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Dossier : T-2064-22

Référence : 2023 CF 1740

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 décembre 2023

En présence de madame la juge Rochester

ENTRE :

KHALIQ HUSSAIN ANWAR

requérant

et

NEIL NAWAZ, TRIBUNAL DE LA SÉCURITÉ SOCIALE DU CANADA DIVISION D’APPEL

intimés

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] Comme l’a souligné mon collègue le juge Roger Lafrenière, les modifications récentes apportées à l’article 74 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les Règles], dotent la Cour de nouveaux outils pour gérer les conduites dysfonctionnelles ou destructrices dans les litiges dont notre Cour est saisie (Gaskin c Canada, 2023 CF 1542 au para 1). Le paragraphe 74(1) des Règles permet à la Cour d’ordonner en tout temps qu’un document soit retiré du dossier de la Cour si, entre autres, le document est scandaleux, frivole, vexatoire, manifestement mal fondé ou constitue autrement un abus de procédure. Le paragraphe 74(2) des Règles exige qu’avant que la Cour ne rende une ordonnance en vertu du paragraphe (1), les parties aient la possibilité de présenter des observations.

[2] En l’espèce, le requérant, Khaliq Hussain Anwar, n’est pas représenté par un avocat. Le 30 août 2023, le juge adjoint Trent Horne a procédé à un examen de l’état de l’instance et a rejeté la demande de contrôle judiciaire du requérant pour cause de retard. Le requérant a ensuite présenté une requête en annulation de cette ordonnance, et ce, en vertu de l’alinéa 399(2)b) des Règles. Il soutenait que l’ordonnance était frauduleuse, invalide, illégale, entachée d’erreurs et malhonnête. Il prétendait aussi qu’elle avait été rendue de mauvaise foi. L’alinéa 399(2)b) des Règles prévoit que la Cour peut annuler ou modifier l’ordonnance qui a été obtenue par fraude.

[3] Le 10 octobre 2023, j’ai rejeté la requête fondée sur l’alinéa 399(2)b) des Règles (Anwar c Nawaz, 2023 CF 1345 [ordonnance relative à l’article 399 des Règles]). Le requérant faisait alors valoir que les membres de la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale du Canada, de même que plusieurs membres de notre Cour, n’avaient pas abordé ni résolu la question centrale qu’il soulevait. En effet, le requérant allègue avoir été torturé illégalement par le Service canadien du renseignement de sécurité [SCRS], et ce, sur une base quotidienne au cours des dix‑sept dernières années. Selon lui, le SCRS l’aurait torturé au moyen de différentes techniques – arme à énergie dirigée, rayonnements, micro-ondes et autres. Le requérant avait fait valoir que le juge adjoint Horne aurait dû prendre de nombreuses mesures, dont ouvrir une enquête sur les crimes commis contre lui par le SCRS et déposer des poursuites judiciaires.

[4] Dans l’ordonnance relative à l’article 399 des Règles, j’ai conclu que le requérant n’avait pas réussi à me convaincre, selon la prépondérance des probabilités, que le juge adjoint Horne avait fait une fausse déclaration ou que son ordonnance avait été obtenue par fraude (aux para 6-8; Barkley c Canada, 2018 CF 227 au para 26; Pfizer Canada Inc c Canada (Santé), 2011 CAF 215 aux para 20-21). De plus, j’ai conclu l’ordonnance relative à l’article 399 des Règles en ces termes :

[TRADUCTION]

[12] Quant à la frustration de M. Anwar par rapport au fait que les problèmes qu’il dit avoir avec le SCRS n’ont pas été réglés – que ce soit dans le cadre de la présente instance, par la police ou la Gendarmerie royale du Canada – je peux seulement l’inviter à solliciter un avis juridique sur les recours juridiques à sa portée.

[5] Plutôt que d’interjeter appel, le requérant a déposé, en vertu de l’article 397 des Règles, un avis de requête en réexamen de l’ordonnance relative à l’article 399 des Règles. Dans sa requête, il a allégué que les motifs de l’ordonnance sont irrationnels, illégaux et erronés. L’avis de requête énonce en détail 16 motifs de réexamen, lesquels, selon le requérant, portent [traduction] « de façon claire et concise » sur « les parties pertinentes de la décision, les éléments qui font qu’elle est erronée et les raisons pour lesquelles elle est erronée ». Le requérant avance plusieurs motifs de réexamen. Il prétend que la décision ne tient pas compte de certains faits, qu’elle contient des mensonges et qu’elle accorde plus de poids à certaines décisions qu’à d’autres. Il soutient aussi qu’une fraude a été commise, que la Cour a cherché à étouffer les actions de l’État, qu’elle était dans l’erreur et qu’elle aurait dû statuer sur les requêtes antérieures et sur la demande de contrôle judiciaire au fond. Il prétend également que la Cour a refusé d’enquêter sur ses allégations de torture et qu’elle n’a pas répondu à la question visant à déterminer pourquoi l’administration fédérale le torturait.

[6] Le requérant a également voulu déposer un dossier de requête de 849 pages, lequel n’était pas conforme aux Règles à de nombreux égards. Ce dossier comprend son dossier de demande et son dossier de requête de 2022, ainsi que des documents supplémentaires qu’il a reçus en 2023. Il se rapporte aux allégations du requérant selon lesquelles le SCRS, de concert avec l’État canadien et les autorités pakistanaises, l’a harcelé et intimidé, l’a surveillé, lui a causé des blessures et l’a torturé.

[7] L’article 397 des Règles dispose qu’une partie peut demander à la Cour d’examiner de nouveau les termes d’une ordonnance qu’elle a rendue si l’ordonnance ne concorde pas avec les motifs qui ont été donnés pour la justifier, ou si une question qui aurait dû être traitée a été oubliée ou omise involontairement (Sharma c Canada (Agence du revenu), 2020 CAF 203 au para 3 [Sharma]). Une requête en réexamen présentée en vertu de l’article 397 des Règles est renvoyée au membre de la Cour qui a rendu l’ordonnance en cause. Toutefois, une telle requête n’est pas un moyen d’appel déguisé qui autoriserait une partie à débattre une seconde fois une question dans l’espoir que la Cour change d’avis (Sharma, au para 3; Oleynik c Canada (Procureur général), 2023 FCA 162 au para 29 [Oleynik]).

[8] Le 24 octobre 2023, j’ai rendu une ordonnance dans laquelle j’exposais la portée de l’article 397 des Règles. J’y mentionnais mes doutes sur la requête en réexamen du requérant, qui semblait avoir toutes les caractéristiques d’un appel déguisé. Par voie de cette ordonnance, la Cour acceptait l’avis de requête et le dossier de requête pour dépôt. Elle donnait aussi aux deux parties la possibilité de présenter des observations sur l’application des alinéas 74(1)b) et c) des Règles pour l’aider à déterminer s’il y avait lieu d’ordonner que la requête soit retirée du dossier de la Cour [ordonnance de justification].

[9] Le requérant et l’intimé ont tous deux déposé des observations en réponse à l’ordonnance de justification. Le requérant allègue que la Cour n’a pas examiné sa demande de contrôle judiciaire au fond dans l’ordonnance relative à l’article 399 des Règles, de même qu’une grande partie de sa correspondance à la Cour (qu’il qualifie de demandes provisoires). Il soutient que la Cour protège les intérêts de l’administration fédérale, car elle n’a pas abordé ces questions, y compris plus précisément son allégation selon laquelle le SCRS l’aurait illégalement torturé au moyen notamment d’une arme à énergie dirigée au cours des dix-sept dernières années.

[10] Le requérant soutient que la présente requête en réexamen a été présentée afin que la Cour puisse évaluer ces questions et trancher sa demande de contrôle judiciaire. En outre, le requérant demande que je me récuse au motif que j’ai ignoré des éléments de preuve relatifs au préjudice qu’il a subi, de même qu’aux efforts qu’il a déployés pour que la Cour fasse enquête sur les crimes qu’aurait commis le SCRS. Le requérant soutient que la Cour est tenue de répondre aux [traduction] « mensonges et falsifications soulevés dans la requête » et d’ouvrir une enquête sur la torture qui, de ses dires, serait à l’origine de son invalidité, de ses blessures et de ses symptômes. Le requérant avance que, si la Cour avait considéré « la situation réelle étayant la demande » et les faits tels qu’il les a présentés, l’issue de l’instance aurait été différente.

[11] L’intimé souligne les nombreuses lacunes de la requête fondée sur l’article 397 des Règles, ainsi que son manque de conformité aux Règles. L’intimé soutient également que la requête n’est manifestement pas bien fondée, car elle ne relève aucune omission ni erreur de transcription. L’intimé affirme aussi qu’aucun des motifs avancés dans la requête n’est pertinent pour l’application de l’article 399 des Règles, car la requête mentionne l’examen au fond de la demande de contrôle judiciaire, qui a depuis été rejetée, de même que la décision relative à l’examen de l’état de l’instance, qui n’a jamais fait l’objet d’un appel.

[12] L’intimé soutient que la requête présentée en vertu de l’article 397 des Règles est abusive en ce qu’elle (i) vise à remettre en litige des questions déjà tranchées par la Cour; (ii) contient un discours décousu, des images choquantes, des plaintes répétitives et extravagantes et de simples affirmations de torture qui n’ont pas été prouvées; (iii) soulève des questions une deuxième fois, dans l’espoir que la Cour changera d’avis; et (iv) porte de graves accusations, non étayées par des éléments de preuve, voulant d’une part que la Cour ait commis une fraude et ait rendu des décisions partiales et d’autre part que l’intimé ait induit en erreur la Cour. L’intimé soutient que les documents de requête du requérant satisfont à toutes les conditions énumérées à l’article 74 des Règles, lequel habilite la Cour à retirer un document s’il est non conforme aux Règles, s’il est scandaleux, frivole, vexatoire, manifestement mal fondé, ou s’il constitue un abus de procédure.

[13] En règle générale une ordonnance est définitive et lie les parties, et elle ne peut être annulée que par voie d’appel (Mazhero c Fox, 2014 CAF 219 au para 19). Lorsque la Cour rend une ordonnance ou un jugement formels, elle ne peut pas réexaminer, suspendre, annuler ou modifier cette ordonnance ou ce jugement, sauf en présence de quelques exceptions limitées qui sont prévues aux articles 397, 398, 399 et 403 des Règles (Canada c MacDonald, 2021 CAF 6 aux para 14-17). L’ordonnance relative à l’article 399 des Règles est définitive et exécutoire. J’ai examiné les documents déposés par le requérant au soutien de sa requête fondée sur l’article 397 des Règles, ainsi que ses observations relatives à l’application de l’article 74 des Règles. J’en conclus que l’exception restreinte prévue à l’article 397 des Règles n’atténue pas le caractère définitif de l’ordonnance relative à l’article 399 des Règles, et que le requérant n’a relevé aucune erreur qui serait visée par l’article 397 des Règles – à savoir des erreurs de transcription ou des erreurs commises par inadvertance.

[14] Je conclus que la requête est un appel déguisé et qu’elle est donc essentiellement abusive. Le requérant cherche à tort à débattre à nouveau de questions qu’il a débattues tant devant moi que devant le juge adjoint Horne, et ce, dans l’espoir d’obtenir un résultat différent (Sharma, au para 3; Bell Helicopters Textron Canada Limitée c Eurocopter, 2013 CAF 261 au para 15). Ses allégations – selon lesquelles la Cour a commis des erreurs de fait, a ignoré des questions, a ignoré des éléments de preuve, a menti, a commis des erreurs dans son analyse, a fait des omissions, a été partiale, a omis de prendre les mesures qui s’imposaient et était tout simplement dans l’erreur à bien des égards – sont pertinentes pour un appel devant la Cour d’appel fédérale, et non pour une requête en réexamen (Oleynik, au para 29).

[15] Comme je le mentionne plus haut, l’ordonnance relative à l’article 399 des Règles traitait de la question précise de savoir si l’ordonnance du juge adjoint Horne – qui rejetait la demande pour cause de retard – avait été obtenue par fraude (alinéa 399(2)b) des Règles). Je comprends que le requérant aimerait beaucoup que la Cour ouvre une enquête sur les activités qu’il reproche au SCRS et qu’elle se prononce sur la campagne de torture et de harcèlement qui aurait cours au Canada et au Pakistan. Cependant, ce n’était pas là la portée de la requête présentée en vertu de l’alinéa 399(2)b) des Règles, qui a mené à l’ordonnance relative à l’article 399 des Règles. Quant à la présente affaire, fondée sur l’article 74 des Règles, ce n’est pas non plus sa portée.

[16] Pour les motifs qui précèdent, la requête fondée sur l’article 397 des Règles et tous les documents qui y sont associés seront retirés du dossier de la Cour, et ce, conformément à l’article 74 des Règles. Le requérant a tenté de remettre en cause la décision du juge adjoint Horne de rejeter sa demande de contrôle judiciaire. Il l’a d’abord fait en déposant sa requête en vertu de l’alinéa 399(2)b) des Règles, qui a mené au prononcé de l’ordonnance relative à l’article 399 des Règles. Il l’a aussi fait en l’espèce en déposant sa requête en réexamen en vertu de l’article 397 des Règles. Il a eu amplement l’occasion de faire valoir ses arguments, et il est maintenant temps de mettre un terme à la demande de contrôle judiciaire initiale. S’il souhaite contester la présente ordonnance, son recours ne consiste pas à présenter une autre requête à la Cour. Il devra plutôt s’adresser à la Cour d’appel fédérale.

[17] L’intimé ne sollicite pas l’adjudication des dépens pour la présente requête. Il mentionne toutefois dans ses observations que, s’il y avait, dans l’avenir, d’autres requêtes et procédures manifestement non fondées et abusives, il demandera l’adjudication des dépens. Je profite également de l’occasion pour prévenir le requérant qu’une mesure abusive et malavisée comme l’espèce – ou comme la requête qui a donné lieu à l’ordonnance relative à l’article 399 des Règles – peut entraîner une condamnation aux dépens.




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