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Date : 20231218


Dossier : IMM-10831-22

Référence :2023 CF 1716

Montréal (Québec), le 18 décembre 2023

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

CLAUDINE BALONGELWA

ELIZABETH MAMBA

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Les demanderesses, Madame Claudine Balongelwa (alias Claudine Thomas Mwenda) et sa fille mineure, Elizabeth Mamba, allèguent être des citoyennes de la République Démocratique du Congo [RDC]. Elles sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision datée du 12 septembre 2022 [Décision] de la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [SAR] qui a rejeté la demande d’asile de Mme Balongelwa et sa fille en raison du manque de crédibilité de Mme Balongelwa et de son défaut de faire la preuve de son identité. Dans sa Décision, la SAR confirme la décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] au même effet et conclut donc que Mme Balongelwa et sa fille n’ont ni la qualité de réfugié ni celle de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[2] Mme Balongelwa soutient que la Décision est déraisonnable car elle serait basée sur des conclusions de fait et des interprétations du droit abusives et inintelligibles sur sa crédibilité et sur son identité. Elle avance notamment que la clause d’exclusion prévue à l’article 1E de la Convention des Nations Unies relative au statut des réfugiés, 14 décembre 1950, résolution 429 (V) de l’Assemblée générale (adoptée le 28 juillet 1951) [Convention] trouvait application dans son dossier. Elle allègue également que la Décision aurait été rendue en contravention des règles d’équité procédurale.

[3] Pour les motifs qui suivent, je vais rejeter la demande de contrôle judiciaire. Après avoir examiné les conclusions de la SAR, les éléments de preuve dont disposait le tribunal, ainsi que les règles de droit applicables, je ne vois aucune raison d’infirmer la Décision. En ce qui concerne tant l’application de l’article 1E de la Convention que l’identité ou la crédibilité de Mme Balongelwa, la preuve appuie raisonnablement les conclusions tirées par la SAR et ses motifs possèdent les attributs d’une décision raisonnable. Par ailleurs, je ne décèle aucune entorse aux règles d’équité procédurale dans le processus suivi par la SAR. Rien ne justifie donc l’intervention de cette Cour.

II. Contexte

A. Les faits

[4] Mme Balongelwa dit avoir fui la RDC en octobre 1996 en raison de la guerre qui y sévissait et du fait qu’elle y était pourchassée à cause de son activisme religieux. Elle se serait installée en Tanzanie dans un camp de réfugiés appelé Nyarugusu. Elle aurait vécu dans ce camp de 1996 à 2005 et allègue avoir obtenu le statut de réfugiée en Tanzanie. En 1998, Mme Balongelwa se serait mariée avec un M. Paul Lukanda Mamba (alias Paul Lucas Mamba et Paul Lucas Mwenda). Mme Balongelwa allègue que son mari serait né au Burundi de parents congolais réfugiés. Le couple aurait eu trois enfants alors qu’ils vivaient au camp Nyarugusu, soit Martha Paul, Venance Dume et Abandelwa Paul.

[5] Mme Balongelwa allègue également qu’après son arrivée en Tanzanie, elle aurait retiré le nom « Balongelwa » de son identité afin de rendre ses origines congolaises plus discrètes. Elle aurait alors changé son nom à « Claudine Thomas Mamba ». Le nom « Thomas » serait le nom de son père et « Mamba » celui de son mari.

[6] En 2005, le couple et leurs trois enfants auraient quitté le camp Nyarugusu pour aller vivre à Dar es-Salaam, l’ancienne capitale de la Tanzanie, endroit où le mari de Mme Balongelwa travaillait comme pasteur. Mme Balongelwa allègue avoir changé son nom une deuxième fois suivant sa sortie du camp de réfugiés, pour prendre celui de « Claudine Thomas Mwenda » afin de refléter le nom de son clan en Tanzanie. Entre 2006 et 2012, son mari et elle auraient eu trois autres enfants, soit Blessing Paul, Peace Paul et la demanderesse mineure, Elizabeth Mamba. Le couple aurait également adopté cinq neveux et nièces orphelins en 2015, suite au décès du frère de l’époux de Mme Balongelwa.

[7] En 2017, après avoir adopté les enfants orphelins, la famille aurait fait face à de la discrimination en Tanzanie, car ces derniers ne parlaient pas couramment le swahili, la langue nationale et officielle du pays. Mme Balongelwa, son époux et leur fille cadette Elizabeth Mamba auraient alors quitté la Tanzanie pour les États-Unis, avec des passeports tanzaniens obtenus avec l’aide d’un pasteur.

[8] L’époux de Mme Balongelwa serait ensuite retourné en Afrique pour s’occuper de leurs dix autres enfants restés sur le continent. Après une tentative de retour en RDC, il aurait fui de nouveau avec leurs enfants pour aller dans un camp de réfugiés opéré par le Haut-Commissariat des réfugiés des Nations-Unies [UNHCR] au Burundi. Ils y demeureraient encore à ce jour à titre de réfugiés.

[9] Mme Balongelwa allègue qu’en raison de ses déplacements fréquents aux États-Unis, elle aurait perdu ses documents d’identité.

[10] En février 2019, craignant d’être renvoyées en RDC, Mme Balongelwa et sa fille traversent la frontière vers le Canada par le chemin Roxham, et déposent une demande d’asile le 4 février 2019. Mme Balongelwa et sa fille sont alors détenues pour fins d’identification, puisque les documents d’identité produits par Mme Balongelwa arborent son second nom d’emprunt tanzanien, soit « Claudine Thomas Mwenda », au lieu de son nom de naissance, soit « Claudine Balongelwa ». Mme Balongelwa et sa fille sont donc détenues jusqu’à ce que des documents d’identité adéquats soient reçus.

[11] Le 1er mars 2019, les autorités canadiennes d’immigration reçoivent une copie d’attestations de naissance et de nationalité au nom de Claudine Balongelwa. Le 14 mars 2019, bien que les autorités canadiennes soient toujours en attente d’une réponse à des demandes de renseignements envoyés à l’UNHCR, Mme Balongelwa et sa fille sont libérées sous conditions.

[12] En mars 2022, après une audience, la SPR rejette la demande d’asile de Mme Balongelwa aux motifs qu’elle n’a pas établi son identité et qu’elle n’était pas crédible en raison de plusieurs contradictions dans sa preuve. Mme Balongelwa porte la décision de la SPR en appel et, en septembre 2022, la SAR refuse également la demande de Mme Balongelwa.

B. La Décision de la SAR

[13] Dans la Décision, la SAR détermine d’abord que le récit de Mme Balongelwa n’est pas crédible. La SAR note que la SPR a eu raison de conclure que la réponse de Mme Balongelwa selon laquelle elle ne se souvient pas si elle a obtenu ou non la citoyenneté tanzanienne entache sa crédibilité. Selon la SAR, considérant les nombreux documents soumis par Mme Balongelwa indiquant que son époux et elle sont des citoyens de la Tanzanie, il était normal pour la SPR de savoir si elle avait déjà eu cette citoyenneté à un certain moment donné. La SAR juge que l’incertitude de Mme Balongelwa eu égard à son statut en Tanzanie lors de son témoignage n’était pas satisfaisante, d’autant plus qu’elle affirmait catégoriquement ne plus avoir la citoyenneté tanzanienne au moment de l’audience devant la SPR.

[14] La SAR conclut ensuite que les documents déposés au nom de « Claudine Thomas Mwenda » n’ont aucune valeur probante puisqu’ils sont émis sous le « mauvais nom », selon le témoignage de Mme Balongelwa à l’audience devant la SPR. La SAR observe également qu’il s’agissait de documents « contrefaits ou apocryphes » aux termes des examens sommaires effectués devant la SPR. À cet égard, la SAR s’appuie sur les rapports d’expertise qu’elle a admis en preuve.

[15] En ce qui concerne l’identité de Mme Balongelwa, la SAR détermine que cette dernière n’a pas établi son identité comme « Claudine Balongelwa ». La SAR accorde peu de valeur probante aux documents soumis à cet effet, car ils se trouvent contredits par l’usage de cinq documents au nom de « Claudine Thomas Mwenda » que Mme Balongelwa a déposés pour s’identifier auprès des autorités canadiennes d’immigration. Qui plus est, la SAR souligne que Mme Balongelwa a témoigné à l’effet que son mari lui a obtenu les documents d’identité libellés à son nom par l’entremise de son oncle, simplement en donnant comme information le nom de ses parents, puisque son père est connu dans la petite municipalité d’où elle origine en RDC. Or, affirme la SAR, il est fort peu crédible que, même en RDC, des documents d’identité puissent être obtenus par un processus aussi peu rigoureux.

[16] Enfin, la SAR se dit d’avis que le certificat de naissance de la fille cadette de Mme Balongelwa, Elizabeth, n’a pas de valeur probante puisque le nom qui y apparait pour sa mère n’est pas le bon. De plus, la SAR relève qu’il y est faussement indiqué que la fille Elizabeth et ses parents détiennent la nationalité tanzanienne.

[17] En somme, aux termes de son analyse indépendante de la preuve, et considérant la quantité de documents soumis sous divers noms et sous diverses nationalités ainsi que les explications confuses et peu crédibles sur les mesures prises pour se procurer des documents additionnels, la SAR conclut que Mme Balongelwa n’a pas établi, selon une prépondérance des probabilités, ni son identité ni celle de sa fille.

[18] Le 2 novembre 2022, Mme Balongelwa dépose sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire à l’encontre de la Décision devant cette Cour, un mois après l’expiration de la date limite pour ce faire aux termes de la loi applicable.

C. La norme de contrôle

[19] Il est bien établi que la norme de la décision raisonnable est celle qui s’applique lorsque la Cour est appelée à réviser des décisions en matière d’identité (Malungu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1400 au para 10; Okbet c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1303 [Okbet] aux para 23–25; Woldemichael c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 1059 [Woldemichael] au para 15; Terganus c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 903 [Terganus] au para 15; Edobor c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1064 [Edobor] au para 6). Il en est de même pour la question de savoir si les faits permettent d’exclure une personne en application de l’article 1E de la Convention (Majebi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CAF 274 aux para 5–6; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Zeng, 2010 CAF 118 [Zeng] aux para 11, 34; Zaman c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 53 [Zaman] au para 17; Saint Paul c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 493 aux para 43–45; Celestin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2020 CF 97 aux para 31–32).

[20] D’ailleurs, le cadre d’analyse relatif au contrôle judiciaire du mérite d’une décision administrative est maintenant celui établi par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov] (Mason c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 21 [Mason] au para 7). Ce cadre d’analyse repose sur la présomption voulant que la norme de la décision raisonnable soit désormais la norme applicable dans tous les cas.

[21] Lorsque la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, le rôle d’une cour de révision est d’examiner les motifs qu’a donnés le décideur administratif et de déterminer si la décision est fondée sur « une analyse intrinsèquement cohérente et rationnelle » et est « justifiée au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles le décideur est assujetti » (Mason au para 64; Vavilov au para 85). La cour de révision doit donc se demander « si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité » (Vavilov au para 99, citant notamment Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 aux para 47, 74).

[22] Il ne suffit pas que la décision soit justifiable. Dans les cas où des motifs s’imposent, le décideur administratif « doit également, au moyen de ceux-ci, justifier sa décision auprès des personnes auxquelles elle s’applique » [en italique dans l’original] (Vavilov au para 86). Ainsi, le contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable s’intéresse tant au résultat de la décision qu’au raisonnement suivi (Vavilov au para 87). L’exercice du contrôle selon la norme de la décision raisonnable doit comporter une évaluation rigoureuse des décisions administratives. Toutefois, dans le cadre de son analyse du caractère raisonnable d’une décision, la cour de révision doit adopter une méthode qui « s’intéresse avant tout aux motifs de la décision », examiner les motifs donnés avec « une attention respectueuse », et chercher à comprendre le fil du raisonnement suivi par le décideur pour en arriver à sa conclusion (Mason aux para 58, 60; Vavilov au para 84). La cour de révision doit adopter une attitude de retenue et n’intervenir que « lorsque cela est vraiment nécessaire pour préserver la légitimité, la rationalité et l’équité du processus administratif » (Vavilov au para 13). La norme de la décision raisonnable, je le souligne, tire toujours son origine du principe de la retenue judiciaire et de la déférence, et elle exige des cours de révision qu’elles témoignent d’un respect envers le rôle distinct que le législateur a choisi de conférer aux décideurs administratifs plutôt qu’aux cours de justice (Mason au para 57; Vavilov aux para 13, 46, 75).

[23] Il incombe à la partie qui conteste une décision de prouver qu’elle est déraisonnable. Pour annuler une décision administrative, la cour de révision doit être convaincue qu’il existe des lacunes suffisamment graves pour rendre la décision déraisonnable (Vavilov au para 100).

[24] Toutefois, en ce qui concerne les questions d’équité procédurale, la Cour d’appel fédérale a conclu à plusieurs reprises que l’équité procédurale ne requiert pas l’application des normes de contrôle judiciaire usuelles (Association canadienne des avocats en droit des réfugiés c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2020 CAF 196 au para 35; Lipskaia c Canada (Procureur général), 2019 CAF 267 au para 14; Canadian Airport Workers Union c Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l'aérospatiale, 2019 CAF 263 aux para 24–25; Perez c Hull, 2019 CAF 238 au para 18; Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69 [CCP] au para 54). L’équité procédurale est plutôt une question juridique qui doit être évaluée en fonction des circonstances afin de déterminer si la procédure suivie par le décideur a respecté ou non les normes d’équité et de justice naturelle (CCP au para 56; Huang c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 940 aux para 51–54). La cour de révision ne doit faire preuve d’aucune déférence envers les décideurs administratifs sur les questions d’équité procédurale.

III. Analyse

A. La prorogation de délai

[25] La demande de contrôle judiciaire de Mme Balongelwa est tardive et cette dernière doit d’abord convaincre la Cour qu’une prorogation de délai devrait lui être accordée. Mme Balongelwa soumet qu’elle satisfait les critères établis par la jurisprudence pour l’obtention d’une telle prorogation de délai. Bien que le défendeur, le Ministre de l’Immigration et de la Citoyenneté [Ministre], s’interroge quant à l’existence d’une explication raisonnable justifiant le délai additionnel de 30 jours pris par Mme Balongelwa pour déposer sa demande de contrôle judiciaire et aux efforts très timides déployés par cette dernière pour obtenir des renseignements auprès de son ancienne avocate, le Ministre convient qu’il y a une cause défendable dans le présent dossier et qu’il ne subit aucun préjudice en raison du retard de 30 jours de Mme Balongelwa. Le Ministre laisse la question de la prorogation de délai à la discrétion de la Cour.

[26] Pour les raisons qui suivent, j’accorde une prorogation de délai à Mme Balongelwa.

[27] Pour avoir gain de cause dans sa demande de prorogation de délai, Mme Balongelwa devait satisfaire aux quatre critères bien établis par la Cour d’appel fédérale à cet égard (Thompson c Canada (Procureur général), 2018 CAF 212 [Thompson] au para 5; Canada (Procureur général) c Larkman, 2012 CAF 204 [Larkman] au para 61; Canada c Hogervost, 2007 CAF 41 [Hogervost] au para 32; Canada (Procureur général) c Hennelly, 244 NR 399, 1999 CanLII 8190 (CAF) au para 3).

[28] Ces quatre facteurs sont les suivants : (i) Mme Balongelwa a-t-elle eu une intention constante de poursuivre sa demande de contrôle judiciaire; (ii) y a-t-il un bien‑fondé éventuel à sa demande; (iii) le Ministre subit-il un préjudice en raison du délai; et (iv) existe-t-il une explication raisonnable justifiant le délai? Il incombe à Mme Balongelwa de prouver chacun de ces éléments (Virdi c Canada (Ministre du Revenu national), 2006 CAF 38 au para 2). Toutefois, les critères ne sont pas conjonctifs : une requête en prorogation de délai peut être accordée même si tous les critères ne sont pas remplis (Larkman au para 62; Hogervost au para 33).

[29] Cela dit, le pouvoir d’octroyer une prorogation de délai demeure discrétionnaire et les quatre critères établis par la jurisprudence, s’ils en encadrent l’exercice, n’ont pas pour effet de restreindre cette discrétion. En fin de compte, la considération primordiale dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour est « l’intérêt de la justice » (Larkman aux para 62, 85). La Cour doit donc examiner chacun des critères avec souplesse pour veiller à ce que justice soit rendue et décider s’il serait dans l’intérêt de la justice d’accorder la prorogation du délai (Thompson au para 6; Larkman au para 62; MacDonald c Canada (Procureur général), 2017 CF 2 au para 11).

[30] Ayant considéré les représentations écrites et orales des parties, je suis convaincu qu’il s’agit d’une situation où je dois exercer mon pouvoir discrétionnaire en faveur de Mme Balongelwa et où il est dans l’intérêt de la justice d’octroyer une prorogation du délai. En effet, en ce qui a trait aux critères énoncés par la jurisprudence, Mme Balongelwa a tenté d’obtenir auprès de son ancienne avocate, sans succès, l’information concernant la procédure à suivre afin de contester la Décision. Elle a également contacté l’interprète qui a travaillé avec son ancienne avocate, lequel a confirmé ne pas lui avoir communiqué le délai à respecter. Enfin, Mme Balongelwa a ensuite rencontré son cabinet d’avocats actuel et, informée du dépassement de délai, les a immédiatement mandatés pour demander une prorogation de délai. Certes, ces efforts n’ont pas été des plus vaillants, mais je suis satisfait qu’ils suffisent à établir que Mme Balongelwa a eu une intention constante de contester la Décision de la SAR. Par ailleurs, le Ministre concède que Mme Balongelwa a une cause défendable et qu’il ne subirait aucun préjudice en raison du délai. Enfin, je suis d’avis que Mme Balongelwa a fourni une explication raisonnable pour justifier le modeste retard dans la présentation de sa demande de contrôle judiciaire.

[31] Par ailleurs, l’intérêt de la justice demeure la considération primordiale dans l’octroi d’une prorogation de délai, et je n’ai pas d’hésitation à conclure que cet intérêt de la justice milite en faveur d’octroyer la prorogation demandée par Mme Balongelwa.

B. L’exclusion 1E de la Convention

[32] Au niveau de ses arguments substantifs, Mme Balongelwa soumet d’abord que la Décision est déraisonnable, car elle serait basée sur des considérations liées à l’exclusion 1E de la Convention et non à l’identité nationale, et que Mme Balongelwa n’aurait pas pu se faire entendre sur cette question d’exclusion.

[33] Selon Mme Balongelwa, le raisonnement utilisé par la SAR pour arriver à la conclusion qu’elle n’a pas été en mesure d’établir son identité selon la balance des probabilités serait vicié par des considérations liées strictement à une possible exclusion. Mme Balongelwa admet qu’il est établi que la recherche de l’identité nationale d’un demandeur d’asile fait partie intégrale de l’analyse de l’identité. Cependant, elle maintient que la recherche d’une possibilité d’obtenir la citoyenneté dans un pays tiers, et d’échouer à le faire, fait plutôt partie du test lié à l’exclusion 1E de la Convention (Zeng au para 28).

[34] Or, selon Mme Balongelwa, la SPR s’est en fait trouvée à procéder à une analyse de l’exclusion 1E sans lui avoir donné l’opportunité d’en traiter adéquatement lors de l’audience. L’avocate de Mme Balongelwa aurait essayé à quelques reprises, lors de l’audience devant la SPR, de soulever cette question de l’exclusion 1E mais aurait été interrompue. Mme Balongelwa estime que la SPR et la SAR ont toutes deux traité de manière interchangeable les questions de l’origine nationale et de l’exclusion 1E alors qu’il s’agit de questions distinctes. Ce comportement a entraîné, aux dires de Mme Balongelwa, un manquement au devoir d’équité procédurale de la SAR.

[35] Je ne suis pas convaincu par les arguments de Mme Balongelwa.

[36] Je rappelle d’abord qu’il est de jurisprudence constante que les demandeurs d’asile qui arrivent au Canada avec un statut assimilable à celui que confère la nationalité d’un pays tiers sécuritaire doivent se voir refuser l’asile en vertu de l’article 1E de la Convention. En effet, cette disposition et l’article 98 de la LIPR visent à empêcher « la recherche du meilleur pays d’asile » lorsque des demandeurs bénéficient déjà de la protection d’un pays tiers (Zeng au para 1). Ceci est cohérent avec le principe selon lequel le droit d’asile n’entre en jeu que lorsqu’il n’existe aucune solution de rechange (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689 [Ward] à la p 726). En effet, le régime de protection des réfugiés vise à venir en aide aux personnes qui ont besoin de protection, et non pas à celles qui préfèrent demander l’asile dans un pays plutôt que dans un autre. C’est ainsi que l’article 1E de la Convention interdit à quelqu’un qui possède déjà un statut essentiellement semblable à celui des citoyens du pays où il réside de rechercher ailleurs un statut de réfugié ou de personne à protéger (Zaman au para 23).

[37] Dans l’arrêt Zeng, la Cour d’appel fédérale a énoncé le test à trois volets qui s’applique pour déterminer s’il y a lieu de refuser l’asile à une personne en application de l’article 1E de la Convention. Ce test se décline comme suit :

[28] [1] Compte tenu de tous les facteurs pertinents existant à la date de l'audience, le demandeur a-t-il, dans le tiers pays, un statut essentiellement semblable à celui des ressortissants de ce pays? Si la réponse est affirmative, le demandeur est exclu. Si la réponse est négative, [2] il faut se demander si le demandeur avait précédemment ce statut et s'il l'a perdu, ou s'il pouvait obtenir ce statut et qu'il ne l'a pas fait. Si la réponse est négative, le demandeur n'est pas exclu en vertu de la section 1E. Si elle est affirmative, [3] la SPR doit soupeser différents facteurs, notamment la raison de la perte du statut (volontaire ou involontaire), la possibilité, pour le demandeur, de retourner dans le tiers pays, le risque auquel le demandeur serait exposé dans son pays d'origine, les obligations internationales du Canada et tous les autres faits pertinents.

(Su c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1052 au para 23, citant Zeng au para 28 [numérotation ajoutée].)

[38] Comme le Ministre l’a bien fait valoir lors de ses représentations, ni la SPR ni la SAR n’ont conclu à l’application de la clause d’exclusion de l’article 1E de la Convention en l’espèce. En fait, il n’y a aucune analyse de ces questions dans l’une ou l’autre de ces décisions. Tant la SPR que la SAR cherchaient à établir les pays de nationalité de Mme Balongelwa car tout demandeur d’asile doit démontrer sa crainte dans ses pays de nationalités afin d’obtenir le statut de réfugié ou de personne à protéger. En aucun temps la SAR n’a amorcé d’analyse aux termes de l’article 1E ou n’a exclu Mme Balongelwa sur cette base.

[39] Le fait que la SAR ait mis l’emphase sur une « possibilité théorique » d’obtenir un statut ou une nationalité en Tanzanie ne signifie pas qu’elle ait procédé à une analyse sous l’article 1E de la Convention. Une analyse sous l’article 1E implique de déterminer si, dans un pays tiers, une personne possède un statut et un accès aux services analogue à celui des citoyens (Lauture c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 1121 [Lauture] au para 30, citant Zeng au para 28). Dans le dossier de Mme Balongelwa, ni la SPR ni la SAR n’ont effectué une telle analyse. Qui plus est, nulle part dans la Décision de la SAR ne figurent de propos qui permettraient de conclure que la SAR aurait exclu Mme Balongelwa en vertu de l’article 1E de la Convention.

[40] Ceci dit, il était raisonnable pour la SAR d’essayer de déterminer le statut de Mme Balongelwa en Tanzanie dans son analyse de son identité. L’identité d’un demandeur d’asile est une question préliminaire et fondamentale, et le défaut d’établir l’identité est fatal à une demande d’asile (Terganus au para 22; Bah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 373 [Bah] au para 7). Tel que l’écrivait le juge Norris dans Edobor, « il est indubitable que la preuve de l’identité est un préalable pour tout demandeur d’asile » (Edobor au para 8, citant Jin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 126 au para 26).

[41] Comme je l’indiquais dans Terganus, l’identité d’un demandeur demeure la pierre angulaire du régime canadien d’immigration; l’identité établit l’unicité d’un individu et permet de différencier cette personne de toutes les autres (Terganus au para 23). Incidemment, c’est sur l’identité que reposent les questions telles que l’admissibilité d’un demandeur d’asile au Canada, l’évaluation de son besoin de protection, l’appréciation d’un éventuel danger pour la sécurité publique, ou encore les risques de voir l’intéressé se soustraire aux contrôles officiels des autorités (Bah au para 7, citant Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Singh, 2004 CF 1634 au para 38 et Canada (Citoyenneté et Immigration) c X, 2010 CF 1095 au para 23).

[42] Tant la LIPR que les Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012‑256 [Règles] établissent expressément que, pour se faire reconnaître le statut de réfugié, un demandeur d’asile doit d’abord établir son identité selon la prépondérance de la preuve. Cette obligation est expressément édictée à l’article 106 de la LIPR et à l’article 11 des Règles. Cet article 11 exprime ainsi l’importance d’établir l’identité du demandeur d’asile :

11. Le demandeur d’asile transmet à la Section des documents acceptables pour établir son identité et les autres éléments de sa demande. S’il ne peut le faire, il en donne la raison et indique quelles mesures il a prises pour s’en procurer.

11. The claimant must provide acceptable documents establishing identity and other elements of the claim. A claimant who does not provide acceptable documents must explain why they were not provided and what steps were taken to obtain them.

[43] Pour sa part, l’article 106 de la LIPR crée un lien direct entre l’obligation de produire des documents acceptables pour établir l’identité (ou de justifier pourquoi ils n’ont pas été produits) et la crédibilité du demandeur d’asile. Il est libellé ainsi :

106. La Section de la protection des réfugiés prend en compte, s’agissant de crédibilité, le fait que, n’étant pas muni de papiers d’identité acceptables, le demandeur ne peut raisonnablement en justifier la raison et n’a pas pris les mesures voulues pour s’en procurer.

106. The Refugee Protection Division must take into account, with respect to the credibility of a claimant, whether the claimant possesses acceptable documentation establishing identity, and if not, whether they have provided a reasonable explanation for the lack of documentation or have taken reasonable steps to obtain the documentation.

[44] La SAR se devait donc de chercher à établir les pays de citoyenneté de Mme Balongelwa, car tout demandeur d’asile doit démontrer sa crainte dans tous ses pays de nationalités afin d’obtenir le statut de réfugié ou de personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR (Ward à la p 751; Lauture aux para 35–37). C’est dans cette optique que la SAR a essayé d’établir le ou les pays de citoyenneté de Mme Balongelwa. Cette démarche ne constituait aucunement une mascarade visant à camoufler une analyse d’exclusion aux termes de l’article 1E de la Convention. La SAR pouvait très bien déterminer si Mme Balongelwa avait fourni une preuve suffisante d’identité sans pour autant recourir à une analyse sous l’article 1E de la Convention.

[45] J’ajoute en terminant qu’il ressort très clairement de la Décision que la SAR n’a rendu aucune décision eu égard à l’article 1E de la Convention. Il s’ensuit donc qu’il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale concernant le droit de Mme Balongelwa d’être entendu par rapport à une prétendue analyse sous l’article 1E de la Convention.

C. L’expectative légitime et les demandes de renseignements

[46] Mme Balongelwa maintient par ailleurs que la Décision souffrirait d’un autre vice d’équité procédurale en raison du défaut de la SAR de lui divulguer le résultat des demandes de renseignements faites aux autorités tanzaniennes et à l’UNHCR par l’Agence des services frontaliers du Canada en vue de vérifier son identité.

[47] Lors de l’audience devant la Cour, le Ministre s’est objecté à cet argument au motif que cet argument n’avait pas été soulevé lors de l’appel de la SAR. N’ayant pas été soumis à la SAR, il ne pourrait pas être utilisé devant cette Cour pour invalider la Décision et questionner sa légalité.

[48] Je partage l’avis du Ministre. En effet, il est bien établi que, lorsqu’un demandeur n’a pas soulevé une question devant la SAR, un argument selon lequel la SAR n’aurait pas examiné les éléments de preuve à ce sujet ne peut soudainement être mis de l’avant lors d’un contrôle judiciaire devant la Cour (Eyitayo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 1072 au para 27; Akintola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 971 aux para 29–32). En d’autres mots, une question qui n’a pas été soulevée devant le tribunal administratif ne peut être examinée dans le cadre d’un contrôle judiciaire devant la Cour (Guajardo-Espinoza c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 797 (CAF) (QL) au para 5; Dhillon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 321 au para 23; Mohajery c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 185 au para 28).

[49] Ceci suffit pour disposer de ce second argument de Mme Balongelwa relatif à l’équité procédurale.

D. L’appréciation de la preuve

[50] Mme Balongelwa soumet enfin que la Décision aurait omis de prendre en considération la preuve objective portant sur des éléments cruciaux et déterminants concernant sa situation et celle de sa fille cadette. Mme Balongelwa ajoute que l’analyse de la SAR sur son identité et sa crédibilité serait fondée sur des conclusions de fait abusives et inintelligibles et que le seuil de la balance des probabilités apparemment employé par la SAR pour prouver son identité serait inintelligible et déraisonnable.

[51] Ainsi, Mme Balongelwa prétend que la SAR n’aurait pas considéré le cartable national de documentation pour la RDC [CND], lequel indique que les enfants dont l’un ou l’autre parent possède la nationalité congolaise — qu’ils soient nés en RDC ou ailleurs — reçoivent automatiquement cette nationalité. De ce fait, Mme Balongelwa maintient qu’il était déraisonnable pour la SAR de conclure qu’elle n’avait pas établi la citoyenneté de la RDC de sa fille cadette. De plus, Mme Balongelwa précise avoir donné une explication honnête concernant les raisons pour lesquelles elle est arrivée au Canada munie de documents libellés sous son « nom d’emprunt ». Somme toute, Mme Balongelwa soutient que la SAR lui aurait imposé un trop lourd fardeau de preuve.

[52] Je ne suis pas convaincu par les arguments de Mme Balongelwa.

[53] Le défaut d’un demandeur d’asile d’établir son identité est une « question préliminaire essentielle et fondamentale », et l’omission d’établir son identité ne permet pas de conférer l’asile à un demandeur (Weldeab c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2021 CF 161 au para 23; Woldemichael au para 28).

[54] Dans le cas de Mme Balongelwa, le problème ne découle pas de la documentation sur l’obtention et la transmission de la citoyenneté congolaise ou tanzanienne dans le CND de l’un ou l’autre de ces pays. Il provient plutôt des nombreuses contradictions et incohérences qui émanent de la preuve présentée eu égard à son identité.

[55] Dans un exercice à la fois convaincant, méticuleux et fort efficace, l’avocat du Ministre s’est habilement affairé, lors de l’audience devant la Cour, à parcourir le dossier pour faire apparaître les fissures dans la preuve sur laquelle Mme Balongelwa s’était fondée devant la SAR. Comme la SAR l’a bien fait ressortir dans la Décision, le dossier regorge d’incohérences et de contradictions quant à l’identité de Mme Balongelwa.

[56] J’en mentionne quelques-unes. Premièrement, bien que Mme Balongelwa dise qu’il était déraisonnable de spéculer sur la citoyenneté tanzanienne de son époux, il ressort du dossier que c’est son époux lui-même qui a affirmé aux autorités canadiennes qu’il était tanzanien. Deuxièmement, les pièces déposées par Mme Balongelwa au nom de « Mwenda » afin d’établir son identité comme citoyenne de la RDC n’étaient appuyées d’aucune explication sur l’origine de ces documents d’identité émis à un nom qui n’aurait pourtant été créé qu’en 1996 dans un camp de réfugiés en Tanzanie, après que Mme Balongelwa eût quitté la RDC. Troisièmement, révèle encore la preuve, plusieurs éléments mettaient en doute l’authenticité des documents soumis par Mme Balongelwa. Par exemple, sa carte d’électeur est probablement contrefaite, car le support et le laminé sont coupés artisanalement et la technique d’impression a été jugée associée à la contrefaçon par la SAR. Quatrièmement, Mme Balongelwa affirme qu’après son arrivée au Canada, elle aurait déposé des documents congolais pour remplacer les documents émis au « mauvais nom ». Mais, lorsqu’interrogée sur la provenance de ces documents, elle dit avoir obtenu des nouvelles copies simplement en donnant le nom de ses parents, connus dans la région. La SAR a conclu qu’il était peu crédible que des documents d’identité puissent être obtenus par un processus si peu rigoureux, même dans les régions rurales reculées de la RDC. D’ailleurs, même les témoignages de Mme Balongelwa et son mari suffisent à établir qu’ils avaient eux-mêmes dicté le contenu de ces documents d’identité congolais, corroborant ainsi le caractère contrefait de ces éléments de preuve. Cinquièmement, alors que Mme Balongelwa reproche à la SAR de ne pas lui avoir communiqué ses préoccupations quant aux documents sous le nom de « Balongelwa », il ressort de la Décision que toutes les préoccupations de la SPR sont clairement étayées aux paragraphes 42 à 47 de ses motifs. Enfin, le certificat de naissance de la fille de Mme Balongelwa porte le mauvais nom de cette dernière et, selon ce certificat, la nationalité de Mme Balongelwa serait tanzanienne, malgré les nombreuses déclarations de Mme Balongelwa à l’effet contraire. Quant aux documents relatifs à son mari, ils font état de trois nationalités et lieux de naissance différents, soit la RDC, le Burundi et la Tanzanie.

[57] Au surplus, comme l’a fait valoir le Ministre, il ne s’agit pas d’une situation où un demandeur d’asile a dû s’empresser d’obtenir des documents d’identification pour fuir son pays de citoyenneté. Les documents d’identité de Mme Balongelwa émis sous le « mauvais nom » lui ont plutôt été envoyés alors qu’elle était déjà aux États-Unis.

[58] Vu la somme de toutes ces déclarations contradictoires et irréconciliables de Mme Balongelwa, il était assurément loisible pour la SAR de conclure que ce qui originait de Mme Balongelwa et de son époux quant à leurs identités et historiques ne pouvait être digne de foi.

[59] Il est bien connu qu’en matière d’appréciation de la crédibilité et de l’identité, la SPR et la SAR ont un pouvoir discrétionnaire pour déterminer le poids à accorder aux éléments de preuve (Okbet aux para 32–33, citant Tariq c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 692 [Tariq] au para 10). L’analyse des conclusions de fait et des conclusions quant à la crédibilité est au cœur de l’expertise de ces décideurs administratifs et la Cour ne doit pas substituer ses propres conclusions à celles de la SPR ou de la SAR lorsqu’il était raisonnablement loisible à ces dernières d’arriver à leurs conclusions (Tariq au para 10; Ahmedin c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 1127 au para 35). S’il y a un endroit où la Cour doit se garder de mettre en doute les conclusions de la SAR, c’est bien sur la question de l’identité (Rahal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 319 au para 48).

[60] De plus, je souligne que, selon la jurisprudence, la SAR est présumée avoir analysé l’ensemble de la preuve devant elle, à moins de preuve à l’effet contraire (Khelili c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2022 CF 188 [Khelili] au para 29, citant Kanagendren c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CAF 86 au para 36 et Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF no 598 (CAF) (QL) au para 1). En l’espèce, il n’y a aucun élément qui permette de dire que la SAR n’aurait pas tenu compte de la preuve déposée.

[61] Au final, les arguments de Mme Balongelwa manifestent plutôt son désaccord quant à l’appréciation de la preuve faite par la SAR et suggèrent à la Cour d’adopter une évaluation différente du décideur administratif. Or, il est bien acquis que ceci n’est pas suffisant pour que la Cour intervienne (Khelili au para 25). Mme Balongelwa n’a identifié aucune lacune grave dans la Décision et, dans une telle situation, la Cour doit éviter de s’immiscer dans les conclusions de la SAR (Vavilov au para 100). L’expertise de la SAR en matière d’immigration exige en effet que la Cour fasse preuve d’une grande déférence à l’égard de ses conclusions de faits. En l’espèce, je suis d’avis que la Décision possède les attributs d’intelligibilité, de transparence et de justification requis en vertu de la norme de la décision raisonnable, et qu’il n’y a aucune raison qui pourrait justifier la Cour de substituer son opinion à celle de la SAR.

[62] En d’autres mots, la SAR a raisonnablement conclu que les nombreuses incohérences et contradictions de Mme Balongelwa ont miné sa crédibilité, et que Mme Balongelwa n’a pas établi son identité. Je suis satisfait que les motifs de la Décision de la SAR justifient amplement ses conclusions de manière transparente et intelligible et permettent à la Cour de bien comprendre pourquoi la SAR a conclu au défaut de Mme Balongelwa d’établir son identité (Vavilov aux para 81, 136). Ils démontrent que la SAR a suivi un raisonnement rationnel, cohérent et logique dans son analyse et que la Décision est conforme aux contraintes juridiques et factuelles pertinentes. Rien dans les erreurs alléguées par Mme Balongelwa ne m’amène « à perdre confiance dans le résultat auquel est arrivé le décideur » (Vavilov au para 122).

IV. Conclusion

[63] Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire de Mme Balongelwa et sa fille mineure est rejetée.

[64] Aucune partie n’a proposé de question de portée générale aux fins de certification, et je suis d’accord qu’il n’y en a aucune.

 


JUGEMENT au dossier IMM-10831-22

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens.

  2. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-10831-22

INTITULÉ :

BALONGELWA ET AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 NOVEMBRE 2023

JUGEMENT ET MOTIFS :

GASCON J.

DATE DES MOTIFS

LE 18 DÉCEMBRE 2023

COMPARUTIONS :

Me Mohamed-Amine Semrouni

POUR LES DEMANDERESSES

Me Daniel Latulippe

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bertrand, Deslauriers

Avocats

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général Canada

Montréal (Québec)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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