiatement après avoir appris qu’elle était enceinte – soit avant qu’il ne dépose sa demande de résidence permanente. Selon les notes consignées dans le SMGC, il a fallu demander deux fois au demandeur et à son épouse de fournir le certificat de naissance en format détaillé de [traduction] « l’enfant ayant fait l’objet d’une fausse déclaration », et ils ont fourni des renseignements partiels même s’ils étaient en possession du certificat en format détaillé (délivré le même jour que le certificat en format abrégé). Même si l’épouse, dans sa lettre, a brièvement expliqué pourquoi ils n’avaient pas révélé aux autres l’identité du père biologique de D, elle n’a pas expliqué pourquoi ils n’avaient pas déposé le certificat de naissance en format détaillé lorsque l’agent le leur a expressément demandé le 4 octobre 2021. De plus, l’épouse n’a fourni dans sa lettre aucun détail supplémentaire sur l’évolution ou la nature de la relation du couple avant la grossesse qui a mené à la naissance de D. Le demandeur n’a pas démontré que le contenu de la lettre exigeait que l’agent fournisse d’autres explications que celles figurant dans les notes consignées dans le SMGC.

[24] Je ne peux également pas souscrire à l’avis du demandeur selon lequel la décision de l’agent est déraisonnable parce que ce dernier n’a pas tenu compte de l’ensemble de la preuve ou parce qu’il a été sélectif. L’agent a noté que l’épouse du demandeur n’avait fourni aucun détail sur le rôle que ce dernier jouait dans la vie de ses enfants à elle. L’agent a estimé que la relation était relativement récente puisqu’ils se sont rencontrés en 2018 et qu’ils n’ont commencé à cohabiter qu’en janvier 2020 (c.-à-d. peu de temps avant leur mariage le 1er mars et le dépôt de la demande de résidence permanente en mai). Dans les notes qu’il a consignées dans le SMGC, l’agent a également confirmé avoir tenu compte du temps écoulé depuis l’arrivée du demandeur au Canada, de l’objectif initial qu’il visait en venant ici, des circonstances de la rencontre du couple ainsi que des observations concernant l’évolution de la relation. Selon l’agent, les éléments de preuve à sa disposition pour évaluer la relation du couple étaient, [traduction] « au mieux, peu étoffés ». Ensemble, le contenu de la lettre de décision de l’agent et celui des notes consignées dans le SMGC me convainquent que l’agent a examiné le contenu du dossier du demandeur, qui comprenait le certificat de mariage du demandeur et de son épouse; diverses photographies du demandeur, de son épouse et des deux enfants; une courte déclaration du pédiatre de D; des lettres d’appui de membres de la famille; un avis de cotisation; un relevé bancaire; diverses factures; et une convention de location démontrant que le couple habitait à la même adresse.

[25] Même si le raisonnement figurant à la fin des notes consignées dans le SMGC n’était ni exhaustif ni détaillé sur le plan factuel, j’estime qu’il était loisible à l’agent de tirer les conclusions prévues au paragraphe 4(1) du RIPR à la lumière des conclusions qu’il avait tirées, notamment au sujet des fausses déclarations, ainsi que des renseignements que le demandeur et son épouse/répondante avaient fournis.

[26] Bien que le demandeur mentionne, dans ses observations écrites, que l’agent aurait pu les interroger, son épouse et lui, il n’a pas formulé d’observations au sujet de l’équité procédurale.

III. Conclusion

[27] Pour ces motifs, je conclus que le demandeur n’a pas démontré que la décision de l’agent est déraisonnable.

[28] La demande doit donc être rejetée. Aucune partie n’a soulevé de question à certifier en vue d’un appel et je conviens qu’aucune ne se pose.


JUGEMENT dans le dossier IMM-8074-21

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

« Andrew D. Little »

 



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