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Date: 20231213


Dossier: T-258-22

Référence: 2023 CF 1680

Québec, Québec, 13 décembre 2023

PRÉSENT: Monsieur le juge Pentney

ENTRE:

JOĖLLE MÉLINARD-BEAULIEU

Demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

Défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale [Division d’appel].

[2] La demanderesse, Joëlle Mélinard-Beaulieu, a fait une demande d’allocation de survivant sous le Programme de la sécurité de la vieillesse au Ministre de l’Emploi et du Développement social [Ministre] suite au décès de son ex-conjoint, M. Beaulieu. Sa demande a été rejetée par le Ministre ainsi que par la Division générale, parce que la demanderesse n’était pas une « survivante » au sens de la Loi sur la sécurité de la vieillesse, LRC 1985, c O-9, car elle s’est divorcée quatorze ans avant le décès de son ex-conjoint en mai 2019. Les décideurs ont tenu compte du jugement de divorce prononcé par la Cour supérieure du Québec le 30 avril 2004.

[3] La demanderesse a porté en appel la décision de la Division générale en dehors du délai applicable. La Division d’appel a refusé la demande de la demanderesse relative à une prorogation de délai. Pour en venir à cette conclusion, la Division d’appel a appliqué les quatre critères pour une prorogation de délai énumérés dans la décision Canada (Ministre du Développement des Ressources humaines) c Gattellaro, 2005 CF 883 [Gattellaro]. Elle conclut que la demanderesse a rencontré trois de ces critères : elle a démontré une intention persistante de poursuivre l’appel; le retard avait été raisonnablement expliqué ; et la prorogation de délai n’aurait pas causé de préjudice à l’autre partie.

[4] Cependant, la Division d’appel a rejeté la demande de prorogation de délai en appliquant le quatrième critère : soit de savoir si la cause était défendable. La Division d’appel a déterminé que « la demanderesse reproche à la division générale de ne pas avoir remis en cause la validité du jugement de divorce. Cependant, le Tribunal n’a pas le pouvoir de modifier ou d’annuler un jugement de la Cour supérieure du Québec. » La Division d’appel ajoute les propos suivants :

[22] La demanderesse a présenté une demande de prestation en vertu d’une loi canadienne. Et aux fins de la loi canadienne, le jugement de la Cour supérieure du Québec déclare que le mariage de la demanderesse avec le défunt a pris fin en 2004. Le Tribunal est tenu de respecter ce jugement jusqu’à ce qu’il soit modifié ou annulé par une cour québécoise.

[5] La Division d’appel a aussi noté que « plusieurs réparations demandées par la demanderesse ne relèvent pas de la compétence du Tribunal. Notamment, celles qui portent sur le jugement de divorce et le règlement de la succession du défunt. » En considérant le quatrième facteur du test pour une prorogation du délai, la Division d’appel a « évalué ce que pourrait nécessiter l’intérêt de la justice » et a conclu que l’appel est voué à l’échec. Pour ces motifs, elle a refusé de prolonger le délai de la demanderesse pour déposer sa demande à la division d’appel.

[6] La demanderesse sollicite un contrôle judiciaire à l’encontre de la décision de la Division d’appel. La norme de contrôle qui s’applique est celle de la décision raisonnable, selon le cadre d’analyse énuméré dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov].

[7] Ce cadre d’analyse exige qu’une décision administrative doit être intrinsèquement cohérente, justifiée, intelligible et transparente à la lumière du dossier dont dispose le décideur. Celui-ci doit également considérer les soumissions des parties (Vavilov aux para 99, 105-107, 125-128). Lorsque le décideur s’est mépris ou n’a pas tenu compte de la preuve, le caractère raisonnable d’une décision peut être compromis (Vavilov au para 126).

[8] Pour intervenir, la cour de révision doit être convaincue que la décision souffre « de lacunes graves » à un point tel qu’on ne peut pas dire que cette décision satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence. Les lacunes ou insuffisances ne doivent pas être simplement superficielles ou accessoires par rapport au fond de la décision. Elles doivent constituer plus qu’une « erreur mineure ». Le problème doit être suffisamment capital ou important au regard de l’issue pour rendre la décision déraisonnable (Vavilov au para 100).

[9] Devant cette Cour, en contrôle judiciaire, la demanderesse a répété ses arguments en ce qui concerne la validité du jugement de divorce prononcé par la Cour supérieure du Québec. Elle est citoyenne de la France et du Canada, et le mariage avec M. Beaulieu a eu lieu en Martinique, selon la loi française. Selon la demanderesse, elle n’a jamais donné le consentement requis par le droit canadien et français, et donc le divorce n’est pas valide. Elle affirme qu’elle a souffert des conséquences économiques liées au manque de respect de M. Beaulieu par rapport à son obligation matrimoniale.

[10] À l’audience devant la Cour, la demanderesse a convenu qu’elle a demandé à la Division d’appel de s’interroger quant à la validité du divorce. Elle soutient que la Cour devrait invalider le jugement de divorce, en accordant sa demande de contrôle judiciaire. De plus, elle cherche d’autres ordonnances de la Cour.

[11] La décision de la Division d’appel est fondée sur la détermination que l’appel de la demanderesse n’a pas d’une chance raisonnable de succès. L’exigence d’une « cause défendable » exige du demandeur qu’il démontre une chance raisonnable de succès (Leblanc c Canada (Ressources humaines et Développement des compétences), 2010 CF 641 au para 24, citant Canada (Ministre du Développement et des ressources humaines) c Hogervorst, 2007 CAF 41 au para 37).

[12] Aux termes du paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’emploi et du développement social, LC 2005, c 34 [LMEDS], les seuls moyens d’appel valides sont un manquement à un principe de justice naturelle, un excès ou un refus d’exercer la compétence, une erreur de droit, ou une décision fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance. Le paragraphe 58(2) de la LMEDS spécifie que la Division d’appel du Tribunal doit rejeter la demande de permission d’en appeler « si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès ».

[13] Compte tenu du dossier, et des soumissions écrites et orales de la défenderesse et du défendeur, il n’y a pas lieu d’intervenir. La décision est raisonnable.

[14] La décision de la Division d’appel de rejeter la demande de prorogation de la demanderesse est fondée sur l’application des facteurs énumères dans la loi et élaborés dans la décision Gattellaro. La détermination que la division générale ainsi que la Division d’appel n’a pas la compétence pour accorder à la demanderesse l’ordonnance qu’elle recherche est raisonnable.

[15] Il faut rappeler que la demanderesse a demandé une allocation au survivant sous le Programme de la sécurité de la vieillesse. Les décideurs ont rejeté cette demande parce que la demanderesse n’était pas l’épouse du défunt au moment de son décès, en considérant le jugement de divorce prononcé par la Cour supérieure du Québec. La Division d’appel a décidé que l’appel de la demanderesse est voué à l’échec, compte tenu du jugement de divorce, qui est un jugement final.

[16] Je ne vois pas d’erreurs dans la décision de la Division d’appel. Même en acceptant que la demanderesse a vécu une période difficile dans sa vie depuis la fin de sa relation avec M. Beaulieu, et qu’elle n’est pas d’accord avec le jugement de divorce ni avec la décision de la Division d’appel, il n’y a pas lieu d’écarter la décision de la Division d’appel.

[17] La demanderesse soutient qu’elle a la double nationalité : celles de la France et du Canada. Elle affirme que le jugement de divorce doit être invalidé parce qu’elle n’a pas donné son consentement. Mais, en l’instance, la Division d’appel ne peut pas ignorer le jugement de divorce prononcé par la Cour supérieure du Québec. Les arguments de la demanderesse par rapport au statut juridique du mariage en vertu de la loi française ne peuvent pas effacer l’effet du jugement de divorce selon la loi canadienne. La Division d’appel n’a pas compétence en ce qui concerne la validité du mariage en vertu de la loi française, ni par rapport à la Loi sur le divorce, LRC 1985, c 3 au Canada.

[18] La décision de la Division d’appel est raisonnable, selon le cadre d’analyse de l’arrêt Vavilov. Pour tous ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[19] Compte tenu de l’ensemble des circonstances, j’exerce mon pouvoir discrétionnaire de ne pas condamner le demandeur aux dépens.

 


ORDONNANCE dans le dossier T-258-22

LA COUR REND L’ORDONNANCE QUI SUIT :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

«William F. Pentney»

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T-258-22

INTITULÉ :

JOËLLE MÉLINARD-BEAULIEU C LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

QUÉBEC (QUÉBEC)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 6 DÉCEMBRE 2023

ORDONNANCE ET MOTIFS

LE JUGE PENTNEY

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

LE 13 DÉCEMBRE 2023

COMPARUTIONS :

Joëlle Mélinard-Beaulieu

POUR LA DEMANDERESSE

(POUR SON PROPRE COMPTE)

Marcus Dirnberger

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ministère de la justice du Canada

Québec, QC

POUR LE DÉFENDEUR

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

 

 

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