Décisions de la Cour fédérale

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Date : 20231215


Dossier : T‑1629‑22

Référence : 2023 CF 1702

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 15 décembre 2023

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

CHENG DONG WANG

demandeur

et

L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Introduction

[1] La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision par laquelle l’Agence du revenu du Canada (l’ARC) a conclu que M. Cheng Dong Wang (le demandeur) devait rembourser 870 $ en raison de paiements en trop qu’il a reçus.

[2] Pour les motifs exposés ci‑après, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II. Contexte

[3] Le demandeur a produit sa déclaration de revenu de 2018 en octobre 2019. Il était admissible au crédit pour la taxe sur les produits et services et la taxe de vente harmonisée (le crédit pour la TPS/TVH), qui devait lui être payé en versements échelonnés. Toutefois, comme le demandeur n’avait pas mis à jour son adresse auprès de l’ARC, les versements ont été suspendus jusqu’à ce qu’il la modifie.

[4] Le demandeur a mis à jour son adresse auprès de l’ARC en septembre 2020. À ce moment, les sommes restantes à verser au titre du crédit pour la TPS/TVQ totalisaient 435 $. L’ARC a envoyé un chèque de 435 $ au demandeur à titre de paiement (le premier paiement). Le demandeur a communiqué avec l’ARC en octobre 2020 pour l’informer qu’il ne l’avait pas reçu. L’ARC a envoyé un autre chèque du même montant au demandeur (le deuxième paiement).

[5] En novembre 2020, le demandeur a fourni à l’ARC ses renseignements bancaires actuels afin de lui permettre d’effectuer des dépôts directs. Il a ensuite communiqué avec l’ARC pour l’informer qu’il n’avait reçu aucun des deux chèques envoyés précédemment. Le 30 novembre 2020, l’ARC a effectué un troisième paiement par dépôt direct, que le demandeur a reçu le jour même.

[6] Le premier chèque a été encaissé en décembre 2020 et le deuxième, en juin 2021. Puisque tous les paiements portaient le même numéro de référence dans le système interne de l’ARC, l’encaissement de ces deux chèques a amené l’ARC à procéder à une enquête.

[7] Le 4 mars 2022, l’ARC a envoyé un avis au demandeur pour l’informer qu’il avait fait l’objet d’une nouvelle cotisation et qu’il devait rembourser 870 $, soit la somme des deux chèques encaissés. Les prochains versements du crédit pour la TPS/TVH serviraient à réduire sa dette.

[8] Le 5 août 2022, l’ARC a avisé le demandeur qu’il avait droit à un crédit pour la TPS/TVH pour l’année d’imposition 2021, distinct du crédit pour l’année 2018. Cet avis indiquait également que le premier versement servirait au remboursement de sa dette.

[9] Il ne ressort pas clairement des observations du demandeur quel avis ce dernier souhaite contester. Dans son avis de demande, le demandeur affirme d’abord qu’il sollicite [traduction] « le contrôle judiciaire de la décision [de l’ARC] de garder le paiement qui lui est dû », ce qui porte à croire qu’il conteste l’avis du 5 août 2022. Cependant, si l’on examine l’avis de demande de plus près, le demandeur n’avance pas que l’ARC a commis une erreur en portant le crédit de 2021 en réduction de sa dette. Il conteste plutôt la décision de l’ARC selon laquelle il a reçu des paiements en trop. C’est aussi ce qui ressort essentiellement de ses observations écrites.

[10] Par conséquent, le demandeur conteste l’avis du 4 mars 2022, soit la décision portant qu’il a reçu 870 $ en trop (la décision relative au trop-perçu).

III. Questions en litige

[11] La présente demande de contrôle judiciaire relève‑t‑elle la compétence de la Cour?

[12] Dans la négative, le demandeur a‑t‑il présenté sa demande après l’expiration du délai prescrit?

[13] Dans la négative, la décision relative au trop-perçu est‑elle raisonnable?

IV. Analyse

A. Compétence

[14] Le paragraphe 12(1) de la Loi sur la Cour canadienne de l’impôt, LRC (1985), c T‑2, est rédigé en ces termes :

12(1) La Cour a compétence exclusive pour entendre les renvois et les appels portés devant elle sur les questions découlant de l’application […] de la Loi de l’impôt sur le revenu […] dans la mesure où ces lois prévoient un droit de renvoi ou d’appel devant elle.

[Non souligné dans l’original.]

[15] Par conséquent, si un droit d’appel devant la Cour canadienne de l’impôt est prévu pour la question faisant l’objet de la décision, la Cour fédérale n’a pas compétence pour se pencher sur celle‑ci.

[16] Le ministre détermine l’impôt que doit payer un contribuable en application de l’article 152 de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi). Un contribuable peut solliciter un nouvel examen de sa cotisation en présentant un avis d’opposition au titre de l’article 165 de la Loi. Il peut ensuite interjeter appel de sa cotisation auprès de la Cour canadienne de l’impôt par application de l’article 169 de la Loi. Puisqu’un droit d’appel à la Cour canadienne de l’impôt est prévu pour les cotisations, celles‑ci ne relèvent pas de la compétence de la Cour.

[17] Le crédit pour la TPS/TVH est calculé et versé à titre de remboursement d’impôt suivant l’article 122.5 de la Loi. L’article 160.1 de cette même Loi prévoit le recouvrement des paiements en trop (y compris ceux relatifs au crédit pour la TPS/TVH) et, selon le paragraphe 160.1(3), le ministre peut procéder au recouvrement en établissant une cotisation qui tient compte de la somme versée en trop.

[18] En l’espèce, le ministre a établi une cotisation à l’égard du demandeur pour l’année d’imposition 2021 en tenant compte des paiements qui lui ont été versés en trop. Le demandeur peut ainsi présenter un avis d’opposition relativement à cette cotisation et ensuite interjeter appel devant la Cour canadienne de l’impôt, qui a donc compétence exclusive sur l’objet de la présente demande de contrôle judiciaire. Par conséquent, cette demande ne relève pas de la compétence de la Cour fédérale et peut être rejetée pour ce motif.

B. Délai de prescription

[19] Même si la présente demande de contrôle judiciaire relevait de la compétence de la Cour en vertu de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, LRC (1985), c F‑7, le paragraphe 18.1(2) prévoit que les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les 30 jours qui suivent la communication de la décision, à moins que la Cour n’exerce son pouvoir discrétionnaire et n’autorise un dépôt tardif.

[20] La décision relative au trop-perçu a été communiquée au demandeur le 4 mars 2022. Il a présenté une demande de contrôle judiciaire le 4 août 2022 et a largement excédé le délai de 30 jours. Ainsi, la Cour ne peut se pencher sur l’affaire à moins qu’elle n’exerce son pouvoir discrétionnaire et n’accorde un délai supplémentaire.

[21] Dans l’arrêt Exeter c Canada (Procureur général), 2011 CAF 253 au paragraphe 4, la Cour d’appel fédérale a conclu que la cour de justice qui exerce son pouvoir discrétionnaire doit examiner les quatre questions suivantes :

  1. La partie qui demande le délai supplémentaire a‑t‑elle eu l’intention constante de poursuivre sa demande de contrôle judiciaire?

  2. L’autre partie a‑t‑elle subi un préjudice en raison du retard?

  3. La partie qui demande le délai supplémentaire a‑t‑elle donné une explication raisonnable pour justifier son retard?

  4. La demande de contrôle judiciaire envisagée a‑t‑elle des chances d’être accueillie?

[22] Il incombe au demandeur de convaincre la Cour qu’elle devrait exercer son pouvoir discrétionnaire et accorder un délai supplémentaire (Sander Holdings Ltd c Canada (Ministre de l’Agriculture), 2006 CF 327 au para 30, renvoyant à Virdi c Canada (Ministre du Revenu national), 2006 CAF 38 aux para 2‑3).

[23] Bien que le demandeur ait déposé des requêtes avant la tenue de l’audience, aucune d’elles ne visait à solliciter un délai supplémentaire au titre de l’article 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales. Le demandeur n’a pas non plus soulevé la question de manière informelle dans ses observations. Par conséquent, je juge qu’aucune explication raisonnable ne m’a été fournie.

[24] Même s’il est évident que le demandeur a eu l’intention constante de poursuivre sa demande de contrôle judiciaire et que rien n’indique que le défendeur ait subi un préjudice en raison du retard, ces deux facteurs ne permettent pas de justifier un délai supplémentaire, puisqu’aucune explication raisonnable n’a été donnée. En conséquence, même si la présente demande de contrôle judiciaire relevait de la compétence de la Cour, je refuserais d’accorder un délai supplémentaire au titre de l’article 18.1(2) et la demande pourrait être rejetée pour ce motif.

C. Fond de la décision et réparations

[25] Compte tenu de mes conclusions précédentes portant que la demande de contrôle judiciaire ne relève pas de la compétence de la Cour et qu’elle a été présentée après l’expiration du délai prescrit, il n’est pas nécessaire que j’examine le fond de la question sur les paiements que l’ARC aurait versés au demandeur ni que je me penche sur les réparations demandées par ce dernier.

[26] J’ai examiné le mémoire de frais du défendeur et j’exerce mon pouvoir discrétionnaire d’adjuger des dépens de 1 000 $ en sa faveur.

V. Conclusion

[27] La demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

[28] Des dépens de 1 000 $ seront adjugés au défendeur.


JUGEMENT dans le dossier T‑1629‑22

LA COUR REND LE JUGEMENT suivant :

  1. La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Des dépens de 1 000 $ sont adjugés au défendeur.

« Michael D. Manson »

Juge

Traduction certifiée conforme

Mélanie Lefebvre

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1629‑22

 

INTITULÉ :

CHENG DONG WANG c L’AGENCE DU REVENU DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 DÉCEMBRE 2023

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 15 DÉCEMBRE 2023

 

COMPARUTIONS :

Cheng Dong Wang

 

POUR LE DEMANDEUR

AGISSANT POUR SON PROPRE COMPTE

 

Sarah Mackenzie

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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