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Date : 20231213


Dossier : T-261-22

Référence : 2023 CF 1688

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 décembre 2023

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

ABEL ARAYA

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Abel Araya est un citoyen canadien d’origine érythréenne. En juin 2019, il a plaidé coupable à des accusations de trafic de stupéfiants et a reçu une peine d’emprisonnement de trois ans. Il a été incarcéré dans deux pénitenciers fédéraux exploités par le Service correctionnel du Canada [le SCC] : l’Établissement de Drumheller, en Alberta, et l’Établissement William Head, en Colombie-Britannique. Il a été libéré le 12 mars 2020.

[2] M. Araya s’identifie en tant que Noir. Dans une étude de cas incluse dans son rapport annuel de 2012-2013, le Bureau de l’enquêteur correctionnel [le BEC] s’est exprimé comme suit sur l’utilisation de ce terme pour désigner des détenus sous la responsabilité du SCC :

Dans l’étude de cas, on emploie le mot « Noirs » pour désigner les détenus qui se sont volontairement identifiés comme tels pendant le processus de réception du SCC. Celui-ci utilise actuellement 28 catégories d’identification raciale; jusqu’à récemment, il y en avait 15. Auparavant, les détenus de race noire s’inscrivaient surtout dans la catégorie des « Noirs »; cependant, par suite de l’ajout récent de catégories raciales fondées sur les régions géographiques, certains peuvent maintenant se décrire comme étant « Antillais » ou « originaires de l’Afrique subsaharienne ». De nombreux termes différents (Noirs, Africains, Antillais, etc.) sont employés dans la littérature, mais dans la présente étude de cas, on emploie le mot « Noirs » pour établir une correspondance avec la façon dont le SCC réunit et communique les données raciales. Cependant, il est entendu qu’il s’agit d’un groupe très diversifié qui comprend diverses nationalités et sous-groupes ethniques et culturels. Toutefois, afin de constituer un échantillon représentatif aux fins de l’analyse, il faut les regrouper. Enfin, il importe de souligner que les détenus de race noire visés par l’enquête et l’analyse ne sont pas tous citoyens canadiens, car certains sont des ressortissants étrangers.

[3] M. Araya allègue qu’il a été l’objet de violences raciales de la part des représentants du SCC et d’autres détenus pendant son incarcération. Il introduit le recours collectif envisagé en l’espèce au nom des personnes suivantes [le groupe] :

[traduction]

Toute personne de race noire qui allègue avoir subi des sévices physiques, émotionnels et/ou psychologiques alors qu’elle était incarcérée dans un établissement du SCC à un moment ou à un autre durant la période visée par le recours collectif et qui est en vie à la date à laquelle le recours collectif est autorisé.

[4] Le défendeur, le procureur général du Canada, s’oppose à l’autorisation du recours collectif envisagé en l’espèce. Il soutient que la déclaration ne révèle aucune cause d’action valable, que le groupe envisagé est trop vaste et indéterminé, qu’aucun point de droit ou de fait commun n’est soulevé, que le recours collectif envisagé n’est pas le meilleur moyen de régler les réclamations des membres du groupe et que M. Araya n’est pas un représentant demandeur convenable pour le groupe.

[5] Sous réserve de certaines modifications à apporter à la déclaration et aux questions de droit ou de fait communs, le demandeur a répondu à toutes les conditions d’autorisation d’un recours collectif décrites au paragraphe 334.16(1) des Règles des Cours fédérales, DORS 98/106 [les Règles]. Le recours collectif envisagé sera autorisé en conséquence.

II. Contexte

A. Les faits invoqués par le défendeur

[6] Le demandeur s’appuie sur l’expérience qu’il a vécue personnellement dans les établissements correctionnels, sur le témoignage d’expert du DAkwasi Owusu-Bempah de même que sur de nombreux rapports publics et autres documents. Le demandeur précise qu’une bonne partie de la preuve a été réunie avant que la portée du recours envisagé soit considérablement resserrée en juillet 2023.

(1) Le témoignage de M. Araya

[7] M. Araya a commencé à purger sa peine à l’Établissement de Drumheller. Il ne mentionne pas avoir subi de violences raciales pendant son séjour à cet établissement.

[8] L’essentiel du témoignage de M. Arya se rapporte à son incarcération à l’Établissement William Head, établissement à sécurité minimale situé sur l’île de Vancouver. M. Araya soutient qu’il y a été souvent [traduction] « laissé pour compte ou ignoré » par les agents correctionnels de race blanche et qu’il a été traité différemment des détenus blancs. Par exemple, il prétend qu’il s’est fait rabrouer quand il a sollicité des soins médicaux mais que des détenus blancs sans blessures apparentes ont reçu promptement des soins. Quand il a subi une grave blessure à la tête, on lui a refusé des soins à plusieurs reprises.

[9] M. Araya soutient également qu’on lui a accolé des stéréotypes raciaux. Par exemple, son agente de libération conditionnelle lui a dit qu’elle ne voudrait pas qu’il soit l’entraîneur sportif de ses enfants parce qu’il était [traduction] « clairement un trafiquant de drogues. » Un autre représentant du SCC a fait savoir à M. Araya qu’il ne voudrait pas qu’un homme comme lui vive dans sa collectivité. M. Araya souligne que les représentants du SCC qui appartenaient eux-mêmes à une minorité visible ne le traitaient pas différemment des autres détenus. Selon M. Araya, il n’y avait aucun programme ni aucune activité conçus expressément pour les détenus noirs.

[10] M. Araya a souvent dénoncé le racisme qui avait cours à l’Établissement William Head, mais il n’a jamais déposé de grief en bonne et due forme, parce qu’il craignait ainsi de faire l’objet de représailles ou de retarder sa mise en liberté. Il explique que les détenus qui portaient plainte étaient régulièrement punis par les représentants du SCC.

[11] M. Araya se souvient d’une fois où un détenu lui avait crié sans arrêt le « mot en n. ». Il lui aurait demandé de se taire sans quoi il était pour [traduction] « lui régler » son cas. Les représentants du SCC ont attendu avant d’intervenir et ont finalement réprimandé M. Araya pour avoir menacé l’autre détenu.

[12] M. Araya souligne qu’il a continué de subir du racisme après son départ de l’Établissement William Head. Pendant son séjour en maison de transition durant la pandémie, il a été exhorté à quitter les lieux pour laisser la place à des détenus plus [traduction] « vulnérables, » qui étaient tous blancs. L’agent de libération conditionnelle de M. Araya a réévalué son risque de commettre un acte de violence conjugale d’une manière qui, selon M. Araya, se fondait sur des stéréotypes envers lui et sa petite amie d’origine indienne.

[13] M. Araya affirme que les actes de racisme qu’il a subis ont [traduction] « exacerbé » son sentiment de désespoir et d’impuissance, ce qui a provoqué chez lui des crises de panique, de l’insomnie, de l’anxiété et de la dépression après sa mise en liberté.

[14] M. Araya affirme connaître cinq ou six autres personnes qui pourraient faire partie du groupe envisagé.

(2) Le témoignage d’expert du dr Owusu-Bempah

[15] Le dr Akwasi Owusu-Bempah est professeur de criminologie et étudie le racisme envers les Noirs dans le système de justice pénale. Il a publié de nombreux ouvrages et articles sur le sujet, y compris en ce qui a trait aux établissements correctionnels canadiens. En plus de ses travaux de recherche et ses publications, le dr Owusu-Bempah a conseillé le BEC relativement à l’expérience des détenus de race noire dans les établissements du SCC. Il a également témoigné devant le Comité sénatorial permanent des droits de la personne, qui s’est penché sur la question des droits de la personne des personnes purgeant une peine de ressort fédéral. Il a été interviewé par le vérificateur général du Canada et vient d’être nommé au Groupe directeur de la Stratégie canadienne en matière de justice pour les personnes noires.

[16] Dans son premier rapport, le dr Owusu-Bempah écrit que [traduction] « les pratiques, procédures, instruments, politiques et autres actes et omissions du SCC désavantagent systématiquement les détenus racisés par rapport aux détenus blancs. » Selon les avocats du demandeur :

[traduction]

[Le dr Owusu-Bempah] conclut que les détenus noirs purgent des peines plus longues et dans des conditions plus difficiles caractérisées par l’attribution de cotes de sécurité plus sévères, l’absence d’accès à des programmes adaptés à leur culture, de moins bonnes perspectives d’emploi pendant leur incarcération, un taux accru de transfèrements non sollicités, une plus grande probabilité de se voir infliger des sanctions disciplinaires en établissement et de subir le recours à la force. Les détenus noirs bénéficient également moins souvent de permissions de sortir et de libérations conditionnelles.

[17] Le dr Owusu-Bempah précise que le SCC a été informé de ces enjeux dès 2013, mais qu’il n’a apporté aucun changement véritable à ses politiques ou procédures. Le vérificateur général et le Comité sénatorial permanent des droits de la personne ont formulé de nombreuses recommandations, mais aucune n’a été appliquée.

[18] Le dr Owusu-Bempah a présenté un deuxième rapport où il s’attarde aux conclusions et aux recommandations contenues dans le rapport annuel 2021-2022 du Bureau de l’enquêteur correctionnel. Il y conclut que la situation a peu changé quant aux conditions dans lesquelles vivent les détenus noirs dans les établissements du SCC.

(3) Les rapports du Bureau de l’enquêteur correctionnel

[19] Dans son premier rapport d’expert, le dr Owusu-Bempah analyse longuement des rapports du Bureau de l’enquêteur correctionnel [les rapports du BEC] : Étude de cas sur la diversité dans les services correctionnels : l’expérience des détenus de race noire dans les pénitenciers, 2013; L’isolement préventif et le système correctionnel fédéral – Tendance sur 10 ans, 2015; rapport annuel de 2016-017; Occasions manquées : L’expérience des jeunes adultes incarcérés dans les pénitenciers fédéraux, 2017; Tendances relatives aux détenus sous responsabilité fédérale, 2020; rapport annuel de 2020-2021.

[20] Selon le dr Owusu-Bempah, les rapports du BEC démontrent que les détenus noirs de sexe masculin, comparativement à leurs homologues blancs, sont plus susceptibles de subir le recours à la force, ont moins de chances d’être envoyés dans des établissements à sécurité minimale, se voient attribuer des cotes du potentiel de réinsertion sociale moins élevées par le personnel du SCC, sont plus souvent envoyés en isolement cellulaire et dans des unités d’intervention structurée et se font refuser de manière disproportionnée des permissions de sortir et la libération conditionnelle. Les rapports du BEC indiquent par ailleurs que la plupart des détenus noirs ne se réclament d’aucun gang, mais qu’on leur impute souvent une appartenance à ce genre de groupe, de sorte qu’ils sont souvent considérés comme affiliés à un groupe menaçant la sécurité, ce qui a des conséquences négatives pour eux.

[21] Le SCC a été encouragé à permettre aux détenus noirs de faire partie d’organisations culturelles à l’extérieur des établissements, mais d’après les rapports du BEC, il semble qu’il n’ait pas fait grand-chose à cette fin. La recherche a permis de constater que, dans le cas des détenus autochtones, les liens établis avec des groupes culturels externes peuvent faciliter la réinsertion sociale. En théorie, le SCC possède un programme de mentorat qui devrait jouer ce rôle auprès des détenus noirs, mais les enquêtes du BEC ont révélé que peu de personnes incarcérées en connaissaient l’existence. Bon nombre de détenus noirs croient que les autorités dans les établissements sont peu enclines à fournir le genre de programmes culturels qui seraient intéressants pour eux. Quand ces programmes existent, ils reçoivent un soutien et un financement insuffisants.

[22] Le BEC souligne aussi dans ses rapports un taux de chômage disproportionné chez les détenus de race noire. Il leur est particulièrement difficile d’obtenir des emplois qui exigent un grand degré de confiance au sein du personnel correctionnel. Les détenus noirs sont également sous-représentés dans les emplois chez CORCAN, qui offrent une formation professionnelle pouvant faciliter la réinsertion sociale.

[23] Les sanctions disciplinaires en établissement sont mises en lumière dans les rapports du BEC. Ces sanctions peuvent avoir une incidence marquée sur la durée de l’incarcération dans les établissements, parce qu’elles peuvent rallonger le processus de libération conditionnelle ou justifier le refus d’une demande de libération conditionnelle. Elles peuvent en plus entraîner la perte de privilèges importants et la confiscation de biens ainsi que l’imposition d’amendes, de tâches supplémentaires et de restrictions concernant les visites. Entre 2007 et 2012, le nombre d’accusations d’infractions disciplinaires a augmenté pour les détenus noirs, mais il a décru pour l’ensemble de la population carcérale. Les détenus de race noire sont moins susceptibles d’être accusés d’infractions disciplinaires qui nécessitent une preuve objective (p ex, la possession de produits interdits) et davantage pour des infractions possédant un élément subjectif (p ex, le manque de respect envers le personnel du SCC).

[24] Dans son deuxième rapport d’expert, le dr Owusu-Bempah réévalue son premier rapport à la lumière du rapport annuel de 2021‑2022 du BEC. Il conclut que la situation n’a pas vraiment changé et cite le rapport annuel de 2021-2022 en ces termes :

Malgré les efforts concertés du SCC pour apporter des changements en matière d’inclusion, de diversité et de lutte contre le racisme, les personnes noires incarcérées ont rapporté aux enquêteurs du BEC que très peu de choses s’étaient améliorées au fil des ans. […] Tous les problèmes cernés en 2013 demeurent aujourd’hui.

(4) Le rapport du vérificateur général du Canada

[25] En 2022, le vérificateur général a publié un rapport intitulé Les obstacles systémiques – Service correctionnel du Canada [le rapport du vérificateur général]. Ce document est aussi mentionné dans le premier rapport d’expert du dr Owusu-Bempah.

[26] Le dr Owusu-Bempah souligne les constatations suivantes figurant dans le rapport du vérificateur général : le CSC n’a pas traité ni éliminé les obstacles systémiques qui défavorisent certains groupes de détenus, dont ceux de race noire; les détenus noirs et autochtones se heurtent à un plus grand nombre d’obstacles sur la voie d’une réinsertion sociale sécuritaire et progressive que certains autres groupes; les détenus sont confrontés à des disparités dès leur admission dans un établissement du SCC sur le plan du traitement, du processus de classement par niveau de sécurité et des résultats obtenus; les efforts de promotion de la diversité, de l’équité et de l’inclusion au sein de l’effectif du SCC sont insuffisants, car environ le quart du personnel n’avait pas suivi la formation obligatoire un an après la date butoir. La représentation des personnes noires au sein du personnel du SCC relativement à la population carcérale est faible.

[27] Le vérificateur général a formulé de nombreuses recommandations dans son rapport. Celles qui sont mises en lumière par le dr Owusu-Bempah dans ses rapports d’expert visent les objectifs suivants : améliorer l’accès des détenus aux programmes correctionnels et examiner l’efficacité de ces programmes pour les détenus noirs; améliorer la méthode de collecte des données sur la diversité pour surveiller l’incidence de ses politiques correctionnelles sur les divers groupes de détenus; cerner les causes profondes des retards dans la mise en liberté des détenus, particulièrement les détenus noirs; améliorer le processus pour que les cotes de sécurité des détenus soient réévaluées en temps opportun; renforcer la diversité au sein du personnel pour que les effectifs reflètent mieux la diversité de la population des détenus; s’assurer que les membres du personnel suivent la formation obligatoire en matière de diversité.

(5) Le Rapport du Comité sénatorial permanent des droits de la personne

[28] En juin 2021, le Comité sénatorial permanent des droits de la personne a publié un rapport intitulé Droits de la personne des personnes purgeant une peine de ressort fédéral [le rapport du comité sénatorial]. Le comité sénatorial formule plusieurs recommandations, dont certaines sont mises en lumière par le dr Owusu-Bempah dans ses rapports d’expert. Il s’agit des suivantes : s’assurer que les plans correctionnels tiennent compte des expériences uniques et des difficultés de réinsertion des groupes marginalisés ou vulnérables; examiner l’application des politiques sur le recours à la force, notamment afin de réduire le nombre disproportionné d’incidents de recours à la force contre les détenus noirs et d’autres détenus marginalisés et vulnérables; instaurer des mécanismes pour s’assurer que les membres du personnel correctionnel qui ont recours à une force disproportionnée soient tenus responsables de leurs actes; améliorer la formation du personnel du SCC en matière de droits de la personne, d’équité et de lutte contre la discrimination.

B. Les faits invoqués par le défendeur

[29] Le défendeur s’appuie sur les contre-interrogatoires de M. Araya et du dr Owusu-Bempah de même que sur l’affidavit fait sous serment par une parajuriste du ministère de la Justice, auquel étaient joints les documents relatifs à l’incarcération de M. Araya et aux politiques du SCC sur la gestion des délinquants.

(1) Le dossier de M. Araya

[30] Tout au long de son incarcération, M. Araya a été classé dans la catégorie dite « à sécurité minimale. » Il a été transféré à l’Établissement William Head à sa propre demande, car il voulait se rapprocher de sa famille et de sa petite amie. Ses allégations de racisme visent toutes les sept semaines qu’il a passées à cet établissement et la période suivant sa mise en liberté.

[31] M. Araya a déposé une poursuite civile distincte à la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Dans cette poursuite, il affirme que le SCC lui a refusé l’accès à des soins médicaux après sa blessure à la tête, ce qui lui aurait causé un préjudice physique et psychologique.

[32] Pour ce qui est de l’altercation pendant laquelle M. Araya se serait fait traiter à plusieurs reprises du « mot en n, » le défendeur souligne que M. Araya n’a pas mentionné l’insulte quand il a décrit l’incident à la Commission des libérations conditionnelles. Bien que M. Araya prétende avoir été puni après cet incident, aucune accusation d’infraction disciplinaire n’a été portée contre lui, et il a été transféré subséquemment dans un dortoir différent avec l’aide d’un représentant du Comité de détenus.

[33] M. Araya a affirmé qu’un membre du personnel du SCC [traduction] « a refusé d’appeler de l’aide » quand il a voulu obtenir des soins médicaux après avoir été blessé à la tête, mais il a reconnu en contre-interrogatoire que ce membre du personnel avait bien communiqué avec les Services de santé. M. Araya a aussi admis qu’il avait manqué de respect envers les membres du personnel médical en les accusant notamment de racisme; il s’en est excusé par la suite.

[34] M. Araya soutient qu’il n’y a aucun programme ni aucune activité destinés aux délinquants de race noire, mais il a admis en contre-interrogatoire que l’Établissement William Head possédait un comité ethnoculturel et que ce comité a organisé plus d’un événement pendant la brève période qu’il a passée dans cet établissement. M. Araya n’y a pas participé.

[35] M. Araya a bénéficié de la libération conditionnelle totale à sa première date d’admissibilité et avec l’appui de son agent de libération conditionnelle. Il n’a jamais été accusé d’infractions disciplinaires.

(2) Les établissements et les politiques du SCC

[36] Le SCC exploite 43 établissements et 14 centres correctionnels communautaires dans tout le pays, en plus de 92 bureaux de libération conditionnelle et bureaux secondaires de libération conditionnelle. L’Établissement de Drumheller est un pénitencier à sécurité moyenne doté d’une annexe à sécurité minimale. L’Établissement William Head est un pénitencier à sécurité minimale.

[37] Le SCC a mis en place un processus interne de règlement des griefs qui vise à répondre aux plaintes des délinquants au niveau le plus bas possible. Les réponses aux griefs sont d’abord préparées à l’échelon de l’établissement ou du district puis peuvent passer au niveau supérieur, soit le bureau du commissaire. Les décisions du commissaire du SCC sont susceptibles de contrôle judiciaire. Suivant les circonstances, les délinquants peuvent exercer des recours dans d’autres tribunes, notamment à la Commission canadienne des droits de la personne. Le SCC s’attend à ce que les délinquants puissent présenter des griefs sans subir de représailles.

C. Les objections contre la preuve

(1) Le témoignage de M. Araya

[38] Le défendeur met en doute la crédibilité du témoignage de M. Araya. Il souligne que la soi-disant absence de soins médicaux reçus après sa blessure à la tête qui est invoquée par M. Araya est contredite par la propre admission de celui-ci, selon laquelle il aurait bel et bien été soigné. M. Araya réplique qu’il ne prétend pas qu’on lui a refusé des soins médicaux, mais bien qu’il a dû faire des démarches supplémentaires pour bénéficier de ces soins, ce qui n’aurait pas été le cas s’il avait été blanc.

[39] M. Araya admet qu’il n’a été l’objet d’aucune accusation d’infraction disciplinaire après son altercation avec le détenu qui lui aurait lancé à plusieurs reprises le « mot en n. » Cependant, il affirme avoir reçu une réprimande orale et avoir été obligé de changer de lieu d’hébergement sans l’aide du personnel.

[40] En réponse à l’argument du défendeur, soit qu’il aurait pu participer à des événements organisés par le comité ethnoculturel de l’Établissement William Head, M. Araya répète qu’il n’y a pas de programmes ni d’activités à l’intention précisément des délinquants noirs.

[41] Je ne suis pas convaincu que les critiques dirigées contre le témoignage de M. Araya soient suffisantes pour que la Cour remette la crédibilité de ce dernier en question, particulièrement à cause du seuil peu élevé qui s’applique en matière de preuve dans le cas d’une requête en autorisation d’un recours collectif envisagé, soit l’établissement d’« un certain fondement factuel. » Le témoignage de M. Araya doit être analysé à la lumière de l’opinion d’expert du dr Owusu-Bempah et de la preuve documentaire.

(2) Le témoignage d’expert du dr Owusu-Bempah

[42] Le défendeur ne conteste pas les compétences du dr Owusu-Bempah ni sa capacité de fournir à la Cour un témoignage d’expert au sujet de l’expérience vécue par les détenus de race noire dans les établissements correctionnels canadiens. Toutefois, il estime que les opinions du dr Owusu-Bempah se fondent largement sur des rapports publics truffés de ouï-dire et de commentaires argumentatifs, que le témoin résume souvent les observations et les conclusions formulées dans les rapports publics sans offrir d’opinion indépendante et qu’il affiche parfois une partialité en faveur du groupe envisagé. Il exprime par ailleurs des opinions qui dépassent son champ d’expertise, par exemple quand il parle des accusations d’infractions disciplinaires utilisées comme [traduction] « outil psychologique. »

[43] Le défendeur souligne que certaines opinions exprimées par le dr Owusu-Bempah dans ses rapports d’expert semblent contredire les documents qu’il a préparés à d’autres fins. Par exemple, dans une formation dont il est un co-auteur, le dr Owusu-Bempah mentionne que le racisme systémique dans la société canadienne affecte le bien-être des enfants, les structures familiales, l’éducation, la pauvreté, la victimisation par le crime et les interactions entre les personnes noires et la police. Ces facteurs sociaux et individuels ont une incidence sur le vécu des Noirs dans le système de justice pénale en général. Selon le défendeur, on peut en conclure que la mise en œuvre des politiques et pratiques du SCC ne sont pas responsables de l’expérience différente que peuvent vivre les détenus noirs dans les établissements correctionnels.

[44] Les témoins experts ont l’obligation envers la Cour de présenter un témoignage d’opinion qui soit juste, objectif et non partisan. Ils doivent être conscients de cette obligation, et avoir la capacité et la volonté de la respecter. Si les témoins experts ne satisfont pas à ce critère, leur témoignage ne devrait pas être admis (White Burgess Langille Inman c Abbott and Haliburton Co, 2015 CSC 23 [White Burgess] aux para 32, 46).

[45] Une fois que ces conditions sont respectées, cependant, le juge doit encore tenir compte des réserves émises quant à l’indépendance ou à l’impartialité du témoin expert lorsqu’il évalue la preuve pour effectuer une analyse globale des coûts et des bénéfices de l’admission du témoignage. Le critère en question n’est pas particulièrement exigeant, et il sera probablement rare que le témoignage de l’expert proposé soit jugé inadmissible au motif qu’il n’y satisfait pas. C’est la nature et le degré de l’intérêt ou des rapports qu’a l’expert avec l’instance qui importent, et non leur simple existence : un intérêt ou un rapport quelconque ne rend pas d’emblée la preuve de l’expert proposé inadmissible. Toutefois, l’expert qui se fait le défenseur d’une partie ne peut ou ne veut manifestement pas s’acquitter de sa principale obligation envers le tribunal (White Burgess, au para 49).

[46] Je suis convaincu que les deux premiers rapports du dr Owusu-Bempah renferment des renseignements et une opinion qui sont utiles à la Cour et satisfont aux critères d’admissibilité de la preuve établis par la Cour suprême du Canada au paragraphe 19 de l’arrêt White Burgess et à la page 23 de l’arrêt R c Mohan, [1994] 2 RCS 9. Lorsque les observations du dr Owusu-Bempah se fondent sur du ouï-dire ou frisent le plaidoyer, ou si elles débordent de son champ d’expertise, elles peuvent être écartées. L’opinion d’expert du dr Owusu-Bempah doit être examinée à la lumière des autres témoignages et des éléments de preuve documentaires qui ont été présentés au nom du demandeur, compte tenu du faible seuil de preuve qui consiste, dans une requête en autorisation d’un recours collectif envisagé, à établir un « certain fondement factuel. »

(3) La preuve documentaire

[47] Le défendeur fait valoir que les éléments de preuve documentaire sur lesquels s’appuie le demandeur, constitués principalement de rapports publics du Bureau de l’enquêteur correctionnel et du comité sénatorial, ne sont pas admissibles pour établir la véracité de leur contenu. Il invoque l’arrêt rendu par la Cour d’appel fédérale (juge Roussel) dans Bigeagle c Canada, 2023 CAF 128 aux para 44 et 46 :

[traduction]

Même s’il est possible de s’appuyer sur des rapports dans une requête en autorisation pour mettre en contexte les faits non litigieux, savoir si ce qui est mentionné dans la déclaration est reflété fidèlement puis établir un « certain fondement factuel », ces rapports ne peuvent servir à combler les lacunes ou les vides dans les actes de procédure. L’argument avancé par Mme BigEagle obligerait la juge des requêtes à prendre connaissance de milliers de pages de rapports afin de cerner les faits substantiels qui étayent chaque cause d’action. Il lui imposerait également le fardeau de relever les faits substantiels à partir de la preuve, laquelle n’est pas admissible pour établir la « cause d’action valable » qui est la condition préalable à l’autorisation d’un recours collectif. Il n’est clairement pas du ressort de la juge des requêtes de passer les rapports en revue pour y retrouver des précisions sur de vastes allégations susceptibles d’appuyer les causes d’action de Mme BigEagle. […]

La première réserve face à l’utilisation de rapports publiés par des commissions d’enquête tient au fait que ces dernières ne sont pas astreintes aux mêmes normes de preuve qu’une cour de justice, en partie parce que leur raison d’être n’est pas la même. Souvent, l’information est colligée auprès de personnes qui ne sont pas assermentées et constitue du ouï-dire. De même, le processus suivi ne permet pas automatiquement de respecter l’équité procédurale, qui inclut le droit de contre-interroger des personnes pendant la collecte des faits […] Les rapports d’enquêtes et de commissions ne visent pas non plus à faire état de causes d’action [citations omises].

[48] En l’espèce, des extraits pertinents des rapports publics ont été repris dans les rapports d’expert du dr Owusu-Bempah et les observations des avocats du demandeur. La prise en considération de ces extraits n’impose pas un fardeau excessif à la Cour. En outre, comme l’a confirmé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Canada c Greenwood, 2021 CAF 186 [Greenwood CAF], au paragraphe 96, « des éléments de preuve semblables aux rapports sont fréquemment produits lors de requêtes en autorisation, en conjonction avec d’autres types d’éléments de preuve, afin d’établir qu’il existe un certain fondement factuel relatif aux quatre dernières conditions d’autorisation. » La Cour poursuit en ces termes, au paragraphe 97 (juge Gleason) :

En effet, la Couronne reconnaît que les rapports peuvent être admis pour ce motif, lorsqu’il s’agit d’établir, en conjonction avec d’autres éléments de preuve, que les quatre dernières conditions d’autorisation sont remplies. En l’espèce, les représentants demandeurs avaient produit d’autres éléments de preuve concernant leur propre situation et leurs observations. La Cour fédérale n’a donc pas commis d’erreur en admettant les rapports et en se fondant sur eux de même que sur les éléments de preuve produits par les représentants demandeurs concernant les quatre dernières conditions d’autorisation.

[49] Dans la présente affaire, les rapports publics servent à compléter le témoignage direct de M. Araya et l’opinion d’expert du dr Owusu-Bempah. Ils offrent un élément contextuel supplémentaire et peuvent fournir un certain fondement factuel si on extrapole l’expérience du représentant demandeur sur l’ensemble du groupe envisagé. Je suis d’avis qu’ils sont admissibles à cette fin.

(4) La réponse et les éléments de preuve supplémentaires du demandeur

[50] Peu de temps avant l’audition de sa requête, prévue pour juillet 2023, le demandeur a déposé une déclaration considérablement modifiée accompagnée d’un troisième rapport d’expert et de la réponse du dr Owusu-Bempah ainsi que d’un affidavit souscrit par un parajuriste employé du cabinet d’avocats représentant le demandeur. Le défendeur s’oppose au troisième rapport d’expert et à l’affidavit supplémentaire.

[51] Le troisième rapport d’expert du dr Owusu-Bempah vise à répondre aux critiques contre les deux premiers rapports qui sont formulées dans les observations écrites présentées par le défendeur afin de contester la requête en autorisation. Selon le défendeur, ces questions auraient dû être analysées en profondeur dans les premiers rapports d’expert et constituent une réfutation inacceptable d’arguments juridiques. Il souligne que la Couronne n’a présenté aucune preuve d’expert qui serait susceptible de réponse.

[52] L’affidavit du parajuriste contient en annexe de la correspondance entre les parties au sujet des documents relatifs à la requête en autorisation modifiée du demandeur, assortie de la déclaration et de l’avis de requête déposés dans l’affaire Nasogaluak c Canada (Procureur général), 2021 CF 656 [Nasogaluak CF]. Y étaient jointes également les directives du commissaire du SCC relatives à la gestion des incidents de sécurité et au recours à la force. Parmi les autres pièces au dossier se trouvent la réponse du SCC au rapport de 2012-2013 du Bureau de l’enquêteur correctionnel et d’autres documents décrivant le racisme systémique dans le système de justice pénale.

[53] Selon le défendeur, les éléments de preuve contenus dans l’affidavit du parajuriste étaient publiquement accessibles et disponibles lorsque le demandeur a signifié et déposé sa requête en autorisation initiale. Le demandeur n’a pas expliqué pourquoi il n’a pas déposé ces éléments de preuve plus tôt, et leur inclusion dans le dossier modifié et consolidé de la requête en autorisation peut être préjudiciable au défendeur.

[54] L’article 312 des Règles permet aux parties de déposer des affidavits complémentaires avec l’autorisation de la Cour, tandis que le paragraphe 84(2) des Règles régit le dépôt d’affidavits après les contre-interrogatoires. Les Règles doivent donner lieu à des interprétations similaires (Jacques c Canada, 2023 CF 715 au para 11, citant Salton Appliances (1985) Corp c Salton Inc, 2000 CanLII 14828 (CF).

[55] Les contre-interrogatoires des parties, dont celui du dr Owusu-Bempah, se sont conclus à la fin de février 2023. Le troisième rapport d’expert et l’affidavit supplémentaire ont été déposés six mois plus tard, en juillet. Le demandeur n’a pas sollicité le consentement du défendeur ni l’autorisation de la Cour, comme l’exigent le paragraphe 84(2) et l’article 312 des Règles.

[56] Il est peu probable que le troisième rapport d’expert du dr Owusu-Bempah soit utile. Ce dernier cherche à guider la Cour dans la lecture et l’interprétation de ses rapports antérieurs, revendiquant implicitement une expertise à évaluer sa propre expertise. Comme l’a statué la Cour suprême du Canada dans l’arrêt R c J-LJ, 2000 CSC 51 au para 56 (juge Binnie) : « [l]a preuve d’expert vise donc à aider le juge des faits en lui fournissant des connaissances particulières qu’une personne ordinaire n’aurait pas. Elle n’a pas pour objet de substituer l’expert au juge des faits. C’est un acte de jugement éclairé, et non un acte de confiance, qui est requis du juge des faits. »

[57] Je ne suis pas convaincu que le troisième rapport d’expert du dOwusu-Bempah ajoute quoi que ce soit d’important aux deux rapports précédents. Le témoin réitère ses conclusions antérieures et explique plus en détail sa méthodologie.

[58] Le dépôt du troisième rapport d’expert du dr Owusu-Bempah et de l’affidavit du parajuriste n’a pas été fait conformément au paragraphe 84(2) et à l’article 312 des Règles, et les deux documents doivent être écartés. Je vais néanmoins prendre connaissance d’office de la déclaration et de l’avis de requête présentés dans l’affaire Nasogaluak CF. Il est établi de longue date en common law que les tribunaux peuvent prendre connaissance d’office de leurs propres dossiers (Petrelli v Lindell Beach Holiday Resort Ltd, 2011 BCCA 367 au para 36, citant R v Jones (1839), 8 Dowl 80 et Craven v Smith (1869), LR 4 Exch 146).

(5) Le déposant du défendeur

[59] Le demandeur signale que le défendeur n’a présenté aucune preuve par affidavit concernant les pratiques ou la conduite du SCC à l’égard des détenus de race noire. Le seul déposant du défendeur est une parajuriste du ministère de la Justice qui n’a aucune connaissance personnelle du mode de fonctionnement du SCC, de l’existence du racisme systémique dans les établissements du SCC ou de la manière dont le SCC met en œuvre les politiques annexées à l’affidavit. Lorsqu’une partie omet d’offrir le témoignage de personnes ayant une connaissance personnelle des faits substantiels, les Règles permettent à la Cour d’en tirer des conclusions défavorables (para 81(2) des Règles, Tippett c Canada, 2019 CF 869 au para 33).

[60] Dans Wesley v British Columbia et al, décision non publiée du 20 mars 2023 de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, no de dossier VIC-S-S-202473, la juge Veronica Jackson a déclaré au paragraphe 63 qu’un parajuriste employé des services juridiques représentant le ministère client ne peut exprimer d’opinion sur l’état des connaissances du défendeur gouvernemental. Elle précise au paragraphe 64 :

[traduction]

[…] Sans vouloir minimiser le rôle des parajuristes ni manquer de respect envers le déposant dans la présente affaire, je rappelle que le poste de parajuriste ne suppose pas le genre de responsabilité de supervision et d’obligation de rendre compte qui me porterait à conclure que la personne possède une connaissance égale à celle du Canada. Si la connaissance du déposant se fonde sur de l’information et des convictions, il faut avancer des faits et préciser la source de cette information.

[61] Le demandeur plaide que le défendeur n’a pas respecté les exigences énoncées à l’alinéa 334.15(5)b) des Règles et n’a offert aucune preuve relative à la façon dont le SCC traite les détenus noirs ni quoi que ce soit qui réfute la prétention du demandeur, savoir que les pratiques opérationnelles du SCC favorisent et perpétuent les sévices contre les détenus noirs, tels qu’ils sont définis dans la déclaration. Le demandeur prie donc la Cour d’en conclure qu’un affidavit du défendeur conforme à l’alinéa 334.15(5)b) aurait appuyé l’autorisation de l’instance en l’espèce comme recours collectif. Le demandeur souligne que le SCC a reconnu publiquement l’existence du racisme systémique à l’intérieur des pénitenciers fédéraux.

[62] Je ne suis pas convaincu qu’une conclusion défavorable est justifiée dans les circonstances. Le défendeur reconnaît qu’il aurait été sans doute préférable de choisir un déposant ayant une connaissance personnelle des politiques et procédures du SCC concernant le traitement des délinquants de race noire. Cependant, le défendeur est d’avis que les politiques annexées à l’affidavit du déposant parlent d’elles-mêmes. La Cour doit trancher en l’espèce une requête de nature procédurale et ne préside pas une audience sur le fond. Le défendeur a choisi de s’appuyer sur la preuve documentaire et le contre-interrogatoire des témoins du demandeur. Il souligne que la Couronne n’a pas d’obligation d’aider le demandeur à présenter ses arguments.

[63] Il reste que le défendeur n’a offert aucun élément de preuve qui contredit les affirmations factuelles du demandeur au sujet des sévices contre les détenus noirs, tels qu’ils sont définis dans la déclaration. Cette omission a une incidence évidente sur l’évaluation que doit effectuer la Cour afin de déterminer si la requête en autorisation respecte le critère peu exigeant qui consiste à établir un « certain fondement factuel. »

III. Les questions en litige

[64] La Cour doit décider si le demandeur a satisfait aux cinq conditions d’autorisation de la présente instance comme recours collectif (paragraphe 334.16(1) des Règles), c’est-à-dire qu’elle doit répondre aux questions suivantes :

  1. Les actes de procédure révèlent-ils une cause d’action valable?

  2. Existe-t-il un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes?

  3. Les réclamations des membres du groupe soulèvent-elles des points de droit ou de fait communs?

  4. Le recours collectif est-il le meilleur moyen de régler le litige?

  5. M. Araya est-il un représentant demandeur convenable pour le groupe?

IV. Analyse

A. Les actes de procédure révèlent-ils une cause d’action valable?

[65] L’instruction d’un procès requiert du demandeur qu’il allègue des faits matériels suffisamment précis à l’appui de la déclaration et de la mesure sollicitée (Mancuso c Canada (Santé Nationale et Bien-être Social), 2015 CAF 227 [Mancuso] au para 16). Les actes de procédure jouent un rôle important pour aviser les intéressés et définir les questions à trancher. La Cour et les parties adverses n’ont pas à émettre des hypothèses sur la façon dont les faits pourraient être organisés différemment pour appuyer diverses causes d’action. Si la Cour autorisait les parties à avancer de simples affirmations de fait, ou de simples conclusions de droit, les actes de procédure ne rempliraient pas le rôle qui leur revient, soit celui de cerner les questions en litige (Mancuso, aux para 16 et 17).

[66] Le demandeur doit énoncer, avec concision mais suffisamment de précision, les éléments constitutifs de chacun des moyens de droit ou de fait soulevé. L’acte de procédure doit indiquer au défendeur par qui, quand, où, comment et de quelle façon sa responsabilité a été engagée. Le demandeur ne peut déposer des actes de procédures qui ne sont pas suffisants et ensuite compter sur le défendeur pour présenter une demande de précisions, pas plus qu’il ne peut les compléter au moyen de précisions visant à les rendre suffisants (Mancuso, aux para 19 et 20).

[67] Les règles normales relatives aux actes de procédure s’appliquent avec la même force à un recours collectif envisagé. La Cour doit considérer l’acte de procédure tel qu’il a été rédigé, et non pas de la façon dont il pourrait être rédigé. L’ouverture d’un recours collectif envisagé est une affaire très sérieuse qui peut affecter les droits d’un grand nombre des membres du groupe ainsi que les responsabilités et les intérêts des défendeurs. La conformité aux Règles n’est pas sans importance ou optionnelle, elle est en vérité obligatoire et essentielle (Merchant Law Group c Canada Agence du revenu, 2010 CAF 184 au para 40).

(1) La nouvelle déclaration modifiée

[68] La déclaration du demandeur a été révisée de nombreuses fois. L’acte de procédure initial avait une portée très large et visait à faire autoriser un recours collectif fondé sur le racisme systémique exercé contre les détenus du SCC qui sont des personnes autochtones, noires et de couleur [les PANDC]. Parmi les causes d’action, on retrouvait la faute dans l’exercice d’une charge publique; le manquement à une obligation fiduciaire; l’atteinte aux droits des personnes autochtones garantis par la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, la Loi sur la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, LC 2001, c 14, et l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada, 1982, c 11 (R-U); la négligence systémique; des violations des articles 7, 9, 12 et 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 [la Charte] et des atteintes aux droits analogues protégés par la Charte des droits et libertés de la personne du Québec, CQLR, c C-12.

[69] Peu de temps avant l’audition de la présente requête en autorisation, prévue pour juillet 2023, et à la suite de l’arrêt Canada (Procureur général) c Nasogaluak, 2023 CAF 61 [Nasogaluak CAF] rendu par la Cour d’appel fédérale, le demandeur a considérablement modifié sa déclaration. Le nouvel acte de procédure a adopté une bonne partie du contenu de la déclaration présentée dans l’affaire Nasogaluak CF, modifiée conformément aux motifs de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Nasogaluak CAF.

[70] Ce nouveau document comportait quatre changements majeurs. Premièrement, la déclaration ne mentionnait plus les PANDC et se limitait désormais aux détenus noirs. Deuxièmement, l’allégation concernant le manquement à l’obligation fiduciaire a été éliminée (voir Nasogaluak CAF, aux para 54-66). Troisièmement, le demandeur n’invoquait plus la faute dans l’exercice d’une charge publique. Quatrièmement, les réclamations fondées sur la charte québécoise ont été supprimées.

[71] Avec la déclaration modifiée, le demandeur cherche à faire autoriser ses réclamations relatives à la négligence systémique et aux violations de l’article 7 et du paragraphe 15(1) de la Charte. Il est d’avis que sa demande ne peut maintenant être distinguée de celle qui a été approuvée par notre Cour dans la décision Nasogaluak CF, puis modifiée suivant l’arrêt Nasogaluak CAF.

[72] C’est vrai jusqu’à un certain point. Cependant, le demandeur continue de se fonder sur une définition de grande portée du [traduction] « racisme envers les Noirs » qui inclurait ce qui suit (au para 41) :

[traduction]

a. L’existence d’une culture, à la fois flagrante et dissimulée, selon laquelle les détenus noirs sont perçus en fonction de stéréotypes nuisibles qui les déshumanisent, les montrent comme étant moins dignes d’être protégés contre les sévices et ayant une plus grande propension aux comportements dangereux, à la violence, à l’affiliation à des gangs et à la criminalité.

b. Le fait que le SCC et les membres de son personnel utilisent du matériel pédagogique discriminatoire et obligent les membres du groupe à s’en servir, par exemple en leur imposant la lecture à voix haute de passages qui contiennent le « mot en n », ce qui déshumanise les détenus noirs aux yeux des autres détenus et du personnel du SCC tout en contribuant aux stéréotypes suivant lesquels les détenus de race noire sont moins dignes d’être protégés des mauvais traitements que les autres.

c. L’omission, par le SCC, de fournir du matériel pédagogique et des programmes adaptés à la culture des détenus noirs et le choix qu’il fait de plutôt mettre à leur disposition du matériel « ethnoculturel » qui traite à tort les détenus non blancs de façon homogène et ne tient pas compte de ce qui est adapté à la culture des détenus noirs ou pertinent pour ceux-ci, de sorte qu’un nombre disproportionné de membres du groupe ne participent pas aux programmes nécessaires pour réussir leur réinsertion sociale, obtenir des privilèges durant leur incarcération ou bénéficier d’une libération anticipée, qu’ils n’y obtiennent pas des résultats satisfaisants ou les abandonnent en cours de route.

d. L’omission, par le SCC, d’évaluer systématiquement son utilisation de la désignation « groupe menaçant la sécurité » en lien avec les détenus noirs ou de donner une formation à son personnel sur la manière d’appliquer cette désignation sans exercer de discrimination contre les membres du groupe, particulièrement le fait de ne pas s’attaquer au racisme flagrant et dissimulé envers les détenus noirs, comme les stéréotypes liés à leur dangerosité ou à leur criminalité, ce qui fait en sorte qu’ils sont considérés de manière disproportionnée comme étant [traduction] « affiliés à un gang » et se traduit donc par des cotes de sécurité plus élevées et des conditions d’incarcération plus restrictives pour les détenus noirs en tant que groupe et perpétue ou favorise la perception stéréotypée, au sein des établissements et chez les membres du personnel du SCC, selon laquelle les détenus noirs sont plus dangereux, plus enclins à la criminalité et moins dignes d’être protégés des sévices que les détenus non noirs.

e. L’omission, par le SCC, d’évaluer systématiquement son utilisation des transfèrements non sollicités dans le cas des détenus noirs ou de donner une formation à son personnel sur la manière de recourir à ces transfèrements sans exercer de discrimination contre les membres du groupe, particulièrement le fait de ne pas s’attaquer au racisme flagrant et dissimulé envers les détenus noirs, comme les stéréotypes liés à leur dangerosité ou à leur criminalité, ce qui fait en sorte qu’ils sont l’objet de manière disproportionnée de transfèrements non sollicités et se traduit par des cotes de sécurité plus élevées et des conditions d’incarcération plus restrictives pour les détenus noirs en tant que groupe et perpétue ou favorise la perception stéréotypée, au sein des établissements et chez les membres du personnel du SCC, selon laquelle les détenus noirs sont plus dangereux, plus enclins à la criminalité et moins dignes d’être protégés des sévices que les détenus non noirs.

f. L’omission, par le SCC, d’évaluer systématiquement son utilisation des accusations d’infractions disciplinaires à l’endroit des détenus noirs ou de donner une formation à son personnel sur la manière de recourir à ces accusations sans exercer de discrimination contre les membres du groupe, particulièrement le fait de ne pas s’attaquer au racisme flagrant et dissimulé envers les détenus noirs, comme les stéréotypes liés à leur dangerosité ou à leur criminalité, ce qui se traduit par des cotes de sécurité plus élevées et des conditions d’incarcération plus restrictives pour les détenus noirs en tant que groupe et perpétue ou favorise la perception stéréotypée, au sein des établissements et chez les membres du personnel du SCC, selon laquelle les détenus noirs sont plus dangereux, plus enclins à la criminalité et moins dignes d’être protégés des sévices que les détenus non noirs.

[73] La déclaration invoque également ce qui suit, créant ainsi une certaine confusion (au para 35) :

[traduction]

[…] Le groupe ne sollicite pas une indemnisation directe en raison du racisme envers les Noirs, mais allègue plutôt que ce racisme et l’omission du SCC de s’y attaquer, de l’atténuer ou de l’éliminer, adéquatement ou même tout court, engendrent des sévices contre les détenus noirs (selon la définition ci-dessous) ou y contribuent en favorisant et en perpétuant une culture fondée sur le racisme et la discrimination contre les détenus de race noire dans les établissements du SCC, chez les membres de son personnel et les détenus non noirs.

[74] La déclaration définit les sévices contre les détenus noirs de la façon suivante (au para 42) :

[traduction]

a. les voies de fait, les coups, l’usage du gaz poivré et tout autre recours à la force contre les détenus de race noire, sans justification;

b. les violences et les injures raciales à l’endroit des détenus de race noire;

c. le renvoi des détenus noirs à l’isolement cellulaire ou leur incarcération dans des unités d’intervention structurées;

d. la tolérance ou la perpétration de voies de fait ou de sévices de nature physique, émotionnelle et psychologique envers les détenus noirs en mettant ceux-ci dans des situations où ils risquent de subir des voies de fait ou des sévices de la part de détenus non noirs;

e. le fait d’encourager des détenus non noirs à agresser les détenus noirs et à commettre des violences à leur endroit ou de ne pas intervenir quand ces agressions ou violences se produisent.

[75] Bon nombre des objections formulées par le défendeur quant à la portée et au champ d’application de la déclaration se rattachent à la liste longue et non exhaustive d’allégations qui constitueraient du racisme envers les Noirs. Le défendeur affirme qu’un examen [traduction] « de la culture, des politiques, des processus, des pratiques, des actes, des omissions et des instruments utilisés par le SCC et les membres de son personnel qui perpétuent, infligent ou reflètent du racisme, de la discrimination et un parti pris contre les membres du groupe » (déclaration, au para 35) transformerait la présente instance en quelque chose qui se rapproche d’une enquête publique.

[76] Selon le demandeur, la vaste définition du racisme envers les Noirs figurant dans la déclaration ne vise qu’à préciser les circonstances qui ont mené ou contribué aux sévices précis contre les détenus noirs qui sont énoncés au paragraphe 42. Si ces détails ne sont pas utiles ou compliquent inutilement la réclamation, le demandeur propose qu’ils soient écartés ou [traduction] « élagués. »

[77] C’est aux personnes qui demandent l’autorisation qu’il incombe de remplir les conditions énoncées à l’article 334.16 des Règles. Si le rôle de la Cour dans la gestion des recours collectifs envisagés doit être très actif et souple, il ne va pas jusqu’à permettre aux demandeurs de « corriger » leur requête ou à les aider à remplir les conditions fondamentales de l’autorisation. La Cour doit rester un arbitre neutre lorsqu’elle détermine si ces conditions ont été remplies (Buffalo c Nation Crie de Samson, 2010 CAF 165 [Buffalo] aux para 12-13).

[78] Néanmoins, un tribunal est autorisé à supprimer des parties d’un acte de procédure lacunaire pour faire en sorte qu’il révèle seulement des causes d’action viables. Dans l’arrêt Nasogaluak CAF, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’il était approprié de radier des parties de la déclaration attaquant des [traduction] « décisions de politique générale fondamentale » qui sont non justiciables (juge Laskin, au para 42) :

[traduction]

Par conséquent, l’élément de la décision « de politique générale fondamentale » qui concerne l’établissement devrait être élagué de la réclamation fondée sur la négligence systémique : [renvois omis]. À ce stade de l’instance, la meilleure solution consiste à radier les parties de la déclaration modifiée qui invoquent l’établissement dans le cadre du recours pour négligence systémique. Je renverrais l’affaire à la juge des requêtes afin qu’elle statue, à la lumière de l’analyse effectuée en l’espèce, sur toute question relative aux autres parties de l’acte de procédure, le cas échéant, qui présentent des réclamations inadmissibles visant des décisions de « politique générale fondamentale ».

[79] Dans la présente affaire, il est également approprié d’élaguer toute mention du racisme envers les Noirs dans la déclaration, particulièrement la liste longue et non exhaustive d’exemples qui figure au paragraphe 41. Le groupe envisagé ne cherche pas à obtenir réparation pour les nombreux cas de racisme envers les Noirs en soi. Même si le demandeur insiste pour dire que la vaste portée de la définition vise uniquement à décrire les sévices allégués contre les détenus noirs, cette large définition a pour effet de rendre l’acte de procédure lourd et impossible à gérer. L’expression définie « racisme envers les Noirs » apparaît par ailleurs aux paragraphes 2, 3, 4, 8(r), 35, 36, 45, 46, 57, 65, 70, 77, 78(d), 109 et 110 de la déclaration, et ces mentions seront aussi élaguées.

[80] Une fois supprimés les renvois au racisme envers les Noirs, la déclaration se limite à une demande d’indemnisation au titre des sévices contre les détenus noirs, tels qu’ils sont définis au paragraphe 42. À cet égard, l’acte de procédure ressemble davantage à celui qui a été approuvé par notre Cour dans la décision Nasogaluak CF, modifié en conformité avec les motifs de la Cour d’appel fédérale dans Nasogaluak CAF.

(2) La négligence systémique

[81] Le demandeur veut obtenir réparation au nom du groupe envisagé pour ce qui suit : a) le recours inutile à la force; b) les violences et les injures raciales; c) le renvoi injustifié en isolement; d) les voies de fait et sévices de nature physique, émotionnelle et psychologique de la part des détenus non Noirs (déclaration, au para 42). Le demandeur soutient que la prévention de ces transgressions civiles entre dans le champ d’application de l’obligation reconnue imposée aux autorités pénitentiaires, soit celle de prendre des précautions envers ceux qui sont confiés à leur charge (citant MacLean c R, [1973] RCS 2 [MacLean] aux p 6-7).

[82] Le défendeur répond que l’arrêt McClean ne portait pas sur le fonctionnement d’un système, la conception des politiques et de procédures ou une atteinte à des droits garantis par la Charte. Il concernait plutôt l’application simple d’une obligation de diligence en milieu carcéral largement reconnue en common law (citant Brazeau v Canada (Attorney General), 2020 ONCA 184 [Brazeau] au para 117).

[83] Le défendeur soutient donc que l’obligation de diligence invoquée par le demandeur est nouvelle et que la Cour doit en déterminer l’existence par l’application d’un critère à deux volets établi dans l’arrêt Anns v Merton London Borough Council, [1977] 2 All ER 492 (HL) et précisé ultérieurement par la Cour suprême du Canada dans Cooper c Hobart, 2001 CSC 79 [le cadre d’analyse établi dans les arrêts Anns et Cooper]. Bien qu’il ne soit généralement pas nécessaire de passer à la deuxième étape de cette analyse pour les allégations qui sont analogues à une obligation de diligence établie, les deux étapes du cadre d’analyse complet s’appliquent dans les affaires portant sur une obligation de diligence qui n’a pas été reconnue auparavant (Nelson (Ville) c Marchi, 2021 CSC 41 [Marchi], aux para 16-17).

[84] À la première étape du cadre d’analyse établi dans les arrêts Anns et Cooper, le tribunal se demande si le défendeur avait une obligation de diligence prima facie envers le demandeur. Cette obligation est établie s’il existe un lien de proximité entre le demandeur et le défendeur, de sorte que l’omission du défendeur de faire preuve de diligence raisonnable peut, de façon prévisible, causer une perte ou un préjudice au demandeur. Une fois qu’une obligation de diligence prima facie est établie, le tribunal passe à la deuxième étape de l’analyse, où il se demande s’il existe des considérations de politique résiduelles étrangères au lien existant entre les parties qui devraient écarter l’obligation de diligence prima facie (Marchi, aux para 17-18).

[85] Le défendeur admet qu’il y a un lien de proximité suffisant entre les membres du personnel du SCC et les détenus dont ils ont la charge pour étayer l’existence d’une obligation de diligence raisonnable individualisée dans certaines circonstances. Il conteste toutefois l’existence d’une telle obligation envers l’ensemble du groupe basée sur des concepts abstraits et imprécis de violences raciales.

[86] L’arrêt Brazeau portait sur un recours collectif intenté au nom de détenus atteints de maladie mentale qui avaient été mis en isolement préventif. La Cour d’appel de l’Ontario a conclu que le juge des requêtes avait mal interprété et élargi indûment l’obligation de diligence du SCC envers la population carcérale en général (au para 120) :

[traduction]

Bien que les détenus puissent intenter individuellement un recours fondé sur des actes de négligence individuels précis, suivant le principe énoncé dans l’arrêt McLean, une obligation de diligence envers l’ensemble des membres du groupe peut être établie seulement si cette obligation vise à éviter que le même préjudice soit causé à chaque membre du groupe. Il ne s’agit pas ici d’un cas où l’obligation de diligence envers l’ensemble du groupe découle d’un seul acte ou incident, par exemple l’écrasement d’un avion ou le déraillement d’un train. L’obligation alléguée se rattache plutôt à différents actes commis dans différentes circonstances à l’endroit de différentes personnes. Ces actes peuvent être considérés comme étant identiques seulement parce qu’ils sont tous liés à la mise en œuvre d’une politique ou d’un régime réglementaire en matière de gestion des prisons. La principale négligence alléguée dans la déclaration modifiée se serait produite à l’étape de l’élaboration des politiques. La négligence sur le plan opérationnel est invoquée à titre subsidiaire et se fonderait sur des situations individuelles.

[87] Cependant, comme la souligné la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Nasogaluak CAF, au paragraphe 47, environ un an après avoir rendu son jugement dans l’affaire Brazeau, la Cour d’appel de l’Ontario s’est exprimée dans les termes suivants dans l’arrêt Francis v Ontario, 2021 ONCA 197 [Francis], au paragraphe 103 :

[traduction]

Il s’ensuit, étant donné la nature de la relation, qu’il pouvait être raisonnablement prévisible que des actions causent un préjudice à un détenu. Encore une fois, il est reconnu que c’est le cas sur une base individuelle, et nous ne voyons aucune raison de principe justifiant que ce ne soit pas le cas pour l’ensemble du groupe. Si des mesures identiques sont prises à l’endroit des détenus, ou d’un sous-groupe de détenus, et qu’un préjudice résulte de ces mesures, le risque est aussi prévisible pour l’ensemble du groupe que pour chaque individu.

[88] Dans l’arrêt Nasogaluak CAF, aux paragraphes 46 et 49, la Cour d’appel fédérale a conclu que la portée du principe énoncé dans l’arrêt MacLean reste irrésolue et qu’il n’était pas évident et manifeste, à l’étape de l’examen préliminaire d’une requête en autorisation, qu’il existait une cause valable d’action fondée sur la négligence systémique.

[89] La déclaration dans la présente affaire ressemble énormément à celle qui a été approuvée par notre Cour dans l’affaire Nasogaluak CF, modifiée en conformité avec les motifs de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Nasogaluak CAF. Les allégations qui suivent sont tirées presque textuellement de l’acte de procédure déposé dans l’affaire Nasogaluak CF, mais elles sont modifiées en fonction de la situation des membres du groupe envisagé en l’espèce :

[traduction]

Négligence

58. Le défendeur a une obligation de diligence envers les membres du groupe en tant que personnes incarcérées.

[…]

62. Le défendeur, que ce soit directement ou par l’intermédiaire du personnel du SCC, avait un lien de proximité avec les membres du groupe parce que c’est lui qui exploitait les établissements du SCC durant la période visée par le recours collectif. En raison de sa conduite dans l’exploitation des établissements du SCC, du contrôle exercé sur les activités du personnel du SCC, de sa prise en charge et de la garde des détenus noirs ainsi que des pouvoirs et des responsabilités qui lui sont confiés par le législateur à l’égard de ces questions, le défendeur et le personnel du SCC avaient un lien de proximité avec les membres du groupe.

63. Durant la période visée par le recours collectif, les membres du groupe relevaient de la garde et du contrôle du SCC ainsi que de son personnel pendant leur séjour dans les établissements du SCC et s’attendaient à ne pas recevoir du défendeur un traitement qui leur causerait des préjudices physiques ou émotionnels.

64. Le défendeur savait ou aurait dû savoir que le financement, la surveillance, la gestion, la supervision, le contrôle, le maintien et le soutien des établissements du SCC pourraient causer et causeraient aux membres du groupe des préjudices physiques et émotionnels ouvrant droit à une indemnisation. Le défendeur était précisément au courant des préjudices effectivement causés aux membres du groupe, étant donné les rapports internes, les informations circulant dans la collectivité, les plaintes déposées par des membres du groupe et d’autres formes d’examen public visant les cas de négligence et les manquements dont il est question dans la présente instance.

65. Le défendeur savait ou aurait dû savoir que son omission de prendre des mesures raisonnablement diligentes pour prévenir […] les sévices contre les détenus noirs causerait des préjudices aux membres du groupe.

66. Le défendeur savait ou aurait dû savoir que son omission de veiller à ce que les établissements exploités par le SCC et les membres du personnel du SCC appliquent aux détenus noirs les mêmes normes qu’aux détenus non noirs causerait un préjudice aux membres du groupe.

67. Les membres du groupe s’attendaient raisonnablement à ce que le SCC exploite ses établissements d’une manière essentiellement similaire en ce qui concerne les soins offerts, le contrôle exercé et la supervision dispensée aux détenus non noirs durant la période visée par le recours collectif.

68. Le Canada avait l’obligation d’établir, de financer et d’exploiter les établissements du SCC en respectant la norme de diligence raisonnable, ce qui inclut notamment ce qui suit :

a. établir, mettre en œuvre et appliquer des politiques et procédures appropriées pour veiller à ce que les membres du groupe ne subissent pas de sévices physiques, émotionnels et psychologiques, c’est-à-dire les sévices contre les détenus noirs;

b. établir, mettre en œuvre et appliquer des politiques et procédures appropriées pour veiller à ce que les membres du groupe ne subissent pas de préjudice inutilement ou de façon inacceptable durant leur incarcération;

c. faire en sorte que les membres du personnel du SCC, qui sont les agents du défendeur, possèdent les connaissances, les titres professionnels et la formation nécessaires pour s’acquitter de leurs obligations en emploi sans causer de préjudices physiques, émotionnels ou psychologiques aux membres du groupe;

d. mener des enquêtes, trancher des différends et, au besoin, transmettre aux organismes d’application de la loi compétents toute plainte formulée par un membre du groupe en raison de sévices physiques ou émotionnels;

e. surveiller les actes et les comportements des membres du personnel du SCC de manière à protéger les membres du groupe des sévices contre les détenus noirs et d’autres actes de brutalité;

f. agir en temps opportun et de manière concertée, entre autres en établissant et en appliquant des politiques et des procédures qui permettent d’éviter la répétition de sévices contre les détenus noirs;

g. s’acquitter de toute autre obligation que le demandeur peut recommander et que la Cour peut envisager.

[90] Malgré la grande similitude entre les actes de plaidoirie déposés dans l’affaire Nasogaluak CF et ceux de la présente instance, le défendeur soutient que les arguments fondés sur la négligence systémique ne sont pas comparables. Selon lui, la décision Nasogaluak CF portait sur les mêmes actes, soit la détention et des voies de fait, posés dans des contextes très semblables, celui de petites collectivités dans les territoires nordiques. Ce n’est pas ce dont il s’agit en l’espèce, où les allégations reposent sur de nombreuses formes différentes de préjudice subies dans un large éventail de contextes institutionnels.

[91] Je ne suis pas d’accord. Les allégations formulées dans l’affaire Nasogaluak CF visent un éventail tout aussi large de contextes, certains de nature institutionnelle, d’autres, non. Les réclamations s’étendent à toutes les interactions entre les membres de la Gendarmerie royale du Canada [la GRC] et des Autochtones dans les territoires nordiques depuis 1928 qui ont impliqué une détention et des présumées voies de fait. Le contexte n’est pas limité aux détachements de la GRC : M. Nasogaluak a été arrêté pendant qu’il conduisait sa motoneige dans la campagne.

[92] Dans l’arrêt Greenwood CAF, la Cour d’appel fédérale a confirmé l’autorisation du recours collectif pour négligence fondé sur le harcèlement en milieu de travail au nom de tous les membres de la GRC et des réservistes à partir de 1995 jusqu’à l’entrée en vigueur des conventions collectives (au para 175). L’éventail des actes reprochés et des préjudices allégués dans l’arrêt Greenwood CAF est au moins aussi vaste que les contextes visés dans la présente instance.

[93] En plus des affaires Nasogaluak CAF et de Greenwood CAF, des recours collectifs fondés sur des allégations de torts systémiques envers un groupe dans son ensemble ont été autorisés par notre Cour à maintes reprises (p ex, Merlo c Canada, 2017 CF 51; Tiller c Canada, 2019 CF 895; Ross et al v Her Majesty the Queen (décision non publiée, 18 juin 2018, dossier no T-370-17); Heyder c Canada (Procureur général), 2019 CF 1477). Dans toutes ces décisions, les allégations visaient un large éventail d’actes et d’omissions de la part d’un grand nombre de personnes et de plaignants sur de longues périodes. Il ressort de plus en plus clairement de la jurisprudence de notre Cour et de la Cour d’appel fédérale que la nature systémique de la faute présumée ne fera pas obstacle à l’autorisation.

[94] Appliquant les arrêts Nasogaluak CAF et Greenwood CAF à l’étape de l’examen préliminaire d’une requête en autorisation, je constate qu’il n’est pas évident et manifeste que la déclaration ne révèle pas de cause d’action valable fondée sur la négligence systémique.

(3) L’article 7 et le paragraphe 15(1) de la Charte

[95] Les parties s’entendent sur le critère qui permet de décider si l’acte de procédure révèle une cause d’action valable relativement à l’article 7 de la Charte. Ainsi, le demandeur doit démontrer qu’une loi ou mesure gouvernementale « porte atteinte à sa vie, à sa liberté ou à la sécurité de sa personne, ou l’en prive et que la privation n’est pas conforme aux principes de justice fondamentale » (Ewert c Canada, 2018 CSC 30 au para 68).

[96] Une cause d’action valable relativement au paragraphe 15(1) de la Charte oblige le demandeur à démontrer que la loi ou la mesure de l’État contestée : a) crée, à première vue ou de par son effet, une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue; b) impose un fardeau ou nie un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer le désavantage (R c Sharma, 2022 CSC 39 au para 28).

[97] Dans l’arrêt Nasogaluak CAF, la Cour d’appel fédérale a confirmé que la déclaration révélait une cause d’action valable relativement à l’article 7 de la Charte et a souligné que la réclamation fondée sur le paragraphe 15(1) était en grande mesure invoquée de concert avec celle qui reposait sur l’article 7 (aux para 67-68, 78). La Cour d’appel s’est reportée précisément aux paragraphes 1(d), 1(f), 1(g), 15, 23 à 24, 62 à 66 et 70 de la déclaration déposée par le demandeur dans cette affaire. Ces paragraphes sont reproduits presque textuellement dans la déclaration déposée par le demandeur en l’espèce, après avoir été modifiés compte tenu de la situation propre au groupe envisagé :

[traduction]

A. RÉPARATIONS DEMANDÉES :

1. Le demandeur réclame ce qui suit, en son propre nom et au nom du groupe (défini ci-dessous) :

[…]

e) un jugement déclarant que le Canada et ses agents ont violé et continuent de violer de façon systémique l’article 7 et le paragraphe 15(1) de la Charte d’une manière qui ne peut se justifier aux termes de l’article premier de la Charte dans le cadre d’une société libre et démocratique;

g) un jugement déclarant que le Canada doit verser des dommages‑intérêts au titre du paragraphe 24(1) de la Charte pour des violations de l’article 7 et du paragraphe 15(1) de la Charte relativement à des actes commis par le personnel du SCC;

h) des dommages-intérêts généraux se chiffrant à plus de 50 000 $;

i) des dommages-intérêts spéciaux se chiffrant à plus de 50 000 $;

j) des dommages-intérêts au titre du coût des soins futurs se chiffrant à plus de 50 000 $;

k) des dommages-intérêts au titre de la perte de revenu ou de capacité de gagner un revenu, passée ou future, se chiffrant à plus de 50 000 $;

l) des dommages punitifs, exemplaires et/ou majorés se chiffrant à plus de 50 000 $;

[…]

34. En pratique, le SCC contrevient régulièrement à son mandat de traiter les détenus noirs sans discrimination. Le personnel du SCC exerce régulièrement de la discrimination contre les détenus noirs, plus particulièrement en leur infligeant des sévices physiques, émotionnels et psychologiques, que ce soit en ayant recours à une force excessive et inutile à leur endroit, en leur adressant des propos haineux ou en permettant aux autres détenus de le faire ainsi qu’en appliquant des politiques et pratiques discriminatoires qui entraînent un désavantage systémique pour les détenus noirs, tel qu’il est décrit ci-après,

[…]

42. Durant leur incarcération, les membres du groupe sont régulièrement soumis à des sévices physiques, émotionnels et psychologiques de la part du personnel du SCC et des détenus non noirs. Exemples courants de mauvais traitements (les sévices contre les détenus noirs) :

[…]

44. Les détenus non noirs ne subissent pas les mêmes sévices physiques, émotionnels et psychologiques que les membres du groupe.

[…]

71. L’article 7 de la Charte énonce que chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne, et qu’il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

72. En tant que représentant de l’État, le défendeur avait et a toujours des obligations à respecter, conformément à la Charte, envers les membres du groupe.

73. La fréquence, la durée et la gravité des agissements dont sont victimes les membres du groupe aux mains du défendeur et de ses agents, décrits ci-dessus, mettent en jeu les droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne qui sont garantis par la Charte. Cette conduite fautive porte atteinte aux droits des membres du groupe à la vie, la liberté et la sécurité de leur personne qui sont garantis par la Charte.

74. Le recours généralisé à une force excessive de la part du personnel du SCC à l’endroit des membres du groupe est arbitraire et grandement disproportionné au regard des fins auxquelles est destinée l’utilisation de la force en détention. Il n’est conforme à aucun principe de justice fondamentale.

75. Les nombreux sévices contre les détenus noirs sont arbitraires et grandement disproportionnés au regard de l’objet et des principes sous-tendant l’incarcération des membres du groupe tels qu’ils sont énoncés dans la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (la LSCMLC), le Règlement sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition (le RSCMLC) et dans d’autres textes, tel qu’il est décrit ci-dessus aux paragraphes 27-33.

76. Selon le paragraphe 15(1) de la Charte, la loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique ou la couleur.

77. En raison de la conduite du défendeur, dont la discrimination dont il fait preuve dans son traitement des détenus noirs, le racisme contre les Noirs qu’il fait subir aux détenus noirs et les sévices contre les détenus noirs, les membres du groupe sont traités différemment des détenus non noirs et moins bien qu’eux. Cette différence de traitement se fonde sur les motifs énumérés qui sont précisés dans le paragraphe précédent.

78. Compte tenu de ce qui précède, les membres du groupe ont subi de la discrimination fondée, notamment, sur leur race, leur origine nationale ou ethnique et leur couleur. Le Canada a eu une conduite discriminatoire en soi, de même que dans ses effets et son application. Les actes suivants, notamment, sont reprochés au Canada :

a) le défendeur a permis au personnel du SCC de cibler des détenus noirs pendant leur incarcération;

b) le défendeur a permis au personnel du SCC de faire un usage excessif de la force à l’encontre des détenus noirs;

c) le défendeur a permis au personnel du SCC de se livrer à des sévices contre les détenus noirs;

d) le défendeur a fait montre de négligence, d’insouciance ou d’aveuglement volontaire contre les membres du groupe ou a délibérément accepté ou favorisé activement une politique de discrimination […] envers eux.

79. Rien ne justifie, dans le cadre d’une société libre et démocratique, les atteintes du défendeur aux droits garantis à l’article 7 et au paragraphe 15(1) de la Charte.

[98] Les préjudices qu’auraient subis les membres du groupe envisagé sont décrits au paragraphe 80 de la déclaration et sont essentiellement les mêmes qu’au paragraphe 72 de la déclaration examinée par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Nasogaluak CAF.

[99] Selon le défendeur, la déclaration ne contient pas de faits substantiels qui étayent les vagues allégations où il est reproché au SCC de ne pas s’être acquitté de ses obligations légales au titre de l’article 7 et du paragraphe 15(1) de la Charte. Il soutient que le demandeur ne peut affirmer qu’une situation générale, vaguement définie, donne ouverture à un droit d’action pour préjudice corporel, fondé sur des atteintes à des droits individuels protégés par la Charte et visant l’obtention de dommages-intérêts compensatoires (citant KO v British Columbia (Ministry of Health), 2022 BCSC 573 au para 23, conf par 2023 BCCA 289).

[100] Selon le défendeur, la déclaration fait état de simples violations découlant de défaillances systémiques qui sont définies de façon large afin d’englober à peu près n’importe quelle interaction entre le personnel du SCC et des délinquants ou toutes les interactions entre les délinquants. Elle ne relève pas d’actions ou de politiques précises de l’État qui pourraient raisonnablement constituer, directement ou indirectement, une atteinte aux droits protégés à l’article 7. Elle n’invoque pas de faits substantiels expliquant en quoi ces vagues violations vont à l’encontre des principes de justice fondamentale.

[101] Quant au paragraphe 15(1) de la Charte, le défendeur soutient que la déclaration mentionne des actions et inactions trop vagues et indiscernables de la part du SCC. Par exemple, le demandeur reproche au SCC d’avoir [traduction] « permis » à son personnel [traduction] « de se livrer à des sévices contre les détenus noirs, » expression définie qui couvre un large éventail d’actions et d’omissions alléguées. Le défendeur estime qu’il s’agit d’énoncés catégoriques au sujet de comportements non étayés par des faits substantiels.

[102] La déclaration décrit les faits substantiels suivants tirés de l’expérience personnelle de M. Araya :

[traduction]

  • a)Même s’il a été témoin de cas fréquents où des détenus blancs et le personnel du SCC se saluent et plaisantent entre eux, quand M. Araya a voulu faire de même, ses tentatives ont été ignorées par le personnel du SCC (para 89).

  • b)Un moment donné, M. Araya s’est présenté à son agente de libération conditionnelle (ALC) parce qu’il nécessitait des soins médicaux immédiats pour une blessure à la tête. Lorsqu’il lui a demandé d’appeler de l’aide, l’ALC lui a répondu que ce n’était pas sa responsabilité et a refusé de le faire. Lorsque M. Araya s’est rendu à l’installation de soins de santé pour y être soigné, il a été réprimandé par le personnel du SCC au motif qu’il aurait dû consulter d’abord son ALC (para 90-91).

  • c)À une autre occasion, après que M. Araya a informé son ALC qu’il prévoyait continuer d’offrir bénévolement son temps pour être entraîneur de basketball après sa mise en liberté, elle lui a répondu qu’elle ne voudrait pas que quelqu’un comme lui entraîne ses enfants et qu’il était [traduction] « clairement un trafiquant de drogues » (para 92).

  • d)M. Araya a porté plainte pour négligence et discrimination, mais on lui a répondu qu’il n’y avait pas de problème de racisme chez son ALC ni à l’Établissement William Head. Le SCC n’a pris aucune mesure quelle qu’elle soit pour faire enquête et dissiper les inquiétudes de M. Araya (para 93).

  • e)Lorsque M. Araya a reproché à un groupe d’employés des services médicaux et disciplinaires le traitement différent qu’il avait reçu, l’infirmier responsable/en chef de l’Établissement William Head lui a répondu qu’il ne voudrait pas qu’une personne comme M. Araya habite dans son quartier (para 94).

  • f)La décision de M. Araya de signaler ces faits a amplifié la discrimination et le harcèlement de la part des membres du personnel du SCC. Ceux-ci ont tenté régulièrement d’intimider M. Araya pour l’empêcher de faire d’autres signalements en le dévisageant lors des appels nominaux et de l’isolement cellulaire ainsi qu’en négligeant d’intervenir lorsque d’autres détenus avaient un comportement inapproprié à son endroit (para 95).

  • g)Une fois, un détenu blanc a abordé et menacé M. Araya en lui adressant des insultes méprisantes à caractère racial, en utilisant notamment le « mot en n. » Devant cette tentative évidente de provoquer M. Araya, le personnel du SCC qui se trouvait tout près n’est pas intervenu pour mettre un terme au comportement du détenu blanc ou pour imposer des mesures disciplinaires à ce dernier. Lorsque M. Araya a répondu au détenu blanc qu’il ne voulait pas se battre mais qu’il lui [traduction] réglerait son cas si le « mot en n » était répété, le personnel du SCC est rapidement intervenu et a signalé que M. Araya avait menacé le détenu blanc (para 96-97).

  • h)Le personnel du SCC a informé par la suite M. Araya qu’il devait déménager puisque lui et son agresseur vivaient dans le même dortoir. M. Araya a alors appris que, s’il ne pouvait se trouver un autre dortoir qui accepterait de lui faire une place, il serait carrément transféré à un autre établissement. M. Araya a été humilié publiquement et contraint de se présenter à la porte de chaque dortoir pour solliciter une place, alors que son agresseur a été traité comme une victime par le SCC. Ce dernier n’a pris aucune mesure pour mettre fin aux insultes raciales proférées par le détenu blanc (para 98-99).

  • i)À sa sortie de l’Établissement William Head, M. Araya a informé son nouvel ALC que sa partenaire était une Canadienne d’origine indienne. L’ALC a fait savoir à M. Araya qu’il serait nécessaire pour le SCC de [traduction] « réévaluer » la menace de violence conjugale dans cette relation et qu’il [traduction] « savait » comment étaient les femmes indo-canadiennes. Lorsque M. Araya a accusé son nouvel ALC de parti pris racial, l’ALC lui a imposé une série de conditions arbitraires et inutiles, dont les suivantes :

  1. assister régulièrement à des rencontres des Alcooliques anonymes;

  2. consulter un psychiatre;

  3. se chercher un emploi rémunéré;

  4. ne pas fréquenter sa partenaire en raison d’un risque perçu de violence conjugale (para 102-03).

  • j)En raison de la conduite du SCC, M. Araya a subi des préjudices graves et prolongés minant sa dignité et son état mental. Plutôt que de permettre sa réinsertion sociale, la prise en charge de M. Araya par le SCC a créé une autre barrière nuisant à son retour réussi dans la collectivité (para 106).

[103] Rien ne distingue les éléments plaidés en l’espèce de ceux qui ont été approuvés par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Nasogaluak CAF. Dans les deux actes de plaidoirie, le représentant demandeur envisagé décrit sa propre expérience puis formule des allégations générales au nom de l’ensemble du groupe proposé concernant la négligence systémique et les violations de la Charte.

[104] Bien que les allégations fondées sur l’expérience personnelle de M. Araya soient beaucoup moins graves que dans le cas de M. Nasogaluak, l’assertion de M. Araya au sujet des préjudices graves et prolongés minant sa dignité et son état mental qu’il aurait subis doit être considérée, pour les besoins de la requête en autorisation, comme vraie et pouvant être prouvée.

[105] Appliquant l’arrêt Nasogaluak CAF à l’étape de l’examen préliminaire d’une requête en autorisation, je constate qu’il n’est pas évident et manifeste que la déclaration ne révèle pas de cause d’action valable fondée sur la négligence systémique.

B. Existe-t-il un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes?

[106] Pour que la condition relative à l’existence d’un « groupe identifiable » soit remplie, il faut que la preuve établisse un certain fondement factuel permettant une définition objective du groupe qui a un lien rationnel avec le litige, mais ne dépend pas de l’issue de ce dernier (Nasogaluak CAF, au para 84, citant Greenwood CAF, au para 168).

[107] M. Araya cherche à faire autoriser le recours collectif envisagé au nom du groupe suivant :

[traduction]

Toute personne de race noire qui allègue avoir subi des sévices physiques, émotionnels et/ou psychologiques alors qu’elle était incarcérée dans un établissement du SCC à un moment ou à un autre durant la période visée par le recours collectif et qui est en vie à la date à laquelle le recours collectif est autorisé.

[108] Cette définition du groupe envisagé s’inspire de celle qui a été approuvée par le Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Nasogaluak CAF (au para 83) :

[traduction]

Le groupe visé par le recours collectif s’entend des personnes suivantes :

Tous les Autochtones qui allèguent avoir été agressés à un moment ou à un autre alors qu’ils étaient sous la garde ou la détention d’agents de la GRC dans les territoires, et qui étaient en vie le 18 décembre 2016.

[109] Le défendeur soutient que la définition du groupe envisagé est trop large et ne reflète pas l’expérience commune vécue par les membres du groupe. Contrairement au terme « agressés » utilisé dans l’arrêt Nasogaluak CAF, la notion de « sévices » n’est pas claire et pourrait inclure le simple fait d’être incarcéré. Les auteurs allégués des sévices ne sont pas identifiés et pourraient être des détenus non noirs aussi bien que des membres du personnel du SCC. Les endroits où se seraient produits les sévices ne sont pas précisés.

[110] Le défendeur affirme également que les faits substantiels tirés de l’expérience personnelle de M. Araya ne suffisent pas à établir qu’il fait partie lui-même du groupe envisagé.

[111] Ces objections s’apparentent à celles que le défendeur avait présentées à notre Cour dans l’affaire Nasogaluak CF puis réitérées à la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Nasogaluak CAF (aux para 85-87) :

[traduction]

La juge des requêtes n’a pas accepté les arguments du procureur général suivant lesquels la définition du groupe envisagé était imprécise, trop large et ingérable ou, plus spécifiquement, qu’elle était (1) fondée sur des critères non objectifs parce que le simple fait d’avoir formulé une allégation n’est pas suffisamment objectif; (2) inutilement complexe, car elle exigerait de trancher la question de savoir si les personnes concernées seraient considérées comme étant Autochtones au titre de l’article 35 de la Loi constitutionnelle de 1982; (3) trop large parce que la période envisagée pour le recours collectif remontait à 1928; (4) trop inclusive parce que les membres du groupe n’auraient pas vécu du tout la même expérience avec la GRC; (5) ingérable parce que le groupe était composé de personnes formulant des allégations, sans plus; (6) dénuée de tout fondement factuel parce que la preuve par affidavit n'étayait pas les allégations d’agressions illégales; (7) dénuée de lien rationnel avec les questions communes proposées, parce qu’aucun lien de causalité n’était établi dans l’acte de procédure entre les allégations d’agressions et les questions communes.

[112] Dans l’arrêt Nasogaluak CAF, la Cour d’appel fédérale a rejeté l’argument où le défendeur soutenait que la définition du groupe, comme elle était formulée – c’est-à-dire fondée sur des allégations d’agressions – était non pas de nature objective mais bien subjective. Après avoir analysé l’opportunité de définir un groupe d’après des réclamations, la Cour d’appel fédérale a conclu, au paragraphe 93, [traduction] « que la définition du groupe fondée sur des réclamations qui est appliquée dans la présente affaire est suffisamment objective eu égard aux buts visés par la définition du groupe. »

[113] La Cour d’appel fédérale a rejeté les autres arguments soulevés par le défendeur pour attaquer la définition du groupe, soulignant que ces arguments ne tenaient pas compte de la nature systémique [traduction] « descendante » du recours (au para 95) :

[traduction]

Selon le procureur général, les agressions individuelles doivent d’abord être prouvées avant qu’une enquête sur les défaillances systémiques alléguées puisse être enclenchée. Toutefois, les allégations présentées au nom du groupe envisagé soulignent que les préjudices individuels découlaient des défaillances systémiques identifiées dans la déclaration modifiée. Comme l’a reconnu la juge des requêtes au paragraphe 102 de ses motifs :

[i]l ne sera pas nécessaire de procéder à une évaluation individuelle tant que les points communs n’auront pas été tranchés. Il en est ainsi parce qu’il faut déterminer non pas si un agent de la GRC a illégalement agressé un membre du groupe, mais plutôt si le fonctionnement de la GRC crée un système où des agressions illégales se produisent. Une fois ces allégations établies, il sera alors possible de savoir si un membre particulier du groupe a été ou non victime de ce système.

[114] Il en va de même en l’espèce. Selon la déclaration, le SCC aurait créé ou toléré un système qui favorise les sévices contre les détenus noirs, tels qu’ils ont été définis. C’est seulement une fois que ce fait aura été établi qu’il sera possible de savoir si un membre particulier du groupe a été ou non victime de ce système.

[115] Les « sévices contre les détenus noirs » sont définis au paragraphe 42 de la déclaration comme étant a) le recours inutile à la force; b) les violences et les injures raciales; c) le renvoi injustifié en isolement; d) les agressions et sévices de nature physique, émotionnelle et psychologique de la part des détenus non Noirs. Bien que cette définition soit plus large que celle des [traduction] « agressions » alléguées dans l’arrêt Nasogaluak CAF, elle est suffisamment claire. Elle est au moins aussi précise que la définition fondée sur « [l’]intimidation et [le] harcèlement » qui a été approuvée dans l’arrêt Greenwood CAF. Il s’agit aussi de termes qui sont susceptibles d’être compris par les membres du groupe.

[116] Même si M. Araya n’allègue pas avoir été soumis à un recours inutile à la force ou à un isolement inapproprié, il affirme qu’il a bien été la cible de violences et d’injures raciales et qu’il a subi des préjudices émotionnels et psychologiques. Il correspond donc à la définition du groupe envisagé. Il soutient dans son affidavit qu’il connaît au moins cinq ou six personnes qui entrent aussi dans la définition du groupe envisagé. Lorsque ce fait est conjugué au témoignage d’expert du dr Owusu-Bempah ainsi qu’aux nombreux rapports publics et autres documents, il permet de remplir le critère peu exigeant applicable, soit établir un « certain fondement factuel » quant à l’existence d’un groupe identifiable formé d’au moins deux personnes.

[117] Le demandeur propose que la période visée par le recours collectif débute en 1982, le jour où l’article 7 et le paragraphe 15(1) de la Charte sont entrés en vigueur, et prenne fin à la date d’autorisation du présent recours collectif. Le demandeur reconnaît qu’il n’y a pas d’énoncé en dossier comparable à celle de l’ancienne commissaire de la GRC, Brenda Lucki, selon qui la GRC, « au cours de [son] histoire, n’a pas toujours traité les personnes racisées et les Autochtones de façon équitable. » La Cour d’appel fédérale a jugé, dans l’arrêt Nasogaluak CAF, que cet aveu établissait un certain fondement factuel justifiant que la période visée par le recours collectif commence en 1928 et se termine à la date de l’autorisation (au para 96).

[118] Le demandeur soutient que les sévices contre les détenus noirs ont probablement commencé avant la promulgation de la Charte. Celle-ci a néanmoins suscité une plus grande prise de conscience au sein du SCC concernant la nécessité de veiller à ce qu’il n’y ait pas de violences raciales dans ses établissements. Subsidiairement, le demandeur affirme que c’est au moins depuis 1995 que des rapports publics font état du traitement différent réservé aux détenus de race noire (voir G Toni Williams, Rapport de la Commission sur le racisme systémique dans le système de justice pénale en Ontario (Toronto, Imprimeur de la Reine, 1995)).

[119] Le témoignage d’expert du dr Owusu-Bempah relativement à la nature omniprésente et historique de la discrimination envers les détenus noirs, appuyé par la preuve documentaire, suffit à établir un certain fondement factuel justifiant que la période visée par le recours collectif s’étende depuis l’entrée en vigueur de la Charte jusqu’à la date de l’autorisation du présent recours. Il importe de souligner, toutefois, que le paragraphe 15(1) de la Charte est entré en vigueur seulement le 17 avril 1985, soit trois années après l’édiction de la Charte (Loi constitutionnelle de 1982, para 32(2)). Il est bien établi que le paragraphe 32(2) ne peut être appliqué rétroactivement (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Taylor, 2007 CAF 349 au para 106).

[120] La garantie du droit à l’égalité réside au cœur des réclamations du demandeur fondées sur la Charte, et il est donc approprié de fixer le début de la période visée par le recours collectif au 17 avril 1985 pour le groupe. Le commentaire de la Cour d’appel fédérale au paragraphe 97 de Nasogaluak CAF est aussi pertinent en l’espèce :

[traduction]

Il est vrai que la gestion du groupe, tel qu’il est défini, présentera probablement certains défis à cause de la longueur de la période visée par le recours collectif et du caractère disparate des lieux pertinents, mais il existe des techniques qui permettent d’y répondre : voir l’arrêt Rumley aux para 31-32. En outre, l’ajout d’une condition dans la définition du groupe, soit que celui-ci englobe seulement des membres encore en vie à la date de l’autorisation, devrait venir atténuer un peu la complexité.

[121] Il n’est ni nécessaire ni approprié de s’attarder aux délais de prescription ou aux interdictions légales relativement aux indemnités à l’étape de l’autorisation. Dans les cas où une question concernant la prescription nécessite une enquête factuelle, elle ne devrait pas être tranchée dans le cadre d’une requête en autorisation (Amyotrophic Lateral Sclerosis Society of Essex v Windsor (City), 2015 ONCA 572 au para 41).

C. Les réclamations des membres du groupe soulèvent-elles des points de droit ou de fait communs?

[122] Dans l’arrêt Nasogaluak CAF, au paragraphe 100, la Cour d’appel fédérale a repris les commentaires qu’elle avait formulés dans l’arrêt Greenwood CAF, au paragraphe 180 :

L’analyse qui permet de déterminer si un recours collectif proposé présente les questions communes nécessaires pour en justifier l’autorisation est téléologique. Elle examine les questions communes pour décider si elles constituent un élément essentiel des réclamations de chaque membre, et si leur examen commun permettra d’éviter la répétition dans l’appréciation des faits ou l’analyse juridique. Il n’est pas essentiel que les questions communes prédominent sur celles qui ne concernent qu’un membre, que les réponses à ces questions permettent d’établir la responsabilité ou que les membres du groupe soient dans une situation identique par rapport aux questions communes. L’existence des questions communes sera confirmée si elles permettent de faire avancer les réclamations des membres du groupe, ce qui sera le cas à moins que des questions individuelles aient une importance beaucoup plus grande […]

[123] Le demandeur énonce les questions de droit ou de fait communes suivantes :

[traduction]

1. Existe-t-il du racisme envers les Noirs au sein du SCC et, le cas échéant :

a) Est-ce qu’il favorise et perpétue une culture de racisme et de discrimination envers les détenus noirs? Dans l’affirmative, cette culture engendre-t-elle des sévices physiques, émotionnels et/ou psychologiques contre les membres du groupe, ou y contribue-t-elle?

b) Le SCC savait-il ou aurait-il dû savoir qu’il y avait du racisme envers les Noirs? Dans l’affirmative, depuis quand?

c) Le SCC a-t-il pris des mesures adéquates pour éliminer ou atténuer le racisme envers les Noirs?

2. Du fait de sa gestion du SCC ou du fonctionnement de celui-ci, le défendeur a-t-il manqué à son obligation de diligence envers les membres du groupe pour ce qui est de les protéger contre un préjudice physique ou psychologique donnant lieu à un droit d’action?

3. Du fait de sa gestion du SCC ou du fonctionnement de celui-ci, le défendeur a-t-il violé le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne des membres du groupe, droit garanti à l’article 7 de la Charte?

4. Si la réponse à la question commune 3 est affirmative, les actes du défendeur ont-ils porté atteinte aux droits des membres du groupe d’une manière qui va à l’encontre des intérêts de la justice fondamentale au titre de l’article 7 de la Charte?

5. Les actes du défendeur ont-ils porté atteinte au droit des membres du groupe à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination fondée sur la race, l’origine nationale ou ethnique ou la couleur, droit garanti à l’article 15 de la Charte?

6. Si la réponse aux questions communes 3, 4 ou 5 est affirmative, les actes du défendeur sont-ils justifiés aux termes de l’article premier de la Charte et, le cas échéant, dans quelle mesure et pour quelle période?

7. Si la réponse aux questions communes 3, 4 ou 5 est affirmative, mais que la réponse à la question commune 6 est négative, des dommages-intérêts constituent-ils une réparation convenable et juste au titre de l’article 24 de la Charte?

8. La conduite du défendeur justifie-t-elle l’octroi de dommages-intérêts punitifs?

9. Si la réponse à la question commune 8 est affirmative, quel montant devrait être adjugé à titre de dommages-intérêts punitifs à l’encontre du défendeur?

[124] Dans leurs observations orales, les avocats du demandeur ont admis que la question 1, relativement à l’existence d’un racisme envers les Noirs tel qu’il est défini dans la déclaration, pourrait devoir être élaguée afin que l’instance ne devienne pas lourde ou ingérable. À la lumière de la conclusion que j’ai tirée sur cet aspect de l’acte de procédure, je suis d’avis que les questions 1, 1a), b) et c) ne peuvent pas être autorisées.

[125] Les autres questions communes sont inspirées de celles qui ont été approuvées par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Nasogaluak CAF. L’apparente réticence du SCC à mettre en œuvre les recommandations formulées dans les rapports publics afin de s’attaquer aux violences raciales systémiques dans les établissements correctionnels pourrait exposer le défendeur à des dommages-intérêts punitifs.

[126] Il est clair, à la lecture du texte explicite de l’alinéa 334.16(1)c) des Règles, qu’il est possible de cerner des « points communs, » dont l’existence est une condition préalable à l’autorisation, que ces points communs prédominent ou non sur ceux qui ne concernent qu’un membre. De nombreuses réclamations de nature systémique semblables à celles qui sont énoncées dans la présente affaire ont été jugées remplir cette condition (ou d’autres exigences similaires imposées par d’autres administrations) dans de nombreux arrêts (Nasogaluak CAF au para 106, citant Rumley c Colombie-Britannique, 2001 CSC 69 [Rumley] aux para 27, 30; Canada c M Untel, 2016 CAF 191 [M Untel] au para 63; Greenwood c Canada, 2020 CF 119 [Greenwood CF] aux para 59-70, conf par Greenwood CAF aux para 183-184; Francis, aux para 106-107).

[127] À l’exception des premières questions communes proposées quant à l’existence du racisme envers les Noirs, et compte tenu du précédent établi dans Nasogaluak CAF, je conclus que le demandeur a satisfait à la condition qui consiste à soulever des points de droit ou de fait communs. L’examen de ces points conjointement permettra de ne pas avoir à répéter l’appréciation des faits et l’analyse juridique.

D. Le recours collectif est-il le meilleur moyen de régler le litige?

[128] Dans l’analyse du meilleur moyen de régler le litige, la Cour doit examiner tous les moyens raisonnables offerts pour régler les demandes des membres du groupe, et non seulement la possibilité d’intenter des actions individuelles. La Cour doit donc évaluer les autres recours judiciaires possibles ainsi que les voies de droit extrajudiciaires (AIC Limitée c Fischer, 2013 CSC 69 [Fischer] au para 35).

[129] Après le recensement des autres voies de droit possibles, il faut évaluer la mesure dans laquelle ces autres voies résolvent les problèmes particuliers d’accès à la justice qui se posent dans les circonstances. La Cour doit examiner les aspects procéduraux et substantiels de la notion d’accès en gardant à l’esprit que la voie judiciaire n’est pas nécessairement la modalité idéale de règlement équitable et efficace des différends. Elle doit se demander si l’autre moyen permettra de régler utilement les demandes quant au fond tout en assurant aux demandeurs la possibilité d’exercer des droits procéduraux adéquats (Fischer, au para 37).

[130] L’analyse du meilleur moyen s’effectue à la lumière des trois principaux objectifs du recours collectif : l’économie des ressources judiciaires, la modification des comportements et l’accès à la justice (Nasogaluak CAF, au para 116). Un recours collectif peut « permettre de surmonter les obstacles d’ordre psychologique ou social par le truchement du représentant, qui informe les membres du groupe et dirige le recours pour leur compte » (Fischer, au para 29).

[131] Le défendeur soutient que les allégations présentées au nom du groupe envisagé englobent un éventail tellement vaste d’actes et d’omissions, de lieux et de dates qu’il n’existe aucun moyen qui serait le meilleur à lui seul. Selon les circonstances, il pourra être préférable pour les membres du groupe de se prévaloir du processus de traitement des griefs des détenus conjugué à un contrôle judiciaire ou de déposer une plainte en matière de droits de la personne fondée sur des politiques et pratiques institutionnelles discriminatoires ou bien d’intenter des actions individuelles au civil (dont la poursuite pour préjudice corporel déposée par M. Araya à la Cour suprême de la Colombie-Britannique).

[132] Le défendeur prie la Cour de suivre l’exemple du juge Paul Perell, de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, dans la décision Carcillo v Canadian Hockey League, 2023 ONSC 886 [Carcillo], qui a refusé d’autoriser un recours collectif envisagé fondé sur la négligence systémique d’un grand nombre de ligues et de clubs de hockey (au para 396) :

[traduction]

[…] peut-être que la raison la plus simple expliquant pourquoi le recours collectif envisagé en l’espèce fondé sur la négligence systémique et la violence institutionnelle n’est pas le meilleur moyen de régler le litige tient au fait qu’il serait impossible de gérer le recours collectif envisagé et qu’aucun plan de déroulement de l’instance, certainement pas le plan général proposé par les avocats du groupe, ne pourrait rendre le recours gérable. La Cour devrait gérer ce qui suit : a) les moyens de défense individuels de 78 défendeurs dans 13 administrations différentes; b) des centaines de réclamations inévitables présentées par des tiers contre les véritables auteurs des crimes, les pédophiles, sadiques et sociopathes qui n’ont apparemment rien vu de mal à torturer leurs coéquipiers; c) des « sévices » qui englobent une myriade de fautes et de délits; d) des événements répartis sur 50 ans; e) des enjeux liés au choix des règles juridiques applicables : la common law, le droit civil et peut-être le droit américain; f) les moyens de défense fondés sur les délais de prescription; etc.

[133] D’après le défendeur, l’expérience [traduction] « qui n’a pas été tout à fait positive » (not entirely happy, en anglais) dans l’arrêt Rumley sert aussi de mise en garde (Carcillo, au para 410, citant les commentaires du juge Frans Slatter dans la décision TL v Alberta (Director of Child Welfare), 2006 ABQB 104 aux para 108-109) :

[traduction]

Il est intéressant de souligner que l’expérience vécue dans le cadre du recours intenté dans l’affaire Rumley n’a pas été tout à fait positive. Une demande de révocation de la certification a été déposée par la suite : Rumley v British Columbia (# 2), 2003 BCSC 234, 12, BCLR (4th) 121. Au fur et à mesure que le litige avançait, il est devenu évident que ce qui devait être une instance destinée à établir s’il y avait eu négligence systémique était en train de se transformer au fond en un procès portant sur différents cas individuels de sévices : […]

La juge en cabinet a été amenée à conclure que la difficulté résidait dans le fait que toute cette information devait certainement avoir été présentée à la Cour d’appel quand elle a décidé qu’il était possible de certifier le recours collectif sur la base d’une question commune, mais je souligne que la loi prévoit expressément la révocation pour la simple raison qu’il est impossible pour un tribunal de prédire avec exactitude le déroulement d’un recours collectif. La décision Rumley démontre qu’il n’est pas possible de prouver la négligence systémique en faisant la preuve de nombreux exemples individuels de négligence. Une lecture attentive de la décision Rumley (# 2) est éclairante, parce qu’il est évident que, si la juge examinait de nouveau la requête, elle ne certifierait pas la négligence systémique comme question commune. Même si elle était d’avis que le recours collectif pouvait se poursuivre grâce à une gestion « dynamique » de l’instance et un certain peaufinage des questions communes, la juge responsable de la gestion de l’instance a bel et bien conclu au para 91 que l’instance se trouvait dans un équilibre précaire entre un recours collectif efficace et une confusion impossible à gérer.

[134] Dans la décision Carcillo, le juge Perell a tiré la conclusion suivante (au para 413) :

[traduction]

[…] il peut être préférable d’intenter directement un procès fondé sur les cas individuels de négligence sans tomber dans le marasme d’un procès portant sur des questions communes. Il est ironique de constater que, souvent, lorsqu’un recours collectif fondé sur des sévices institutionnels est certifié parce qu’il s’agit du meilleur moyen de régler le litige, il aurait été plus facile et plus rapide pour un membre du groupe de prouver sa victimisation et son préjudice individuels au lieu d’attendre des années que la poursuite pour négligence systémique aboutisse. L’arrêt Cavanaugh v Grenville Christian College illustre cette ironie, phénomène qui se produirait en l’espèce si je certifiais le recours collectif gigantesque qui est envisagé.

[135] Un recours collectif fondé sur la négligence systémique attribuable à de nombreux actes et omissions de la part de différentes personnes dans divers contextes institutionnels pendant une longue période pose des défis énormes. Cependant, ces mêmes défis étaient clairement présents dans les arrêts Nasogaluak CAF et Greenwood CAF, ce qui n’a pas empêché la Cour d’autoriser les recours collectifs.

[136] L’affaire Carcillo comportait 78 défendeurs dans 13 administrations, certaines en dehors du Canada. Dans le recours collectif envisagé en l’espèce, il y a un seul défendeur et une seule institution : le SCC. Il est vrai que le défendeur a déposé certains éléments de preuve qui soulignent les différences entre les établissements du SCC à l’échelle du Canada, mais il n’en a présenté aucun qui permet de croire que l’application de politiques et de pratiques influant sur le traitement des détenus noirs différait d’un endroit à l’autre.

[137] La décision Rumley concernait un recours collectif visant un seul défendeur, plus précisément un pensionnat pour enfants sourds. C’était toutefois le cas aussi des recours collectifs autorisés dans les décisions Nasogaluak CF, M Untel, Greenwood CF, Francis, etc. Comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale (juge Rennie) dans l’arrêt Salna c Voltage Pictures, LLC, 2021 CAF 176, au paragraphe 103, les conjectures à l’égard de l’existence possible de plusieurs scénarios factuels différents ne sont pas convaincantes et ne justifient pas de refuser l’autorisation. Les dispositions des Règles sont empreintes d’une certaine souplesse, de sorte qu’il y a de nombreuses solutions pour régler les questions individuelles qui pourraient survenir. Il s’agit notamment de la création de sous-groupes reposant sur des faits similaires (paragraphe 334.16(3)) et d’une évaluation des points individuels supervisée par la Cour (article 334.26). Si le recours collectif lancé devient ingérable, les Règles permettent la modification des actes de procédure, voire le retrait de l’autorisation si les conditions d’autorisation ne sont plus respectées (article 334.19).

[138] Le demandeur décrit les détenus, ce qui est raisonnable, comme un groupe vulnérable. Si le recours collectif envisagé en l’espèce n’est pas autorisé, il est peu probable que des membres du groupe vont individuellement exercer d’autres recours. Dans l’éventualité où les allégations formulées dans la déclaration s’avèrent fondées, aucun moyen ne sera offert pour réparer les torts infligés au groupe envisagé, autrement que par la voie d’un recours collectif.

[139] À la lumière des objectifs visés, soit l’économie des ressources judiciaires, la modification des comportements et l’accès à la justice, ainsi que du nombre croissant de précédents qui justifient d’autoriser le recours collectif dans des circonstances similaires, le recours collectif en l’espèce offre le meilleur moyen de régler les réclamations du groupe envisagé.

E. M. Araya est-il un représentant demandeur convenable pour le groupe?

[140] Le défendeur met en doute l’aptitude de M. Araya à représenter le groupe pour de nombreuses raisons. Son témoignage manquerait de crédibilité ou de fiabilité. Il a déposé une poursuite civile distincte à la Cour suprême de la Colombie-Britannique. En contre-interrogatoire, il a fait preuve d’une piètre compréhension de la procédure régissant les recours collectifs. Son plan de déroulement de l’instance est superficiel et contient des estimations irréalistes du temps requis pour franchir les étapes nécessaires avant le procès sur les questions communes.

[141] J’ai répondu ci-dessus aux objections formulées par le défendeur relativement à la crédibilité et à la fiabilité de M. Araya. Je ne suis pas convaincu que les critiques dirigées contre le témoignage de M. Araya soient suffisantes pour que la Cour remette la crédibilité de celui-ci en question, particulièrement à cause du seuil peu élevé en matière de preuve applicable à une requête en autorisation d’un recours collectif envisagé, soit l’obligation d’établir « un certain fondement factuel. »

[142] La poursuite civile intentée par M. Araya contre le défendeur à la Cour suprême de la Colombie-Britannique se fonde sur un préjudice corporel et ne mentionne aucunement les violences raciales. Si des allégations chevauchent celles qui ont été autorisées dans le recours collectif envisagé en l’espèce, l’incidence de la poursuite civile distincte peut être réglée conformément au paragraphe 334.21(2) des Règles au moment approprié.

[143] À l’instar de nombreux représentants demandeurs dans des recours collectifs, M. Araya s’appuiera sur les conseils d’avocats d’expérience pour faire son chemin à travers les règles de procédure applicables de la Cour. Étant donné que le groupe envisagé est constitué de membres d’une population vulnérable, il peut être irréaliste de s’attendre à ce que ces personnes aient des connaissances très poussées du déroulement d’une instance devant la Cour. S’il devient apparent, à une étape quelconque de l’instance, que M. Araya n’est pas en mesure de jouer son rôle de représentant demandeur, il peut être remplacé par un autre membre du groupe.

[144] Les avocats du demandeur sont conscients que le plan de déroulement de l’instance est en constante évolution. Le plan de litige approuvé par la Cour dans Nasogaluak CF était très semblable. Les détails du plan de déroulement de l’instance en l’espèce continueront de changer au fur et à mesure qu’avance le processus de gestion de l’instance (Buffalo, aux para 12-13).

[145] M. Araya a établi un certain fondement factuel qui permet de croire qu’il est un représentant demandeur convenable.

V. Conclusion

[146] La définition du « racisme envers les Noirs » figurant au paragraphe 41 de la déclaration sera supprimée pour que l’instance soit gérable et limitée aux allégations de fautes pour lesquelles une indemnisation est demandée. Les termes définis apparaissent par ailleurs aux paragraphes 2, 3, 4, 8(r), 35, 36, 45, 46, 57, 65, 70, 77, 78(d), 109 et 110 de la déclaration, et ces mentions seront également supprimées.

[147] Sous réserve de ces modifications, la déclaration révèle une cause d’action valable fondée sur la négligence systémique de même que sur l’article 7 et le paragraphe 15(1) de la Charte.

[148] Le demandeur a établi un certain fondement factuel pour ce qui est de l’existence d’un groupe formé d’au moins deux personnes, défini comme suit :

[traduction]

Toute personne de race noire qui allègue avoir subi des sévices physiques, émotionnels et/ou psychologiques alors qu’elle était incarcérée dans un établissement du SCC à un moment ou à un autre durant la période visée par le recours collectif et qui est en vie à la date à laquelle le recours collectif est autorisé.

[149] La période visée par le recours collectif s’étend du 17 avril 1985 jusqu’à la date d’autorisation du recours collectif.

[150] Les points de droit et de fait communs sont les suivants :

1. Du fait de sa gestion du SCC ou du fonctionnement de celui-ci, le défendeur a-t-il manqué à son obligation de diligence envers les membres du groupe pour ce qui est de les protéger contre un préjudice physique ou psychologique donnant lieu à un droit d’action?

2. Du fait de sa gestion du SCC ou du fonctionnement de celui-ci, le défendeur a-t-il violé le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne des membres du groupe, droit garanti à l’article 7 de la Charte?

3. Si la réponse à la question commune 3 est affirmative, les actes du défendeur ont-ils porté atteinte aux droits des membres du groupe d’une manière qui va à l’encontre des intérêts de la justice fondamentale au titre de l’article 7 de la Charte?

4. Les actes du défendeur ont-ils porté atteinte au droit des membres du groupe à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination fondée sur la race, l’origine nationale ou ethnique ou la couleur, droit garanti à l’article 15 de la Charte?

5. Si la réponse aux questions communes 2, 3 ou 4 est affirmative, les actes du défendeur sont-ils justifiés aux termes de l’article premier de la Charte et, le cas échéant, dans quelle mesure et pour quelle période?

6. Si la réponse aux questions communes 2, 3 ou 4 est affirmative, mais que la réponse à la question commune 5 est négative, des dommages-intérêts constituent-ils une réparation convenable et juste au titre de l’article 24 de la Charte?

7. La conduite du défendeur justifie-t-elle l’octroi de dommages-intérêts punitifs?

8. Si la réponse à la question commune 7 est affirmative, quel montant devrait être adjugé à titre de dommages-intérêts punitifs à l’encontre du défendeur?

[151] Le demandeur a établi un certain fondement factuel qui amène à conclure qu’un recours collectif est le meilleur moyen de régler le litige.

[152] M. Araya a établi un certain fondement factuel qui amène à conclure qu’il est un représentant demandeur convenable.

[153] Le recours collectif envisagé sera autorisé en conséquence.

[154] Conformément à l’article 334.39, aucuns dépens ne seront adjugés.


ORDONNANCE

LA COUR REND L’ORDONNANCE suivante :

  1. La requête en vue de faire autoriser l’instance comme recours collectif est accueillie.

  2. Le groupe est défini comme suit :

Toute personne de race noire qui allègue avoir subi des sévices physiques, émotionnels et/ou psychologiques alors qu’elle était incarcérée dans un établissement du Service correctionnel du Canada [le SCC] à un moment ou à un autre durant la période visée par le recours collectif et qui est en vie à la date à laquelle le recours collectif est autorisé.

  1. La période visée par le recours collectif s’étend du 17 avril 1985 jusqu’à la date de la présente ordonnance.

  2. M. Abel Araya est nommé représentant demandeur.

  3. Les réclamations présentées au nom du groupe sont les suivantes :

  • a)il y a eu négligence systémique qui a donné lieu à des sévices contre les détenus noirs;

  • b)il y a eu violation de l’article 7 et du paragraphe 15(1) de la Charte canadienne des droits et libertés.

  1. Le groupe demande réparation sous forme de dommages-intérêts, dont des dommages-intérêts punitifs, en vertu de la common law et au titre de l’article 24 de la Charte canadienne des droits et libertés.

  2. Les points de droit et de fait communs du groupe sont les suivants :

1. Du fait de sa gestion du SCC ou du fonctionnement de celui-ci, le défendeur a-t-il manqué à son obligation de diligence envers les membres du groupe pour ce qui est de les protéger contre un préjudice physique ou psychologique donnant lieu à un droit d’action?

2. Du fait de sa gestion du SCC ou du fonctionnement de celui-ci, le défendeur a-t-il violé le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne des membres du groupe, droit garanti à l’article 7 de la Charte?

3. Si la réponse à la question commune 3 est affirmative, les actes du défendeur ont-ils porté atteinte aux droits des membres du groupe d’une manière qui va à l’encontre des intérêts de la justice fondamentale au titre de l’article 7 de la Charte?

4. Les actes du défendeur ont-ils porté atteinte au droit des membres du groupe à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination fondée sur la race, l’origine nationale ou ethnique ou la couleur, droit garanti à l’article 15 de la Charte?

5. Si la réponse aux questions communes 2, 3 ou 4 est affirmative, les actes du défendeur sont-ils justifiés aux termes de l’article premier de la Charte et, le cas échéant, dans quelle mesure et pour quelle période?

6. Si la réponse aux questions communes 2, 3 ou 4 est affirmative, mais que la réponse à la question commune 5 est négative, des dommages-intérêts constituent-ils une réparation convenable et juste au titre de l’article 24 de la Charte?

7. La conduite du défendeur justifie-t-elle l’octroi de dommages-intérêts punitifs?

8. Si la réponse à la question commune 7 est affirmative, quel montant devrait être adjugé à titre de dommages-intérêts punitifs à l’encontre du défendeur?

  1. Le plan de déroulement du litige, y compris les instructions quant à la façon dont les membres du groupe peuvent s’exclure du recours collectif et la date limite pour le faire, sera approuvé ultérieurement.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Simon Fothergill »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-261-22

 

INTITULÉ :

ABEL ARAYA c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

DU 10 AU 12 JUILLET, LES 3 ET 4 OCTOBRE 2023

 

ORDONNANCE ET MOTIFS

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

LE 12 DÉCEMBRE 2023

 

COMPARUTIONS :

Patrick Dudding

Rajinder Sahota

Danielle Toth

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Deborah Babiuk-Gibson

David Shiroky

Jennifer Lee

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Acheson Sweeney Foley Sahota LLP

Avocats

Victoria (Colombie‑Britannique)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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