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Date : 20231229

Dossier : IMM-11045-22

Référence : 2023 CF 1767

Ottawa (Ontario), le 29 décembre 2023

En présence de l’honorable madame la juge Rochester

ENTRE :

SAMIR KHELEFI ET MOKRAME KHELEFI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demandeurs, Samir Khelifi et Mokrane Khelifi, sont un père et son fils ayant présentement 18 ans. Ils sont citoyens de l’Algérie. Ils sollicitent le contrôle judiciaire de la décision rendue le 19 octobre 2022, selon laquelle la Section d’appel des réfugiés [SAR] a rejeté leur demande d’asile et a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] à l’effet que les demandeurs n’ont pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle des personnes à protéger au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Décision].

[2] M. Khelifi, l’épouse de M. Khelifi, leurs fils Mokrane et leurs deux filles ont demandé l’asile au Canada. Ils allèguent craindre d’être persécutés par leur famille. Dans leur demande d’asile initiale, l’épouse était la demanderesse principale et la seule à avoir fourni un narratif. L’épouse et les deux filles ont obtenu le statut de réfugié, car la SPR a jugé que leurs demandes étaient fondées en raison de leur appartenance au groupe des femmes victimes de violence familiale, étant forcées de se soumettre aux traditions familiales du mariage forcé en Algérie. La SPR et la SAR ont conclu que les demandeurs ont été incapables de démontrer l’existence d’un lien personnel entre leur situation et la persécution vécue par l’épouse et les deux filles. Le SPR et la SAR ont également conclu que la crédibilité des craintes de mauvais traitements exprimées par M. Khelifi lors de l’audience était mineure par l’omission de les avoir mentionnées dans son formulaire de fondement de la demande d’asile [FDA] et par son témoignage très général et dépourvu de détails.

[3] Les demandeurs soutiennent que la SAR a erré et qu’il existe un lien clair entre eux et la persécution possible en raison de leur association familiale. Selon les demandeurs, la SAR a eu tort de se concentrer uniquement sur les femmes. Ils allèguent que les allégations dans le FDA concernent tous les membres de la famille et soulignent que le FDA de l’épouse utilise à certains endroits le mot « nous ». M. Khelifi fait valoir que la SAR a également erré en n’accordant pas de valeur à son témoignage, et ce, en violation de la présomption de véracité.

[4] En contrepartie, le défendeur soutient que la SAR n’a pas commis d’erreur. Puisque M. Khelifi a (i) omis d’indiquer au narratif de son formulaire de FDA avoir été menacé, insulté et agressé par sa famille, et (ii) témoigné sans donner d’exemple précis au sujet de ces événements, tout en maintenant un témoignage général et sans aucun détail, le défendeur soutient qu’il était raisonnable pour la SAR de tirer une inférence négative de crédibilité et de conclure que M. Khelifi n’a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, avoir subi de mauvais traitements pas les membres de sa famille.

[5] Après avoir examiné le dossier dont la Cour est saisie, y compris les observations écrites et orales des parties, ainsi que le droit applicable, les demandeurs n’ont pas réussi à me convaincre que la Décision est déraisonnable. Pour les motifs qui suivent, cette demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II. Norme de contrôle

[6] Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, telle qu’elle est énoncée dans Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]. Une décision raisonnable est une décision qui est justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti (Vavilov au para 85). Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est à la fois rigoureux et empreint de retenue (Vavilov aux paras 12-13). À ce titre, la cour de révision doit faire preuve de retenue, surtout en ce qui concerne les conclusions de fait et l’appréciation de la preuve. Dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire, la Cour doit s’abstenir d’apprécier à nouveau la preuve examinée par le décideur et, à moins de circonstances exceptionnelles, elle ne doit pas modifier les conclusions de fait (Vavilov au para 125).

III. Analyse

[7] Comme il a été mentionné précédemment, une des questions à trancher en l’espèce est celle de la crédibilité. Les demandeurs allèguent que la conclusion de la SAR au sujet de la crédibilité n’est pas raisonnable, car il existe la présomption de vérité dont ils bénéficient.

[8] Comme l’ont indiqué mes collègues, les juges Simon Fothergill, Shirzad A. Ahmed et Nicholas McHaffie, l’appréciation de la crédibilité fait partie du processus de recherche des faits, et les décisions quant à la crédibilité appellent la déférence dans le cadre du contrôle judiciaire (Fageir c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 966 au para 29 [Fageir]; Tran c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 721 au para 35 [Tran]; Azenabor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1160 au para 6). Les conclusions quant à la crédibilité constituent « l’essentiel du pouvoir discrétionnaire des juges des faits [...] et elles ne sauraient être infirmées à moins qu’elles ne soient abusives, arbitraires ou rendues sans tenir compte des éléments de preuve » (Fageir au para 29; Tran au para 35; Edmond c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 644 au para 22).


 

[9] Je suis d’accord avec le défendeur que la SAR n’a pas commis d’erreur dans son évaluation de crédibilité du témoignage de M. Khelifi qu’il avait été menacé, insulté et agressé par sa famille. La SAR était justifiée d'arriver à sa conclusion sur la base du dossier dont elle disposait. La SAR a compris et a pris en compte la crainte des défendeurs, mais a néanmoins conclu que l’allégation des mauvais traitements n’était pas établie et qu’il était peu probable qu’ils feraient face à un risque en Algérie. La SAR à noter que l’allégation des mauvais traitements de M. Khelifi n’était pas mentionnée dans son FDA et que lors de l’audience, son témoignage était général et dépourvu de détails ou d’exemples précis.

[10] La SAR est arrivée à sa conclusion sur la base de la crédibilité d’une allégation des demandeurs et à la lumière du dossier. Cette conclusion mérite donc de recevoir une déférence considérable (Fageir au para 29; Tran au para 35; Edmond c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2017 CF 644 au para 22). Il est bien établi que, à défaut de circonstances exceptionnelles, les cours de révision doivent s’abstenir « d’apprécier à nouveau la preuve prise en compte par le décideur » (Vavilov au para 125). À mon avis, les demandeurs demandent à la Cour de soupeser à nouveau la preuve et de tirer une conclusion différente.

[11] Les demandeurs soutiennent que la SAR a eu tort de se concentrer uniquement sur les femmes, car, en réalité, les allégations dans le FDA de l’épouse concernent tous les membres de la famille. Les demandeurs font valoir que lorsque les demandes sont jointes, les éléments de preuve produits s’appliquent à eux tous, ce qui était le cas des demandeurs. Ils plaident qu’on doit présumer que les demandeurs font face aux mêmes risques que les autres membres de leur famille.

[12] Le défendeur soutient qu’en l’espèce, les faits et les éléments de preuve sont différents parce que l’épouse a été victime de violence familiale par sa belle-famille en raison de son sexe, et les deux filles ont été acceptées comme réfugiées parce qu’en raison de leur sexe, elles sont à risque de devoir se soumettre aux traditions familiales du mariage forcé. Par contre, les demandeurs étaient incapables de démontrer que de la persécution aurait été dirigée contre eux ou qu’il y avait un lien clair entre eux et la persécution de l’épouse et les deux filles advenant leur retour en Algérie. Le défendeur souligne que la SAR a conclu que les demandeurs n’ont également pas démontré qu’ils seraient victimes de représailles advenant leur retour en Algérie en raison du fait que l’épouse et les deux filles ont été acceptées comme réfugiées.

[13] Je ne suis pas d’accord avec les demandeurs pour deux raisons. Premièrement, comme je l’ai indiqué précédemment, il n’appartient pas à la Cour, en matière de contrôle judiciaire, d’apprécier de nouveau la preuve et de tirer une nouvelle conclusion. Dans les cas où la SAR est appelée à évaluer et à soupeser un certain nombre de variables, il y aura généralement désaccord quant au poids qu’il faut accorder à chaque élément de preuve. Un simple désaccord sur ces questions ne constitue pas un motif de contrôle judiciaire (Gadiaga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 1255 au para 15).

[14] Après avoir examiné attentivement les éléments de preuve présentés à la SAR, y compris le FDA de l’épouse, je ne suis pas convaincue que la SAR a commis une erreur susceptible de contrôle dans son analyse. Malgré les critiques des demandeurs, je ne suis pas d’avis que la SAR a commis d’erreur déraisonnable ni dans son analyse des éléments de preuve ni dans ses conclusions que cette preuve n’établit pas de risque prospectif pour les demandeurs en Algérie.

[15] Deuxièmement, contrairement à l'argument des demandeurs, on ne peut pas présumer que les demandeurs font face aux mêmes risques que les autres membres de leur famille. Comme il a été énoncé par mon collègue Sébastien Grammond, la reconnaissance du statut de réfugié d’une membre d’une famille ne donne pas, à elle seule, droit à ce statut aux autres membres de la même famille – autrement dit « chaque membre d’une famille doit établir séparément son droit à obtenir le statut de réfugié » (Ly c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 379 au para 13).

[16] Les demandeurs ont le fardeau d’établir le bien-fondé de leurs demandes d’asile. La SAR, sur la base du dossier dont elle disposait, a raisonnablement conclu que les demandeurs n'ont pas établi, advenant un retour en Algérie, qu’ils seraient exposés à une possibilité sérieuse de persécution ni, selon la prépondérance des probabilités, à un risque d’être soumis à la torture, a une menace à leur vie ou au risque de traitement ou peines cruels et inusités. Je ne trouve aucune erreur dans l’analyse de la SAR justifiant l’intervention de notre Cour.

IV. Conclusion

[17] Pour ces motifs, je conclus que les demandeurs n’ont pas établi que la Décision de la SAR est déraisonnable. La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée. Aucune partie n’a proposé de question à certifier, et je conviens que la présente affaire n’en soulève aucune.


 

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

Blanc

« Vanessa Rochester »

Blanc

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑11045-22

 

INTITULÉ :

SAMIR KHELEFI ET MOKRAME KHELEFI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal, Québec

DATE DE L’AUDIENCE :

le 18 OCTOBRE 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROCHESTER

DATE DES MOTIFS :

le 29 décembre 2023

 

COMPARUTIONS :

Mohamed Diaré

 

POUR LES DEMANDEURS

Steve Bell

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mohamed Diaré

 

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Montréal, Québec

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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